ANNUAIRE MAROCAIN DE LA STRATÉGIE ET DES RELATIONS INTERNATIONALES
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ANNUAIRE MAROCAIN DE LA STRATÉGIE ET DES RELATIONS INTERNATIONALES
Annuaire Marocain de la Stratégie et des Relations Internationales Directeur de l’AMSRI Abdelhak Azzouzi Co-directeurs de l’AMSRI Asmaâ Alaoui Taib / Abdallah Harsi / Mohamed Fakihi Comité scientifique Abdelhak Azzouzi / Asmaâ Alaoui Taib / Mohamed Fakihi / Abdallah Harsi / Hakima Mountassir / Mounia Slighoua / Mouna Mesdouri / Brahim Benjelloun Touimi / Abdelilah Fountir / Danielle Cabanis / Hassan El Mossadek / Andre Cabanis / Mohammed Kabbaj / Fathia Bennis / Abdelhadi Tazi / Burhan Ghalioun / Farès Abdelarim / Ahmed Lahlimi Alami / Abdellah Bin Ali Al Khatib / Driss Guerraoui / Mohammed Larbi Messari / James Hollifield / Robert Jordan / Enrique Mugica Herzog / Khalifé Kazem / Catherine de Wenden / Said Laouandi / Abdelouahed Ourzik / Mohammed Fatih Naciri / Mohamed Darif / Manar Slimi /Makinouchi Haruko / Khalid Azab / Abdallatif Youssef al Hamad / Jean Louis Reiffers / Saad Kettani / Mohammed El Yagoubi / Francesco Spano / Fadel Al Rabii / Sabah Yassine / Madhi Al Khames / Amine Mahfoud / Mohamed Abassi / Cleopatra Lorintiu / Jaime Gama / Charles Christopher / Jean Marie Crouzatier / Phillipe Raimbault / Francois Paul Blanc / Nadira el Guermai / Idriss Yazami / Lola Bañon Castellón / Serigne Diop / Ahmed Aldersh / Amadou Lamine Sall / Mohamed Cherkaoui / Boucetta Boudchiche / Omar Hilal / Brian Calfano / Leila Hanafi / Aziz Hasbi / Menouar Alem / Pierre Bonte / Abdelhamid el Ouali / Kamal Mesbahi / Émile Sahliey / Mamdouh Aker/ Charles Anthony Smith / Said Al Lawandi Comité de traduction Abdelhak Azzouzi / Asmaâ Alaoui Taib / Mohamed Fakihi / Abdallah Harsi / Hakima Mountassir / Mounia Slighoua / Mouna Mesdouri / Hamid kjidaa / Mohamed Ouakrim / Lola Banon / Zhor Lhouti / Maroussia Issoumour / Hakima Kirami / Mohamed Abassi / Omar Hilal / Mohamed Allali / Abdelmajid Khadad / Abdelali Quarqori / Abdeljebar Boukili / Siham Kinani / Abdelmajid Khdad / Abdelkader Lachkar / Mohamed Benhlal / Abderrahim Salmani / Direction des études et des prévisions financières, Ministère de l’Economie et des Finances / Banque du Maroc / BMCE Bank / James Hollifield /Bahanou Akabouch / Ali Azeriah / Aouatif Raissouli / Sadik Rddad / Jilali Saib Comité de relecture de la traduction finale en trois langues Abdelhak Azzouzi / Asmaâ Alaoui Taib / Mohamed Fakihi / Abdallah Harsi / Brian Calfano / Mohamed Ouakrim Conception graphique Saâd Tadlaoui L’AMSRI est publié par le Centre Marocain Interdisciplinaire des Etudes Stratégiques et Internationales, association d’utilité publique (décret N° 2.11.250 du 18 mai 2011) avec le concours de l’Agence de Développement des Provinces du Sud, et le soutien du groupe Ahmed Jamai, la BMCE Bank, la Ville de Fès, la Région de Fès-Boulmane, le Ministère Chargé des Marocains Résidant à l’Etranger, Le Groupe Anas Sefrioui, La Fondation Hermès pour la paix, Maroc Export. CMIESI, B.P. 8622, Atlas, 30 001 Fès, Maroc. www.cmiesi.ma
A ANNUUAIRRE M MAROOCAIIN DE E LA STRAATÉGIE ET DES D REL LATIO ONS TERN INT NATIO ONAALES 2012 2 Tomee 1
INTRODUCTION PAR ABDELHAK AZZOUZI L’Annuaire Marocain de la Stratégie et des relations Internationales voudrait concourir à la reconnaissance d’une doctrine marocaine dans le domaine de la science politique et des relations Internationales, alors que les travaux en la matière au Maroc sont très rares. Le pluralisme académique, la diversité intellectuelle, la multiplication des approches, les débats pratiques et théoriques sont en effet essentiels pour la vitalité de n’importe quelle discipline. Regrouper les experts, rassembler les spécialistes, confronter les tendances, tels sont les objectifs initiaux de ce travail. L’AMSRI a une vocation généraliste. Il s’intéresse à la science politique au Maroc et ailleurs, à la science économique ainsi qu’aux relations internationales dans toutes leurs dimensions, politiques, stratégiques, culturelles, etc. L’AMSRI rassemble des analyses savantes, des articles académiques, des rapports, des statistiques, des chronologies rédigées dans un esprit pluridisciplinaire par des universitaires, des diplomates de renom, de grands économistes, des banquiers, des chercheurs, des décideurs, des experts marocains ou étrangers. Il est désolant de voir nos collègues anglo-saxons (surtout ceux des Etats-Unis et de la Grande Bretagne) dans les universités comme dans les centres de décision souffrir par exemple du manque d’une littérature conséquente et savante sur le Maroc. La production est soit arabophone ou