BREXIT : LES ÉTABLISSEMENTS ENTRENT DANS LE DUR - PWC SOCIÉTÉ D'AVOCATS
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Brexit : les établissements entrent dans le dur Les défis opérationnels soulevés par la perspective - de moins en moins improbable - d’un « Brexit dur » sont nombreux et mobilisent les équipes au sein des banques et des entreprises d’investissement, déjà très occupées par l’implémentation des nombreuses réformes règlementaires au menu de cette fin d’année 2018. A six mois de l’échéance, l’état des négociations ne permet toujours pas d’exclure l’hypothèse d’une sortie brutale, et la feuille de route donnée aux établissements financiers concernés par le Brexit n’est pas toujours claire (I). Au premier plan des questions soulevées par la préparation et la mise en œuvre des projets Brexit figure notamment le redimensionnement des agréments et des structures en place (II) et la revue des contrats en cours impactés (repapering) (III) 1. Etat des négociations et rappel des différentes positions quant à la perte du passeport Etat des négociations UK / UE : Position des différentes parties prenantes point mort ? quant à la perte des « passeports » La réunion du Conseil européen du 18 octobre dernier - A. Outre-Manche, le gouvernement et les régulateurs se initialement destinée à boucler les négociations sur le montrent pragmatiques et flexibles à l’égard des établissements Brexit - s’est terminée sans résultat concret. Certes, les de l’Union Européenne (« UE ») autorisés à conduire des gouvernements britannique et européens ont a nouveau activités au Royaume-Uni (« UK ») sur la base de passeports. affiché leur volonté d’aboutir à un accord….mais « il faut (i) Le gouvernement britannique2 : plus de temps » souligne le négociateur de l’Union Européenne Michel Barnier sans se prononcer sur le • propose d’introduire un régime dérogatoire déroulement des prochaines étapes, qui demeurent d’« autorisations temporaires » (Temporary Permissions incertaines. Regime « TPR ») permettant aux établissements de crédits européens bénéficiant d’un « passeport-entrant » de Rappelons que l’«accord» qui pourrait être trouvé dans les poursuivre leurs activités pendant la procédure d’agrément mois qui viennent ne sera juridiquement valable qu’après et ce jusqu’à 3 ans après la sortie effective du UK de l’UE – ce obtention de l’approbation du Parlement européen et du traitement de faveur étant également prévu pour les Parlement britannique, à l’issue d’un« ping-pong » établissements de paiements ou de monnaie électronique et parlementaire entre les deux chambres qui pourrait les fonds commercialisés au UK; s’avérer à la fois fastidieux et chaotique, compte tenu de • s’engage à légiférer, si nécessaire, afin de garantir que les l’absence d’une majorité franche en faveur de Theresa obligations contractuelles (e.g. au titre de contrats May. d’assurance ou sur produits dérivés) des établissements européens envers les clients britanniques non couvertes par Dans ce contexte, le risque qu’aucun accord de retrait ni le régime des « autorisations temporaires » puissent aucune période de transition ne soient approuvées avant continuer à être honorées, le 29 mars 2019 ne peut être écarté, avec pour conséquence immédiate (pour les établissements • prévoit l’élaboration d’un régime de « reconnaissance financiers concernés) la perte des « passeports » temporaire » (Temporary Recognition Regime « TRR ») européens permettant l’exercice d’activités bancaires et pour les contreparties centrales (CCP) non britanniques financières de part et d’autre de la Manche. pendant leur demande de reconnaissance leur permettant de continuer à fournir des services de compensation aux établissements britanniques et ce également jusqu’à 3 ans après la sortie effective du UK de l’UE. 1D’autres sujets clés préoccupent les parties prenantes mais ne font pas l’objet de ce focus - comme l’accès aux infrastructures de marchés, l’accès aux financements et facilitées de dépôts de la Banque Centrale européenne, le sort des transferts de données personnelles entre le UK et l’UE, la reconnaissance du choix du tribunal dans les contrats et la mise en application des jugements post-Brexit. 2HM Treasury, Guidance on Banking, insurance and other financial services if there’s no Brexit deal, 23 août 2018 (https://www.gov.uk/government/publications/banking-insurance-and-other-financial-services-if-theres-no-brexit-deal/banking- insurance-and-other-financial-services-if-theres-no-brexit-deal)
