BOSON, BIG BANG ET ÉVOLUTION - HORS SÉRIE
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Bimestriel, ne paraît pas en août et septembre | HORS-SéRIE – AVRIL 2014 | éditeur responsable : Guy Severs – av. Latérale 17/1 – 1180 Bruxelles | Dépôt : Bruxelles X | N°d’agréation : P501094 boson, big bang e t é voluti HORS o SéRIE PP-BP BC 10390 n 1099 Bruxelles X Belgique – België
E S I 2 0 1 s 5i nte r n at i onal expo-scienc e s 1 9 - 2 5.07.2015 b ru s s e l M E E T IN G S S IZ E D F O R L’ESI 2015, sous le parrainage du Premier Ministre, Elio DI RUPO
préface La remise du Prix Nobel à notre compatriote François Englert, fin 2013, fut un événement particulièrement heureux. Heureux pour ce scientifique d’exception, bien sûr, mais heu- reux également pour toute la communauté scientifique de Belgique. Cette consécration est aussi une reconnaissance de la qualité de nos chercheurs, scientifiques et professeurs. Elle constitue un formidable encouragement pour tous ceux qui pensent, et ils ont mille fois rai- sons, que la science est indispensable au progrès humain. La science, c’est énormément de travail et de rigueur. Mais c’est aussi la jubilation de com- prendre les phénomènes et d’être à la source des changements, modestes ou majeurs, qui feront avancer l’humanité. Je tiens donc à féliciter les Jeunesses scientifiques de Belgique pour leurs efforts de pédagogie et de sensibilisation. Notre pays aura toujours besoin de nouveaux talents et de nouvelles vocations. Étudiants, chercheurs et jeunes scientifiques, vous représentez l’avenir de disciplines et de techno- logies vitales pour notre développement et notre prospérité. C’est par notre capacité d’in- venter sans cesse de nouvelles solutions que nous maintiendrons notre rang dans le monde et notre grande qualité de vie. Dans de très nombreux domaines, qu’il s’agisse notamment de physique, de biologie, de chimie, de médecine, d’informatique, d’aéronautique, d’archi- tecture ou encore d’environnement, la plus-value scientifique et technologique fera demain toute la différence. Si la compétition économique mondiale est rude, nous détenons, avec nos chercheurs, un atout décisif. Nous devons donc continuer à investir dans la recherche et le développement. La Belgique participe activement aux projets des grandes institutions européennes, comme l’Agence spatiale européenne (ESA) ou l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN), Le Gouvernement fédéral soutient également les chercheurs. Nous avons par exemple faci- lité leur embauche, qui coûte désormais moins cher pour les entreprises et les institutions. De telles mesures sont résolument tournées vers l’avenir : en investissant dans ses talents scientifiques, la Belgique investit dans l’économie créative de demain, celle qui nous per- mettra de conquérir des marchés, de créer de l’emploi et d’assurer le bien-être de tous. Je terminerai en lançant une fois encore un appel à tous nos jeunes : allez vers les sciences, faites l’effort de dépasser vos craintes et découvrez le monde fabuleux de la connaissance. Quelle que soit la discipline choisie, quelle que soit l’orientation privilégiée, vous vous ouvrirez une voie royale vers un métier passionnant et gratifiant. Vous inscrirez alors vos pas dans ceux de François Englert – qui est par ailleurs Président d’Honneur des Jeunesses scientifiques – et de toutes ces personnalités éminentes qui depuis des siècles rendent notre monde plus intelligible et surtout plus habitable. Opter pour les sciences, c’est façonner notre avenir à tous ! Elio Di Rupo Premier Ministre 3
biographie Deux vies, une passion commune Robert Brout et François Englert ont connu rationnelle de l’Univers qui ne saurait être révolutionnaire de la physique. En témoigne de tendres jeunesses assez différentes. cloisonnée en domaines séparés » [2]. Jean-Marie Frère, actuel directeur du ser- Scolarité de qualité mais adolescence diffi- vice de Physique théorique qui fut, au début cile pour le jeune Englert. Ses parents juifs Robert Brout, amateur d’arts, ayant épousé des années 70, l’élève de François Englert polonais ont eu la bonne intuition de s’éta- une Européenne, quitte les USA pour goûter à et Robert Brout [3] et aussi le moniteur de blir en Belgique mais François a été caché la culture européenne et poursuivre sa colla- physique de l’auteur de cet article, aux Jeu- pendant la seconde guerre mondiale sous boration avec son collègue et grand ami. Dès nesses scientifiques, au Centre Pour l’étude l’attention bienveillante des parents qu’il 1961, leurs idées sur « le mécanisme de bri- de la Nature à Sivry, ne verra plus qu’épisodiquement. sure spontanée de symétrie et son applica- tion en théorie des particules élémentaires » La décennie 70 va, entre autres, les amener Ensuite les études universitaires : à l’Univer- prennent de la consistance et, trois ans plus à développer quelques belles idées en cos- sité Columbia pour Robert Brout qui obtien- tard, toute la cohérence de leur théorie sera mologie et à proposer des scénarios permet- dra son doctorat en 1953. Expert en physique publiée dans la revue « Physical Review Let- tant de certifier scientifiquement que notre statistique, il sera professeur associé à l’ Uni- ters ». Avant et indépendamment de Higgs, Univers a une belle et longue histoire. Cela versité Cornell, où on rencontrait de grands ils ont proposé un mécanisme permettant de leur permettra avec Edgard Gunzig d’obte- noms de la physique, par exemple Hans Bethe donner de la masse aux particules. Ce méca- nir le premier prix de la GRAVITY RESEARCH (prix Nobel) qui a collaboré avec Richard nisme implique un champ avec des bosons FOUNDATION. Feynmann, autre personnalité intense de la associés : c’est la théorie BEH. physique théorique [1]. Dans les années 80, Englert et Brout créent, Les belles avancées de leur travail scienti- à la Faculté des sciences de l’Université de François Englert fera, à l’Université Libre de fique, mai 68, … amènent nos deux qua- Bruxelles, un nouveau service : celui de Bruxelles, des études d’ingénieur avant de dragénaires à développer un