Chapitre 22. Recherche de la plante hôte à distance
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Paul-André Calatayud, Frédéric Marion-Poll, Nicolas Sauvion et Denis Thiéry (dir.) Interactions insectes-plantes IRD Éditions Chapitre 22. Recherche de la plante hôte à distance Denis Thiéry, Thierry Brévault, Serge Quilici, Laurent Dormont et Bertrand Schatz DOI : 10.4000/books.irdeditions.22497 Éditeur : IRD Éditions, Éditions Quae Lieu d'édition : IRD Éditions, Éditions Quae Année d'édition : 2013 Date de mise en ligne : 18 juin 2019 Collection : Référence ISBN électronique : 9782709918633 http://books.openedition.org Référence électronique THIÉRY, Denis ; et al. Chapitre 22. Recherche de la plante hôte à distance In : Interactions insectes-plantes [en ligne]. Marseille : IRD Éditions, 2013 (généré le 31 mars 2020). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782709918633. DOI : https://doi.org/10.4000/ books.irdeditions.22497.
Chapitre 22 Recherche de la plante hôte à distance Denis Thiéry, Thierry Brévault, Serge Quilici, Laurent Dormont et Bertrand Schatz Ce chapitre traite des comportements de Cette étape est même vitale pour les insectes et recherche à distance de la plante hôte par les les plantes impliqués dans des mutualismes obli- insectes en vue de l’établissement de tout ou partie gatoires de pollinisation tels que les figuiers, les du cycle reproducteur, mais aussi de plantes utili- yuccas, et certains palmiers ou cactus (Godfray, sées comme ressources temporaires (recherche 1994 ; Proffit et al., 2007). de nutriments spécifiques ou de molécules de L’étude des mécanismes d’orientation chez les défense par exemple). La localisation de la plante insectes a depuis longtemps fasciné de nombreux à distance et la mise en œuvre des comporte- chercheurs. Au départ apanage des physiologistes ments de recherche sont des étapes essentielles et éthologistes, les comportements d’orientation à la rencontre entre le consommateur (insecte) des insectes intéressent les écologistes mais aussi et sa ressource, mais aussi à la régulation des les cybernéticiens. Dès la fin du xixe siècle, on distances inter-individuelles entre partenaires remarque les travaux de Bethe, puis au début du sexuels ou compétiteurs potentiels. L’expression xxe siècle, ceux de Von Frisch, Wolf, Kühn, Loeb, des comportements et des stratégies de recherche Fraenkel et Wigglesworth, repris et cités dans est évidemment phénotypique (morphologie des l’ouvrage de Fraenkel et Gunn publié en 1940 organes mis en jeu, physiologie et métabolisme puis réédité en 1961 (Fraenkel et Gunn, 1961). sous-jacents), mais aussi génétique, les capacités Cet ouvrage a stimulé de nombreuses recherches, à localiser une ressource (chez les phytophages, en particulier celles de Dethier et Mittelstaedt souvent une plante) doivent être optimisées afin (voir revues de Jander [1963] ; puis de Kennedy d’augmenter le succès reproducteur. [1978]) qui proposent explicitement d’étudier Chez les insectes phytophages, la localisation de avec précision les mécanismes d’orientation des la plante (recherche de sites d’accouplements, de insectes, en particulier en réponse aux odeurs, refuge, de nutrition ou de ponte) est une étape pour les nombreuses applications – notamment clé de leur stratégie adaptative (Schoonhoven agronomiques – qui peuvent en découler. Cette et al., 2005). Cette étape doit pouvoir se réaliser fascination est probablement liée aux perfor- avec une probabilité de succès autorisant une mances des « outils de navigation » et, parfois, à proportion suffisante d’individus à trouver leurs la « désarmante » simplicité des mécanismes et ressources trophiques et à s’assurer un succès structures sous-jacents, impliquant les structures reproducteur satisfaisant. Chez les plantes à neurobiologiques. Elle est aussi stimulée par les pollinisation entomophile, cette localisation par immenses possibilités de mises au point de pièges les insectes pollinisateurs est importante, car elle attractifs et, plus récemment, par les applications assure les échanges de gènes entre les plantes. liées à la robotique. 319 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 319 24/07/13 14:26
Interactions insectes-plantes Tableau 22-1 – Tentative de synthèse des différentes modalités sensorielles impliquées dans les comportements de recherche de la plante hôte (d’après Thiéry, 2009). Modalité sensorielle Acoustique Visuelle Mécanique Olfactive impliquée (perception de flux d’air) Distance d’action Longue ou courte Longue ou courte Longue pour Longue et courte l’anémotactisme, selon la volatilité courte pour la température des molécules (1) et l’hygrométrie Type de signal Vibrations Contraste, Mouvements de l’air, Molécules de la feuille, forme ou silhouette, température, hygrométrie stridulations couleur, polarisation de la lumière, photopériode Organes impliqués Organes Yeux, ocelles Mécanorécepteurs Chimiorécepteurs tympaniques, (incluant hygro, thermo), des antennes organe dont organe de Johnson de Johnson (2) Mode d’action Orientant ou Orientant et Orientant ou enclencheur Orientant ou enclencheur régulateur (3) (4) enclencheur Fiabilité Souvent bonne De bonne à faible Faible Très bonne de l’information (5) à excellente Sensibilité à la confusion Faible Faible pour Sujette aux perturbations Sujette à masquage, ou au camouflage la confusion aérodynamiques confusion olfactive et évidemment aux perturbations aérodynamiques Objectif de la recherche Cible précise Zone de présence Zone de présence Zone de présence à cible précise et cible précise Amélioration des Non démontrée (6) Oui Non démontrée Oui performances par apprentissage Exemples Cicadelles, cigales, Mouches des fruits, Blattes, doryphores, Très nombreux drosophiles, abeilles Lépidoptères (7) insectes parasitoïdes (1) L’émission naturelle par aérosols permet de retrouver des molécules peu volatiles (exemple di- et tri-terpènes) à longue distance ; (2) organe chordotonal à l’articulation