francophone la plupart du temps. Qui plus est, il n’y a aucun recueil, annuaire, ou ouvrage publiés annuellement et qui retracent par l’écrit savant, même en arabe ou en français, les sujets divers, en liaison avec les événements de l’année de référence, mais aussi avec des thèmes plus permanents, regroupés sur une base thématique. L’AMSRI essaye de combler ce vide et constitue en la matière une publication sans équivalent dans la littérature arabophone, francophone et anglophone. Ce n’est pas une tâche aisée, pour un centre de recherche d’éditer un recueil ou un annuaire en trois langues simultanément. A notre connaissance aucun centre de recherches ou organisme ne le fait. Il se pourrait que le travail soit traduit. Mais la plupart du temps par d’autres organismes avec un grand décalage. Ainsi en est-il par exemple du rapport annuel de L’Institut International de Recherche sur la Paix de Stockholm (SIPRI) qui est un institut indépendant de recherche sur la paix et les
ABDELHAK AZZOUZI conflits qui porte une attention particulière aux problématiques liées au contrôle des armements et au désarmement. Le rapport financé par le parlement suédois est traduit en arabe par exemple par le Centre for Arab Unity Studies de Beyrouth. La formule d’un Annuaire reste une tradition francophone, avec ces précédents illustres que constituent l’Annuaire Français de Droit International et l’Annuaire Français des Relations Internationales. Cependant, l’AMSRI aspire à aller au-delà de la conception francophone pour embrasser les vertus de la méthodologie épistémologique du monde anglo-saxon particulièrement américaines. Car, il va sans dire que les revues scientifiques citées le plus fréquemment sur le marché international sont américaines. Je pense à World Politics, International Organization, International Security, International Studies Quartely (accompagné de la Mershon Studies Review). Il est de même pour les revues dont le contenu porte sur des méthodes ou des thèmes particuliers : pour des approches quantitatives et/ou inspirées de la théorie des jeux, The Journal of Conflict Resolution et International Interaction, sur les questions de sécurité, Scurity Studies, sur l’éthique, Ethics and International Affairs. L’AMSRI s’inspire de cet ensemble comme celui des publications américaines destinées à un public plus large mais n’échappent pas à la règle : Foreign Affairs qui a fêté cette année quatre-vingt-dix ans d’existence, Foreign policy et Orbis. D’où d’ailleurs, au-delà des articles savants dans ce volume, les rapports et les différentes banques de données. La production française reste aussi très faible par rapport à celle des Etats-Unis. La taille du marché universitaire américain, le nombre des politistes internationalistes, le soutien des fondations, le nombre des éditeurs, les interactions avec les décideurs politiques font que le centre de gravité est situé bel et bien aux Etats-Unis. Cela explique le nombre de décideurs marocains qui ont contribué dans ce volume et notre volonté d’entreprendre l’exploration systématique des faits et des évènements par l’utilisation de plusieurs compétences. En outre, comme le souligne Pascal Vennesson1, la question des relations entre les dynamiques politiques internes et internationales aux Etats-Unis est l’une des plus stimulantes, et nombre de notions, de théories, et d’enquêtes empiriques développées dans l’étude des relations internationales lui apportent des éléments de réponse tout à fait stimulants. Ces éléments et autres sont le principal poteau indicateur de l’AMSRI qui aidera le décideur marocain et étranger, le chercheur, l’universitaire, l’étudiant, les institutions financières, les experts dans le monde entier à trouver leur voie. De même, il sera juste de créer un lien solide entre les spécialistes universitaires, les 1 Pascal Vennesson, « Les relations internationales dans la science politique aux Etats-Unis », Politix, n°41, 1998, pp. 176-194. 6