(ii) En soutien à cette position favorable aux établissements de l’UE, les régulateurs britanniques ont annoncé que l’utilisation de ces solutions transitoires ne sera pas soumise à une autorisation préalable mais à une simple obligation d’information. Soulignons que la position britannique semble légèrement moins souple s’agissant des entreprises établies au Royaume-Uni 29 Mars 2017 envisageant la création de nouvelles structures en Europe pour pallier à la perte des passeports. Dans un courrier adressé aux Le Royaume-Uni patrons des banques qu'elle surveille3, la Financial Conduct notifie le Conseil Authority (FCA) invite ces dernières à s’assurer que « toute européen de son expansion d’activité vers le continent n’interfèrera pas avec la intention de quitter capacité pour la FCA de superviser la conduite des activités au l’Union Européenne 23 Mars 2018 Royaume-Uni » et pose une série de conditions à respecter dans le (Art. 50) cadre de la mise en place des nouveaux bookings models. Accord sur une période de transition courant B. Sur le continent, la Commission européenne et les jusqu’au 31 décembre régulateurs affichent, sans grande surprise, une attitude moins 2020 conciliante : Octobre 2018 (i) Michel Barnier, le négociateur en chef de l’UE, avait dès le début des négociations prévenu que Bruxelles rejetterait toute Sommet du Conseil demande britannique visant à ce que les banques anglaises et européen – Si un accord les filiales des grands établissements financiers étrangers établis est trouvé, lancement du dans la capitale britannique puissent conserver ce passeport post- processus de ratification Brexit. Ce sujet n’est d’ailleurs pas à l’ordre du jour des négociations – la période de transition envisagée permettant seulement l’octroi d’un sursis quant à la perte de ces autorisations. Décembre 2018 (ii) La Banque centrale européenne (BCE), superviseur de la zone euro, condamne quant à elle toute relocalisation de façade Sommet du Conseil aboutissant à constituer des «coquilles vides»4 sur le territoire de européen et fin du l’UE (« fronting réglementaire »). La BCE s’attend en effet à ce que processus de ratification les produits et transactions européennes réalisées avec des clients le cas échéant de l'UE soient enregistrés dans l'UE, et que les capacités de gestion du risque qui y correspondent y soient également logées. 29 March 2019 (iii) L'Autorité bancaire européenne appelle les banques à accélérer leurs préparatifs en vue du Brexit5, sans compter sur Le Royaume-Uni quitte l’éventualité d’une période de transition. Les régulateurs l’Union Européenne (en européens, en particulier la Bafin en Allemagne et l’Autorité de fonction de l’avancée des Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) en France invitent les négociations concernant la 31 Decembre établissements à anticiper le pire en prenant comme hypothèse de période de transition) 2020 travail le scénario du Brexit dur. Fin de la période de Le risque qu’aucun accord de retrait ni aucune période de transition (si transition ne soient approuvés avant le 29 mars 2019 créer une confirmée) grande incertitude pour les établissements concernés, obligés de se préparer à toutes les éventualités. Le scénario du pire, celui d’un retrait brutal, pose dans son principe aux acteurs impactés des deux côtés de la Manche des questions épineuses du point de vue de la continuité de leurs activités. Continuité des autorisations Le sujet est moins pressant pour les établissements français (ou de l’UE27) présents sur le marché britannique en vertu d’un passeport « sortant », dans la mesure où ces derniers devraient pouvoir bénéficier des solutions transitoires annoncées par le gouvernement et les régulateurs britanniques. Il s’agit au contraire d’un sujet brûlant pour les établissements dont le siège est au UK (y compris pour des groupes financiers non européens), présents sur le marché français et/ou dans le reste de l’UE27 (i.e. via l’établissement d’une succursale ou en libre prestation de services vers la France/l’UE). Ces établissements disposent de plusieurs solutions juridiques et règlementaires pour palier la perte des passeports et accéder ainsi aux marchés et clients européens : 3FCA, « Dear CEO letter » on cross-border booking arrangements, 8 août 2018 (https://www.fca.org.uk/publication/correspondence/dear-ceo-letter-cross-border-booking-arrangements.pdf) 4ECB, Supervisory expectations on booking models, 20 août 2018 (https://www.bankingsupervision.europa.eu/banking/relocating/shared/pdf/ssm.supervisoryexpectationsbookingmodels_201808.en.pdf) 5EBA, Opinion on preparations for the withdrawal of the United Kingdom from the European Union, 25 juin 2018 (https://www.eba.europa.eu/-/eba-publishes-opinion-to-hasten-the-preparations-of-financial-institutions-for-brexit) 6Directive AIFM s’agissant de la gestion de fonds alternatifs; Directive MiFID 2 et Règlement MiFIR s’agissant des services d’investissement.