enseignement se consacrer à la physique théorique. Il fera une thèse de doctorat en physique statistique sous la direction du physicien Pierre Aigrain. FRANCOIS ENGLERT EXPLIQUE LE MéCANISME DE « BRISURE SPONTANéE DE SYMéTRIE » C’est ce dernier qui va recommander le jeune docteur François Englert au jeune professeur Considérons cette analogie : une table ronde est dressée de telle sorte que chaque verre Robert Brout. se situe à égale distance entre chaque assiette. Or les convives sont ambidextres : pour eux, se saisir d’un verre, plutôt que d’un autre, revient au même. L’ensemble forme un Ensuite, il n’est pas évident de dissocier les système parfaitement symétrique. Pourtant, si une personne choisit de prendre le verre biographies de Robert Brout et de François placé à sa droite, les autres devront faire de même pour disposer de leur propre verre. Englert. La physique fut leur passion com- Ce résultat est le fruit du hasard. Et c’est exactement ce qui se produit dans les phéno- mune. Ainsi donc, à partir de 1959, Brout et mènes physiques de brisure spontanée de symétrie. Ils se manifestent notamment dans Englert travailleront ensemble pendant près les ferromagnétiques tels que le fer ou le nickel. Ces matériaux sont constitués de petits d’un demi-siècle. D’abord sur des problèmes aimants microscopiques qui ont tendance à s’aligner parallèlement les uns aux autres. À de physique statistique ensuite sur la « théo- haute température, ils s’orientent toutefois dans toutes les directions de l’espace sous rie des champs » qui applique les concepts l’effet de l’agitation thermique. Lorsque la température diminue en dessous d’une valeur de la mécanique quantique aux particules seuil, les aimants s’alignent dans la même direction et le matériau devient aimanté. Si le élémentaires. Et ainsi, les deux grands amis matériau est suffisamment grand pour que les effets de surface soient négligeables et si n’arrêteront pas d’explorer une multitude celui-ci n’est soumis à aucun champ magnétique extérieur, il est impossible de détermi- de domaines de la physique car ils la consi- ner quelle sera cette direction : il suffit que deux aimants microscopiques interagissent dèrent comme « une tentative d’intelligibilité et s’alignent pour que tous les autres fassent de même. Et la brisure de symétrie est bien spontanée, car indépendante de toutes considérations énergétiques. Voir [2] 4
« Physique théorique » qui, depuis, a formé scientifiques prestigieuses et, ainsi, décro- de sa vision de l’enseignement des sciences une belle jeune génération de physiciens. cher bon nombre de distinctions internatio- de la maternelle à l’université et, en particu- nales. Le Nobel de physique a été attribué lier, des méthodes d’apprentissage du raison- Pourtant, en 1982, dans son discours, lors en octobre 2013. Grande satisfaction pour le nement dans l’abstrait. de la remise du Prix Francqui — le « Nobel Baron Englert mais tempérée par une grande belge » —, on ressent de l’inquiétude chez tristesse due à la perte, en 2011, de son ami François Englert : et complice. Tout notre travail s'insère dans la perspec- Christian Vandercammen tive générale du développement des connais- Quoi qu’il en soit, François Englert a multiplié sances dont le champ d'application ne cesse les nouveaux défis : implications de l’exis- de s'élargir. Mais j'éprouve un certain malaise tence du boson BEH dans d’autres chapitres en terminant mon propos, parce que je crains de la physique des particules et de la cosmo- qu'il ne contribue à entretenir l'illusion que mon pays puisse participer longtemps encore à ce développement et puisse béné- ficier des résultats qui en découleront. Dès lors, je ne puis taire, par un silence complai- sant, la crainte précise que j'ai de voir mon pays dépasser le point de non-retour vers un sous-développement scientifique durable. Le départ à l'étranger de presque tous les jeunes chercheurs de grande valeur a réduit notre potentiel de recherche fondamentale en raison inverse de la médiocrité qui s'ins- talle à l'intérieur de nos institutions scienti- fiques. Il faut voir, dans cette dégradation culturelle, non pas le résultat direct d'une réduction de crédits disponibles, mais plutôt celui de l'incompétence et du manque de cou- logie (antimatière, matière noire,…) en pas- rage d'organismes de décision qui n'ont pas sant par la structure mathématique des virus. pu sélectionner les nominations par le seul Ses préoccupations ne manquent pas. Mais le [1] « Quand un photon rencontre un électron : critère qu'une institution de niveau universi- temps… oui ! Feynmann et l’électrodynamique quan- taire soit en droit de prendre en considéra- tique », Miguel Angel Sabadell, Grandes tion : la qualité. Vous savez, je n’ai pas l’habitude de recevoir idées de la Science, RBA, Paris, 2012. le prix Nobel. Cela demande beaucoup d’or- Cette réflexion pertinente a porté ses fruits, ganisation pour pouvoir répondre à de nom- [2] « Comment nous avons découvert le boson dans une certaine mesure, puisqu’on constate breuses sollicitations et de gestion de la vie de Higgs ? », Entretien de François Englert un regain d’activités dans les labos avec, quotidienne. dans « La Recherche » n°419, Mai 2008. même, un certain retour d’exilés. Nous lui en sommes que plus reconnaissants [3] « Des études à la recherche avec Robert Pendant près de 20 ans, même arrivés à d’avoir pris en charge, depuis mars 2013, une (Brout) et François (Englert) », Jean-Marie l’éméritat, Englert et Brout vont multi- Présidence d’Honneur des Jeunesses scien- Frère, www.ulb.ac.be/sciences/physth/ plier leurs publications dans des revues tifiques. Nous espérons beaucoup apprendre 5