INTRODUCTION experts avec les décideurs politiques et ceux dans le domaine de l’international. Les relations qu’ils entretiennent aux Etats-Unis sont très anciennes. Woodrow Wilson était un politiste et le produit singulier d’Harvard qu’est Henry Kessinger, a occupé des positions clés à la Maison Blanche. L’interaction, personnelle et intellectuelle, entre le champ universitaire et le champ politique est plus forte aux Etats-Unis qu’en Europe. On le constate bien dans la pensée et les liens des membres américains et européens associés au CMIESI avec le champ politique national de leur pays. Ceux des chercheurs américains sont plus forts et réguliers. En Europe ce lien est quasi inexistant. Pour nous aussi, il s’agit de relever ce décalage dans le cas marocain et essayer de combler le fossé (bridge the gap) qui séparerait des milieux jugés de plus en plus étrangers l’un à l’autre. L’AMSRI aspire à être un précédent où se retrouvent les experts de toutes les disciplines concernées, dans la mesure où elles comportent un objet national ou international. Il a en effet vocation, à manifester la présence des universités marocaines, de leurs centres de recherches et de leurs chercheurs dans un domaine où ils sont dispersés et la plupart du temps isolés. La table des matières de ce volume témoigne de la richesse de l’université marocaine qui regorge d’une pléiade de spécialistes érudits. Cependant, comme nous l’avons signalé, disposer d’un vivier d’universitaires ne signifie pas retenir une conception fermée de la recherche. Au contraire. L’AMSRI demeure ouvert à un grand nombre d’experts extérieurs, soit qu’ils appartiennent à des centres de recherches non universitaires (des centraliens, des polytechniciens, etc.), soit qu’ils proviennent de milieux professionnels (des diplomates, des décideurs politiques, des hauts fonctionnaires, des parlementaires, des syndicalistes, etc.). Il n’y a pas de contradiction, mais une réelle complémentarité entre des recherches universitaires savantes qui respectent la scientificité académique et les rapports et conclusions concrets que l’on peut retirer de l’expérience, du regard différent et de la connaissance personnelle de domaines spécialisés. C’est une véritable gymnastique intellectuelle et une combinaison que l’AMSRI s’efforce de réaliser. Ne courait-on pas le risque en préservant dans la lecture traditionnelle des évènements, d’illustrer l’allégorie dont Alfred Grosser aimait à illustrer ses cours, celle du passant dans la nuit qui cherche une clé sous un réverbère : -« Êtes-vous sûr qu’il faut bien chercher là ? » – « Non…mais là c’est éclairé. Ailleurs je n’y vois rien… ». 7
ABDELHAK AZZOUZI Car avant tout, l’AMSRI est adressé à un public large et diversifié : les universitaires et leurs étudiants que ce soit aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en France ou au Canada, au Maroc ou en Algérie ou ailleurs (puisque l’AMSRI est publié simultanément en trois langues), les chercheurs, les observateurs que sont les journalistes spécialisés, mais aussi les praticiens de la science politique et des relations internationales – diplomates, hauts fonctionnaires internationaux, membres des ONG, parlementaires, chefs d’Etats et leurs conseillers, thinks tanks, centres d’analyses et de prospectives, banques mondiales, institutions internationales. Il va sans dire que le choix des problématiques et de questionnement abordés est destiné à fournir à un large public des études de référence et originale qui leur permettront de trouver annuellement la quintessence des débats en cours et des informations correctes et précises relatives à leur domaine d’étude ou d’expertise. L’AMSRI souhaite assurer la complémentarité de la recherche académique et de la pratique politique, internationaliste, gouvernementale, administrative et associative. Même dans la recherche académique que présentent certains articles de ce volume, nous avons tenu à ce que les travaux soient inscrits dans une transdisciplinarité maîtrisée. C’est ainsi que suite à Josepha Laroche2, nous nous sommes inscrits par exemple dans la lignée de ceux qui pensent qu’il ne peut y avoir de recherche en science politique qui n’intègre la dimension internationale, et ce, quel que soit l’objet et quel que soit le champ de spécialisation envisagée (politique locale, sociologie politique, science administrative, analyse des politiques publiques, histoire des idées). De même, il est insensé de mener des travaux en matière des relations internationales sans recourir au territoire et à la science politique. En d’autres termes, la discipline des relations internationales ne saurait se priver de la méthodologie, des concepts et des travaux de la science politique. On peut même dire que les relations internationales risqueraient de ne pas exister car elles font partie intégrante de la science politique. Je suis tout à fait d’accord avec Josepha Laroche lorsqu’elle écrit qu’il est erroné de croire que l’on peut traiter les relations internationales à part : la dimension internationale est constitutive de toute science sociale du politique. Toute méconnaissance de cette donnée tant sociale que scientifique aurait pour effet : -soit d’amputer, de mutiler la recherche en science politique et donc de l’appauvrir 2Josepha Laroche, « Science politique et relations internationales », dans Olivier Philippe (sous la dir.), La science politique, une et multiple, Paris, l’Harmattan, 2004, p. 207. 8
