CAUSES COMMUNES - Inégalités - PS Ville de Genève

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CAUSES
COMMUNES
BIMESTRIEL DES SOCIALISTES
VILLE DE GENÈVE

                             Inégalités
                             JUIN - JUILLET 2017     44
2                                                                     ÉDITORIAL
                                                                      ÉDITORIAL

LES INÉGALITÉS :
CHIENDENT DE LA
DÉMOCRATIE
COMITÉ DE RÉDACTION CAUSES COMMUNES

Elles sont partout, elles sont                          Les inégalités sont polymorphes. Elles tra-            Ecris-nous, rejoins le comité de rédaction
                                                        versent les classes sociales. Elles découlent          du journal ! D’autres numéros suivront.
invisibles, font partie d’un                            du genre, des revenus, de l’habitat, de
héritage, ou découlent des                              l’éducation, de l’origine, de l’âge, de la santé       Assez des inégalités !
                                                        etc… Elles sont aussi inégalement réparties
nouvelles technologies. Elles
                                                        et assumées. Certains courants politiques              Dans ce numéro et dans la ligne éditoriale
collent à notre peau ou à                               font porter aux minorités le poids des iné-            du Causes Communes, nous voulions réflé-
notre genre. Parfois elles                              galités, rendent responsable des inégalités            chir aux enjeux actuels liés aux inégalités.
                                                        ceux qui les subissent le plus fortement.              La finalité étant de nous outiller en vue
s’immiscent, parfois elles                              Aux inégalités s’ajoute alors l’injustice.             d’actions au Conseil municipal, dans la
brandissent le poing. Elles                             Face à cela notre résolution d’agir et notre           rue, pour des actions coups de poing, des
                                                        indignation grandit. Nous vivons en Suisse             articles dans la presse locale.
s’imposent par habitude ou
                                                        dans un merveilleux pays, et à Genève dans
sortent des urnes. Elles                                un des lieux les plus prospère du monde.               Les inégalités ne tombent pas du ciel, ne
s’insinuent dans le silence                             Comment expliquer tant d’inégalités chez               sont pas un fait génétique. Elles ne dé-
                                                        nous aujourd’hui ?                                     coulent d’aucune fatalité, mais de choix
ou la fatalité, avancent à bas                                                                                 politiques et d’une structure sociale à mo-
bruit ou par coups d’éclats.                            Et un, et deux et trois numéros                        deler. Elles sont le produit de rapports de
Elles, ce sont les inégalités,                                                                                 classe, de genres, de pouvoirs, mais aussi
                                                        Il était impossible, dans ce numéro de                 d’égoïsmes ou de peurs. Le travail qui est
chiendent de notre société.                             Causes Communes, de lister toutes les                  devant nous est immense camarade, et
                                                        inégalités et d’en faire le tour. Nous avons           nous n’avons pas le choix. Nous avons face
Les inégalités sont partout. Bien dévelop-              souhaité, à tout le moins, les évoquer, com-           à nous deux espaces : celui de l’étouffe-
pées ou en germe. Une fois qu’elles ont                 mencer une cartographie et faire état des              ment par le chiendent ou celui de nouvelles
pris racine, il est ardu de les arracher. Une           inégalités dans notre société, pour ne pas             façons de faire société. Nous avons choisi
fois qu’on les a arrachées, elles repoussent.           nous laisser bercer par l’air du temps qui             l’engagement, la lutte, et cela nous rend
Il n’est pas facile de les identifier, de bien          les creuse et tend toujours à les justifier en         fort-e-s.
les circonscrire avant de s’y attaquer. Mais            faisant injustement porter la responsabi-
ne nous décourageons pas. Elles sont aus-               lité à d’autres. En les considérant comme
si un formidable moteur de solidarité et                une fatalité.
d’entraide. Et si c’est un travail de jardinier
constant, de soin et de résolution, que de              Ce numéro n’est pas exhaustif, mais il vise
s’y attaquer, c’est aussi une grande satis-             avant tout à nous mobiliser dans notre
faction quand on les fait reculer.                      lutte contre les inégalités. Nous avons
                                                        besoin de toi camarade pour le compléter.

CAUSES                                                                 Coordination rédactionnelle : Sylvain Thévoz.
                                                                       Comité rédactionnel : Jorge Gajardo, Caroline Marti, Virginie Studemann, Patricia Vatré.

COMMUNES                                                               Ont collaboré à ce numéro : Janine Berberat, Olivia Bessat, Aude Bumbacher, Grégoire
                                                                       Carasso, Antoine Chollet, Jacqueline Cramer, Alessandro De Filippo, Julien Dubouchet,
BIMESTRIEL ÉDITÉ PAR LE PARTI SOCIALISTE DE LA VILLE DE GENÈVE
                                                                       Ayari Félix, Pascal Holenweg, Irinia Ionita, Simone Irminger, Sami Kanaan, Matthias
15, rue des Voisins
                                                                       Lecoq, Pierre Ruel, Jean-Pierre Tabin, Albert Rodrik, Sandrine Salerno, Pauline Savelieff,
1205 Genève
                                                                       Joël Varone, Claudia Villaman.
www.ps-geneve.ch
                                                                       Illustration : Aloys Lolo, Fabrice Clavien (page 5).
Un journal 100% pensé, conçu et réalisé à Genève !                     Maquette et mise en page : Atelier supercocotte.
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                                                                       Impression : Imprimerie Nationale, Genève.
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Finance d’inscription : 20.-/année                                     Tirage : 3000 exemplaires sur papier recyclé.
CCP : 12-12713-8
                                                                       Les avis et opinions tenus par les invité-e-s n’engagent pas le comité de rédaction.
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4                                                         PERSPECTIVE

POLITIQUE DE L’ÉGALITÉ
              ANTOINE CHOLLET
              CENTRE WALRAS PARETO,
              UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

