N 38 Journal de l'Assocation pour la danse contemporaine, Genève janvier-mars 2006 - ADC Genève
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Journal de l’ association pour la danse contemporaine genève n° 38 Journal de l’Assocation pour la danse contemporaine, Genève janvier-mars 2006
Édito J’ai activement participé à l’aventure La Bâtie avait le rare privilège d’avoir du Festival de La Bâtie de 1989 à des programmateurs spécialisés et 2002, et je me souviens des difficultés permanents au service de son projet et des conflits qui ont accompagné la artistique. Le choix de ne pas renou- rupture entre certains des pères fon- veler ces deux postes est très domma- dateurs et une nouvelle génération geable, car le festival sera plus géné- qui souhaitait un festival plus structu- raliste, organisé par une équipe artis- ré. Parmi les grands différends de tique réduite et sollicitant probable- cette époque – les années nonante – il ment des mandataires ponctuels. On y avait cette idée d’une équipe perma- peut présager que le festival va devoir nente qui revendiquait des moyens construire sa programmation sur de pour plus de professionnalisme. nouvelles alliances et probablement La Bâtie est née d’un tissu associatif renforcer son lien avec les acteurs remarquablement fort, basé sur le culturels locaux. C’est vraisemblable- principe du bénévolat et de la collé- ment ce que certains lui souhaitent. gialité. Le passage à une organisation Pour ma part, j’ai aimé et défendu plus structurée, qui n’a donc pas été l’idée d’une manifestation originale et sans mal, aura néanmoins abouti à d’exception. l’engagement, en 1995, d’un directeur général et de programmateurs Il ne s’agit pas ici de discréditer avant responsables de domaines spéci- terme la nouvelle direction. Mais quoi fiques: musique, théâtre et danse. qu’on en dise, cette nouvelle mutation Je dois observer, par un curieux retour- du Festival de la Bâtie témoigne d’une nement de situation, que je me trouve tendance répandue à la généralisa- à mon tour en conflit assez fondamen- tion. Car le monde culturel ne fait évi- tal avec les choix du comité actuel. demment pas exception. Cette règle Leur dernière restructuration, accom- s’applique également à l’enseigne- pagnée d’un nouvel organigramme, a ment, où l’on forme des maîtres géné- permis l’engagement d’une nouvelle ralistes au détriment des maîtres spé- direction. Elle a également donné lieu cialisés. Et elle s’observe encore dans à de nouveaux contrats qui rédui- les médias, où l’on privilégie de plus 02 saient considérablement le temps de en plus la description aux dépens travail des programmateurs sans modi- d’une analyse argumentée. fication notable de leur cahier des Cette situation est regrettable et le charges. Véronique Ferrero Delacoste milieu culturel a la responsabilité de et Eric Linder, en charge respective- défendre la singularité et les projets ment de la danse et de la musique, ne pointus portés par des spécialistes. se sont pas pliés à ces conditions. Ce Nous avons le devoir de résister à la refus a eu pour effet leur départ et ils facilité. ne seront pas remplacés. Alya Stüren- burg, au théâtre, a choisi de rester. Claude Ratzé Association pour la danse contemporaine Sommaire Nicole Simon-Vermot, Anne Davier et Claude Ratzé Rue de la Coulouvrenière 8, CH-1204 Genève tél.: +41 22 329 44 00 fax: +41 22 329 68 68 p. 3-9 Dossier: Le Röstigraben www.adc-geneve.ch info@adc-geneve.ch p. 11 Journées de danse Responsable de publication: contemporaine suisse Claude Ratzé Comité de rédaction: p. 12 Pneuma 02:05 Logement d’appoint pour artistes Katia Berger, Caroline Coutau, Anne Davier, Claude Ratzé Cindy Van Acker Vous disposez en ville de Genève d’une ou Secrétariat de rédaction: Marie-Pierre Genecand, Jean-Marie Bergère p. 13 Régi de plusieurs chambres indépendantes, Ont collaboré à ce numéro: Boris Charmatz d’un appartement de vacances, ou vous Caroline Coutau Martine Jaques-Dalcroze p. 14 Eidos (forme définie) êtes absent pour une semaine ou quinze Anne Davier Alexandre Demidoff Noemi Lapzeson jours. Nous cherchons à loger des artistes Myriam Kridi Aude Lavigne p. 15 La Pudeur des icebergs et techniciens invités dans le cadre de Georges Leroux Anne-Pascale Mittaz Daniel Léveillé notre prochaine programmation durant les Manon Pulver Claude Ratzé p. 17 Climax périodes suivantes: Graphisme: Alya Stürenburg Laurence Yadi, Nicolas Cantillon - du 13 au 20 mars Remerciements : p. 18-19 Maison de la Danse: - du 16 au 23 mai Librairie Archigraphy, Halles de l’île, GE Éditions Infolio, Gollion l’Escargot, l’eau et le moulin Impression: Médecine & Hygiène p. 20-21 Brèves Nous sommes en mesure d’offrir un Tirage: 6’500 exemplaires; décembre 2005 Prochaine parution: avril 2006 p. 22-23 Livres défraiement de 300.– la semaine. Partenaire média: p. 25 Portrait: Jean-Pierre Pastori Si cela vous intéresse, merci de contacter L'adc est subventionnée par le Département des Affaires culturelles de p. 26 Cours et stages directement Nicole Simon-Vermot la Ville de Genève et par le Département de l'Instruction publique du Canton de Genève. L’adc a reçu le soutien de la Loterie Romande pour p. 27 Passedanse au 022 329 44 00. son installation dans la Salle des Eaux-Vives. p. 28 Mémento
Le Röstigraben Une réalité qui forge l'identité de la danse suisse? Alors que la Suisse romande accueille les Journées de danse contemporaine suisse en janvier, le Journal de l'adc se penche sur la question de la danse suisse: quelle est sa singularité, qu'est-ce qui forge son identité? A-t-elle la capacité de voyager à l'intérieur du pays comme à l'étranger? Le fameux Röstigraben, qui désigne communément les diver- gences, réelles ou imaginées, entre la Suisse romande et la partie alémanique du pays, agit-il sur la production chorégraphique? 