antenne pédicelle et qui, outre sa fonction acoustique, mesure la déflexion de l’antenne (également très utilisé pour mesurer la vitesse de déplacement) ; (3) cas de la régulation optomotrice du vol des Lépidoptères ; (4) peut suffire à l’orientation lorsque les autres informations sont faibles ou manquantes ; (5) critère subjectif. Nous l’attribuons pour des modalités utilisées seules. En combinaisons, la fiabilité est améliorée ; (6) non documenté à notre connaissance ; (7) de très nombreux insectes utilisent par exemple l’anémotactisme conditionné par l’odeur ou le « zigzaging ». Chez les insectes spécialistes, la capacité de la de trouver dans un environnement sensoriel femelle à localiser puis à reconnaître la plante complexe des plantes rares et isolées. Une revue appropriée est une des clés du succès de la récente de Mueller et Fagan (2008) montre le lien descendance, en particulier lorsque les stades évident entre mécanisme d’orientation individuel larvaires jeunes sont peu mobiles et ne peuvent et distribution des populations dans des espaces corriger les erreurs de la mère. Dans certains cas, complexes, ainsi que l’appropriation récente ces comportements de recherche sont rendus par la communauté de l’écologie des popula- très performants, permettant à un individu tions des mécanismes d’orientation individuels. 320 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 320 24/07/13 14:26
Recherche de la plante hôte à distance laires chez divers parasitoïdes, comme ceux de pollinisateurs de figuiers (Godfray, 1994 ; Proffit et al., 2007). La première étape consiste à localiser l’habitat de la plante hôte, à l’intérieur duquel s’ef- fectuent ensuite la détection et le choix de celle-ci. Abeille, Apis mellifera, en approche d’une fleur de ronce, Rubus sp. (© Th. Colin). Le processus de localisation de la plante peut se résumer en deux principales étapes : la loca- lisation à distance et la reconnaissance finale Abeille, Apis mellifera (© Th. Colin). au contact. Ce chapitre traite de la première étape, qui sera présentée au travers de plusieurs Les mécanismes qui gouvernent le comporte- exemples comme l’enchaînement de quatre ment de recherche peuvent être très différents modalités sensorielles agissant à distance de la d’une étape à l’autre (de l’habitat jusqu’à la plante source d’information : acoustique, visuelle, méca- hôte) (Prokopy et Roitberg, 1984). La nature des nique et olfactive (Bell et al., 1995) (tabl. 22-1). différents stimuli, leur importance relative et la Nous centrerons cette synthèse sur les modalités séquence selon laquelle ils interviennent lors des sensorielles qui sont privilégiées dans l’attraction différentes phases du processus de localisation de à distance par la plante : la vision, l’olfaction et l’hôte constituent toujours un vaste champ d’in- la mécanoréception. L’audition concerne aussi vestigation. Les caractéristiques physiques des les insectes phytophages (voir Robert et Göpfert, plantes ne sont généralement pas jugées suffisam- 2002 pour revue), mais principalement pour ment typiques pour permettre à un insecte d’iden- les comportements de régulation de distance tifier une plante (Prokopy et Owens, 1983). Chez inter-individuelle (par exemple, recherche du la mouche de la pomme, R hagoletis pomonella partenaire sexuel). Quelques exemples, volontai- rement limités, pour la plupart empruntés à des Diptères (mouches des fruits), des Lépidoptères, des Coléoptères ainsi qu’à plusieurs situations de pollinisation, illustreront notre propos. Les étapes du processus de recherche Les comportements de recherche de la plante peuvent impliquer la détection et la perception sensorielle de différents items comme : l’habitat ; la plante entière ou l’arbre ; un rameau ou une Figure 22-1 – Niveaux hiérarchiques de recherche branche ; un bouquet de fruits ; ou le fruit indi- de l’hôte chez les mouches des fruits viduel (fig. 22-1). On retrouve des étapes simi- (d’après Roitberg, 1985). 321 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 321 24/07/13 14:26
Interactions insectes-plantes (Diptera, Tephritidae), qui a été particulièrement étudiée de ce point de vue, les études ont montré Médiateurs chimiques utilisés que la femelle détecte l’habitat de l’hôte grâce à dans la localisation à distance l’information olfactive fournie par des composés volatils émis par les pommes. Après l’arrivée sur Des déchets du métabolisme l’arbre, la localisation des fruits s’effectue surtout aux médiateurs chimiques à partir des caractéristiques visuelles de l’hôte. Les médiateurs chimiques produits par les plantes Lorsque les fruits sont peu visibles ou rares, ont d’abord été considérés comme des déchets l’odeur interagit avec la vision durant le processus du métabolisme (Dobson, 1994), ce qui avait au de recherche (Aluja et Prokopy, 1993). moins l’avantage de fournir une explication plau- Chez R. pomonella et probablement chez la sible à la ségrégation de certaines molécules. Puis plupart des Tephritidés, les vols d’arbre en ils ont été appelés « métabolites secondaires », arbre à la recherche des fruits sont diurnes. Les le qualificatif de secondaire indiquant qu’ils ne femelles à la recherche d’un site de ponte visitent sont pas essentiels à la physiologie et à la crois- l’habitat de l’hôte jusqu’à ce qu’elles découvrent sance de la plante. C’est cette vision manichéenne un fruit au stade favorable, ou elles émigrent qui a originellement conduit à penser que les après un temps critique fixé si la recherche n’a composés secondaires n’étaient que des sous- pas été « fructueuse ». En revanche, la ponte produits de l’activité métabolique d’une plante dans un fruit provoque la remise à zéro de l’hor- (Banthorpe et al., 1972). Une véritable fonction loge et une augmentation du temps critique de écologique commence à être supposée pour ces recherche dans la même région. Ainsi, ce méca- composés dans la première moitié du xxe siècle nisme détermine la persistance de