explication AGENDA le boson de brout-englert-higgs en quelques mots La matière est constituée de particules dites Bien ! Et le boson BEH dans tout cela ? En conclusion… élémentaires : les leptons et les quarks for- mant la famille des fermions (d’après le nom Avant les prédictions théoriques de Brout, En 1964, Brout, Englert et Higgs décrivent du physicien italien Enrico Fermi). Englert et Higgs, en 1964, les physiciens n’ar- un mécanisme dit « de brisure spontanée rivaient pas à expliquer la masse des par- de symétrie » [3] permettant non seulement Quand les particules interagissent, elles le ticules. Par masse d’un objet, on entend d’unifier deux interactions fondamentales, font par des forces qui résultent de l’échange aujourd’hui, ce qui s’oppose à son change- la nucléaire faible et l’électromagnétique, de particules médiatrices que l’on appelle ment de vitesse, en intensité ou en direc- mais aussi d’expliquer l’origine de la masse bosons (d’après le nom du physicien hindou tion (la vitesse est un vecteur). des particules supposant l’existence d’une Satyendranath Bose). particule médiatrice, le boson BEH, liée à un La théorie de nos trois physiciens prévoit champ BEH. Le boson BEH a été décelé au Par exemple, deux électrons se repoussent que, juste après le Big Bang, aucune parti- LHC du CERN, ce qui a valu à François Englert par la force électromagnétique dont le boson cule n’avait de masse. On est à t = 10-10 s et et Peter Higgs le prestigieux Nobel de phy- médiateur n’est autre que le photon (noté γ). à une température de l’ordre de 1015 degrés. sique. Cette découverte a suscité beaucoup d’enthousiasme car elle rend notre Univers L’Univers en expansion se dilate, la tempé- plus compréhensible sur un plan fondamen- rature diminue. En dessous d’une tempéra- tal mais aussi parce qu’elle met en relief des ture critique Tc, se forme un champ et des qualités humaines remarquables : l’imagina- particules associées : les bosons BEH (voir tion, le pouvoir prédictif, la ténacité, l’au- l’excellent article de la revue COSINUS [1]). dace et tout bêtement l’intelligence ! C’est de l’interaction entre ce champ réparti partout dans l’espace que les particules vont acquérir de la masse. Christian Vandercammen Dans son édition de février 2014, LA Les bosons ont une masse en lien avec la RECHERCHE publie un entretien avec Peter portée de la force. Plus la force a une grande Higgs [2] illustrant par une métaphore le portée et plus la masse de la particule mécanisme BEH : Pour moi, l’explication médiatrice sera petite. la plus acceptable est celle d’une célébrité (symbolisant une particule) entrant dans une Ainsi, le photon médiateur de la force élec- pièce remplie d’invités (imageant le champ tromagnétique, de portée infinie, possède BEH) qui l’accostent : même si sa vitesse de une masse nulle. À l’inverse, les gluons marche n’est pas réduite, la star zigzague, si médiateurs de la force nucléaire forte bien qu’elle ne traverse pas la pièce aussi vite [1] Le vide quantique, Michel Benot, Cosinus (entre protons par ex.) dont la portée est que si celle-ci était vide. Ainsi, sa progres- n°153, Octobre 2013. très petite (taille des noyaux ~10-15 m), ont sion est d’autant plus freinée qu’elle interagit une masse élevée. avec l’assistance. Tout comme une particule [2] Peter Higgs raconte l’aventure du boson, devient d’autant plus massive qu’elle intera- Propos recueillis par Olivier Dessibourg, git avec le champ BEH. La Recherche n°484, Février 2014. [3] LHC : le boson de Higgs, Michel Davier, Le Pommier, 2013. 6
transferts de technologie du cern au quotidien CHRISTIAN VANDERCAMMEN, Jeunesses scientifiques de Belgique Avec l’attribution, en octobre dernier, du prix Nobel de physique aux profes- seurs François Englert (Université Libre de Bruxelles) et Peter Higgs (Université d’Edimburg), on a évidemment beaucoup évoqué le LHC (Large Hadron Collider) installé au CERN (Centre Européen de Recherches Nucléaires), près de Genève. En 2012, les expériences ATLAS et CMS, au grand collisionneur de hadrons, révèlent une nouvelle particule : le BOSON BEH. Cette particule, prédite en 1964, par les Belges Robert Brout et Fran- çois Englert, ensuite par le Britannique Peter Higgs, est fondamentale dans le sens où elle permet d’expliquer la masse des particules (voir l’article «Le boson BEH en quelques mots» ci-contre). La détection du boson BEH est le fruit du travail acharné de physiciens et d’ingé- nieurs. Ensemble, ils ont développé des technologies de pointe recelant une mul- titude de pépites que l’on rencontrera, tôt ou tard, dans la vie de tous les jours. En voici quelques exemples… 7
L’AUTEUR LE BIG-BANG DU NUMéRIQUE Chargé de cours à l’EPFC (Enseignement Pendant mes récentes vacances, je cherche via la TOILE (ou WEB, invention, en 1990, due à de Promotion et de Formation Continue Tim Berners-Lee, physicien et informaticien au … CERN) une liste de titres de livres de science- de l’Université Libre de Bruxelles et de la fiction (SF) publiés entre 1970 et 2010. Le moteur de recherches m’envoie vers un site réper- Chambre de Commerce et de l’Industrie de toriant plus de 400 pages de titres et, rien qu’en format livre de poche, me suggère plus de Bruxelles) 100 000 titres… Membre du Comité National de Chimie (Aca- Gloups ! Me voici bien avancé, car comment exploiter efficacement une telle information … démie Royale des Sciences, des Lettres et inexploitable ! Heureusement, solution il y a. Et elle proviendra notamment du CERN. des Beaux-Art) En effet, les expérimentateurs du LHC sont amenés à gérer non pas quelque 105 données mais Membre du Conseil d’Administration des plus de 1015 informations. Des pétaoctets sont stockés, chaque année (voir encadré), sur envi- Jeunesses scientifiques de Belgique ron 5 000 disques durs comme ceux que l’on trouve dans nos ordinateurs. Concepteur et réalisateur des ateliers évo- Si le stockage, en soi, n’est pas un gros problème, comme l’enregistrement de ma liste de livres lution (2011-2012) et Gastronomie molécu- de SF, il s’agit surtout de pouvoir exploiter une gigantesque masse de données en extrayant de laire (2012-2013) des Jeunesses scientifiques l’information utile. Ainsi est née la Data Science (science des données) [1] que l’on peut sché- de Belgique matiser de la manière suivante (cfr ci-dessous). Xpo2pi (50 ans des Jeunesses scientifiques Voici donc la solution pour résoudre mon problème des prochaines lectures de livres de SF : il aux Musées royaux d’Art et d’Histoire « suffit » de demander à mon moteur de recherches, en ciblant correctement mes desideratas (2006-2007) (langue, genre, année d’édition, auteur, éditeur…), de croiser, à l’aide d’algorithmes d’une très grande complexité, des bases de données qui me procureront d’excellents moments de lecture. Membre des Jeunesses scientifiques de Bel- gique depuis 1972 8
