Bruxelles en mouvements - La Rue 30 ans sur la route de l'éducation permanente - La Rue asbl

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Bruxelles
                                                                       Périodique édité par
                                                            Inter-Environnement Bruxelles
                                                         Rue du Midi, 165, 1000 Bruxelles
                                                                 N°201 – 14 février 2008

en mouvements
La Rue 30 ans
     sur la route
    de l’éducation
     permanente

       BRUXELLES EN MOUVEMENTS N°201 • 14 FÉVRIER 2008
sommaire                                                                                                          2

                                                Bruxelles en mouvements
                                                  Inter-Environnement Bruxelles publie toutes les 3 semaines Bruxel-
                                                les en mouvements, un journal pour tous les Bruxellois concernés
                                                par leur cadre de vie. Il vous informe sur les actions des associations et
                                                des comités de quartier, analyse l’actualité et explique les projets qui
                                                transforment la ville. (Abonnement annuel — 16 numéros : 24 €)

                                                DÉCOUVREZ AUSSI :

                                                La Lettre électronique
                                                d’IEB
                                                  Notre média électronique, diffusé gra-

En couverture
                                                tuitement, La Lettre d’IEB cerne de
                                                façon directe et pratique les enjeux de
La Ranfiesta en 2007                            la semaine à venir. Elle vous propose les
pour fêter le renouveau                         enquêtes publiques, les actions et les
du quartier et de la rue                        événements où vous pouvez agir pour
Ransfort, berceau de                            défendre votre ville. (Inscription gra-
l’association La Rue. Photo                     tuite)
de Han Soete dans la
brochure « La Rue, 30 ans
d’actions ».                                    L’Inventaire hebdomadaire
Infos : La Rue, rue Ransfort,                   des enquêtes publiques
61, à 1080 Bruxelles.                             IEB offre aussi aux abonnés à Bruxelles
Tél. : 02/410 33 03.                            en mouvements : L’Inventaire hebdoma-
Courriel : la-rue@skynet.be                     daire des enquêtes publiques. Grâce à
                                                cet outil, vous serez au courant chaque
                                                semaine des avis d’enquêtes publiques
                                                sur les projets en urbanisme et en en-
                                                vironnement dans les 19 communes de
Dans ce numéro                                  la région. (Inscription gratuite pour les
                                                lecteurs de BeM)
LIVRES
P.9    Ville libérale, ville durable ?
       Saisir le temps de la mobilité
                                                Le site Internet
ENVIRONNEMENT
                                                www.ieb.be
P.10  Un nouvel outil pour une maison
      Eco... logique !                             Le site Internet des principales asso-
P.11  La sensibilisation au compostage          ciations de défense de l’environnement
      via les maîtres-composteurs               urbain. Une fenêtre sur les activités
                                                d’IEB et de ses membres face aux enjeux
MOBILITÉ
                                                qui touchent Bruxelles. Le site vous offre
P.12   Faire sauter le point noir du
                                                un aperçu des actions, publications et
       « boulet Louise »
                                                liens utiles pour suivre les grands dossiers
P.13   Fête du pain, pas des carburants !
                                                d’actualité et participer à l’amélioration
URBANISME                                       de la ville avec les habitants.
P.14  Galeries Louise : ProWinko devra
      plancher sur un nouveau projet
P.15  Châssis : des cadres légaux à
                                                Pour tous renseignements
      respecter
                                                Inter-Environnement Bruxelles, rue
      Neerpede : des projets de
                                                du Midi, 165, 1000 Bruxelles. Tél. :
      lotissements prématurés
                                                02/223 01 01. Courriel : info@ieb.be
ÉDITORIAL
P.16   Le retour des grands secrets...

