Changement climatique - Après les paroles des actes

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Changement climatique - Après les paroles des actes
Béatrice Bowald

Changement climatique –
Après les paroles
des actes
Une impulsion dans une perspective d’éthique sociale

Commission nationale suisse Justice et Paix,
sur mandat de la Conférence des évêques suisses

En collaboration avec oeku Eglise et environnement:
Kurt Zaugg-Ott et Kurt Aufdereggen
Traduction: Martine Besse
Berne 2009
5

Table des matières
    Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
    Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

1. Les changements climatiques nous concernent tous –
   les changements climatiques anthropiques et leurs
   conséquences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
     1.1 Les constats sur les changements climatiques anthropiques
     1.2 Pronostics sur les conséquences des changements climatiques
         dans le monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .15
     1.3 Les conséquences pour la Suisse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16
     1.4 Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .18

2. Prendre ses responsabilités. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
    2.1 Nos bases d’existence menacées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
    2.2 La justice et la solidarité face aux changements climatiques . . . . . . 21
        2.2.1 Stratégies: la réduction des émissions et l’adaptation . . . . . . 21
        2.2.2 Une répartition équitable des charges. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
    2.3 Un appel à agir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

3. Pour une politique climatique responsable en Suisse . . . . . . . . . . . 26
    3.1 Les bases légales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
    3.2 La part de la Suisse aux émissions de gaz à effet de serre dans
        le monde . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
        Digression 1: L’empreinte écologique de la Suisse
        Digression 2: L’objectif de la sociéte à 2000 watts
    3.3 Le coût des changements climatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
    3.4 La pomme de discorde: les objectifs de réduction . . . . . . . . . . . . . . . 33
        Digression 3: L’approche des droits au développement dans
        un monde-serre (Greenhouse Development Rights GDR)
    3.5 Conclusions pour une politique climatique responsable en Suisse . . 34

4. Les Eglises ont aussi des obligations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
    4.1    Faire prendre conscience du problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37
    4.2    Avancer en donnant l’exemple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39
    4.3    Engagement politique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
    4.4    Spiritualité de la Création . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

    Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44
7

Avant-propos
A la lecture de cette publication de la Commission épiscopale Justice et Paix,
on ne devrait pas tarder à s’interroger sur le rapport entre la foi chrétienne et
le changement climatique reconnu aujourd’hui comme fait établi. Nous pou-
vons répondre à cette question si nous réfléchissons à l’attitude chrétienne
face aux bases naturelles de notre monde que nous considérons et reconnais-
sons dans la foi, comme création de Dieu.

La foi chrétienne a la conviction qu’une véritable responsabilité envers la créa-
tion ne peut être saisie qu’à la lumière de son créateur. Si nous voyons le mon-
de comme création de Dieu, nous avons comme êtres humains la responsabi-
lité d’en être les gardiens et de collaborer librement à l’œuvre de Dieu, afin que
les dons de la création soient mis en valeur et non pas asservis ou détruits par
l’homme. Car partout où nous faisons un usage de la nature en désaccord avec
celui qui nous l’a confiée, elle est très vite exploitée et réduite en esclavage. Le
pape Benoît XVI l’a souligné dans des paroles très claires: «L’usage brutal de la
création s’opère là où il n’y a pas de Dieu, où la matière n’est plus que maté-
riau à nos yeux, où nous sommes nous-mêmes les instances suprêmes, quand
tout nous appartient et que nous pouvons le consommer pour notre profit.»

Pour faire croître un nouveau respect de la création, il est indispensable que,
nous les humains, nous nous considérions comme des créatures de Dieu, des
créatures interdépendantes, afin de nous reconnaître dans la perspective de la
sauvegarde de la création: «Mea res agitur». L’être humain ne succombera pas à
la folie de la toute-puissance, se soumettra avec révérence à la mesure de Dieu
et approchera toute la création avec crainte et respect, uniquement s’il admet
qu’il n’est pas la mesure de toute chose, qu’il n’est pas tout-puissant, omnis-
cient et omnipotent. Reconnaître que nous sommes des humains, et que des
humains, s’avère l’attitude la plus humaine et le fondement d’une sauvegarde
de la création véritablement humaine.

«Nous le savons en effet: la création tout entière gémit maintenant encore dans
les douleurs de l’enfantement» (Rm 8,22). Ce que Paul avait déjà perçu dans sa
conscience de chrétien, nous le ressentons et l’entendons aujourd’hui au sens
propre: la création gémit – et elle attend des humains qui puissent la voir sous
l’angle de Dieu et changent leur «way of life». Une part essentielle de ce «gémis-
sement» de la création est l’apparition de ce nous appelons aujourd’hui le
changement climatique. Ce phénomène est imputable de manière sûre aux
émissions des Etats industrialisés et touche le plus fortement les pays défavori-
sés de notre terre.
8

Pour toutes ces raisons, je recommande avec plaisir les points de vue d’éthi-
que sociale développés ici. Dans un esprit de responsabilité chrétienne envers
la création, Justice et Paix plaide en faveur d’un changement de mentalité dans
les pays industrialisés, en particulier d’une politique climatique responsable en
Suisse. Si nous chrétiens veillons, dans notre contexte de vie immédiat, à adop-
ter des comportements respectueux du climat, nous pourrons soutenir de ma-
nière crédible les efforts éthiques et politiques nécessaires pour nous adapter
au changement climatique. Car il nous incombe à tous de veiller à préserver
les bases de notre existence, non seulement pour notre temps, mais aussi pour
les générations futures. Au nom des évêques suisses, je tiens à exprimer ici ma
reconnaissance pour la contribution importante de Justice et Paix par cette pu-
blication. J’espère que ses propositions constructives tomberont sur un terrain
fertile.

