Biodiversité marine : usages et dépendances - Numéro 10 - Juin 2016
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EDITO L e milieu marin présente ses propres spécificités. Il ne constitue pas un milieu d’évolution L’approche économique constitue un levier potentiel efficace pour préserver et restaurer les naturelle pour l’Homme, et malgré fonctions écologiques. Des son étendue, la composition des modes de financement combiné masses d’eau est homogène. La peuvent contribuer aux mêmes France représente la deuxième objectifs. Faire converger par plus grande surface d’océan, qui exemple des financements liés du point de vue économique, à la compensation avec ceux permet de produire une plus- provenant d’initiatives plus value supérieure à celle de innovantes, comme les Paiements l’industrie pharmaceutique ou pour la Préservation des Services automobile. Qu’elles soient Ecologiques (PPSE) ou encore Ainsi, la pluralité des filières liées aux aménagements (ports ceux produits par des outils économiques et leur fort degré marchands, ports de plaisance…), spécifiques comme les Aires de dépendance vis-à-vis de la aux activités ou rejets polluants Marines Gérées (AMG), permet qualité des fonctions écologiques (industries, urbanisations, fermes d’envisager le financement à long marines constituent un vecteur marines…), aux prélèvements terme de la restauration et de la favorable au maintien à long terme (pêche, matériaux…), ces activités gestion des petits fonds côtiers. de cette qualité. Il s’agit d’ancrer sont à l’origine de pressions une véritable forme de mutualisme considérables sur l’Océan. Dans cet esprit, il s’agit de entre la Nature et l’Homme. Par leurs effets néfastes, elles privilégier la robustesse et la résilience des habitats Il est donc fondamental d’établir menacent la richesse et le bon un lien économique entre les fonctionnement des écosystèmes. marins. Toutefois, les modes opératoires sont actuellement activités et aménagements Pourtant, la qualité des édifices littoraux terrestres ou marins, naturels constitue la base de la peu nombreux. Les techniques du génie écologique offrent des et leurs incidences sur l’océan plupart des activités économiques et les petits fonds côtiers. Et, vitales pour l’Homme. La plus solutions actuellement en cours d’évolution. Ce sont par exemple ainsi, impliquer activités et grande diversité d’activités liées ouvrages dans le processus de à la mer se situe sur la frange les « habitats artificiels » ou les techniques d’amélioration de restauration marine. Ne serait- littorale et concerne les « petits ce pas l’opportunité d’une fonds côtiers » qui restent les la survie des post-larves de poissons. Les récifs artificiels démarche « méritoire » traduite par plus facilement accessibles et un véritable scénario « méritorial » ? donc vulnérables. ont fait l’objet d’une période d’expérimentation depuis une Le temps de l’exploitation et de quarantaine d’années ; il convient PHILIPPE THIEVENT l’usage raisonné de la nature, aujourd’hui d’innover encore, de Directeur de CDC Biodiversité ainsi que celui de sa restauration, complexifier ces objets et de les apparaît aujourd’hui comme une déployer, non plus ponctuellement évidente priorité qui doit être placée de façon expérimentale, mais à au cœur de toute décision, puisque l’échelle d’un territoire, comme chacune engage pas à pas l’avenir véritables outils de restauration des de l’humanité. Mais quels sont les fonctions écologiques. moyens disponibles pour agir ?
SOMMAIRE TRIBUNE 4 Gilles Boeuf Conseiller scientifique de la ministre de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer Pierre Boissery Expert eaux côtières et littoral méditerranéen à la Direction Planification et Programme de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse COMPRENDRE 9 Enjeux, outils et financements de la préservation de la biodiversité marine et côtière en France Principaux enjeux autour des zones côtières et marines en France Politiques de protection/gestion de la mer et du littoral et modes de financement associés INVENTER 21 Les outils innovants pour la conservation et la restauration de la biodiversité marine Restaurer la biodiversité et les services écosystémiques associés avec les récifs artificiels multi-usages Conserver et valoriser la biodiversité avec les aires marines gérées INTERNATIONAL 25 Revue des expériences de récifs artificiels en Méditerranée INITIATIVES 27 L’Initiative Française pour les Récifs Coralliens (IFRECOR) Des Nurseries Artificielles pour Ports Exemplaires (NAPPEX) Créer une alliance du secteur privé pour une gestion durable de l’océan : le « World Ocean Council » REXCOR, un projet expérimental pour la restauration écologique des petits fonds de la cuvette de Cortiou (Marseille) DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : LAURENT PIERMONT RÉDACTEUR EN CHEF : PHILIPPE THIÉVENT COORDINATION-CONCEPTION : LÔRA ROUVIÈRE RÉDACTION : AURELIEN GUINGAND ET LÔRA ROUVIÈRE AVEC L’APPUI DE : EGIS EAU ET NICOLAS PASCAL (CRIOBE) COMMUNICATION : EMMANUELLE GONZALEZ EDITION : MISSION ECONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ GRAPHISME : JOSEPH ISIRDI – www.lisajoseph.fr MAQUETTE : PLANET 7 PRODUCTION CONTACT : meb@cdc-biodiversite.fr BIODIV’2050 PRÉSENTE LES TRAVAUX EN COURS ET LES AVANCÉES DE LA MISSION ECONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ. LA RUBRIQUE TRIBUNE ET LES ENCARTS « POINTS DE VUE » PERMETTENT AUX ACTEURS CONCERNÉS DE DONNER LEUR POINT DE VUE SUR LES SUJETS TRAITÉS. LES PROPOS QUI Y FIGURENT N’ENGAGENT QUE LA RESPONSABILITÉ DES PERSONNES INTERROGÉES. © Remy Dubas / Ecocean PHOTO DE COUVERTURE : © ISTOCK - IFISH