131: c'est le nombre de productions l'on a appelé «l'explosion de la nou- Quid de la danse suisse? Le présent chorégraphiques suisses que le jury velle danse française» dans les dossier esquisse un état des lieux artistique des Journées de danse années quatre-vingt, emmené par avec les appréciations de dix person- contemporaine a visionné en une Dominique Bagouet, Jean-Claude nalités du monde chorégraphique année, d'octobre 2004 à octobre Gallotta ou encore Bouvier-Obadia, suisse qui ont répondu à deux ques- 03 2005. Soit environ 80 % de la produc- pour n'en citer que quelques-uns, a tions: tion globale du pays. C'est beaucoup, été soutenu par l'arrivée de la gauche 1. Existe-t-il une «danse suisse» et dossier considérant les réelles difficultés de la au pouvoir: la danse française s'est comment pourriez-vous la qualifier? création chorégraphique qui peine alors trouvée dans un contexte favora- 2. Pourquoi la danse créée dans une encore à trouver des moyens finan- ble et s'est fortement singularisée, région linguistique circule-t-elle si peu ciers et une reconnaissance à la devenant alors l'une des plus recon- dans les autres? mesure de son développement. nues dans le monde. De même, Anne Cette question si récurrente du Toujours est-il que la danse suisse a le Teresa de Keersmaeker au Théâtre de Röstigraben s'est encore peu posée vent en poupe: on le lit dans la presse la Monnaie à Bruxelles puis avec son formellement en matière de danse. spécialisée, on l'entend dans la bou- école P.A.R.T.S., Alain Platel et le col- Voyons si ce fameux fossé se confirme che des délégués culturels de diffé- lectif d'artistes qu'il a fondé, malicieu- pour cette discipline artistique dont rents cantons, on le constate dans les sement appelé les Ballets C. de la B., on imagine spontanément qu'elle est théâtres. On l'éprouve et le prouve, ou encore la danse physique de Wim transrégionale parce que basée sur le enfin, avec l'engagement des milieux Vandekeybus, caractérisent la danse mouvement. culturels concernés dans la réflexion de la Belgique flamande; or ces artis- fondamentale du «Projet Danse»1. tes ont reçu le titre d'ambassadeurs Anne Davier culturels pour la Flandre – soit une Plusieurs paramètres semblent pour- reconnaissance et des moyens claire- Note: 1. Le «Projet Danse» est un projet commun de l'OFC et de Pro Helvetia tant nécessaires pour que se dégage ment octroyés qui, sans aucun doute, qui réunit les cantons, les villes, le milieu de la danse et la confédéra- tion. Son objectif est de proposer aux artistes de meilleures conditions- dans un pays une identité artistique ont servi à identifier ce qu'on appelle cadres et de créer des instruments permettant de défendre et renforcer durablement la qualité de la danse en Suisse (voir www.pro-helvetia.ch forte. Par exemple, le phénomène que aujourd'hui «la danse belge». ou www.bak.admin.ch/bak). Cuisson des röstis n à l’huile n au saindoux ou au beurre
Murielle Perritaz Sandrine Kuster 1. Il me semble erroné de parler d’une gnies indépendantes romandes arri- 1. Peut-on affirmer qu'il existe une danse suisse, française ou allemande. vent en moyenne à financer deux fois danse suisse par le simple fait que Ce sont surtout des formations, des mieux leur budget de création que les beaucoup de chorégraphes travail- personnalités qui ont créé des cou- compagnies germanophones. lent? Une année durant, le jury de rants artistiques et contaminé des sélection pour les Journées de Danse régions entières et ce, en favorisant Murielle Perritaz a été la collaboratrice spécia- Contemporaine Suisse a visionné plus les courants tantôt innovateurs, tantôt lisée pour le département danse de la Fondation d’une centaine de spectacles dans conservateurs, selon les politiques. Pro Helvetia. Elle est aujourd’hui à Zurich au toute la Suisse, sans parvenir à répon- Nos artistes devant se former à l’é- Theaterhaus Gessnerallee, en charge de la pro- dre à toutes les invitations des com- tranger, ils reviennent imprégnés d’in- grammation danse. pagnies. Cela ne signifie pas pour fluences diverses. En tant que grands autant que cette pléthore soit mar- «importateurs» d’interprètes étran- quée d'une identité artistique recon- gers, les chorégraphes établis en naissable, ni locomotive d'une école Suisse contribuent à cette mixité. porteuse d’un savoir-faire ou d'une Par contre, cette «contamination» pratique particulière. artistique n’a guère pu se faire sur Cependant, sommes-nous capables l’ensemble du territoire au-delà des aujourd'hui de dire que la danse barrières linguistiques. La présence belge ou française ressemble plutôt à de Béjart n’a eu des conséquences ceci ou cela? Les modes et les cou- qu’en Romandie. Et le Tanztheater rants ont disparu depuis les années peine à toucher le public romand. quatre-vingt. Les groupes d'artistes n’éprouvent plus le besoin de se 2. En observant les seules statistiques démarquer des institutions, des styles n consommation de bûches de Noël disponibles - le rapport d’activité de conventionnels, et la rupture avec les Pro Helvetia - le constat est autre. Les courants en vogue pour représenter échanges entre régions linguistiques l’avant-garde appartient au passé. De ont bien lieu, mais pas de manière nos jours, tous les styles sont explo- bilatérale. La rareté de ces échanges rés, qu’ils soient expressionnistes, s’explique aussi par le faible nombre figuratifs, conceptuels, interdiscipli- de salles susceptibles d’accueillir de Roberto Maggini naires, engagés… la danse. Le Tessin est le principal Alors, plutôt que de se demander importateur de danse d’autres 1. Lorsque l’on pense à la danse quelle est l'identité de la danse suis- régions, grâce au travail de pionnier contemporaine, on ne peut que cons- se, posons-nous la question de savoir du Teatro Dimitri, mais aussi parce tater la variété et la richesse créative comment se porte ou survit la danse qu’il s’agit d’une petite région, avec des compagnies qui travaillent en en Suisse? La danse suisse souffre 04 un nombre d’artistes locaux en pro- Suisse. Pour cela, on doit affirmer d’un mal chronique: le manque de portions limitées. Par contre, si les qu’il existe une danse suisse. C’est reconnaissance de la part du poli- dossier Alémaniques invitent régulièrement une réalité, avec des styles divers et tique. La culture se décide toujours à des Romands, les chorégraphes suis- variés, miroir de notre diversité lin- un niveau cantonal ou municipal, et la ses allemands n’ont quasiment aucu- guistique et culturelle. Cette situa- portée de ces choix reste à la dimen- ne chance d’être programmés en tion est certes très enrichissante, sion de la taille du (petit) territoire Romandie. Les raisons sont d’ordre mais elle est aussi pénalisante, dans concerné. esthétique, historique et politique. le sens qu’on ne peut y lire une force Première hypothèse: la barrière de commune. Or, nous ne devons pas 2. Sur la question de la «circulation» rösti existe. Nos références culturelles oublier que la force de la danse des compagnies par-delà les frontiè- sont différentes et ce, depuis les consiste justement dans la transmis- res linguistiques, on est naturelle- bancs d’écoles: Böll versus Camus. sion d’une communication uni- ment amené à penser que la plupart Idem pour Waldmann et Monnier. Nos verselle. des spectacles peinent à tourner en régions ont été ainsi influencées par Suisse parce qu'ils ne sont pas appré- des esthétiques très différentes et on 2. Au Tessin, grâce au Festival de ciés ou sont mal jugés aux travers de se doit d’évoquer des raisons de goût. danse