Soleure, fête de saint François d’Assise 2008

+ Kurt Koch
Président de la Conférence des évêques suisses
9

Introduction

    «Par la façon dont nous vivons et exploitons les ressources, nous hypothé-
    quons massivement notre avenir. Une réorientation complète est nécessai-
    re afin de donner la chance et la priorité à un développement durable, com-
    patible avec l’avenir et le climat.»1

    «Parmi les préoccupations majeures en Suisse, on trouve les changements
    climatiques, dont les signes sont maintenant bien visibles dans notre pays,
    avec les incertitudes qui leur sont liées, ainsi que l’utilisation des ressour-
    ces. Le principal défi pour les prochaines années sera la gestion durable de
    ces ressources, car notre mode de vie et nos habitudes de consommation
    annulent les progrès réalisés en matière de protection de l’environnement.»2

Ces dernières années, les voix mettant en garde contre l’impact très étendu des
changements climatiques se sont multipliées. Ces deux citations en témoi-
gnent. Il en ressort que la situation doit être considérée comme très sérieuse. Il
ne s’agit en aucun cas d’une stratégie populiste visant à faire peur. Un large pa-
nel de scientifiques renommés focalisent leur attention sur les changements cli-
matiques. Sur la base des constats établis selon des méthodes scientifiques, ils
parviennent aux conclusions suivantes:
– Le réchauffement du climat est un fait.
– Il est en grande partie causé par les humains.
– Si les changements climatiques se poursuivent et que le réchauffement
    global de la planète continue de progresser sans frein, cela aura un fort
    impact sur l’être humain et la nature.

Malgré ce constat, les Etats et les sociétés ont du mal à adapter de manière ap-
propriée leur mode de vie et d’exploitation des ressources. Pourtant, l’enjeu
n’est rien moins que «la capacité de la société moderne de faire face à l’ave-
nir»3. Les Eglises observent ce phénomène avec inquiétude depuis un certain
temps déjà. Leur engagement en faveur de «la justice, la paix et la sauvegarde
de la création» est une réponse. Mais la nécessité d’agir reste grande, même au
sein des Eglises.

1   Die deutschen Bischöfe – Kommission für gesellschaftliche und soziale Fragen/Kommission
    Weltkirche: Der Klimawandel, no 34 (souligné dans le texte original).
2   OFEV/OFS: Environnement Suisse 2007, p. 7.
3   Markus Vogt: Natürliche Ressourcen und intergenerationelle Gerechtigkeit, p. 142.
10

La préoccupation de la sauvegarde de la création et la sollicitude envers les
êtres humains qui vivent sur la «face cachée» de la planète et sont les premiers
à subir les effets des changements climatiques, ont poussé la Conférence des
évêques suisses à donner mandat à la Commission nationale Justice et Paix de
se pencher de manière plus approfondie sur le phénomène des changements
climatiques.

Justice et Paix aborde la question sous un angle éthique, dans un souci de jus-
tice. Concrètement, cela signifie que nous nous occuperons dans un premier
temps des effets des changements climatiques. Dans un second temps, nous
tenterons de clarifier les principes qui devraient inspirer nos actes. Un princi-
pe important est l’option pour les pauvres, c’est-à-dire l’impératif de tenir
compte de leur situation en toute circonstance. Dans un troisième et un qua-
trième temps, nous tirerons les conséquences pratiques pour le monde politi-
que et les Eglises.
Notre propos est d’offrir des points de repère sous un angle éthique. Au plan
politique, cela concerne par exemple la réduction des émissions de gaz à effet
de serre, l’ampleur de cette mesure et la manière dont elle peut être mise en
œuvre à l’échelle planétaire. Pour les Eglises, nous fournissons des repères sur
ce que nous jugeons nécessaire de faire et à quel niveau. L’objectif est de mo-
tiver les responsables politiques et ecclésiaux à entreprendre les démarches né-
cessaires en faveur d’un développement équitable, compatible avec le climat.
Nous souhaitons aussi encourager les chrétiens à s’investir au sein de l’Eglise
comme des membres responsables. Au plan politique, nous souhaitons les in-
viter à défendre les réformes nécessaires comme citoyens responsables, tout
en apportant aussi leur contribution au niveau personnel. Nous espérons ain-
si que les paroles soient vraiment suivies par des actes.

Kurt Zaugg-Ott et Kurt Aufdereggen, collaborateurs d’oeku Eglise et environ-
nement, ont apporté une contribution essentielle à cette publication, en for-
mulant la version provisoire des différentes parties et en suivant l’évolution du
texte d’un bout à l’autre. Nous les remercions ici vivement pour leur travail.
Nos remerciements vont aussi à Markus Brun de l’Action de Carême, Geert van
Dok de Caritas Suisse, Hans Halter, professeur émérite, Patrick Hofstetter du
WWF ainsi que Otto Schäfer, de la FEPS, membre du comité d’oeku. Ils ont
relu le texte en entier ou certains passages et ont contribué à le clarifier grâce
à leurs utiles commentaires.
11

1        Les changements climatiques nous concernent tous –
         les changements climatiques anthropiques et leurs
         conséquences

1.1      Les constats concernant les changements climatiques
         anthropiques

    «Les changements climatiques ont lieu à l’échelle de toute la planète et leurs
    répercussions ont un impact sur toutes les économies; les perspectives sont
    sombres pour l’avenir.»4

Cette déclaration du Groupe d’experts intergouvernemental de l’ONU sur
l’évolution du climat (GIEC) citée par l’Office fédéral allemand de l’environ-
nement montre bien une chose: les changements climatiques sont un fait éta-
bli et ont des conséquences graves pour l’ensemble de la planète. Il est donc
bel et bien urgent d’agir. D’autant plus qu’une part considérable des change-
ments climatiques sont, d’après le GIEC, anthropiques, c’est-à-dire provoqués
par les activités humaines. Il ne s’agit pas de peindre les choses en noir, mais
les constats du GIEC doivent être pris très au sérieux. Cet organe réunit des
centaines de scientifiques du monde entier qui étudient depuis plusieurs dé-
cennies les changements climatiques et ont une compréhension de plus en
plus précise des liens entre les émissions de gaz à effet de serre et leur impact
sur le climat.