TRIBUNE Je dis souvent qu’il n’y a qu’un seul océan d’années. Ces éléments replacent la biodi- sur la terre et je n’emploie jamais ce mot versité marine dans son contexte : elle est au pluriel. En effet, l’eau de n’importe quel différente, car plus variée (en groupes) et océan de la planète possède la même ancestrale. salinité. C’est donc un milieu extrêmement Pour finir, il y a moins de biodiversité marine stable et continu, qui permet aux espèces que terrestre. Les groupes d’espèces marines d’être mobiles sur l’ensemble du marines ayant quitté l’océan sont à l’origine globe. La troisième caractéristique est la de la faune terrestre et parmi eux, deux stabilité dans le temps. L’océan est stable grandes réussites : les arthropodes (c’est- depuis au moins 100 millions d’années, à-dire les crustacés devenus des insectes) soit identique depuis le milieu de l’ère et les vertébrés. Un troisième grand groupe secondaire, bien avant la cinquième grande sortira de l’océan beaucoup plus tard, les crise d’extinction. Il est donc universel. mollusques, qui sont tout autant abon- GILLES BOEUF Par ailleurs, il est important de rappeler que dants en mer que sur terre. La vie terrestre Conseiller au Ministère de la vie naît dans l’océan, il y a à peu près explose dans les forêts carbonifères il y a l’Environnement, de l’Energie 3,9 milliards d’années. La nature, elle, est environ 345 millions d’années. Si l’on com- et de la Mer depuis que la terre existe, tout d’abord pare aujourd’hui les faunes terrestres et ma- dans l’univers, puis sur terre. L’eau, que rines, elles sont différentes alors même que nous pensons fortement d’origine extrater- tous les groupes d’espèces sont apparus Quels sont, selon vous, les grands restre, arrive sur terre grâce à des milliards dans l’océan. Certains n’ont jamais quitté enjeux liés à la préservation et à d’impacts de météorites qui vont créer l’océan, comme les échinodermes (oursins, la restauration de la biodiversité cet océan, salé par la dissolution de la étoiles de mer, concombres de mer…) qui marine et comment caractériser croûte terrestre alors composée à 90 % de n’ont aucun représentant, ni terrestre, ni ce milieu si particulier ? chlorure de sodium. C’est dans cette eau d’eau saumâtre ou d’eau douce. Au- salée, océan ancestral, que naît la biodi- jourd’hui, seul 13 % des espèces connues Le milieu marin est caractérisé par versité qui constitue la partie vivante de la sont marines. Cela s’explique justement par trois éléments plutôt uniques dans nature. Elle apparaît le jour où une première la stabilité et la continuité de l’océan qui ré- les écosystèmes de la planète et qui cellule se forme, une membrane créant duisent le potentiel de niches écologiques. sont déterminants pour comprendre la biodiversité que l’on y trouve. une enveloppe séparant un intérieur d’un Face à l’érosion de la biodiversité, extérieur, puis se clone entre deux cellules quelles sont aujourd’hui les Tout d’abord, la salinité. L’océan est un filles exactement identiques et continue, milieu aquatique salé, très différent des principales pressions auxquelles via ce phénomène de scissiparité, à se eaux douces en ce qu’il déclenche une est confronté l’océan ? multiplier. La vie naît donc dans l’océan et pression osmotique (1), soit des forces reste océanique pendant environ 3 milliards La principale pression qui s’exerce sur particulières, qui font que la vie dans les d’années. Ce n’est finalement que récem- l’océan est la surexploitation des ressources océans n’est pas la même que dans ment qu’elle a pu s’en extraire. La vie a dû marines. Les humains ont toujours pêché et une rivière. Il faut savoir que, si l’eau sur tenter plusieurs fois d’approcher des côtes chassé, tant qu’ils étaient en nombre limité terre semble d’apparence gigantesque et de sortir de l’océan, confrontée à des cela ne posait pas de problème. Jusqu’en en surface, elle est en réalité relativement 1800, nous sommes environ 800 millions estuaires, des rivières, des eaux douces ou rare comparativement au volume global d’humains, il n’y a aucun déséquilibre ou saumâtres, qui, à cause du phénomène de la planète (la profondeur maximum des problématique de surpêche, l’harmonie d’osmose (2), l’empêchaient d’en sortir. Puis, océans est de 11 km) et 97 % de celle-ci règne. Puis, l’Homme invente la machine à la vie invente des systèmes de régulation est salée, donc non utilisable directement vapeur : locomotives et bateaux à vapeur. et l’eau, contenue dans les organismes vi- par les organismes. Par conséquent, ce Ces inventions vont considérablement vants, modifie sa salinité lui permettant ainsi sont les 3 % d’eau restante, non salée, qui bouleverser les équilibres en permettant la de sortir de l’océan. Cela se produit pour font la physiologie des organismes vivants pêche de plus gros spécimens et en plus les métazoaires (3) élaborés il y a 450 millions évolués et constituent la base de la vie. La grande quantité. La pêche va s’attaquer de deuxième caractéristique est la continuité. manière systématique aux grands animaux (2) L’osmose désigne le transfert d’eau d’une solution diluée (hypotonique) vers une solution concentrée (hypertonique) au marins, ce qui va provoquer l’effondrement travers d’une membrane semi-perméable. (Larousse) (1) La pression osmotique désigne la pression dans des populations de baleines. On estime une cellule vivante, empêchant un solvant de passer (3) Animal dont le corps est constitué de plusieurs au travers d’une membrane semi-perméable. cellules organisées en tissus et organes. (Larousse) aujourd’hui qu’il reste 4 % des baleines 4 BIODIV’2050 - Numéro 10 - Juin 2016
franches présentes dans les années 1800. Par conséquent, l’avenir d’une aquaculture de la ressource et gérer durablement les Ce n’est qu’en 1982 qu’un moratoire sur la durable n’est pas dans la production de milieux, nous sommes obligés de regarder chasse à la baleine est adopté interdisant poissons carnivores, mais de poissons ce qu’il se passe en amont, tant au niveau la chasse commerciale. Le second cas omnivores, d’algues et de mollusques. des déchets plastiques que des pratiques de surpêche, cette fois jusqu’à l’effondre- agricoles. Aujourd’hui, l’organisation entre La principale menace pour les ressources ment total de la population, est localisé et les acteurs du terrestre et du marin n’est vivantes du milieu marin est donc la concerne le hareng de la mer du Nord. Mis pas encore en place. Il y a donc un effort, surpêche. Il faut absolument stopper la à part ces deux cas, il y a une « certaine surpêche, y