de Verscio et Chiasso, qui exis- codes (langues, humour) issus d'aut- Ensuite, grâce à leur répertoire tent déjà depuis plusieurs années, et res contextes culturels. À mon avis, il moderne ou néoclassique, les institu- les développements prometteurs de s’agit d’un faux problème. Si les com- tions romandes (Béjart, Ballet de la politique cuturelle de Lugano et pagnies suisses tournent plus à l’é- Genève) ont, à l’inverse des ballets Ascona, on donne beaucoup d’espace tranger qu’à l’intérieur de leur propre classiques suisses allemands, attiré aux compagnies suisses romandes et pays, c’est en raison des grandes qua- chez eux de nombreux danseurs deve- suisses allemandes. Au Tessin, on a le lités de leurs créations. Ces qualités nus à leur tour chorégraphes. sentiment qu’il s’est créé une forte retiennent l’attention des programma- Parallèlement, une génération d’artis- rupture entre la danse contemporaine teurs étrangers qui les sollicitent au tes locaux est née en contrepoids. Les de la Suisse romande et la danse des détriment du circuit national… Donc autorités politiques romandes se sont autres régions du pays. Pour éviter un c’est plutôt un mieux qu’un mal. risquées d’emblée à soutenir ces monopole de la danse suisse roman- artistes émergents. L’ensemble a de, il est nécessaire que toutes les Sandrine Kuster est codirectrice du Théâtre de contribué à irriguer en permanence le régions de la Suisse entrent en dialo- L'Usine à Genève dès son ouverture. Elle signe champ chorégraphique, mélangeant gue sur le sujet. la programmation théâtre pour La Bâtie- scène locale et internationale, déve- Festival de Genève et dirige, depuis 2002, loppant une saine concurrence et éle- Roberto Maggini apprend le chant populaire aux l'Arsenic-Centre d’art scénique contemorain à vant le niveau d’exigence. côtés de Dimitri, qu’il accompagne dans ses Lausanne. Troisième critère, la qualité des bud- tournées à la fin des années septante. Il partici- gets de production. On observe une pe à divers spectacles de musique et théâtre au nette différence entre les régions Tessin, puis devient assistant de direction au concernant les conditions de travail et Théâtre de Locarno. En 2002, il est directeur du les moyens de production. Les compa- Théâtre Dimitri de Verscio.
Serge Rochat Claudia Rosiny 1. Vu d’ici, non, il n’y a pas de «danse 1. Pendant les vingt dernières années, théâtres des petites villes. En ce qui suisse». S’il y en avait une, elle serait la danse en Suisse a gagné en impor- concerne les préférences du public, je é(im)migrée. Pour s’exprimer et affir- tance. Grâce à la création de divers suis toujours étonnée d’observer les mer son talent, le chorégraphe doit festivals pendant les années quatre- différences de réaction selon les émigrer (Huber, Jobin, Hauert…), à vingt, la danse moderne a pu profiter régions de Suisse. La Romandie s’o- moins qu’il ne doive immigrer pour les d’une plate-forme semblable à celles riente davantage vers la France, tandis mêmes raisons (Saire, Berrettini, existant déjà en France, en Allemagne, que la Suisse allemande s’oriente, Gdaniec/Cantalupo…). Comme pour en Belgique ou au Pays-Bas. On ne elle, vers les pays germanophones. les carrières universitaires, la recon- peut pas dire pour autant qu’il existe L’humour, par exemple, n’est pas naissance (et peut-être l’épanouisse- une véritable identité propre à la perçu de la même manière partout. Le ment) passe par l’éloignement. danse suisse. La scène suisse de «Röstigraben» touche également nos Mais il n’y a pas – encore – de danse danse reflète plutôt des tendances perceptions esthétiques et il est pro- suisse, ce qui est fort heureux car le internationales: la Romandie et la fondément ancré dans notre culture. nationalisme n’a rien à voir avec l’art, Suisse alémanique créent des et fort malheureux car un label ren- concepts qui remettent en question la Claudia Rosiny est depuis 1991 coorganisatrice drait bien des services aux chorégra- performance même et qui thématisent des Berner Tanztage, dont elle assure la pro- phes que nous aimons; c’est la perti- beaucoup la corporalité dans la grammation et, depuis 1998, codirectrice du nence des Journées de danse conte- danse. Je pense par exemple à Gilles Kornhausforum à Berne. poraine suisse que d’œuvrer en ce Jobin et Estelle Héritier en Suisse sens. En raison de la densité de choré- romande ou Simone Aughterlony et graphes internationaux qui vivent Alexandra Bachzetsis en Suisse alle- dans la région et malgré le manque mande. Une identité propre – ou d’unité de leurs styles se dessine même des groupes ayant trouvé un quand même une danse lémanique. style avec un rayonnement internatio- Aurais-je la même perception si j’habi- nal – n’est pas repérable. tais Londres, Rome ou Vesoul? Actuellement, il me semble que, outre des essais conceptuels, il y a de plus 2. Si les blocages n’existaient qu’entre en plus une tendance allant vers des les régions linguistiques, j’aurais une pièces comiques – je pense à Alias, explication toute faite: les goûts du Metzger/Zimmermann/de Perrot, public diffèrent selon sa langue. Foofwa d’Imobilité, Jean-Marc Heim Hélas, au sein même de notre belle ou la Compagnie Drift. Mais je ne Romandie, la situation n’est pas pense pas que cela suffise à en faire brillante, et ceux qui tentent les liai- véritablement une «danse suisse». Ce 05 sons n’ont pas beaucoup d’appuis. sont finalement des artistes isolés Pour moi les explications sont comme Anna Huber, Foofwa ou les dossier ailleurs. D’abord, dans le Röstigraben: compagnies de Philippe Saire, Gilles les avis mutuels sur la danse de l’aut- Jobin, Thomas Hauert ou Alias qui illu- re Suisse, par leur touchante similitu- minent sporadiquement les scènes de, relèvent plus des mécanismes de internationales. la xénophobie que de ceux de la cri- tique chorégraphique. Ensuite, parce 2. Je dois aborder deux thèmes com- que les goûts du public se forment au plexes pour répondre à cette ques- cours du temps grâce aux programma- tion: il faut, d’une part, faire encore teurs, qui eux-mêmes font partie de beaucoup de progrès du point de vue réseaux dont les différents nœuds de la coordination, du financement et sont géographiquement éloignés les de la publicité pour les tournées uns des autres. La Suisse est si petite nationales de groupes suisses. et bénéficie de moyens de transport si D’autre part, le «Röstigraben» existe bons qu’un même réseau y est rare- aussi dans l’univers de la danse. Et ce ment présent deux fois. Cela défavori- aussi bien du point de vue qualitatif se le rapprochement des goûts entre que du point de vue du public qui a les deux cotés du rideau de crêpes de des goûts différents. De