L’influence de la concentration de CO2 sur le réchauffement climatique est con-
sidérée aujourd’hui comme une donnée sûre. Le graphique suivant atteste que
la concentration de CO2 a augmenté massivement depuis 1850. Elle est due au
développement industriel. De l’avis très largement partagé par les scientifiques,
la concentration de CO2 ne devrait pas dépasser 450 ppm5. C’est aussi l’objectif
de la convention-cadre sur le climat; nous y reviendrons plus loin.

4   Umweltbundesamt: «Klimaänderungen, deren Auswirkungen und was für den Klimaschutz zu
    tun ist», p. 1. Il s’agit d’une publication de l’autorité centrale allemande préposée à l’environne-
    ment.
5   La concentration des gaz à effet de serre est indiquée par l’unité «ppm», abréviation de «parts per
    million», autrement dit par le nombre de molécules de gaz à effet de serre par million de molécu-
    les d’air.
12

  Concentration de CO2 dans les 8000 000 ans passés et les 100 ans à venir

                                                                                                                               concentration de CO2 en ppm (parties par million)
                                                                                                                        700
                                  état en 2100 selon le scénario de référence (business as usual)
                                                                                                                        600

                                                                                                                        500
                                                         état en 2100 selon le scénario optimiste
                                                                                                                        400
                                                                                      état en 2007
                                                                                       état en 1850                     300

                                                                                                                        200

                                                                                                                       100
  800      700       600          500          400           300            200            100                     0
                                                                   axe de temps (par 1000 ans)   EPICA/IPDC/Universität Bern

Graphique tiré de: Office fédéral de l’environnement: Magazine ENVIRONNEMENT 3/08.
Le défi climatique, p. 20.

Les variations naturelles ne
suffisent plus à expliquer
l’augmentation constante de la
température mondiale moyen-
ne depuis 1970 environ. L’écart
toujours plus grand par rapport
à la moyenne de la première
moitié du XXe siècle ne peut
être dû qu’à des effets anthro-
piques.

Graphique tiré de: Office fédéral de l’environnement: Magazine ENVIRONNEMENT 3/08.
Le défi climatique, p. 22.
13

A l’échelle de la planète, ce sont surtout la production d’énergie (notamment
les centrales à charbon), l’industrie, la déforestation et, à parts presque égales,
l’agriculture et le trafic routier qui sont à l’origine des émissions de gaz à effet
de serre. En Suisse, l’émission des gaz à effet de serre est due en premier lieu
aux bâtiments, en second lieu au trafic routier et, pour une proportion plus fai-
ble, à l’industrie et à l’agriculture.

                                                               Déchets et eaux usées 2.8 %
Sources des émissions de
gaz à effet de serre dans         Déforestation 17.4%                          Production
le monde (2004)                                                                 d‘énergie
                                                                                   25.9 %

                                  Agriculture
                                  13.5%                                       Trafic 13.1 %

                                                                              Maisons et
                                  Industrie 19.4%                           bureaux 7.9 %
                                                                                     GIEC

Sources des émissions de          Déchets et eaux usées 6.2%    Production d‘énergie 2.7 %
gaz à effet de serre en                                                              Trafic
                                  Agriculture 11%
Suisse (2006)                                                                        30.1%

                                  Industrie 18.6%
                                                                              Maisons et
                                                                           bureaux 31.4%
                                                                                     OFEV
Graphique tiré de: Office fédéral de l’environnement: Magazine ENVIRONNEMENT 3/08.
Le défi climatique, p. 21.

Il ne s’agit pas seulement de savoir quels secteurs génèrent le plus d’émissions
de gaz à effet de serre mais aussi à quels Etats elles sont imputables.
Les changements climatiques actuels doivent être mis principalement sur le
compte des pays industrialisés occidentaux. Ils sont liés au fait que les gaz à
effet de serre se maintiennent longtemps dans l’atmosphère. Si l’on étudie le
passé, on sait ainsi aujourd’hui à qui incombe la responsabilité. Cette réparti-
tion va cependant se modifier à brève et à moyenne échéance. Car le dévelop-
pement économique de pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil,
accroît les émissions de CO2 dans le monde et modifie la proportion des parts.
Les graphiques suivants l’illustrent bien:
14

Emissions de CO2 cumulées liées à l’énergie 1990–1999

     Russie        Japon        Canada
     13.7%         3.7%         2.3 %
                                    Australie      Chine, Inde et pays
                                    1.1%           en développement d‘Asie
                                                   12.2 %
                      Pays en                      Amérique du Sud et Amérique centrale
      Europe       développement
                                                   3.8 %
                        21%
      27.7%
                                                   Moyen-Orient
               Etats-Unis                          2.6 %
               30.3%
                                                   Afrique
                                                   2.5 %

Emissions de CO2 cumulées liées à l’énergie 1992–2004

                 Canada       Australie
                 2.3%         1.4%          Chine (y compris Hong-Kong)
      Japon
                                            13.6 %
      4.9%
                                                     Pays en développement d‘Asie
                                                     4.6 %
 Russie
 7%                                                 Inde
                               Pays en
                                                    3.9 %
                            développement
                                30.5%               Amérique du Sud et Amérique centrale
              Europe                                4%
              18.9%
                    Etats-Unis                      Moyen-Orient
                    23.7 %                          4.4 %
                                                    Afrique
                                                    3.6 %

Graphiques tirés de: Germanwatch: Globaler Klimawandel: Ursachen, Folgen, globale Hand-
lungsmöglichkeiten, p. 12.
15

