Chapitre 22. Recherche de la plante hôte à distance

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Chapitre 22. Recherche de la plante hôte à distance
Paul-André Calatayud, Frédéric Marion-Poll, Nicolas Sauvion et Denis Thiéry
                           (dir.)

                           Interactions insectes-plantes

                           IRD Éditions

Chapitre 22. Recherche de la plante hôte à distance
Denis Thiéry, Thierry Brévault, Serge Quilici, Laurent Dormont et Bertrand
Schatz

DOI : 10.4000/books.irdeditions.22497
Éditeur : IRD Éditions, Éditions Quae
Lieu d'édition : IRD Éditions, Éditions Quae
Année d'édition : 2013
Date de mise en ligne : 18 juin 2019
Collection : Référence
ISBN électronique : 9782709918633

http://books.openedition.org

Référence électronique
THIÉRY, Denis ; et al. Chapitre 22. Recherche de la plante hôte à distance In : Interactions insectes-plantes
[en ligne]. Marseille : IRD Éditions, 2013 (généré le 31 mars 2020). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782709918633. DOI : https://doi.org/10.4000/
books.irdeditions.22497.
Chapitre 22

                              Recherche de la plante hôte à distance
                                                Denis Thiéry, Thierry Brévault, Serge Quilici,
                                                   Laurent Dormont et Bertrand Schatz

                   Ce chapitre traite des comportements de                Cette étape est même vitale pour les insectes et
                   recherche à distance de la plante hôte par les         les plantes impliqués dans des mutualismes obli-
                   insectes en vue de l’établissement de tout ou partie   gatoires de pollinisation tels que les figuiers, les
                   du cycle reproducteur, mais aussi de plantes utili-    yuccas, et certains palmiers ou cactus (Godfray,
                   sées comme ressources temporaires (recherche           1994 ; Proffit et al., 2007).
                   de nutriments spécifiques ou de molécules de           L’étude des mécanismes d’orientation chez les
                   défense par exemple). La localisation de la plante     insectes a depuis longtemps fasciné de nombreux
                   à distance et la mise en œuvre des comporte-           chercheurs. Au départ apanage des physiologistes
                   ments de recherche sont des étapes essentielles        et éthologistes, les comportements d’orientation
                   à la rencontre entre le consommateur (insecte)         des insectes intéressent les écologistes mais aussi
                   et sa ressource, mais aussi à la régulation des        les cybernéticiens. Dès la fin du xixe siècle, on
                   distances inter-individuelles entre partenaires        remarque les travaux de Bethe, puis au début du
                   sexuels ou compétiteurs potentiels. L’expression       xxe siècle, ceux de Von Frisch, Wolf, Kühn, Loeb,
                   des comportements et des stratégies de recherche       Fraenkel et Wigglesworth, repris et cités dans
                   est évidemment phénotypique (morphologie des           l’ouvrage de Fraenkel et Gunn publié en 1940
                   organes mis en jeu, physiologie et métabolisme         puis réédité en 1961 (Fraenkel et Gunn, 1961).
                   sous-jacents), mais aussi génétique, les capacités     Cet ouvrage a stimulé de nombreuses recherches,
                   à localiser une ressource (chez les phytophages,       en particulier celles de Dethier et Mittelstaedt
                   souvent une plante) doivent être optimisées afin       (voir revues de Jander [1963] ; puis de Kennedy
                   d’augmenter le succès reproducteur.                    [1978]) qui proposent explicitement d’étudier
                   Chez les insectes phytophages, la localisation de      avec précision les mécanismes d’orientation des
                   la plante (recherche de sites d’accouplements, de      insectes, en particulier en réponse aux odeurs,
                   refuge, de nutrition ou de ponte) est une étape        pour les nombreuses applications – notamment
                   clé de leur stratégie adaptative (Schoonhoven          agronomiques – qui peuvent en découler. Cette
                   et al., 2005). Cette étape doit pouvoir se réaliser    fascination est probablement liée aux perfor-
                   avec une probabilité de succès autorisant une          mances des « outils de navigation » et, parfois, à
                   proportion suffisante d’individus à trouver leurs      la « désarmante » simplicité des mécanismes et
                   ressources trophiques et à s’assurer un succès         structures sous-jacents, impliquant les structures
                   reproducteur satisfaisant. Chez les plantes à          neurobiologiques. Elle est aussi stimulée par les
                   pollinisation entomophile, cette localisation par      immenses possibilités de mises au point de pièges
                   les insectes pollinisateurs est importante, car elle   attractifs et, plus récemment, par les applications
                   assure les échanges de gènes entre les plantes.        liées à la robotique.

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Interactions insectes-plantes

         Tableau 22-1 – Tentative de synthèse des différentes modalités sensorielles impliquées dans les comportements
         de recherche de la plante hôte (d’après Thiéry, 2009).

          Modalité sensorielle        Acoustique             Visuelle              Mécanique                    Olfactive
          impliquée                                                                (perception de flux d’air)
          Distance d’action           Longue ou courte       Longue ou courte      Longue pour                  Longue et courte
                                                                                   l’anémotactisme,             selon la volatilité
                                                                                   courte pour la température   des molécules (1)
                                                                                   et l’hygrométrie
          Type de signal              Vibrations             Contraste,            Mouvements de l’air,         Molécules
                                      de la feuille,         forme ou silhouette, température, hygrométrie
                                      stridulations          couleur, polarisation
                                                             de la lumière,
                                                             photopériode
          Organes impliqués           Organes                Yeux, ocelles         Mécanorécepteurs             Chimiorécepteurs
                                      tympaniques,                                 (incluant hygro, thermo),    des antennes
                                      organe                                       dont organe de Johnson
                                      de Johnson (2)
          Mode d’action               Orientant ou           Orientant et          Orientant ou enclencheur     Orientant ou
                                      enclencheur            régulateur (3) (4)                                 enclencheur
          Fiabilité                   Souvent bonne          De bonne à faible     Faible                       Très bonne
          de l’information (5)                                                                                  à excellente
          Sensibilité à la confusion Faible                  Faible pour           Sujette aux perturbations    Sujette à masquage,
          ou au camouflage                                   la confusion          aérodynamiques               confusion olfactive
                                                                                                                et évidemment
                                                                                                                aux perturbations
                                                                                                                aérodynamiques
          Objectif de la recherche    Cible précise          Zone de présence      Zone de présence             Zone de présence
                                                             à cible précise                                    et cible précise
          Amélioration des            Non démontrée (6)      Oui                   Non démontrée                Oui
          performances par
          apprentissage
          Exemples                    Cicadelles, cigales,   Mouches des fruits,   Blattes, doryphores,         Très nombreux
                                      drosophiles,           abeilles              Lépidoptères (7)             insectes
                                      parasitoïdes
         (1) L’émission naturelle par aérosols permet de retrouver des molécules peu volatiles (exemple di- et tri-terpènes) à
         longue distance ;
         (2) organe chordotonal à l’articulation antenne pédicelle et qui, outre sa fonction acoustique, mesure la déflexion de
         l’antenne (également très utilisé pour mesurer la vitesse de déplacement) ;
         (3) cas de la régulation optomotrice du vol des Lépidoptères ;
         (4) peut suffire à l’orientation lorsque les autres informations sont faibles ou manquantes ;
         (5) critère subjectif. Nous l’attribuons pour des modalités utilisées seules. En combinaisons, la fiabilité est améliorée ;
         (6) non documenté à notre connaissance ;
         (7) de très nombreux insectes utilisent par exemple l’anémotactisme conditionné par l’odeur ou le « zigzaging ».