                                     BRUXELLES EN MOUVEMENTS N°201 • 14 FÉVRIER 2008
dossier                                                                                                                                    3

La Rue : 30 ans sur la route                                                                                                       en bref...
de l’éducation permanente                                                                                                     A l’occasion de ses
                                                                                                                              30 ans d’existence,
                                                                                                                              l’association La Rue
                                                                                                                              a fait le point sur
                                                                                                                              ses expériences
                                                                                                                              d’éducation à la
                                                                                                                              citoyenneté.
                                                                                                                              Toujours infatigable,
                                                                                                                              cette organisation
                                                                                                                              envisage désormais
                                                                                                                              l’avenir.
                                                                                                                              En octobre dernier,
                                                                                                                              des fêtes et des
                                                                                                                              débats ont marqué cet
                                                                                                                              anniversaire.
                                                                                                                              Ce fut aussi l’occasion
                                                                                                                              d’inviter le monde
                                                                                                                              associatif à réfléchir

                                                                                                   JEAN-CLAUDE GELTEMEYER
                                                                                                                              sur la pertinence
                                                                                                                              de l’éducation
                                                                                                                              permanente.

Festival de fanfares organisé par La Rue en 1987.

1. LUTTES URBAINES
   ET ÉDUCATION PERMANENTE
Une action volontariste                               A ce titre, de nombreux comités d’ha-

Q
          ue des habitants se rencontrent           bitants reconnaîtront des méthodes, des
          et décident de créer un comité            principes et des objectifs qu’ils partagent.
          de quartier, c’est courant. C’est         Mais dans le cadre urbain qui nous occupe,
même une spécialité bruxelloise. Ne disait-         les leçons des 30 ans de La Rue trouve-
on pas de Bruxelles qu’elle est la ville aux        ront certainement beaucoup de résonance
100 comités de quartier ?                           parmi ces comités qui défendent leur quar-                              La fondation
  Plus rares sont les comités qui se sont           tier et leur ville, soucieux de démocratie,                             Notre association était
inscrits dans la durée. L’association La Rue        de solidarité et de justice.                                            composée au départ d’une
est de celles qui ont dépassé la trentaine.           Travailler dans les quartiers populai-                                dizaine d’habitants, de
Une longévité pleine d’intérêt et d’ensei-          res n’est un gage ni de facilité, ni de                                 quelques travailleurs
gnements sur les organisations militantes           réussite. C’est pourquoi la genèse de                                   sociaux, d’enseignants,
parties d’une utopie et pourtant bel et bien        l’association est intéressante. Le Vieux                                d’employés, avec l’objectif
ancrées dans la réalité.                            Molenbeek était marqué par le déclin in-                                de mettre au service d’une
  L’expérience de ce comité installé au             dustriel, la pauvreté, la crise du logement,                            cause qu’on estimait
cœur de l’ancienne zone industrielle de             la spéculation immobilière, la saignée du                               prioritaire et qui était
Molenbeek rappelle que, face aux muta-              métro... Chez quelques citoyens, germe                                  un projet de solidarité et
tions que traverse notre société, l’action          en 1976, l’idée de créer dans ces quartiers                             d’émancipation, avec une
volontaire porte encore ses fruits.                 un lieu de rassemblement, de prise de                                   volonté que les gens se
  Partie de l’action locale, l’association          parole et d’expression des besoins de la                                prennent en charge, créent
La Rue a poursuivi des objectifs basés sur          population.                                                             eux-mêmes des initiatives
la solidarité et l’émancipation. Les idées            Pour réaliser ces objectifs, La Rue veut                              et puissent avancer comme
qui ont animé ce mouvement peuvent être             se mettre à la disposition des habitants                                ça. Aujourd’hui nous n’avons
appliquées dans bien d’autres endroits que          tout en prenant l’initiative de démarches                               pas changé d’objectif.
le champ d’action de La Rue.                        associatives.                                                           (Guido Vanderhulst)

                                         BRUXELLES EN MOUVEMENTS N°201 • 14 FÉVRIER 2008
dossier                                                                                                         4

