Boko Haram, la menace continue
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TRIBUNE n° 678 Boko Haram, la menace continue Rodrigue Nana Ngassam Doctorant en études internationales à l’Université de Douala (Cameroun), chercheur associé au Groupe de recherche sur le parlementarisme et la démocratie en Afrique (Grepda), chercheur associé à la Société africaine de géopolitique et d’études stratégiques (Sages) et membre étudiant de la Société québécoise de droit international (SQDI). L es élections présidentielles nigérianes du 28 mars 2015 qui ont vu la victoire de Muhammadu Buhari sur Goodluck Jonathan n’ont pas mis fin aux exactions du groupe Jama’atu Ahlis Sunna Lidda’Awati Wal-Jihad, plus connu sous le nom de Boko Haram. L’onde de choc suscitée par ces élections, l’une des plus démocratiques du pays et le retour sur la scène politique d’un Musulman depuis le décès du feu président, Umaru Yaradoua, est vite retombée d’un cran et a ramené de nombreux Nigérians et les pays voisins à la triste réalité que la menace Boko Haram est toujours omniprésente. Certes, si les multiples interventions de l’armée tchadienne ont permis d’obtenir des résultats significatifs, personne ne paraît en mesure d’arrêter les islamistes armés, tant ce groupe terroriste n’a plus de frontières. Les initiatives à l’échelle nationale, régionale ou internationale pour lutter contre cette organisation terroriste dénotent une perception commune de la menace, mais qui se dissipe dans des démarches désarticulées, souvent déterminées par la sourde défiance qui divise les différents acteurs de la région, les partenaires extérieurs alors que la menace dicte une action systématiquement globale et concertée, exclusive de considérations partisanes. Dès lors, le sentiment que suscite cet attentisme politique est de nature à renforcer la stratégie de Boko Haram qui possède une réelle capacité opérationnelle à conduire des actions asymétriques partout en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Des jihadistes touchés mais pas coulés La vaste campagne militaire dont le Tchad a pris l’initiative au début de janvier 2015 a permis d’obtenir des résultats significatifs contre Boko Haram. Les forces tchadiennes associées à leurs homologues camerounais et nigérians ont ainsi contré les ambitions régionales de celle qui se dénomme désormais l’« État isla- mique en Afrique de l’Ouest », d’étendre son califat dans les pays de la sous-région. Si le rôle joué par ces armées a permis la tenue d’élections présidentielles au Nigeria, elles ont aussi amoindri la capacité opérationnelle de ce mouvement www.defnat.fr - 2 septembre 2015 1
terroriste l’obligeant à revoir sa stratégie. Le groupe armé terroriste n’est plus dans une logique d’expansion territoriale comme à la fin de l’année 2014 où il volait de succès en succès dans le Nord-Est du Nigeria mais dans une logique de survie. La forte diminution de ses effectifs et surtout de son encadrement, éliminés lors d’opé- rations militaires ou capturés, a lourdement obéré ses capacités opérationnelles. Sa puissance de feu a été réduite suite à la perte ou à la destruction de véhi- cules légers (pick-up, 4x4…), la saisine de plusieurs stocks d’armes, de mitrailleuses lourdes ou de lance-roquettes. La destruction des infrastructures acquises ou créées dans les territoires jadis sous son contrôle a également provoqué des difficultés d’approvisionnement en carburant et en munitions, l’anéantissement des camps d’entraînement et le recrutement de nouveaux combattants. Et même son chef fan- tasque et terrifiant, Aboubakar Shekau, est invisible dans les médias et les réseaux sociaux. Mais, face aux mailles des filets qui se resserrent, Boko Haram ne désarme pas. La secte islamiste bénéficie toujours d’un sanctuaire quasi inexpugnable dans la forêt de Sambisa, les îles et îlots du bassin du lac Tchad et les Monts Mandara, obtenus grâce à la défaillance politique des États de la région : des terrains propices aux déplacements discrets, au camouflage et au combat de guérilla. Une situation qui permet à ce groupe terroriste de se reconstruire dans sa structure et son mode de fonctionnement vu qu’elle prouve jour après jour sa capacité à imprimer la terreur au Nigeria et dans les pays voisins – Tchad, Cameroun et Niger – qui lui ont déclaré la guerre. De nouveaux modes opératoires à l’échelle régionale Face au resserrement des liens entre les États de la région qui commence enfin à déboucher sur des résultats, Boko Haram a décidé de ne plus tenter de grosses opérations coûteuses, longues et compliquées à planifier et qui exposent à des répressions. Tel un virus, le mouvement mute et fait preuve d’une certaine capacité de résilience sur fond de changement de mode opératoire évoluant vers des actions de