         Chez les insectes spécialistes, la capacité de la                   de trouver dans un environnement sensoriel
         femelle à localiser puis à reconnaître la plante                    complexe des plantes rares et isolées. Une revue
         appropriée est une des clés du succès de la                         récente de Mueller et Fagan (2008) montre le lien
         descendance, en particulier lorsque les stades                      évident entre mécanisme d’orientation individuel
         larvaires jeunes sont peu mobiles et ne peuvent                     et distribution des populations dans des espaces
         corriger les erreurs de la mère. Dans certains cas,                 complexes, ainsi que l’appropriation récente
         ces comportements de recherche sont rendus                          par la communauté de l’écologie des popula-
         très performants, permettant à un individu                          tions des mécanismes d’orientation i­ndividuels.

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Recherche de la plante hôte à distance

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                                                                          pollinisateurs de figuiers (Godfray, 1994 ; Proffit
                                                                          et al., 2007). La première étape consiste à localiser
                                                                          l’habitat de la plante hôte, à l’intérieur duquel s’ef-
                                                                          fectuent ensuite la détection et le choix de celle-ci.

                   Abeille, Apis mellifera, en approche d’une fleur de
                   ronce, Rubus sp. (© Th. Colin).

                   Le processus de localisation de la plante peut
                   se résumer en deux principales étapes : la loca-
                   lisation à distance et la reconnaissance finale        Abeille, Apis mellifera (© Th. Colin).
                   au contact. Ce chapitre traite de la première
                   étape, qui sera présentée au travers de plusieurs      Les mécanismes qui gouvernent le comporte-
                   exemples comme l’enchaînement de quatre                ment de recherche peuvent être très différents
                   modalités sensorielles agissant à distance de la       d’une étape à l’autre (de l’habitat jusqu’à la plante
                   source d’information : acoustique, visuelle, méca-     hôte) (Prokopy et Roitberg, 1984). La nature des
                   nique et olfactive (Bell et al., 1995) (tabl. 22-1).   différents stimuli, leur importance relative et la
                   Nous centrerons cette synthèse sur les modalités       séquence selon laquelle ils interviennent lors des
                   sensorielles qui sont privilégiées dans l’attraction   différentes phases du processus de localisation de
                   à distance par la plante : la vision, l’olfaction et   l’hôte constituent toujours un vaste champ d’in-
                   la mécanoréception. L’audition concerne aussi          vestigation. Les caractéristiques physiques des
                   les insectes phytophages (voir Robert et Göpfert,      plantes ne sont généralement pas jugées suffisam-
                   2002 pour revue), mais principalement pour             ment typiques pour permettre à un insecte d’iden-
                   les comportements de régulation de distance            tifier une plante (Prokopy et Owens, 1983). Chez
                   inter-individuelle (par exemple, recherche du          la mouche de la pomme, R      ­ hagoletis ­pomonella
                   partenaire sexuel). Quelques exemples, volontai-
                   rement limités, pour la plupart empruntés à des
                   Diptères (mouches des fruits), des Lépidoptères,
                   des Coléoptères ainsi qu’à plusieurs situations de
                   pollinisation, illustreront notre propos.

                   Les étapes du processus de recherche
                   Les comportements de recherche de la plante
                   peuvent impliquer la détection et la perception
                   sensorielle de différents items comme : l’habitat ;
                   la plante entière ou l’arbre ; un rameau ou une        Figure 22-1 – Niveaux hiérarchiques de recherche
                   branche ; un bouquet de fruits ; ou le fruit indi-     de l’hôte chez les mouches des fruits
                   viduel (fig. 22-1). On retrouve des étapes simi-       (d’après Roitberg, 1985).

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Interactions insectes-plantes

