A l'abordage !!! Avec les amis du journal - Les Allumés du Jazz
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2 Le jour LES ALLUMÉS DU JAZZ 2EMETRIMESTRE 2010 À L’ABORD’ADADJLADJ Texte de Pablo Cueco Illustration de Rocco Le poète et musicien grec Euripide pensait qu’« Aux vrais amis, tout est commun ». Ce qui fait la vérité d’un journal, sa circulation, sa réalité d’échange, ce sont bien les parties communes avec ses lecteurs et acteurs. D epuis 26 numéros, et une bonne douzaine d’années, le journal Les Allumés diffusion sont « militantes ». du Jazz rythme la vie musicale française largement au-delà des contours La situation économique lamentable de l’édition phonographique, celle, déplorable, convenus des esthétiques définitivement établies. Nous fuyons depuis long- de la presse, l’évolution abyssale de l’intervention de l’Etat, la crise cosmique de temps le mundillo maudit, ce mal franco-français du jazz jazzo-jazzistique. l’économie mondiale et celle, pénible, de la cinquantaine - sans Rollex - pour cer- tains d’entre nous, celle, à peine moins difficile, bien que plus longue, de la sortie Conçu au départ comme un outil de communication au service des labels de jazz de l’adolescence, également nommée « crise de la quarantaine », celle de l’adoles- indépendants, il s’est vite métamorphosé en journal atypique, au service de la cence qui la précède de peu, et celle de la peur de la sénilité, par nature précoce… musique et de ses amoureux, qu’ils soient platoniques, diatoniques, chromatiques Toutes ces crises, aussi concomitantes que virulentes, posent à terme le problème ou dodécaphoniques. On y parle de musique… Et donc de musiciens, d’histoire, de de la pérennité de cette publication. pensée musicale, de philosophie, de temps, de composition, de swing, de groove, de son, de rap, de Nous sommes donc mood, de mode, de aujourd’hui face à un mad, de cinéma, de dilemme. L’économie nous polar, de production, de imposerait de basculer vers politique, de journa- un journal payant - ou lisme, de littérature, de financé en partie par de la religion, de photogra- publicité - avec toutes les phie, d’identités inter- contraintes, y compris édi- nationales, des Amériques, toriales que cela comporte ; Afriques, Asies, Australies, nos convictions exigent que Europe (le seul conti- nous conservions la gra- nent à ne pas commen- tuité et la liberté de ton que cer par un A), d’arts nous aimons… plastiques, des musiques Nous avons imaginé une du Monde, des extra- possibilité : une démarche terrestres, de nature, de associative, combinant - selon jazz, de surnaturel, de les souhaits et possibilités cuisine, d’improvisa- de chacun - soutien finan- tion, de sciences, de cier, adhésion et affirma- bandes dessinées, de tion d’un intérêt particu- poésie… Et de tous lier pour ce journal, sujets pouvant éclairer, actions, propositions, édifier, surprendre… Et échanges d’idées, rencon- se partager entre mélo- tres, et plus si affinités… manes… Et aussi par- fois juste pour le plaisir Nous vous proposons d’adhérer d’écrire et de lire… En à « l’Association Des Amis Du plus, il y a plein de Journal Les Allumés Du Jazz » : beaux dessins et de l’ADADJLADJ. belles photos… En adhérant à l’ADADJLADJ, amis lecteurs, vous pourrez soutenir notre démarche et per- Le tirage s’est progressivement stabilisé autour de 18 000 exemplaires, dont 6 000 mettre à tous ceux qui le désirent de recevoir le journal gratuitement. Vous contri- sont distribués sur des lieux de concerts et de pratique musicale. buerez, si vous le souhaitez, à la diffusion du journal dans votre entourage. Vous pourrez aussi devenir un « lecteur actif » en vous associant à la rédaction, en pro- Le journal est gratuit, et ce depuis le départ. Mieux encore, l’abonnement est offert ! posant des thèmes, des idées d’articles, des commentaires, en donnant des avis… Cela n’est ni neutre, ni « gra- tuit »… C’est une prise de posi- tion assumée sur la diffusion de la culture et du savoir, sur la ADHÉRONS À l’ADADJLADJ ! De plus, en apprenant simplement à prononcer correctement notre nom, liberté d’expression, sur la musique et sur l’art en général. vous perfectionnerez votre diction, prendrez de l’assurance dans toutes les situa- tions difficiles de la vie (mariage, divorce, enterrements, entretien d’embauche, Certes, tout a un coût et chaque chose a son prix… Et même ce journal, c’est cer- interview…) et affirmerez avec nous et avec force votre refus permanent de toute tain… Mais nous avons fait collectivement le choix de proposer un espace d’expres- facilité gratuite. sion aux musiciens, producteurs, mélomanes, diffuseurs, penseurs de la musique et autres bavards impénitents, qui soit accessible à tout lecteur. SAUVONS notre journal commun AVANT qu’il ne soit menacé ! ADHÉRONS À Le journal est financé par le budget propre des Allumés du jazz (pourcentage sur l’ADADJLADJ ! les ventes de CD, adhésion des labels…) et aussi surtout par des subventions diverses (Ministère de la Culture, Sacem, CNV…). La rédaction et une partie de la
LES ALLUMÉS DU JAZZ 2EME TRIMESTRE 2010 Le jour 3 Illustration de Johan de Moor Bulletin d’adhésion à l’Association Des Amis du Jour nal Les Allumés du Jazz Coupon à retourner, accompagné de votre règlement à L’ADADJLADJ 128 rue du Bourg Belé 72000 Le Mans J’adhère à l’Association Des Amis du Journal Les Allumés et verse ma cotisation 2010 Cotisation 2010 : 10€(étudiants, chômeurs) 15€(actifs) Madame Mademoiselle Monsieur Nom : ................................................ Prénom :.............................................. Je désire faire un apport supplémentaire de : .................€ Né(e) le :........................................... Profession : ......................................... Total : ........................€ Adresse : .......................................................................................................... .......................................................................................................................... Code postal : ..................................... Ville : ................................................ Pays : ................................................. Téléphone : ..................................... Fax : .................................................. Courrier électronique : ............................................................................... Muybridge
