Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com

 
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Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
Dido
and Æneas                 HENRY PURCELL

FESTIVAL
D’AIX-EN-PROVENCE
DU 4 AU 24 JUILLET 2018
Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
70e édition du Festival

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                e Festival d'Aix-en-Provence célèbre cette année sa 70e édition. Cet anniversaire                             'est une année particulière pour le Festival d'Aix. Elle est marquée par un double
                m'offre l'occasion de rendre hommage aux générations d'artistes, de professionnels, de                        événement. D'abord un anniversaire, ensuite un départ.
                techniciens et de mécènes du monde entier qui ont forgé l'identité du Festival et qui l'ont
                fait vivre, tout au long de ces décennies, à travers un formidable travail de coopération. Je                 Un anniversaire, parce qu'en 1948, à la sortie de la guerre, Gabriel Dussurget – mélomane
                pense notamment au grand metteur en scène Patrice Chéreau dont les productions auront                         averti – eut l'idée géniale de créer un festival d'art lyrique à Aix-en-Provence. Depuis
                marqué l'histoire du Festival.                                                                                70 ans, chaque été, le cœur de la ville continue de battre au rythme de la scène mythique
                                                                                                                  de l'Archevêché.
    La programmation de cette 70e édition sera fidèle à ce qui fait la force et la singularité de la
    manifestation depuis sa création. Les plus grands compositeurs y seront à l'honneur : Mozart bien             Que serait Aix aujourd'hui sans ce prestigieux rendez-vous musical ? Soixante-dix années se sont
    sûr, qui a toujours occupé une place singulière à Aix, sera présent avec La Flûte enchantée, sous la          écoulées à façonner la renommée du Festival, à faire rayonner la ville au-delà des frontières de
    direction musicale de Raphaël Pichon et mise en scène par Simon McBurney ; de même que Richard                l'Hexagone. Mais aussi à partager l'excellence en s'ouvrant – dans une histoire plus récente – à de
    Strauss, avec son Ariane à Naxos ; ou encore Sergueï Prokofiev avec L’Ange de feu. La programmation           nouveaux publics.
    fera aussi la part belle à l'audace et à la diversité, avec la création mondiale Seven Stones, ou encore
    l'opéra Orfeo & Majnun qui réunit des compositeurs de trois nationalités et mêle les langues arabe,           Un départ, ensuite, puisque Bernard Foccroulle, directeur du Festival depuis 2007, signe ici sa dernière
    anglaise et française. Fidèle à sa tradition, le Festival dressera également des ponts avec le bassin         programmation. Il l'a fait jusqu'au bout avec le professionnalisme et les qualités humaines que chacun
    méditerranéen et ses artistes émergents, grâce au réseau Medinea ou à l'Orchestre des Jeunes de la            lui connaît.
    Méditerranée. Enfin, comme toujours, le public sera au cœur du Festival et même invité à y jouer sa
    part, à travers l'opéra participatif Orfeo & Majnun.                                                          Je tiens à le remercier pour le travail accompli et les magnifiques souvenirs d'opéras qu'il nous laisse
                                                                                                                  derrière lui. Son formidable parcours aixois ne connaît aucune fausse note et son talent aura marqué
    Nous fêtons par ailleurs cette année un autre anniversaire, que je tiens aussi à saluer : celui de            bien plus qu'une décennie aixoise, le monde de l'art lyrique en général. Je sais qu'il va maintenant
    l'Académie du Festival, qui célèbre ses 20 ans d'existence. Je veux rendre hommage aux missions               se consacrer à des projets plus personnels, notamment l’interprétation et la composition, ses deux
    remplies par ce centre de perfectionnement vocal et instrumental, qui offre un espace de travail,             passions.
    d'expérimentation et d'ouverture aux jeunes artistes en voie d'insertion dans le milieu professionnel,
    et qui forme également des médiateurs. À travers l'Académie, le Festival réaffirme la transmission            Une très belle page du Festival d'Aix se tourne cette année. À 70 ans, il s’apprête à prendre un nouveau
    comme l'une de ses valeurs cardinales.                                                                        départ.

    Cette édition 2018 sera enfin l'occasion de célébrer le travail extraordinaire accompli par Bernard
    Foccroulle, qui transmettra le témoin de la direction à Pierre Audi à la fin de l'été et qui signe avec
    cet anniversaire sa dernière édition. Je tiens à le saluer et à le remercier chaleureusement pour son         Maryse Joissains Masini
    engagement, son exigence constante, ses paris multiples et ses prises de risque durant ses années             Maire d'Aix-en-Provence
    passées à la tête du Festival. Je remercie également toutes les équipes et tous les partenaires, publics et   Président du conseil de territoire du Pays d'Aix
    privés, qui rendent ce moment d'enchantement possible année après année.

    Je vous souhaite à tous un très beau Festival.

    Françoise Nyssen
    Ministre de la Culture

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Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
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            L’édition 2018 est exceptionnelle à plus d’un titre : le Festival d'Aix-en-Provence célèbre ses
            70 ans, son Académie fête ses 20 ans, et les services éducatif et socio-artistique Passerelles