manière pommes de terre. Ces deux raisons générale, la Romandie présente cumulées ne font pas honneur à notre depuis quelques temps des produc- soi-disant vocation de modèle pour tions plus intéressantes. Du coup, les l’Europe! Des raisons récentes mais artistes romands font plus de tour- tangibles d’espérer: la présence de nées en Suisse allemande que l’inver- Murielle Perritaz à la Gessnerallee de se. Le réseau romand Corodis est Zurich, et les programmations lors des exemplaire, mais il n’a aucun effet en Urbaines 2005 à l’Arsenic de Meret Suisse allemande. Un tel réseau Schlegel du Tanzhaus Wasserwerk et n’existe pas en Suisse allemande. Les de Catja Loepfe de la Rote Fabrik de deux régions devraient travailler Zurich. Je n’aurais pas pu citer ensemble, voire fusionner, afin d’aller d’exemples il y a deux ans, voyons-y à l’encontre de la frontière linguis- une inversion de tendance. tique. En l’état, il manque un bon nombre d’organisateurs capables de Serge Rochat, ingénieur, est un spectateur de payer des gages corrects. Et puis, il y danse contemporaine à tendance exhaustive. iIl a la motivation des artistes eux- donne des coups de main dans des festivals et mêmes. Aux Pays-Bas, les compa- assure la présidence de la Parano Fondation gnies sont obligées de faire des tour- (Gilles Jobin) et celle de l’AVDC (Association nées et elles présentent également n pratique des jeux traditionnels comme la lutte à la culotte, Vaudoise de Danse Contemporaine). leurs spectacles sur les scènes des le tirer à la corde, le lever et le lancer de la pierre
Claude Ratzé Meret Schlegel 1. La «danse suisse» n’existe pas! 1. Il n’y a pas de «danse suisse»! La nes novatrices et des écoles se trou- Faute à l’absence d’une figure emblé- scène de danse suisse est très hétéro- vant en Europe ou outre-Atlantique. matique, charismatique, inventive et gène. Cette diversité s’étend des com- Le «Röstigraben» n’est pas un obsta- inspirante. Faute également à une pagnies de ballet des théâtres de cle dans leur carrière, mais un petit politique culturelle déficiente au villes à des plus petits groupes décri- saut à faire, tout au plus! niveau national. La danse est histori- vant leur travail comme recherche. Il y Je souhaite que le public soit plus quement l’affaire des villes et de leurs a autant de compagnies bien établies curieux et plus apte à prendre des grandes institutions dotées de corps que de nouveaux venus qui disparais- risques pour le développement de la de ballet au vocabulaire majoritaire- sent tout aussi rapidement. danse suisse. Il y a encore tant à ment néoclassique. Voilà une vingtai- Que ce soit sur des scènes ouvertes découvrir… ne d’années, la danse contemporaine ou des lieux fixes, les danseurs et les ou dite libre (comme on aime à la chorégraphes circulent de plus en Meret Schlegel est danseuse, chorégraphe et nommer en suisse alémanique) s’est plus. Cela a des conséquences sur le pédagogue. Elle dirige le Tanzhaus Wasserwerk développée dans les milieux urbains contenu et le style des spectacles. à Zurich, soit la maison de la danse zurichoise. et propose, malgré un grand nombre Plus qu’une frontière nationale, c’est de difficultés, une affiche aussi riche une frontière le long du «Röstigraben» que variée. qui se dessine. Ces divergences ten- dent vers une orientation allant au- 2. Pourquoi, alors, a-t-elle de la diffi- delà des frontières de la Suisse. Les culté à circuler d’une région à l’autre? échanges entre la Romandie et la Selon moi, il existe deux facteurs. Tout France sont beaucoup plus intenses d’abord, contrairement à une idée que ceux entre la Suisse allemande et reçue, la danse n’est pas un genre l’Allemagne, par exemple. Berlin, lieu artistique universel accessible et d’une danse novatrice, est très éloi- apprécié pareillement par tous. Il est gné. De plus, l’organisation des théât- fascinant d’observer à quel point la res français et celle des théâtres alle- création chorégraphique repose sur mands est très différente. Dans les légendes, l’animal qui fait peur aux enfants des idées esthétiques très diverses Les différences du point de vue de la n la chouette n le loup d’une région à l’autre. À partir de ce gestion des soutiens sont aussi capi- point de vue culturel, la question du tales: un soutien continu et à long goût n’est pas à nier. Comme pro- terme, comme c’est le cas en grammateur, par exemple, j’ai beau- Romandie depuis de nombreuses coup de peine à apprécier une danse années, permet un travail de longue qui flirte avec le mime et sur laquelle haleine, et les chorégraphes peuvent plane parfois l’ombre des Mummen- monter leur propre compagnie et la Catja Loepfe 06 chanz et/ou de Dimitri. Sans manquer maintenir. Grâce à cet aspect, il existe de respect à ces deux grandes figures des chorégraphes novateurs, des dan- 1. La «danse suisse» n’existe pas. La dossier de la création suisse, je dois dire que seuses et des danseurs qui sont une Suisse produit une grande variété de je ne souhaite pas programmer le cou- source d’inspiration pour la scène de styles de danse et d’esthétiques diffé- rant de la danse alémanique et tessi- danse ainsi que pour les futurs artis- rentes, qui sont régionalement mar- noise marqué par cette alchimie-là. tes.De plus, il existe des institutions, quées par les tendances des pays En second lieu, la diversité des infras- telles que l’Arsenic, qui offrent une limitrophes. Au sein même de ces tructures, de leurs missions et de place importante aux performances. régions linguistiques, on ne peut pas leurs organisations posent également Jusqu’à présent, on soutient davan- parler d’identité ou de style spéci- problème. Dans notre pays, peu de tage les projets en Suisse allemande. fique. On peut, tout au plus, tenter de théâtres ou d’associations sont com- Les travaux à long terme, comme c’est soulever certaines tendances ou diffé- parables. Rares sont ceux qui pro- le cas pour la création d’une compa- rences. Alors que la danse suisse alé- gramment de la danse à cent pour gnie, par exemple, sont donc rendus manique est souvent décrite comme cent. Cette discipline partage souvent difficiles. Le soutien, qui est synony- théâtrale, les productions romandes l’affiche des théâtres et festivals avec me de survie, est intimement lié au sont, elles, plutôt conceptuelles et d’autres genres artistiques quand ce succès. Il existe ici une scène très abstraites. La danse romande prend ne sont pas les compagnies elles- hétérogène, de composition toujours une orientation plus internationale et mêmes qui louent directement des différente et avec peu de compagnies elle correspond donc davantage aux espaces où se produire. Ce système fixes. La danse est plus