4 Cours du temps du journal LES ALLUMÉS DU JAZZ 2EME TRIMESTRE 2010 LA VIE DES ALLUMÉS : Texte du fantôme de la rédaction, illustration de Ouin LES ALLUMÉS DU JAZZ À DEUX PAS DU SOLEX des maisons de disques de l’association pour les vendre (mais oui F évrier 2001, la nuit mouillée vient tout juste de tomber, le 1 vrombissement d’une moto résonne dans une cour d’immeu- les vendre) par correspondance. Quelques plumes excitées se sont bles anciens pas loin de la Bastille où sont garés moultes emparées des espaces restant pour donner la parole à chacun. La 8 vélocipèdes, vélomoteurs ou antiques solex. L’engin se gare et première Question : « Avez-vous une bonne raison de produire ? » l’homme descend. Il vérifie scrupuleusement avoir tout éteint, s’in- met la barre juste (on en a encore la gueule de bois et la galette de quiète de bien avoir les précieuses images dans son sac de cuir, et vinyl). Le dessinateur Jiho, futur héros de Siné Hebdo, se charge se dirige vers le seul lieu éclairé de la cour, celui des Allumés du des images, instaurant ce rapport particulier des Allumés à l’uni- Jazz. À l’intérieur, ça rit, ça discute, ça court, ça tape, ça met en vers du cartoon. Mais cette bande d’Allumés ne va pas en rester là. page, ça griffonne, ça chiffonne, ça chante, ça chahute. On dirait Les voilà en train de bousculer l’ordre mal établi du premier opus- des enfants. C’est l’effervescence du bouclage du numéro 5 du cule pour en ajouter bien plus d’une couche, le fanzine tonne wop- journal de l’association du même nom. L’ouvrage vient de passer bop-a-loom-bop-a-boom-bam-boom et la parole s’allonge. Les de 18 à 24 pages. Le journal Les Allumés du Jazz (que certains musiciens font leur entrée, le dessinateur Cattanéo aussi (respon- s’évertuent à prononcer Journal des Allumés du Jazz) vit au rythme sable du dessin du titre du n°1 au n°22), les trois brunes libres de 3 parutions annuelles depuis le 4ème trimestre 1999. Il s’agit s’éclatent et voici l’ambitieuse « Critique de la critique » offrant alors d’un 12 pages destiné à mettre en relief les disques nouveaux la possibilité de critiquer les critiques ; en prime un jeu de société 2 3 4 5 6 7 9
LES ALLUMÉS DU JAZZ 2EME TRIMESTRE 2010 Cours du temps du journal 5 U N E A F FA I R E DE PAT T E S À PA P I E R 10 21 en encart. Numéro 3, le comité éditorial tanne le Conseil nal cette fois-ci Les Allumés parlent d’eux-mêmes. Le n°15, un d’Administration pour passer de 12 pages à 16 pages. Il vaut spécial photo du camarade de Magnum, affirme sa solidarité avec mieux lâcher du lest à ces enflammés car les Allumés du Jazz ont Gérard Terronès et le n° 16 répond avec un spécial dessin. Une d’autres chats infouettables. L’objectif de Christian Ducasse renou- floppée de dessinateurs plus talentueux les uns que les autres font velle sa prouesse du numéro précédent et Slim devient héros du irruption (Johan de Moor, Jérôme Bourdellon, Laurel, Carlos journal, sa queue dressée indique le bon moral de l’équipe qui rend Zingaro, Chantal Montellier, Andy Singer, Zou, Annestay, Ouin, à Philippe Carles ce qui est à Philippe Carles en proposant une des Vercors, Sylvie Fontaine, Efix, Jeanne Puchol, Laurent Percelay, rares interview du co-auteur de Free Jazz Black Power et rédac chef Pic, Nathalie Ferlut, Chloé Cruchaudet, Sangram Majumdar, de Jazz Magazine depuis des lustres. Aux Allumés aussi on parle Stéphane Courvoisier, Jonathan Thunder, Marianne Trintzius, d’actualité et d’histoire avec le Cours du Temps qui fait le point sur Muzo, Rocco, Ramuntcho Matta et bien sûr toujours Cattanéo) quelques passeurs et fondateurs influents. François Tusques, autour de Siné qui fait une pause pour le Cours du Temps. La 11 inventeur du Free Jazz à la française inaugure. musique grise l’illustration qui s’affiche en nouvelle signature du 22 journal aux côtés des photographies de GLQ qui garde sa page. Le ÉRECTIONS SANS PIÈGE monde de la bande dessinée reconnaît Les Allumés du Jazz qui se Le courrier des lecteurs et les réactions diverses s’amplifient large- trouvent cités ci-et-là. N°17, la crise du disque est sur toutes les ment avec ce quatrième numéro. Le journal prend alors sa place à bouches et dans tous les éditos, alors Les Allumés du Jazz font le la marge éclatée de ce fameux « mundillo » du jazz (qui parfois point, non mais ! Une lectrice de Clermont-Ferrand n’apprécie pas s’en inquiète). Et voilà que tout éléctrisé par les réactions le CD crucifié de la couverture et crie au blasphème. La rédaction ambiantes, le comité éditorial implore le Conseil d’Administration nomme un émissaire afin de calmer ce soulèvement des régions qui en réfère à l’Assemblée Générale de passer à 24 pages. Ils ne volcaniques. Si Les Allumés donnent toujours la parole aux nou- savent pas très bien quoi, mais ont fermement l’impression de tenir veaux et nouvelles venues et s’appliquent à « penser la musique un truc. Arrive donc ce fameux numéro 5 où l’on commence à avoir aujourd’hui », ils n’oublient jamais les grands aînés d’où qu’ils envie de parler de tout avec la musique comme nécessité totale. Le soient, en témoignent le Cours du temps bien sûr et cette couver- journal Les Allumés du Jazz (et non pas Le Journal… oui oui on ture de Daniel Cacouault dédiée à James Brown (18). Mais dans sait !) est un ouvrage de situation, un journal très « Poule sur un les grands aînés, on se passerait du retour de Napoléon III, on fait avec, on se serre les coudes. La supposée crise du disque (« sans 12 mur » comme l’annonce si précisément le n°6. Steve Lacy refait la le latin, la messe nous emmerde ») trouve un écho dans celle de la 23 une après être apparu sur le numéro 2. Les photographies du motard Guy Le Querrec dansent avec les goûts des uns et des presse musicale (19) ou encore plus fort encore dans celle de la autres. Le nouveau siècle n’est pas si facile à vivre et le journal crise tout court (20). Du grain à moudre et de l’encre à pisser. La marque une pause entre le 2ème trimestre 2001 et le quatrième musique vaut-elle le dérangement (21) et Allumette fracasse la trimestre 2002. Le n°7 annonce un journal « très musical et un porte et devient la mascotte du journal. Pas trop de suspense pour peu sexuel » avec en note de bas de page : « Enfin de retour, mal- la réponse, mais un sacré grattage de tête, on en parle, on se réu- gré et suite aux difficultés économiques qui décidément n’épargne nit ailleurs qu’en salle de rédaction, à Vitry par exemple à l’invita- personne, les Allumés reprennent la route, le sourire au fusil et la tion de Sons d’Hiver. On cherche ! ( et les questions … oui oui, fleur aux lèvres ». Plus que jamais les questions fusent (le jazz est c’est déjà dit plus haut !). Un point sur les rapports du jazz avec la une musique qui a souvent plus besoin de questions que de trop ( ?) oubliée musique contemporaine en numéro 22 et pour réponses) (1). Le journal est gratuit (free). Arrive la salle guerre fêter le numéro 23 (ça se fête un numéro 23 !), la « parution à d’Irak et Les Allumés du Jazz (le journal) ouvrent les colonnes du périodicité diablement aléatoire » se fend d’un 48 pages qui pré- n°8 à l’historien activiste américain Howard Zinn. Les musiciens sente une sélection large de leur production commentée par toute et gens de musique sont aussi êtres responsables. Joseph Jarman sorte de plumes et largement illustrée (la couverture est de Jean- rejoint l’univers d’un Slim en érection. La question des droits d’au- Claude Claeys, expert en polars si chers à l’Inspecteur Depaul). Le 24 13 teurs et du téléchargement (gratuit ou payant) commence à enva- n°24 « Jazz et luttes » sort dans la rue pour le défilé du premier hir (polluer) l’espace et les Allumés n’ont pas l’intention de les trai- mai 2009, objet de bien des rencontres et des débats et le 25 ter comme le nuage de Tchernobyl si scrupuleux des frontières, le revient sur les étapes du disque et cette question déjà posée dans n° 9 fait aussi bonne place à l’intermittence du spectacle et bien le premier numéro continue d’occuper : « pourquoi produire de la sûr toujours au cinéma, à la littérature, à la politique, et autres musique ? ». positions non stagnantes. Le n° 10 est pour Les Allumés l’occasion (1) Si vous n’êtes pas d’accord, écrivez au journal à qui ça fait toujours plaisir. d’une rencontre avec le journaliste-activiste-producteur Nat Hentoff et le printemps résonne. Notre confrère Le Monde Pour le détail des sommaires des numéros avec tous ceux (trop Diplomatique salue cette rencontre. nombreux pour être cités ici) qui s’y sont exprimés : www.allumes- dujazz.com à la rubrique Journal DES MOTS D’ALLUMETTES Nous sommes en 2004. La même année, Les Allumés – qui ont Membres historiques du comité éditorial : Jean-Jacques Birgé, Valérie déménagé au Mans (Sarthe) - réclament « Un forum sinon rien ! », Crinière, Pablo Cueco, Mathieu Immer, Jacques Oger, Jean-Paul Ricard, 14 l’assemblée aura lieu à Avignon avec mieux que des papes comme Jean Rochard, Jean-Paul Rodrigue, Jean-Louis Wiart, et les membres des 25 invités. Elle fera l’objet d’un numéro hors série mais pas hors Allumés du Jazz... sérieux. Les occasions manquées font un détour par le divan du n°12 où la musique s’écrit avec un grand M et où le ministre de Remerciements à Catherine Cristofari, Joëlle Dechanet, Farida, Tina l’intérieur (futur candidat gagnant à la présidence de la république) Hurtis, Nicolas Jorio, Clarisse Julcour, Marie Jo Marchand, Nicolas en prend pour son grade. Il fallait bien que le n°13 imprime sa Oppenot, Daphné Postacioglu, Bomessé Pounembetti, Christelle Raffaëlli, papatte. Outre qu’il se gonfle jusqu’à 40 pages l’espace d’un Cécile Salle, et toutes celles et ceux qui ont contribué à faire du Journal ce numéro, il fait aussi l’objet d’une maquette nouvelle plus discipli- qu’il est et de lui avoir évité d’être ce qu’il n’est pas. née (vraiment ?). Retour au 24 pages pour le numéro suivant (14, vous suivez …) accompagnant un disque où comme dans le jour- 15 16 17 18 19 20 26
6 Lieux intimes LES ALLUMÉS DU JAZZ 2EME TRIMESTRE 2010 Texte de Marc Péridot PORTRAIT IMMÉDIAT DE DENIS LAVANT Illustration de Nathalie Ferlut KASSAP / LAVANT / LOPEZ DECLARED ENEMY MEDIONI / TCHAMITCHIAN/ SALUTE TO 100001 STARS ASCENSION,TOMBEAUDEJOHN A TRIBUTE TO JEAN GENET COLTRANE Rogue Art ROG-0004 RogueArt ROG-0022 Matthew Shipp (piano), Sylvain Kassap (clarinettes), « Il est des entreprises pour lesquelles la vraie méthode est un désor- Matthew Shipp, Sabir Mateen, William Parker et Gerald Sabir Mateen (saxophone alto, flûte, Ramon Lopez (batterie), dre intentionnel. » Herman Melville Cleaver). Il n’est nul besoin de s’approcher de Denis Lavant clarinette), William Parker (contre- Claude Tchamitchian (contrebasse), basse), Gerald Cleaver (batterie), car il se charge de s’approcher de nous, on pourrait même Denis Lavant (voix), Denis Lavant (lectures) Franck Médioni (jazz poème) dire que l’approche est son instinct décisif. La nature a ses L a vie immédiate, c’est la voix pleine d’étendue d’être. symboles, ses cruautés, ses procédés mais aussi ses capacités Elle veut les mots libres et audacieux. La vie immé- visionnaires que Lavant sait figurer. Impossible autrement diate, celle qui « tombe dans un mot et t’y voit à l’envers d’apostropher Coltrane en pleine ascension (il le fait en (1) » cherche ses interprètes. « Le hasard fait sortir le plus compagnie de Sylvain Kassap, Claude Tchamitchian, Ramon grand des hasards (1) ». Dans les grands métrages de cinéma Lopez par les mots de Franck Médioni) et, comme pour Mauvais Sang de Léos Carax, Beau Travail de Claire Denis ou taquiner Oscar Wilde, de garder les couleurs de la vie en se Capitaine Achab de Philippe Ramos, la vie immédiate a son souvenant des détails. exégète : Denis Lavant. Elle a aussi ses diseurs chercheurs de bonne aventure, le comédien les épaule et les prolonge : Attila József (avec Serge Teyssot-Gay de Noir Désir), Arthur Rimbaud (avec Raphaël Didjaman) ou Jean Genet (avec (1) Jean Genet : « Marche funèbre » in Declared Enemy (Rogueart)