                                                                                                                 D
            sont à pied d’œuvre depuis déjà 10 ans. L’excellence artistique est, une fois de plus, au rendez-
            vous avec une programmation audacieuse où les opéras de Mozart, Strauss, Purcell et Prokofiev,                  ès l'origine, l'opéra s'est tourné vers les mythes antiques – Orphée, Ariane, Didon,
            ainsi que deux créations se partagent l’affiche. L’une d’entre elles, Orfeo & Majnun, sera donnée               les récits de la guerre de Troie – non par souci passéiste, mais parce que ces récits
    gratuitement sur le cours Mirabeau. Une offre foisonnante complétée par 23 concerts auxquels                            immémoriaux continuaient à parler aux êtres humains des temps modernes. De la même
    prennent part des artistes emblématiques de l'Académie.                                                                 manière que le chant est un moyen « détourné », sublime, de dire le réel et de décrire les
    Pour sa 6e édition, Aix en juin propose plus de 25 manifestations dans la ville comme dans la région et                 passions humaines, les mythes offrent un réservoir inépuisable de récits qui, venant de
    poursuit ainsi sa politique d’ouverture et d’ancrage dans le paysage culturel régional. Ce prélude au                   temps immémoriaux, nous atteignent de plein fouet, avec toute la violence des situations
    Festival réunit plus de 17 000 spectateurs autour de 270 jeunes artistes au rang desquels figurent les       paroxystiques, des destins contrariés, des conflits insolubles, des passions les plus aiguës.
    Lauréats HSBC de l’Académie dont on peut admirer le talent à Aix-en-Provence et alentours.
    Les enjeux de formation et de transmission restent primordiaux comme en témoignent les actions               Les amours à l'opéra sont rarement des fleuves tranquilles : on ne peut qu'être frappé par la force et la
    menées par l’Académie, par l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée et, plus localement, par                diversité des figures féminines qui traversent cette édition, de l'archétype de la femme abandonnée
    Passerelles. Le Festival est largement diffusé grâce aux retransmissions de nos partenaires Arte et Arte     (Didon) ou perdue (Eurydice, Layla), à l'incarnation de la fidélité (Ariane) ou de l'amour libre
    concert, France Musique et France Télévision, auxquelles s’ajoutent des projections gratuites à Aix-         (Zerbinetta). L’Ange de feu nous révèle une héroïne fascinante, condamnée pour sorcellerie dans un
    en-Provence et ses alentours ainsi que dans le monde.                                                        Moyen Âge pas si lointain ; Seven Stones suit le parcours éperdu d'un homme coupable du meurtre de la
    Poursuivant son expansion à l’étranger, les productions du Festival tournent sur les scènes du               femme qu'il aimait, un homme à la recherche du pardon. Seul Mozart parvient à réconcilier le féminin
    monde entier. Les deux réseaux que le Festival anime – celui d’enoa en Europe et celui de medinea en         et le masculin dans La Flûte enchantée, mais à l'intérieur d'un univers dominé par le patriarcat...
    Méditerranée – font de lui un acteur influent [et engagé] sur la scène internationale.                       Dans le cadre du débat actuel sur la place faite aux femmes dans notre société, il ne sera pas inutile
    La part du mécénat occupe une place de taille dans le financement du Festival. Je remercie tous les          d'interroger le cadre social, idéologique et philosophique qui a vu naître ces œuvres d'art et qui a
    mécènes, particuliers et entreprises, au premier rang desquels Altarea Cogedim, partenaire officiel          contribué à diffuser largement ce point de vue essentiellement masculin sur la féminité.
    du Festival.
    J’exprime enfin toute notre gratitude pour leur soutien renouvelé au ministère de la Culture, à la Mairie    Cette année 2018 nous permet aussi de célébrer les vingt ans de notre Académie. Celle-ci a
    d’Aix-en-Provence, à la Métropole Aix-Marseille-Provence et au Territoire du Pays d’Aix, au Conseil          profondément transformé le Festival qui, sans rien perdre de sa vocation initiale, s'est enrichi,
    départemental des Bouches-du-Rhône et au Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur.                        rajeuni, diversifié. Il est devenu un pôle incontournable de la création lyrique, il a accueilli, formé et
                                                                                                                 accompagné des dizaines de créateurs et créatrices, et des centaines de jeunes interprètes.
    2018 constitue la dernière programmation de Bernard Foccroulle, directeur général du Festival, qui
    achève ici son troisième mandat.                                                                             Parallèlement, l'Académie a participé à l'évolution des activités de Passerelles, notre département
    Je souhaite remercier chaleureusement Bernard Foccroulle pour le travail qu’il a accompli depuis             éducatif et socio-artistique qui a, depuis 2007, développé des actions de médiation et des créations
    12 ans à la tête de notre Festival. Son enthousiasme, son imagination, son pouvoir de conviction, son        participatives en partenariat avec des centaines d'écoles et d'associations, ainsi que des milliers de
    esprit d’équipe ont permis au Festival de progresser aussi bien sur le plan de l’excellence artistique que   jeunes et d'adultes de toutes origines.
    du développement des publics.
    Pour succéder à Bernard Foccroulle, la ministre Audrey Azoulay, les collectivités territoriales et moi-      Orfeo & Majnun constitue sans doute l'aboutissement de ces axes de travail qui n'ont cessé de nous
    même, avons choisi en juin 2016, Pierre Audi directeur de l’Opéra d’Amsterdam. Pierre Audi prendra           porter au cours de ces années : création, participation, dialogue interculturel, coopération européenne.
    ses fonctions comme directeur général du Festival d’Aix-en-Provence le 1er septembre 2018 ; depuis 18        Ce projet ambitieux qui associe parade urbaine et opéra en plein air aura galvanisé les énergies de
    mois en tant que directeur délégué il prépare les programmations des saisons 2019 – 2020 – 2021 en           centaines et de milliers de personnes participantes, amateurs et professionnels, dans le cadre festif et
    liaison avec le Conseil d’Administration et moi-même.                                                        collégial de Marseille-Provence 2018.      
    Le 1er juin 2018, le Conseil d’Administration a choisi comme nouveau Président Paul Hermelin. Je
    me réjouis tout particulièrement de ce choix. Par sa personnalité, par ses attaches avec la Provence,        À toutes celles et tous ceux qui nous ont accompagnés et soutenus tout au long de ces années,
    par son goût de l’opéra, par sa réussite à la tête d’un des groupes les plus prestigieux du CAC 40, Paul     responsables politiques, mécènes, spectateurs et spectatrices, je voudrais dire un immense MERCI !
    Hermelin devrait encore amplifier le succès de notre Festival.
                                                                                                                 Bernard Foccroulle
    Bruno Roger                                                                                                  Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence
    Président d’Honneur du Festival d’Aix-en-Provence

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Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
HENRY PURCELL (1659-1695)

                                                                                                    Dido and Æneas
                                                                                                           OPÉRA EN UN PROLOGUE ET TROIS ACTES
                                                                                                                                                                         Didon et Énée
                                                                                                           LIVRET DE NAHUM TATE
                                                                                                           CRÉÉ VRAISEMBLABLEMENT EN DÉCEMBRE 1689 AU PENSIONNAT POUR JEUNES FILLES DE CHELSEA