L’égalité figure parmi les                     L’égalité : des inégalités limitées               rage au sort des différentes magistratures
                                                                                                 et des membres des jurys ou de la rotation
concepts de philosophie                        Cette incertitude sur la définition de l’éga-     rapide des charges. On connaît peut-être
politique les plus disputés.                   lité hante toutes les discussions à son sujet,    moins les avertissements des penseurs de
                                               selon que l’on tienne l’égalité pour natu-        l’époque contre les effets délétères qu’en-
Aristote écrivait déjà que
                                               relle ou instituée. Dans la modernité, c’est      traînent des disparités de fortune trop im-
ce qui est égal et inégal                      la première solution qui a eu les faveurs         portantes. Ils savent déjà que l’égalité poli-
est source de difficultés                      de la plupart des philosophes politiques,         tique suppose, non pas une parfaite égalité
                                               que l’on songe à Hobbes, Spinoza ou Rous-         de ressources, objectif illusoire, mais des
(aporia), la question donnant                  seau. L’égalité est alors assimilée à l’état de   inégalités économiques limitées.
du même coup matière à                         nature, la société venant par la suite insti-
                                               tuer des hiérarchies, par ailleurs justes ou      Quoique l’imaginaire politique athé-
philosophie politique. Malgré
                                               injustes. Dans ce cadre, seule l’égalité des      nien nous soit aujourd’hui étranger, il
ces difficultés, les pensées de                droits peut être demandée, non une égalité        n’en conserve pas moins un certain réa-
la démocratie ont toujours                     réelle. Au XXe siècle, cet argument réap-         lisme. Ainsi, nous pensons toujours l’éga-
                                               paraît par exemple chez John Rawls, qui           lité à partir des inégalités, en considérant
réservé une place centrale                     spécifie que ce ne sont que les libertés fon-     d’abord, pour prendre quelques exemples,
à l’égalité, aux côtés de la                   damentales qui doivent être égales pour           la concentration des richesses, les discri-
                                               tous les membres d’une société juste. Une         minations envers les femmes ou envers les
liberté ou de la souveraineté
                                               société juste peut, et même doit être iné-        minorités sexuelles ou racialisées, avant
populaire par exemple.                         galitaire, mais sous certaines conditions, à      d’imaginer des moyens de les limiter. Que
                                               commencer par celle qu’on nomme géné-             la revendication d’égalité repose sur des
                                               ralement « l’égalité des chances », parfois       déclarations des droits datant de la fin du
Il y a deux manières principales de consi-     rebaptisée « équité ».                            XVIIIe siècle et postulant une égalité ori-
dérer l’égalité, qui correspondent elles-                                                        ginelle ne fait pas pour autant disparaître
mêmes à deux moments historiques et à          La leçon athénienne nous rappelle au              cette antécédence, théorique sinon histo-
deux imaginaires politiques distincts. La      contraire que l’égalité n’est ni première ni      rique, de l’inégalité sur l’égalité.
première, grecque et démocratique, as-         formelle. L’égalité politique ne vise nulle-
signe aux institutions de la collectivité la   ment la similitude de toutes et tous, voire       L’égalité n’est pas l’équivalent de la
tâche de former des individus égaux, qui       leur interchangeabilité, mais une égale           justice
jouissent des mêmes droits et libertés.        possibilité de participation aux affaires
La seconde, moderne et libérale, postule       communes, qui s’accompagne d’institu-             L’égalité vient également subvertir d’autres
l’égalité et demande aux institutions de la    tions permettant de garantir l’effectivité        notions centrales de la pensée politique,
reconnaître, comme le fait la Déclaration      de cette participation. On connaît les infi-      à commencer par celle de justice, cette
d’Indépendance américaine de 1776 ou la        nis raffinements de la constitution des           « Rossinante efflanquée » dont se gaussait
Déclaration des droits de l’homme et du        Athéniens pour s’approcher de cet idéal,          Rosa Luxemburg, qui sert depuis longtemps
citoyen de 1789 en France.                     qu’il s’agisse de l’égalité de parole à l’as-     de refuge aux philosophes soucieux de
                                               semblée, du « salaire ecclésiastique », du ti-    séparer la pensée politique des rapports
5

politiques eux-mêmes. Or, contrairement         peut-être le mieux montré est Tocqueville          Bibliographie sommaire
à ce qu’une partie de la philosophie            dans sa description de la démocratie améri-
politique avance, égalité et justice ne sont    caine. Pour lui, l’égalisation des conditions      Étienne Balibar, La proposition de l’égali-
nullement équivalentes, et peut-être sont-      est au fondement de la société démocra-            berté, Paris, PUF, 2010.
elles même contradictoires sur certains         tique qui émerge aux États-Unis, ce qui se
aspects tout à fait fondamentaux. Depuis        traduit par une horizontalité des rapports         Norberto Bobbio, Droite et Gauche, Paris,
Platon qui, dans La République, en fait         entre individus alors inconnue en Europe.          Le Seuil, 1996.
son objet premier, la justice a toujours        Les développements possibles d’une telle
été définie en terme de vérité et hors de       égalisation inquiètent en même temps               Cornelius Castoriadis, C., Les carrefours du
toute délibération politique. Elle cherche      l’aristocrate : c’est en effet chez Tocque-        labyrinthe, Paris, Le Seuil, 1986.
à ordonner la société selon des critères        ville que l’on trouve l’une des premières
qui lui sont extérieurs, et qui peuvent         occurrences modernes de l’équivalence              Jason C. Myers, The Politics of Equality. An
relever de la philosophie, de la religion, du   entre égalité et servitude, la multitude           Introduction, Londres 2010.
droit, de l’éthique, par exemple. L’égalité     indifférenciée se plaçant sous la protec-
est au contraire un concept politique de        tion d’un « pouvoir immense et tutélaire »         Jacques Rancière, La mésentente. Politique
part en part, sans transcendance, comme         (De la démocratie en Amérique II, livre IV,        et philosophie, Paris, Galilée, 1995.
l’a souligné Cornelius Castoriadis. C’est       chap. 6). Si l’auteur a souvent été embri-
pourquoi elle est souvent considérée            gadé par les contempteurs de l’égalité, on a
avec circonspection, sinon avec méfiance,       moins remarqué cependant qu’un tel déve-
par les philosophes, les juristes ou les        loppement ne constituait pas pour lui une
spécialistes de l’éthique.                      fatalité.