                                  De l’éducation populaire à                      la participation critique et la transforma-
  Le nom de La Rue                l’éducation permanente                          tion sociale. « Dès ses premiers pas sur les
  C’est Edmond qui a                Le mot associatif est lâché et avec lui       pavés molenbeekois, La Rue a inscrit son
  inventé le nom. LA RUE          une orientation précise est choisie : celle     action dans une démarche qui se voulait
  est à la fois le lieu de la     de l’éducation populaire. Quoi de plus          d’éveil à la citoyenneté par l’éducation
  revendication et de la          évident vu le milieu concerné ? C’est pro-      permanente. Les objectifs sont clairement
  colère populaire, mais          pre à l’époque, comme le constate Guido         de soutenir l’autonomie et la solidarité des
  aussi le lieu de la fête        Vanderhulst, « Des citoyens se sont réunis      personnes par tous les moyens utiles... ou
  et de la joie, toujours         pour initier une démarche que l’on voulait      demandés. »
  un lieu d’expression            inspirée par l’éducation populaire et d’un
  collective.                     courant appelé, fin des années 60, l’auto-      De la résistance innovante
  (La Rue, 30 ans                 gestion. Certains intellectuels se sont mis        La Rue se trouvait à l’aise dans cette dé-
  d’actions, p. 3)                à être solidaires de la classe ouvrière et      marche. Ses initiatives commencèrent dans
                                  des milieux populaires défavorisés. Ils en      le champ socio-culturel par des actions
                                  ont fait l’essentiel de leur engagement.        de résistance innovante et d’invention
                                  C’est cette philosophie qui a présidé à la      démocratique pour attirer l’attention de
                                  mise sur pied de l’association ».               l’opinion publique et faire entendre les
                                    Leurs initiatives s’inscrivent, en cohésion   revendications par le pouvoir. Ce fut le cas
                                                                                                  avec des fêtes sous chapi-
                  Action contre                                                                   teaux, l’ouverture de lieux
                    les déchets
                                                                                                  de rencontre et de convi-
                       en 1979.
                                                                                                  vialité comme par exemple
                                                                                                  le Café de La Rue. Durant
                                                                                                  les premières années, ce
                                                                                                  fut un lieu de débats et de
                                                                                                  mobilisation, pour devenir
                                                                                                  l’un des 12 cafés-théâtres
                                                                                                  que compte Bruxelles, où
                                                                                                  les repas-spectacles per-
                                                                                                  mettent la rencontre de
                                                                                                  personnes de différents
                                                                                                  quartiers et de cultures
                                                                                                  différentes.
                                                                                              LA RUE

                                                                                                    Au fil des ans, les in-
                                                                                                  terventions de La Rue ont
But de l’éducation                avec le contexte socio-culturel du quartier,    transformé le Vieux Molenbeek. Par son
permanente                        dans les mouvements sociaux qui dans les        rôle de coordination, elle est devenue la
Dans une logique                  années 70 visent à donner aux publics popu-     plaque tournante de multiples actions et
d’inventivité démocratique,       laires des moyens de sensibilisation et d’es-   projets. Les rencontres du Vieux Molen-
l’éducation permanente se         prit critique. L’éducation populaire a ses      beek ont rassemblé les acteurs sociaux et
doit de s’interroger sur le       origines dans l’éducation ouvrière. Cette       culturels sur les enjeux du logement, de
droit des gens à se construire    initiative était prise par la classe ouvrière   l’immigration, sur le métro, les plaines de
une vision du monde, à            elle-même « pour les travailleurs par les       jeux,... Le Collectif Fonderie a rassemblé
l’exprimer, à avoir un projet     travailleurs ». Après le décret pris par la     habitants, travailleurs et de multiples or-
social et à le mettre en          Communauté française en 1976, on parle          ganisations concernées par la réparation du
oeuvre, à l’expérimenter et       d’éducation permanente. La Communauté           quartier autour de l’ancienne Compagnie
finalement avoir un projet        française donne aux organisations recon-        des Bronzes. Il en sortira : la réaffecta-
de changement de la vie et        nues, des moyens de poursuivre un travail       tion de la manufacture, la construction
du monde qui sont toujours        de sensibilisation et de formation auprès du    de l’auberge de jeunesse, le création du
à inventer. C’est le droit à      public du milieu populaire. Cette action de     parc de la Fonderie, le Musée de l’Histoire
l’utopie fondatrice.              promotion socio-culturelle est collective.      sociale et industrielle de la Région de
(J-P. Nossent, Education          Elle commence par l’analyse de leurs con-       Bruxelles, l’Espace Pierron, etc.
permanente et inventivité         ditions de vie et des facteurs déterminant         A l’occasion de son anniversaire, La Rue
démocratique, in Des              particulièrement leur situation.                a publié une brochure où l’on trouvera un
tambours sur l’oreille d’un         La Rue sera reconnue comme organisme          inventaire impressionnant des prises de
sourd, Plate-forme Bigoudis,      d’éducation permanente et pour cause, elle      participation de l’association dans la vie
2006, p. 190.)                    compte dans ses objectifs : la citoyenneté,     du quartier.