                                                                                                           NOUVEAU PROLOGUE ÉCRIT PAR MAYLIS DE KERANGAL, INTERPRÉTÉ PAR ROKIA TRAORÉ

                                                                                                           Direction musicale                      Une femme de Chypre     Chœur
                                                                                                           Václav Luks                             Rokia Traoré            Ensemble Pygmalion
                                                                                                           Mise en scène                                                   Orchestre
                                                                                                           Vincent Huguet*                         Dido     		             Ensemble Pygmalion
                                                                                                                                                   Kelebogile Pearl Besong
                                                                                                           Décors
                                                                                                           Aurélie Maestre                         Æneas 		              Continuo
                                                                                                                                                   Tobias Lee Greenhalgh Pierre Gallon
                                                                                                           Costumes
                                                                                                           Caroline de Vivaise                     Belinda 		         clavecin
                                                                                                                                                   Sophia Burgos      Ronan Khalil*
                                                                                                           Lumière
                                                                                                                                                   Sorceress / Spirit clavecin et orgue
                                                                                                           Bertrand Couderc
                                                                                                                                                   Lucile Richardot   Angelique Mauillon
                                                                                                           Dramaturge                                                 harpe
                                                                                                           Louis Geisler                           Second Woman
                                                                                                                                                                      Pierre Rinderknecht
                                                                                                                                                   Rachel Redmond
                                                                                                                                                                      théorbe
                                                                                                           Répétitrice de langue                   First Witch		Diego Salamanca*
                                                                                                           Sophie Daneman                          Fleur Barron*      théorbe
                                                                                                           Assistant à la direction                Second Witch		 Josh Cheatham
                                                                                                           musicale, chef de chant                 Majdouline Zerari* viole de gambe
                                                                                                           Pierre Gallon                           Sailor			          Antoine Touche*
                                                                                                           Assistante à la mise en                 Peter Kirk         violoncelle
                                                                                                           scène		                                                    Thomas De Pierrefeu
                                                                                                           Sophie Petit                                               contrebasse
Nouvelle production du Festival d'Aix-en-Provence et de son Académie
En coproduction avec le Théâtre du Bolchoï – Théâtre académique d’État de Russie                           Assistante aux costumes
                                                                                                           Marie Szersnovicz                                               Prologue
                                                                                                                                                                           Mamah Diabaté - N'Goni
Éditeur de la partition : King's Music

Un rendez-vous MP2018 Quel Amour !

Spectacle en anglais surtitré en français et anglais | 1h15
Théâtre de l'Archevêché | 7, 10, 12, 13, 17, 18, 20 et 23 juillet 2018 | 22h

Retransmis en direct sur             le 12 juillet et en léger différé sur     et   le 12 juillet          *Anciens et anciennes artistes de l’Académie
                                                                                                                                                                                                    7
Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
Argument                      Vue d’ensemble

                                                                                                                  D
    Acte I                                                                                                                     Didon et Énée est le seul véritable opéra d’Henry Purcell (1659-1695), c’est-à-dire
                                                                                                                               comportant une intrigue mise en musique d’un bout à l’autre. Il s’agit toutefois d’un opéra
    Oppressée par des tourments « impossibles à confesser », Didon, reine de Carthage, est réconfortée
                                                                                                                               atypique, notamment par la modestie de sa taille – il ne dure pas plus d’une heure – et de
    par Belinda, qui l’encourage à ouvrir son cœur à Énée, le Troyen errant auquel elle a offert l’hospitalité.
                                                                                                                               ses moyens – il ne nécessite qu’un petit orchestre et un nombre restreint de chanteurs.
    Alors que Didon avoue ressentir de la compassion pour lui, Belinda et la Deuxième Dame lui assurent
                                                                                                                               On a longtemps considéré que cela s’expliquait par les circonstances particulières de sa
    qu’il est épris d’elle. Le prince troyen vient déclarer son amour à Didon et la cour célèbre le triomphe
                                                                                                                               création : Didon et Énée aurait été joué pour la première fois au pensionnat de jeunes filles
    de l’amour et de la beauté.
                                                                                                                  du chorégraphe Josias Priest à Chelsea, en 1689, comme en atteste la plus ancienne édition de son
                                                                                                                  livret. Mais des thèses plus récentes suggèrent que l’ouvrage a été créé quelques années auparavant à la
    Acte II                                                                                                       cour de Charles II ou à celle de Jacques II, à l’instar de Vénus et Adonis de John Blow.
    Premier tableau
    Dans leur repaire, l’Enchanteresse et ses sœurs fomentent la chute de Didon qu’elles haïssent,                Le livret de Nahum Tate reprend les grandes lignes du Chant IV de l’Énéide de Virgile, mais il remplace
    et l’effondrement de Carthage : un Esprit se présentera devant Énée sous les traits de Mercure – le           les dieux de l’Olympe par des sorcières maléfiques. Au cours des errances qui suivent sa fuite de Troie,
    messager des dieux – et lui ordonnera de reprendre la mer pour rejoindre l'Italie et y fonder une             Énée aborde la rive africaine et s’éprend de Didon, reine de Carthage. Avides de faire le mal, les
    nouvelle Troie. Les sorcières se réjouissent de ce stratagème et décident de gâcher la partie de chasse       sorcières lui dépêchent un esprit qui, déguisé en Mercure, lui ordonne de quitter les lieux. Énée obéit.
    entreprise par la cour en provoquant aussitôt une tempête.                                                    Didon est terrassée par la douleur. Dans la nouvelle production du Festival d'Aix 2018, un prologue
                                                                                                                  parlé, écrit par Maylis de Kerangal, remplace le prologue mythologique originel, dont la musique a été
    Deuxième tableau                                                                                              perdue. Ce nouveau prologue retrace le passé de Didon avant la fondation de Carthage.
    Dans un bosquet, Didon et sa suite se reposent de la chasse, tandis qu’Énée est fier de la proie qu’il a
    abattue. Lorsque le ciel s’obscurcit et que la foudre tombe, tous s’enfuient vers le palais. Énée, resté      La partition de Purcell mêle habilement les influences de l’opéra français et du mask anglais, forme
    seul, est interpellé par l’Esprit qui lui ordonne de quitter Carthage. Le cœur déchiré, il s’y résigne.       musico-dramatique dominante dans l’Angleterre du XVIIe siècle. Elle se présente comme une pièce
                                                                                                                  de théâtre avec de longs dialogues parlés, ponctués de divertissements chantés et dansés sans lien
    Acte III                                                                                                      nécessaire avec l’intrigue principale. Si Purcell a donné ses lettres de noblesse à cette forme avec
    Dans le port, un marin enjoint ses camarades de lever l’ancre et de prendre congé de leurs compagnes.         des œuvres comme King Arthur ou Fairy Queen, Didon et Énée appartient au genre de l’opéra anglais
    L’Enchanteresse et les autres sorcières se réjouissent de voir les Troyens sur le départ et prévoient de      qui apparaît quelques années avant sa composition, avec la création de Vénus et Adonis de John Blow
    déchaîner une tempête contre Énée.                                                                            (1684). À la différence du mask, l’opéra anglais est mis en musique du début à la fin, sans dialogue
                                                                                                                  parlé. Il est directement inspiré du modèle de la tragédie lyrique, établi par Lully dès les années 1670
    Énée vient annoncer à la reine que les dieux lui ont ordonné de partir. Didon l’accuse d’hypocrisie puis      en France, et dont on retrouve naturellement l’influence dans Didon et Énée. La partition de Didon et
    le repousse quand il parle de rester malgré l’ordre de Jupiter. Énée parti, Didon prend une dernière          Énée comprend ainsi une ouverture de type lulliste, de nombreux chœurs et des danses pour ponctuer
    fois la main de Belinda pour lui faire ses adieux car elle va désormais mourir, avec un dernier vœu :         le drame. Si différents airs et duos se détachent de scènes reliées par d’éloquents récitatifs, on
    « souviens-toi de moi, mais oublie mon destin. »                                                              remarque tout particulièrement les deux airs de Didon construits sur des basses obstinées : le premier
                                                                                                                  exprime l’angoisse du cœur qui n’a pas encore déclaré sa flamme ; le deuxième exhale la détresse de
                                                                                                                  la femme abandonnée qui se prépare à mourir. Appelée ground en anglais, la basse obstinée est l’un
                                                                                                                  des principes formels les plus étonnants de la musique baroque. Il consiste à construire un air sur une
                                                                                                                  phrase mélodique de la basse répétée en une sorte de mouvement perpétuel.