                                                De toutes les valeurs censées fonder la dé-
L’égalité entretient un rapport plus com-       mocratie, l’égalité est assurément la plus
pliqué avec la notion de liberté. Qu’on les     contentieuse, la moins uniformément ad-
considère comme opposées, selon l’opi-          mise, la plus combattue aussi. Si personne
nion conservatrice habituelle, ou qu’on les     n’argumente sérieusement en faveur de
tienne pour intimement articulées, voire        l’injustice, de l’arbitraire ou de la tyran-
coextensives l’une à l’autre comme le fait      nie, on rencontre en revanche quantité de
Étienne Balibar avec son concept d’éga-         personnes défendant les vertus de l’inéga-
liberté, leur rapport est dans tous les cas     lité, que celle-ci soit justifiée par la concur-
problématique. Norberto Bobbio conce-           rence, par le mérite, par la performance
vait d’ailleurs celui-ci comme un marqueur      ou par la « culture ». Or, comme l’écrivait
distinctif de la droite et de la gauche, la     Rousseau dans Du contrat social, « c’est
première opposant les deux concepts, la         précisément parce que la force des choses
seconde les tenant pour complémentaires.        tend toujours à détruire l’égalité que la
L’égalité se trouve toujours au cœur des        force de la législation doit toujours tendre
théories de la démocratie. Celui qui l’a        à la maintenir » (Livre II, chap. 11).
6                                                                  LUTTER

POUR QUE CESSE
L’ÉGALITÉ DES CHANCES
                VIRGINIE STUDEMANN

Trop, c’est trop. Trop d’égalité                   « vise moins à réduire l’inégalité des posi-      Nous voulons l’égalité : l’égalité de résultat,
                                                   tions sociales qu’à lutter contre les discri-     l’égalité des places, des positions sociales,
des chances dans la bouche                         minations qui font obstacle à la réalisation      l’égalité formelle et l’égalité réelle. Et pour
de socialistes qu’ils ou elles                     du mérite permettant à chacun d’accéder à         cela, devons nous interroger sur notre rap-
                                                   des positions inégales au terme d’une com-        port à l’égalitarisme, sur notre acceptation
se prétendent réformistes,
                                                   pétition équitable dans laquelle des indivi-      des inégalités, celles que nous jugeons mo-
sociaux démocrates ou à                            dus égaux s’affrontent pour occuper des           ralement justes et injustes.
gauche de la gauche. Pourtant,                     places sociales hiérarchisées. »
                                                                                                     Le langage, véhicule d’une pensée
plusieurs voix se sont déjà                        L’égalité des chances ne combat pas               dominante
levées pour attirer l’attention                    les inégalités sociales réelles, elle les
sur ce concept plus que                            rend justes                                       Il y a des modes et, à travers elles, une
                                                                                                     pensée dominante. Le vocabulaire, les
douteux.                                           En prétendant donner les mêmes cartes au          expressions en sont à la fois les illustra-
                                                   départ, elle justifie qu’il y ait un-e gagnant-   tions, les marqueurs mais également les
Francois Dubet lors d’un échange organisé          e et un-e perdant-e à la fin, et tout au long,    véhicules. En politique, comme ailleurs,
par Charles Beer en 2009 nous avait aler-          de la partie. Voulons-nous vraiment des           les contraintes de communication nous
té sur l’utilisation de ce concept. L’égalité      gagnants et des perdants ? Souhaitons-            apprennent à faire court, à faire choc, à
des chances nous renvoie évidemment à la           nous récompenser le mérite ? Accepter le          utiliser ces termes qui permettent une
Théorie de la justice de John Rawls et aux         principe de la compétition entre des indivi-      identification immédiate. Chaque électrice
travaux de Amartya Sen. Les termes éga-            dus ? Les critiques et l’échec des politiques     et électeur doit y trouver son compte mais
lité des chances sont utilisés depuis long-        d’égalité des chances pour réduire les iné-       chaque citoyen-ne, chaque militant-e y
temps en politique. A droite, on admettait         galités sociales ont conduit certain-e-s à        puise sa culture politique. Utiliser certains
l’idée de corriger des inégalités de départ        édulcorer leur discours en opposant l’éga-        mots plutôt que d’autres, c’est transmettre
sans remettre en cause l’ensemble du               lité des chances méritocratique à une éga-        une vision du monde. C’est à ce titre que
système. A gauche, sans doute parce que            lité des chances soutenable. Mais pourquoi        nous avons la responsabilité de la banalisa-
cela permettait de s’attaquer à une par-           conserver un tel concept ?                        tion et de la disparition de certains termes.
tie du problème, une sorte de première
étape. Mais comment peut-on encore                 Nous ne voulons pas des chances                   Et si nous reprenions nos mots, nos outils
prôner l’égalité des chances à gauche, au-         mais des droits                                   historiques pour parler et pour penser, en
jourd’hui ? Après les nombreux travaux en                                                            intégrant les nouvelles idées, les nouvelles
sociologie, en économie sur les inégalités         Nous ne voulons pas mériter un salaire            analyses ? Et si nous recommencions à
(et ce, dès les années 60) ? Il suffit de relire   parce que nous nous serions bien battu-e-         penser les inégalités en terme de classes
le discours sur l’égalité des chances de Sar-      s dans la compétition d’une école perfor-         sociales, de domination ? Et si le premier
kozy, président, à Palaiseau en 2008 pour          mante, d’un système de formation visant           combat contre les inégalités était une
ouvrir les yeux.                                   l’excellence. Nous ne voulons pas consi-          lutte idéologique pour penser l’égalité, un
                                                   dérer nos origines, nos appartenances,            combat dont les mots seraient les armes ?
L’égalité des chances, c’est l’égalité d’avoir     nos convictions comme des malchances
les mêmes chances d’occuper des positions          de départ qu’il faudrait corriger. Nous ne
sociales en fonction d’un principe mérito-         voulons pas l’égalité de départ, nous vou-
cratique. C’est une égalité de départ qui          lons combattre les inégalités tout au long
supprimerait les effets d’héritage. Cela           de la vie.
JUSTICE SOCIALE
                                                                                                                                               7

HEUREUX LES PAUVRES,
ILS SOUFFRIRONT MOINS
LONGTEMPS
              JULIEN DUBOUCHET,
              MEMBRE DU COMITÉ DIRECTEUR DU PSG