                                        BRUXELLES EN MOUVEMENTS N°201 • 14 FÉVRIER 2008
dossier                                                                                                                                   5

                                                                                                                         Ont participé
                                                                                                                         au débat
                                                                                                                         • Jacques Hanon :
                                                                                                                         ancien administrateur
                                                                                                                         de La Rue.
                                                                                                                         • Irma Bozzo :
                                                                                                                         animatrice en travail
                                                                                                                         social de quartiers à
                                                                                                                         Schaerbeek.
                                                                                                                         • Camille Schmitz :
                                                                                                                         fondateur d’une
                                                                                                                         plateforme d’associations
                                                                                                                         altermondialistes à Liège.
                                                                                                                         • Marc Trullemans :
                                                                                                                         coordinateur de l’OOTB
                                                                                                                         (fédération d’insertion
                                                                                                                         socio-professionnelle de

                                                                                                    CLAIRE VERHAEREN
                                                                                                                         la Région de Bruxelles-
                                                                                                                         Capitale), ancien
                                                                                                                         secrétaire général
                                                                                                                         du BRAL.
Intervenants au débat du 19 octobre 2007. De gauche à droite : René Schoonbrodt, Jacques Hanon et                        • René Schoonbrodt :
Irma Bozzo.                                                                                                              docteur en sociologie,
                                                                                                                         ancien président de
                                                                                                                         l’ARAU et d’Inter-
                                                                                                                         Environnement Bruxelles.
2. UN DÉBAT POUR ENVISAGER                                                                                               • Georges Liénard :
                                                                                                                         docteur en sociologie,
   L’AVENIR                                                                                                              professeur à l’UCL-FOPES.
                                                                                                                         • Moritz Lennert :

L
                                                                                                                         administrateur de La Rue.
       a Rue ne s’est pas contentée d’un           de l’association se base sur un engagement                            • Guido Vanderhulst :
       bilan pour célébrer ses 30 ans. Le          pour une cause prioritaire : un projet de                             ancien président de l’asbl
       public était invité à participer à la       solidarité et d’émancipation. » Cela repose                           La Rue. Il a transmis,
                                                                                                                         ce 16 janvier 2008, le
fête avec le théâtre-action des habitants,         sur des convictions fortes de la part de                              flambeau à la nouvelle
l’exposition, des concerts (Mousta Largo).         militants et de bénévoles qui veulent ré-                             présidente Madame
Et pour réfléchir au futur, La Rue a invité        pondre à des besoins et des demandes de la                            Anne Six.
quelques figures amies du monde associatif         population et souhaitent des changements                              • Tom Goldschmidt :
                                                                                                                         journaliste à la RTBF.
pour évaluer la pertinence de son action.          pour une société plus égalitaire. Ce qui
Les problèmes soulevés ont amené des ré-           n’est possible qu’à condition que les per-
ponses qui seront utiles au monde associatif       sonnes deviennent des citoyens conscients,
en général.                                        responsables et acteurs de leur vie.