Comme nous l’avons déjà dit, la concentration de CO2 s’accompagne d’un ré-
chauffement du climat. Au XXe siècle, la température moyenne mondiale a
augmenté d’environ 0,6 °C. En Suisse, le réchauffement s’élève, selon les ré-
gions, à environ 1,5 °C, ce qui représente plus du double de la moyenne du
réchauffement mondial. Cela signifie que la Suisse fait partie des régions parti-
culièrement affectées par les changements climatiques. Sa situation privilégiée
sous des latitudes modérées contribue toutefois à ce que les conséquences ne
soient vraisemblablement pas encore très graves à moyen terme pour notre
pays (voir plus loin). Selon les estimations, la hausse de la température moyen-
ne mondiale d’ici à 2100 devrait se situer entre +2 et +4,5 °C voire davantage.6
Mais il faudrait éviter absolument que la hausse de la température dépasse 2 °C
par rapport au niveau pré-industriel. De nombreux spécialistes et l’UE considè-
rent en effet ce niveau comme un seuil: s’il était dépassé, les dommages dus
aux changements climatiques auraient des conséquences dramatiques.

1.2      Pronostics sur les conséquences des changements climatiques
         dans le monde

Si l’on ne parvient pas à atténuer les changements climatiques et à développer
la capacité d’adaptation de l’être humain et de l’environnement par des mesu-
res concrètes, les scientifiques s’attendent, pour le XXIe siècle, à des répercus-
sions importantes sur la société humaine et les écosystèmes.

En effet, même si le réchauffement reste inférieur à 1,5 °C, il faut s’attendre
comparativement à la moyenne des années 1980–1999 à des répercussions
mondiales importantes 7:
– Des préjudices pour la santé dus aux fortes chaleurs, à la malnutrition,
   aux maladies diarrhéiques et infectieuses.
– Une augmentation des dommages en raison des inondations et des tem-
   pêtes.
– Une pénurie d’eau aggravée touchant jusqu’à 1,7 milliard de personnes.
– Jusqu’à 30 millions de personnes supplémentaires menacées par la faim.
– La perte de couleur des coraux.

6   Cf. GIEC: Résumé à l’intention des décideurs. 2007, p. 12.
7   Cf. pour les explications suivantes: Umweltbundesamt: Klimaänderungen, deren Auswirkungen
    und was für den Klimaschutz zu tun ist, p. 6ss; OcC: Le climat change – que faire?, p. 24; GIEC:
    Résumé à l’intention des décideurs. 2007. Impacts, adaptation, vulnérabilité, pp. 24–33.
16

Si le réchauffement dépasse 1,5 °C, les conséquences s’aggravent. Le nombre
des personnes touchées s’accroît et d’autres conséquences apparaissent, com-
me la perte de la diversité biologique.
Les populations qui vivent dans des régions affectées par la pauvreté et consi-
dérées comme à haut risque sont particulièrement menacées par les change-
ments climatiques, notamment en raison du danger accru de sécheresse ou
d’inondation. Ces populations n’ont que des possibilités très limitées de
s’adapter au changement. Elles sont fortement dépendantes de ressources très
sensibles au climat, comme l’approvisionnement en eau et en produits alimen-
taires. D’ici à la fin du siècle, plusieurs millions de personnes supplémentaires
seront menacées par des inondations dans les régions fortement peuplées de
très basse altitude, en raison de la hausse du niveau des océans. Ce danger con-
cerne particulièrement des pays pauvres déjà menacés par d’autres risques
comme les tempêtes tropicales et l’affaissement local des côtes. Cette évolu-
tion affectera en majorité les populations des grands deltas d’Asie et d’Afrique.
Les petites îles sont elles aussi très vulnérables. Selon la situation, les gens se-
ront contraints de chercher ailleurs un endroit pour vivre. On s’attend donc à
un nombre important de réfugiés dits climatiques. Il faut noter cependant que
les mouvements migratoires resteront surtout localisés dans les régions
affectées. Les Etats concernés devront donc supporter un fardeau supplémen-
taire.8

1.3       Les conséquences pour la Suisse

Les changements prévisibles pour la Suisse restent comparativement gérables.
Telle est l’opinion de l’Organe consultatif sur les changements climatiques
(OcCC) institué par le Conseil fédéral. Son rapport examine les changements
climatiques et leurs conséquences pour la Suisse d’ici à 2050. Le réchauffement
du climat continuera à se poursuivre sans ralentissement jusqu’en 2050. Même
si des mesures de réduction des émissions sont appliquées dans le monde,
elles n’auront un impact déterminant qu’à plus long terme.9 Si les émissions
de gaz à effet de serre ne sont pas réduites massivement au cours des prochai-

8    Davantage de précisions dans: Caritas Suisse: L’Europe risque-t-elle d’être prise d’assaut? Prise de
     position de Caritas Suisse sur les réfugiés climatiques.
9    «La durée de séjour moyenne du dioxyde de carbone dans l’atmosphère est de 100 ans. Cela si-
     gnifie que même si l’humanité stoppait d’un coup toutes les émissions de gaz à effet de serre, il
     faudrait attendre encore 50 ou 60 ans jusqu’à ce que la concentration diminue vraiment. Chaque
     molécule de dioxyde de carbone que nous rejetons aujourd’hui dans l’atmosphère influencera le
     climat ces 100 prochaines années. Attendre que la hausse de la température ne soit plus suppor-
     table serait totalement irresponsable. Nous devons agir par précaution et par prévention.» (Die
     deutschen Bischöfe – Kommission für gesellschaftliche und soziale Fragen/Kommission Welt-
     kirche: Der Klimawandel, no 29.)
17

nes années, il se pourrait que les conséquences du réchauffement soient nette-
ment plus fortes durant la seconde moitié du siècle que ce que prévoit le rap-
port.10