narrative et tendances actuelles. Plutôt que de se incroyablement varié ouvre la porte à elle est souvent définie comme du poser la question si une danse suisse tous les types de créations chorégra- «théâtre danse». L’aptitude à prendre existe, il faudrait se demander si elle phiques et c’est tant mieux, même si des risques, que ce soit du point de est de qualité. La qualité se trouve là la qualité n’est pas toujours au ren- vue du contenu ou du point de vue où le terrain favorable à la création est dez-vous. émotionnel, est étouffée au profit le plus riche. Ce terrain se constitue Dès lors, les programmateurs de d’un résultat propre et net. Cela ne de soutiens financiers et structurels, danse ne sont pas si nombreux et il mène pas à la virtuosité, mais offre d’une politique clairvoyante, d’un est donc difficile de se fédérer autour tout de même des spectacles de public à l’esprit ouvert et sensible, de l’idée de la diffusion chorégra- danse divertissants. d’échanges et de connexions entre les phique. Souhaitons qu’avec le déve- artistes ainsi que de bonnes possibili- loppement de structures plus profes- 2. La Suisse n’est pas connue pour tés de formation ou de postformation. sionnelles, les spectacles de qualité aimer prendre des risques; on préfère Ces éléments ne garantissent certes tourneront d’une région à l’autre avec miser sur ce qui est connu et qui a fait pas le succès, mais ils y contribuent plus d’aisance. ses preuves. Cela vaut également certainement. pour le public suisse. La danse suisse n’existera jamais et Claude Ratzé est chargé de la programmation Les danseuses et les danseurs bou- c’est une bonne chose. La danse vit danse du Festival de la Bâtie de 1994 à 2002. Il gent au-delà des frontières. Leurs de sa diversité. Même en Suisse, il y a dirige l’adc (Association pour la danse contem- modèles ou leur références sont des assez d’espace pour les formes, les poraine, Genève) depuis 1992. artistes d’exception ainsi que des scè- styles et les esthétiques les plus
Christina Thurner Véronique Ferrero Delacoste variés. Les différences régionales enri- 1. De manière générale, on ne peut 1. La danse suisse existe dans sa plu- chissent la scène suisse et stimulent pas parler de «danse suisse», tout ralité à la différence de pays comme la la qualité des créations. comme on ne parle pas globlalement France et la Belgique, qui ont généré de «littérature suisse» ni d’«art suis- (dans les années quatre-vingt et no- 2. Il n’y a que peu d’échanges entre se». Et pourtant, le terrain de tout tra- nante) de véritables «courants». les régions. D’une part, les lieux vail artistique n’est jamais vierge. En effet, dans ces pays, nombres de exclusivement réservés à la danse L’origine et le contexte, ainsi que le danseurs et/ou chorégraphes sortant sont rares. Il faut souvent partager lieu et le moment de la création, des mêmes écoles ou centres de for- une salle destinée à d’autres discipli- jouent un rôle capital. Dans ce sens, la mation ont exploré un langage res- nes et la danse doit se battre pour danse suisse est certainement impré- semblant. avoir sa place. Il n’existe en effet pas gnée de caractéristiques culturelles, À l’inverse, contrairement à d’autres assez de lieux permettant aux compa- lesquelles peuvent être considérées domaines comme, par exemple, les gnies de partir en tournée. ou décrites comme des «tendances». arts visuels, les artistes chorégra- D’autre part, cette imperméabilité C’est ainsi que, depuis les années phiques suisses se sont souvent for- entre les régions est aussi due à la nonante, on peut noter une tendance més et/ou ont pratiqué leur métier à qualité des créations. En ce moment, en Suisse romande montrant des per- l’étranger. De plus, depuis dix ans, la Romandie produit des spectacles formances qui travaillent sur la notion des danseurs étrangers viennent de danse d’excellente qualité. même de représentation et qui, par là, rejoindre des compagnies suisses et L’exportation de compagnies roman- se remettent en question. En Suisse finissent par s’installer ici pour pour- des vers la Suisse allemande est donc allemande, en revanche, les produc- suivre leur travail de création. beaucoup plus élevé que l’inverse. tions sont plus théâtrales et mettent Soit un croisement de cultures, qui Les préférences et l’esprit d’initiative en avant un humour excentrique. Cela produit la grande diversité chorégra- des organisateurs jouent aussi, finale- a à faire avec le contexte culturel de phique que l’on peut découvrir sur les ment, un rôle très important. Je pense chacun des artistes plutôt qu’avec des scènes helvétiques. que la frontière linguistique y est pour caractéristiques propres à une culture Parmi les derniers «immigrés» en quelque chose. Les compagnies se régionale. Cela ne signifie pas non Suisse, j’aimerais souligner la présen- montrent timides vis-à-vis des négo- plus qu’il n’existe pas de travaux ce de La Ribot, qui non seulement ciations avec les organisateurs d’une «déconstructifs» en Suisse alleman- s’installe à Genève mais a obtenu un autre région linguistique. Les échan- de, tout comme on ne peut pas pré- poste d’enseignement aux Beaux- ges sont plus fréquents avec les pays tendre que la Romandie ne crée pas Arts. La danse, en Suisse, deviendrait- limitrophes, comme l’Allemagne, des performances théâtrales. Les elle un art à part entière? l’Autriche, la France ou l’Italie, car le Suisses pourraient explorer des thé- problème linguistique n’existe pas. matiques comme l’ont fait les Belges, 2. Si notre pluriculturalité est une Les belles créations devraient circuler les Français ou les Allemands. Les dif- force, elle est aussi un obstacle. Les 07 beaucoup plus dans la Suisse entière. férences sont plutôt dues aux habitu- échanges se pratiquent plus facile- Il existe un réseau suisse d’organisa- des de conception, au degré d’expé- ment avec l’étranger qu’à l’intérieur dossier teurs de spectacles de danse. On peut rience des créateurs et du public, aux du pays. donc espérer, qu’à l’avenir, les échan- centres d’intérêts actuels, aux structu- En Suisse, il y a une sorte de décala- ges soient plus fréquents. res de soutien ou même au hasard. ge, non seulement dans les proposi- tions chorégraphiques mais aussi Catja Loepfe a étudié l’ethnologie et l’anthropo- 2. Je pense que cela vient moins des dans le public. Par la plus forte pré- logie du théâtre. Elle est directrice du Théâtre spectacles de danse que du public et sence des ballets institutionnels en Rote Fabrik à Zurich et se charge de la program- des organisateurs. On préfère montrer Suisse allemande qu’en Romandie, la mation pour la danse, le théâtre et le théâtre et voir ce qui est tout «proche» ou danse indépendante a eu du mal à pour enfants. alors ce qui est complètement «étran- trouver sa place. Aujourd’hui, la situa- ger». L’intérêt porté à des spectacles tion outre-Sarine change. La présence venant des autres régions de Suisse de Meg Stuart au Schauspielhaus de n’est donc pas très important. Cette Zurich, durant la période Marthaler, a tendance évolue. Si des compagnies laissé des traces. Une nouvelle géné- et des artistes arrivaient à avoir une ration de danseurs-chorégraphes, certaine renommée et à éveiller l’inté- comme Simone Aughterlony, Salomé rêt du public, alors des spectacles de Schneebeli ou Alexandra Bachzetsis qualité tourneraient à travers la fait ses preuves. Le nouveau partenai- Suisse. En tant que journaliste aléma- re de la grande maison zurichoise, nique, j’apprécie les productions William Forsythe, avec ses installa- romandes. D’autant que je suis du tions, sa présence dans la ville et la milieu et que je suis toujours curieuse présentation de ses nouvelles pièces de mesurer l’évolution. C’est comme va probablement générer de nouvelles dans une série télévisée, on veut dynamiques. connaître la suite! Cela dit, dans chaque région linguistique, l’offre cul- Véronique Ferrero Delacoste dirige en 1995 un turelle est déjà très riche et il est donc théâtre pour jeune public à Monthey, puis difficile de rendre le public attentif à la rejoint en tant que programmatrice danse le danse d’autres régions. Il faut alors FAR - Festival des arts vivants à Nyon et, en s’en remettre aux producteurs, aux 2002, La Bâtie-Festival de Genève. publicitaires et aux médias. Christina Thurner est journaliste de danse pour la Neue Zürcher Zeitung, Ballet-tanz, Tanz- journal entre autres. Elle enseigne au Département de danse de l’Institut des Arts dra- D’où viennent les bébés ? n Ils naissent dans les choux ou les courges. matiques et au NDS TanzKultur à l’Université de n Ils naissent dans les arbres, les forêts, les rochers ou les ruisseaux, selon les régions. Berne.
Doppelte Natur C’est un chorus: le métissage et la diversité caractérisent la danse contemporaine suisse, qui a souvent pris ailleurs pour mieux redonner. De part et d’autre du rideau de rösti. La Suisse n’a pas une longue tradition son ballet. Ce faisant, la Suisse en tant que lieu de création. Terre devient une nation chorégraphique d’exil au début du siècle passé pour aux yeux du monde alors que le cho- les artistes qui venaient s’y réfugier régraphe ne produit déjà plus beau- en période de guerre, elle a vu passer coup de chocs esthétiques tels que des figures marquantes mais aucun celui de 1958: le succès de son Sacre grand maître n’est sorti de son sein. du printemps présenté au Théâtre de Trois exemples: sur les rives du la Monnaie à Bruxelles permit au cho- Léman, Serge Diaghilev recompose en régraphe de fonder son Ballet du XXe six mois ses Ballets Russes que la siècle. C’est donc une patte légère guerre a dispersés; il est rejoint par que la figure de Maurice Béjart laisse une soixantaine d’artistes, dont dans la création helvétique, avec Léonide Massine et Igor Stravinsky. quelques-uns de ses interprètes qui Une étape lausannoise importante fondent leur propre compagnie en pour Diaghilev, qui embarque rapide- Suisse1. Le fameux Prix de Lausanne ment ses Ballets pour New York. À fondé en 1972 a quant à lui le mérite Monte Verità, colline surplombant d’être suivi sur le petit écran par un Ascona, Rudolf Laban rejoint par sa grand public et de dispenser des disciple Mary Wigman trouve les bourses à de jeunes prodiges de tous conditions idéales pour quêter de pays, mais il n’a pas une influence nouvelles voies d’inspiration et pour- directe sur la production de l’art cho- suivre sa recherche sur le mouve- régraphique romand. Il permet sur- ment, avant de rentrer en Allemagne tout à ses lauréats de débuter une une fois la paix recouvrée. Nijinsky, belle carrière d’interprète. 08 enfin, s’installe dans la villa Des noms illustres et de grandes insti- Guardamunt de Saint-Moritz dans l’i- tutions, mais finalement peu d’inci- dossier dée de travailler sur divers projets. dence sur la création chorégraphique Malheureusement, celui qui chorégra- du pays. Déjà évoquée dans divers phia et interpréta le mythique Après- ouvrages sur la danse suisse2, l’hété- midi d’un faune glisse rapidement rogénéité semble définir durablement dans la folie. Il reste vingt ans en l’art chorégraphique du pays. Jusqu’à Suisse, principalement interné. la danse contemporaine, dont l’histoi- Parallèlement, la Suisse se distingue re suisse commence véritablement au par une émigration conséquente de début des années quatre-vingt avec ses artistes, à l’image de la Zurichoise presque rien. Le métissage s’impose Trudy Schoop qui connut une belle encore, puisque la figure forte et renommée aux États-Unis avec sa inspirante en terre romande est danse de cabaret. Ils sont en effet l’Argentine Noemi Lapzeson formée nombreux dans l’entre-deux-guerres à chez Martha Graham aux Etats-Unis. quitter la terre helvétique pour briller En Suisse allemande, la danse indé- ailleurs et passer l’essentiel de leur pendante s’éveille plus tard avec le carrière à l’étranger, d’où leur caractè- CH-Tanztheater; mais la région souffre re parfois anonyme ici: Berthe d’un manque de continuité, malgré le Trümpy, Vera Skoronel, Maya Kubler, travail soutenu de Drift, compagnie Hans Züllig… emmenée par Béatrice Jaccard et Du côté des institutions, pleins feux Peter Schelling. sur les ballets. La Suisse forme en effet des balletomanes quand, au Les vertus de la circulation tournant des années cinquante, elle D’après les réponses des personnali- découvre les grands classiques et le tés interrogées dans le présent dos- répertoire russe. Ce qui permet au sier, il semble que la danse contempo- ballet d’entamer une phase de déve- raine suisse s’écrive au pluriel: il y loppement spectaculaire dans les aurait une nette différence entre la années septante et dans les principa- danse produite en Suisse romande et les grandes villes du pays avec, celle d’Outre-Sarine. Quelques-uns le notamment, Heinz Spoerli à Bâle (et mettent en mots: les influences du bien plus tard à Zurich), et la balanchi- Tanztheater, de Dimitri ou des Mum- nienne Patricia Neary à Genève. La menschanz marquent encore la décroissance générale du ballet néo- Suisse alémanique, tandis que la classique s’amorce à la fin des années Suisse romande est tournée vers une quatre-vingt tandis que Lausanne danse plus abstraite. C’est sans doute Jeu de Jass n cartes à jouer germaniques (gland, etc.) accueille en 1987 Maurice Béjart et sur ce point que le Röstigraben se n cartes à jouer françaises (pique, etc.)