Il en va de la santé comme                     Lutter contre les inégalités                     trop souvent tenté de seulement agir, et
                                                                                                qui relèvent du niveau comportemental.
du reste, les mauvaises                        S’il est impossible de résumer ici la richesse   Il en va même d’une forme de cynisme à
nouvelles ont tendance à                       des travaux menés et les nombreux                promouvoir le bon-manger, le bien-bouger
                                               défis méthodologiques qu’ils soulèvent,          et le pas-fumer à ceux qui n’y ont pas
voler en escadrille. C’est donc
                                               quelques éléments méritent toutefois             accès, matériellement parfois mais surtout
sans grande surprise que                       d’être déjà relevés, qui dessinent les           psychologiquement – parce que l’adhésion
l’on trouvera, globalement,                    contours d’une lutte véritable contre les        au principe de responsabilité individuelle
                                               inégalités sociales de santé.                    est fonction de sa propre réussite, c’est
plus de souffrances et de                                                                       en ce sens une valeur de vainqueur – leur
maladies à mesure que l’on                        Il y a d’abord la forte persistance de        faisant porter au passage la culpabilité de
                                                  conséquences liées à la condition             la cherté du système de santé.
descend l’échelle du statut
                                                  prénatale – beaucoup se joue déjà avant
socio-économique et que l’on                      la naissance, et l’on ne parle pas ici de     Tous ces éléments disqualifient une vi-
observera que la pauvreté                         génétique – qui rappelle la nécessité         sion du monde atomiste et réhabilitent
                                                  d’une stratégie de long terme.                une approche globale de la santé dans le
est défavorable à la santé,                                                                     cadre général de la justice sociale, dont la
et symétriquement que les                         Il y a ensuite le fait que les conditions     ligne de force est de générer de l’égalité
                                                  matérielles, si l’on excepte la privation     des conditions, desquelles découleront la
maladies obèrent les chances
                                                  des ressources vitales, n’impactent           déségrégation, le retour de la confiance,
de réussite sociale.                              qu’indirectement l’état de santé des          le recours aux soins et la sensibilité à de
                                                  populations. Autrement dit, la pauvreté       plus sains modes de vie. Egalité des condi-
L’ironique bonne nouvelle vers laquelle           relative est ici plus déterminante que        tions qui passe par des politiques, outre de
pointe le titre est qu’à ces conditions de        la pauvreté nominale, qui rappelle la         (re)distribution financière, d’accessibilité
santé péjorées est assez logiquement as-          nécessité de penser la santé dans une         aux ressources (proximité et gratuité) et
sociée une moindre longévité. Si les iné-         perspective plus large d’égalité.             qui ne saurait se contenter du miroir aux
galités sociales de santé sont aujourd’hui                                                      alouettes de l’égalité des chances.
très bien documentées, encore faut-il en          Enfin, relevons l’amélioration de la
saisir la dynamique, condition indispen-          qualité des soins qui profite plus,
sable à l’élaboration de politiques visant        proportionnellement, à ceux qui en ont        1 Goldberg et alii, 2002, « Les déterminants
                                                  le moins besoin - selon la logique de         sociaux de la santé : apports récents de
leur réduction – à supposer que l’on en ait                                                     l’épidémiologie sociale et des sciences sociales de
la volonté – ce dont on pourrait douter au        l’effet Pygmalion, ou la métaphore du
                                                                                                la santé », Sciences sociales et santé, vol 20, 75-
regard de leur récent accroissement. Et là,       parapente de Frank Lepage, qui veut           128.
force est de constater que l’identification       que l’ascenseur social creuse les écarts.     2 Voir par exemple O’Campo et alii, 2015.« The
de ce que l’on appelle communément les            Et qui rappelle que le salut ne viendra       neighbourhood Effects on Health and Well-
déterminants sociaux de la santé n’est pas        pas du seul progrès technologique.            Being (NEHW) study », Health and Place, vol. 31,
chose aisée1. A la nature déjà fort complexe                                                    65-74.
de ce qui cause un état morbide en termes
purement médicaux, il faut ajouter l’intri-    Le cynisme de la responsabilisation
cation de différents niveaux d’analyse qui     individuelle
vont des caractéristiques physiologiques
des individus à l’organisation sociale dans    Tous ces éléments pointent ainsi vers
son ensemble, en passant par les compor-       l’insuffisance du modèle de la responsabilité
tements (ou modes de vie) et l’environne-      individuelle véhiculé à travers les facteurs
ment résidentiel (neighborhood effect)2.       de risque, variables sur lesquelles on est
8                                                        RÉGULARISER