recherche dans le domaine de la biologie appliquée. Ce n’est des femelles dans l’habitat de l’hôte et augmente qu’à partir du milieu du xxe siècle que l’attention l’efficacité de la recherche dans un habitat des écologistes se porte véritablement sur le sujet, fragmenté (Roitberg et Prokopy, 1984). Chez avec les travaux de Dethier (1954) et de Fraenkel la mouche du melon, Bactrocera cucurbitae (1959) sur les modalités du choix de leur nourri- (Diptera, Tephritidae), comme chez la mouche ture par les insectes phytophages, dans lesquelles de la tomate, Neoceratitis cyanescens (Diptera, les composés secondaires jouent un rôle prépon- Tephritidae), les femelles gravides se déplacent dérant. Ensuite, Ehrlich et Raven (1964) ont le matin de leurs abris situés dans la végéta- proposé l’hypothèse d’une co-évolution entre tion non hôte environnante vers les parcelles plantes et herbivores, dans laquelle les composés contenant des plantes hôtes en fructification, du métabolisme ont pu être sélectionnés pour puis retournent vers leurs abris avant le crépus- remplir une fonction de défense contre les herbi- cule (Brévault et Quilici, 2000 ; Nishida et Bess, vores. Ces auteurs suggèrent ainsi que la produc- 1957). En revanche, lorsque les fruits hôtes sont tion par les plantes de ces composés est au cœur en faible nombre ou de basse qualité, les femelles des mécanismes d’évolution des plantes, faisant émigrent assez rapidement. Certaines espèces ainsi passer les composés secondaires du statut peuvent ainsi parcourir des distances considé- de simples déchets du métabolisme à celui de rables avant de trouver des hôtes convenables moteur majeur de l’évolution de la biodiversité. (Drew et Hooper, 1983). À la même époque, les chimistes commençent Pour s’orienter, l’insecte utilise des informa- à découvrir que, contrairement à ce qui était tions sensorielles émanant de son environne- envisagé jusqu’alors, les composés secondaires ment, et des informations internes dérivées des pouvaient être catabolisés (Croteau, 1987 ; propriocepteurs ou inscrites dans son patri- Croteau et al., 1972), c’est-à-dire dégradés pour moine génétique (Bell, 1990). La structure du rejoindre les chaînes métaboliques primaires. système sensoriel des insectes est présentée dans Cette observation acheva de convaincre nombre le chapitre 8. d’évolutionnistes et d’écologistes que ces 322 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 322 24/07/13 14:26
Recherche de la plante hôte à distance olécules ne pouvaient être réduites à de simples m cas de l’herbivorie ou du parasitisme (De Boer et déchets du métabolisme, et que l’étude de leurs Dicke, 2005 ; Vet et Dicke, 1992). Cependant, le fonctions écologiques constituait un champ de sens de cette interaction peut varier au cours de recherche prometteur. Ainsi, à partir de la fin des l’évolution (un parasite peut devenir un pollini- années 1960, l’étude croissante de ces composés a sateur, et inversement). Ces interactions, souvent engendré l’émergence d’une nouvelle branche de très complexes, correspondent fréquemment à l’écologie, l’écologie chimique (voir Sondheimer des réseaux d’interactions, où ces insectes sont et Simeone [1970]). De nombreuses fonctions également en interaction (voir chapitres 30 et 32 ; vont être alors découvertes, comme : Schatz et al., 2006). La transmission d’informa- −− la défense chimique constitutive (cas des alca- tions par communication chimique entre deux loïdes) et/ou induite (cas des composés cyanogé- partenaires interspécifiques est appelée la média- niques) contre les herbivores (Freeland et Janzen, tion chimique. Dans ce chapitre, nous traiterons 1974 ; Pichersky et Gershenzon, 2002 ; Williams, uniquement ce dernier aspect. 1970) et contre d’autres pathogènes (bactéries, champignons) (Dabbah et al., 1970) ; Médiateurs chimiques volatils −− l’allélopathie, c’est-à-dire l’ensemble des impliqués dans l’attraction à distance effets d’une plante sur une autre par le biais de Nature chimique des molécules volatiles composés secondaires, ce qui intervient dans le cadre d’interactions interspécifiques, surtout de Les médiateurs chimiques interviennent de compétition et parfois de synergie (Fischer, 1991 ; façon importante dans la localisation à distance Harborne, 1988 ; Rice, 1984). Ces composés sont des plantes par les insectes. Schématiquement, libérés dans le sol ou dans l’air et influencent la les composés volatils sont émis d’un point sur dynamique des associations végétales, en agissant la plante, point à partir duquel ces composés sur les processus de succession végétale, la distri- se centrent sur une sphère de diffusion dont la bution spatiale des plantes, la dormance et le concentration diminue avec la distance (fig. 22-2). taux de germination des graines, les dynamiques Ainsi, l’insecte, attiré par cette odeur, va parvenir d’infection par les pathogènes et les processus de à trouver le centre de cette sphère de diffusion nitrification du sol (Levin, 1976) ; en se dirigeant vers des odeurs de plus en plus −− l’adaptation à certains milieux, par exemple concentrées (Bradbury et Vehrencamp, 1995). au milieu méditerranéen où se rencontrent de nombreuses espèces aromatiques. La dyna- mique de cet écosystème serait ainsi liée à la présence des plantes produisant et/ou émettant des composés inflammables (Trabaud, 1976), des composés contribuant à la régulation de l’équilibre carbone/nutriments (Shure et Wilson, 1993) et des composés facilitant la protection contre la dessiccation (Margaris et Vokou, 1982), Figure 22-2 – Schéma de diffusion des composés les rayonnements ultraviolets (Waterman et al., volatils, et de l’orientation de l’insecte le long d’un 1984 ; Wink, 1999) ou un rayonnement lumineux gradient de concentration en composés volatils. trop important (Close et McArthur, 2002) ; −− et enfin l’attraction interspécifique, très souvent Les composés volatils sont par définition des dans le cadre d’interactions avec les insectes. produits pouvant se disperser dans l’air par diffu- Schématiquement, ces interactions peuvent être sion à partir de la zone d’émission. Ce sont des positives, comme dans le cas de la pollinisation composés carbonés à forte pression de vapeur, (transport par les insectes du pollen vers le stig- c’est-à-dire qu’ils sont spontanément à l’état gazeux mate des plantes), ou négatives, comme dans le sous des conditions de pression a tmosphérique 323 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 323 24/07/13 14:26