compris celle des grands une action collective à mettre en place, qui harmonie » entre ressources et captures fonds, qui ne supporteront pas de telles soit plus globale et qui permette de coor- jusqu’au XXe siècle, avant l’arrivée des cha- pressions. Un autre enjeu de taille concerne donner les différentes parties prenantes. lutiers. Celle-ci marque le début d’une nou- la protection du corail qui, s’il représente Par ailleurs, en termes économiques, velle époque dans laquelle nous observons moins de 1 % de la surface de l’océan, nous ne tenons pas encore suffisamment les premiers indices de surpêche généra- abrite le tiers des espèces océaniques. Il compte des externalités. Il faudrait pouvoir lisée. Le plus emblématique concerne la correspond à l’équivalent fonctionnel des considérer les ressources marines non disparition des stocks de morues de Terre- grandes forêts tropicales sur la terre. comme des biens privés, mais comme des Neuve entre 1988 et 1992. Par la suite, tout s’accélère, entre 1950 et 1990 les Les solutions résident dans la gestion des biens communs. Un poisson ne peut pas pêches mondiales ne cessent d’augmenter stocks de pêche, le développement d’une uniquement appartenir au pêcheur qui le d’année en année. Nous avons atteint les aquaculture respectueuse des milieux capture. Nous ne pourrons pas avancer en limites de la pêche mondiale. Les volumes et le maintien d’une biodiversité marine maintenant cette logique surannée. de pêche ne peuvent plus augmenter. Il la plus grande possible pour permettre Le problème réside aussi dans la non-prise faut désormais gérer l’accès aux stocks. La la découverte de nouvelles molécules en compte de la dimension marine lors pêche n’est pas un problème en soi si les d’intérêt. En effet, nous oublions souvent du Sommet de la Terre de Rio (1992). Ce stocks se renouvellent, mais la surpêche l’intérêt des modèles marins pour la manque d’intérêt de la part des décideurs est une aberration qu’il faut impérativement recherche fondamentale (13 prix Nobel de stopper. Selon la FAO, actuellement les trois s’explique à mon sens par le fait que, à la médecine) ainsi que leur utilisation pour la quarts des stocks mondiaux sont soit su- différence des espaces terrestres, il n’y a cosmétique et la pharmacie. En cosmétique rexploités, soit pleinement exploités. C’est pas d’enjeux électoraux liés aux océans. et en pharmacologie, 25 000 molécules un grand paradoxe, car sans gestion des sont utilisées et proviennent de l’océan. Pour conclure, je soulignerai quatre stocks de pêche, nous nous privons d’une Les invertébrés marins sont de très bons points fondamentaux : ressource renouvelable vitale. pourvoyeurs de molécules d’intérêt pour L’océan est un avenir de l’humanité. Parallèlement, la consommation de pois- ces secteurs d’activité. Nous ne pouvons plus imaginer continuer sons augmente, du fait de la croissance Quels sont, selon vous, les principaux à développer l’économie humaine sans continue de la population, mais aussi de enjeux et particularités liés à la gestion tenir compte de l’océan. Je salue d’ailleurs l’émergence d’un phénomène de mode, de la biodiversité marine et côtière ? le fait que la COP21 ait été la première à en Europe et en Amérique du Nord, de consommation de poissons haut de parler d’océan. Le milieu marin est un milieu continu et gamme. Pour répondre à cette demande, ouvert qui ne connaît pas de frontière. L’océan est le principal régulateur du tout comme nous l’avons fait avec l’agricul- Par conséquent, il nécessite d’être géré climat, mais il est en retour très touché par ture, nous développons l’aquaculture. Le collectivement via une gouvernance régio- les changements en cours (acidification, volume des pêches et celui de la produc- nale, nationale ou internationale. La bonne augmentation des températures, perte tion aquacole sont aujourd’hui quasiment échelle de gouvernance dépend du stock (4) d’oxygène, remontée du niveau des identiques, même si en termes de coût, considéré, s’il est localisé ou mondialisé. eaux…). l’aquaculture est plus facilement valorisable. Par exemple, le thon rouge, qui est très L’aquaculture mondiale se concentre sur mobile, doit être géré à l’échelle mondiale. Le bien-être humain passe par une quatre types de ressources : les algues Nous avons précédemment démontré le approche des ressources marines (99 % proviennent de l’aquaculture), les besoin d’arrêter la surexploitation et de renouvelables pour la pêche comme mollusques, les crustacés avec notamment limiter l’accès à la ressource. Cependant, pour l’aquaculture. les crevettes et les gambas qui représentent la destruction du littoral via les pollutions, L’importance de la dimension une très grosse industrie à l’origine de la qui entraîne également une diminution des destruction systématique des mangro- économique, principalement liée au ressources marines, est aussi un fort enjeu ves, et les poissons, dont des carnivores tourisme littoral : la mer Méditerranée qui doit être géré au niveau international (saumon, thon, turbot…). Alors même que constitue la principale destination au monde pour éviter et réduire l’impact des activités les poissons sont omnivores, nous ciblons en termes de tourisme, ce qui joue un rôle humaines. Pour comprendre l’évolution dans la production les carnivores, ce qui déterminant pour l’emploi et justifie aussi nécessite l’apport de ressources de la la nécessité de maintenir notre océan en (4) Un stock est la partie exploitable d’une population de pêche pour produire de la chair d’élevage. poissons, telle que la déterminent les biologistes marins. bonne santé. MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 5