INTRODUCTION -soit de réduire la discipline des relations internationales à n’être qu’un vague conglomérat de données empirico-descriptives, journalistiques et hétéroclites au statut aussi suspect qu’indéterminé….3. La montée en puissance de nouveaux acteurs et de nouvelles formes inédites de la diplomatie justifie non seulement la transdisciplinarité mais la mise en œuvre d’une sociologie wébérienne appliquée à l’international. « Une sociologie compréhensive des relations internationales que Max Weber n’a certes pas lui-même réalisé mais pour laquelle il nous a laissé de précieux outils conceptuels. Norbert Elias l’avait d’ailleurs déjà recommandé en son temps lorsqu’il évoquait les transformations de l’équilibre -nous-je- et qu’il définissait la politique internationale contemporaine comme étant, tout à la fois, l’œuvre d’une société mondialisée d’individus aux réseaux plus denses que jamais et un ensemble d’Etats en interdépendance croissante. En soulignant ainsi cette totale intrication de l’individu à la société et celle de l’interne à l’international, Elias fut l’un des premiers à mettre l’accent sur le paradoxe, souvent évoqué depuis, d’un développement conjoint des particularismes et de la globalisation4 ». On peut citer ici un autre exemple. Le travail de l’historien et celui du politiste ou de l’internationaliste ne doit pas être distancié. La science politique se définit entre autres comme la conviction profonde que les phénomènes sociaux sont comparables et qu’une théorie générale est possible alors que l’histoire suivant la définition de l’historien allemand Leopold Ranke ne se répète jamais5. Chaque guerre, chaque révolution serait donc unique avec des causes spécifiques. Les révolutions arabes en 2011 en témoignent. Chaque pays a ses propres spécificités. La transitologie a trouvé sa portée mais la consolidologie tarde dans certains pays (Egypte, Libye, etc.). Qui plus est, la science politique occidentale n’était pas généreuse avec le monde arabe. Elle l’enfermait pendant des décennies dans un autoritarisme éternel le situant en dehors de l’histoire. Les évènements successifs en 2011 ont surpris les politologues et les experts occidentaux les plus doués. La combinaison immédiate entre le travail de l’historien et le politiste trouvera ici toute sa dimension pour combler les failles des uns et des autres. Il existe une zone grise, des théories intermédiaires où une coopération entre les deux disciplines est des plus salutaires. Simultanément, écrire l’histoire juste est irréaliste6. Raymond Aron 3 Ibid. p. 208 4 Ibid. p. 217. Voir aussi Norbert Elias, La société des individus, Paris, Fayard, 1991 (1939). 5 Leopold Ranke, « On the Character of historical science », dans Georg Igger et all., (éds.), The theory and Practice of history, Indianapolis, Boobs-Merril, 1973, pp. 36-38. 6 Thomas Lindemann, « Histoire et relations internationales », dans Olivier Philippe, op.cit. 9
ABDELHAK AZZOUZI n’avait-il pas écrit à juste titre : « Il suffit d’imaginer l’historien essayant de raconter de la même façon ce qui s’est passé dans toutes les consciences de tous les soldats qui ont livré la bataille d’Austerlitz pour s’apercevoir que tous les livres qui ont été écrits sur toutes les époques de l’histoire de l’humanité, comptent probablement moins de pages qu’en exigerait ce récit impossible7 ». Comme le remarque Thomas Lindemann l’opposition entre science politique et histoire n’est donc pas celle de la théorie et de la description mais plutôt celle de l’explication généraliste et de l’explication particulariste. Nous avons bien suivi ce raisonnement dans la rubrique consacrée à la question du Sahara. Les vingt et un auteurs de cette rubrique ont dépassé l’histoire événementielle, tout en mettant en avant le poids des sciences juridiques, des structures, les forces profondes – telles que les forces économiques et les mentalités, les tractations régionales en passant par la culture, l’anthropologie pour comprendre et analyser les faits. Cela ne veut pas dire que nous avons ignoré l’histoire. Au contraire, nous l’avons abordée mais sous un angle où la discipline joint les autres branches des sciences sociales pour éviter l’extrémisme disciplinaire. Nous pouvons aller très loin dans l’analyse et dire que dans certains de ces articles, il y a une omniprésence d’enquêtes empiriques. Or en épluchant les ouvrages les plus célèbres en France en relations internationales, on observe qu’il y a peu d’enquêtes empiriques. Nous dirions