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Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
Didon et Énée recèle un étonnant pouvoir émotionnel. Qu’est-ce qui contribue musicalement à
                                                                                                                                         une telle puissance dramatique ?
                                                                                                                                         Je crois que le traitement du thème de Didon et Énée par Purcell doit sa puissance à une expression
Photo © Petra Hajská

                                                                                                                                         intensément condensée, et à son ingénieuse simplicité qui dissimule en réalité un grand raffinement.
                                                                                                                                         Aucune note n’est superflue. Toute la musique est mise au service du texte : les chanteurs n’ont
                                                                                                                                         pas la moindre latitude pour afficher leur virtuosité, et l’on n’y trouve pas d’expérimentation
                                                                                                                                         compositionnelle. Tout est authentique, direct et équilibré. Une histoire très profonde et dramatique
                                                                                                                                         nous est donnée à vivre dans un espace minimal.

                                                                                                                                         Certaines versions de Didon et Énée influencent-elles votre direction ou vous tenez-vous
                                                                                                                                         délibérément à distance des autres interprétations ?
                                                                                                                                         Étant donné que la partition complète de Didon et Énée ne nous est pas parvenue (la musique du
                                                                                                                                         prologue et d’autres numéros dansés sont perdus), les chanteurs et les chefs d’orchestre sont libres de
                                                                                                                                         créer leurs propres concepts. Cependant, aucune des versions que j’ai pu entendre ne m’a convaincu
                                                                                                                                         – que les passages manquants soient composés à la façon de Purcell, ou qu’ils soient remplacés par
                                                                                                                                         des « emprunts » à d’autres œuvres de lui. C’est peut-être parce qu’il n’est personne de comparable à
                                                                                                                                         Purcell aujourd’hui… Il m’a semblé plus excitant et plus intéressant de confronter son opéra à un style
                                                                                                                                         musical radicalement différent, et d’ouvrir ainsi à l’imagination de l’auditeur une perspective nouvelle
                                                                                                                                         sur l’histoire de Didon.

                                                                                                                                         Sommet de l’œuvre, le chant de Didon mourante est une lamentation sur une figure de basse
                                                                                                                                         obstinée qui ne laisse personne indifférent. Comment Purcell laisse-t-il libre cours à une telle
                                                                                                                                         effusion sentimentale ?
                                                                                                                                         Je dois dire que je ne trouve pas du tout sentimentale la Lamentation de Didon. Il s’agit bien entendu
                                                                                                                                         du point culminant de l’opéra, du plus long morceau de l’œuvre et du seul passage où une soliste
                                                                                                                                         est accompagnée par l’orchestre au complet. Mais sa puissance tient moins à l’ingéniosité de sa
                                                                                                                                         composition qu’au concept dramaturgique global : Purcell ne laisse jamais l’auditoire oublier les
                                                                                                                                         douloureuses vicissitudes de la relation entre Didon et Énée. L’inquiétude de Didon et son refus,
                               Chaque mot, chaque note, chaque geste                                                                     la tension qui tourmente Énée entre l’amour et le devoir, toutes leurs rencontres qui sont autant

                                                  est chargé de sens                                                                     d’occasions manquées… Tout cela est condensé dans un espace si resserré que les émotions n’ont
                                                                                                                                         pas le temps de s’évaporer. Vient alors cette plainte déchirante, pure, humaine et dénuée de faux
                                                                                                                                         sentiments – telle qu’auraient pu en écrire les plus grand maîtres de l’opéra. Dans ce contexte, je ne
                                                  ENTRETIEN AVEC VÁCLAV LUKS, DIRECTEUR MUSICAL                                          peux m’empêcher d’évoquer l’œuvre d’un autre compositeur, d’une époque très différente : celle de
                                                                                                                                         mon compatriote Leoš Janáček.

                             Pourriez-vous nous raconter votre rencontre avec l’ouvrage Didon et Énée de Purcell ?                       Scènes intimistes et pièces chorales s’enchaînent en permanence dans cet opéra de chambre
                             Il se trouve que j’ai découvert Didon et Énée par le biais du tout premier enregistrement de cette œuvre    qui alterne moments de profonde douleur intérieure et d’exubérance joyeuse. Que faites-vous
                             avec des « instruments d’époque », réalisé par Andrew Parrott et le Taverner Consort and Players.           de tous ces contrastes ?
                             J’étais encore étudiant à ce moment-là, et je commençais à approcher la musique baroque avec un             Comme je l’ai dit, le génie de cette œuvre réside dans le fait que chacun des morceaux est à la fois
                             peu plus de profondeur. Mais je ne peux pas dire que çe fut le coup de foudre ; Jean-Sébastien Bach est     succinct et complet, toujours cohérent. Mais cette concision présente un défi important aux musiciens.
                             certainement mon premier amour musical. Lorsque je repense à ce premier contact avec Didon et Énée,         Les chanteurs n’ont qu’une poignée de secondes pour poser l’atmosphère d’une scène, exprimer une
                             je me souviens avoir été surpris par la spécificité du langage musical de Purcell, par sa simplicité, son   profondeur émotionnelle ou suggérer l’évolution psychologique de leur personnage. Le chœur joue
                             naturel et sa concision.                                                                                    également un rôle pivot dans Didon et Énée, très différent de la fonction essentiellement décorative qui
                                                                                                                                         est la sienne dans la plupart des opéras baroques. Les très brèves interventions chorales sont comme
                                                                                                                                         des piliers qui étayent la structure formelle de l’œuvre, mais contribuent aussi à façonner l’atmosphère

                        10                                                                                                                                                                                                                          11
Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
de chaque scène. On imagine aisément que Purcell avait à l’esprit le dispositif du théâtre grec antique
     dans lequel le chœur jouait un rôle significatif, d’une importance équivalente à celle des personnages.