TRIBUNE politiques historiques de lutte contre la des caractéristiques de notre travail. pollution. Enfin, le troisième volet concerne Notre cadre d’intervention est construit la restauration écologique. Il est d’actualité. ainsi. C’est plutôt rare dans le système Dans quelques zones du littoral, des projets administratif français qui distingue encore de restauration écologique des petits fonds souvent les services en charge de la marins sont engagés afin de reconquérir la terre de ceux en charge de la mer. Les biodiversité. Ces trois politiques, lutte contre problématiques et les compétences la pollution, non-dégradation et restauration souvent sont segmentées. Les agences écologique sont complémentaires. Elles de l’eau ont la particularité d’être le seul doivent être menées conjointement pour établissement public dont les compétences être efficaces. s’étendent de la montagne aux eaux La restauration écologique des milieux territoriales. Elles sont organisées et PIERRE BOISSERY marins reste un sujet nouveau en coordonnées pour agir en ce sens. Par Expert eaux côtières et littoral émergence. Nous disposons cependant exemple, cela s’inscrit dans une logique méditerranéen à la Direction de solutions techniques qui permettent de selon laquelle les objectifs de qualité rendre concrète cette nouvelle politique. que nous nous fixons sur le milieu marin Planification et Programme Il faut noter toutefois que, contrairement de l’Agence de l’eau Rhône s’imposent aux acteurs « terrestres » qui à la lutte contre la pollution ou la non- Méditerranée Corse souvent sont à l’origine des pollutions. dégradation, il n’y a pas d’obligation Ainsi, sur les bassins versants côtiers, nous réglementaire qui impose de restaurer arrivons à travailler avec des objectifs plus Quels sont les principales les petits fonds côtiers. Les opérations élevés, car nous avons des ambitions fortes problématiques et les actuelles sont menées de façon volontaire. pour le milieu marin. Quand nous travaillons grands enjeux auxquels sont C’est plutôt rare. Il faut le souligner. Le sur la fonction nurserie d’un port, nous confrontés les gestionnaires principal moteur de la protection de l’environnement reste en effet souvent la sommes dans le local. Quand il s’agit de concernant le milieu marin ? prendre en compte les apports polluants réglementation et sa bonne application. Avant d’évoquer la situation d’aujourd’hui, Du fait de sa jeunesse, cette nouvelle se déversant dans le port, nous intégrons je vous propose de revenir un peu dans politique de restauration des milieux reste le bassin versant. Et comme il est rare de le passé. Depuis le début des années 60, fragile. Soit nous réussissons à l’ancrer ne trouver qu’un seul port dans une baie, nous travaillons de manière active pour solidement dans la politique publique du l’approche première très locale s’étend lutter contre les pollutions des milieux littoral et de la mer via des outils adéquats, pour intégrer les problématiques voisines à aquatiques. Nous avons principalement soit les contraintes techniques, financières une échelle géographique qui de fait devient investi dans l’assainissement des eaux ou bien réglementaires l’emporteront. plus importante. usées urbaines et la réduction des rejets Nous sommes face à ce dilemme. Je reste Structurellement parlant, la gestion intégrée industriels. Aujourd’hui, si la lutte contre les toutefois optimiste. La vingtaine de projets des zones côtières, la gestion intégrée de pollutions chimiques ou bactériologiques engagés ces dernières années ont donné des résultats encourageants, voire très la mer et du littoral ou encore l’approche reste une priorité, l‘impact des pollutions positifs, notamment sur la restauration de la écosystémique restent des démarches très directes à la mer s’est considérablement fonction nurserie des zones portuaires. conceptuelles sur lesquelles il est difficile amenuisé. Notre priorité concerne d’amener l’ensemble des acteurs. Si ces désormais la gestion des pollutions diffuses En tant qu’agence de l’eau, quelle notions sont aujourd’hui ancrées au niveau et notamment celles qui se produisent en est l’échelle pertinente pour la des techniciens et des scientifiques, elles temps de pluie. Ces dernières sont en effet préservation et la restauration de ne le sont que rarement pour les acteurs difficiles à appréhender techniquement et la biodiversité marine et comment locaux. Les outils de gestion dont nous leur prévention est souvent coûteuse. Le mettre en place une gestion plus disposons ne sont pas toujours adaptés. deuxième point que je souhaite souligner intégrée du milieu marin pour Les Contrats de baie, outil que nous est la prise en compte de la biodiversité une meilleure cohérence terre- promouvons, sont, à travers la manière dans les politiques publiques dès le début mer des politiques publiques ? des années 2000 avec le constat que dont ils sont conçus, les acteurs qu’ils si nous n’abîmons pas les milieux, nous La bonne échelle est celle qui permet impliquent et le cadre géographique dans n’aurons pas besoin de les réparer. Cette de faire avancer un projet. Au sein des lequel ils s’inscrivent, bien centrés sur logique de non-dégradation est ainsi agences de l’eau, nous sommes très cette continuité terre-mer. Les Schémas devenue un axe complémentaire des attentifs à la relation terre-mer. C’est l’une d’Aménagement et de Gestion des Eaux 6 BIODIV’2050 - Numéro 10 - Juin 2016
Port-Cros 2015 © Remy Dubas / Ecocean (SAGE), quant à eux, se focalisent encore autant. Le contexte dans lequel on fédère Cette gestion de la mer et la protection souvent sur la partie terrestre des bassins les acteurs concernés est aussi primordial, de la biodiversité ne sont pas l’exclusivité versants côtiers. tout comme la motivation de l’acteur à d’une catégorie d’acteurs. Elles doivent l’initiative du tour de table et la manière se construire avec les personnes qui Pour conclure sur ce point, nous avons d’aborder le sujet. vivent la mer : les pêcheurs, les plongeurs de bonnes marges de progrès. Il faut comme les élus et les services de l’Etat, adopter une approche plus transversale et Durant de nombreuses années, nous etc. Elles doivent encourager les synergies, pluridisciplinaire, favoriser le partage des avons adopté une entrée très technique, coordonner les compétences, s’adapter compétences et des objectifs et rester via des listes de contaminants chimiques, aux situations et aux contextes locaux. pragmatique. Il faut également accepter la description de la biologie marine et de