Interactions insectes-plantes et de température ambiante. Ils sont en général −− les composés aromatiques ou shikimiques, composés de 6 à 20 atomes de carbone (parfois qui sont des molécules composées d’un cycle un peu plus selon leur nature), et chacun d’entre benzénique et dérivées de l’acide shikimique eux est caractérisé par un coefficient de volatilité (fig. 22-3b). Parmi les plus célèbres, on y trouve important, c’est-à-dire une proportion impor- la vanilline (« odeur de vanille ») ou le cyna- tante de molécules qui diffusent dans l’air. Seules maldehyde (« odeur » de cannelle). Cette voie de les substances ayant une masse moléculaire infé- biosynthèse est aussi à l’origine de composés plus rieure à 400 Daltons (généralement entre 100 et complexes et non volatils comme la lignine ou les 200) sont volatiles. Les composés à faible poids flavonoïdes ; moléculaire ont tendance à se volatiliser les −− les dérivés d’acides gras ou composés alipha- premiers, jusqu’à atteindre des concentrations tiques, qui correspondent à une chaîne d’hydro- dosables à une certaine distance de la plante. carbones, terminée par un composé carboxylate Aussi, ce sont souvent ces composés qui sont (fig. 22-3c). Les processus d’oxydations succes- impliqués dans l’attraction à distance des insectes sives d’acides gras conduisent à la formation vers la plante hôte (Bernays et Chapman, 1994). de dérivés d’acides gras volatils. Ces composés À courte distance, des mélanges plus complexes, sont très communs dans les « odeurs de feuilles » comprenant des composés à poids moléculaire (ou green-leaf volatiles) et correspondent par plus élevé, prédominent. Leur concentration exemple à l’héxénol, l’undecane, le tridécane ou peut devenir très importante dans la couche limite1 de la surface des plantes, dont l’épais- le pentadécane… seur (qui n’excède jamais quelques millimètres) dépend de la vitesse du vent et de la morphologie a) Unité isoprène de la surface. Dans cette couche, les informa- H3C tions chimiques sont souvent complexes du fait de la présence de molécules aux caractéristiques C — CH = CH2 physico-chimiques très différentes. En outre, la cuticule végétale assure un rôle d’adsorption/ H2C diffusion des molécules volatiles d’origine végé- tale mais aussi phéromonale, ce qui complique le « paysage informationnel » chimique. b) Benzène Plusieurs dizaines de milliers de composés vola- tils sont actuellement connus, dont une grande H majorité est issue de trois grandes voies de biosynthèse (Knudsen et al., 2006) : H C H C C −− les terpènes qui sont tous dérivés d’unités noté : isoprène à 5 carbones (fig. 22-3a). On distingue C C des monoterpènes (molécules en C10), des H C H sesquiterpènes (molécules en C15) et des diter- H pènes (molécules en C20), ces derniers étant peu volatils. Actuellement, plusieurs milliers de terpènes naturels sont connus, parmi lesquels quelques molécules fréquentes comme l’α-pinène, c) Acide gras le β-pinène, le perrillène, le linalol, le limonène O pour les monoterpènes, et le β-caryophyllène, H3C (H2C)n C l’ocimène, le germacrène pour les sesquiterpènes ; OH 1. Couche au-delà de laquelle les composés ne sont plus Figure 22-3 – Formule chimique d’une unité perceptibles par l’insecte. isoprène (a), du benzène (b) et d’un acide gras (c). 324 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 324 24/07/13 14:26
Recherche de la plante hôte à distance Les composés volatils se classent habituellement végétale émet plusieurs dizaines, voire plusieurs suivant leur famille chimique, leur origine biochi- centaines de composés différents dans des ratios mique ou leurs activités biologiques, ou encore particuliers, de telle sorte que deux espèces leurs propriétés physico-chimiques (tension de végétales même proches ne présentent jamais vapeurs, ou hydrophobicité). Ils comprennent quantitativement et qualitativement un bouquet une grande variété d’alcools à chaîne courte, odorant strictement identique. aldéhydes, cétones, esters, phénols aromatiques, Les plantes produisent une série de composés lactones, mono- et sesquiterpènes. La meilleure volatils dits généralistes ou ubiquistes. C’est par base à ce jour pour déterminer si un composé exemple le cas des « odeurs vertes » (alcools et volatil a déjà été identifié chez une plante à fleur aldéhydes à chaînes linéaires de 5 à 7 atomes de est celle réalisée par Knudsen et al. (2006), recen- carbone) qui résultent de la chaîne métabolique sant plus de 1 700 composés volatils émis par les linoléique (Visser, 1986). Dans le cas des odeurs fleurs de près de 1 000 espèces végétales apparte- vertes, ce sont souvent les rapports de concen- nant à 90 familles. Certaines familles de plantes tration des composés du bouquet qui donnent ont des voies de biosynthèse relativement limitées, l’identité du message et qui déclenchent par alors que d’autres émettent des bouquets d’odeurs exemple l’orientation à distance de la femelle du avec parfois plus d’une centaine de composés doryphore (Thiéry et Visser, 1986, 1987 ; Visser volatils (Levin et al., 2003). De plus, la complexité et Nielsen, 1977). De nombreux monoterpènes de l’odeur produite est certainement sous-estimée sont également présents dans beaucoup d’émis- puisque la configuration chirale ainsi que la posi- sions florales. Les molécules organiques à chaîne tion et la stéréochimie des doubles liaisons sont courte issues de processus de fermentation liées à des paramètres encore mal connus pour