Ce que vous ne savez pas encore sur les jeux vidéo - Reforme.net
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Ce que vous ne savez pas encore sur les jeux vidéo Ils étaient 304 000. 304 000 passionnés à s’être rendus, début novembre, à la Paris Games Week, le salon français du jeu vidéo. Plus tôt dans l’année, la fondation EDF accueillait une exposition consacrée à l’histoire du jeu vidéo après celles, les années précédentes, proposées par la Cité des sciences et le Grand Palais. Sur YouTube, premier réseau social de vidéo au monde, le vidéaste le plus suivi est le Suédois PewDiePie, un joueur chevronné de jeux vidéo. Ses vidéos totalisent plus de 16 milliards (!) de vue. Ces trois exemples témoignent de l’ampleur de la pratique des jeux vidéo aujourd’hui, en France et dans le monde. Une pratique qui commence, doucement, à gagner en respectabilité. Lorsque les médias généralistes s’y intéressent, toutefois, c’est surtout sous l’angle économique. C’est aussi pour faire état de polémiques, parfois légitimes, liées à la violence de certains jeux, et aux risques d’addiction qu’ils peuvent entraîner. Au risque de passer à côté du foisonnement créatif que recèle ce médium bientôt soixantenaire. Des jeux divers et variés Mais de quoi parle-t-on quand on dit « jeu vidéo » ? Bien malin celui qui apportera la réponse. En introduction de sa Philosophie du jeu vidéo, le philosophe Mathieu Triclot se penche sur la difficulté de trouver une définition précise, tant les jeux vidéo sont divers, multiples. Diversité de supports, tout d’abord. Les jeux vidéo peuvent se jouer sur console, sur ordinateur, mais aussi, et de plus en plus, sur téléphone portable.
Diversité de formes, ensuite, avec des jeux en deux ou trois dimensions. Certains cherchent par leurs graphismes à coller au plus près possible à la réalité, avec des résultats souvent spectaculaires, quand d’autres préfèrent s’éloigner du réel, avec des choix esthétiques qui vont du poétique au cartoonesque. Diversité de contenus, également. Dans les jeux vidéo, on trouve de tout. Des jeux d’action, d’aventure, de sport, mais aussi des jeux de rôle, de gestion ou de stratégie. Certains se déroulent en temps réel, d’autres au tour par tour (comme aux échecs) ; certains déploient une narration linéaire quand d’autres laissent une grande liberté de choix au joueur. Tetris, créé par le Soviétique Alekseï Pajitnov D. R. Diversité d’expérience, enfin. Jouer à Tetris, le chef-d’œuvre du Soviétique Alekseï Pajitnov, créé en 1984, procure une expérience de jeu fort différente de celle d’un jeu massivement multijoueurs – ces jeux qui se jouent à plusieurs sur Internet – comme PlayerUnknown’s Battleground (Bluehole, 2017). Ce jeu de tir rassemblait en octobre dernier plus de 2 millions de joueurs en simultané, un record. « La diversité de styles et de pratiques dans le jeu vidéo est comparable à celle que l’on trouve dans la musique », relève Mathieu Triclot. Pour le philosophe, le jeu vidéo doit se penser avant tout à travers l’expérience du joueur : qu’est-ce que cela fait de jouer ? Cette expérience, explique-t-il, n’a cessé d’évoluer au fil des années.
Les premiers jeux vidéo, comme Space Invaders, au début des années 1960, sont des produits directs de la culture « hacker » et des laboratoires universitaires américains. Le jeu est alors utilisé pour maîtriser l’outil informatique. La décennie suivante voit l’émergence du marché du jeu vidéo, avec l’apparition des bornes d’arcade et de jeux comme Pac-Man (1980). « L’expérience du jeu d’arcade est fondée sur l’échec, détaille Alexis Blanchet, chercheur à l’université Paris-3 Sorbonne nouvelle. Par principe, le joueur ne peut pas gagner, car le jeu ne cesse d’accélérer, jusqu’à devenir incontrôlable. » Le modèle économique des bornes d’arcades repose en effet sur la réintroduction de pièces dans la machine. D’où, selon Mathieu Triclot, une forme de « vertige » que procure l’instant de concentration pure quand le moindre faux pas peut mener au game over… Les premières consoles de jeu Dans les années 1980, une forme d’expérience ludique radicalement différente apparaît : les premières consoles de jeu. Le jeu vidéo investit alors le foyer familial. Il se joue sur la télévision et devient un produit de masse, à destination en premier lieu des enfants. Le Japonais Nintendo, un ex-fabricant de jouets, devient l’un des piliers du marché. Il crée le personnage de Mario, l’une des figures les plus populaires de l’histoire des jeux vidéo. Alors que le joueur d’arcades devait résister à l’accélération infinie, celui des consoles Nintendo est invité à découvrir un monde, un espace à l’intérieur de l’écran.