         (Diptera, Tephritidae), qui a été particulièrement
         étudiée de ce point de vue, les études ont montré
                                                                  Médiateurs chimiques utilisés
         que la femelle détecte l’habitat de l’hôte grâce à       dans la localisation à distance
         l’information olfactive fournie par des composés
         volatils émis par les pommes. Après l’arrivée sur        Des déchets du métabolisme
         l’arbre, la localisation des fruits s’effectue surtout   aux médiateurs chimiques
         à partir des caractéristiques visuelles de l’hôte.       Les médiateurs chimiques produits par les plantes
         Lorsque les fruits sont peu visibles ou rares,           ont d’abord été considérés comme des déchets
         l’odeur interagit avec la vision durant le processus     du métabolisme (Dobson, 1994), ce qui avait au
         de recherche (Aluja et Prokopy, 1993).                   moins l’avantage de fournir une explication plau-
         Chez R. pomonella et probablement chez la                sible à la ségrégation de certaines molécules. Puis
         plupart des Tephritidés, les vols d’arbre en             ils ont été appelés « métabolites secondaires »,
         arbre à la recherche des fruits sont diurnes. Les        le qualificatif de secondaire indiquant qu’ils ne
         femelles à la recherche d’un site de ponte visitent      sont pas essentiels à la physiologie et à la crois-
         l’habitat de l’hôte jusqu’à ce qu’elles découvrent       sance de la plante. C’est cette vision manichéenne
         un fruit au stade favorable, ou elles émigrent           qui a originellement conduit à penser que les
         après un temps critique fixé si la recherche n’a         composés secondaires n’étaient que des sous-
         pas été « fructueuse ». En revanche, la ponte            produits de l’activité métabolique d’une plante
         dans un fruit provoque la remise à zéro de l’hor-        (Banthorpe et al., 1972). Une véritable fonction
         loge et une augmentation du temps critique de            écologique commence à être supposée pour ces
         recherche dans la même région. Ainsi, ce méca-           composés dans la première moitié du xxe siècle
         nisme détermine la persistance de recherche              dans le domaine de la biologie appliquée. Ce n’est
         des femelles dans l’habitat de l’hôte et augmente        qu’à partir du milieu du xxe siècle que l’attention
         l’efficacité de la recherche dans un habitat             des écologistes se porte véritablement sur le sujet,
         fragmenté (Roitberg et Prokopy, 1984). Chez              avec les travaux de Dethier (1954) et de Fraenkel
         la mouche du melon, Bactrocera cucurbitae                (1959) sur les modalités du choix de leur nourri-
         (Diptera, Tephritidae), comme chez la mouche             ture par les insectes phytophages, dans lesquelles
         de la tomate, Neoceratitis cyanescens (Diptera,          les composés secondaires jouent un rôle prépon-
         Tephritidae), les femelles gravides se déplacent         dérant. Ensuite, Ehrlich et Raven (1964) ont
         le matin de leurs abris situés dans la végéta-           proposé l’hypothèse d’une co-évolution entre
         tion non hôte environnante vers les parcelles            plantes et herbivores, dans laquelle les composés
         contenant des plantes hôtes en fructification,           du métabolisme ont pu être sélectionnés pour
         puis retournent vers leurs abris avant le crépus-        remplir une fonction de défense contre les herbi-
         cule (Brévault et Quilici, 2000 ; Nishida et Bess,       vores. Ces auteurs suggèrent ainsi que la produc-
         1957). En revanche, lorsque les fruits hôtes sont        tion par les plantes de ces composés est au cœur
         en faible nombre ou de basse qualité, les femelles       des mécanismes d’évolution des plantes, faisant
         émigrent assez rapidement. Certaines espèces             ainsi passer les composés secondaires du statut
         peuvent ainsi parcourir des distances considé-           de simples déchets du métabolisme à celui de
         rables avant de trouver des hôtes convenables            moteur majeur de l’évolution de la biodiversité.
         (Drew et Hooper, 1983).                                  À la même époque, les chimistes commençent
         Pour s’orienter, l’insecte utilise des informa-          à découvrir que, contrairement à ce qui était
         tions sensorielles émanant de son environne-             envisagé jusqu’alors, les composés secondaires
         ment, et des informations internes dérivées des          pouvaient être catabolisés (Croteau, 1987 ;
         propriocepteurs ou inscrites dans son patri-             Croteau et al., 1972), c’est-à-dire dégradés pour
         moine génétique (Bell, 1990). La structure du            rejoindre les chaînes métaboliques primaires.
         système sensoriel des insectes est présentée dans        Cette observation acheva de convaincre nombre
         le chapitre 8.                                           d’évolutionnistes et d’écologistes que ces

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                   ­ olécules ne pouvaient être réduites à de simples
                   m                                                        cas de l’herbivorie ou du parasitisme (De Boer et
                   déchets du métabolisme, et que l’étude de leurs          Dicke, 2005 ; Vet et Dicke, 1992). Cependant, le
                   fonctions écologiques constituait un champ de            sens de cette interaction peut varier au cours de
                   recherche prometteur. Ainsi, à partir de la fin des      l’évolution (un parasite peut devenir un pollini-
                   années 1960, l’étude croissante de ces composés a        sateur, et inversement). Ces interactions, souvent
                   engendré l’émergence d’une nouvelle branche de           très complexes, correspondent fréquemment à
                   l’écologie, l’écologie chimique (voir Sondheimer         des réseaux d’interactions, où ces insectes sont
                   et Simeone [1970]). De nombreuses fonctions              également en interaction (voir chapitres 30 et 32 ;
                   vont être alors découvertes, comme :                     Schatz et al., 2006). La transmission d’informa-
                   −− la défense chimique constitutive (cas des alca-       tions par communication chimique entre deux
                   loïdes) et/ou induite (cas des composés cyanogé-         partenaires interspécifiques est appelée la média-
                   niques) contre les herbivores (Freeland et Janzen,       tion chimique. Dans ce chapitre, nous traiterons
                   1974 ; Pichersky et Gershenzon, 2002 ; Williams,         uniquement ce dernier aspect.
                   1970) et contre d’autres pathogènes (bactéries,
                   champignons) (Dabbah et al., 1970) ;                     Médiateurs chimiques volatils
                   −− l’allélopathie, c’est-à-dire l’ensemble des           impliqués dans l’attraction à distance
                   effets d’une plante sur une autre par le biais de
                                                                            Nature chimique des molécules volatiles
                   composés secondaires, ce qui intervient dans le
                   cadre d’interactions interspécifiques, surtout de        Les médiateurs chimiques interviennent de
                   compétition et parfois de synergie (Fischer, 1991 ;      façon importante dans la localisation à distance
                   Harborne, 1988 ; Rice, 1984). Ces composés sont          des plantes par les insectes. Schématiquement,
                   libérés dans le sol ou dans l’air et influencent la      les composés volatils sont émis d’un point sur
                   dynamique des associations végétales, en agissant        la plante, point à partir duquel ces composés
                   sur les processus de succession végétale, la distri-     se centrent sur une sphère de diffusion dont la
                   bution spatiale des plantes, la dormance et le           concentration diminue avec la distance (fig. 22-2).
                   taux de germination des graines, les dynamiques          Ainsi, l’insecte, attiré par cette odeur, va parvenir
                   d’infection par les pathogènes et les processus de       à trouver le centre de cette sphère de diffusion
                   nitrification du sol (Levin, 1976) ;                     en se dirigeant vers des odeurs de plus en plus
                   −− l’adaptation à certains milieux, par exemple          concentrées (Bradbury et Vehrencamp, 1995).
                   au milieu méditerranéen où se rencontrent de
                   nombreuses espèces aromatiques. La dyna-
                   mique de cet écosystème serait ainsi liée à la
                   présence des plantes produisant et/ou émettant
                   des composés inflammables (Trabaud, 1976),
                   des composés contribuant à la régulation de
                   l’équilibre carbone/nutriments (Shure et Wilson,
                   1993) et des composés facilitant la protection
                   contre la dessiccation (Margaris et Vokou, 1982),
                                                                            Figure 22-2 – Schéma de diffusion des composés
                   les rayonnements ultraviolets (Waterman et al.,          volatils, et de l’orientation de l’insecte le long d’un
                   1984 ; Wink, 1999) ou un rayonnement lumineux            gradient de concentration en composés volatils.
                   trop important (Close et McArthur, 2002) ;
                   −− et enfin l’attraction interspécifique, très souvent   Les composés volatils sont par définition des
                   dans le cadre d’interactions avec les insectes.          produits pouvant se disperser dans l’air par diffu-
                   Schématiquement, ces interactions peuvent être           sion à partir de la zone d’émission. Ce sont des
                   positives, comme dans le cas de la pollinisation         composés carbonés à forte pression de vapeur,
                   (transport par les insectes du pollen vers le stig-      c’est-à-dire qu’ils sont spontanément à l’état gazeux
                   mate des plantes), ou négatives, comme dans le           sous des conditions de pression a­ tmosphérique