Le rapport de l’OcCC part du principe que le réchauffement d’ici à 2050 attein-
dra en Suisse environ 2 °C en automne, en hiver et au printemps et presque
3 °C en été. Pour les précipitations, il faut escompter une augmentation d’en-
viron 10% en hiver et une diminution d’environ 20% en été. Des précipita-
tions extrêmement abondantes accompagnées de crues et de laves torrentiel-
les (coulées de gravier et de boue en haute-montagne) devraient être en aug-
mentation, particulièrement en hiver. Les fortes chaleurs devraient être plus
fréquentes en été. Quant aux vagues de froid en hiver, elles devraient se raré-
fier.
– On utilisera moins d’énergie pour se chauffer en hiver, mais davantage
      pour la climatisation en été.
– La réduction du débit et la diminution de l’effet de rafraîchissement des
      cours d’eau, particulièrement en été, auront un impact négatif sur l’éner-
      gie hydraulique et l’énergie nucléaire. D’ici à 2050, il faut s’attendre à un
      recul de la production annuelle de plusieurs pour-cent.
– Les ressources hydrologiques importantes par rapport aux autres pays
      diminueront nettement en été et en automne, de manière très marquée
      durant les périodes sèches. Comme les besoins d’irrigation seront accrus
      dans l’agriculture, il y aura une situation concurrentielle entre les écosys-
      tèmes, les régions et les consommateurs (par ex. entre l’agriculture et la
      production d’énergie).
– Le potentiel destructeur des crues, des laves torrentielles et des glisse-
      ments de terrain continuera de s’amplifier.
– Les étés plus chauds rendront les destinations touristiques de notre pays
      plus attractives, en particulier au bord des lacs et dans les Alpes. En
      hiver, la limite des chutes de neige s’élevant, les domaines skiables des
      Préalpes ne pourront plus guère être rentables. La diminution de la
      garantie d’enneigement et le recul des glaciers auront un fort impact sur
      l’attractivité des régions touristiques alpines. En 2050, la plupart des
      glaciers de petite taille auront disparu.
– Pour l’agriculture suisse, un réchauffement modéré devrait, de manière
      générale, avoir des effets positifs. Comme la période de végétation sera
      plus longue, les rendements agricoles pourraient être meilleurs, à condi-
      tion qu’il y ait suffisamment d’eau et que la qualité du sol soit suffisante.
      Si le réchauffement se situe entre 2 et 3 °C, les désavantages prévaudront.

10 Cf. OcCC: Les changements climatiques et la Suisse en 2050, p. 5ss.
18

1.4    Conclusions

En raison de la longue durée de résidence du dioxyde de carbone dans l’atmos-
phère, le réchauffement climatique se poursuivra dans un premier temps sans
ralentissement. Néanmoins, les mesures visant à protéger le climat doivent être
appliquées le plus vite possible à l’échelle de la planète pour éviter que les con-
séquences au-delà de 2050 ne soient catastrophiques et irréversibles. Il est
essentiel de le rappeler, car la Suisse fait partie, à court et à moyen terme, des
régions qui tirent aussi profit des changements climatiques. Qui donc ne sou-
haiterait pas vivre dans un climat méditerranéen? Pour les régions plus pau-
vres, les conséquences du réchauffement sont graves aujourd’hui déjà et les
possibilités de ces pays de s’adapter aux changements sont extrêmement min-
ces. Il en résulte une situation paradoxale: ceux qui doivent agir n’auront pas,
du moins à court terme, à subir de dommages importants; ils pourraient mê-
me tirer bénéfice du réchauffement climatique. Mais ce sont eux aussi qui sont,
jusqu’à présent, les principaux responsables des changements climatiques.

Le GIEC ne précise pas comment il faudrait répartir entre les Etats la réduction
des émissions de gaz à effet de serre. Il relève cependant que la justice au
niveau mondial est un objectif important. Ce but figure aussi dans la conven-
tion-cadre sur le climat. L’Office de l’environnement allemand défend le point
de vue suivant: en réduisant leurs propres émissions de 80% (c’est-à-dire en re-
trouvant un niveau équivalant à 20% des valeurs de 1990), les Etats industria-
lisés devraient, en raison de leur large marge d’action économique, contri-
buer d’ici à 2050, à une réduction mondiale moyenne des émissions de 50%
par rapport aux valeurs de 1990.11 D’après les constats les plus récents, l’ob-
jectif de réduction global ne suffirait pas à limiter le réchauffement du climat à
2 °C. Cela signifie en clair que l’exigence de réduire les émissions a un caractè-
re plus qu’urgent.

11 Cf. Umweltbundesamt: Klimaänderungen, deren Auswirkungen und was für den Klimaschutz zu
   tun ist, p. 11.
19

2       Prendre ses responsabilités

    «Les changements climatiques […] sont principalement la conséquence d’un
    modèle d’économie et de civilisation très gourmand en énergie, générateur
    d’une aisance matérielle que seule une minorité de l’humanité peut s’offrir
    aujourd’hui.»12

Les changements climatiques touchent à des questions fondamentales. Ils font
apparaître que des relations essentielles par lesquelles les êtres humains sont
liés ont été déséquilibrées. Il s’agit d’abord du rapport de l’être humain à la
nature. Les émissions provoquées par l’homme entraînent des bouleverse-
ments dans la nature en un laps de temps beaucoup plus court et à une échel-
le beaucoup plus vaste que cela ne se produit en suivant les processus naturels.
Il s’agit ensuite des rapports des humains entre eux. Comme le relève la cita-
tion, cela touche aujourd’hui déjà les relations entre les humains, car les chan-
gements climatiques infligent actuellement des dommages à un grand nombre
de personnes. A l’avenir, la situation s’aggravera. Les plus affectés ne seront pas
ceux qui sont à l’origine des bouleversements, mais ceux qui y ont le moins
contribué. Les femmes et les enfants, ainsi que les personnes âgées, sont les
maillons les plus vulnérables.
Une injustice est donc infligée aux personnes qui vivent dans la pauvreté, par-
ticulièrement dans l’hémisphère sud. Ce ne sont pas seulement les conditions
de vie de ces personnes qui sont massivement touchées, mais aussi celles des
générations futures qui se détérioreront de manière marquante. La question
des relations des humains entre eux s’applique ainsi aux circonstances actuel-
les comme à celles que connaîtront les générations futures.