                                                   • Une volonté de démocratie. Autre point
LES MOTEURS DE LA RUE                              fort, une organisation interne démocrati-
                                                   que décrite par Guido Vanderhulst en ces
   Pour durer                                      termes : « Aujourd’hui les militants de La
  Au débat du 19 octobre, véritable mo-            Rue ce sont 15 salariés mais aussi 40 per-
ment de retrouvailles, Tom Goldschmidt             sonnes de l’Assemblée générale dont la
rappelait que ce « boulevard du temps,             majorité sont des habitants du quartier.                            Les statuts
qui de la fondation de La Rue nous relie à         Aujourd’hui, on propose et organise des                             « L’objet de l’association
aujourd’hui, est jonché des cadavres des           emplois en fonction des objectifs définis                           est d’encourager et de
associations qui n’ont pas tenu toutes les         par l’association. Nous avons été chercher                          soutenir, dans une démarche
promesses que leurs fondateurs voulaient           les moyens pour suivre nos objectifs et pas                         fondamentalement
voir dans leurs yeux ». Sous ces termes ly-        ceux qu’on nous imposait. »                                         associative, tout ce qui
riques se pose la question de la durée. La           La Rue insiste fortement sur la place                             peut favoriser la prise de
Rue est mue par des moteurs puissants pour         des bénévoles qui sont présents dans les                            parole et de conscience,
résister ainsi aux injures du temps.               différentes activités et dans le Conseil                            l’expression, l’organisation
                                                   d’Administration et l’Assemblée générale.                           solidaire et l’exercice
• Des convictions fortes. Comme le dit             Cette présence est le garant de la trans-                           des droits et devoirs des
Jacques Hanon, administrateur et militant          parence et des possibilités d’une véritable                         personnes, habitants,
de la première heure : « La mise sur pied          évaluation.                                                         usagers et travailleurs. »

                                        BRUXELLES EN MOUVEMENTS N°201 • 14 FÉVRIER 2008
dossier                                                                                                            6

Transversalité                    • Considérer l’humain dans sa globalité.         et c’est aussi un acquis d’une action de
Pour atteindre ses objectifs      En évoluant, La Rue a traité un nombre           type transversal : c’est le fait d’avoir des
d’éducation « populaire »,        croissant de domaines qui touchent à la          points d’appui pour faire face à des creux
l’association agit dans une       vie des gens. La personne forme un tout.         de vagues dans un domaine en continuant
démarche transversale,            La Rue prend donc en compte la globalité         à s’appuyer sur d’autres domaines. Et
au travers de différents          sociale des problèmes rencontrés. Pour           à partir de là, pouvoir relancer le type
axes : l’urbanisme, la fête,      Jacques Hanon, « L’action doit être an-          d’action que l’on mène ».
la formation (programme           crée dans la réalité des gens. Si on essaie
d’alphabétisation, le groupe      d’être attentif à l’expression des gens               Pour défendre ses enjeux
ados), les animations et          (les concernés, les habitants, le public             La recherche de valeurs démocratiques
ateliers créatifs, les ateliers   cible) qui s’expriment dans la totalité ou         est l’un des objectifs principaux de La
scientifiques, les jardins        la globalité de leur situation, on entre           Rue. Elle se traduit dans les rapports entre
urbains, l’école des devoirs      dans ce qui est transversal. Cela privilégie       l’association et le public concerné. 15 ans
et le rattrapage scolaire, le     l’action intégrée qui répond à la globalité        d’expérience à l’École des devoirs font dire
logement, la cohésion sociale     des problèmes ».                                   à Naïma Otman que « Toutes les initiatives
dans les logements sociaux,         André Lumpukiva, travailleur à La Rue,           de La Rue ont été prises à partir de de-
le conseil en rénovation.         relève que « Les demandes expriment sou-           mandes et d’attentes des habitants. Par
                                  vent une addition de besoins et de diffi-          manque de moyens, nous sommes obligés
                                  cultés. Le saucissonnage des problèmes             de refuser des inscriptions pour les dif-
                                  et des réponses mène à la multiplication           férents cours. Il nous manque également
                                  des services sans toujours les résoudre car        du personnel et des locaux pour pouvoir
                                  souvent un problème en cache un autre ».           encadrer ces personnes. Mais les gens ne
                                                                                                     comprennent pas les rai-
                                                                                                     sons de ce refus. On essaie
                                                                                                     de répondre au maximum
                                                                                                     aux attentes et aux priori-
                                                                                                     tés mais on est limité ».
                                                                                                       Pour Irma Bozzo, le tra-
                                                                                                     vail est assez simple quand
                                                                                                     les habitants demandent
                                                                                                     eux-mêmes à l’association
                                                                                                     d’aider à atteindre leur
                                                                                                     objectif. « C’est plus com-
                                                                                                     pliqué et il y a des tensions
                                                                                                     quand l’objectif de l’asso-
                                                                                                     ciation n’est pas le même
                                                                                                     que celui des personnes qui
                                                                                                     s’adressent à l’association.
                                                                                                CLAIRE VERHAEREN