Enfin, elles doivent se décliner par des de partager la prise de décision, accepter ses noms en latin, etc. Cela s’est traduit actions du quotidien. C’est un processus d’évaluer l’efficacité des politiques mises par la réalisation d’un grand nombre long, qui demande beaucoup d’énergie en œuvre et d’une façon générale coopérer d’études scientifiques, laissant penser ainsi qu’un effort constant de concertation dans un cadre où les prérogatives et les que l’on pouvait ainsi résoudre tous les et de collaboration. Les projets qui ne compétences se chevauchent souvent. problèmes posés. Aujourd’hui, nous fonctionnent pas sont souvent ceux Cela dépend de l’ensemble des acteurs disposons de beaucoup d’information et décrétés par des tiers extérieurs au concernés. La solution est dans chacun de suffisamment de connaissances pour territoire, sans connaissance préalable d’entre nous. pouvoir agir. Cela peut paraître paradoxal du contexte local et de sa sociologie. car parfois il n’y a pas d’action et cela L’expérience montre que le temps passé En ce qui concerne les leviers pour peut nous interroger. Prenons-nous à concerter est toujours trop long, parfois agir en faveur de la préservation et suffisamment en compte la dimension frustrant. On peut le regretter. Mais si l’on de la restauration de la biodiversité sociale ou la dimension économique dans prend du recul, c’est aussi un temps pour marine et côtière à l’échelle du nos projets ? Avons-nous le bon langage et mieux se connaître, établir une relation territoire, quels outils peuvent ou le bon comportement pour permettre une de confiance et ne pas se précipiter. La doivent être mobilisés et comment appropriation des enjeux de protection de protection de la mer est un objectif de associer les différents acteurs ? la biodiversité marine ? Ne sommes-nous long terme. Agir prend toujours du temps. Nous l’avons vu, le cadre géographique pas dans une démarche d’interdiction ou Réussir aussi. Il est préférable de privilégier est important. La maîtrise des pressions de régulation plutôt que d’acceptation, une politique progressive des « petits pas » responsables de la dégradation l’est tout d’adhésion et de participation ? plutôt que de vouloir réaliser de grands MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 7
TRIBUNE projets, sur la base de grandes intentions, Face aux problématiques récurrentes généralement une question de gestion complexes à décliner et qui peuvent de mobilisation des ressources pour de notre patrimoine, tant économique d’ailleurs amener un essoufflement dans le financement de la préservation de qu’écologique. le temps. Enfin, le contexte institutionnel, la biodiversité, quels sont, selon vous, Selon moi, l’incapacité d’un acteur à agir c’est-à-dire les dimensions réglementaire les enjeux actuels pour le financement n’est pas tant une question budgétaire et financière, doit permettre les initiatives de la préservation et de la restauration que de volonté. Si nous reprenons le et accompagner la mise en œuvre de ces des milieux marins et côtiers ? schéma initial des politiques menées par actions. Les difficultés de financement sont souvent l’agence de l’eau, la restauration écologique Les outils pour gérer le littoral et protéger mises en avant pour justifier une non- et la non-dégradation représentent en la biodiversité sont nombreux. Par action. Je ne partage pas ce point de moyenne 5 % du budget annuel alloué à exemple, un contrat de baie répond à vue en ce qui concerne le milieu marin. A la lutte contre la pollution. 1 % du budget une problématique de lutte contre la titre d’exemple, le coût d’une opération assainissement pour une grande ville du pollution qui nécessite une programmation de restauration écologique de la fonction littoral offre déjà un potentiel de projets de importante d’actions pour reconquérir la nurserie d’un port représente moins de restauration écologique très important. qualité de l’eau. Un parc national va, quant 1 % de son coût annuel de fonctionnement. Ces projets de restauration ne nécessitent à lui, répondre à une problématique de Des aides publiques existent comme celles pas en effet la mobilisation de plusieurs régulation des activités et des dégradations proposées par le programme d’intervention millions d’euros. La dimension financière dans un milieu relativement préservé. Un de l’agence de l’eau. Des fonds privés ou n’est pas, selon moi, un frein. L’écueil plan de gestion intercommunal comprenant de fondations sont également accessibles. principal, c’est l’absence de volonté de une série d’actions concrètes, cohérentes, Je n’ai pas connaissance à ce jour d’un faire, dans un contexte où la restauration coordonnées et planifiées dans le temps, projet de restauration écologique, dans écologique n’est pas obligatoire. Même peut aussi être un outil très efficace, car notre périmètre d’action, qui serait bloqué si cela conduit parfois à constater des directement opérationnel. Je ne suis pas par l’absence de financement. Il convient erreurs, agir aujourd’hui coûtera toujours partisan de la promotion d’outils types, également de prendre en compte les moins cher que réagir demain. En matière car il n’y a pas de solution toute prête. éventuelles retombées économiques de de biodiversité marine, la restauration L’important est d’identifier, avec les acteurs, ces projets, comme l’attractivité touristique écologique a encore besoin d’innover. la meilleure réponse aux problèmes ou le soutien à la pêche par exemple. De nombreuses études ont été réalisées dans Dans les années 80, les experts ont qui doivent être traités. Chaque cas le but de chiffrer le coût des politiques de déclaré la mort de la mer Méditerranée est spécifique. gestion de l’espace littoral et marin et les à l’horizon des années 2010. Certes, Si nous prenons une nouvelle fois un peu bénéfices qu’elles génèrent au niveau de certains endroits présentent aujourd’hui de recul dans le temps, il y a 25 ans, il n’y l’activité économique. La conclusion est des signes majeurs de dégradation et de avait presque aucune politique de gestion sans appel. Ces dépenses