Une liste des plantes vasculaires exotiques nuisibles du Québec : nouvelle approche pour la sélection des espèces et l'aide à la décision

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21 (2): 133‒156 (2014)

Une liste des plantes vasculaires exotiques nuisibles
du Québec : nouvelle approche pour la sélection
des espèces et l’aide à la décision 1
Claude LAVOIE 2, Geneviève GUAY & Florent JOERIN 3, École supérieure d’aménagement du territoire et de développement régional
   et Centre de la science de la biodiversité du Québec. 2325, rue des Bibliothèques, Université Laval, Québec, G1V 0A6,
   Canada, courriel : claude.lavoie@esad.ulaval.ca

                                   Abstract: Exotic vascular plants are increasingly numerous, and decision support systems identifying the most problematic
                                   species are needed to help environmental managers to develop control strategies. The fundamental tool in this respect
                                   is a list of weeds, or a weed risk assessment. We propose here a list for the province of Quebec constructed using an
                                   innovative approach based on 1) well-defined criteria, 2) consideration of all potential problems associated with exotic
                                   plants, 3) use of credible scientific data, 4) assessment by a panel composed of experts with diverse expertise and who
                                   are also potential users of the list, 5) use of a decision support approach, and 6) a debate among experts in order to reach
                                   a verdict concerning the status (weed, no weed) of each candidate plant. The list contains 87 of the 908 taxa of exotic
                                   vascular plants that are naturalized in Quebec, i.e., 9.6% of the total. About two thirds of the weeds are problematic for
                                   agricultural or ornamental plant production or for forestry; the others are, in decreasing numerical order, problematic for
                                   biodiversity or natural ecosystem functions, health, landscaping or home gardening, and recreational activities. Evaluating
                                   the threat posed to biodiversity by individual species was a challenge, because few relevant studies have been published.
                                   The use of well-defined criteria greatly reduced (by a factor of 3) the number of weed species from an initial list based on
                                   individual uncensored expert opinions. The resulting list is not definitive, and should be used with caution. However, we
                                   estimate that our approach is more rigorous than the other qualitative approaches developed to date, with performance that
                                   matches the semi-quantitative or quantitative tools frequently used for assessing invasive plants, such as the Australian Weed
                                   Risk Assessment.
                                   Keywords: Australian Weed Risk Assessment, decision support system, exotic plant, invasive plant, ornamental plant, weed.
                                   Résumé : Les plantes vasculaires exotiques étant toujours de plus en plus nombreuses, il importe de développer des outils
                                   qui aideront les gestionnaires de l’environnement à identifier les espèces les plus problématiques. L’outil de base en la
                                   matière est une liste des plantes nuisibles. Dans cet article, nous proposons une liste pour le Québec constituée grâce à
                                   une approche qualitative innovante basée sur 1) l’adoption de critères d’évaluation explicites, 2) la prise en compte de
                                   l’ensemble des types de nuisance, 3) l’utilisation de données scientifiques crédibles, 4) la constitution d’un panel d’experts
                                   diversifié comprenant des utilisateurs potentiels de la liste, 5) l’encadrement des membres du panel par une approche d’aide
                                   à la décision et 6) l’instauration du débat pour l’évaluation du caractère nuisible des plantes. Au total, 87 des 908 taxons
                                   de plantes vasculaires exotiques naturalisées au Québec ont été retenus par le panel d’experts comme plantes nuisibles,
                                   soit 9,6 % de l’ensemble. Les deux tiers des plantes désignées comme nuisibles le sont, à des degrés divers, pour les
                                   productions agricoles, horticoles ou forestières. Suivent, dans l’ordre, les nuisances pour la biodiversité ou le maintien des
                                   fonctions écosystémiques, celles pour la santé, celles pour l’horticulture ornementale ou l’aménagement paysager et celles
                                   pour les activités de loisir. Il a été difficile de statuer sur la nuisance pour la biodiversité, la plupart des espèces exotiques
                                   n’ayant pas fait l’objet d’études approfondies à cet égard. En définitive, l’adoption de critères faisant consensus a eu pour
                                   effet de réduire fortement (presque par un facteur de 3) le nombre de taxons d’une liste qu’on aurait pu constituer à partir
                                   d’opinions d’experts sollicitées sur une base individuelle, sans critères précis. Bien que cette liste ne soit pas définitive et
                                   qu’elle doive être interprétée avec prudence, nous croyons que l’approche proposée ici est supérieure, quant à sa rigueur,
                                   aux autres approches qualitatives développées à ce jour et que sa performance est au moins équivalente à celle des approches
                                   semi-quantitatives ou quantitatives fréquemment utilisées, comme le Australian Weed Risk Assessment.
                                   Mots-clés : aide à la décision, Australian Weed Risk Assessment, plante envahissante, plante exotique, plante nuisible,
                                   plante ornementale.