• Régimes d’équivalence : pour rappel, certains textes Ces mécanismes sont critiqués en raison des questions européens6 prévoient des mécanismes permettant à une entité juridiques et de souveraineté qu’ils soulèvent pour les d’un pays tiers de servir les clients européens, soit via régulateurs européens (difficulté d’exercice du contrôle et l’implantation d’une succursale, soit directement, sous condition maintien des contrats sous la compétence du droit anglais que le régime du pays tiers soit reconnu comme équivalent aux et du juge anglais jugés contraires aux intérêts de l’UE)8. exigences réglementaires et sectorielles européennes. S’il y a tout lieu de croire que le régime juridique britannique ne devrait pas C’est pourquoi l’utilisation de ces mécanismes doit diverger fondamentalement des exigences européennes, cette vraisemblablement rester limitée (en termes de volume, de option n’est pour autant pas entièrement satisfaisante dans la géographie et de catégorie de services visés) et ne saurait mesure où : constituer à elle seule un business model viable dans la durée. o ces mécanismes d’équivalence sont à l’entière discrétion de la Commission européenne et ne pourront être • Relocalisation : les établissements peuvent envisager activés qu’après la prise d’effet du Brexit – ce qui ne des restructurations/relocalisations dans le but d’établir résout pas la question de la perte d’autorisation pendant une entité agréée au sein de l’UE tout en maintenant une la période requise pour obtenir l’équivalence ; partie de leurs activités/fonctions au UK. En effet, les o l’équivalence ne donne accès qu’aux clients européens textes européens prévoient des mécanismes permettant à ayant la qualité de clients professionnels ; des entités ou établissements agréés dans l’UE de déléguer o les procédures et les critères d’obtention de ou d’externaliser certaines de leur fonction dans des pays l’équivalence, éparpillés entre différentes tiers. Cette pratique est toutefois limitée par l’interdiction règlementations sectorielles, contraignent les des entités « boites à lettre » prévue par les textes établissements à naviguer dans de multiples régimes européens et la notion de substance développée par des pour maintenir un niveau optimal d’accès au marché. avis récents de l’ESMA9 et de l’EIOPA10. En pratique, c’est l’option la plus souvent retenue, dans le secteur bancaire • Sollicitation à rebours (reverse sollicitation) et le en particulier. De nombreuses banques impactées ont déjà « chaperoning » : le droit positif européen contient des soumis leur demande d’agrément en début d’année et sont dispositions7 prévoyant qu’une entreprise de pays tiers en cours de discussions avec les régulateurs pour finaliser n’est pas tenue de disposer d’un agrément ou d’un passeport lorsqu’un client établi dans l’UE (professionnel leur dossier d’ici la fin de l’année. ou non) déclenche sur sa seule initiative la fourniture d’un service. La pratique du « fronting règlementaire » (appelée « chaperoning » aux Etats-Unis) a été imaginée par les praticiens pour permettre la sollicitation ou la réalisation 7Par exemple en France, s’agissant des services d’investissement cf. article 42 de la Directive MiFID 2, transposé à l’article L 532-51 du Code monétaire et financier. d’opération via un prestataire disposant de tous les 8Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris, Note de synthèse des rapports Brexit, 6 juillet 2018 (https://publications.banque-france.fr/sites/default/files/rapport_18_f.pdf) agréments nécessaires. Préparation du Brexit: les relocalisations annoncées En mai 2018, de nombreux établissements avaient déjà annoncé le transfert d’une partie de leurs activités et de leur personnel du Royaume-Uni vers l’UE. Alors que certaines banques ont établi un hub central pour leurs activités européennes post-Brexit, d’autres ont choisi de Francfort s’installer dans plusieurs villes européennes. A quelques mois du Brexit, les établissements de crédit doivent mettre en œuvre leur plan Brexit, en particulier s’il inclut la relocalisation d’activités et la de mande d’un agrément. Dublin Paris Benelux