                                                                                                     Dans ce cas-là, l’association
                                                                                                     doit respecter ses valeurs.
                                                                                                     Je constate qu’il y a des
Au débat du 19 octobre. De gauche à droite : Tom Goldschmidt, Mark Trullemans, Camille Schmitz,
                                                                                                     travailleurs sociaux, des
Georges Liénard et Guido Vanderhulst.                                                                associations, qui font des
                                                                                                     choses qui ne correspondent
                                                                                                     pas à ce qu’ils ont vraiment
                                  Par exemple, derrière un problème de envie de faire pour être en phase avec les
                                  santé se trouve un problème de logement gens, parce qu’il faut répondre aux besoins
                                  auquel peuvent être liés des problèmes de des gens. L’association n’est pas neutre,
                                  scolarité. C’est pourquoi La Rue a veillé elle se crée toujours pour défendre les
                                  à tourner le dos au cloisonnement des intérêts des uns ou des autres, elle a donc
                                  actions et des services. Cette polyvalence un objet social à remplir. Il y a un moment
                                  explique aussi la capacité de toujours res- où il faut dire que ce n’est pas possible en
                                  ter dans l’action. Comme l’a noté Geor- fonction des options fondamentales dé-
                                  ges Liénard, « Il faut savoir gérer parfois fendues et qu’on ne peut pas défendre les
                                  l’incertitude et les creux dans l’action. A intérêts de personnes qui sont socialement
                                  ces moments-là, il faut pouvoir continuer dans des situations différentes même si
                                  à durer et retrouver des points de levier elles habitent la même rue. »

                                        BRUXELLES EN MOUVEMENTS N°201 • 14 FÉVRIER 2008
dossier                                                                                                                                                      7

  Les priorités définies (démocratie, solida-                           Pour s’engager dans le futur                     L’engagement collectif
rité, justice), le chemin de la participation                          Comme le note Tom Goldschmidt : « Il y a          Comment favoriser
passe par la prise de parole. L’association                          30 ans, les actions comme celle de La Rue           l’implication des gens ?
ne veut pas prendre la parole à la place des                         étaient fondées sur la conviction que l’ac-         D’abord écouter et entendre
gens ni même les représenter tous et ne                              tion collective était porteuse de beaucoup          l’expression des besoins. Le
peut répondre à toutes les demandes. Mais                            de fruits. Aujourd’hui, l’œil n’est plus fixé       rôle des travailleurs sociaux
son rôle est de veiller à ce que la légitimité                       sur l’horizon d’un avenir meilleur mais             est de soutenir les habitants
de leur parole, de leur action soit reconnue                         plutôt sur son écran de PC, de playstation,         pour expliciter la demande.
et que leurs questions soient entendues par                          etc. Le rassemblement de personnes est              Essayer de comprendre.
les interlocuteurs et qu’elles soient suivies                        plus difficile que par le passé. Comment            et construire la confiance
de réponses concrètes. Ainsi, La Rue a un                            faire monter la relève pour demain ? »              petit à petit. Rassembler et
rôle d’instigateur à la démocratie, d’ap-                                                                                débroussailler avec le groupe
prentissage au débat. Une œuvre qui est                              NOUVELLES UTOPIES                                   les traits d’union, les enjeux
plus compliquée aujourd’hui qu’il y a 30 ans                           La Rue a commencé avec des utopistes              communs ou... les différents
car on travaille avec des populations qui                            dont les idées ont fini par s’intégrer dans         chemins à prendre.
n’ont pas la même facilité de s’exprimer,                            la réalité. Pour Guido Vanderhulst, qui a           Laisser de la place à chacun,
de s’organiser, ni les mêmes traditions.                             vu les projets de militants partir de rien et       avec ses ressources et son
                                                                     rassembler de plus en plus de gens, « Il n’y        rôle, et à la dynamique.
                                                                     a pas de différence entre les militants du          Que les professionnels ne
                                                                     début et les professionnels de l’associa-           prennent pas trop de place
                                                                     tion ». L’explication repose sans doute dans        sous prétexte de savoir
                                                                     les propos de Camille Schmitz qui dans sa           comment faire et vouloir
                                                                     vie a déjà participé à de nombreux projets          aller trop vite, au contraire
                                                                     utopistes dont le réseau altermondialiste           de laisser l’occasion de
                                                                     D’Autres Mondes à Liège. « Les gens qui             créer, apprivoiser l’objet
                                                                     font ça comme des fonctionnaires, leur              commun.
                                                                     aventure ne les enchante pas, tandis qu’il          (Claire Verhaeren, La Rue)