                                                                                                                                323

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         et de température ambiante. Ils sont en général           −− les composés aromatiques ou shikimiques,
         composés de 6 à 20 atomes de carbone (parfois             qui sont des molécules composées d’un cycle
         un peu plus selon leur nature), et chacun d’entre         benzénique et dérivées de l’acide shikimique
         eux est caractérisé par un coefficient de volatilité      (fig. 22-3b). Parmi les plus célèbres, on y trouve
         important, c’est-à-dire une proportion impor-             la vanilline (« odeur de vanille ») ou le cyna-
         tante de molécules qui diffusent dans l’air. Seules       maldehyde (« odeur » de cannelle). Cette voie de
         les substances ayant une masse moléculaire infé-          biosynthèse est aussi à l’origine de composés plus
         rieure à 400 Daltons (généralement entre 100 et           complexes et non volatils comme la lignine ou les
         200) sont volatiles. Les composés à faible poids          flavonoïdes ;
         moléculaire ont tendance à se volatiliser les             −− les dérivés d’acides gras ou composés alipha-
         premiers, jusqu’à atteindre des concentrations            tiques, qui correspondent à une chaîne d’hydro-
         dosables à une certaine distance de la plante.            carbones, terminée par un composé carboxylate
         Aussi, ce sont souvent ces composés qui sont              (fig. 22-3c). Les processus d’oxydations succes-
         impliqués dans l’attraction à distance des insectes
                                                                   sives d’acides gras conduisent à la formation
         vers la plante hôte (Bernays et Chapman, 1994).
                                                                   de dérivés d’acides gras volatils. Ces composés
         À courte distance, des mélanges plus complexes,
                                                                   sont très communs dans les « odeurs de feuilles »
         comprenant des composés à poids moléculaire
                                                                   (ou green-leaf volatiles) et correspondent par
         plus élevé, prédominent. Leur concentration
                                                                   exemple à l’héxénol, l’undecane, le tridécane ou
         peut devenir très importante dans la couche
         limite1 de la surface des plantes, dont l’épais-          le pentadécane…
         seur (qui n’excède jamais quelques millimètres)
         dépend de la vitesse du vent et de la morphologie         a) Unité isoprène
         de la surface. Dans cette couche, les informa-            H3C
         tions chimiques sont souvent complexes du fait
         de la présence de molécules aux caractéristiques                    C — CH = CH2
         physico-chimiques très différentes. En outre, la
         cuticule végétale assure un rôle d’adsorption/            H2C
         diffusion des molécules volatiles d’origine végé-
         tale mais aussi phéromonale, ce qui complique le
         « paysage informationnel » chimique.
                                                                   b) Benzène
         Plusieurs dizaines de milliers de composés vola-
         tils sont actuellement connus, dont une grande                      H
         majorité est issue de trois grandes voies de
         biosynthèse (Knudsen et al., 2006) :                      H         C         H
                                                                         C         C
         −− les terpènes qui sont tous dérivés d’unités                                     noté :
         isoprène à 5 carbones (fig. 22-3a). On distingue                C         C
         des monoterpènes (molécules en C10), des                  H         C         H
         sesquiterpènes (molécules en C15) et des diter-                     H
         pènes (molécules en C20), ces derniers étant
         peu volatils. Actuellement, plusieurs milliers de
         terpènes naturels sont connus, parmi lesquels
         quelques molécules fréquentes comme l’α-pinène,           c) Acide gras
         le β-pinène, le perrillène, le linalol, le limonène                                  O
         pour les monoterpènes, et le β-caryophyllène,             H3C       (H2C)n     C
         l’ocimène, le germacrène pour les sesquiterpènes ;                                   OH
         1. Couche au-delà de laquelle les composés ne sont plus   Figure 22-3 – Formule chimique d’une unité
         perceptibles par l’insecte.                               isoprène (a), du benzène (b) et d’un acide gras (c).