représentent pollution et des secteurs nécessitent d’être sur le littoral méditerranéen français, mis en moyenne 3 % de l’économie annuelle restaurés. Mais la mer Méditerranée n’est à part le Parc national de Port-Cros et générée par le milieu (eaux de baignade, pas morte. Ce constat confirme bien le fait une ou deux structures de protection de pêche, tourisme, etc.). Une bonne qualité que, même si elles n’étaient pas parfaites, la faune et de la flore marine. Aujourd’hui, des milieux est, au-delà des fonctions les actions déployées ces 30 dernières l’ensemble de notre littoral méditerranéen écologiques, la garantie d’une bonne années ont porté leurs fruits. Agir, même est couvert par des procédures en activité économique. La protection des si ce n’est pas toujours facile, reste la faveur de l’environnement : sites Natura milieux marins n’est donc pas uniquement façon la plus efficace de protéger la 2000, parcs nationaux, contrats de baie, une question écologique mais plus biodiversité marine. SCOT littoral, terrains du Conservatoire du littoral, plans de gestion locale, etc. C’est très positif, mais dans certains secteurs, ces procédures se recouvrent ou s’articulent mal. Cette superposition rend complexes, voire peu lisible, les Coralligène en méditerranée © Laurent Ballesta politiques engagées. Il serait alors pertinent de rechercher une rationalisation de ces opérations pour les rendre plus lisibles et pour mutualiser les efforts, tant du point de vue économique que de la gouvernance. 8 BIODIV’2050 - Numéro 10 - Juin 2016
COMPRENDRE ENJEUX, OUTILS ET FINANCEMENTS DE LA PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ MARINE ET CÔTIÈRE EN FRANCE L a France est une nation maritime. La mer et le littoral ont marqué son histoire, son économie et son identité. Ces espaces font partie intégrante du patrimoine national, tant culturel que naturel. Seul pays présent sur l’ensemble des océans de la planète (1), la France détient le second espace maritime mondial avec 11 millions de km², soit l’équivalent de la surface de l’Europe. Cette situation privilégiée, qui tient aux trois façades maritimes présentes en métropole mais surtout à la place de l’outre-mer (97 % des eaux sous juridiction nationale), pourrait encore s’améliorer si les différentes demandes d’extension des droits souverains en cours sur le domaine maritime Villefranche-sur-Mer (Côte d’Azur) © istock - Ray Hems aboutissent au niveau international (2). Elle confère à la France un statut de puissance services nautiques, le parapétrolier offshore des écosystèmes associés nécessitent maritime de premier rang ainsi que de ou encore la production d’énergies marines davantage qu’une meilleure caractérisation grandes responsabilités dans la préservation renouvelables. L’essor des activités des impacts. Elles requièrent la mise en de la biodiversité marine mondiale. économiques littorales et maritimes ces œuvre d’actions de gestion durable des Aujourd’hui, le bord de mer est devenu dernières années et les promesses qu’elles ressources et de restauration écologique le lieu de vie privilégié d’une majorité de portent pour l’avenir constituent, dans le prenant en compte tant les spécificités Français, devant la campagne, la ville et sillage de la croissance « verte », le moteur (contexte foncier, interface terre-mer, la montagne (ONML, 2016). A l’instar des de ce que certains dénomment aujourd’hui incertitude scientifique, caractère diffus relations des activités humaines avec la la croissance « bleue ». Le développement biodiversité en général, le rapport des des impacts) que les trajectoires des de ces activités et des territoires littoraux Français face à la mer est complexe, mêlant écosystèmes côtiers et marins. Malgré qui les hébergent est néanmoins source de volonté de protection des milieux naturels, leur relative nouveauté, les outils et les pressions croissantes sur des écosystèmes attachement culturel et besoins d’usages techniques pour la conservation, la gestion marins qui, de par leurs caractéristiques diversifiés, tels que la promenade, la ou la restauration écologique existent. En intrinsèques et les moyens à mettre en baignade et l’exploitation/consommation des plus d’un retour d’expérience scientifique œuvre pour l’étude de leur fonctionnement, produits de la mer (ibid.). Mais, au-delà de encore limité sur leur mobilisation, l’un des restent encore mal connus. Or, les activités ces activités historiques associées à la mer, freins à leur généralisation tient aussi à la économiques ne peuvent être déconnectées l’économie maritime, dont la valeur ajoutée question du coût de leur mise en œuvre, et du milieu naturel dans lequel elles évoluent, dépasse les 30 milliards d’euros (DEFM, donc du financement de l’action. Dès lors, au risque de mettre en péril leur pérennité. 2014), regroupe un panel de secteurs La durabilité des activités économiques l’enjeu est d’évaluer dans quelle mesure les particulièrement diversifiés, viviers d’emplois, traditionnelles d’exploitation de la mer, secteurs de l’économie maritime et, plus comme le tourisme littoral, la construction tout comme le développement d’activités largement, les territoires littoraux doivent et la réparation navale, l’industrie et les nouvelles, passe donc par une meilleure non plus seulement rendre compte de appréhension des pressions et des leurs impacts mais également intégrer leurs (1) A l’exception de l’océan arctique. impacts qu’elles engendrent. Leurs coûts relations d’interdépendance avec le bon état (2) La Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer permet aux pays côtiers d’étendre leur juridiction au-delà de 200 milles écologiques et économiques commencent à écologique des milieux marins et côtiers. Il marins à condition de démontrer que les limites de leur plateau continental peuvent être prolongées (jusqu’à 350 milles maximum) être perçus par la société. s’agit d’intégrer à leur modèle économique (voir Figure 3 p.16). En octobre 2015, la Commission des limites du plateau continental a accordé à la France une extension Néanmoins, la conciliation des multiples les bénéfices mais aussi les coûts de la de 579 000 km² de son domaine public maritime. A terme, un total d’environ 2 millions de km² pourrait être concerné. usages liés à la mer et la conservation préservation des milieux dont ils dépendent. MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 9