LES ALLUMÉS DU JAZZ 2EME TRIMESTRE 2010 Lieux intimes 7 Texte de Christian Tarting Illustration de Zou LETTRE À ANNICK NOZATI SUR NOS ENFANCES J e ne retrouve pas les photos mais les images sont toujours là, celles de ce printemps. un peu plus tard. Après je te lis. Presque apeuré de : je te lis. Comme moi tu n’es pas sor- L’arrivée discrète dans la cour, midi ou tout comme, il n’y avait pas grand-monde. tie de la cour. Et : je chante ce temps de toute urgence pour vivre. Et : tu me disais c’est Furtive un peu, disons embarrassée ; et le gros homme avec toi ne l’était pas moins : une aventure extêmement urgente et pourtant très lente. (Un peu plus tard me le disais vous vous comportiez comme deux intrus, des forceurs ratés de coffres-forts. Dans la cour, mais dans la cour je le savais déjà dans la cour tu le disais déjà.) J’avais, tout de suite, là au fond de la cour, deux godotiens, un peu branques c’est la logique, prêts à s’excuser en dans ce midi, ta lenteur impeccable avec, contre, moi. Festina lente et ton visage Momo. aggravant leur cas : lui manque de tomber le joue évidemment, agite en tout drame les J’avais ça t’ai perdue rattrapée dans la cour ne savais pas que : j’allais te perdre et rattra- bras, d’un rétablissement gloussé présente son soprano au public ; toi tu le suis voilà, à per, et te perdre, que trop vite j’allais te perdre que nos moments premiers, histoires grand renfort de manches et mousseline, lances ta voix, t’arrêtes, grimaces, te figes en petites lumineuses et fatrasies, se perdraient. Mais : tu l’as dit l’as chanté entre la chute masque Momo ma sarcastique. Le ton est donné, posé devant le petit nombre dans ce et l’espoir. bout de cour d’école dépavé, il fait beau, pas de micro, ni toi ni le gros homme n’en avez besoin en l’occurrence, dans le principe vous n’y êtes pas attachés, dans le principe vous ANNICK NOZATI LA PEAU DES ANGES n’êtes pas attachés. Of Being Numerous : j’avais quelques années auparavant découvert Vandœuvre VDO9712 George Oppen – les objectivistes américains mais lui d’abord, Oppen –, j’avais de lui un Annick Nozati (chant) livre avec moi pour les jours de ce festival et alors là tout de suite j’ai pensé par anti- phrase à son titre. Nous ne sommes pas nombreux – je me suis dit l’évidence. (Aujourd’hui encore aujourd’hui bien sûr hélas je peux y penser par antiphrase nous ne sommes pas nombreux oui.) (Et puis certains ne sont plus là tu le sais bien plusieurs presque beaucoup ne sont plus là je ne dresserai pas la liste tu la connais l’as signée le 7 juillet 2000.) (Et je revois la cour il me suffit d’entendre ton essai de voix je me dis quel est aujourd’hui le petit nombre qui a remplacé ?) Et j’ai pensé quelle, en regardant les touffes très vertes qui bouffaient au soleil les pavés déjà flingués joliment, quelle, alors, quelle autre voix pour : dire le nombre appelé, rêvé, nos impatiences, foucades, refus ; dire aussi nos moments d’innocence tous les désirs de transformation. Une clarté. (« Clarté // au sens de transparence, / et je ne veux pas dire qu’on peut beaucoup expli- quer. // clarté au sens de silence. ») Claire à ton seul essai de voix mon écoute. Claire à ton seul essai de voix mon attention, et : plus encore – très vite je prends de plein fouet ta voix pas que. Très vite le gros homme et toi, ton Lolimericker et toi, vous mettez tout en pas que, balancez tout hors du cadre, d’abord mental, hors de la cour pourrie d’école, hors de « ... dire le nombre appelé, rêvé, la scène pauvre à qui soudain vous donnez l’or d’être scène, l’amour d’un espace affirmé, du nos impatiences, foucades, chant lié, de l’entrelacé périlleux, ouvert, déli- cat, deux langues lacées l’une l’autre tenues refus ; dire aussi nos moments du désir d’être voix. Parfaitement d’être et le Coxman te pousse de toute sa belle douceur d’innocence tous les désirs de d’estragon (mais ne restez pas debout comme ça, vous allez attraper la crève), taraude genti- transformation. » ment, souligne, gentiment agace, refait-insiste, te dit là rappelle tes propres premiers jours. Collinée sa voix tu la reçois une ondulation satienne, learienne, un sautillement du stay with me, tu la reprends la provoques, mon iro- nique, comme décidée d’une stupeur, dirais-je une candeur jamais jouée. Masque blanc du corps. Déprotection. Toi-même un Auguste dans ta mousseline, un Auguste crié. Toi- même, déprotégée démunie, tu l’écriras un an plus tard. Violence de ton texte le seul un an plus tard. (Alors, le cul sur les pavés foutraqués de la cour je ne sais pas que j’en suis, en partie, fautif...) J’entends. Je ne t’ai pas encore lue. Le gros homme, le gros fool-on- the-hill qui du soprano explique tant, prosodie, parlexpliquetant t’explique tant, je sens bien qu’il est là plus que là, t’empêche de trop donner. (Plus tard, bien plus tard que ce midi dépavé, dans la circonstance terrible le pur terrible de ma vie, je me répéterai ça je t’ai protégée je te protège, je me répéterai ça un peu pensant à toi, héliotropique, et au gros homme avec toi, un peu te revivant toi ; moi : creusant la tombe dans le sol de février.) Ballerinant, titillant te défendant, il voit de tout près le mouvement des doigts sur ta gorge tes seins le gros homme, les erres et tentatives, les butées, de tout près la danse et l’inquiétude, de tout près il sait que. Oui mais oui je ne t’ai pas encore lue, ma mesu- rée qui fous ta voix dans la voix. Oui : ma mesurée ; car tout de suite je sais (au sens de transparence) que dans le drame rien ne t’échappe. Que dans le drame tu noues, alors oui, perinde ac, le privatif : ta protection et ta mort. Comme dans nos chansons vieilles de petits, nos petites conjurations. Comme à ce moment de pousser la voix dans le noir. (Je chante, envoie au large, chante, reviens ; le noir n’est pas pour moi le noir le sait puisque je suis le noir.) Oui ma mesurée ma déchantante. Dans le discantare que je reçois là de force et plaisir, de toi ma diva, dans le déchant, fine, dure, fine affaire de toi contre toi j’ai toutes les images. Tous les moments du chant instauré. Tous les moments du chant instaurés-foutus. Tout le temps ta voix se sera dit aura dit pour moi I’m late, I’m late ! (Mon retard ma vie glissée déjà morte.) (Ta vie oui, late.) Ce que réfutait le gros homme, l’Hillman, tu le sais – l’as su peut-être trop tard. Là je ne, non, sais plus rien des images mais seulement la main, elle sur tes seins la main chorégraphiée d’évidence. La disposi- tion d’air, théâtre excusé presque : d’extraversion. Et je vois la main sur tes seins, ballet à peine crispé. Ta main disposant c’est un texte. Et : avec toi je continue c’est une évidence presque morte têtes-mortes. (Maintenant.) Et : j’ai ton visage ; tu vois j’ai ton visage. Je n’ai pas quitté la vieille cour. Je continue de voir farouchement en esprit le gros homme et toi vous vois-écoute de si longtemps vois-écoute j’ai les traces ai bien sûr les traces les ai toujours rien du temps n’y aura fait. Je continue. Je n’ai pas retrouvé les photos mais : comme toi je sais comme toi la cour dépavée avec toi a tout dit. Après je prends les mots,