2.1     Nos bases d’existence menacées

Si les changements climatiques anthropiques se poursuivent au même rythme,
l’être humain compromet ses propres bases d’existence et celles de très nom-
breuses espèces animales et végétales. L’être humain ne nuit donc pas seule-
ment à lui-même et aux générations à venir; il inflige aussi à la terre des dom-
mages en partie irréparables.

Les conséquences des changements climatiques nous rappellent que la condi-
tion humaine ne peut pas être appréhendée en dehors de liens et de rapports
d’interdépendance. La liberté humaine ne peut exister que si elle restaure le
lien avec la terre comme base de son existence. Les phénomènes naturels,

12 Johannes Müller: Klimawandel als ethische Herausforderung, p. 392 (souligné dans l’original).
20

comme les sécheresses ou les inondations, nous le rappellent douloureuse-
ment. En termes théologiques, l’être humain s’inscrit dans «une communauté
de toutes les créatures liées entre elles par leur destin»13. Sa réalité est d’être une
créature parmi les autres. En même temps, l’être humain a, en vertu de Gn 2,
15, une mission particulière: il doit prendre soin de la création, puisque le
Créateur l’a créé à son image.14 La pure et simple exploitation de la nature con-
tredit cette mission et porte préjudice à la fois à la terre et à l’être humain. Com-
me le montrent les conséquences, l’être humain ne met pas à mal «impuné-
ment», au sens biblique du terme, la création qui l’entoure. A l’époque moder-
ne, ces conséquences ne résultent pas d’une attitude individuelle, mais plutôt
des effets cumulatifs d’un mode de vie et d’un système économique qui infli-
gent à l’environnement des dommages importants et peut-être irréversibles.
On comprend alors mieux pourquoi, – le principe de précaution est si impor-
tant comme mécanisme de compensation, car il prend en compte «les liens
étroits de tous les domaines de la réalité»15.

     «La responsabilité préventive est le prix que la civilisation moderne doit
     payer pour l’extension de ses marges de liberté dans le projet des temps
     modernes, si l’on veut que ce dernier réussisse pour le bien de l’humanité
     et ne se retourne pas contre elle. Plus nous hésiterons à payer ce prix, plus
     la facture écologique, sociale et économique des changements climatiques
     sera élevée.»16

Il ne s’agit pas seulement de la facture dont nous devons nous acquitter, de gré
ou de force. La menace qui pèse sur les bases de notre existence, en raison des
changements climatiques, réduit les possibilités du développement humain
aujourd’hui déjà et touche les conditions de vie des générations futures. Cette
situation contredit l’égalité fondamentale de tous les humains créés à l’image de
Dieu. Elle est indigne de l’être humain et constitue en outre un mépris de la
valeur intrinsèque et inaliénable de la nature, de la terre créée par Dieu. Pour
atténuer à court terme les conséquences pour l’homme et la nature, et les évi-
ter entièrement à long terme, il est indispensable de suivre le principe du

13 Für eine Zukunft in Solidarität und Gerechtigkeit. Wort des Rates der Evangelischen Kirche in
   Deutschland und der Deutschen Bischofskonferenz zur wirtschaftlichen und sozialen Lage in
   Deutschland, no 123.
14 ibid.Et Es ist nicht zu spät für eine Antwort auf den Klimawandel. Ein Appell des Ratsvorsitzen-
   den der Evangelischen Kirche in Deutschland, Bischof Wolfgang Huber, p. 14.
15 Für eine Zukunft in Solidarität und Gerechtigkeit. Wort des Rates der Evangelischen Kirche in
   Deutschland und der Deutschen Bischofskonferenz zur wirtschaftlichen und sozialen Lage in
   Deutschland, no 124.
16 Markus Vogt: Solidaritätspotentiale der Kirchen für Klimaschutz, p. 331.
21

développement durable. Celui-ci préconise un développement qui soit accep-
table à la fois sous l’angle social, écologique et économique.

2.2     La justice et la solidarité face aux changements climatiques

L’humanité tout entière est concernée par les changements climatiques. Dans
ce sens, nous sommes tous dans la même barque. L’éthicien Hans-Joachim
Höhn parle de «solidarité forcée»17. Mais en même temps, tous ne sont pas tou-
chés avec le même degré de gravité. Ce fait est d’autant plus dérangeant que
les populations les plus durement touchées, sont celles qui ont le moins con-
tribué à provoquer les changements climatiques. Il faut donc une répartition
égale des charges et une solidarité à titre de compensation. Cette exigence n’est
pas seulement un impératif face à son prochain, mais une nécessité pour la
paix dans le monde.
Il s’agit de se demander alors ce qu’il faut faire. Il convient en particulier de
s’intéresser à l’équité la démarche. Il restera ensuite à clarifier qui doit assumer
telle ou telle part. Que peut-on considérer comme juste et plus particulière-
ment comme juste pour les humains?