ET SI ON L’APPELAIT
…PAPYRUS ?
              ENTRETIEN CLAUDIA VILLAMAN

Rencontre avec Alessandro De                   socialement, que ce soit à travers des en-       nelles auprès de notre permanence. Parmi
                                               tretiens individuels ou des séances d’infor-     ces personnes, il y a celles qui sont sans
Filippo coordinateur du Collec-                mations destinées aux migrant-e-s et aux         statut légal. J’insiste sur le terme de sans
tif de soutien aux sans-papiers                institutions (écoles, lieux de soins).           statut légal car celui de sans papiers est
                                                                                                souvent compris comme étant péjoratif
depuis 2009 et engagé depuis
                                               Quelles sont les origines du Collectif des       et de plus, cela crée une confusion avec les
plus de dix dans la défense des                sans-papiers ?                                   demandeurs d’asile. Sans-papiers serait
droits des requérants d’asile                                                                   quelqu’un sans d’identité ou qui aurait une
                                               Le Collectif se crée en 2001 pour répondre à     identité cachée. Dans notre cas les identi-
et des migrants à Genève. Il a                 une nécessité dans notre canton mais aussi       tés ne sont pas cachées, il y a des passe-
participé activement aux dis-                  dans toute la Suisse. Nous savions qu’une        ports en cours de validité. Ce qui manque
                                               forte population de sans-papiers qui vivait      c’est l’autorisation de séjour, le permis de
cussions et aux négociations
                                               et travaillait à Genève n’avait aucune possi-    travail, c’est la raison pour laquelle nous
avec les autorités pour mettre                 bilité d’être régularisée n’étant pas ressor-    préférons le terme de « sans statut légal »
sur pied l’Opération Papyrus.                  tissante de la communauté européenne.            ou « sans autorisation de séjour ».
                                               Cette population était donc soumise à la
Alessandro de Filippo nous                     loi sur les étrangers très restrictive en ma-    Quelle est ton analyse sur l’évolution des
raconte le travail de longue                   tière de permis. Il fallait trouver des solu-    demandes de régularisation ces cinq der-
                                               tions à cette situation alarmante. Si cette      nières années ?
haleine mené pendant des
                                               population de travailleuses et travailleurs
années pour lutter contre les                  sans statut vivait ici, c’est que cela corres-   Il faut distinguer deux choses ; d’abord, les
inégalités.                                    pondait à un réel besoin économique.             demandes au Collectif sont en constante
                                                                                                augmentation. Mais cela ne veut pas dire
                                               Plusieurs services d’entraide juridique, de      que la population sans statut légal aug-
Claudia Villaman : Depuis l’annonce du         défense de migrants et des syndicats déci-       mente. En effet, depuis 2005, les premières
projet Papyrus, on a beaucoup parlé du rôle    dèrent de s’unir pour mettre sur pied ce         demandes de régularisation adressées au
du Collectif des sans-papiers, je voudrais     collectif afin de s’occuper des droits des       Canton ont reçu un accueil relativement
que tu nous le présentes.                      migrants sans statut légal et, in fine, mener    favorable mais une fin de non-recevoir au
                                               la revendication de base de l’association, à     niveau fédéral. Il y a donc un moratoire non
Alessandro de Filippo : Le Collectif est une   savoir : la régularisation des personnes qui     officiel dans notre canton sur la question
association faîtière, composée de membres      vivent et travaillent à Genève.                  des expulsions qui a contribué à une stabili-
individuels et de membres collectifs : syn-                                                     sation depuis 2005/2006. Les employeurs
dicats, œuvres d’entraide, services juri-      Comment toutes ces travailleuses et ces          ont parallèlement la possibilité, même
diques, associations de migrants, partis       travailleurs arrivent au Collectif ?             l’obligation, de déclarer leurs employés aux
politiques, tous actifs dans la défense des                                                     assurances sociales ce qui a favorisé une
droits des migrants et particulièrement        La majorité des demandes nous par-               stabilité sur le marché du travail.
des sans-papiers.                              viennent par des institutions et des pro-
                                               fessionnels qui sont directement en              Ensuite, effectivement, ces cinq dernières
En tant qu’association faîtière nous avons     contact avec ces personnes. Par exemple,         années on observe une modification de la
un rôle d’intermédiaires et d’interlocu-       les travailleurs hors murs, les assistants       provenance des personnes sans statut lé-
teurs auprès des autorités, locales. Son       sociaux, les conseillers d’orientation. Aux-     gal. Une grande majorité travaille, comme
autre tâche est d’informer et d’orienter       quels s’ajoutent les démarches person-           avant, dans le secteur de l’économie do-
9