8 Directions LES ALLUMÉS DU JAZZ 2EME TRIMESTRE 2010 Texte de Jean-Paul Ricard FEMMES DE JAZZ Dans son édition du 17 avril 2010, notre confrère citizenjazz.com revient, dans un article intitulé « Les musiciennes du jazz relèvent la tête », sur la situation présente des femmes dans le milieu trop masculin du jazz. Comme une sorte de complément, en ces temps de retour du stéréotype quasi publicitaire de la chanteuse de jazz, les Allumés revisitent l’histoire de ces femmes instrumentistes qui ne date pas d’aujourd’hui, mais des sources mêmes du jazz, à l’instar des femmes pirates d’antan qui continuent à interroger la trop assurée solitude des mâles. PETITE HISTOIRE DES Hardin Armstrong. Les divers Hutton « and his Melodears » Pat Moran. Les musiciennes qui ont augmentation et, de plus en témoignages les concernant (musiciennes blanches), les « Harlem Sur les autres instruments se émergé depuis les années plus, sur tous les instruments. FEMMES (INSTRUMEN- Parallèlement, le mouvement font état de caractères bien Playgirls » (musiciennes noires) sont distinguées : Norma Carson, soixante présentent une grande TISTES) DANS LE JAZZ trempés dans la mesure où, et, surtout, «The International Jean Starr, Clora Bryant (trom- diversité de styles et d'ap- vers une plus grande reconnais- outre la difficulté à s'intégrer à Sweethearts of Rhythm », sans pette) ; Willene Barton, Kathleen proches. Certaines vont utiliser sance des strictes qualités créa- tives des musiciennes de jazz se P arallèlement au déferle- un milieu d'hommes, ces doute le meilleur. Il doit beau- Stobart, Vi Redd (saxophone) ; et accompagner la montée en ment régulier de chan- femmes-là étaient généralement coup au talent d'arrangeuse de Melba Liston (trombone) ; puissance du féminisme et des concrétise par une écoute un teuses dans les bacs de ce désavouées par leurs familles la trompettiste Edna Williams, Marjorie Hyams, Terry Pollard mouvements de libération de la petit peu moins machiste et un qui subsiste de rayons jazz, on pour manque évident de respec- puis à Anna Mae Winburn qui (vibraphone) ; Mary Osborne femme. D'autres prennent en jugement de valeur de plus en assiste à l'apparition tout aussi tabilité. lui succède à la tête de la forma- (guitare) ; Corky Hale, Dorothy charge l'organisation de festi- plus en lien avec le projet musi- régulière de musiciennes accé- Il n'était pas rare pourtant que tion et bénéficie des arrange- Ashby (harpe) ; Vivian Garry, vals ou de concerts, investissent cal proposé. Ce qui devrait d'ail- dant à une réelle notoriété. Le le jazz se joue en famille : Irma, ments de Eddie Durham. June Rotenberc, Lucile Dixon les lieux dévolus aux musiciens. leurs être la seule règle et non relais médiatique du phéno- soeur aînée de Lester Young L'orchestre, mixte au plan (contrebasse) ; Bridget O'Flynn, Davantage que dans le passé, une affaire de sexe (ou de mar- mène par les revues spécialisées jouait du saxophone avec ses racial, connaîtra de sérieux pro- Rose Gottesman, Elaine Leighton elles vont faire leur place au keting). Pas plus que de couleur (ou non) laisse ainsi penser frères ; tout comme Léontine blèmes lors de ses déplacements (batterie). sein de diverses formations de peau. que, addition faite des vocalistes (piano) et Marjorie (saxo- dans le Sud mais se produira La fin de la seconde guerre grâce à leurs seules qualités Moyennant quoi, la scène et des instrumentistes, le jazz se phone) Pettiford ; ou encore jusqu'en 1948, époque où, mondiale renvoie les femmes au musicales et acquérir une plus contemporaine du jazz et des féminise. Or, c'est un fait, qu'un Norma Teagarden (piano). comme l'ensemble des grands foyer et aux tâches domes- large reconnaissance, même si musiques improvisées nous survol de la littérature, des dic- tiques. Nombre de musiciennes les résistances restent très offre un nombre conséquent orchestres, les Sweethearts tionnaires et autres encyclopé- LA SWING ERA ET se « sacrifient » pour élever les importantes. d'instrumentistes de talent dont subissent le changement de dies qui jalonnent l'histoire du enfants et stoppent leur car- Les plus en vue restent les pia- il serait parfaitement idiot de se LES ORCHESTRES mode et le contrecoup de la fin jazz, prouve à l'évidence qu'à rière. Certaines choisissent de la nistes : Patti Bown (pianiste de priver. Et puis cela présente de la guerre au plan écono- l'exception de quelques DE FEMMES mique. poursuivre et, pour pallier à l'in- Quincy Jones durant les années l'avantage de rompre avec la grandes voix le panthéon du De ces ensembles féminins suffisance de sollicitations de la soixante, jouée par Count Basie, tendance globalisante actuelle jazz n'affiche qu'une très pauvre Avec la « swing era » et dans émergent quelques personnali- part de leurs confrères mâles, J.J. Johnson), Alice McLeod du marché qui cristallise sur représentation féminine. En les années qui précèdent la tés solistes : Dolly Jones, renouent avec l'alternative des Coltrane (remarquée chez une dizaine de noms la repré- témoigne aussi la récente antho- grande dépression (1930) va se Ernestin « Tiny » Davis, Estella orchestres de femmes. Mais Terry Gibbs avant son mariage sentativité totale du champ du logie « Les Géants du Jazz », pro- développer un grand nombre Slavin, Valaida Snow (« Queen cette fois, plutôt en petites for- avec John Coltrane), Valérie jazz. Osons la diversité, bien posée à ses lecteurs par le jour- d'orchestres entièrement fémi- of the trumpet »), Jane Sager mations. C'est le cas de Vi Capers (pianiste aveugle, plus