guérillas et des embuscades extrêmement bien planifiées. Si le groupe s’attaque toujours aux forces de sécurité, aux populations chrétiennes et musul- manes, ou encore à ceux qui sont critiques à son égard, la rhétorique du mouve- ment semble évoluer vers un nouveau registre. Désormais, le recours à l’attentat suicide complique encore la réponse à apporter contre cette nébuleuse terroriste. Elle voudrait conférer à ses actes l’idée d’une entreprise globale capable de frapper à tout moment et en tout lieu. Le centre de gravité des attentats terroristes que connaît le Nigeria se déplace progressivement vers le Tchad et le Cameroun. Jusque-là épargnés par ce type d’attaques, ces deux pays sont devenus la cible première d’actions kamikazes. Leur originalité se situe plutôt dans les modalités d’exercice. Celles-ci se caractérisent par l’utilisation des hommes, des femmes et surtout des enfants transformés en bombes pour commettre des attentats dans des 2
TRIBUNE lieux publics (marchés, gares routières ou à proximité de symboles du pouvoir). Ce sont aussi le choix de cibles dites « molles », c’est-à-dire non directement protégés et de nature civile, ainsi que la volonté de causer le maximum de pertes humaines. C’est enfin la gestion du temps, caractérisée à l’origine par l’effet de surprise des échéances, longtemps déconnectées de tout calendrier politique, et par la répétition lancinante des attaques dans la durée. Outre les attentats suicides, Boko Haram a fait de l’enlèvement de masse une arme de guerre contre les pays engagés contre lui. Les membres de cette secte n’hésitent pas à kidnapper ou à enrôler des jeunes garçons inexpérimentés qu’ils « rééduquent » * et utilisent pour obtenir des renseignements ou pour combattre dans ses rangs. Des enlèvements forcés auxquels s’ajoutent celles des jeunes filles dont l’instrumentalisation aiderait aux opérations d’infiltra- tion, de dissimulation, d’opérations kamikazes et même d’esclaves sexuelles. * Une rééducation facilitée par les structures sociales La secte islamiste s’appuie sur les liens de proximité que créent la région, la tribu, le clan, la famille, la religion ou le voisinage pour faire jouer les ressorts traditionnels de l’embrigadement. C’est-à-dire le basculement des motivations personnelles, d’ordre social ou familial, vers un engagement politico-religieux à finalité collective et particulièrement sensible, pour la dresser contre « l’ennemi ». L’union sacrée contre Boko Haram, une tâche bien difficile L’enracinement de Boko Haram dans la région n’est que la conséquence des hésitations et volte-face de la diplomatie des différents acteurs impliqués dans l’éra- dication de cette secte. Les différentes mesures prises lors des Sommets, ateliers ou réunions sur la menace de Boko Haram à l’échelle africaine ou internationale démontrent un décalage entre les intentions et la réalité sur le terrain. Or, les États de la région ont choisi le défi de l’option militaire qui se veut une vision qui rassemble et mobilise les énergies à tous les niveaux, selon des axes stratégiques définis pour une synergie d’actions à long terme (cf. Honoré Lucien Nombre). Mais force est de constater que ces stratégies de riposte ne convergent pas, malgré une perception commune de la menace. Bien au contraire, elles se croisent, voire se neutralisent au nom de calculs étroits et laissent déjà entrevoir toutes les diffi- cultés à venir d’autant plus que les objectifs des uns et des autres ne sont pas les mêmes (cf. Marc-Antoine Pérouse de Monclos). En combattant Boko Haram, le Cameroun, le Tchad et le Niger veulent contenir la menace hors de leurs fron- tières. Tandis que le Nigeria en revanche, veut en finir avec ce groupe terroriste qui menace son intégrité territoriale et son unité nationale. De même, les rivalités entre voisins régionaux ajoutent bien sûr elles aussi une autre strate de complexité à la question sécuritaire. Avec des capacités mili- taires très élevées par rapport au reste des États de la région, le Nigeria considère que ce statut lui confère la priorité et ne souhaite pas jouer les seconds rôles 3