2.2.1 Les stratégies: la réduction des émissions et l’adaptation

La situation exige deux stratégies. Il faut évidemment d’une part réduire mas-
sivement les émissions, ce que l’on désigne dans le jargon spécialisé par «miti-
gation» (atténuation). On vise alors les causes.
Il s’agit en outre, de s’ajuster aux changements climatiques, on parle alors
d’«adaptation». Cela signifie prendre des mesures pour limiter les dommages
et tirer le meilleur parti possible des conditions nouvelles. La nécessité de con-
tenir la hausse de la température implique obligatoirement de mettre l’accent
sur la réduction des émissions. Ce ne sont pas seulement des raisons écologi-
ques qui l’exigent, mais aussi des réflexions économiques. Car les coûts de la
lutte contre les causes seront sans doute inférieurs à plus long terme, à ceux gé-
nérés par les conséquences du réchauffement.18 Le changement climatique en-
traînera inévitablement des coûts. La question du prix à payer dépend de la
volonté politique d’introduire résolument les réformes nécessaires, même si
cela demande un changement du mode de vie et du mode d’exploitation éco-
nomique. (Ceci, bien que le modèle occidental aie une valeur normative et
serve de référence aux nations qui aspirent à un développement économique.)

17 Hans-Joachim Höhn: Die «andere» Globalisierung, p. 7.
18 Cf. pour davantage de précisions à ce sujet le chapitre 3.3.
22

2.2.2 Une répartition équitable des charges

Qui doit donc participer à la réduction des émissions et aux mesures d’adap-
tation et dans quelles proportions? Quelle peut être la répartition équitable des
charges?
Il faut prendre en compte plusieurs aspects:
– La conviction que l’être humain crée à l’image de Dieu possède une digni-
     té intrinsèque fait que nous sommes tous fondamentalement égaux. Appli-
     qué à l’utilisation des ressources naturelles et à l’émission de polluants, ce
     principe signifie que tous les êtres humains sur terre ont les mêmes droits.
     Cette conviction première entraîne l’exigence d’une justice participative.
     Concrètement, tous les humains doivent avoir la possibilité de prendre
     part à ce qui est considéré comme une vie digne. Les pays moins dévelop-
     pés doivent pouvoir participer dans des proportions égales à l’échange de
     biens, d’informations, etc.
– La conception, essentielle pour les chrétiens, de l’être humain créé à
     l’image de Dieu et de sa condition de créature parmi d’autres, implique de
     se montrer solidaires avec les victimes actuelles et futures des change-
     ments climatiques.
– Pour les dommages déjà survenus et à venir, il s’agit d’appliquer le princi-
     pe du pollueur-payeur. Il faut en outre veiller à ce que les préjudices res-
     tent limités.
– Il faut prendre en compte aussi le rapport de l’être humain à la nature. Les
     mesures envisagées doivent également satisfaire le critère de la protection
     du climat et de l’environnement.
Nous ne pouvons, nous les humains, qu’assumer ensemble la responsabilité
de notre terre, mais, dans la pratique et pour des raisons de justice, nous de-
vons porter une part de responsabilité différente. Cette idée se retrouve dans
la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de
1992. Le préambule la formule ainsi:

     «conscients que le caractère planétaire des changements climatiques re-
     quiert de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible et participent à une
     action internationale, efficace et appropriée, selon leurs responsabilités
     communes mais différenciées, leurs capacités respectives et leur situation
     sociale et économique».
23

A propos de la différenciation des responsabilités, nous pouvons noter ce qui
suit:
– Les nations industrialisées occidentales sont les principales responsables
     des changements climatiques créés par l’homme.19 Selon le principe du
     pollueur-payeur elles sont responsables au premier chef de prendre des
     mesures de réduction des émissions et d’adaptation aux changements cli-
     matiques.
– Pour la réduction des émissions, les pays industrialisés sont tenus de four-
     nir une prestation plus importante que les pays moins développés. Ils ne
     doivent pas seulement prendre en compte les émissions intérieures mais
     également les gaz à effet de serre dits «gris», à savoir les émissions occa-
     sionnées à l’étranger lors de la fabrication de biens importés. Selon les
     indications de l’Alliance pour le climat, leur part représente pour la Suisse,
     environ 40% de la totalité de ses émissions.20
– Pour l’adaptation aux changements climatiques, il s’agit principalement de
     soutenir les pays les plus gravement affectés aujourd’hui déjà.
– Grâce à leurs moyens financiers et à leur savoir-faire, les pays industrialisés
     ont en outre l’obligation d’aider les pays moins avancés à se développer
     en ménageant le climat et l’environnement.
– Les pays émergents, dont le développement économique est en plein
     essor, ne peuvent pas esquiver leur responsabilité. Même si leur consom-
     mation par personne en gaz à effet de serre est encore beaucoup plus fai-
     ble que celle des pays industrialisés occidentaux, ils participent au-
     jourd’hui déjà pour une part considérable à la consommation mondiale.
     Selon le principe du pollueur-payeur, ces pays sont tenus de poser les
     bases d’un développement social et économique respectueux du climat et
     de l’environnement. Cela concerne spécialement les investissements effec-
     tués dans la phase initiale qui déterminent pour une longue durée le type
     d’approvisionnement en énergie.

2.3     Un appel à agir

Au vu des conséquences considérables des changements climatiques, une
modification de cap et une réorientation du mode de vie et d’exploitation sont
urgentes. La longue durée de persistance des gaz à effet de serre dans l’atmo-
sphère et la lourdeur des systèmes politiques nous donnent une idée de l’am-

19 Cette notion figure aussi dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements clima-
   tiques, puisqu’il est dit que les émissions antérieures et actuelles des gaz à effets de serre sont
   dues principalement aux pays développés.
20 Cf. le Programme pour la protection du climat publié par l’Alliance pour le climat, p. 6.
24

pleur des efforts politiques nécessaires. Malgré tout, «il n’ y a (encore) aucune
raison de céder à la résignation ou au fatalisme», comme l’affirme l’évêque
Wolfgang Huber, président du Conseil de l’Eglise évangélique d’Allemagne. Il
estime «possible d’amorcer maintenant un tournant concernant la production
des émissions.»21 Mais ce tournant devrait impérativement s’opérer avant
2020.
En Suisse, l’Organe consultatif sur les changements climatiques et le Mémo
«Repenser l’énergie» publié par des chercheurs et les Académies suisses des
sciences se prononcent également en faveur de mesures concrètes.22 Les rai-
sons économiques et le facteur temps montrent que ce changement de cap est
indiqué et faisable et qu’il serait gérable financièrement.