riche que l'uniformité, la nal Le Monde : sur quarante élus, nins. Ils se produisent dans les (trompette) ; Irma Young, Burnside, Flo Dreyer et de Beryl disques rares sur le label curiosité reste la source la plus quatre chanteuses (Bessie théâtres, les dancings et sont, L'Ana Webster, Viola Burnside Booker qui joue, sur la 52ème Atlantic), Joanne Brackeen sûre du bonheur de la décou- Smith, Billie Holiday, Ella pour la plupart, dévolus à la (saxophone) ; Edythe Turham, Rue à New York, avec un excel- (joue et enregistre avec Joe verte (non prescrite). Fitzgerald, Sarah Vaughan). A danse. Si leurs qualités musi- Mary Colston Kirk, Doris Peavey lent trio complété par Bonnie Henderson, Stan Getz), Jessica A écouter donc (liste non ce niveau (les grands, les incon- cales sont indéniables, il n'est (piano). Wetzel (contrebasse) et Elaine Williams (pianiste attitrée exhaustive) : Sophie Agnel, tournables), la seule absence pas certain qu'elles soient le Leighton (batterie). Mary Lou du « Keystone Korner » de San Lynne Aryale, Sylvie Courvoisier, d'une Mary Lou Williams est seul critère de leur engage- Williams dirige ses « Girls Stars » Francisco à la fin des années Marilyn Crispell, Sophia DE L'APRÈS-GUERRE Domancich, Bettina Kee, proprement scandaleuse et ment. Les employeurs y voient avec notamment Marjorie Hyams soixante-dix, abondante et remar- montre bien comment, au fil du un côté attractif et tiennent lar- AUX SIXTIES (vibraphone) et Mary Osborne quable discographie). Pianistes Nathalie Loriers, Perrine temps, silence et indifférence se gement compte du physique (guitare). Marian McPartland et encore, mais surtout chef d'or- Mansuy, Rita Marcotuli, Myra sont ligués pour conserver au des musiciennes (cf. le film de Avec l'avènement du « be bop » Vi Redd font de même. chestres, Carla Bley et Toshiko Melford, Amina Claudine jazz sa suprématie masculine. Billy Wilder, Some Like It Hot). une nouvelle génération de Mais ces tentatives restent Akiyoshi ont su progressive- Myers, Junko Onishi, Michèle Il suffit pourtant de remonter Progressivement, et la crise musiciennes se manifeste. A ce marginales et, trop souvent ment imposer leur musique. Rosewoman, Renée Rosnes, honnêtement le temps jusqu'aux économique n'arrange pas les stade, il convient de s'attarder pour les musiciennes, à qualités Sur d'autres instruments se Ellyn Rucker, Irene Schweizer, plus lointaines origines du jazz choses, les musiciennes sont sur l'une des figures essentielles égales, la notoriété reste moin- singularisent les organistes Aki Takase, Christine Wodrascka, pour y rencontrer nombre d'es- partagées entre faire de la de ce survol de l'histoire du jazz dre. Critique bien connu, Shirley Scott (nombreux Rachel Z (piano) ; Myriam timables et talentueuses instru- musique et gagner de l'argent. au féminin : Mary Lou Williams. Leonard Feather produit en albums sur les labels Prestige et Alter, Carine Bonnefoy, Maria mentistes. Suivez le guide... Elles deviennent une concur- Depuis l'enregistrement de son 1954 une séance pour le label BlueNote), Rhoda Scott et Schneider, Magali Souriau, Sylvia rence pour les musiciens. Dans solo de piano (Night Life, 1930) MGM qu'il intitule « Cats vs Barbara Dennerlein ; les saxo- Versini (composition, chef d'or- LES PIONNIÈRES ce contexte, la ségrégation et sa participation active à Chicks, a jazz battle of the sexes » phonistes Barbara Donald, Jane chestres) ; Airelle Besson, noir/blanc se double de celle l'orchestre d'Andy Kirk (les et qui oppose (et mêle, pour Bunnett, Virginie Mayhew et Laurie Frink, Ingrid Jensen homme/femme. C'est ainsi que « Twelve Clouds of Joy », une face) deux septettes : celui Jane Ira Bloom (méconnue (trompette) ; Sophie Alour, Lisa S'il est vrai que c'est au travers d o n t e l l e signe les plus beaux de Clark Terry (Lucky Thompson, alors qu'elle est une des rares Cat-Berro, Claire Daly, du chant (berceuses pour les Blanche Calloway est délaissée, arrangements), elle bénéficie Urbie Green, Horace Silver, Tal spécialiste, originale, du soprano) ; Alexandra Grimal, Christine enfants, chants religieux à au profit de son frère Cab, par du plus grand respect des musi- Farlow, Percy Heath, Kenny la tromboniste Janice Robinson Jensen, Géraldine Laurent, Jessica l'église, chants de travail dans Irving Mills alors impresario du ciens (Duke Ellington) et en Clarke) et celui de Terry (active au sein des orchestres de Lurie, Véronique Magdelenat, les plantations) que la musique Cotton Club. Elle constituera particulier des jeunes boppers Pollard (Norma Carson, Corky Thad Jones/Mel Lewis, Clark Tineke Postma, Maguelonne est portée, dès la fin du XIX ème cependant un orchestre remar- (Thelonious Monk, Dizzy Hale, Beryl Booker, Mary Terry et Gil Evans, elle co-dirige Vidal (saxophones) ; Regina Carter, siècle, par les femmes noires et quable avec des musiciens Gillespie, Herbie Nichols). Osborne, Bonnie Wetzel, Elaine un quintet avec la corniste Deborah Seffer (violon) ; Irene esclaves, c'est avec l'investisse- comme Ben Webster, Vic Attentive à toutes les évolutions Leighton). La proposition est Sharon Freeman), Lindsay Aebi, Peggy Lee, Diedre ment du « minstrel » par les Dickenson, Clyde Hart et Cozy du jazz, qu'elle encourage, elle limite bon goût (hommes Cooper (hautbois, basson) ; les Murray(violoncelle): Noirs qu'apparaissent les pre- Cole, mais le succès restera n'hésitera pas (en 1977) à se contre femmes) et il faut atten- guitaristes Emily Remler, Dominique Bouzon, Gail mières instrumentistes (violon, moindre. produire aux côtés de Cecil dre 1958 pour que, toujours Monette Sudler et Leni Stern; Thompson(flûte) ; Loren Mazzacane banjo, tambourin). Dès les A noter que le développement Taylor. Musicienne de tout pre- dans Down Beat, un autre cri- les flûtistes Holly Hoffmann et Connors, Mary Halvorson (gui- débuts du jazz à La Nouvelle- de ces orchestres de femmes ne mier plan, égale des plus tique (Barry Ulanov) pose la Ali Ryerson ; les percussionnistes tare) ; Hélène Labarrière, Joëlle Orléans sont évoquées les per- se fait pas sans débat. Un cri- grands, elle aurait eu 100 ans question du jugement des musi- Cindy Blackman, Terry Lynne Léandre, Sarah Murcia, Giulia sonnalités de