transferts de technologie Calculons les pétaoctets du L’échelle des octets LHC OCTET : unité égale à 8 bits, pouvant coder 28 = 256 caractères différents. Dans le LHC, les faisceaux de protons se Le bit est un chiffre binaire, c’est-à-dire 0 ou 1. Il est donc aussi une unité croisent et produisent cent millions de col- de mesure en informatique, celle désignant la quantité élémentaire d’infor- lisions protons-protons. Une partie d’entre mations représentée par un chiffre du système binaire. On en doit l’inven- elles ne produit pas de particules mais tion à John Tukey et la popularisation à Claude Shannon. d’autres produisent une véritable cascade KILOOCTET : 103, 1000 octets (environ la page d’un livre) ; de particules dont certaines sont instables et MEGAOCTET : 106, un million d’octets (environ un livre de 1000 pages) ; se désintègreront en paires de particules qui GIGAOCTET : 109, un milliard d’octets (environ une bibliothèque communale contenant seront détectées et enregistrées. Il y a envi- mille livres) ; ron, par seconde, 108 collisions c’est-à-dire TERAOCTET : 1012, mille milliards de … l’Albertine ; 4 . 108 octets à enregistrer. En une minute, ce PETAOCTET : 1015, le salaire annuel brut des Belges pendant cent millions d’années ; seront 60,4 . 108 collisions etc. En une année, EXAOCTET : 1018 octets, le nombre de grains de riz exportés par la Chine au 20e siècle ; on aura ~5 . 1015 octets [2]. Lors de la remise ZETTAOCTET : 1021 octets, le nombre de grains de sable sur la plage d’Outsiplou-les-bains ; en route du LHC, on estime qu’entre 2015 et YOTTAOCTET : 1024 octets,… 10 fois le nombre d’Avogadro, 6 x 1023 particules dans une mole 2018, on triplera le nombre de données, à de matière ! décortiquer, analyser et stocker. Mais tout cela nécessite beaucoup de méga €. Et n’est-ce pas, en définitive, un peu futile ? Non, parce que la science est de nos jours une grande dévoreuse d’octets ! Dans le domaine médical, on est confronté à la difficulté de produire des connaissances innovantes à partir d’une multitude de don- nées accumulées par différents essais cli- niques (centres hospitaliers, laboratoires pharmaceutiques, ...). Et même si le nombre de données à traiter est plus modeste que celui produit au CERN, il n’en demeure pas moins que les deux questions fondamentales restent : - Où trouver les informations pertinentes dans un grand volume d’informations ? - Sur quels critères va-t-on stocker les infor- mations les plus utiles ? Les réponses apportées par les informati- ciens et ingénieurs, du CERN ou d’autres entreprises, nécessitent des algorithmes complexes, une logistique gigantesque afin d’avoir du temps de calcul raisonnable et de pouvoir croiser des informations concentrées dans des bases de données distinctes [3]. 9
L’UNION FAIT LE « WORLD COMMUNITY GRID » DéVELOPPER LA PHYSIQUE MéDICALE Alessandra Carbone, mathématicienne, directrice du laboratoire de Génomique (Université Pierre et Marie Curie à Paris) étudie avec son équipe les interactions entre les 4000 protéines De la « Tomographie par Émission de Posi- recensées susceptibles d’être à la base de maladies neuromusculaires [01]. tons » aux accélérateurs de particules desti- nés au traitement de cancers, le CERN abrite, Leurs travaux nécessitent des capacités de calculs et de stockage que « la GRILLE » est à même depuis peu, différentes activités visant à d’offrir. De quoi s’agit-il ? développer les technologies actuelles ayant trait aux accélérateurs, aux détecteurs et à Sous l’impulsion du CERN, en 2006, environ 500 scientifiques se sont réunis lors d’une confé- l’informatique afin de les appliquer en méde- rence internationale dédiée à la « Réalisation de Grilles pour la science en ligne » [3]. cine. Voyons deux exemples : La Grille repose sur une idée commune avec celle de la Toile (WEB) à savoir mettre en com- n Le CLEARMet mun des données entre ordinateurs distants. Mais contrairement à la Toile, la Grille partage, en plus d’informations, des temps de calcul et des capacités de stockage. Les connaissances acquises lors de la mise au point des détecteurs de particules pour le Ainsi, A. Carbone et ses collaborateurs peuvent se connecter à la Grille depuis leurs ordina- LHC ont permis de créer un système de tomo- teurs personnels (au labo, à domicile, à l’hôtel,…) pour accomplir des calculs pris en charge graphie par émission de positons permettant par une multitude d’ordinateurs disséminés partout dans le monde. La Grille permet ainsi de un dépistage du cancer du sein hautement réaliser des calculs complexes très « simplement » et rapidement. Un exemple concret du rôle performant. En effet, le CLEARMet, alliant de la Grille fut celui de son utilisation lors de l’épidémie due aux virus H5N1 : 2000 ordina- la technique PETScan à celle de la mammo- teurs se trouvant dans le monde entier, avec l’aide d’un logiciel développé au CERN, ont per- graphie, permet de déceler des lésions de mis d’inhiber l’action du virus. En un mois, la Grille est parvenue à traiter autant de données l’ordre de 2 mm, soit des lésions 2 à 3 fois qu’un seul ordinateur en … un siècle ! plus petites que celles décelées au TEP clas- sique (voir encadré). Le CLEARMet [4] a com- mencé les premiers tests cliniques auxquels participent des chercheurs de la VUB (Vrije Universiteit Brussel). L’appareil a été mis au point par une colla- boration internationale, CrystalClear, qui a développé des cristaux pour les calorimètres électromagnétiques placés dans les détec- teurs du LHC [5]. LE PETScan ou TEPScan En anglais, Positron Emission Tomography et en français, Tomographie par Émission de Positons. Le PET est un examen diagnostic servant à déceler des tumeurs cancéreuses et/ou des métastases et à surveiller leur évolu- tion. Une tumeur cancéreuse, c’est un amas de cellules qui se reproduisent par mitose de manière anarchique consommant beau- coup d’énergie. Une tumeur ou métastase concerne donc des cellules à haute activité métabolique. Le PETScan permet de les localiser avec grande précision. Puisque les cellules tumorales consomment beaucoup d’énergie, on injecte un produit radioactif qui va se fixer sur les tumeurs et/ou métastases. On utilise un dérivé de glucose marqué avec l’isotope instable du fluor, radioactif, capable d’émettre un signal détectable et mesurable à l’extérieur de l’organisme. Il faudra, à nouveau, utili- ser des logiciels sophistiqués permettant de localiser précisément l’origine de l’émission pour recréer une image de l’intérieur de l’organisme. Le FDG, fluorodésoxyglucose, a une durée d’activité radioactive d’envi- ron 2 heures [6]. 10