la même chose de l’école américaine où les auteurs les plus savants comme Kenneth Waltz, Joseph Nye, Robert Keohane ou Robert Jervis sont appréciés en raison de leur réflexion théorique. On leur reproche de ne pas connaitre les ouvrages de première main, les ouvrages historiques. Dans cette rubrique sur le Sahara nous avons bien dissipé des contre-sens, des stéréotypes et nous avons mis en exergue la force du raisonnement loin de celui du simple historien qui se désintéresse de l’actualité et du politiste qui en est souvent le prisonnier. Démarquer la science politique de l’histoire uniquement par son sujet plus actuel risquerait de faire du politiste un journaliste un peu plus sophistiqué8. L’AMSRI évite cette lacune. Dans un ouvrage récent que nous avons écrit avec le Pr. André Cabanis9 (dont les grandes lignes ont été reprises par ce volume et nourries par d’autres contributions savantes), nous avons pu sortir de l’extrémisme de la discipline et réussir le pari de combiner entre le politique et le juridique. Nous avons refusé que l’analyse soit 7Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1967, p. 508. 8Thomas Lindemann, op.cit. 9 Abdelhak Azzouzi et André Cabanis, Le Néo-constitutionnalisme marocain à l’épreuve du printemps arabe, Paris, L’harmattan, novembre 2011. 10
INTRODUCTION uniquement placée sous le signe de la pure science politique, ou simplement conduite selon les canons de la simple technique juridique. C’est l’intérêt et la difficulté de l’exercice que de vouloir faire appel aux deux méthodes, sans sacrifier aucune et sans se contenter d’une simple juxtaposition. Pour comprendre et décrire le champ politique marocain, l’on doit mettre en œuvre une juxtaposition de démarches qui ont fourni la base de notre ouvrage sur « le Néo-constitutionnalisme marocain à l’épreuve du printemps arabe » et l’actuel volume de l’Annuaire Marocain de la Stratégie et des relations Internationales (voir les deux rubriques du pôle 3 de l’AMSRI dirigées scientifiquement et intelligemment par les professeurs Abdallah Harsi et Mohamed Fakihi) et le dernier article de la première rubrique du pôle 1 ainsi que les deux parties de l’ouvrage sur le Néo-constitutionnalisme marocain). L’étude du printemps arabe célébré par beaucoup et redouté par quelques-uns, est en tous cas générateur d’une mise en cause radicale des anciens équilibres institutionnels. L’étude et la description de l’exceptionnalisme marocain à travers par exemple la nouvelle loi fondamentale dont il s’est doté, est présentée comme une réponse aux nouveaux défis politiques, originale notamment par la forme monarchique du régime. En même temps, elle se veut en phase avec les tendances les plus modernes en honneur dans le monde complexe des nouvelles formes de l’ingénierie constitutionnelle, cette dernière traversée de toutes sortes de courants et de modes. Le constituant marocain a puisé chaque fois que cela lui a paru nécessaire dans ce que ses protagonistes eux-mêmes qualifient de « boite à outils » mais sans être dupe des fausses nouveautés ou des transformations périlleuses. On aurait pu imaginer de traiter ces deux éléments, d’ordre politologique et de type juridique, de façon simultanée dans une description mêlant les attentes plus ou moins clairement formulées par la population des pays arabes et les nouveaux articles introduits dans le texte constitutionnel de 2011. On conviendra qu’il y aurait de l’artificiel dans cette démarche dans la mesure où les modes de fonctionnement du politique et du juridique sont différents et puisqu’un texte constitutionnel a d’abord un caractère national, même si son adoption peut être mise en rapport avec des événements internationaux de grande ampleur. Pour autant, les liens à travers le dialogue des différentes disciplines sont réels. On les a intégrés et soulignés chaque fois que cela a paru indispensable et nul doute que le lecteur saura débusquer des influences croisées entre le développement dans tous les pays arabes, le Maghreb et particulièrement au Maroc d’une vie politique 11