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                   Les composés volatils se classent habituellement        végétale émet plusieurs dizaines, voire plusieurs
                   suivant leur famille chimique, leur origine biochi-     centaines de composés différents dans des ratios
                   mique ou leurs activités biologiques, ou encore         particuliers, de telle sorte que deux espèces
                   leurs propriétés physico-chimiques (tension de          végétales même proches ne présentent jamais
                   vapeurs, ou hydrophobicité). Ils comprennent            quantitativement et qualitativement un bouquet
                   une grande variété d’alcools à chaîne courte,           odorant strictement identique.
                   aldéhydes, cétones, esters, phénols aromatiques,        Les plantes produisent une série de composés
                   lactones, mono- et sesquiterpènes. La meilleure         volatils dits généralistes ou ubiquistes. C’est par
                   base à ce jour pour déterminer si un composé            exemple le cas des « odeurs vertes » (alcools et
                   volatil a déjà été identifié chez une plante à fleur
                                                                           aldéhydes à chaînes linéaires de 5 à 7 atomes de
                   est celle réalisée par Knudsen et al. (2006), recen-
                                                                           carbone) qui résultent de la chaîne métabolique
                   sant plus de 1 700 composés volatils émis par les
                                                                           linoléique (Visser, 1986). Dans le cas des odeurs
                   fleurs de près de 1 000 espèces végétales apparte-
                                                                           vertes, ce sont souvent les rapports de concen-
                   nant à 90 familles. Certaines familles de plantes
                                                                           tration des composés du bouquet qui donnent
                   ont des voies de biosynthèse relativement limitées,
                                                                           l’identité du message et qui déclenchent par
                   alors que d’autres émettent des bouquets d’odeurs
                                                                           exemple l’orientation à distance de la femelle du
                   avec parfois plus d’une centaine de composés
                                                                           doryphore (Thiéry et Visser, 1986, 1987 ; Visser
                   volatils (Levin et al., 2003). De plus, la complexité
                                                                           et Nielsen, 1977). De nombreux monoterpènes
                   de l’odeur produite est certainement sous-estimée
                                                                           sont également présents dans beaucoup d’émis-
                   puisque la configuration chirale ainsi que la posi-
                                                                           sions florales. Les molécules organiques à chaîne
                   tion et la stéréochimie des doubles liaisons sont
                                                                           courte issues de processus de fermentation liées à
                   des paramètres encore mal connus pour bon
                                                                           la présence de micro-organismes se rencontrent
                   nombre de composés (Dötterl et al., 2007).
                                                                           aussi chez un grand nombre d’espèces végétales
                   Le « pool » de composés volatils est produit à          et en particulier les fruits mûrs (Knudsen et al.,
                   l’intérieur des plastes cellulaires, puis stocké        2006 ; Metcalf, 1987 ; Visser, 1986). L’odeur carac-
                   au niveau cellulaire ou extracellulaire ou émis         téristique d’une plante provient souvent d’un
                   généralement par les fleurs ou les tissus lésés         groupe de composés volatils proches, comme
                   (Pichersky et al., 2006). Plusieurs mécanismes          les terpénoïdes chez les Conifères (citral, caryo-
                   permettent l’émission par les plantes de subs-          phyllène, camphor, citronellal) ou des mélanges
                   tances chimiques (Metcalf, 1987 ; Schoonhoven           de sulfides dans le cas de l’oignon ou de l’ail. Les
                   et al., 2005), surtout par la diffusion à travers       isothiocyanates rencontrés chez les Crucifères
                   les surfaces aériennes (et souterraines), mais          dérivent de composés soufrés, les glucosinolates
                   aussi par le lessivage des surfaces par la pluie        (Finch, 1978). On retrouve également de tels
                   et la rosée, la diffusion consécutive à des exsu-       composés soufrés chez les champignons.
                   dations comme celles de résine, la diffusion et/
                   ou l’exsudation consécutives à des blessures ou         D’autres composés spécifiques, appelés aussi
                   au pourrissement, ou encore la diffusion lors de        private channels, ont été identifiés dans plusieurs
                   l’ouverture des stomates pour la régulation de la       cas d’interactions plantes-pollinisateurs (en
                   transpiration de la plante.                             majorité chez des Orchidées) (voir Raguso [2008]
                                                                           pour revue). Ce sont des composés rares, liés à
                   Composition du bouquet d’odeurs                         des fonctions particulières, qui interviennent
                   et modalités d’émission par les plantes                 dans des syndromes de pollinisation associés à
                   Les signaux chimiques perceptibles à distance           un leurre (leurre sexuel, cas de nursery pollina-
                   émis par les plantes correspondent très généra-         tion, etc.) et non à une récompense (pollen ou
                   lement à un mélange de composés organiques              nectar) (Raguso, 2008).
                   volatils qui sont perçus par les organes sensoriels     L’émission de ces composés volatils par une
                   situés sur les antennes de l’insecte. Une espèce        espèce végétale dépend à la fois des contraintes

                                                                                                                              325

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Interactions insectes-plantes

         p­hylogénétiques et des pressions de sélection           Turlings et al., 1990 ; Vet et Dicke, 1992), et cela
          exercées par l’environnement biotique et abio-          selon différents mécanismes. Il peut s’agir d’une
          tique. Des facteurs environnementaux, comme             libération de composés synthétisés ou stockés
          le stress hydrique, peuvent agir indirectement          intervenant pendant la destruction des structures
          en conditionnant l’ouverture des stomates. Des          végétatives par l’herbivore (Gang et al., 2001).
          facteurs abiotiques comme les cycles journaliers et     Dans d’autres cas, c’est la diffusion de certaines
          saisonniers, l’éclairement, le type de sol, la tempé-   molécules présentes dans la salive des herbivores
          rature et l’hygrométrie, ainsi que des facteurs         qui active la synthèse des composés volatils par
          biotiques comme la pollinisation (pour les fleurs)      cette plante (Turlings et al., 1990). Cette média-
          ou le stade de maturation (pour les fruits) peuvent     tion chimique peut également intervenir dans le
          aussi modifier radicalement le profil du signal         sol dans un système insecte/racines/nématode.
          odorant (Bernays et Chapman, 1994 ; Dudareva            La larve de la chrysomèle, Diabrotica virgifera
          et Pichersky, 2006). Certains événements écolo-         virgifera (Coleoptera, Chrysomelidae), induit
          giques, comme des hybridations interspécifiques         la production de (E)-β-caryophyllène dans les
          ou des croisements intraspécifiques entre popu-         racines et les feuilles de la plante lorsqu’elle attaque
          lations différentes, ou des variations du génome        les racines de maïs. Ce sesquiterpène, diffusant
          par mutation ou dérive génétique, auront des            dans le sol, attire les nématodes pathogènes des
          conséquences importantes au niveau de l’activité        larves de la chrysomèle (Rasmann et al., 2005).
          des différentes voies de biosynthèse. Le mélange        Dans de nombreux cas, l’agrégation spatiale
          de composés olfactifs pourra ainsi varier, et être      des plantes et la synchronie de leur phénologie
          sélectionné si ces variations sont associées à une      correspondent à l’émission d’une quantité plus
          meilleure attraction des pollinisateurs.                importante de composés volatils, ce qui facilite
         Ce bouquet volatil est généralement sponta-              l’attraction des insectes pollinisateurs, et donc
         nément émis par la plante mais aussi parfois             l’efficacité de leur action. Pour un individu, ce
         induit par la présence de l’hôte. Dans la première       message peut également varier au cours de sa
         catégorie, les composés émis par la plante sont          vie, en fonction de son âge, de son état de polli-
         souvent liés à l’attraction des insectes pollini-        nisation et également selon le cycle circadien
         sateurs, et cette médiation se révèle importante         (revue de Proffit et al. [2007]). Souvent, la plante
         chez la plupart des plantes à fleur (Dobson,             émet une odeur particulière ou en quantité plus
                                                                  importante pendant la phase phénologique
         1994) ; ils peuvent même contribuer à l’isolement
                                                                  d’échange de gamètes (production de pollen et
         reproducteur entre espèces sympatriques proches
                                                                  réceptivité des stigmates) (Csoka et al., 2005 ;
         (Levin et al., 2001). Dans ce cas, la production de
                                                                  Proffit et al., 2009 ; Proffit et al., 2007 ; Schiestl et
         composés organiques volatils (communément
                                                                  Ayasse, 2000). L’identité, le ratio et/ou la quantité
         appelés COV) résulte de changements métabo-
                                                                  des composés de ce message peuvent varier entre
         liques de la plante, entraînant la mise en contact
                                                                  individus de la même espèce (Dufaÿ et al., 2004).
         des enzymes et des molécules précurseurs préa-
                                                                  Gibernau (1997) a ainsi montré qu’un mélange
         lablement compartimentées. Ces composés vola-
                                                                  de trois monoterpènes (linalool, linalyl oxyde et
         tils sont émis par des osmophores, qui présentent
                                                                  benzyl alcool) dans certaines proportions est une
         différentes structures selon leur localisation,
                                                                  condition nécessaire et suffisante pour induire
         celles-ci pouvant être des cavités, des canaux ou
                                                                  l’attraction de Blastophaga psenes (Agaonidae),
         des trichomes (voir fig. 22-4).                          le pollinisateur spécifique du figuier méditerra-
         La seconde catégorie de composés correspond à            néen, Ficus carica (Moraceae). Des proportions
         ceux induits par la présence de l’hôte. Ainsi, de        différentes de ces mêmes composés ne constitue-
         nombreux parasitoïdes vont répondre aux odeurs           ront pas un mélange attractif pour cet insecte. De
         émises par la plante lors de la prise alimentaire        plus, l’ensemble des composés volatils émis par la
         par un arthropode phytophage (Dicke et al., 2003 ;       plante est assez rarement perçu par l’insecte.