Une fois l’urgence d’agir reconnue, il faut se demander qui doit jouer un rôle
actif.
– La politique est interpellée en premier lieu. C’est elle qui doit poser les ja-
     lons nécessaires pour amorcer les réformes indispensables et les soutenir.
     Chaque Etat est interpellé en fonction de ses responsabilités et de ses capa-
     cités; mais la communauté internationale dans son ensemble a des obliga-
     tions à tenir. Lors de la négociation d’autres réglementations, il s’agira de
     respecter le principe de la justice de la procédure. Concrètement, cela
     signifie que les Etats les moins développés devraient pouvoir participer
     aux négociations sur un pied d’égalité.
– L’économie et en particulier les entreprises sont également des acteurs im-
     portants. Dans le sens des principes de la responsabilité sociale de l’entre-
     prise (RSE), elles doivent assumer la responsabilité de leurs activités sans
     attendre que des normes légales les y contraignent. Le fait d’endosser sa
     responsabilité sociale se rapporte au domaine de l’entreprise elle-même,
     aux produits et aux prestations fournis, comme aux conditions sociales et
     écologiques. Des études montrent qu’une exploitation économique dura-
     ble est possible et qu’elle vaut la peine. Conjointement, la politique est
     tenue de contraindre l’économie/les entreprises en introduisant des régle-
     mentations pour encourager un développement durable, respectueux du
     climat. Les incitations doivent être conçues de manière à ce que l’écono-
     mie s’adapte aux nouvelles conditions et se montre innovante, ce qui, à
     long terme, s’avère aussi rentable économiquement.
– En tant qu’institutions sociales, les Eglises ont elles aussi une mission par-
     ticulière. La foi en la création est une composante de leur identité et appel-

21 Es ist nicht zu spät für eine Antwort auf den Klimawandel. Ein Appell des Ratsvorsitzenden der
   Evangelischen Kirche in Deutschland, Bischof Wolfgang Huber, p. 9s.
22 Cf. OcCC: Les changements climatiques et la Suisse en 2050, p. 7, 163; Mémo «Repenser l’éner-
   gie», publié par les Académies suisses des sciences, p. 45s.
25

    le une attitude qui soit en adéquation dans la pratique. Nous nous propo-
    sons d’expliquer au chapitre 4 ce que cela signifie pour les Eglises en
    Suisse.
–   L’engagement dépend finalement toujours de personnes de bonne volonté.
    Il faut des gens qui essaient véritablement de répondre aux défis des chan-
    gements climatiques en tant que citoyens, une autre contribution dont il
    ne faut pas sous-estimer l’importance consiste à soutenir les projets politi-
    ques pertinents. Nous sommes enfin tous appelés à adopter individuelle-
    ment un mode de vie compatible avec la protection du climat.
26

3       Pour une politique climatique responsable en Suisse

3.1     Les bases légales

Dans sa Constitution, la Suisse se déclare disposée à oeuvrer au profit d’un dé-
veloppement durable (Cst. art. 7323) et à se mobiliser en faveur d’un monde
pacifique et juste (Cst. art. 224). Cet engagement s’est déjà exprimé antérieure-
ment par la signature de la Convention sur le climat (précisément: Conven-
tion-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques). Celle-ci a pour
but de «parvenir à stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’at-
mosphère à un niveau qui empêche que le bouleversement du système clima-
tique anthropique ne soit dangereux.»25 A la suite de la Convention sur le cli-
mat, la Suisse s’est également mobilisée en faveur du Protocole de Kyoto (1997)
qui fixe des objectifs concrets et contraignants concernant la réduction du
CO2: d’ici à 2012, les émissions de gaz à effet de serre générées par l’homme
devraient être abaissées en moyenne de 5,2% au-dessous du niveau de 1990.
Comme le note la Convention sur le climat, les responsabilités sont différen-
ciées pour les pays pauvres et les pays nantis. Pour l’UE et la Suisse, il est pré-
vu de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 8%, tandis que les pays
pauvres (dont faisaient partie en 1997, à côté de tous les pays en développe-
ment, des pays émergents comme la Chine et l’Inde) n’ont pas d’obligation de
réduction.
La loi sur le CO2 entrée en vigueur le 1er mai 2000 sert à appliquer les engage-
ments du Protocole de Kyoto. Elle demande que les émissions de CO2 soient
réduites d’ici à 2010 de 10%26 par rapport à 1990. L’accent est mis principale-
ment sur des mesures volontaires coordonnées par le programme SuisseEner-
gie27 de la Confédération.

23 «La Confédération et les cantons oeuvrent à l’établissement d’un équilibre durable entre la nature,
   en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l’être humain.»
24 «Elle s’engage en faveur de la conservation durable des ressources naturelles et en faveur d’un or-
   dre international juste et pacifique.»
25 Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, 1992. Seuls les principes
   de base ont été définis à ce moment-là. Une concrétisation incluant des objectifs chiffrés dans le
   sens d’un cadre contraignant a suivi lors de l’adoption du Protocole de Kyoto et de l’approba-
   tion du 4e rapport du GIEC qui bénéficie d’un appui scientifique très large.
26 Cette norme correspond à la réduction de 8% des émissions de gaz à effet de serre que demande
   le Protocole de Kyoto; en plus des émissions de CO2 auxquelles s’applique la loi sur le CO2, celui-
   ci prend en compte d’autres gaz à effet de serre.
27 La brochure suivante offre un aperçu des activités: SuisseEnergie: le programme de partenariat
   pour l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables: www.suisseenergie.ch.
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