mestique : aides ménagères, personnel             Passons maintenant aux origines de l’opé-      Aujourd’hui l’Opération Papyrus a été ren-
de maison, gardes d’enfants, accompa-             ration Papyrus...                              due publique. Qu’est-ce qui a changé ? Quel
gnant-e-s pour les personnes âgées ou les                                                        regard portes-tu sur le futur du projet ?
personnes malades. Dans ce secteur, une           En juin 2010 le syndicat SIT a convoqué
partie importante travaille à temps par-          une Assemblée générale des travailleuses       Il faut bien distinguer l’intention du projet
tiel et une minorité vit et travaille, à plein    et des travailleurs sans statut légal à la     et ce qui se passe maintenant. Il est trop
temps, chez l’employeur. À Genève, les per-       salle du Faubourg suite à la campagne na-      tôt pour en tirer ne serait-ce qu’un bilan
sonnes travaillant dans ce secteur sont des       tionale « Aucun enfant n’est illégal », qui    intermédiaire. Il y a encore trop peu de
femmes originaires d’Amérique Latine (Bo-         soulevait entre autres, la question de l’ac-   dossiers et aucun n’a encore été traité.
livie et Brésil surtout) et des Philippines. La   cès à l’apprentissage dual pour les jeunes     Nous ne pouvons pas nous prononcer sur
question de la communauté philippine est          sans statut légal. Lors de cette Assemblée     des premiers résultats.
en partie liée à la Genève Internationale.        une résolution a été votée afin de deman-
Une partie de ces employées a obtenu, à           der aux autorités cantonales de relancer       Pour commencer, il faut préciser que l’Opé-
un certain moment, un statut légal. Elles         le processus de régularisation collective      ration Papyrus se déroule dans le cadre
ont eu des cartes de légitimation en tant         qui avait déjà été demandé une première        légal actuel, celui de la Loi sur les Etran-
qu’employées de représentations diploma-          fois en 2005 mais qui était un peu tombé       gers (LEtr) et plus précisément l’Art. 30
tiques ou d’organisations internationales.        aux oubliettes. Le Collectif a repris à son    de cette loi qui définit l’octroi du permis
                                                  compte cette demande de régularisation et      humanitaire pour cas de rigueur. Dans la
Cependant, depuis 2010, il y a de nouvelles       relancé les autorités cantonales sur cette     procédure ordinaire prévue par la Loi, il n’y
provenances. La Mongolie d’une part, le           problématique.                                 avait pas de critères objectifs, seulement
Salvador et le Honduras d’autre part, en                                                         des éléments thématiques et génériques.
lien avec la situation d’extrême violence de      Le Conseil d’Etat prit une position de         On parlait de bonne intégration, de durée
ces deux pays.                                    principe favorable à la régularisation après   de séjour, d’autonomie financière, d’impos-
                                                  examen au cas par cas. En 2011, faisant        sibilité de réintégration dans le pays d’ori-
Parallèlement, nous avons constaté une            suite à notre relance, le Conseil d’Etat a     gine, sans que ces critères soient formelle-
augmentation des arrivées depuis l’Es-            nommé un groupe d’experts sous l’égide         ment définis et objectivés. Ainsi, il y avait
pagne, en lien avec la crise dans ce pays.        du Département de Justice et Police de         une grande marge de manœuvre laissée
Pour ces personnes, le cadre légal de la libre    l’époque. Ce groupe comprenait d’un côté       aux autorités examinatrices, que ce soit au
circulation des personnes s’applique. C’est-      des responsables des administrations           niveau cantonal ou fédéral.
à-dire qu’elles ont un droit à un permis de       cantonales concernées et de l’autre les
travail, pour autant qu’elles trouvent un         associations : le Collectif, le Centre de      Ce qu’il y a de fondamentalement nouveau
emploi, que l’employeur fasse la demande          Contact Suisses-Immigrés, le Centre Social     avec l’Opération Papyrus, c’est que les cri-
formelle de permis et qu’elles puissent           Protestant et le syndicat SIT. Ce groupe       tères de régularisation ont été objectivés.
justifier d’un logement. Pour celles et ceux      d’expert était chargé de faire un état des     Aujourd’hui, ces critères ont été annoncés
qui ont un permis de séjour en Espagne            lieux et de proposer des pistes pour la        publiquement et nous pouvons donner une
mais une nationalité non européenne, elles        suite, tout en restant dans le cadre légal     réponse claire aux personnes sans statut,
peuvent venir en Suisse pour une période          du moment. Les travaux du groupe ont           que ce soit sur la durée du séjour, sur les
de trois mois mais n’obtiendront pas un           continué jusqu’à ce jour.                      conditions d’autonomie financière ou d’in-
permis de travail.                                                                               tégration. En résumé, il y a trois grands en-
                                                                                                 sembles de critères. La durée de séjour pré-
                                                                                                 alable, cinq ans pour les personnes qui ont
                                                                                                 un enfant scolarisé, dix ans pour toutes les
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autres. Les critères économiques, pouvoir       Mais de son côté l’employeur peut ren-            gens, il n’est pas clair qu’une personne qui
prouver l’existence d’un ou plusieurs em-       voyer son employé-e au moment où celui-           fait le ménage deux heures par semaine est
plois, ne pas être en poursuites et ne pas      ci l’annonce aux autorités ?                      une ou un employé et qu’en tant qu’em-
être à l’assistance publique. Les critères                                                        ployeur ils ont des obligations. Le message
d’intégration, avoir pour chaque adulte la      Oui c’est un risque. Nous avons plusieurs         s’adresse à cette partie de la population qui
certification d’un niveau A2 en français,       cas de figure, celui de l’employeur qui dé-       n’a pas forcément déclaré son employé-e
une attestation de scolarisation pour les       clare et qui paye correctement. Exemple :         pour éviter les démarches administratives,
enfants scolarisés et un extrait du casier      l’utilisation de Chèque service par une           par crainte ou par ignorance.
judiciaire vierge. Les strictes condamna-       famille qui a une aide à domicile. Cet em-
tions pour séjour illégal évidemment ne         ployeur est en règle car il a déclaré son         Quelles suites pour l’Opération Papyrus ?
comptent pas. À partir de là, il y a toute      employé aux assurances sociales et il paye
une liste de documents et attestations à        le salaire minimum par rapport au contrat         L’Opération Papyrus a débuté en février
présenter aux autorités comme preuves de        type de travail cantonal. Après, il y a les si-   2017 et se déroulera jusqu’à fin 2018. Par
réalisation de ces critères.                    tuations intermédiaires qui risquent d’être       la suite il y aura une évaluation des résul-
                                                majoritaires, où l’employeur a déjà déclaré       tats. Il ne faut pas oublier que c’est un pro-
L’autre grande nouveauté est liée à la ques-    ou est prêt à se mettre en règle pour décla-      jet pilote pour la Suisse, nous aurons donc
tion de l’emploi et du rapport employeur-       rer son employé aux assurances sociales.          une évaluation aussi au niveau fédéral afin
employé. Dans la procédure ordinaire, il        Dans ces cas de figure, il sera important         de voir si c’est transposable à d’autres
était indispensable d’avoir l’appui du ou       d’expliquer le processus et de rassurer les       cantons ou pas. Il est impossible à l’heure
des employeurs pour faire une demande de        employeurs respectant les normes en vi-           actuelle de prévoir le nombre de personnes
régularisation. Maintenant, même si l’em-       gueur. Enfin, les situations de l’employeur       qui pourront être régularisées via l’Opéra-
ployeur ne soutient pas la demande de ré-       qui sous-paye son employé et qui ne l’a           tion Papyrus. Il est encore trop tôt et l’ob-
gularisation, il est possible pour l’employé-   jamais déclaré aux assurances sociales et         tention des nombreux documents et attes-
e candidat-e à la régularisation d’annoncer     qui ne veut rien savoir. L’employé se re-         tations nécessaires au dépôt d’un dossier
son emploi et donc son employeur et son         trouve ainsi dans une situation à risque.         prend du temps.
revenu, via un formulaire spécifique des-       Annoncer son emploi et employeur en
tiné à l’OCIRT (Office Cantonal de l’Inspec-    sachant qu’une fois qu’il aura son permis         Dans ce contexte quel avenir pour le
tion et des Relations du Travail). Ainsi cela   il y aura un contrôle via courrier adressé        Collectif de soutien aux sans-papiers ?
délie le lien de dépendance de l’employé à      à son employeur. Ce qui pourrait mettre
l’employeur.                                    en péril son rapport de travail. Pourtant,        Beaucoup de personnes ne rentrent
                                                si l’employé-e ne déclare pas son emploi,         pas dans ces critères de régularisations
L’autre volet important de Papyrus est          son revenu annoncé risquera alors d’être          mentionnés plus haut, que ce soit parce
celui de l’assainissement des secteurs          considéré insuffisant pour pouvoir déposer        qu’ils n’ont pas assez d’années de séjour,
économiques concernés, principalement           une demande de régularisation. C’est une          parce qu’ils ne peuvent pas prouver un
celui lié à l’économie domestique. Quand        situation délicate mais il ne faut pas oublier    revenu suffisant, parce qu’il y a ce rapport
l’employé-e annonce son emploi, son             les conséquences pour les travailleuses et        ambivalent avec les employeurs. Cette
employeur et son revenu, une fois et            travailleurs n’ayant jamais été déclarés aux      réalité pour ces travailleuses et travailleurs
j’insiste fortement là-dessus, seulement        assurances sociales. Il y a à Genève, des         sans statut légal va continuer à exister
une fois que le permis est obtenu il y          sans-papiers qui travaillent depuis quinze        au-delà du projet Papyrus. Le Collectif
a un contrôle de la part des autorités          ou vingt ans et dont les employeurs n’ont         a un rôle moteur dans ce processus de
compétentes auprès de l’employeur.              rien déclaré durant toutes ces années. Que        régularisation et il continuera à exister
                                                devient une femme de septante ans qui a           aussi parce qu’il traite de problématiques
Si ce dernier respecte les normes en            travaillé plus de vingt ans dans l’économie       plus larges que la régularisation, comme
vigueur à savoir, la déclaration de son         domestique, non déclarée ? Que se passe-          l’accès à la formation, à la scolarisation,
employé-e aux assurances sociales et le         ra-t-il pour elle ?                               la santé, aux assurances sociales ou au
payement du salaire minimum, il n’y aura                                                          système judiciaire.
pas de problème pour l’employeur. Mais          J’en arrive à la campagne d’information
si à travers cette annonce de l’emploi, il      lancée récemment par les autorités sur
s’avère que l’employeur, ne déclare pas son     l’autre volet de cette opération « STOP
employé aux assurances sociales et paye         TRAVAIL AU NOIR ». Son but est de sensi-
moins que le salaire minimum, dans ce cas       biliser les employeurs et de leur montrer
le contrôle de la part des autorités aura des   quelles sont les conséquences pour leurs
conséquences pour l’employeur.                  employé-e-s s’ils ne les déclarent pas aux
                                                assurances sociales. Pour beaucoup de
SYNDICALISME
                                                                                                                                            11