bon la présence de micro-organismes se rencontrent nombre de composés (Dötterl et al., 2007). aussi chez un grand nombre d’espèces végétales Le « pool » de composés volatils est produit à et en particulier les fruits mûrs (Knudsen et al., l’intérieur des plastes cellulaires, puis stocké 2006 ; Metcalf, 1987 ; Visser, 1986). L’odeur carac- au niveau cellulaire ou extracellulaire ou émis téristique d’une plante provient souvent d’un généralement par les fleurs ou les tissus lésés groupe de composés volatils proches, comme (Pichersky et al., 2006). Plusieurs mécanismes les terpénoïdes chez les Conifères (citral, caryo- permettent l’émission par les plantes de subs- phyllène, camphor, citronellal) ou des mélanges tances chimiques (Metcalf, 1987 ; Schoonhoven de sulfides dans le cas de l’oignon ou de l’ail. Les et al., 2005), surtout par la diffusion à travers isothiocyanates rencontrés chez les Crucifères les surfaces aériennes (et souterraines), mais dérivent de composés soufrés, les glucosinolates aussi par le lessivage des surfaces par la pluie (Finch, 1978). On retrouve également de tels et la rosée, la diffusion consécutive à des exsu- composés soufrés chez les champignons. dations comme celles de résine, la diffusion et/ ou l’exsudation consécutives à des blessures ou D’autres composés spécifiques, appelés aussi au pourrissement, ou encore la diffusion lors de private channels, ont été identifiés dans plusieurs l’ouverture des stomates pour la régulation de la cas d’interactions plantes-pollinisateurs (en transpiration de la plante. majorité chez des Orchidées) (voir Raguso [2008] pour revue). Ce sont des composés rares, liés à Composition du bouquet d’odeurs des fonctions particulières, qui interviennent et modalités d’émission par les plantes dans des syndromes de pollinisation associés à Les signaux chimiques perceptibles à distance un leurre (leurre sexuel, cas de nursery pollina- émis par les plantes correspondent très généra- tion, etc.) et non à une récompense (pollen ou lement à un mélange de composés organiques nectar) (Raguso, 2008). volatils qui sont perçus par les organes sensoriels L’émission de ces composés volatils par une situés sur les antennes de l’insecte. Une espèce espèce végétale dépend à la fois des contraintes 325 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 325 24/07/13 14:26
Interactions insectes-plantes phylogénétiques et des pressions de sélection Turlings et al., 1990 ; Vet et Dicke, 1992), et cela exercées par l’environnement biotique et abio- selon différents mécanismes. Il peut s’agir d’une tique. Des facteurs environnementaux, comme libération de composés synthétisés ou stockés le stress hydrique, peuvent agir indirectement intervenant pendant la destruction des structures en conditionnant l’ouverture des stomates. Des végétatives par l’herbivore (Gang et al., 2001). facteurs abiotiques comme les cycles journaliers et Dans d’autres cas, c’est la diffusion de certaines saisonniers, l’éclairement, le type de sol, la tempé- molécules présentes dans la salive des herbivores rature et l’hygrométrie, ainsi que des facteurs qui active la synthèse des composés volatils par biotiques comme la pollinisation (pour les fleurs) cette plante (Turlings et al., 1990). Cette média- ou le stade de maturation (pour les fruits) peuvent tion chimique peut également intervenir dans le aussi modifier radicalement le profil du signal sol dans un système insecte/racines/nématode. odorant (Bernays et Chapman, 1994 ; Dudareva La larve de la chrysomèle, Diabrotica virgifera et Pichersky, 2006). Certains événements écolo- virgifera (Coleoptera, Chrysomelidae), induit giques, comme des hybridations interspécifiques la production de (E)-β-caryophyllène dans les ou des croisements intraspécifiques entre popu- racines et les feuilles de la plante lorsqu’elle attaque lations différentes, ou des variations du génome les racines de maïs. Ce sesquiterpène, diffusant par mutation ou dérive génétique, auront des dans le sol, attire les nématodes pathogènes des conséquences importantes au niveau de l’activité larves de la chrysomèle (Rasmann et al., 2005). des différentes voies de biosynthèse. Le mélange Dans de nombreux cas, l’agrégation spatiale de composés olfactifs pourra ainsi varier, et être des plantes et la synchronie de leur phénologie sélectionné si ces variations sont associées à une correspondent à l’émission d’une quantité plus meilleure attraction des pollinisateurs. importante de composés volatils, ce qui facilite Ce bouquet volatil est généralement sponta- l’attraction des insectes pollinisateurs, et donc nément émis par la plante mais aussi parfois l’efficacité de leur action. Pour un individu, ce induit par la présence de l’hôte. Dans la première message peut également varier au cours de sa catégorie, les composés émis par la plante sont vie, en fonction de son âge, de son état de polli- souvent liés à l’attraction des insectes pollini- nisation et également selon le cycle circadien sateurs, et cette médiation se révèle importante (revue de Proffit et al. [2007]). Souvent, la plante chez la plupart des plantes à fleur (Dobson, émet une odeur particulière ou en quantité plus importante pendant la phase phénologique 1994) ; ils peuvent même contribuer à l’isolement d’échange de gamètes (production de pollen et reproducteur entre espèces sympatriques proches réceptivité des stigmates) (Csoka et al., 2005 ; (Levin et al., 2001). Dans ce cas, la production de Proffit et al., 2009 ; Proffit et al., 2007 ; Schiestl et composés organiques volatils (communément Ayasse, 2000). L’identité, le ratio et/ou la quantité appelés COV) résulte de changements métabo- des composés de ce message peuvent varier entre liques de la plante, entraînant la mise en contact individus de la même espèce (Dufaÿ et al., 2004). des enzymes et des molécules précurseurs préa- Gibernau (1997) a ainsi montré qu’un mélange lablement compartimentées. Ces composés vola- de trois monoterpènes (linalool, linalyl oxyde et tils sont émis par des osmophores, qui présentent benzyl alcool) dans certaines proportions est une différentes structures selon leur localisation, condition nécessaire et suffisante pour induire celles-ci pouvant être des cavités, des canaux ou l’attraction de Blastophaga psenes (Agaonidae), des trichomes (voir fig. 22-4). le pollinisateur spécifique du figuier méditerra- La seconde catégorie de composés correspond à néen, Ficus carica (Moraceae). Des proportions ceux induits par la présence de l’hôte. Ainsi, de différentes de ces mêmes composés ne constitue- nombreux parasitoïdes vont répondre aux odeurs ront pas un mélange attractif pour cet insecte. De émises par la plante lors de la prise alimentaire plus, l’ensemble des composés volatils émis par la par un arthropode phytophage (Dicke et al., 2003 ; plante est assez rarement perçu par l’insecte. 