     Au temps de Purcell, les grands spectacles dramatiques, musicaux et chorégraphiques appelés
     mask régnaient en maître sur les scènes britanniques. Qu’est-ce que la présence de la danse
     apporte à Didon et Énée et en quoi Purcell s’affranchit-il du « masque » pour atteindre l’opéra ?
     Nous ne savons pas précisément quand cet opéra a été composé ou créé. Nous savons cependant qu’il
     a été joué en 1689 à Londres, à l’école pour jeunes filles de Josias Priest, qui est probablement son
     commanditaire originel. Priest était le plus important maître de danse, danseur et chorégraphe de
     son époque. John Blow lui-même, le maître de Purcell, avait composé Vénus et Adonis (1684) pour
     son école. Il va de soi qu’en termes de faste et de grandeur les productions de Priest ne pouvaient
     rivaliser avec ce qu’on appelait les masques, ces divertissements de cour qui bénéficiaient d’un soutien
     financier incomparablement plus large. Il est pourtant vraisemblable et cohérent que les danses aient
     joué un rôle important dans cet opéra. Certaines de ces danses ont survécu, d’autres sont perdues – en
     un mot, nous n’avons aucune idée précise de la conception d’ensemble de l’œuvre. Nous ne pouvons
     donc pas affirmer que Purcell a introduit l’opéra en Angleterre, au sens et sous la forme que nous lui
     connaissons en France ou en Italie à cette période. Georg Friedrich Haendel fut le premier véritable
     compositeur d’opéra des îles britanniques, même si l’on peut noter que dans Rinaldo, son premier
     opéra londonien écrit en 1711, celui-ci rend hommage à son prédécesseur en reprenant délibérément
     certains aspects du travail de Purcell, tels que la scène des sorcières ou encore un aria conçu sous une
     forme polyphonique. Didon et Énée représente quant à lui un genre musical et dramaturgique unique et
     singulier, influencé par l’opéra, le théâtre antique et la tradition anglaise.

     Malgré sa brièveté, Didon et Énée a tout d’un véritable opéra et mêle magistralement comédie
     et tragédie. Sa concision est telle qu’il n’y a pas un instant de répit pour le chef...
     Il est vrai que le chef d’orchestre n’a pas un instant de répit, mais il en va de même pour l’ensemble des
     participants. Tout se succède dans un laps de temps minimal, et nous ne disposons que de quelques
     instants pour esquisser une situation ou communiquer un sentiment. Chaque mot, chaque note,
     chaque geste et chaque détail est chargé de sens. Tout ici est extraordinairement fragile et vulnérable.

                                                                      Propos recueillis par Aurélie Barbuscia

                                                                                                                  Photo © Ferrante Ferranti.

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Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
Photo © Laurent Champoussin

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Photo © Fernando Sancho

                                                                                                                                                  dignité, ce refus de survivre au départ de l'homme qu'elle s'était enfin autorisée à aimer. Les peintres
                                                                                                                                                  sont là par légions qui ont représenté cet instant tragique, où l'héroïsme féminin semble trouver son
                                                                                                                                                  paroxysme dans le martyre. Et pourtant, lorsque Didon chante « When I am laid in earth » (« Lorsque
                                                                                                                                                  je reposerai en terre »), il y a quelque chose dans la musique de Purcell qui semble demander encore et
                                                                                                                                                  encore, obstinément : « de quoi meurt-elle ? ». Et dès le début, dès la première scène, Didon apparaît
                                                                                                                                                  affligée, « oppressée par des tourments impossibles à confesser », inaccessible, réfractaire à la gaieté
                                                                                                                                                  que Belinda tente en vain de lui insuffler. Comme Cléopâtre, comme Ariane, Didon ne peut se résumer
                                                                                                                                                  à sa fin tragique : il y a toute une vie avant, tout un parcours qui l'a menée là, il y a une Didon avant Énée
                                                                                                                                                  et même avant Carthage.

                                                                                                                                                  Cette vie, on peut l'imaginer, la reconstituer, à travers différentes sources, dont l'Énéide de Virgile est
                                                                                                                                                  la plus connue, mais pas la seule : d'autres historiens romains racontent les premières années de la
                                                                                                                                                  princesse de Tyr et de son frère Pygmalion, tandis qu'une tradition se prolonge jusque dans la Tunisie
                                                                                                                                                  d'aujourd'hui pour conserver le souvenir de celle que l'on nomme aussi Élissa, « la reine vagabonde »
                                                                                                                                                  selon la formule de Fawzi Mellah. Que Nahum Tate, auteur du très beau livret sur lequel Purcell
                                                                                                                                                  composa son opéra, n'ait retenu qu'une partie de cette histoire – la fin –, comme la plupart des autres
                                                                                                                                                  librettistes et artistes inspirés par Didon, donne envie d’en savoir plus sur cette femme capable en une
                                                                                                                                                  nuit de quitter sa patrie phénicienne sur un bateau rempli presque exclusivement d'hommes et d'errer
                                                                                                                                                  longtemps sur la mer avant de fonder Carthage. Ce qu'Énée part réaliser en Italie, elle l'a déjà accompli
                                                                                                                                                  elle-même, ce qui n'est pas si fréquent dans l'Histoire ni même dans les légendes. Avant Énée, Didon
                                                                                                                                                  a connu le deuil, la violence, les hommes, la folie du pouvoir, les mauvais rêves qui disent de partir tout
                                                                                                                                                  de suite, avant que le jour se lève, les rivages qui se dressent comme des murailles et repoussent vers
                                                                                                                                                  le large ces êtres en fuite dont personne ne veut. Carthage naît de cette errance, de ce désir de survivre
                                                                                                                                                  et de reconstruire ailleurs une vie qui s'est brisée sur le sol natal. Ses ruines racontent la fragilité de
                                                                                                                                                  cette renaissance.