COMPRENDRE ENJEUX, OUTILS ET FINANCEMENTS DE LA PRÉSERVATION DE LA BIODIVERSITÉ MARINE ET CÔTIÈRE EN FRANCE Principaux enjeux Supralittoral Medio- littoral Infralittoral Circalittoral Bathyal Abyssal autour des zones côtières et marines Niveau le plus élevé des émersions 0m en France Niveau le plus bas des émersions normales Dom Domaine pélagique aine ben thiq ue Aperçu de l’état écologique 30 - 35 m des milieux marins et côtiers Plateau continental Les habitats marins recouvrent à la fois des caractéristiques physico-chimiques (nature 100 - 200 m des substrats, courantologie, bathymétrie (3), Talus température, etc.), qui définissent des continental biotopes, et des caractéristiques liées aux Figure 1 : Etagement marin (fonds et colonne d’eau). 5000 m communautés d’espèces, qui constituent Source : MEB des biocénoses. Les habitats du milieu marin sont traditionnellement divisés entre les habitats pélagiques (habitats de la des connaissances disponibles en France La sous-région marine Méditerranée colonne d’eau) et des habitats benthiques métropolitaine. Chaque sous-région occidentale se caractérise, quant à elle, (habitats des fonds marins) (4). Les habitats marine présente des caractéristiques par des fonds de grande profondeur et benthiques sont, quant à eux, classés selon morphologiques et biologiques distinctes. de faibles apports nutritifs, à l’exception une distribution verticale qui distingue, en du golfe du Lion, qui bénéficie des La sous-région marine Manche-Mer du fonction de la profondeur, différents étages, nutriments apportés par le Rhône, ce qui Nord est une mer peu profonde (inférieure chacun abritant une grande diversité de en fait l’une des zones les plus riches de à 100 m) qui présente des eaux très biotopes et de biocénoses associées (voir la Méditerranée. La sous-région présente mélangées en raison de l’action des vents Figure 1 ci-contre). notamment un certain nombre d’habitats à et des courants marins. Les fonds durs de valeur patrimoniale, riches en biodiversité, La France abrite des habitats marins et l’infralittoral abritent plus particulièrement comme le coralligène (7), formant des blocs côtiers d’une diversité exceptionnelle. A des biocénoses à laminaires, algues brunes appelés bio-constructions analogues aux titre d’exemple, 75 % des habitats naturels formant de longs rubans, et autres algues récifs coralliens, ainsi que l’herbier de littoraux d’intérêt communautaire (5) sont rouges. Plusieurs autres habitats particuliers Posidonie, formant de véritables « prairies » présents en France (34 sur 45) (ONML, (construits par des espèces « ingénieures ») sous-marines de plantes à fleurs (8). Par 2012). L’ensemble des habitats marins sur sont présents, comme les herbiers de ailleurs, les étages bathyal et abyssal sont le territoire font l’objet d’une connaissance Zostère, les bancs de Maërl ou les bancs caractérisés par la présence de canyons encore très lacunaire. Les travaux menés intertidaux de moules. Interface entre sous-marins riches en biodiversité et dans le cadre de la Directive Cadre l’Atlantique et la mer du Nord, la Manche espèces emblématiques. Stratégie Milieu Marin (DCSMM) (6) ont est une voie de migration importante pour néanmoins permis de faire la synthèse les poissons, mammifères et oiseaux. Enfin, en outre-mer, les récifs coralliens et écosystèmes associés, comme les La sous-région marine golfe de Gascogne (3) La bathymétrie est la science de la mesure des profondeurs et herbiers et les mangroves, sont des du relief de l’océan pour déterminer la topographie du sol de la mer. se caractérise par un vaste plateau écosystèmes en étroite relation qui abritent (4) Les espèces inféodées à ces habitats sont continental, par la présence d’étages dites pélagiques ou benthiques. la flore et la faune la plus diversifiée que bathyal et abyssal, et par une exposition (5) Cités à l’annexe 1 de la Directive Habitats, les habitats d’intérêt l’on puisse trouver sur la planète, avec les communautaire sont des habitats en danger ou ayant une aire aux fortes houles de l’océan Atlantique. forêts tropicales (cf. TRIBUNE Gilles Bœuf de répartition réduite d’espèces en danger, vulnérables, rares ou endémiques sur le territoire communautaire, pour lesquels La diversité des espèces rencontrées, en p.4). Les récifs et leurs lagons dans les doivent être désignées des zones spéciales de conservation. particulier de poissons, est relativement eaux françaises couvrent quelque 57 000 (6) La DCSMM conduit les États membres de l’Union européenne à prendre les mesures nécessaires pour réduire les impacts des élevée. La sous-région est également activités sur le milieu marin afin de réaliser ou de maintenir son bon état écologique au plus tard en 2020. En France, la directive marquée par la présence de coraux d’eau (7) Fond dur produit par l’accumulation d’algues s’applique aux eaux métropolitaines divisées en quatre sous- froide entre 160 et 500 m de profondeur, calcaires encroûtantes vivant dans des conditions régions marines : la Manche-mer du Nord, les mers celtiques, de luminosité réduite (étage circalittoral). le golfe de Gascogne, la Méditerranée occidentale. L’évaluation de tortues marines et d’une douzaine initiale de l’état des eaux, coordonnée par l’Ifremer et l’Agence (8) L’herbier de Posidonie concourt à l’oxygénation du milieu des aires marines protégées, s’est terminée en 2012. d’espèces de mammifères marins. et sert de nurserie pour de nombreuses espèces aquatiques. 10 BIODIV’2050 - Numéro 10 - Juin 2016