ABDELHAK AZZOUZI de plus en plus active et un renouveau institutionnel accordant une large place au multipartisme au Maroc. Cela dit, restant toujours dans la nécessité du rapprochement entre les différentes disciplines, et plus particulièrement entre celle de l’historien et celle du politiste, nous avons essayé d’éviter les dénaturalisations des phénomènes. Nous exigeons du politiste de l’AMSRI à ce qu’il prenne en considération la dimension temporelle de ses analyses, sinon il commettra l’erreur de croire éternellement les choses qui sont en fait transitoires. De la même façon, une démarche totalement historique contribue à dénaturer les choses. Il est aussi normal par exemple que pour un historien, les facteurs aléatoires comme l’habilité diplomatique d’un homme d’Etat déterminent en grande partie la politique internationale. Les historiens et les sociologues n’ont jamais ignoré que le décideur-monarque, chef de l’Etat ou du gouvernement, vit entouré de conseillers, de courtisans et de ministres et qu’il ne décide pas tout seul. Des hommes ou des appareils lui transmettent des informations, d’autres hommes ou appareils traduisent ses ordres ou les trahissent. Comme le note le célèbre Raymond Aron, il y a quelques siècles, les favorites (ou favoris) passaient souvent pour des inspirateurs du prince et les historiens n’hésitaient pas pour autant à parler de la politique de la France ou de l’Angleterre, comme si ces entités ressemblaient à des personnes et agissaient à leur manière. Cette apparente contradiction se résout d’elle-même si l’on veut bien y réfléchir. Les Etats – les acteurs du système interétatique – sont gouvernés selon des méthodes différentes, depuis le permanent dialogue américain entre la Maison- Blanche et le Congrès jusqu’à l’absolutisme hypnotique de Hitler. Mais le Führer lui-même devait sa connaissance du monde extérieur à d’autres ; à d’autres il laissait la responsabilité d’accomplir ses volontés. D’un autre côté, le Président des Etats-Unis, quelles qu’aient été ses hésitations, ses conférences avec ses collaborateurs, les résistances du congrès, a finalement envoyé en Europe, au cours des années 1917-1918, des millions d’hommes et au Vietnam en 1965 un corps expéditionnaire de plus d’un demi-million d’hommes. Il en va de même pour Bush fils dans sa guerre contre Saddam et celle contre les talibans en Afghanistan. La structure d’un Etat organisé est telle que les décisions prises au sommet déclenchent une série d’effets, le plus souvent non prévus par les responsables, à supposer que l’on puisse les identifier. A l’heure présente, le décideur, qu’il soit le Président des Etats-Unis ou le Politburo au Kremlin, dépend non pas tant d’individus (conseillers ou favoris) que de bureaucraties, ou, si l’on préfère, 12
INTRODUCTION d’organisations complexes dont chacune a ses intérêts propres en rivalité avec d’autres10. Cependant, le politiste accorde son attention exclusive aux facteurs impersonnels comme la configuration du pouvoir ou le régime politique. Davantage de théories sur « les frictions humaines » serait donc souhaitable et réfuterait les décideurs accusant les universitaires de fournir des connaissances inutilisables11. Pour s’élever au niveau de la théorie, nous n’avons jamais méconnu le rapprochement et le dialogue entre l’historien et le politiste, entre l’économiste et le juriste (voir le pôle sur l’économie marocaine dirigé avec brio par le Professeure Asmaa Aaloui Taib), le spécialiste de la culture et l’anthropologue, etc. Comme le remarque Bertrand Badie, « le recours à la culture, à l’anthropologie et à l’histoire suggère la revanche de la connaissance individualiste sur la connaissance universalisante, le retour à ce que Robert Nisbet appelle le concert singulier, aux dépens de l’universel abstrait12». Le premier pôle de l’AMSRI essaye de corréler les différentes disciplines pour étudier sans se dissoudre dans un éclectisme sans consistance, ou dans un syncrétisme artificiel, la portée de la diplomatie marocaine à travers l’étude des intérêts nationaux du Maroc par rapport au nouveau système international, les relations du Maroc avec certains espaces régionaux comme l’Union européenne, les Etats Unis, l’Afrique, l’Espagne, avec certaines organisations internationales, etc. Nous avons analysé en recourant à une transdisciplinarité maitrisée la question du Sahara marocain dans tous ses aspects avec des perspectives et des études empiriques. Cela dit nous avons intégré dans ce pôle les avancées démocratiques et l’exceptionnalisme politique marocain par rapport à son contexte régional et arabe. Nous partons du principe que le lien interne/externe est déterminant. Comme le note Aziz Hasbi dans ce volume, le Maroc a, comme tous les Etats, des intérêts qu’il déclare vouloir défendre et ne cesse de le clamer. Mais il fait partie du groupe d’Etats qu’on ne peut classer ni parmi les puissances capables d’imposer leur volonté aux autres Etats et dicter les règles qui influent sur le système international, ni parmi ceux qui critiquent la situation internationale et peuvent obtenir la réforme des normes qui permettent aux superpuissances d’établir les règles du jeu. Il appartient donc à la catégorie des Etats qui subissent celles-ci et tentent tant bien que mal de profiter des contradictions entre les grands et des opportunités que permet le système économique international, qui est plus ouvert et plus intégré que 10 Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 2004 (1962), p. X-XI 11 Ibid. 12 Bertrand Badie, Politique Comparée, Paris, PUF, 1990, p. 25. 13