                                                                 Didon sur les rivages de l'exil                                                  Ainsi bruissent des échos qu'on ne soupçonnait peut-être pas entre les murs du « couvent anglais
                                                                                                                                                  et protestant » : de Tyr à Carthage en passant par Chypre, puis Rome, c'est une histoire née de la
                                                                                VINCENT HUGUET, METTEUR EN SCÈNE                                  Méditerranée, une histoire d'exils, de gens qui prennent la mer coûte que coûte, vendent leur âme ou
                                                                                                                                                  leur corps, bravent les tempêtes, se rencontrent au gré de circonstances exceptionnelles mais doivent
                                                                                                                                                  presque aussitôt se séparer, qui parfois se tendent la main et parfois se trahissent violemment et qui,
                                   Si de plus en plus d’incertitudes entourent la genèse de Dido and Aeneas, la seule chose dont on est à         souvent, meurent. Didon n’est pas une sainte et pour survivre, elle a pris des risques immenses mais
                                   peu près sûr est que l'œuvre a été représentée en 1689 à Londres, dans un pensionnat pour jeunes filles        elle a aussi asservi, menti ; pour fonder Carthage, elle a berné la communauté qui vivait là puis a refusé
                                   nobles de Chelsea. À l'issue de cette représentation, une certaine Lady Dorothy Burke aurait déclamé           l'assimilation, dont Rome saura à l'inverse tirer une grande partie de sa puissance. La haine que lui
                                   un épilogue, écrit non sans malice par Thomas d'Urfey, qui devait tirer la morale de cette histoire, au        vouent les « sorcières », d'où provient-elle ? Elles ont sûrement une raison de vouloir lui faire du mal,
                                   cas où elle ne serait pas apparue assez clairement à ces « innocentes [à] l'esprit en paix grâce au Ciel » :   ces Sabines avant les Sabines, mais leurs destins sont liés. On sent, tout au long de l'opéra de Purcell,
                                   se protéger de « la suprême perfidie des hommes ». On ne sait pas si ces mots firent l'effet de gouttes        une relation forte entre la reine et le chœur, c'est-à-dire cette communauté hybride qui l'entoure,
                                   d'eau sur pierres brûlantes ou s'ils jetèrent un peu plus d'huile sur le feu du bûcher où Didon expirait       qui a fondé cette nouvelle ville, cette « colonie » avec elle, et qui est joyeuse, versatile, mélancolique,
                                   d'un amour absolu, tyrannique, tel qu'on l'imagine ou le découvre à l'adolescence, le rose aux joues, le       frondeuse, voire fiévreuse, comme les mercenaires réunis « à Mégara, faubourg de Carthage, dans
                                   cœur en flammes.                                                                                               les jardins d’Hamilcar » au début de la Salammbô de Gustave Flaubert. Ce peuple d'exilés est à la fois
                                                                                                                                                  sa mémoire, son identité et sa mauvaise conscience, comme le miroir qui lui révèle la grandeur et la
                                   L'histoire de la reine de Carthage se raconte très vite chez Purcell, comme le sable pris sur la plage coule   vanité du pouvoir qu'elle a acquis. Face à eux, face à ces « sorcières » ivres de vengeance, Didon fait
                                   entre les doigts : à peine un amour réciproque à demi avoué, le tonnerre gronde, Énée, manipulé, a une         face à sa propre vie, puis à sa mort.
                                   raison sérieuse de lever l'ancre – fonder Rome – et voici déjà Didon en proie aux ténèbres et à la mort.
                                   « Souviens-toi de moi ! mais, ah ! oublie mon destin. » : c'est déjà fini, une heure n'est pas passée.
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Dido and Æneas - FESTIVAL D'AIX-EN-PROVENCE DU 4 AU 24 JUILLET 2018 - Festival-aix.com
Et l'amour ? Est-il permis à une reine d'aimer ? Purcell, qui dans les années qui suivirent la création
     de Dido and Aeneas mit en musique tout le court règne de la reine Mary, jusqu'à sa mort, en savait
     certainement beaucoup sur le cœur des princesses, utilisées dès leur enfance pour tisser des alliances,
     mariées sans leur consentement à des cousins ou des vieillards, envoyées loin de chez elles du jour au
     lendemain. Sur les rivages foulés par Didon, au pied des mêmes murailles ou d'autres plus lointaines,
     passent encore des cohortes de reines sans couronne, femmes yézidies, lycéennes nigérianes, subissant
     la violence de conflits qui ne leur laissent quasiment aucun échappatoire. Comme elles, Didon a été
     capable de surmonter les pires épreuves ; elle est toujours en vie, mais hantée par les choix qu'elle a dû
     faire, peut-être détruite par ce qu'elle a vécu. Énée serait alors comme une dernière chance, une petite
     flamme, mais faible, comme Purcell l'a composé : aucun duo d'amour exalté, presque seulement les
     doutes, les suppliques puis les adieux. Purcell semble exprimer moins une grande histoire brutalement
     rompue qu'un sentiment qui n'arrive pas à prendre. Avant même que les « sorcières » ne fomentent
     le départ d'Énée, Didon refuse les avances du Troyen et elle le chasse quand, malgré l'ordre reçu, il
     parle de rester auprès d'elle. Pas d'époux, pas de mariage, pas d'enfant, pas de descendance. Fin de
     son histoire. Mais c'est elle qui a décidé de s'arrêter là, de ne pas transmettre, de mourir en faisant des
     adieux qui viennent de très loin, qui sidèrent parce qu'ils distinguent la femme de son destin. Ce que
     demande Didon, c'est exactement l'inverse de ce qui se passera à Rome à l'époque impériale, où après
     la mort on divinisera l'empereur tout en oubliant l’homme. Seule la femme reste, qui en se défaisant
     de tout ce qu’elle a conquis, devient une de ces autres femmes, une de ces naufragées : sa voix devient
     la leur.

                Page de droite : photo © Mitch Epstein, Clouds #94, New York City, série Rocks & Clouds, 2015
             © Black River Production, Ltd / Mitch Epstein Courtesy of Galerie Les Filles du calvaire, Paris.
                                                                 Used with permission. All rights reserved.

                                            Double page suivante: page de gauche photo © Ferrante Ferranti
                                                         page de droite photo © Ferrante Ferranti, Carthage
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Photos © Ferrante Ferranti.
Didon avant Carthage                                                NOTE DRAMATURGIQUE DE LOUIS GEISLER

     Quoi qu’il en soit, je suis d’avis qu’il faut détruire   parvenue que par l’intermédiaire des historiens                 son frère Pygmalion fait assassiner Acherbas,                        Par sa situation géographique, Chypre a toujours
     Carthage.                                                grecs et romains. Ces sources sont d’ailleurs                   pour s’assurer la maîtrise du pouvoir et tenter de                   subi les invasions des puissances environnantes,
     Formule attribuée à Caton l’Ancien                       très minces, puisque seulement deux textes                      mettre la main sur ses richesses. Sans succès : le                   notamment celle des Phéniciens. Il n’est donc
     Plutarque, Vie de Marcus Caton                           nous permettent véritablement d’esquisser son                   trésor reste introuvable et lui échappe. Après ce                    pas étonnant que cette île soit la première