326 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 326 24/07/13 14:26
Recherche de la plante hôte à distance Figure 22-4 – Illustrations de la diversité des structures sécrétrices (d’après Caissard, 2007) (© J.-C. Caissard). a) poches sécrétrices du péricarpe du fruit de Citrus sp. (Rutaceae) ; b) cellules papilleuses de l’épiderme de pétale de Lamium purpureum (Lamiaceae) ; c) hydathode de feuille de Nicotiana sylvestris (Solanaceae) ; d) glande peltée de feuille de Mentha x piperita (Lamiaceae) ; e) trichomes sécréteurs à tête pluricellulaire et cristaux d’oxalate de calcium de pétale de N. sylvestris ; f) canal résinifère de branche de Pseudotsuga menziesii (Pinaceae) ; g) trichome sécréteur à 4 cellules de tête de feuille de Lycopersicon esculentum (Solanaceae) (Barres d’échelle, 10 μm sauf a, d et f, 20 μm). De très faibles variations dans la composition végétal, en le rendant non attractif, répulsif, voire qualitative ou quantitative du bouquet odorant toxique pour ces insectes (Dormont et al., 1997 ; émis par la plante hôte peuvent également suffire Nordlander, 1991 ; Smith, 1963). à modifier le comportement de choix de la plante Si la plante peut émettre des mélanges de parfois par les insectes ravageurs spécialistes (Roseland plus d’une centaine de composés olfactifs, l’in- et al., 1992 ; Thiéry et Visser, 1986). Cette situa- secte n’en détecte bien souvent qu’une dizaine, tion a été décrite chez de nombreux insectes dont seulement quelques-uns sont réellement ravageurs de Conifères. Les émissions volatiles importants dans son choix. Dans le contexte de la des conifères sont souvent « simples » et consti- pollinisation, il est fréquent qu’une plante « mani- tuées d’un mélange de quelques monoterpènes et pule » le comportement de l’insecte pollinisa- sesquiterpènes (Von Rudloff, 1975). Des modi- teur par des variations dans la quantité et/ou la fications expérimentales de la proportion de proportion relative de quelques composés attrac- quelques monoterpènes constitutifs ont permis tifs et de quelques autres répulsifs (Kessler et al., de masquer le message olfactif habituel de l’hôte 2008 ; Raguso, 2008). 327 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 327 24/07/13 14:26
Interactions insectes-plantes pour atteindre la source. À l’inverse, d’autres Encadré 22-1 – La procédure classique auteurs s’appuient sur la persistance naturelle d’analyse de la médiation chimique entre d’interactions entre plantes et insectes pour une plante et un insecte confirmer l’hypothèse d’une orientation selon un Elle passe par trois étapes : gradient croissant de concentration. Ainsi, sous les tropiques, les floraisons massives des figuiers 1 – l’extraction du message olfactif (technique et celle des arbres diptérocarpes représentent des du head-space dynamique ou statique, micro- extraction en phase solide, ou technique extrêmes opposés dans le spectre d’une attraction « chromatoprobe ») et l’identification des spécialisée à généraliste. Pourtant, ces floraisons composés olfactifs émis par la plante (Dötterl imprévisibles dans le temps et l’espace, et utili- et al., 2005 ; Dufaÿ et al., 2004 ; Proffit et al., sant des odeurs différentes, parviennent à attirer 2009 ; Proffit et al., 2007 ; Schatz et al., 2009) ; des pollinisateurs (de petites guêpes ou des 2 – la détermination des composés détectés Coléoptères, respectivement) malgré un milieu par l’insecte (électroantennographie, couplage complexe (Raguso, 2008). GC-EAD) ou déclenchant un comportement chez l’insecte (olfactométrie, technique Attractivité de sniffing) (Dudareva et Pichersky, 2006 ; On parle ici d’attractivité des effluves dans le sens Schiestl et Ayasse, 2000) ; où elles déclenchent chez l’insecte un mouve- 3 – la réalisation des tests comportementaux ment orienté vers la source. De nombreux avec un mélange synthétique de composés travaux ont montré l’implication des composés olfactifs sélectionnés précédemment (Duda volatils ou kairomones dans la localisation à reva et Pichersky, 2006 ; Schatz et al., 2009 ; courte et à moyenne distance d’une ressource Schiestl et Ayasse, 2000). (site de ponte, ressource alimentaire, etc.). Nous illustrerons par quelques exemples contrastés les différences entre les espèces « généralistes » et les Transport et structure espèces « spécialistes ». L’odeur de la plante est transportée dans le vent et Les insectes spécialistes perçoivent plutôt dispersée essentiellement par des mécanismes de leur(s) hôte(s) grâce à des composés spéci- diffusion turbulente beaucoup plus importants fiques (Bernays et Chapman, 1994 ; Dudareva que la diffusion moléculaire (Murlis et al., 1992). et Pichersky, 2006 ; Raguso, 2008). Ainsi, diffé- À cause de cette turbulence de l’air, les gradients rents glucosinolates et leurs produits volatils de concentration des effluves de plantes sont d’hydrolyse attirent et stimulent divers insectes fortement perturbés, de sorte qu’un réel gradient des Crucifères tels que Delia brassicae (Diptera, n’existe probablement qu’à quelques centimètres Anthomyiidae) (Finch, 1980). De même, la autour