ABDELHAK AZZOUZI le système politique interétatique. Pour ce faire, le pays se donne une identité d’Etat démocratique et un rôle de pays légaliste, ouvert et attractif. Sa démarche favorise plutôt la séduction que la contrainte. Celle-ci n’est envisagée que modérément et en cas d’atteinte aux intérêts considérés comme « vitaux », tels que la survie de l’Etat, de la monarchie, la violation de l’intégrité territoriale, une agression étrangère caractérisée contre les populations, etc. En d’autres termes, le Maroc fait partie des pays qui essayent de consolider l’identité d’un Etat démocratique et intégrer le système international en se basant sur cette force universelle qu’est la démocratie bien enracinée par rapport aux autres pays voisins et arabes. Il s’agit d’une force en elle-même face à l’absence des moyens de puissances (par exemple économiques et militaires). L’article sur « le printemps arabe et l’exceptionnalisme marocain : Autour des jeux d’interaction et des arrangements institutionnels entre les Etats et les forces politiques dans les pays du Maghreb. A la racine de l’herbe » s’inscrit dans cette volonté de montrer le lien entre l’interne et l’externe dans la défense des intérêts nationaux du Maroc sur le plan régional et international. Le Maroc, faute de ressources naturelles énormes comme le pétrole – qui achète la paix sociale dans la majorité des pays arabes pétroliers-, n’aura pas cette position aujourd’hui sur la scène mondiale s’il n’avait pas grimpé les échelons en matière de démocratie et de libéralisation économique. Le processus récent au Maroc intervenu dans le cadre du printemps arabe et à la suite du discours historique du monarque du 09 mars 2011, conduit à contester les vieilles pratiques autoritaires au nom des valeurs de liberté et de bonne gouvernance. Elle est fondée sur une étude comparative avec les pays arabes et les trois principaux pays du Maghreb avec une recherche des tenants et des aboutissants du mouvement populaire ayant démarré avec la révolution du Jasmin. Pour analyser ces événements, nous avons déterminé la part d’explication attribuable aux stratégies des acteurs, notamment des élites politiques au pouvoir, mais aussi des forces d’opposition ou, en tous cas de contestation. Elles se déploient sous l’influence d’un certain nombre de contraintes, tels les héritages institutionnels ou encore les clivages partisans si bien que l’on peut parler de « stratégies encadrées par les contraintes ». Se traduisant par des phénomènes de chevauchements, d’interactions, de tractations, d’attentes… elles produisent des résultats inattendus et incertains. Cela s’inscrit donc, à la suite de Joseph Schumpter et de Robert Dahl, dans le consensus relatif à la définition procédurale de la « démocratisation » qui met l’accent sur les arrangements institutionnels. L’extension du champ de la participation et de la représentation politiques par 14
INTRODUCTION l’introduction de nouveaux mécanismes comme le bicamérisme et à travers le choix des modes de scrutin, est très révélatrice du fonctionnement des institutions représentatives. Ces dernières influent largement sur les dynamiques dans lesquelles les acteurs sont engagés et contribuent à expliquer la portée et les limites du printemps arabe. Il faut replacer ce dernier dans le cadre plus général du phénomène de contestation dont les gouvernements autoritaires sont, depuis quelques années, l’objet dans cette partie du monde notamment. Parfois, ce fut par une intervention militaire extérieure, comme en Irak que le dictateur a été renversé et l’on a pu constater les incertitudes liées à une telle procédure, telle que les populations ne sauraient s’approprier aisément les changements politiques. Ailleurs, les transformations sont le résultat soit de révolutions populaires comme en Tunisie et en Egypte, voire en Syrie, soit d’un pacte politique comme au Maroc. Le parti pris d’ouverture sur le comparativisme incite à utiliser les grilles d’explication de Philippe Schmitter et Terry Lynn Karl, spécialistes des democratizations studies. A partir des investigations qu’ils ont conduites en Amérique latine et ailleurs dans le monde, ils observent quatre types de transition : par révolution, par imposition, par pacte et par réforme. A leurs