km² (Andréfouet et al, 2008), soit environ littorales (9) est, quant à lui, supérieur à la en mer, protection de l’environnement…). 10 % des récifs et 20 % des atolls existants moyenne métropolitaine sur toutes les Certains secteurs rayonnent bien au-delà dans le monde, avec des types de récifs façades, avec de fortes disparités en de la frange littorale. D’autres ont une variés (récifs frangeants, récifs barrière, fonction des départements considérés part importante de leur chiffre d’affaires à récifs double barrière). La France abrite la (près de 60 % dans les Alpes Maritimes l’international et placent la France parmi les seconde plus grande barrière récifale au contre environ 4 % en Corse). La tendance leaders sur les marchés mondiaux. monde en Nouvelle-Calédonie (1 600 km s’accentue à mesure que la distance à la de long). mer diminue : à moins de 500 mètres des Au total, on estime que la valeur ajoutée de côtes, les territoires artificialisés occupent l’économie maritime en France s’élève à La diversité, la richesse et l’étendue des 28 % des terres en moyenne. C’est 5,5 30,2 milliards d’euros pour environ 460 000 habitats dans les eaux sous juridiction fois plus que la moyenne métropolitaine. emplois en 2011 (DEFM, 2014). A titre de nationale confèrent à la France une Malgré cette forte artificialisation, les milieux comparaison, la même année, ce secteur responsabilité toute particulière, et ce, naturels restent relativement plus présents a donc une valeur ajoutée supérieure à d’autant plus face au développement sur le littoral qu’en moyenne au niveau des activités économiques maritimes et à celles de l’industrie chimique (16,3 milliards national, notamment en matière de milieux l’attractivité croissante du littoral. d’euros), de l’industrie pharmaceutique à végétation arbustive ou herbacée, ainsi (10 milliards d’euros), de l’automobile que de zones humides (intérieures ou Les enjeux socio- (14,5 milliards d’euros) ou encore de maritimes) (10), faisant de ce territoire un économiques liés aux l’énergie (25,3 milliards d’euros) (INSEE, espace à forts enjeux pour la préservation espaces marins et côtiers 2013). Il s’agit donc d’un pan de l’économie de la biodiversité. française particulièrement stratégique. Un fort dynamisme et d’une économie en plein essor. Au sein de l’économie maritime, le tourisme démographique sur le littoral… littoral fait figure de secteur clé, comptant L’économie présentielle (11) constitue Le littoral, considéré ici comme regroupant aujourd’hui le cœur du développement pour environ 50 % de la valeur ajoutée et les communes littorales sur le territoire économique des territoires littoraux. Mais des emplois (voir figure 2 ci-dessous). La français, est un espace qui jouit d’un l’attractivité du littoral est également à France est en effet la première destination fort dynamisme démographique sur un mettre en relation avec le poids socio- touristique mondiale et se situe en troisième espace restreint. Il affiche une densité de économique et la diversité des usages position en matière de recettes touristiques population de 285 habitants/km² en 2010, marchands et non marchands liés à la mer, internationales (DGE, 2015). Ces très soit près de 2,5 fois plus que la densité qui couvrent un large spectre de secteurs bons résultats tiennent en grande partie moyenne en métropole (ONML, 2013), d’activité regroupés sous l’égide de ce à l’attractivité du littoral qui concentre avec de fortes variations en fonction des que l’on appelle l’économie maritime. 40 % des lits touristiques français et qui voit régions. Entre 1962 et 2010, la population Les secteurs de l’économie maritime sa population permanente généralement littorale a augmenté de plus de 1,8 million comprennent les activités traditionnelles d’habitants, soit une hausse de 41 %, doubler en période estivale, compte tenu d’exploitation de la mer, comme la pêche contre 36 % au niveau national. Si les de la forte saisonnalité des activités. Le professionnelle et de loisir, l’aquaculture tendances démographiques récentes littoral compte pour environ 29 % de la et les filières aval de transformation et se maintiennent, la croissance de la commercialisation des produits de la mer, la population des départements littoraux construction et la réparation navale, l’activité 3% 4% devrait même continuer à s’accélérer à portuaire, le transport maritime ainsi que 5% 14% l’avenir relativement au reste du territoire les services financiers associés. Ils incluent 11% (+19 % pour les départements littoraux également les travaux publics maritimes, 10% 48% 51% 11% contre +13 % pour les autres sur la période les activités parapétrolières et paragazières 8% 2007 et 2040) (ibid.). offshore, l’activité câblière sous-marine, 8% 9% 9% 9% l’extraction de granulats marins, le qui s’accompagne d’une tourisme littoral, l’industrie et les services artificialisation croissante… nautiques, ainsi que les services publics Tourisme Secteur public non marchands (défense et action de l’Etat Le littoral est caractérisé par une forte Construction navale Parapétrolier offshore proportion de zones artificialisées Produits de la mer Autres (9) Le taux d’artificialisation du littoral correspond au ratio de la relativement au reste du territoire, tout en Transport maritime superficie des zones urbanisées, des zones industrielles, commerciales et portuaires, des voies de communication, des mines, des décharges, abritant toujours de nombreux espaces des chantiers ainsi que des espaces verts artificialisés (golf, terrains de sport….) sur la superficie totale des communes littorales. naturels. La part des terres urbanisées Figure 2 : (10) Cela s’explique également par la faible superficie relative dans les communes littorales s’élève en des terres agricoles sur le littoral par rapport au reste du pays. répartition sectorielle de la valeur 2012 à 15 %, soit 2,6 fois plus que la (11) Selon l’INSEE, les activités présentielles sont « les activités ajoutée (gauche) et de l’emploi (droite) moyenne métropolitaine (ONML, 2015). mises en œuvre localement pour la production de biens et de de l’économie maritime en 2011. services visant la satisfaction des besoins de personnes présentes Le taux d’artificialisation des communes dans la zone, qu’elles soient résidentes ou touristes ». Source : DEFM, 2014 MISSION ÉCONOMIE DE LA BIODIVERSITÉ 11
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