LA FIN DU TRAVAIL,
PAS POUR DEMAIN !
JOËL VARONE, SECRÉTAIRE SYNDICAL

De nos jours, il paraît volon-                     aussi présente. Par contre, il faut remon-      pas là pour le salarié qui devra entamer de
                                                   ter peut-être aux décennies de la naissance     longues procédures aux prud’hommes…
tiers passéiste de parler de                       du mouvement ouvrier pour retrouver une         Pour se retrouver dans bien des situations
syndicalisme, de lutte de tra-                     aussi faible organisation du monde du tra-      à entamer des démarches à l’Office des
                                                   vail. Des décennies de réformes et de dis-      faillites et poursuites quand l’employeur se
vailleuses et de travailleurs. A
                                                   cours néolibéraux l’ont marquée.                refuse à respecter le jugement. Et lorsque
chaque progrès technologique,                                                                      l’entreprise se met en faillite et que le
le même discours est servi : le                    Fonction publique                               patron ouvre une nouvelle entreprise…
                                                                                                   le salarié se retrouve à nouveau face à
travail deviendrait une activi-                    Le même raisonnement vaut pour les sala-        l’Etat de droit et la sacrosainte liberté
té bientôt obsolète, superflue.                    rié-e-s de la fonction publique, présentés      économique.
                                                   péjorativement comme des fonction-
Et comme sans travailleurs,
                                                   naires ruinant les salariés-contribuables.      Mobilisation et travail collectif
les syndicats n’ont plus de                        La fonction publique est présentée comme
sens… Parallèlement, tout le                       tentaculaire, surdimensionnée, privilégiée.     Que le lecteur assidu et bien au fait de ces
                                                   Il se trouve que cette même fonction pu-        réalités excuse cette longue tirade. Mais
débat sur la robotisation et les                   blique contribue pour près de 20% du PIB        évoquer les cascades de sous-traitances
caisses enregistreuses tend à                      cantonal, qu’elle a contribué à maintenir le    rendant illusoires l’application de la res-
                                                   PIB cantonal durant la crise de 2008 alors      ponsabilité solidaire dans le secteur de la
faire passer le travail, non plus
                                                   que le secteur bancaire s’écroulait. C’est      construction, parler de la privatisation des
comme un facteur producteur                        cette même fonction publique qui emploie        services de nettoyages du secteur public,
de richesse, mais comme un                         nos infirmières et infirmiers dans les HUG,     des faillites en cascade dans le secteur de
                                                   nos enseignant-e-s dans les écoles, nos soi-    la restauration, du dumping salarial dans
coût, qu’il faudrait ou non sou-                   gnant-e-s dans les EMS… autant d’activités      le commerce de détail et les transports ou
tenir comme moindre                                directement utiles. Mais, pour les tenants      encore du développement du travail inté-
                                                   de la novlangue, quand l’Etat emploie, il est   rimaire (encouragé par l’Office cantonal de
mal social.
                                                   tentaculaire et, quand ses activités sont       l’emploi) ne fait pas sens si nous perdons de
                                                   privatisées, on dit que les entreprises pri-    vue la réalité globale du marché du travail.
                                                   vées créent de l’emploi et que le marché        Ce serait penser que des solutions secto-
Salariat
                                                   est dynamique…                                  rielles ou ponctuelles pourraient résoudre
                                                                                                   les problèmes du salariat. Ce serait croire
L’exercice de novlangue n’est pas innocent
                                                   Conditions de travail                           ou faire croire qu’il suffirait d’apporter des
car les faits sont têtus : la réalité du sala-
                                                                                                   correctifs, de l’extérieur, par en haut.
riat n’a jamais été aussi présente et impor-
                                                   Au passage, silence radio sur la dégradation
tante qu’aujourd’hui. Peu de personnes
                                                   des conditions de travail du personnel          Non. Le monde du travail est en crise. Le
adultes échappent au salariat et la Suisse
                                                   (précarité accrue face au licenciement,         syndicalisme est en crise. Mais la solution
est un des pays européen où la durée effec-
                                                   salaire plus bas, horaires plus flexibles,…).   ne pourra passer que par la reconstitution
tive du temps de travail est la plus longue
                                                   Il est vrai qu’en Suisse, nous avons réussi     lente et patiente de résistances à l’inté-
(et ce n’est pas le projet du Conseiller fédé-
                                                   le tour de force de faire croire que nous       rieur des entreprises. Bien entendu, dans
ral Berset qui va l’améliorer en repoussant
                                                   vivons dans une démocratie directe. Mais        cette perspective, toute amélioration de
l’âge de la retraite). En d’autres termes :
                                                   que peut bien signifier une démocratie          type législatif de la position des travailleurs
les patrons ont besoin de toujours plus
                                                   directe quand elle s’arrête à la porte des      et travailleuses est la bienvenue et peut
de main-d’œuvre mais entendent pouvoir
                                                   entreprises ? Quand elle ne s’applique          servir. Que ce soit l’arrivée de l’Inspection
profiter de chaque évolution technolo-
                                                   pas sur la majeure partie de notre temps        paritaire des entreprises (IPE) l’année der-
gique pour déstructurer toujours plus les
                                                   éveillé ? En Suisse, la dictature patronale     nière, le projet de révision du règlement
collectifs de travail, affaiblir les résistances
                                                   et actionnariale (appelons un chat un           sur les marchés publics à venir ou encore
collectives.
                                                   chat) s’est parée d’un beau nom : la liberté    la proposition de la CGAS d’établir un re-
                                                   économique. Une liberté bien réglementée,       gistre cantonal des salaires avec obligation
C’est un fait que l’arrivée de l’électricité a
                                                   qu’on voudrait nous faire croire loin de        pour les entreprises de déclarer les salaires
bouleversé la nature des emplois entre la
                                                   tout arbitraire, car reposant sur l’Etat        à l’OCIRT. Cependant, ces outils ne seront
fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.
                                                   de droit. Mais, à nouveau, que peut bien        que des tigres de papier si l’on ne parvient
Elle n’en a pas pour autant supprimé la réa-
                                                   signifier un Etat de droit quand les droits     pas, dans les entreprises, sur les lieux de
lité salariale. Il en était de même pour l’arri-
                                                   des travailleurs se résument à quelques         travail, à recréer du collectif, à recréer une
vée des machines quelques décennies plus
                                                   articles ? Un salarié commet un délit pénal     réalité syndicale.
tôt, ou encore de l’informatique quelques
                                                   s’il vole des marchandises pour quelques
décennies plus tard… Au fur et à mesure
                                                   francs chez son patron. La police peut être
des évolutions technologiques, la réalité
                                                   appelée et intervenir sur le champ. Mais
du monde du travail s’est indéniablement
                                                   quand le patron ne paie pas les salaires, il
tertiarisée, fragmentée mais n’a de loin pas
                                                   n’y a aucun délit pénal ! La police ne sera
disparu. Au contraire elle n’a jamais été
12                                                           COMBATTRE