yeux et à nos yeux (les évènements actuels dans les pays arabes en témoignent), seule la transition par pacte est susceptible de conduire à une démocratie solide. Ce pacte est naturellement parachevé par d’autres variables comme le constitutionnalisme et la tenue des élections libres et concurrentielles. De tels procédés politiques aboutissent, pour paraphraser Adam Przeworski, à institutionnaliser l’incertitude et à permettre aux acteurs d’agir dans un cadre stable dans lequel ils peuvent défendre leurs propres intérêts. Appliqués aux trois pays du Maghreb central, ces méthodes anglo-saxonnes conduisent à comparer les itinéraires politiques de chaque Etat, avec en Tunisie une forme de « dynastie républicaine » qui a été confrontée à la révolution du Jasmin tandis qu’en Algérie, c’est un « despotisme collégial » qui permet au système de se maintenir, conforté par la crainte de voir ressurgir les affrontements récents qui ont déchiré le pays. Si l’on peut parler ici d’exception marocaine, ce n’est pas pour en dresser un portrait idéalisé mais au contraire pour rappeler le long cheminement qui aboutit à ce que les partis d’opposition, sollicités par la monarchie, finissent par accepter de participer aux responsabilités de l’exercice du pouvoir. Désormais, chacun s’emploie à mettre en place des arrangements institutionnels susceptibles de répondre aux promesses de libéralisation politique. L’idée de pacte politique évoquée plus haut sert de fil directeur aux tentatives d’explications. Ce pacte était absent dans la Tunisie de Ben Ali. En Algérie, il est soumis au bon vouloir de l’armée. 15
ABDELHAK AZZOUZI Ce pacte politique donne une crédibilité à la politique étrangère du Maroc menée par ses mécènes et pourra avoir plus de portée si ce potentiel est utilisé aussi à bon escient par les différents acteurs de ce pacte politique (sur le plan international) à commencer par les partis politiques (on parlera de la diplomatie partisane) sans oublier la diplomatie parlementaire, la diplomatie économique (effet de stabilité) et enfin celle de la société civile. Les études savantes intégrées dans les rubriques et pôles de l’AMSRI s’inscrivent dans un cadre d’analyse qui intègre une transdisciplinarité maîtrisée et dépasse les cloisonnements académiques les plus rigides. Mais il brille par le nombre d’informations considérables qui ne figurent toujours pas dans les exercices académiques français comme l’Annuaire Français des Relations Internationales, Critique Internationale, Cultures et conflits, Politique africaine et la Revue Internationale des Sciences Sociales, ou la lignée que la section d’études internationales (SEI) de l’Association française de science politique (AFSP) inscrit depuis une date récente son action. Il s’agit dans le cadre de l’AMSRI d’une véritable banque de données qui servira, parallèlement aux études sérieuses qu’il offre, des données brutes et nettes pour d’autres recherches (rapports, chronologies, etc.), sans lesquelles on ne peut progresser dans les analyses, les jugements ou les raisonnements. Compétitivité, audace dans la recherche et vigueur des arguments sont les fondements de l’entreprise intellectuelle de l’AMSRI. Sa publication simultanée en trois langues souligne l’originalité du travail et sa dimension mondiale. Une conception souple des canons de la scientificité permet d’éviter d’assécher l’imagination et conduire à des impasses. L’on peut conclure que l’AMSRI dans son premier volume est conforme au mode de présentation standardisé des publications de référence. Il reste à mercier tous ceux nombreux qui ont accepté rapidement et intelligemment de contribuer à la rédaction et la préparation de ce premier volume – co-directeurs de l’AMSRI les Professeurs Asmaa Alaoui Taib, Abdallah Harsi et Mohamed Fakihi qui ont passé avec moi des jours et des nuits à concevoir, à corriger, à rédiger, à traduire ou à recorriger les traductions en arabe, en français et en anglais de l’AMSRI. Ils méritent de partager avec moi les honneurs ainsi que tous les membres actifs du CMIESI. Nous avons aussi une grande dette à l’égard du comité scientifique, du comité de traduction, du comité de parrainage et de sponsoring, dans un domaine où l’on ne vit que de ses différences. Leurs qualités humaines, leur amitié, leur disponibilité ont entretenu en nous une très grande envie de continuer. Je tiens enfin à remercier les auteurs de l’AMSRI et la qualité de 16
INTRODUCTION leur concours. Cela montre que l’AMSRI répond à un besoin, et qu’il peut s’appuyer désormais sur un réseau très diversifié d’experts. 17
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