     E
                                                              portrait. Le premier est un ouvrage anonyme                     meurtre, Élissa prépare méticuleusement son                          destination d’Élissa. Cet épisode n’est pas
                                                              daté de l’époque hellénistique, rédigé d’après                  départ pour sauver sa vie. Il ne s’agit pas d’une fuite              une simple escale : c’est une tentative avortée
                                                              l’œuvre perdue de Timée de Tauroménion (-350                    sans lendemain : elle a pour ambition de fonder                      d’installation. Derrière les termes de l’alliance
                 n détruisant Carthage et en chantant         / - 260). Il fixe en quelques lignes lapidaires les             Qart Hadasht, nom phénicien de Carthage qui                          se cachent les conditions d’un traité de paix :
                 sa défaite, les Romains lui ont              principales étapes de la légende de celle qui ne                signifie « nouvelle ville ». Elle réussit à tromper                  Élissa accepte de quitter Chypre en échange d’un
                 offert l’éternité. De l’antique cité         s’appelle pas encore Didon mais Élissa :                        Pygmalion et à prendre la mer avec des sénateurs                     tribut symbolique – le sacerdoce de Jupiter – et
                 punique qui passait pour être la ville                                                                       (fonction politique) et des soldats (fonction                        d’un tribut humain – les quatre-vingt jeunes
                 la plus riche du monde, il ne reste          Son nom en langue phénicienne était, selon Timée,               militaire) restés fidèles, emportant avec elle les                   filles destinées à épouser les Tyriens. Malgré
     que quelques ruines, rien de spectaculaire.              Élissa. Elle était sœur de Pygmalion, roi des Tyriens et        richesses de son époux et les objets sacrés du                       toute la violence qu’il suppose, le mariage par
     Ni temple, ni palais somptueux. Elle continue            c’est elle qui fonda Carthage en Libye1 : après le meurtre      temple de Melqart (fonction religieuse), soit les                    enlèvement est un motif récurrent dans les récits
     pourtant de hanter la mémoire de l’Occident              de son époux par Pygmalion, elle plaça son argent               fondements symboliques de toute société. Mais une                    antiques, associé à la notion de victoire militaire.
     et d’incarner un certain rêve d’Orient. Delenda          dans des embarcations et s’enfuit avec quelques-uns             telle entreprise nécessite également de trouver une                  L’allusion à la prostitution sacrée est en revanche
     Carthago ! « Il faut détruire Carthage ! ». C’est        de ses concitoyens. Apres beaucoup de vicissitudes, elle        terre d’accueil, et surtout des femmes qui pourront                  atypique. L’existence de tels rites dans le monde
     ainsi que Caton l’Ancien concluait à la veille           atteignit la côte de Libye (…). Lorsqu’elle eut fondé la        assurer la descendance de la colonie.                                antique fait d’ailleurs débat. Pour certains
     de la troisième guerre punique chacun de ses             ville dont il a été question plus haut, le roi des Libyens                                                                           historiens, il s’agit d’une pratique attestée en
     discours devant le sénat romain, quel qu’en              voulut l’épouser, mais elle s’y opposa puis, sous la            L’enlèvement des femmes de Chypre                                    Mésopotamie qui s’est diffusée dans certaines
     soit le sujet. Ce dernier conflit est fatal pour         contrainte conjuguée de ses concitoyens, elle prétendit         Justin nous apprend que la flotte d’Élissa réussit à                 régions méditerranéennes, à Chypre et Corinthe
     Carthage. Après trois années d’affrontements, la         qu’elle devait accomplir une cérémonie rituelle pour la         éviter les représailles de Pygmalion et met le cap                   notamment. Pour d’autres, il s’agit d’une pure
     ville est entièrement brûlée en -146, ses ruines         dégager de ses serments, prépara un bucher immense              en direction de Chypre :                                             invention destinée à calomnier des peuples
     rasées, sa population massacrée et les survivants        près de son palais et, l’ayant allumé, se précipita de sa                                                                            vaincus ou « barbares ». Dans tous les cas, ces
     réduits en esclavage. Lors de la reddition des           maison dans le feu.                                             Ils touchèrent terre en premier à l’île de Chypre, où le             jeunes femmes chypriotes servent de monnaie
     troupes, la femme du général Hasdrubal maudit                                  Anonyme, De Mulieribus Calaris in Bello   prêtre de Jupiter, avec son épouse et ses enfants, s’offre           d’échange pour sauver leur cité d’origine et sont
     le peuple carthaginois qui déposait les armes,                                                                           à Élissa, sur l’ordre du dieu, comme compagnon et                    arrachées à leur terre natale pour avoir croisé la
     et se jette avec ses enfants dans les flammes de         L’historien Justin dans son Abrégé des Histoires                associé à sa fortune, après avoir négocié pour lui et sa             route d’Élissa.
     sa maison en feu, sous les yeux de son mari. Ce          philippiques de Trogue Pompée complète ces                      descendance la dignité perpétuelle de la prêtrise du
     geste, rapporté par l’historien Florus au Ier siècle,    différents épisodes et nous livre un récit beaucoup             dieu. La clause fut acceptée comme un présage évident.               L’errance sur les mers et la fondation de
     réactive de manière saisissante la mémoire du            plus détaillé des circonstances qui ont conduit                 Il était de coutume à Chypre d’envoyer sur le rivage de la           Carthage
     sacrifice de Didon, comme si le récit mythique de        cette princesse à fuir son pays pour fonder une                 mer les vierges avant leurs noces, à dates déterminées,              Après une longue errance sur laquelle Justin ne
     la fondation de Carthage contenait les prémices          nouvelle cité de l’autre côté de la Méditerranée.               pour chercher dans la prostitution l’argent de leur dot ;            nous donne aucun détail, la flotte d’Élissa finit
     de sa destruction future.                                                                                                elles acquittaient des offrandes à Vénus au nom du                   par accoster sur les rives de l’actuelle Tunisie.
                                                              La fuite de Tyr                                                 reste de leur pudeur. Donc, Élissa ordonne de mettre                 Les habitants de cette contrée l’accueillent et
     Une mémoire presque effacée                              Selon Justin, Élissa est la fille du roi de Tyr, ville          sur les navires environ quatre-vingts vierges enlevées de            lui donnent le nom de Didon, « l’errante » en
     Carthage ne nous a légué aucun ouvrage écrit.            phénicienne de l’actuel Liban marquée par le                    cette troupe, afin que les jeunes gens puissent se marier            langue numide, en souvenir de son périple à
     Les volumen de sa fabuleuse bibliothèque ont             souvenir de la révolte de ses esclaves. Elle a pour             et la ville avoir une progéniture.                                   travers les mers. Ils proposent de lui vendre
     été disséminés lors du sac de la ville avant d’être      époux son oncle Acherbas, grand prêtre du dieu                                                                            Justin,    un lopin de terre de la grandeur d’une peau de
     perdus. L’histoire de sa fondatrice ne nous est          Melqart assimilé à Hercule. À la mort de leur père,                Abrégé des Histoires Philippiques de Trogue Pompée, Livre XVIII   bœuf. Didon accepte : elle fait découper cette
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peau en fines lanières qui, mises bout à bout,             J’écris avec, sur la poitrine, une épée troyenne,
     délimitent un vaste territoire sur lequel est                       Les larmes coulent sur mes joues
     édifiée Carthage. La prospérité rapide de la                             jusqu’à l’épée que je serre
     ville attire la convoitise des souverains voisins,           Et qui sera sous peu, à la place des larmes,
     notamment celle du roi numide Hiarbas qui                                     baignée de sang.
     souhaite épouser Didon. Celle-ci s’y refuse,              Comme ton cadeau convient bien à mon destin !
     pour préserver l’indépendance de sa cité et                 Tu prépares à peu de frais ma pierre tombale
     demeurer fidèle à la mémoire d’Acherbas. Mais                       Et mon cœur n’est pas frappé ici
     face à la pression d’Hiarbas et de son propre                              pour la première fois :
     peuple, Didon fait mine d’accepter. Elle fait                Il est le lieu d’une blessure du cruel Amour.
     ériger un immense bûcher sous le prétexte                            Anne ma sœur, ma sœur Anne,
     d’une cérémonie religieuse et se jette finalement                          complice de ma faute,
     dans le brasier. Par cet acte, Didon est devenue                  Tu donneras bientôt à mes cendres
     l’incarnation de l’épouse vertueuse et fidèle chez                         les derniers honneurs
     certains penseurs chrétiens, qui trouvaient dans            Et je ne serai pas incinérée en tant qu’Élissa,
     ses intentions le rachat de son geste infamant. La                           épouse de Sychée2
     postérité a pourtant retenu une image totalement          Mais sur le marbre du tombeau il y aura ces vers :
     opposée de Didon : celle d’une amante qui se              “Énée lui a fourni le motif de sa mort et le glaive ;
     donne la mort après son abandon par le héros               C’est de sa propre main que Didon est tombée.”
     troyen Énée.                                                                                             Ovide, Héroïdes
                                                                                              Traduction de Danièle Robert
     L’amante abandonnée                                                             paru dans Lettres d’amour, lettres d’exil,
     Virgile est le premier auteur à réunir les destins de                                                   Actes Sud, 2006
     Didon et Énée dans l’Énéide. Composée entre -29
     et -19, cette œuvre monumentale est une épopée          Le lourd destin d’une femme blessée
     sur les origines mythiques de Rome dans laquelle        Carthage trouve donc ses origines dans
     le poète fait délibérément allusion à certains          l’installation d’une colonie sur une terre
     événements historiques ou contemporains de              étrangère, mais à la différence de nombre de
     son époque. Elle a pour personnage central              cités antiques, sa fondation n’est pas le fait d’un
     Énée, prince rescapé de la guerre de Troie, à           dieu ou d’un héros, mais d’une femme. Timée
     qui les dieux ont confié la mission de rejoindre        et Justin nous racontent le destin d’une reine
     l’Italie pour fonder Rome. Au début de son              qui se sacrifie par devoir. Virgile, la fin d’une
     périple, il échoue en Afrique, où il est recueilli      amante qui meurt d’amour. En reliant ces deux
     par Didon, qui tombe éperdument amoureuse de            traditions, une troisième histoire peut émerger :
     lui suite à l’intervention de Vénus et de Cupidon.      celle d’une femme au destin trop lourd, qu’une
     Mais le prince doit accomplir sa destinée et            ultime blessure amoureuse finit par achever.
     reprend son voyage. En reliant le suicide de
     Didon à son abandon par Énée, Virgile anticipe          Souviens-toi de moi, mais oublie mon destin.
     symboliquement la défaite finale de Carthage                 Didon à Belinda, extrait du lamento final de Didon et Énée
     face à Rome et imagine en même temps une                                                                      de Purcell
     histoire d’amour tragique qui va profondément
     marquer et inspirer la production artistique des        1.Nom donné par les Grecs et les Romains à tout le
     siècles suivants, jusqu’à la Renaissance et au-         continent africain
                                                             2. Nom donné par Virgile et Ovide à Acherbas, le
     delà. À peine quelques années après la mort de
                                                             premier époux de Didon.
     Virgile, Ovide reprend ce thème et imagine dans
     ses Héroïdes la lettre d’adieu que Didon aurait pu
     écrire à Énée juste après son départ :
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Je viens de Phénicie
               EXTRAIT DU NOUVEAU PROLOGUE DE DIDON ET ÉNÉE
                          MAYLIS DE KERANGAL (2018)