Mamie Desdoumes, tique écrit dans la revue Down cette année (comme Django!). ciennes en fonction de leurs Carrington et Marilyn Mazur. Valle (contrebasse) ; Béatrice pianiste et chanteuse de blues, Beat que les femmes ne dispo- Son écoute est indispensable et qualités musicales et non de La plupart d'entre elles sont, Graf, Susie Ibarra, Sherrie ainsi que d'Antonia Gonzales sent pas d'un certain nombre de pas seulement dans la perspec- leur sexe. Rejoignant ainsi une aujourd'hui encore, en activité. Maricle, Anne Paceo, Micheline qui jouait du cornet. Mais les qualités indispensables au jazz, tive de réévaluation de cet arti- déclaration de Mary Lou Pelzer, Julie Saury (batterie) ; premières musiciennes à émer- notamment qu'elles ne swin- cle. Williams : « vous devez jouer, LA SITUATION Hélène Breschand, Isabelle ger sont des pianistes : Emma guent pas. Ce qui lui vaut De ces années d'après-guerre, c'est tout. Ils ne doivent pas Ollivier (harpe). Barrett (la première à enregis- quelques répliques cinglantes AUJOURD'HUI on se doit de retenir quelques penser à vous comme à une Et que les oubliées veuillent trer, avec Papa Celestin), de musiciennes dans le numéro autres pianistes exception- femme si vous jouez vraiment ». bien me pardonner. Comme Jeannette Salvant Kimball, Billie suivant. Il semble (bénéfice de la mise nelles. D'abord, toujours en Jean Ferrat, je proclame avec le Pierce (aux côtés de Bessie Au-delà de ces difficultés, un en place, depuis les années 80, activité, Marian McPartland et ENROUTEVERSL'ÉGALITÉ, poète, que la femme est l'avenir smith, d'Alphonse Picou), Dolly certain nombre d'orchestres de de structures de formations Barbara Carroll. Puis aussi Jutta du jazz. Adams, Lovie Austin (chef d'or- DE LA FRATERNITÉ À LA nombreuses et efficaces) que le femmes connaissent leur part Hipp (3 albums sur Blue Note), chestre et arrangeuse), Cléo nombre de musiciennes soit en Brown, Dorothy Donegan et Lil de succès : celui d'Ina Ray Lorraine Geller, Bertha Hope et COMMUNAUTÉ (1960-1990)
LES ALLUMÉS DU JAZZ 2EME TRIMESTRE 2010 Directions 9 Texte de Jean Rochard 1/58 Illustration de Sylvie Fontaine LE PIANISTE, LA TOUX ET LA FEMME PIRATE L ors d’un récent concert solo du pianiste déjà si réduite de citoyenneté américaine, ou Keith Jarrett à San Francisco, un ingrat La femme pirate fait mieux que tousser, encore un siècle plus tard qui affranchit Ching spectateur a osé tousser. Conformément à Shih. Pour donner naissance à l’inespéré, il faut son habitude, le pianiste s’interrompt, puis elle bouscule, féconde l’impossible, des ports libres, des zones d’utopie. Les femmes reprend jusqu’à une seconde toux : « Eh l’ont toujours su mieux que personne lorsque s’of- bien, ça va maintenant être la contagion ! ». L’artiste s’élance à la quête éperdue de la fin de la fre l’occasion de quitter l’esclavage marital, de se lève et s’en prend à l’auditoire lui reprochant cette incapacité de concentration qu’il estime nuit... mettre en péril les pouvoirs royaux ou impériaux, de perturber l’ordre colonial, de vivre autrement généralisée : « Même les Japonais se mettent à tous- qu’en exclues ou d’échapper à la toute puissance ser ! » peste-t-il. L’ornemaniste martyr fait face à ses téméraire jamais faite à la star mondiale du piano, la plus écrasante d’une église, honteuse que son héros désigné bourreaux-tousseurs à 90 dollars la place. Après la sen- signifiante aussi. (Jésus de Nazareth) aima tant les femmes. suelle éclipse du plus féminin de ses disques The Melody at night with you (le plus vrai, le plus humain), La recherche du trésor et celle de la liberté d’un artiste La femme pirate fait mieux que tousser, elle bouscule, Jarrett est revenu à cette approche précieuse et capricieux sont à des encablures de celles des pirates féconde l’impossible, s’élance à la quête éperdue de la fin machiste de l’homme seul que le monde ne mérite pas. véritables, rompant avec les règles de la société pour de la nuit, fait claquer la fureur et le mystère en inventant Il parle au public, mais n’entend pas la signification prendre l’océan. La toux n’est alors qu’un bruit bénin un monde égalitaire. La femme pirate n’a cure des tous- possible de la toux. Pause, entracte, il revient. La toux devant l’immensité de la tâche, l’espace gigantesque, seurs, elle sait ce qu’elle dit de la douleur et du sacrifice, reprend. Le voilà qui se lève furieux « OK, j’abandonne ! », cette chose nommée amour. Cette chose qui pousse, au rien ne l’interrompt sauf la violence de la mort et le bruit puis explique qu’il a fait venir son ingénieur de Suisse : 17ème siècle, Jacquotte Delahaye, après que son père fut des combats comme terrible roulement ; roulement loin- « La toux est sur la bande enregistrée ». Quelqu’un tué, à devenir boucanière, qui entraîne la déportée Anne tainement évoqué par les tambours de Ron Bushy dans s’énerve : « mais joue ! ». Il finit par revenir pour ce Dieu-Le-Veut à se saisir, avec Laurens de Graff, du très « In-A-Gadda-Da-Vida », roulement qui prononce la dégé- qu’il annonce comme un rappel et interprète « What Is large, qui porte Anne Bonny à quitter son collaborateur de nérescence des jardins de l’Eden, roulement qui rou-tou- This Thing Called Love ». Un spectateur demande alors mari et la vie qui allait avec pour toutes les ruptures à cor- toux kopf kopf. « In-A-Gadda-Da-Vida», au-delà du gag et de la vision dage, qui met Mary Read sur la route des pirates et de Allez Keith, encore un effort … surréelle d’imaginer Jarrett interpréter l’interminable l’amour d’Anne Bonny, qui conduit Rachel Wall, toujours mais musclé tube d’Iron Butterfly, la demande la plus à la même époque, à réfuter l’invention toute récente et