                                                                                                                                          LIEVEN SOETE — WWW.BRUXEL.ORG
                                                  CHRISTIAN LEDOCQ

Animation au jardin urbain.                                          Le spectacle « Le Chameau », création d’ateliers-théâtre de La Rue
                                                                     avec des habitants de Molenbeek, sur le thème de la réalisation
                                                                     des rêves.

  René Schoonbrodt souligne que prendre                              faut pouvoir dire que nous allons créer
la parole c’est se politiser. « On n’en sortira                      des lieux de réenchantement du monde. »
qu’en politisant, en apprenant à parler, à                           Comme pour construire un réseau, « le
intervenir dans le débat, en faisant con-                            projet d’une association c’est une aven-
naître les institutions, la justice. C’est                           ture basée sur des rencontres qui forment
l’essentiel du rôle associatif à condition                           les premières mailles. Il y a souvent des
qu’il soit libre. C’est-à-dire de développer                         détours. On ne va pas directement au but
par rapport à la société une parole criti-                           en disant qu’on sait où on va. On part à
que, une parole qui se veut conquérante                              l’aventure comme un exportateur décou-
de justice, qui réclame le droit de vivre                            vre un écosystème. Ça met du tonus dans
décemment, de parler d’être entendu dans                             la démarche de celui qui doit trouver les
de bonnes conditions. »                                              chemins d’implication ».

                                        BRUXELLES EN MOUVEMENTS N°201 • 14 FÉVRIER 2008
dossier                                                                                                                         8

                                                                                                   QUESTIONS POUR DEMAIN
                                                                                                     Le travail de La Rue se place dans une
                                                                                                   approche transversale. Etant donné que
                                                                                                   les problèmes des gens ne sont pas issus
                                                                                                   du quartier, La Rue doit-elle changer
                                                                                                   d’échelle ? Soit elle devient un service
                                                                                                   public avec une certaine exhaustivité...
                                                                                                   soit elle doit garder un rôle plus militant
                                                                                                   mais qui ne peut répondre aux besoins de
                                                                                                   l’ensemble de la population (par exemple,
                                                                                                   l’École de devoirs) ?
                                                                                                     Dans la définition des priorités, comment
                                                                                                   éviter que les actions ne produisent des