révèle le plus profond. Ils sont nomb- Keersmaeker, est aujourd’hui choré- reux à évoquer un vrai clivage au graphe, et sa compagnie ZOO est niveau des esthétiques, des goûts et implantée et soutenue à Bruxelles. De de la qualité des productions choré- même, la Bernoise Anna Huber est graphiques, certains relevant par établie à Berlin. Quelques autres ailleurs comment la Romandie se effectuent de beaux allers-retours, détache du reste de la production comme Foofwa d’Imobilité et Gilles nationale en proposant d’excellents Jobin. Le premier, formé au Ballet spectacles qui traversent plus volon- Junior de Genève, devient l’interprète tiers les frontières, dont celles, lin- à New York de Merce Cunningham et guistiques, du pays. revient après dix ans à Genève en tant Il est notoire de constater comment la que chorégraphe. Le second, issu de Suisse reste, comme au siècle passé, la même école genevoise et du centre un pays ouvert pour la danse qui, de Rosella Hightower à Cannes, fait sous l’impulsion de créateurs d’origi- ses premières armes dans les murs du ne étrangère tels que Guilherme Théâtre de l’Usine à Genève puis éta- Botelho ou Gisela Rocha, parvient à blit sa compagnie à Londres avant de se régénérer – ce qui semblait moins revenir le vent en poupe au pays. évident au temps de Diaghilev. Autre La danse contemporaine suisse se exemple, la halte zurichoise de quatre nourrit ailleurs. Elle ne se fédère pas ans de la chorégraphe américaine en chapelle, ne crée pas un courant Meg Stuart en tant qu’artiste en rési- identitaire fort et identifiable hors de dence au Schauspielhaus a essaimé ses frontières. Et quand elle atteint un quelques talents. Parmi ses interprè- niveau d’exception, elle est appelée tes, la Néo-Zélandaise Simone sur les scènes étrangères. Enfin, la Aughterlony, aujourd’hui chorégraphe danse suisse résiste à toute tentative prometteuse à Zurich. William de définition auprès des personnali- Forsythe, qui succède à Meg Stuart, tés interrogées: bien qu’il y ait beau- laissera peut-être derrière lui coup de danse en Suisse, il n’existe quelques talents. pas une «danse suisse». Inversement, les artistes suisses qui Alors qu’une belle partie du paysage font profession de la danse sont appe- chorégraphique se compose d’artis- lés à se former à l’étranger, prioritaire- tes émigrés et immigrés, le mythe ment faute de structures pédago- d’un pays quadrilingue s’envole, giques professionnelles. Certains ne comme l’exprime Daniel de Roulet3. reviennent pas: le Soleurois Thomas L’auteur explique comment les artis- 09 Hauert, interprète d’Anne Teresa de tes suisses se sont habitués à rire de l’avarice nationale, à jouir de la géné- dossier rosité des villes et des cantons et à se confronter directement à la mondiali- «Je peux sans autres m’imaginer té. Il relève enfin que, si les artistes que la Suisse se désagrège.» peuvent se passer d’un discours Friedrich Dürrenmatt, 1990 national, l’État national, lui, ne peut se passer d’un discours culturel. «Le Röstigraben me paraît en Oui, la danse contemporaine et indé- dernière analyse moins dange- pendante suisse a aujourd’hui une reux, pour la cohésion de ce très belle légitimité et se montre sûre pays, que l’emploi d’un parler d’elle. Elle n’est pas politique et guère caoutchouteux qui en estompe- engagée; elle n’est ni «trash», ni rait systématiquement les agressive, ni impertinente; elle n’est contradictions, les antagonis- pas plus dépressive que sensuelle. Si mes, voire tout simplement les elle se distingue, c’est au-delà des dif- différences.» férences dessinées par le Rösti- Ruth Dreifuss, 1994 graben. Libre, elle ose se faire et se fiche de son identité nationale. «Je vois que la Suisse est en danger d’éclatement.» AD Jean-Pascal Delamurraz, 1995 Notes: 1. Cité dans le cahier spécial de la revue française Mouvement sorti pour le 20ème anniversaire du Centre Culturel Suisse à Paris. «L’identité se forge (aussi) par 2. Le dernier en date est La Danse en Suisse, édité en 2000 par Pro Helvetia. la différenciation. (…) Ce n’est 3. La compagnie de Vevey, Nomades, et celle de Pully, Linga, ainsi que la Compagnie Buissonnière de Lausanne sont menées par d’anciens dan- pas en faisant des tentatives de seurs étoiles de Maurice Béjart. rapprochement embarrassées et timides que nous renforce- rons notre identité, mais en por- tant une attention soutenue mais bienveillante à nos diffé- rences.» Moritz Leuenberger, 2000 Les illustrations de ce dossier et les cita- tions ci-dessus sont tirées de l’ouvrage Rideau de rösti – Röstigraben de Laurent Flütsch, Infolio éditions. Catalogue de l’ex- position du Musée romain de Lausanne- Jours «qui portent malheur» Vidy, du 24 mars 2005 au 15 janvier 2006. n mercredi n mardi n vendredi
10