         326

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Recherche de la plante hôte à distance

                   Figure 22-4 – Illustrations de la diversité des structures sécrétrices (d’après Caissard, 2007) (© J.-C. Caissard).
                   a) poches sécrétrices du péricarpe du fruit de Citrus sp. (Rutaceae) ; b) cellules papilleuses de l’épiderme de pétale de
                   Lamium purpureum (Lamiaceae) ; c) hydathode de feuille de Nicotiana sylvestris (Solanaceae) ; d) glande peltée de feuille
                   de Mentha x piperita (Lamiaceae) ; e) trichomes sécréteurs à tête pluricellulaire et cristaux d’oxalate de calcium de pétale
                   de N. sylvestris ; f) canal résinifère de branche de Pseudotsuga menziesii (Pinaceae) ; g) trichome sécréteur à 4 cellules de
                   tête de feuille de Lycopersicon esculentum (Solanaceae) (Barres d’échelle, 10 μm sauf a, d et f, 20 μm).

                   De très faibles variations dans la composition                  végétal, en le rendant non attractif, répulsif, voire
                   qualitative ou quantitative du bouquet odorant                  toxique pour ces insectes (Dormont et al., 1997 ;
                   émis par la plante hôte peuvent également suffire               Nordlander, 1991 ; Smith, 1963).
                   à modifier le comportement de choix de la plante                Si la plante peut émettre des mélanges de parfois
                   par les insectes ravageurs spécialistes (Roseland               plus d’une centaine de composés olfactifs, l’in-
                   et al., 1992 ; Thiéry et Visser, 1986). Cette situa-            secte n’en détecte bien souvent qu’une dizaine,
                   tion a été décrite chez de nombreux insectes                    dont seulement quelques-uns sont réellement
                   ravageurs de Conifères. Les émissions volatiles                 importants dans son choix. Dans le contexte de la
                   des conifères sont souvent « simples » et consti-               pollinisation, il est fréquent qu’une plante « mani-
                   tuées d’un mélange de quelques monoterpènes et                  pule » le comportement de l’insecte pollinisa-
                   sesquiterpènes (Von Rudloff, 1975). Des modi-                   teur par des variations dans la quantité et/ou la
                   fications expérimentales de la proportion de                    proportion relative de quelques composés attrac-
                   quelques monoterpènes constitutifs ont permis                   tifs et de quelques autres répulsifs (Kessler et al.,
                   de masquer le message olfactif habituel de l’hôte               2008 ; Raguso, 2008).

                                                                                                                                          327

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            Encadré 22-1 – La procédure classique                  auteurs s’appuient sur la persistance naturelle
            d’analyse de la médiation chimique entre               d’interactions entre plantes et insectes pour
            une plante et un insecte                               confirmer l’hypothèse d’une orientation selon un
            Elle passe par trois étapes :                          gradient croissant de concentration. Ainsi, sous
                                                                   les tropiques, les floraisons massives des figuiers
            1 – l’extraction du message olfactif (technique
                                                                   et celle des arbres diptérocarpes représentent des
            du head-space dynamique ou statique, micro-
            extraction en phase solide, ou technique
                                                                   extrêmes opposés dans le spectre d’une attraction
            « chromatoprobe ») et l’identification des             spécialisée à généraliste. Pourtant, ces floraisons
            composés olfactifs émis par la plante (Dötterl         imprévisibles dans le temps et l’espace, et utili-
            et al., 2005 ; Dufaÿ et al., 2004 ; Proffit et al.,    sant des odeurs différentes, parviennent à attirer
            2009 ; Proffit et al., 2007 ; Schatz et al., 2009) ;   des pollinisateurs (de petites guêpes ou des
            2 – la détermination des composés détectés             Coléoptères, respectivement) malgré un milieu
            par l’insecte (électroantennographie, couplage         complexe (Raguso, 2008).
            GC-EAD) ou déclenchant un comportement
            chez l’insecte (olfactométrie, technique               Attractivité
            de sniffing) (Dudareva et Pichersky, 2006 ;            On parle ici d’attractivité des effluves dans le sens
            Schiestl et Ayasse, 2000) ;                            où elles déclenchent chez l’insecte un mouve-
            3 – la réalisation des tests comportementaux           ment orienté vers la source. De nombreux
            avec un mélange synthétique de composés                travaux ont montré l’implication des composés
            olfactifs sélectionnés précédemment (Duda­             volatils ou kairomones dans la localisation à
            reva et Pichersky, 2006 ; Schatz et al., 2009 ;        courte et à moyenne distance d’une ressource
            Schiestl et Ayasse, 2000).                             (site de ponte, ressource alimentaire, etc.). Nous
                                                                   illustrerons par quelques exemples contrastés les
                                                                   différences entre les espèces « généralistes » et les
         Transport et structure                                    espèces « spécialistes ».
         L’odeur de la plante est transportée dans le vent et      Les insectes spécialistes perçoivent plutôt
         dispersée essentiellement par des mécanismes de           leur(s) hôte(s) grâce à des composés spéci-
         diffusion turbulente beaucoup plus importants             fiques (Bernays et Chapman, 1994 ; Dudareva
         que la diffusion moléculaire (Murlis et al., 1992).       et Pichersky, 2006 ; Raguso, 2008). Ainsi, diffé-
         À cause de cette turbulence de l’air, les gradients       rents glucosinolates et leurs produits volatils
         de concentration des effluves de plantes sont             d’hydrolyse attirent et stimulent divers insectes
         fortement perturbés, de sorte qu’un réel gradient         des Crucifères tels que Delia brassicae (Diptera,
         n’existe probablement qu’à quelques centimètres           Anthomyiidae) (Finch, 1980). De même, la
         autour de la plante (Elkinton et Cardé, 1984).            mouche de l’oignon, Delia antiqua (Diptera,
         Au-delà, le signal odorant forme des « poches »           Anthomyiidae), et la teigne du poireau, Acrole-
         ou « filaments » dans le flux d’air qui le trans-         piopsis assectella (Lepidoptera, Yponomeutidae),
         porte (Visser, 1986). À distance, l’insecte va donc       répondent à un mélange de composés soufrés
         percevoir une série de bouffées d’odeurs inter-           (Harris et Miller, 1982 ; Lecomte et Thibout,
         mittentes. La concentration d’une poche d’odeur           1981). Cependant, les éléments d’un mélange
         est très variable, au point d’être encore élevée          peuvent ne pas être typiques de la plante hôte
         à distance (Cardé, 1996). Toutefois, les inter-           ou de sa famille végétale, alors que leur mélange
         valles de temps qui séparent les poches d’odeur           dans des proportions bien précises peut carac-
         augmentent avec l’éloignement de la source.               tériser la plante hôte (Reissig et al., 1982). En
         Ainsi, plusieurs auteurs suggèrent que l’insecte          outre, un composé olfactif généraliste comme le
         n’a pas – ou seulement peu – la possibilité de            méthyl salicylate peut avoir des rôles assez diffé-
         suivre un éventuel gradient de concentration              rents selon la plante émettrice, comme attirer des