derrière le Tchad dont les forces sont mieux aguerries pour combattre les mouve- ments terroristes tels que Boko Haram. La mise sur pied de la force multinationale mixte (∏) témoigne de l’immensité du défi qui l’attend sur le terrain face aux nom- breux espoirs qu’elle suscite au sein des populations. Enfin, l’autre point saillant non négligeable qui divise réside sur la nature de la menace qui s’analyse sous un autre angle : celle de la théorie du complot (interne et externe). Pour de nombreux dirigeants au sommet des États de la région, la menace du terrorisme incarnée par Boko Haram doit être analysée avec prudence et remise en perspective par rapport aux stratégies des puissances étrangères. Cette hypothèse alimente les fantasmes au Cameroun où la mise en scène politique et les jeux médiatiques permettent de faire partager aux populations l’idée d’une fragmenta- tion de Boko Haram : l’un nigérian et l’autre camerounais. Les deux groupes n’ayant pas les mêmes visées et les mêmes prétentions à l’échelle des deux pays (le Nigeria et le Cameroun). Si elle est juste, une telle analyse montre la profonde complexité de la problématique sécuritaire que pose Boko Haram avec l’énormité du défi qui attend les différents acteurs de la région pour briser le cycle de la violence et éviter l’enracinement de ce rejeton de l’État islamique (Daesh). Qui arrêtera Boko Haram ? Boko Haram est un danger réel, à la fois pour la région et ses habitants dont il perturbe le quotidien et l’avenir mais aussi pour l’islam dont il menace les condi- tionnements historiques et sociologiques. De ce fait, la lutte contre Boko Haram demande une réponse globale, inclusive et concertée, dénuée de toute considéra- tion partisane. Aussi, au cœur de toute stratégie de lutte contre cette organisation devrait être la compréhension du phénomène. L’histoire doit être convoquée pour cerner les dynamiques actuelles et cerner ce qu’elles portent de rupture et de rela- tive continuité avec le passé. Car, de par sa genèse, Boko Haram est le résultat des désillusions de la mauvaise gouvernance des États africains, de la persistance des inégalités et des injustices sociales. Le défi sera donc d’imprimer une impulsion et une orientation nouvelle afin de créer les conditions d’un développement humain, capable de permettre l’amélioration du vécu des populations dans des régions vul- nérables et exposés à des menaces. De même, on ne saurait parler de lutte contre Boko Haram sans se doter d’un dispositif de défense à même de déboucher sur des stratégies qui puissent aboutir à des succès dans la lutte contre le terrorisme sur le continent. La nature de l’agression de la secte islamiste nécessite de mettre en place un système de lutte antiterroriste spécialisé pour s’adapter à la diversité des modes opératoires et des organisations terroristes. C’est pourquoi, il est plus que nécessaire de refonder les armées africaines et de les adapter en permanence aux nouvelles menaces. Ces armées ont besoin d’être lourdement équipées, bien formées et d’être légitimes. D’une certaine façon, elles doivent, par leur comportement, être l’antithèse des 4
TRIBUNE bandes armées. Enfin, on ne saurait minimiser les effets néfastes de la dispersion ou du cloisonnement des efforts, qui doivent être mis en commun et en cohéren- ce. La définition d’une stratégie d’ensemble en matière de sécurité correspond à une nécessité nouvelle, qui s’impose à tous les États africains comme à l’ensemble de ses alliés et partenaires : s’adapter aux bouleversements engendrés par des acteurs non étatiques qui contestent l’autorité de l’État. Au regard de l’état actuel des choses, Boko Haram est une menace à prendre très au sérieux. Les nombreux massacres, les pertes en vie civile, les destructions des biens publics et les enlèvements perpétrés par cette organisation nous interpellent au nom de l’humanité. La menace de Boko Haram appelle à une modulation de stratégies adaptées, mais qui se gardent de privilégier une approche purement mar- tiale et sécuritaire qui resterait sans effet sur les causes profondes des conflictuali- tés (cf. Michel Luntumbue). Pour être efficace, elle doit être partie intégrante d’une solution plus globale découlant d’une analyse systémique de la question des menaces qui pèsent sur la paix et la sécurité en Afrique. Sans cette réponse globale, il est à craindre que l’inexpérience des États africains en matière de lutte contre le ter- rorisme, la faiblesse des ressources propres (financières, matérielles, infrastructu- relles) ajoutées à la faiblesse de certains États africains, permettront à Boko Haram de continuer à menacer le continent africain. Éléments de bibliographie Nombre Honoré Lucien : « Face au terrorisme, le défi de l’option militaire » in Revue Défense Nationale, Tribune n° 599, 18 juillet 2014, p. 3. Nana Ngassam Rodrigue : « La menace de Boko Haram » in Géopolitique Africaine n° 52 (« Afrique-Occident : Regards croisés »), 3e trimestre, novembre 2014 ; p. 147-157. Pérouse de Monclos Marc-Antoine : « Premier bilan de la coalition contre Boko Haram », Note n° 259, Fondation Jean-Jaurès, 20 mars 2015, p. 1. Luntumbue Michel : « Groupes armés, conflits et gouvernance en Afrique de l’Ouest : une grille de lecture » in Note d’Analyse du Grip, Bruxelles, 27 janvier 2012, p. 10 (www.grip.org/fr/siteweb/images/NOTES_ANALYSE/2011/NA_2012-01-27_FR_M-LUNTUMBUE.pdf ). 5
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