de la plante (Elkinton et Cardé, 1984). mouche de l’oignon, Delia antiqua (Diptera, Au-delà, le signal odorant forme des « poches » Anthomyiidae), et la teigne du poireau, Acrole- ou « filaments » dans le flux d’air qui le trans- piopsis assectella (Lepidoptera, Yponomeutidae), porte (Visser, 1986). À distance, l’insecte va donc répondent à un mélange de composés soufrés percevoir une série de bouffées d’odeurs inter- (Harris et Miller, 1982 ; Lecomte et Thibout, mittentes. La concentration d’une poche d’odeur 1981). Cependant, les éléments d’un mélange est très variable, au point d’être encore élevée peuvent ne pas être typiques de la plante hôte à distance (Cardé, 1996). Toutefois, les inter- ou de sa famille végétale, alors que leur mélange valles de temps qui séparent les poches d’odeur dans des proportions bien précises peut carac- augmentent avec l’éloignement de la source. tériser la plante hôte (Reissig et al., 1982). En Ainsi, plusieurs auteurs suggèrent que l’insecte outre, un composé olfactif généraliste comme le n’a pas – ou seulement peu – la possibilité de méthyl salicylate peut avoir des rôles assez diffé- suivre un éventuel gradient de concentration rents selon la plante émettrice, comme attirer des 328 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 328 24/07/13 14:26
Recherche de la plante hôte à distance parasitoïdes d’herbivores, déclencher l’activité (EAG), d’olfactométrie puis des piégeages au protectrice chez des fourmis à plantes, attirer à champ, ont montré que sept esters volatils de distance des abeilles pollinisatrices d’Orchidées, pomme déclenchaient un mouvement contre réduire les visites florales chez l’abeille domes- le vent des femelles gravides et des mâles vers tique, stopper la parade sexuelle chez des mâles la source. Aucun des esters présentés seuls ne de papillons. La perception de ce composé va stimule dans la même mesure la réponse des donc déclencher chez l’insecte un comporte- mouches. Les substances volatiles émises par ment qui dépend directement du contexte de le feuillage pourraient également jouer un rôle sa perception ( Dudareva et Pichersky, 2006 ; important dans le processus de localisation de Proffit et al., 2007). l’hôte, comme indicateur de l’habitat conduisant Les plantes ont quatre voies simples pour émettre les femelles à rechercher le signal visuel a pproprié une odeur différente d’une odeur donnée : (Brévault et Quilici, 2007a). émettre une quantité différente de la même L’orientation de l’insecte vers une source d’odeur odeur, émettre les composés olfactifs mais dans peut être perturbée lorsque l’odeur de la plante des proportions relatives différentes, émettre attractive est mélangée à celle d’une plante non la même odeur plus un composé nouveau, ou hôte. Ainsi, chez le doryphore, la forte réponse encore émettre la même odeur mais dans un des femelles à l’odeur de pomme de terre est contexte différent (couleur, milieu, etc.) (Raguso, réduite en présence d’un mélange d’odeurs de 2008). Selon les cas, la réponse des insectes peut pomme de terre et de tomate, qui appartiennent être déclenchée par un seul composé ou par un pourtant toutes deux à la famille des Solanacées bouquet de composés associés selon un ratio (Thiéry et Visser, 1987). De telles interactions particulier. Dans d’autres cas, un bouquet de ouvrent de larges perspectives d’utilisation dans composés est nécessaire pour déclencher une la gestion des populations de ravageurs par réponse maximale. L’intensité de la réponse est associations de cultures. une combinaison linéaire de la détection de plusieurs composés. Un composé, inactif, voire Rôle des caractéristiques visuelles répulsif seul, peut être nécessaire en présence de la plante d’autres composés. On parle de synergie entre composés volatils lorsque le mélange de deux Les rayonnements composés ou plus s’avère plus actif que l’addition des effets des composés pris isolément. Ainsi, les réfléchis par la plante femelles de R. pomonella sont peu attirées par les Ces rayonnements (proche UV, visible et esters d’acides gras isolés de l’odeur de pomme et proche IR) donnent des indications suscep- pas du tout par les composés « acétates ». Pour- tibles d’être utilisées par l’insecte : taille, forme, tant, le mélange de ces fractions est aussi effi- gamme de longueurs d’onde réfléchies, niveau cace qu’un extrait de pomme (Fein et al., 1982 ; de contraste avec l’environnement ou encore Zhang et al., 1999). température. Chez les Tephritidés frugivores, les principaux Les mouches des fruits, après leur arrivée dans stimuli guidant à longue distance les femelles l’habitat de l’hôte, localisent les structures de matures vers les plantes hôtes sont des composés plantes essentiellement, voire exclusivement, volatils de fruits en maturation. Dans le cas de grâce à la vision. Pour déterminer comment la R. pomonella, le complexe de substances vola- femelle de R. pomonella détecte un fruit après tiles émises a été collecté à différents moments être arrivée dans l’habitat de la plante hôte, pendant le processus de maturation du fruit, Prokopy et Roitberg (1984) ont suspendu aux isolé et analysé systématiquement pour mesurer branches des arbres, près des vrais fruits, des la réponse des mouches. Fein et al. (1982), en leurres mimant des pommes, puis ont compté utilisant des techniques d ’électroantennographie les adultes atterrissant sur ces derniers. Ils ont 329 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 329 24/07/13 14:26