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                   parasitoïdes d’herbivores, déclencher l’activité      (EAG), d’olfactométrie puis des piégeages au
                   protectrice chez des fourmis à plantes, attirer à     champ, ont montré que sept esters volatils de
                   distance des abeilles pollinisatrices d’Orchidées,    pomme déclenchaient un mouvement contre
                   réduire les visites florales chez l’abeille domes-    le vent des femelles gravides et des mâles vers
                   tique, stopper la parade sexuelle chez des mâles      la source. Aucun des esters présentés seuls ne
                   de papillons. La perception de ce composé va          stimule dans la même mesure la réponse des
                   donc déclencher chez l’insecte un comporte-           mouches. Les substances volatiles émises par
                   ment qui dépend directement du contexte de            le feuillage pourraient également jouer un rôle
                   sa perception (­   Dudareva et Pichersky, 2006 ;      important dans le processus de localisation de
                   Proffit et al., 2007).                                l’hôte, comme indicateur de l’habitat conduisant
                   Les plantes ont quatre voies simples pour émettre     les femelles à rechercher le signal visuel a­ pproprié
                   une odeur différente d’une odeur donnée :             (Brévault et Quilici, 2007a).
                   émettre une quantité différente de la même            L’orientation de l’insecte vers une source d’odeur
                   odeur, émettre les composés olfactifs mais dans       peut être perturbée lorsque l’odeur de la plante
                   des proportions relatives différentes, émettre        attractive est mélangée à celle d’une plante non
                   la même odeur plus un composé nouveau, ou             hôte. Ainsi, chez le doryphore, la forte réponse
                   encore émettre la même odeur mais dans un             des femelles à l’odeur de pomme de terre est
                   contexte différent (couleur, milieu, etc.) (Raguso,   réduite en présence d’un mélange d’odeurs de
                   2008). Selon les cas, la réponse des insectes peut    pomme de terre et de tomate, qui appartiennent
                   être déclenchée par un seul composé ou par un         pourtant toutes deux à la famille des Solanacées
                   bouquet de composés associés selon un ratio           (Thiéry et Visser, 1987). De telles interactions
                   particulier. Dans d’autres cas, un bouquet de         ouvrent de larges perspectives d’utilisation dans
                   composés est nécessaire pour déclencher une           la gestion des populations de ravageurs par
                   réponse maximale. L’intensité de la réponse est       ­associations de cultures.
                   une combinaison linéaire de la détection de
                   plusieurs composés. Un composé, inactif, voire        Rôle des caractéristiques visuelles
                   répulsif seul, peut être nécessaire en présence       de la plante
                   d’autres composés. On parle de synergie entre
                   composés volatils lorsque le mélange de deux          Les rayonnements
                   composés ou plus s’avère plus actif que l’addition
                   des effets des composés pris isolément. Ainsi, les
                                                                         réfléchis par la plante
                   femelles de R. pomonella sont peu attirées par les    Ces rayonnements (proche UV, visible et
                   esters d’acides gras isolés de l’odeur de pomme et    proche IR) donnent des indications suscep-
                   pas du tout par les composés « acétates ». Pour-      tibles d’être utilisées par l’insecte : taille, forme,
                   tant, le mélange de ces fractions est aussi effi-     gamme de longueurs d’onde réfléchies, niveau
                   cace qu’un extrait de pomme (Fein et al., 1982 ;      de contraste avec l’environnement ou encore
                   Zhang et al., 1999).                                  température.
                   Chez les Tephritidés frugivores, les principaux       Les mouches des fruits, après leur arrivée dans
                   stimuli guidant à longue distance les femelles        l’habitat de l’hôte, localisent les structures de
                   matures vers les plantes hôtes sont des composés      plantes essentiellement, voire exclusivement,
                   volatils de fruits en maturation. Dans le cas de      grâce à la vision. Pour déterminer comment la
                   R. pomonella, le complexe de substances vola-         femelle de R. pomonella détecte un fruit après
                   tiles émises a été collecté à différents moments      être arrivée dans l’habitat de la plante hôte,
                   pendant le processus de maturation du fruit,          Prokopy et Roitberg (1984) ont suspendu aux
                   isolé et analysé systématiquement pour mesurer        branches des arbres, près des vrais fruits, des
                   la réponse des mouches. Fein et al. (1982), en        leurres mimant des pommes, puis ont compté
                   utilisant des techniques d­ ’électroantennographie    les adultes atterrissant sur ces derniers. Ils ont

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Interactions insectes-plantes

         Exemple de caractéristiques visuelles permettant à un insecte de reconnaître sa plante hôte :
         feuillage ­d’Episcia cupreatai (© Th. Colin).