transferts de technologie Que pouvons-nous conclure ? Le CERN n’est pas qu’un simple laboratoire où ne seraient étudiés que les constituants élémentaires de la matière, leurs interac- tions, … On y développe des instruments, accélérateurs, détecteurs de particules fai- sant appel à des technologies souvent trop complexes pour être produits par l’indus- trie. Et donc, le CERN devient un grand pro- ducteur de technologies transférées vers la société civile. À domicile, chez nos méde- cins, le CERN nous permet de vivre dans un environnement plus fonctionnel et confor- table. Ceci nous éloigne évidemment des aspects peu reluisants de la physique nucléaire (applications militaires bombes A et H, ou civiles, catastrophes de Tcherno- byl, Fukushima). n Les cyclotrons Inventés il y a 82 ans, les premiers cyclotrons étaient de petite taille. Pour atteindre de plus hautes énergies, leur taille a augmenté, puis ils ont été supplantés par des synchro- Bibiographie trons et des collisionneurs comme le LEP et le LHC. Mais vu la nécessité d’obtenir des iso- [1] Leçon inaugurale au Collège de France. topes de courtes durées de vie, on est revenu Sciences des données : de la logique du à concevoir et construire de petits cyclotrons premier ordre à la Toile, Serge Abite- prêts à être utilisés dans les hôpitaux. boul, Mars 2012 ; Signalons au passage que Yves Jongen (Uni- [2] Les pétaoctets du LHC, Fairouz Malek, versité de Louvain-la-Neuve) est, depuis près Pour la Science, n°433, Novembre 2013 ; de 25 ans, un des pionniers mondiaux de la production d’isotopes à usage médical. Ce [3] G rid computing, Kate Kahle et Mélissa sont les petits cyclotrons qui permettent aux Gaillard, CERN Courier, Volume 53 Num- hôpitaux de produire de petites quantités ber 3, April 2013 ; d’isotopes radioactifs 18F, 11C, 15O, 13N,… qui serviront aux examens TEPScan. [4] Le CLEARPem améliore le diagnostic du cancer du sein, Benjamin Frisch, CERN Courier, Vol 53 Number 6, July-Augus- tus 2013 ; [5] L e défi technologique des détecteurs, Daniel Fournier et Yves Sirois, La Recherche, n°469, Novembre 2012 ; [6] Le PET scanner : il voit vivre nos cel- lules, Gabriel Martin, La Recherche, n°368, Septembre 2003 ; [7] Cyclotrons pour isotopes médicaux : un air de déjà vu, Dewi M Lewis et Uno Zet- terberg, CERN Courier, Vol 52 Number 3, April 2012 ; Sitographie : [01] w ebtv.u-psud.fr, Séminaire sur le concept d’information dans les séquences biologiques, A. Carbone, 22 novembre 2013 ; [02] How does a Cyclotron Particle Accelera- tor work ? Amy Blackburer, IBA Molecu- lar Cyclotrons, May 2013. 11
La prédiction théorique du boson BEH, établie en 1964, et l’annonce de sa découverte expérimentale au CERN, en juillet 2012, sont importantes à plus d’un titre. Non seule- ment l’existence du boson valide ce qui est convenu d’appeler le « Modèle Standard », en physique des particules mais on trouve aussi d’autres implications en physique théo- rique (par exemple, la supersymétrie) et, en particulier, en cosmologie. On a mesuré une masse de l’ordre de 125 GeV (*). Cela indique, comme le signale Paul Colas, chercheur au CEA à Saclay, que notre Univers est dans un état « métastable » et qu’il serait donc théoriquement possible qu’il se désintègre ! Géraldine Servant, physicienne, professeur à l’Université Autonome de Barcelone, s’in- téresse à la « matière sombre », mystérieuse matière composant 23% de l’Univers. Le fait d’avoir « pesé » avec une bonne précision la masse du boson BEH permet aux physiciens d’élaborer de nouveaux modèles cosmologiques. La cosmologie est au centre de l’article de Pasquale Nardone qui fut un étudiant de Brout et d’Englert. Ceux-ci, avec Edgard Gunzig, ont développé des scénarios possibles de for- mation de notre Univers, ou encore, le service de Physique théorique a planché sur des thèmes tels que l’inflation cosmique, l’entropie des trous noirs, la supergravité, la cos- mologie quantique,… Bref, les réflexions de François Englert, de Robert Brout et de leurs collaborateurs ont permis de jeter de solides ponts entre la physique des particules et la cosmologie, deux disciplines modernes, maintenant indissociablement liées. (NDLR) (*) L’électron-volt , un eV, est l’énergie acquise par un électron soumis à une différence de potentiel d’un volt. 1 eV ~1.6 10-19 Joules. 1 GeV vaut 109 eV La cosmologie est une science singulière. Singulière par l’intérêt universel Modèles qu’elle suscite : il n’existe pas de civilisation qui n’ait produit une histoire de l’univers. Singulière par son ambition : donner une explication cohérente de Le manque de possibilités d’interagir avec tout, partout et en tout temps. Singulière dans sa démarche scientifique puisque les composantes du cosmos nous oblige à l’on ne peut pas soumettre le cosmos à une analyse scientifique classique qui systématiquement développer des modèles consiste à le mettre dans différents états puis, chaque fois, mesurer son com- puis à les soumettre aux observations. Il y a portement. Singulière car l’objet de son attention est unique : on ne peut pas donc en cosmologie, plus que dans d’autres parler d’univers « moyen », on ne peut pas comparer des univers entre eux, on domaines de la physique, une place impor- ne peut pas faire de statistiques. Singulière car le seul moyen de le connaître tante réservée aux modèles. Si un modèle passe par la lumière que nous recevons des étoiles. est inexact, l’image que l’on se fait du cos- mos peut changer du tout au tout. Alors, il Singulière aussi par le peu de données expérimentales directes. On dit par- est donc important de comprendre et de fois par boutade que la cosmologie repose seulement sur trois faits : 1° la nuit voir ce que ces modèles nous apportent est noire ; 2° la lumière venant des galaxies, décomposée en ses composantes au cours de leur création historique et de (son spectre), montre un décalage des raies spectrales vers le rouge ; 3°l’uni- les mettre en relation avec les données vers contient des photons distribués comme ceux émis par un corps chauffé à expérimentales. 