Journées de danse contemporaine suisse Quinze spectacles sont programmés sur quatre jours, du 18 au 21 janvier, à Lausanne et Genève. Très brève présentation de la programmation qui se découvre en détail sur le site www.journeesdansesuisse.ch Les 18 et 19 janvier à Genève Compagnie Nicole Seiler Anna Huber / annahuber.compagnie. Madame K / Lui hierundoderhierundoderhierund- Nicole Seiler fait dialoguer intelligem- oderdort Guilherme Botelho / Alias ment images et mouvements depuis Délicat, hierundoder… est ciselé par I want to go home 2004. Dans Madame K, une danseuse l’ombre et la lumière. Bernoise instal- Sur scène, six danseurs et trois se démultiplie sur écran alors que lée à Berlin, Anna Huber suit une ligne monstres, symboles de nos terreurs dans Lui, un danseur rejoue la même artistique qui force les limites du solo intimes et références au K, texte de thématique de l’être et du paraître, et frappe par la clarté du propos. Buzzati qui donne son impulsion à mais du côté masculin. Arsenic-studio, 20 janvier à 16h, 21 janvier à 17h30 cette chorégraphie. Salle des Eaux-Vives, 18 janvier à 17h, 19 janvier à 23h Théâtre Forum Meyrin, 18 janvier à 20h Gilles Jobin / Parano Fondation Steak House Cindy Van Acker / Compagnie Greffe Des murs, des meubles, des couvertu- Pneuma 02:05 res, Steak House se présente comme Après trois solos remarquables, la une chorégraphie fortement ancrée chorégraphe crée sa première pièce dans la matière. Accompagné de cinq de groupe (voir p. 12). Les 20 et 21 janvier à Lausanne interprètes et de l’extraordinaire Salle des Eaux-Vives, 18 janvier à 23h, 19 janvier à 17h machine musicale de Cristian Vogel, Gilles Jobin glisse vers l’onirisme. 11 Filippo Armati Compagnie Philippe Saire Arsenic-grand plateau, 21 janvier à 21h30 My life as an art piece Sang d’encre du 18 au 21 janvier Le Tessinois Filippo Armati existe Les six danseurs de la Compagnie Gisela Rocha Company parce qu’il raconte et danse sur scène Philippe Saire se livrent à des com- Re Mind son histoire. L’essentiel est là, aussi bats absurdes, des jeux furieux pour Enfant chérie de la scène zurichoise, rationnel que radical, et doit convain- traduire les peurs, les dangers et l’in- Gisela Rocha transporte son public cre le public: ma vie est-elle une sécurité. avec cette pièce raffinée qui s’appuie œuvre d’art? Théâtre Sévelin 36, 20 janvier à 17h30, 21 janvier à 21h sur la recherche du temps perdu. Théâtre de l'Usine, 18 janvier à 17h, 19 janvier à 23h Nostalgie des instants passés. Compagnie Estelle Héritier Arsenic-grand plateau, 20 janvier à 17h30 Simone Aughterlony Pièces d’origine Performers on Trial Estelle Héritier poursuit avec cette qua- Laurence Yadi, Nicolas Cantillon / Interprète sidérante de Meg Stuart, trième création une recherche sensible Compagnie 7273 Simone Aughterlony cherche, dans ce sur le corps et sa matérialité. Ici, le Simple proposition duo, à persuader le spectateur de sa mouvement est créé en relation étroite Les deux chorégraphes découvrent un valeur tout en questionnant la sincéri- avec l'environnement scénique: une registre expressif aussi déroutant té de sa performance. immense hélice en mouvement. qu’original. Leur Simple proposition Théâtre de l'Usine, 18 janvier à 23h, 19 janvier à 17h Arsenic-petit plateau, 20 et 21 janvier à 23h dépose sur le plateau une danse ellip- tique qui donne libre place, pour le Marco Berrettini / *Melk Prod. Alexandra Bachzetsis public, à la reconstitution. No Paraderan Gold Arsenic-petit plateau, 20 janvier à 16h, 21 janvier à 17h30 En attendant la star du soir, huit per- Une pièce étrange sur le corps érotisé sonnages sans auteur font leur show de la femme dans la culture hip-hop et suscitent devant le rideau le fantas- contemporaine. La tendance porno- me du spectaculaire. Pathétique, graphique des clips vidéo de R&B et comique et flamboyant, cette pièce ses stratégies de marketing sont ici joue sur le désir et la frustration de très intelligemment exposées. l’art et du spectacle. Arsenic-studio, 20 et 21 janvier à 23h Théâtre Forum Meyrin, 19 janvier à 20h30 Réservations Pour les spectacles à Genève: 022 989 34 34 Thomas Hauert / Zoo Pour les spectacles à Lausanne: 021 625 11 36 Foofwa d’Imobilité / Neopostist Ahrrrt Modify Infos Benjamin de Bouillis Subtil et baroque tout à la fois, Modify www.journeesdanseuisse.ch À partir d’une étude sur des entretiens soumet le regard à une danse de la www.schweizertanztage.ch et récits de décorporation, Foofwa profusion accaparée par un flux musi- www.swissconteporarydance.ch info@journeesdansesuisse.ch d’Imobilité crée un solo qui fait la part cal. Fascinante, cette récente création 022 321 81 00 belle aux analogies entre les cas du Soleurois établi à Bruxelles frappe Les Journées de danse contemporaine suisse 2006 reçoivent le soutien pathologiques et le travail du danseur, par la relation des corps entre eux et du Département des Affaires culturelles de la Ville de Genève, du Département de l’Instruction publique de l’État de Genève, du miroir du soi comme de l’autre. leur rencontre avec la musique. Département des Finances de l’État de Genève, de La Ville de Lausanne, de l’État de Vaud, de la Loterie romande et de Pro Helvetia-Fondation Théâtre de l'Usine, 18 janvier à 17h, 19 janvier à 23h Théâtre Sévelin 36, 20 janvier à 21h suisse pour la culture.
Vous pouvez aussi lire