Mario (ici dans Super Mario Bros 2), l’une des figures les plus populaires de l’histoire des jeux vidéo © Nintendo Dans les années 1990, une évolution transforme de nouveau le secteur, portée par la Playstation de Sony. C’est l’apparition de la 3D, qui change les habitudes, les expériences, en favorisant une plus grande immersion dans l’univers du jeu. Dans les années 2000, World of Warcraft (Blizzard, 2004) est emblématique d’une nouvelle forme d’expérience de jeu, celle des jeux massivement multijoueurs. Si elles se suivent, ces diverses façons de vivre le jeu vidéo n’effacent pas systématiquement les précédentes. Les expériences, aujourd’hui, sont multiples, d’autant plus que le secteur vit depuis plusieurs années une période de grande créativité. Pourquoi ? « Les logiciels de création de jeu vidéo sont désormais très accessibles pour des développeurs indépendants des grands studios, relève Alexis Blanchet. Ces développeurs bénéficient de la tendance à la dématérialisation du jeu vidéo. Les coûts de production et de distribution s’en retrouvent réduits, et des jeux à la diffusion autrefois modeste bénéficient d’une plus grande visibilité. » « De plus en plus de développeurs indépendants souhaitent remettre en cause les formes et les conventions du jeu vidéo, ajoute Tony Fortin, fondateur des Cahiers du jeu vidéo. En parallèle, le vieillissement des joueurs fait que leurs centres d’intérêt évoluent. D’où un appétit plus marqué pour les jeux originaux. »
“Little Nightmares”, une production de Tarsier studios (2017) © Tarsier studios Ces dernières années, les exemples sont légion. Le joueur du cauchemardesque Little Nightmares (Tarsier studios, 2017) se retrouve immergé dans une atmosphère de clair-obscur, et doit échapper à des créatures monstrueuses. Le mélancolique Firewatch (Campo Santo, 2016) plonge lui le joueur dans la peau d’un guetteur de feux de forêt. Les tons pastel orangé servent un scénario ciselé et un soin particulier accordé aux dialogues. Dans une veine plus loufoque, Octodad (Young Horses, 2014) joue à fond la carte du comique gestuel. Le joueur incarne une pieuvre qui se donne tout le mal du monde à se faire passer pour un humain – il s’agit de contrôler, à l’aide de sa manette, chacun des huit membres du céphalopode. Pas une mince affaire. Une tournure politique La créativité des développeurs prend parfois une tournure plus politique. Papers please (Lucas Pope, 2013) en est un exemple parfait. Le joueur incarne, dans un pays totalitaire fictif, un garde-frontière. Il doit examiner en détail les papiers des immigrants qui défilent devant lui, et valider ou non leur entrée sur le territoire, sous le contrôle impitoyable de sa hiérarchie. Plus le garde-frontière est rapide, plus il reçoit de primes, primes nécessaires pour chauffer et nourrir sa famille. Jusqu’à ne plus voir en l’immigrant qu’un dossier à traiter au plus vite… « Papers please offre, mine de rien, une expérience ludique extraordinaire sur la question
du choix moral, du rapport à l’autorité », estime Mathieu Triclot. Il est d’autant plus intéressant que son message passe par son système de jeu, et non par la seule narration. » À rebours des jeux de guerre, où le joueur incarne un soldat armé jusqu’aux dents, This War of Mine (11 bit studios, 2014) fait du joueur un civil dans une ville dévastée, inspirée du siège de Sarajevo. Le but ? Survivre. La guerre est racontée du point de vue de ceux qui en subissent la violence. “Papers please offre, mine de rien, une expérience ludique extraordinaire sur la question du choix moral, du rapport à l’autorité” © Lucas Pope Certains jeux vidéo abordent plus directement l’actualité. C’est le cas du tout récent Enterre-moi mon amour (The Pixel Hunt, 2017). Dans ce jeu, qui s’apparente à une discussion sur WhatsApp (une application de messagerie), le joueur incarne le compagnon de Nour, une jeune Syrienne contrainte à l’exil. Tout au long de la partie, il faut conseiller la jeune femme. « L’idée de ce jeu est d’offrir une porte d’entrée différente dans la situation vécue par les réfugiés, explique Florent Maurin, son game designeur. La grammaire du jeu vidéo est intéressante en ce qu’elle permet d’inscrire le joueur dans une discussion plutôt que dans la réception d’un discours. » « Ce type de jeu propose un vrai regard sur le monde, un regard politique, apprécie Olivier Mauco, consultant sur les jeux vidéo. Mais il serait naïf de croire
que les grosses productions ne développent pas elles aussi un discours politique. Ce discours, il est essentiel de l’analyser, comme on le fait pour le cinéma. J’avais trouvé géniale la polémique autour d’Assassin’s Creed Unity. Enfin, on s’intéressait au contenu politique d’un jeu ! » Sorti en 2014, le jeu d’aventures Assassin’s Creed Unity (Ubisoft) situe le joueur en pleine Révolution française. « Je suis écœuré par cette propagande », avait tonné Jean-Luc Mélenchon à sa sortie, lui reprochant de représenter le peuple français comme « des barbares, des sauvages sanguinaires ». Le débat était lancé. L’amorce d’un changement dans le traitement consacré aux jeux vidéo ? On l’espère ! À noter Philosophie des jeux vidéo Mathieu Triclot La Découverte, 2012, 11 €. Jeux vidéo / Cinéma, perspectives théoriques Alexis Blanchet (dir.), Questions théoriques, 2016. Enterre-moi mon amour enterremoimonamour.arte.tv
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