2.7 Kelvin (soit -270°C). Je ne vais pas entrer dans le détail histo- Singulière enfin par le foisonnement de spéculations et par l’enchevêtrement rique des interpénétrations des différents de toutes les physiques connues : astronomie, astrophysique, physique des par- modèles et de toutes les évolutions techno- ticules, mécanique quantique, relativité générale, etc. logiques, je vais me focaliser sur quelques points clés. 12
COSMOLOGIE l’univers des physiciens PASQUALE NARDONE, Université Libre de Bruxelles Au commencement, il y avait Newton L’AUTEUR Commençons donc avec le bon vieux Newton (1642-1727). Avec lui, les objets sont constitués Professeur à l’Université Libre de de « points matériels » qui ont une masse et une position dans l’espace. Ces points forment Bruxelles, Département de Physique, Ser- des corps et la masse de ces corps est la somme des masses des points qui le constituent. vice de Physique Générale, Laboratoire Hypothèse fondamentale pour Newton, l’espace est euclidien. C’est-à-dire qu’il ne peut pen- de Didactique des Sciences Physiques ser l’espace que comme celui décrit par la géométrie plane avec toutes ses axiomes et théo- rèmes : la somme des trois angles intérieurs d’un triangle vaut 180° ; par un point on ne peut Collaborateur scientifique à la RTBF tracer de parallèle à une autre droite ; il n’existe qu’une perpendiculaire à une droite passant par un point donné, etc. Concepteur et réalisateur de Xpo2pi, exposition pour les 50 ans des Jeunesses Le temps est une variable essentielle à la physique puisque le programme de monsieur New- scientifiques ton est de prédire la trajectoire des corps, c’est-à-dire l’évolution de la position au cours du temps. Pour lui, le temps est un concept indéfinissable mais il demande qu’il soit unique : le Co-auteur de la pièce de théâtre « L’élec- même pour tous les objets et qu’il « coule » uniformément. Son modèle se focalise sur l’ac- tion de Darwin », avec G. Rambeaux et P. célération des objets. Il sait, avec Galilée (1564-1642), que la vitesse des corps n’est pas une Rasse (2010) grandeur « importante » dans le sens où ce n’est pas elle qui nécessite une « cause ». Newton introduit donc une Force ( ) cause de l’accélération ( ), avec un lien simple entre les deux, la Concepteur et réalisateur de la coupole masse : = m . Ici, l’accélération est une accélération « instantanée » c’est-à-dire la dérivée d’astronomie, Centre Pour l’étude de la de la vitesse instantanée, elle-même dérivée de la position. Newton invente donc le calcul des Nature à Sivry (1970) dérivées et des intégrales (qui sont toujours au programme de nos cours de mathématiques tant ces deux notions sont fondamentales). 13
Plus un corps est massif, moins l’accélération sera grande. Il invente aussi une force gravita- tionnelle (Fg) entre tous les corps. Cette force Fg sera proportionnelle au produit des masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare : Fg= G (m1 m2/d2). Cette force agit à distance, sans contact, et elle est instantanée. Une troisième « invention » néces- saire à son modèle est que la force est toujours symétrique ! Si le corps n°1 agit sur le corps n°2 avec une force F, alors il est nécessaire que le corps n°2 agisse sur le corps n°1 et ce avec la même force ! Avec ces trois ingrédients, les équations qu’il invente sont très complexes puisque l’accélération, étant une dérivée seconde de la position, est égale à une quantité qui est inver- sement proportionnelle au carré de la position ! On a donc ce que l’on nomme une équation différentielle. Newton arrive à la résoudre et donc à déterminer la position des planètes dans le système solaire, mais aussi la position des lunes autour des planètes, la chute des corps sur Terre, la hauteur des marées, les éclipses, les trajectoires des comètes, etc. Son modèle est en accord avec les données expérimentales de Kepler (1571-1630). Son modèle « explique » donc une grande partie de l’Univers. Son modèle atteint son point culminant, vers 1846, par la découverte de Neptune. La trajec- toire et la position de cette planète ont été calculées avant d’être observées le 23 septembre 1846 à 1° de sa position calculée. C’est un triomphe du calcul au sein de son modèle. On arrive donc à un sommet : les causes sont comprises, elles sont déterministes, elles sont cal- culables au travers des équations. Il ne « suffit » plus qu’à résoudre les équations pour prédire le futur de tout l’Univers ! Enfin, c’est un espoir rationaliste un peu fou car il existait quand même quelques situations compliquées qui ne rentraient pas trop dans le modèle newtonien. Pour n’en citer qu’un, je choisirais le paradoxe d’Olbers. L’astronome allemand Heinrich Wil- helm Olbers (1758-1840) faisait la remarque suivante : si l’Univers est peuplé d’étoiles de façon homogène (c’est-à-dire que l’on a partout dans l’univers le même nombre moyen d’étoiles), alors, plus on s’éloigne de la Terre et plus il y a d’étoiles. On peut même dire que le nombre d’étoiles augmente comme le carré de la distance qui nous sépare d’elles puisqu’une sphère a une surface qui augmente comme le carré de son rayon. Certes ! De plus, nous dit-il, nous savons que la lumière émise de ces étoiles décroit comme le carré de la distance qui nous sépare d’elles. C’est une conséquence