COMBATTRE LES INÉGALITÉS,
C’EST RÉALISER L’IDÉAL
SOCIALISTE POUR L’ÉGALITÉ
               SANDRINE SALERNO,
               CONSEILLÈRE ADMINISTRATIVE

L’égalité est au cœur de notre                    sein de l’administration et auprès du grand     d’injustice. Nous oublions aussi trop sou-
                                                  public. Dès le départ, mon objectif a été de    vent les formes économiques, sociales et
histoire, au cœur des raisons                     promouvoir une société durable, où chaque       culturelles de discrimination. Combien
pour lesquelles des camarades                     individu peut vivre et s’épanouir, quel que     n’ont pas « réussi » un entretien profes-
                                                  soit son origine, son sexe ou son orienta-      sionnel parce que les codes sociaux atten-
adhèrent au parti. L’égalité,
                                                  tion sexuelle.                                  dus leur faisaient défaut ? Parce qu’il leur
c’est le fondement de notre                                                                       manquait la bonne tenue vestimentaire, le
engagement, l’objectif qui nous                   Un des axes de lutte contre les inégali-        bon langage ou carnet d’adresse ? Il n’y a
                                                  tés est la lutte contre les discriminations.    pas non plus d’égalité sans une juste répar-
rassemble et qui guide nos                        Chaque jour, ce service stratégique met         tition et redistribution des richesses. Dans
combats.                                          en œuvre des actions concrètes pour dé-         un monde marchand, il n’y a pas d’égalité
                                                  construire les stéréotypes, combattre les       sans disposer d’un revenu qui garantit des
                                                  discriminations et permettre à la popu-         conditions de vie dignes, l’accès aux soins, à
                                                  lation, à toute la population, de jouir plei-   la santé, au logement, à la formation.
Pour atteindre cet objectif, nous devons
                                                  nement de ses droits. Au fil des ans, nous
nous battre pour les droits ; à la fois pour
                                                  avons développé des projets forts, rassem-      Pour lutter contre les inégalités nous de-
défendre et protéger les droits existants,
                                                  bleurs, comme « Genève, sa Gueule » qui         vons, en tant que socialistes, nous battre
mais aussi pour en acquérir de nouveaux.
                                                  déconstruit les préjugés en lien avec l’ori-    pour redonner du sens collectif, rappeler
Je pense bien sûr aux droits politiques pour
                                                  gine ou la campagne d’affichage annuelle        que les inégalités et les discriminations
les personnes étrangères au niveau canto-
                                                  contre l’homophobie et la transphobie qui       nous concernent toutes et tous. Surtout,
nal. Mais également à la reconnaissance
                                                  s’attaque à ces tabous. Nous avons égale-       nous devons nous rappeler que égalité si-
des droits fondamentaux des personnes de
                                                  ment mis en place des politiques publiques      gnifie solidarité et qu’elle est le fondement
deuxième génération – les droits sociaux,
                                                  essentielles, qui sont aujourd’hui portées      de la justice sociale. Contribuer à réaliser
économiques et culturels - et de celles de
                                                  par l’ensemble des services de l’adminis-       l’égalité dans les faits, voilà ce qui guide
troisième génération (les droits collectifs).
                                                  tration municipale. Nous travaillons enfin      mon action politique au quotidien.
Enfin, pour que l’égalité devienne réelle,
                                                  main dans la main avec les associations
tangible, pour la concrétiser dans les faits,
                                                  qui nous permettent d’être en prise di-
nous devons agir pour que chacun-e puisse
                                                  recte avec le terrain et les besoins. C’est
exercer les droits souvent acquis de haute
                                                  ensemble que nous bâtissons une Genève
lutte. C’est notre responsabilité d’élu-e-s
                                                  fière et riche de sa diversité.
socialistes, en particulier au niveau exécu-
tif.
                                                  Un engagement global
                                                  contre toutes les inégalités
Des politiques publiques pour assurer
les droits de la population
                                                  Les inégalités sont le produit de plusieurs
                                                  facteurs et elles sont d’autant plus vio-
Consciente de cette responsabilité, je me
                                                  lentes qu’elles se cumulent. L’action pu-
suis battue, dès mon entrée au Conseil ad-
                                                  blique doit en tenir compte et dévelop-
ministratif de la Ville en 2007, pour mettre
                                                  per, en plus des actions spécifiques, des
en place les outils et politiques qui rendent
                                                  politiques transversales et une approche
possibles l’exercice par la population de
                                                  globale de la cohésion sociale. Outre l’ho-
ses droits essentiels. J’ai ainsi développé,
                                                  mophobie, la xénophobie, le sexisme ou
au fil des ans, le service Agenda 21 – Ville
                                                  le racisme, des caractéristiques comme le
durable (A21), qui défend et promeut des
                                                  handicap ou l’âge sont également sources
valeurs d’égalité et de diversité, à la fois au
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