Interactions insectes-plantes Exemple de caractéristiques visuelles permettant à un insecte de reconnaître sa plante hôte : feuillage d’Episcia cupreatai (© Th. Colin). constaté que les adultes visitaient autant les (pureté spectrale de la lumière réfléchie) et la leurres que les pommes, ce qui suggère qu’à une clarté (intensité de la lumière réfléchie) peuvent courte distance de l’ordre du mètre, les caracté- intervenir dans le choix des insectes, comme l’ont ristiques visuelles sont les principales indications montré Vernon et Bartel (1985) chez D. antiqua. guidant la détection du fruit. Chez la mouche de Parmi les différentes formes (sphères, cylindres, la tomate, N. cyanescens, les femelles en quête cônes, cubes ou rectangles) testées sur la mouche d’un site de ponte sont capables de détecter méditerranéenne des fruits, Ceratitis capitata un fruit hôte à partir de simples informations (Diptera, Tephritidae), par Nakagawa et al. visuelles (Brévault et Quilici, 2007b). Cependant, (1978), les modèles sphériques se montrent les la détection conjointe de l’odeur du fruit permet plus attractifs pour les mâles et les femelles. La d’augmenter l’efficacité de la recherche (Brévault base biologique de cette forte attractivité est et Quilici, 2010b). fournie par la ressemblance de cette forme avec celle du fruit hôte. De nombreuses recherches Couleur, silhouette, forme et taille ont également été menées au champ avec des La couleur, la silhouette en contraste avec le fond, rectangles colorés englués. La couleur jaune est la forme et la taille sont utilisées par les deux sexes la plus attractive pour presque toutes les espèces de R. pomonella et probablement par d’autres étudiées, suivie en général par les couleurs orange espèces pour localiser les plantes (Prokopy et et verte (Katsoyannos, 1989). Selon Cytrynowicz Owens, 1983). Cependant, aucune des caracté- et al. (1982), la réponse des mouches aux ristiques visuelles n’apparaît spécifique de l’hôte, surfaces planes de couleur jaune ou orange même dans le cas des feuilles d’olivier dont la dépend d’abord de la teinte puis de l’énergie couleur diffère de la couleur verte classique des totale réfléchie par ces couleurs (ou clarté). Les feuilles de nombreuses autres plantes (Prokopy réponses des Tephritidés à des sphères colorées et Roitberg, 1984). D’autres caractéristiques de mimant plus spécifiquement un site d’oviposi- la couleur telles que la teinte (longueur d’onde tion sont plus difficilement généralisables. Chez dominante de la lumière réfléchie), la saturation certaines espèces, la préférence des femelles 330 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 330 24/07/13 14:26
Recherche de la plante hôte à distance s’oriente plutôt vers des couleurs sombres lorsque celles-ci sont associées à des sphères mimant le fruit hôte : rouge, bleu et noir pour R. pomo- nella et Rhagoletis cerasi (Diptera, Tephritidae) (Prokopy, 1969), rouge et noir pour C. capitata (Cytrynowicz et al., 1982 ; Nakagawa et al., 1978). Ces couleurs seraient préférées davantage pour le contraste de couleur qu’elles forment avec le feuillage et qui les rend plus détectables que pour leur teinte. Ainsi, une femelle de C. capitata en quête d’un site de ponte serait attirée par des fruits mûrs parce que ceux-ci réfléchissent moins de lumière que les fruits verts et le feuillage envi- ronnant (Cytrynowicz et al., 1982). L’attractivité des couleurs sombres diminue au profit du jaune Figure 22-5 – À gauche, une Orchidée sans nectar au fur et à mesure que le diamètre des sphères (Anacamptis pyramidalis), imitant des fleurs de augmente. Selon Prokopy (Prokopy, 1969), ces sainfoin (à droite), qui elles produisent du nectar mouches sont attirées par des petites sphères (© B. Schatz). sombres qui miment des fruits, sites d’oviposition ou de rendez-vous d’accouplement. La couleur Dans ces deux situations, l’Orchidée exploite jaune constitue plutôt une sorte de « super- l’inexpérience de l’insecte pollinisateur. Il s’agit feuillage » induisant la recherche de nourriture. là de situations où la tromperie visuelle joue un À travers les résultats de ces différentes études, on rôle important, et non pas l’odeur émise par ces devine la variété des réponses et la difficulté d’in- différentes espèces (Dormont et al., 2009). terprétation biologique des préférences visuelles des femelles de Téphritidés. Par ailleurs, les Caractéristiques visuelles observations comportementales qui pourraient et spécialité alimentaire permettre de mieux expliquer les phénomènes Prokopy et Owens (1978) ont avancé l’hypothèse étudiés ne sont pas toujours disponibles. Ces selon laquelle les insectes monophages et oligo- modèles mimant les caractéristiques visuelles de phages, en particulier, auraient tendance à se structures de plantes constituent néanmoins des comporter comme des « spécialistes visuels » vis- outils très utiles dans la mise au point de pièges à-vis des caractéristiques des formations végé- (Katsoyannos, 1989). tales attaquées. Même si les qualités spectrales des plantes ne sont pas suffisamment spécifiques pour Leurre visuel fournir une base de discrimination visuelle de Un tel rôle des repères visuels se retrouve dans l’hôte, les aspects visuels per se de certaines struc- le contexte de la pollinisation. Une fois de plus, tures de plantes peuvent déclencher une réponse les Orchidées présentent une variété de straté- d’orientation, de concert avec des stimuli olfactifs gies d’attraction du pollinisateur. C’est le cas des appropriés. Les insectes généralistes, de par leur espèces chez lesquelles l’inflorescence représente large spectre de plantes hôtes, manifesteraient au un leurre visuel. Certaines espèces d’Orchi- contraire peu d’intérêt pour les caractéristiques dées, qui ne produisent pas de nectar, imitent la visuelles spécifiques des hôtes. La sélection natu- morphologie de l’inflorescence d’autres espèces relle devrait favoriser la formation d’une « image végétales qui produisent du nectar (fig. 22-5) de recherche » (visuelle ou olfactive) acquise (Schatz, 2005). Chez d’autres Orchidées, le par l’expérience ou inscrite dans le patrimoine contraste de couleur entre les individus est associé génétique de l’insecte spécialiste, lui permettant à une augmentation du taux de pollinisation. d’augmenter son efficacité à découvrir l’hôte. 331 Interactions insectes-plantes_170x240_752p.indd 331 24/07/13 14:26
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