de la conservation de l’énergie, un pilier de la théorie newtonienne. Ces deux effets se compensent donc parfaitement. La lumière totale reçue sur Terre est donc constante quelle que soit la distance. En conséquence, le ciel, la nuit, doit être totalement brillant et non pas noir ! Voilà une épine logique dans le pied de la théorie newto- nienne. Il faudra presque un siècle pour résoudre ce problème. Coulomb, Faraday, Maxwell, Hertz et les autres. Il faut attendre le début du 20e siècle pour que les bases du modèle newtonien vacillent. En effet, en ce début de siècle, un autre modèle fait partie des outils des physiciens : l’électroma- gnétisme. Les lois de l’électricité étaient connues depuis Coulomb (1736-1806). La force élec- trique ressemblait comme deux gouttes d’eau à la gravitation. Il existe dans la nature deux types de charges : des positives et des négatives. Entre elles, la force électrique était aussi proportionnelle au produit des charges et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare : Fe= Ke (q1 q2/d2). Ke comme G sont deux constantes. Étonnant parallélisme. Cette force peut être attractive (si les charges ne sont pas de même signe) ou répulsive (si les charges sont de même signe). Le magnétisme aussi était connu. Les recherches de Biot (1774- 1862) et Savart (1791-1841) mais aussi d’Ampère (1775-1836) déterminent comment un champ magnétique est créé par un courant et quelle force apparaît alors entre ces deux fils. Le champ magnétique B est aussi inversement proportionnel à la distance au carré au fil. Il est propor- tionnel à l’intensité de courant et, là aussi, une constante magnétique Km apparaît. Mais c’est Faraday (1791-1867) qui montre en plus que le magnétisme peut faire apparaître de l’électricité par un phénomène important baptisé : « induction magnétique ». Maxwell (1831-1879) arrive à regrouper toutes ces lois en une seule théorie consistante : l’électromagnétisme. Une de ces conséquences, c’est qu’il découvre qu’il existe comme solution de ses équations un phé- nomène ondulatoire : des ondes électromagnétiques. Il peut de plus montrer que ces ondes ont une vitesse déterminée par les deux constantes électrique et magnétique Ke et Km. Tout étonné de découvrir que cette vitesse est celle de la lumière ! Il émet donc l’hypothèse que la lumière est une onde électromagnétique. C’est à Hertz (1857-1894) que l’on doit toutes les expériences qui démontrent que les ondes de Maxwell ont bien toutes les mêmes propriétés que la lumière : polarisation, réflexion, réfraction, diffraction, etc. L’émission d’onde radio vient de naître. Mais aussi la dynamo du belge Zénobe Gramme (1826-1901) qui va permettre à l’électricité d’être produite aisément. Cette fin de 19e siècle est riche et passionnante. Pour- tant, à y réfléchir de plus près, il y a un souci. 14
COSMOLOGIE Puis Einstein vint Le souci, c’est que la vitesse de la lumière est déterminée par deux constantes, alors que nous savons depuis Galilée qu’une vitesse n’a jamais de sens absolu. Il y a relativité de la vitesse, elle dépend de l’observateur. Certes, on pouvait sauver cela en inventant une matière : l’éther, qui autorise la propagation de l’onde lumineuse comme l’eau permet la propagation de la vague. Cette vitesse est donc une propriété de cet éther. Si cet éther existe, il doit rem- plir tout l’Univers. Il doit aussi être très rigide pour autoriser une vitesse si élevée (300 000 km/s). On peut, de plus, mesurer la vitesse de la Terre dans cet éther, comme la vitesse d’un bateau par rapport aux vagues. C’est ce qu’ont essayé de faire Michelson et Morley en 1887. Mais, hélas, ils ne mesurent rien. La Terre est immobile par rapport à l’éther ! Voilà qui est absurde. On essaye bien de rattraper le coup en essayant de dire que la Terre entraîne l’éther dans son mouvement mais cela est vite rejeté parce que toutes les planètes devraient faire de même, ce qui provoquerait un vrai chaos. Ou alors, comme Lorentz (1853-1928) qui propose que puisque l’éther emplit tout (la lumière allant partout), on peut imaginer, ce qu’il fait, que la longueur des objets change parce que l’éther « rétrécit » le corps dans le sens de son dépla- cement. Cela permet d’expliquer les expériences négatives de Michelson-Morley. Mais Eins- tein (1879-1955) essaye de construire une théorie sans éther, où la vitesse de la lumière est une constante universelle quel que soit l’observateur ! Voilà qui est audacieux. Il décrit, dans un article qui s’intitule « Sur l’électrodynamique des corps en mouvement », une théorie où, quel que soit l’observateur et son mouvement, la vitesse de la lumière a pour lui toujours la même valeur ! Il lui faut changer tout le cadre fondamental du modèle newtonien. Puisqu’à y réfléchir, la composition des vitesses résulte de la simple addition de deux vecteurs. En effet, la somme de deux vecteurs nous donne la position d’un point par rapport à un autre : = + . Donc, la vitesse de B par rapport à A est la somme de la vitesse de C par rapport à B plus la vitesse de B par rapport à C : B/A = B/C + C/A. Il est difficile d’imaginer que cette loi simple soit fausse et pourtant ! Il construit une théorie où la vitesse de la lumière est une constante pour tous les observa- teurs quels que soient leurs mouvements rectilignes propres. Pour réaliser cela, il doit aban- donner certains absolus, comme la simultanéité. Il construit ce qui s’appellera la « relativité restreinte » où le temps et les longueurs sont relatifs. Il montre que le temps et l’espace sont liés dans une seule structure : l’espace-temps. Il redécouvre les transformations de Lorentz qui permettent d’expliquer le résultat de Michelson-Morley. Cette unité nouvelle entre espace et temps l’amène à d’autres unités : énergie et quantité de mouvement ne forment qu’un seul objet. Mais champ électrique et champ magnétique ne sont aussi qu’un seul objet. La masse d’inertie aussi change. Elle dépend de l’observateur. Cela permet de démontrer qu’aucun objet massif ne pourra atteindre la vitesse de la lumière et que la lumière, de masse nulle, est la seule à posséder