En France, dans le secteur bancaire, la solution la plus fréquemment observée demeure celle de la Considérations clés dans l’élaboration du plan Brexit filialisation des succursales existantes à Paris, avec nécessité d’obtenir, pour ces nouvelles filiales, une licence bancaire de plein exercice auprès de la BCE (via l’ACPR - et l’AMF pour les banques fournissant également des services d’investissement) et de se doter en capital et en ressources nécessaires au déploiement de leurs activités en propre, en s’assurant par là-même de répondre aux exigences des régulateurs en matière de substance. L’incertitude quant à la période de transition contraint ces établissements à d’ores et déjà entamer la phase de mise en œuvre de leur projet Brexit qui implique notamment le lancement de plans de recrutement, la revue des politiques et procédures existantes et la cartographie des étapes nécessaires aux transferts des contrats, actifs et passifs EU à la nouvelle filiale. Continuité des contrats Avec la perte des passeports, les établissements établis au UK A titre d’exemple, pour les « broker-dealers » les plus perdent les autorisations requises non seulement pour conclure importants, l’accord d’un très grand nombre de contreparties de nouveaux contrats avec la clientèle européenne, mais serait requis, celles-ci pouvant, elles-mêmes, avoir besoin de également pour honorer certaines obligations nées de contrats l’accord d’autres parties concernées11. conclus avant le Brexit. Certaines opérations bancaires ou de marché (paiements de coupons, redéfinition de taux…) pourront La lourdeur opérationnelle de ces transferts a d’ailleurs conduit continuer à être effectuées (sans qu’il soit nécessaire d’obtenir les parties prenantes à recommander à l’Europe de légiférer un agrément en Europe) dans la mesure où elles ne constituent pour simplifier ces processus (en particulier pour les pas des services règlementés. En revanche d’autres opérations transactions de marché en cours)12. du cycle de vie des contrats impliquant par exemple une Notons que les opérateurs établis dans l’UE et exerçant au UK nouvelle mise à disposition de fonds, un rééchelonnement des sous forme de succursale ne devraient pas être confrontés aux échéances de remboursement ou l’achat/vente d’un instrument enjeux du transfert car les contrats conclus par la succursale financier pourraient ne plus être autorisées post-Brexit car elles seront réputés avoir été conclus avec l’entité du siège européen donneraient lieu (en fonction du périmètre du monopole (qui forme avec cette succursale une seule et même personne bancaire) à la fourniture d’un service règlementé. Par morale). conséquent les établissements doivent identifier les contrats concernés et prévoir de les transférer (soit à un tiers soit - le plus L’issue des négociations sur la future relation entre l’UE et le UK souvent - à une entité du groupe existante ou nouvellement ne changera sans doute pas fondamentalement les projets des créée dans l’UE). établissements, qui, pour la plupart, ont d’ores et déjà annoncé l’identité de leur hub en Europe continentale. L’attente est forte Rappelons qu’il n’existe pas de régime européen unifié en en revanche s’agissant du maintien de la période de transition matière de cession de contrats. En pratique, les établissements annoncée, qui leur permettrait de reporter certaines mesures de concernés cherchent par conséquent à identifier les mécanismes mise en œuvre jugées complexes et coûteuses. Il ne reste plus de transfert (cession de contrats, novation…) les moins lourds à qu’à espérer que la prochaine étape des négociations apportera mettre en place au plan opérationnel, les moins risqués en le confort attendu sur ce point… termes de déperdition de clientèle, et les moins couteux au plan 9ESMA, Opinion to support supervisory convergence in the area of investment management in the context of the fiscal. A minima, ces transferts doivent s’accompagner d’une United Kingdom withdrawing from the European Union, 13 juillet 2017 (https://www.esma.europa.eu/document/opinion-support-supervisory-convergence-in-area-investment- information des clients/contreparties. management-in-context-united) 10EIOPA, Opinion on supervisory convergence in light of the United Kingdom withdrawing from the European Union, 11 juillet 2017 (https://eiopa.europa.eu/Publications/Opinions/EIOPA-BOS-17-141%20Opinion_Supervisory_Convergence.pdf) 11Selon l’Association européenne des marchés financiers, « Environ un quart des contrats de produits dérivés non compensés sur le marché de gré à gré, conclus par des parties au UK et dans l’UE pourraient être affectés », janvier 2018 (https://www.afme.eu/globalassets/downloads/publications/afme-brx-brexit-key-cliff-edge-risks-french.pdf) 12Association européenne des marchés financiers, Haut Comité Juridique de la Place financière de Paris A la rédaction Manon Carissimo Nicolas Mordaunt-Crook Directeur, Avocat Associé, Avocat manon.carissimo@pwcavocats.com nicolas.mordaunt-crook@pwcavocats.com © 2018 PwC Société d’Avocats. 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