                                                                                CHRISTIAN LEDOCQ
                                                                                                   effets pervers ? Par exemple à qui profite
                                                                                                   la rénovation du quartier, comment évi-
                                                                                                   ter d’exclure une partie de la population
      La défense du logement,
                                                                                                   puisqu’il n’y a aucun contrôle ni du foncier
une activité majeure à La Rue.     L’avenir de La Rue reste à écrire. Les                          ni des loyers ? Qui sont les gens qu’on in-
                                 acquis sont tangibles, les habitants se sont                      terroge et qui s’expriment ? Quelle est la
                                 mobilisés, les autorités publiques les en-                        responsabilité de l’association par rapport
                                 tendent, la demande de culture augmente.                          à l’ensemble des habitants et donc, sa
                                 Le travail de militance a arraché le droit                        responsabilité de protéger aussi la part de
                                 d’expression mais les problèmes changent                          la population qui est silencieuse ?
                                 et la vigilance reste de mise pour que les                          Comment une association qui s’insti-
                                 solutions d’hier bénéficient aux habitants                        tutionnalise doit-elle se positionner par
                                 d’aujourd’hui. Ainsi, dans ses conclusions                        rapport à la recherche de subsides car elle
A lire: « La Rue, 30 ans
                                 Moritz Lennert, administrateur de l’asso-                         a la responsabilité de rémunérer des tra-
d’actions » (40 pages).          ciation, a osé poser les questions déran-                         vailleurs ? Comment garder le côté militant
Infos : La Rue, 02/410 33 03.    geantes qui suivent.                                              et son indépendance ?
                                                                                                     Vers l’extérieur, La Rue témoigne-t-elle
                                                                                                   assez de son travail et de l’évolution gé-
  Faut-il être utopiste ?                                                                          nérale du quartier ? Quelle part de moyens
                                                                                                   consacrer au travail de témoignage par

  L
          a Rue ne s’occupe pas de tout, même si elle le voudrait comme                            rapport au travail quotidien ?
          elle a tenté de le faire avec un atelier de formation par le
          travail. Faut-il être utopiste ou idéaliste, a demandé Émile                             INDÉPENDANCE CRÉATIVE
  Van Kerckhove de La Rue, à vouloir aussi porter une revendication                                  Ces questions révèlent les balises entre
  qui touche directement les habitants : l’emploi et la formation ?                                lesquelles cheminera La Rue dans les pro-
    La réponse de Mark Trullemans rappelle les conditions pour traiter                             chaines années. L’un des principes en point
  ce problème. La réponse cite aussi les atouts que possède La Rue en                              de mire est l’indépendance de l’association.
  général grâce à sa connaissance du tissu du quartier.                                            Comme l’a évoqué Carine Barthélemy : « La
  • Témoigner. Les associations peuvent organiser le témoignage et                                 Rue a démarré de rien et il a fallu se battre
  faire entendre la voix des quartiers populaires pour qu’elle soit en-                            pour obtenir une certaine reconnaissance
  tendue dans les milieux qui s’occupent de l’emploi où on n’entend                                des pouvoirs publics au niveau local et
  plus comment se vit dans les quartiers la situation de sans-emploi.                              régional. Mais on ne peut pas se reposer
  • Éduquer et former. Tisser un lien entre les quartiers et l’école et                            sur ses acquis. Par exemple, par rapport
  les enseignants est aussi crucial. Former par le travail c’est aussi de                          au politique, l’asbl ne comporte pas de
  l’éducation permanente.                                                                          mandataires politiques dans son conseil
  • Organiser. Les techniques de proximité pour organiser la demande                               d’administration. Cette indépendance est
  peuvent servir pour les projets d’économie sociale pour les popula-                              un gage de cohérence par rapport à nos
  tions locales.                                                                                   objectifs et aussi en termes de gestion et
  • Structurer. Le rôle de porte-parole et de trait d’union est impor-                             de fonctionnement.»
  tant par la structuration des employeurs locaux qui reflètent la vie                               Avec son désir d’autonomie, propre aux
  quotidienne et le développement économique du quartier                                           associations, La Rue va poursuivre son
  • Tisser des liens aussi avec d’autres acteurs de proximité et des                               objectif de créer de la liberté pour les
  associations dans d’autres quartiers similaires.                                                 autres.
                                                                                                                               Almos Mihaly

                                       BRUXELLES EN MOUVEMENTS N°201 • 14 FÉVRIER 2008
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