         constaté que les adultes visitaient autant les            (pureté spectrale de la lumière réfléchie) et la
         leurres que les pommes, ce qui suggère qu’à une           clarté (intensité de la lumière réfléchie) peuvent
         courte distance de l’ordre du mètre, les caracté-         intervenir dans le choix des insectes, comme l’ont
         ristiques visuelles sont les principales indications      montré Vernon et Bartel (1985) chez D. antiqua.
         guidant la détection du fruit. Chez la mouche de          Parmi les différentes formes (sphères, cylindres,
         la tomate, N. cyanescens, les femelles en quête           cônes, cubes ou rectangles) testées sur la mouche
         d’un site de ponte sont capables de détecter              méditerranéenne des fruits, Ceratitis capitata
         un fruit hôte à partir de simples informations            (Diptera, Tephritidae), par Nakagawa et al.
         visuelles (Brévault et Quilici, 2007b). Cependant,        (1978), les modèles sphériques se montrent les
         la détection conjointe de l’odeur du fruit permet         plus attractifs pour les mâles et les femelles. La
         d’augmenter l’efficacité de la recherche (Brévault        base biologique de cette forte attractivité est
         et Quilici, 2010b).                                       fournie par la ressemblance de cette forme avec
                                                                   celle du fruit hôte. De nombreuses recherches
         Couleur, silhouette, forme et taille                      ont également été menées au champ avec des
         La couleur, la silhouette en contraste avec le fond,      rectangles colorés englués. La couleur jaune est
         la forme et la taille sont utilisées par les deux sexes   la plus attractive pour presque toutes les espèces
         de R. pomonella et probablement par d’autres              étudiées, suivie en général par les couleurs orange
         espèces pour localiser les plantes (Prokopy et            et verte (Katsoyannos, 1989). Selon Cytrynowicz
         Owens, 1983). Cependant, aucune des caracté-              et al. (1982), la réponse des mouches aux
         ristiques visuelles n’apparaît spécifique de l’hôte,      surfaces planes de couleur jaune ou orange
         même dans le cas des feuilles d’olivier dont la           dépend d’abord de la teinte puis de l’énergie
         couleur diffère de la couleur verte classique des         totale réfléchie par ces couleurs (ou clarté). Les
         feuilles de nombreuses autres plantes (Prokopy            réponses des Tephritidés à des sphères colorées
         et Roitberg, 1984). D’autres caractéristiques de          mimant plus spécifiquement un site d’oviposi-
         la couleur telles que la teinte (longueur d’onde          tion sont plus difficilement généralisables. Chez
         dominante de la lumière réfléchie), la saturation         certaines espèces, la préférence des femelles

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                   s’oriente plutôt vers des couleurs sombres lorsque
                   celles-ci sont associées à des sphères mimant le
                   fruit hôte : rouge, bleu et noir pour R. pomo-
                   nella et Rhagoletis cerasi (Diptera, Tephritidae)
                   (Prokopy, 1969), rouge et noir pour C. capitata
                   (Cytrynowicz et al., 1982 ; Nakagawa et al., 1978).
                   Ces couleurs seraient préférées davantage pour
                   le contraste de couleur qu’elles forment avec le
                   feuillage et qui les rend plus détectables que pour
                   leur teinte. Ainsi, une femelle de C. capitata en
                   quête d’un site de ponte serait attirée par des
                   fruits mûrs parce que ceux-ci réfléchissent moins
                   de lumière que les fruits verts et le feuillage envi-
                   ronnant (Cytrynowicz et al., 1982). L’attractivité
                   des couleurs sombres diminue au profit du jaune         Figure 22-5 – À gauche, une Orchidée sans nectar
                   au fur et à mesure que le diamètre des sphères          (Anacamptis pyramidalis), imitant des fleurs de
                   augmente. Selon Prokopy (Prokopy, 1969), ces            sainfoin (à droite), qui elles produisent du nectar
                   mouches sont attirées par des petites sphères           (© B. Schatz).
                   sombres qui miment des fruits, sites d’oviposition
                   ou de rendez-vous d’accouplement. La couleur            Dans ces deux situations, l’Orchidée exploite
                   jaune constitue plutôt une sorte de « super-            l’inexpérience de l’insecte pollinisateur. Il s’agit
                   feuillage » induisant la recherche de nourriture.       là de situations où la tromperie visuelle joue un
                   À travers les résultats de ces différentes études, on   rôle important, et non pas l’odeur émise par ces
                   devine la variété des réponses et la difficulté d’in-   différentes espèces (Dormont et al., 2009).
                   terprétation biologique des préférences visuelles
                   des femelles de Téphritidés. Par ailleurs, les          Caractéristiques visuelles
                   observations comportementales qui pourraient            et spécialité alimentaire
                   permettre de mieux expliquer les phénomènes             Prokopy et Owens (1978) ont avancé l’hypothèse
                   étudiés ne sont pas toujours disponibles. Ces           selon laquelle les insectes monophages et oligo-
                   modèles mimant les caractéristiques visuelles de        phages, en particulier, auraient tendance à se
                   structures de plantes constituent néanmoins des         comporter comme des « spécialistes visuels » vis-
                   outils très utiles dans la mise au point de pièges      à-vis des caractéristiques des formations végé-
                   (Katsoyannos, 1989).                                    tales attaquées. Même si les qualités spectrales des
                                                                           plantes ne sont pas suffisamment spécifiques pour
                   Leurre visuel                                           fournir une base de discrimination visuelle de
                   Un tel rôle des repères visuels se retrouve dans        l’hôte, les aspects visuels per se de certaines struc-
                   le contexte de la pollinisation. Une fois de plus,      tures de plantes peuvent déclencher une réponse
                   les Orchidées présentent une variété de straté-         d’orientation, de concert avec des stimuli olfactifs
                   gies d’attraction du pollinisateur. C’est le cas des    appropriés. Les insectes généralistes, de par leur
                   espèces chez lesquelles l’inflorescence représente      large spectre de plantes hôtes, manifesteraient au
                   un leurre visuel. Certaines espèces d’Orchi-            contraire peu d’intérêt pour les caractéristiques
                   dées, qui ne produisent pas de nectar, imitent la       visuelles spécifiques des hôtes. La sélection natu-
                   morphologie de l’inflorescence d’autres espèces         relle devrait favoriser la formation d’une « image
                   végétales qui produisent du nectar (fig. 22-5)          de recherche » (visuelle ou olfactive) acquise
                   (Schatz, 2005). Chez d’autres Orchidées, le             par l’expérience ou inscrite dans le patrimoine
                   contraste de couleur entre les individus est associé    génétique de l’insecte spécialiste, lui permettant
                   à une augmentation du taux de ­pollinisation.           ­d’augmenter son efficacité à découvrir l’hôte.

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