10 Platine LES ALLUMÉS DU JAZZ 2EME TRIMESTRE 2010 S O L I D E J E N N Y- C L A R K E T T C H A M I T C H I A N : L’ A V I S D E B R I A N Texte de Brian Roessler, traduit par Delia Morris Photos de Guy Le Querrec Parler grave est la condition sine qua non de nos libertés. Le disque de basse seule en est toujours l’assurance. Brian Roessler, contrebassiste de Fantastic Merlins a écouté l’unique album en solitaire de Jean-François Jenny-Clark et le second opus solo de Claude Tchamitchian. gnateur, en passant par J ean-François Jenny-Clark disparut beaucoup trop tôt, en 1998 à l’âge de 54 ans. Son disque Solo sort en 2003 sur Solo est constitué de deux morceaux, tous les deux des improvisations solo. Le premier, le principal de cette œuvre, leader de divers ensem- bles, compositeur de l’insistance de Barre Phillips, une des développe plusieurs thèmes sur 37 musique de scène et de figures de proue de la contrebasse et de minutes. La deuxième partie est un bis danse, jusqu’à créateur la musique improvisée en général. Il beaucoup plus bref (à vrai dire d’une du label émouvance. s’agit de l’enregistrement live d’un réci- durée parfaite) de quatre minutes. Sur son nouveau disque, tal donné par Jenny-Clark lors d’un festi- Comme c’est un enregistrement réalisé Another Childhood, val de contrebasse à Avignon en 1994. A devant un public, on entend tousser Tchamitchian joue neuf ma connaissance, c’est le seul enregistre- bruyamment, ce qui risque de ne pas compositions originales ment de contrebasse solo que nous ait plaire aux vrais amateurs ; mais ces en solo. On a l’impres- légué ce maître musicien, et ne serait-ce interférences sont rares et n’enlèvent sion que tous les mor- que pour ça, il est d’une valeur inestima- rien au plaisir de l’écoute du disque. ceaux, répartis de façon ble. Une des premières choses qui m’a quasi égale entre arco et Jenny-Clark s’inscrit dans la lignée des frappé en l’écoutant, c’est la fluidité du pizzicato, ont été compo- bassistes de jazz virtuoses tels Jimmy pizzicato de Jenny-Clark. Les notes de sés d’emblée avec l’im- Blanton, Oscar Pettiford, Ray Brown et chaque ligne se lient les unes aux autres, provisation comme élé- Charles Mingus, parmi beaucoup d’au- créant ainsi une continuité sonore, ment constitutif de com- tres. Outre son travail d’improvisateur et comme le déferlement des vagues l’une position. Globalement, de musicien de jazz, Jenny Clark est après l’autre. Ce qui ne veut pas dire la musique de cet Jean-François Jenny-Clark, Festival International d’Amiens, 1987 aussi réputé en musique classique du que l’interprétation manque de cou- album crée des univers XXe siècle (si on doit faire cette distinc- leurs, loin de là. Alors qu’il joue exclusi- sonores tour à tour sombres, éthérés, nique créée avec l’archet, en modifiant tion fort douteuse). Ce qu’on entend vement pizzicato sur ce disque, il tire ouverts, qui envahissent l’auditeur, l’in- sa vitesse ou en le déplaçant. « Rire de avant tout sur ce disque, c’est un prolon- parti de chaque registre de son instru- citant progressivement à des explora- soie » se distingue par ses longues lignes gement du style génial, magistral et si ment en déployant une large gamme tions plus profondes. élégantes et par la volupté de sa large fluide d’un autre maître de l’instru- dynamique et une palette de sons allant Par la diversité des sons et des composi- palette sonore tirée du registre grave de ment, qui lui aussi nous a quittés bien du legato lisse jusqu’à l’agression per- tions, ce disque ne ressemble à aucun l’instrument. trop prématurément : Scott LaFaro. Que cussive. autre de contrebasse solo que je Outre la technique superbe d’archet de Jenny-Clark fasse preuve d’emblée d’une Sur le plan thématique, Jenny-Clark tra- connaisse. Autre innovation : au lieu Tchamitchian, son jeu pizzicato fait grande maîtrise technique dans son verse plusieurs environnements diffé- d’être porté sur la virtuosité de l’instru- preuve d’une grande diversité sonore interprétation semble une évidence, rents au cours du morceau. Dans les dix mentiste, il est centré sur la création expressive. Un exemple particulière- mais en réalité, cela importe peu ici, car premières minutes, il fait allusion plu- musicale accessible (bien que la virtuo- ment étonnant : « Raining Words », où ce qui nous est proposé est un aperçu – sieurs fois à « Nardis », un thème de sité y soit présente aussi). L’influence de une cascade de notes successives pen- une fenêtre ouverte – sur l’intelligence Miles Davis. Le thème principal de deux grands maîtres contemporains de dant quatre minutes donne vraiment musicale d’un vrai génie. « Eine Kleine Nachtmusik » de Mozart y la contrebasse, Stefano Scodanibbio et l’impression d’une forte pluie continue. fait quelques apparitions François Rabbath, se révèle par La plupart des albums de contrebasse joyeuses aussi. L’impression moments dans le jeu et dans l’écriture solo semble ne cibler voire n’intéresser générale est celle d’un grand arco. qu’une toute petite poignée d’auditeurs, maître qui explore la palette Les trois pièces « Haute enfance », en grande partie contrebassistes eux- sonore et musicale de son ins- « Désir d’ailes » et « Rire de soie » en mêmes, ou amateurs particulièrement trument avec une liberté particulier, développent une technique attirés par cet instrument. Le portrait totale, tout en prenant plaisir dite ponticello arco qui fait appel à des riche et complet de l’instrument que à examiner chaque idée qui harmoniques et des couleurs très peint ce disque lui confère des atouts se présente, un peu comme diverses. « Désir d’ailes » s’ouvre avec un majeurs qui devraient parler à un public un dialogue interne entre des effet remarquable de sitar (évoquant dépassant de loin les seuls spécialistes personnalités artistiques précisément Rabbath) et termine par toujours en quête de disques de contre- toutes différentes mais com- une vaste exploration des glissando, basse solo. plémentaires. d’intonations et de la gamme harmo- Ce disque d’un haut niveau d’excellence se prêtera géné- reusement à des écoutes mul- CLAUDE TCHAMITCHIAN JEAN-FRANÇOIS JENNY-CLARK tiples. En tant que témoi- ANOTHER CHILDHOOD SOLO gnage précieux de l’art et de Emouvance EMV 1031 La Buissonne RJA397002 la personnalité musicale de Claude Tchamitchian Jean-François Jenny-Clark (contrebasse) (contrebasse) Jean-François Jenny-Clark, je le trouve incontournable. Né en 1960, le bassiste et compositeur Claude Tchamitchian passe sa vie entière dans un véritable tourbillon d’activités artis- tiques multiples. Il est bassiste dans plusieurs contextes dif- férents, de soliste à accompa- Claude Tchamitchian, Europa Jazz Festival, mai 2009
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