     « Je viens de Phénicie, de l’autre côté de la mer.
     D’une cité qui n’a guère connu que la violence, les guerres.
     La révolte des esclaves, le joug des Perses,
     Je suis Didon, fille de Straton, roi de Tyr.
     Donné en mariage à mon oncle Acherbas,
     Un homme riche, un grand prêtre,
     Un personnage puissant, le rival d’un roi.
     Et mon corps de princesse en gage d’alliance.

     Devenu roi à la mort de mon père,
     Mon frère Pygmalion a fait tuer mon mari dont il convoitait l’or.
     Il a exigé que je revienne à Tyr, vivre avec lui, en son palais.
     Ma sœur,
     toi et moi dans la chambre
     Ma sœur,
     toi et moi du même sang.

     Veuve et sans protection, j’ai dû ruser pour fuir.
     Sourire, séduire, feindre de me soumettre.
     Dissimuler ma peur sous un masque serein.
     Réunir les objets sacrés d’Hercule, rassembler mes biens.
     Abandonner ma terre, les oiseaux, les jardins, et partir dans la nuit.
     Je suis montée sur le navire armé par mon frère.
     Captive et sous escorte.
     Et j’ai vu la nuit se refermer sur moi.
     Alors, j’ai retourné les hommes,
     Détourné les bateaux.
     Égarée, j’ai prétendu tout connaître du ciel,
     Vulnérable, j’ai outré ma force.                                                          Photo © Thierry Cohen de la série « Sea Level», Courtesy Galerie Esther Woerdehoff, Paris et l'artiste
     J’ai promis une cité, des femmes, des fêtes, des terres grasses et des sources claires,
     Ils se méfiaient de moi, ils vomissaient de peur,
     Mais ces anciens ennemis sont devenus les miens,
     J’ai trahi mon sang, je me suis exilée. »

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