cette vitesse que l’on ne peut alors « freiner ». L’union de concepts diffé- rents est toujours une victoire pour les physiciens qui ainsi comprennent mieux leurs concepts. Une des conséquences de cette unification est aussi le lien entre l’énergie et la masse d’iner- tie, le fameux E=mc2. Au sein de son modèle, la masse d’inertie peut changer et elle se trans- forme en énergie et vice-versa ! Sans le vouloir a priori, Einstein explique enfin les phénomènes radioactifs découverts en 1896 par Becquerel. Il explique d’où ces atomes obtiennent leur éner- gie : en changeant de masse par désintégration ! Cela permet aussi, enfin, de comprendre d’où les étoiles puisent leur énergie en fusionnant des noyaux légers qui donnent d’autres noyaux, plus légers que la somme des noyaux fusionnés. Au niveau de l’Univers, l’existence d’une vitesse limite nous fait apparaître un horizon ! On ne peut voir que la lumière reçue et comme celle-ci a une vitesse finie, nous voyons les objets plus jeunes que ce qu’ils sont ! Si, par hasard, l’Univers a un certain âge, alors, même s’il est infini, on ne peut recevoir aujourd’hui que la lumière qui a pris son temps pour nous arriver. Le reste de l’Univers ne nous est pas encore visible. Cela peut sauver le paradoxe d’Olbers, du moins si l’univers a un âge fini. 15
Puis Einstein revint encore Einstein continue sa recherche sur l’électrodynamique des corps en mouvement car il veut généraliser sa théorie à tous les mouvements possibles ; pas seulement les mouvements recti- lignes à vitesse constante mais à tout type de mouvement même accéléré. Il lui faudra attendre onze années pour cela. Il publie, en 1916, son article sur la généralisation de la relativité. Il faut ici rappeler le travail de Minkowski (1864-1909), un professeur de mathématiques d’Eins- tein, qui a montré comment la théorie de son élève est en fait une théorie géométrique d’un espace à quatre dimensions. Oui, une géométrie ! Les mathématiciens avaient depuis long- temps essayé de comprendre en quoi la géométrie euclidienne était fondamentale. Ils avaient pu montrer qu’il y a bien d’autres géométries possibles. Par exemple, la géométrie sphérique (sur une sphère) où les axiomes de la géométrie plane n’étaient plus valables. L’idée essen- tielle est de comprendre la ligne droite. C’est quoi une « droite », en fait ? Les mathématiciens ont montré que, finalement, il suffit de se donner une « distance » entre deux points et, de cette définition, la droite naît comme le plus court chemin entre deux points : la géodésique. Minkowski montre que si l’on étend encore la notion de distance en acceptant des distances négatives ou nulles, alors cette géométrie de l’espace-temps à quatre dimensions est celle de la relativité restreinte. Dans cet espace, par exemple, la lumière est la seule à parcourir des distances nulles. Cela permet aussi de définir correctement le futur et le passé mais aussi de voir les objets « causalement » reliés entre eux, ceux qui sont en interaction possible par des voies qui ne nécessitent pas de dépasser la vitesse de la lumière. Donc, Einstein repart de cette notion géométrique de Minkowski et la généralise encore. Il montre alors que la gravitation n’est pas une force « réelle ». En effet, aviez-vous remarqué que même si la force gravitationnelle entre le Terre et le Soleil dépend du produit des masses des deux, le mouvement de la Terre ne dépend plus de sa masse mais dépend uniquement de la masse du Soleil ? Dans le F = mterre a, la masse d’inertie de la Terre est égale (expérimen- talement) à sa masse gravitationnelle qui apparaît dans F = G mterre msoleil / d2 , et donc la masse de la Terre n’apparaît plus dans son accélération. Einstein montre qu’en généralisant sa théorie de la relativité, cela correspond à généraliser la géométrie de Minkowski. En don- nant une distance entre deux points (on appelle cela la métrique) qui dépend cette fois de la position dans l’espace ! On dit alors que l’espace-temps est courbe. La ligne droite, la géodé- sique, dépend alors du lieu dans l’espace où l’on se trouve. Il démontre que la gravitation est une conséquence de la courbure de l’espace-temps. Toute matière-énergie (puisque les notions sont équivalentes) courbe l’espace-temps. La trajectoire de la planète autour du Soleil est le chemin le plus court. Il calcule les nouvelles trajectoires et montre que ce sont « presque » des ellipses. La trajectoire ne se referme pas sur elle-même : il y a un minuscule décalage qu’il calcule pour Mercure, la plus proche planète du Soleil. Ce décalage, appelé « avance du péri- hélie », vaut 43 secondes d’arc par siècle. C’est peu et pourtant c’est ce qu’il manquait aux astronomes qui avaient déjà remarqué ce décalage qui avait été mesuré à 574 secondes d’arc par siècle, mais dont seulement 531 secondes avaient pu être expliquées par l’influence des autres planètes. Einstein vient de calculer le reste ! Une autre conséquence de cette courbure de l’espace-temps est que les rayons lumineux doivent être déviés lorsqu’ils passent près d’une étoile. Eddington réalisa la mesure en 1919 lors d’une éclipse de soleil. La position des étoiles était en effet différente à cause de la présence du soleil et la valeur de cette déviation était celle calculée par Einstein. Beaucoup d’autres tests ont prouvé la validité de la relativité générale et l’utilisation la plus courante aujourd’hui est le GPS, qui ne fonctionne que si l’on prend en compte la modification de l’écoulement du temps en fonction de la distance à la Terre. Comme Einstein a enfin une théorie de la gravitation, il va donc directement chercher la « forme » de l’Univers en supposant un Univers peuplé partout d’étoiles de façon homogène (on trouve la même chose partout), isotrope (on trouve la même chose dans toutes les direc- tions) et immobile. Il ne trouve pas de solution à ses équations. Il se sent alors obligé de modi- fier un peu ses propres équations pour trouver la solution qu’il voulait, en ajoutant un terme baptisé « la constante cosmologique ». 16
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