                                   Nomenclature: Tilmon et al., 2011; Brouillet et al., 2014; Tela Botanica, 2014.

                                Introduction
    Les plantes exotiques envahissantes sont de plus                                  écologique des écosystèmes, au rendement des cultures
en plus considérées comme des menaces à l’intégrité                                   et des plantations forestières, et à la santé des animaux et
                                                                                      des humains. Ce ne sont toutefois pas toutes les plantes
                                                                                      exotiques qui sont envahissantes et les envahisseurs ne
1
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  Rec. 2014-06-26; acc. 2014-10-09.                                                   sont pas tous forcément nuisibles, du moins pas tous de la
  Author for correspondence.
3 Present address: Haute école d’ingénierie et de gestion du Canton de Vaud,
                                                                                      même manière et avec un impact équivalent. Il importe en
  route de Cheseaux 1, Yverdon, CH-1401, Suisse.
                                                                                      conséquence de développer des outils qui aideront les cher-
Associate Editor: Hugo Asselin.                                                       cheurs et les gestionnaires de l’environnement à connaître
DOI 10.2980/21-2-3703                                                                 les espèces les plus problématiques sur leur territoire.

                                                                               ©Écoscience
Lavoie, Guay & Joerin : Plantes nuisibles du québec

Ils pourront ainsi concentrer l’effort de recherche sur les       réalité (Gordon & Gantz, 2011); il est toutefois possible
plantes qui causent des dommages importants et mieux              de corriger en partie ce problème en modifiant la grille
planifier l’envergure des opérations d’éradication qui s’avè-     d’évaluation (Gordon et al., 2012). Un poids important est
reront nécessaires.                                               aussi attribué au fait qu’une espèce génère des problèmes
     L’outil de base en la matière est une liste des plantes      dans une autre région du monde. Cela est certes une infor-
exotiques nuisibles, liste qui est normalement constituée         mation valable, mais elle n’est guère utile lorsqu’il s’agit
pour une région ou un État particulier. Cette liste est géné-     d’évaluer une espèce introduite pour une toute première
ralement utilisée pour faire une sélection d’espèces à prio-      fois hors de sa région d’origine (McGregor et al., 2012).
riser pour l’éradication ou pour l’élaboration de règlements      Par ailleurs, plusieurs questions restent habituellement
(interdiction d’importation, de vente, de plantation, etc.).      sans réponses (faute de connaissances), mais curieuse-
Il existe 3 méthodes pour confectionner une telle liste           ment, le nombre de questions avec réponses a somme
(Hulme, 2012). La plus simple (qualitative) est d’expédier        toute assez peu d’influence sur le verdict final (nuisible ou
un questionnaire, en général à des botanistes, contenant          non nuisible), ce qui souligne le manque de pertinence de
une liste d’espèces potentiellement nuisibles et quelques         plusieurs questions (Daehler et al., 2004; McClay et al.,
questions sur l’impact de ces plantes sur les écosystèmes         2010). Enfin, au Canada, jusqu’à 44 % des espèces non
et les activités économiques. La qualité des réponses varie       nuisibles peuvent être incorrectement classées comme des
beaucoup d’un individu à l’autre, car les botanistes n’ont        nuisances. Le AWRA ne prend pas assez en considération
pas tous la même expérience ni les mêmes perceptions.             le facteur climatique (résistance au froid) dans la pondéra-
Toutefois, si un nombre appréciable de répondants remplit         tion. Or, quand bien même la plante aurait presque toutes
le questionnaire, alors des données intéressantes peuvent         les caractéristiques d’une nuisance (score très élevé), si elle
être extraites (White, Haber & Keddy, 1993; Andreu, Vilà          n’est pas du tout adaptée au climat de la région d’accueil,
& Hulme, 2009). La méthode est peu coûteuse, et avec les          la probabilité qu’elle devienne nuisible est dans les faits
outils internet, un très grand nombre de personnes peuvent        presque nulle (McClay et al., 2010). Le principal problème
être questionnées en peu de temps. Elle a toutefois le défaut     de cette approche demeure néanmoins qu’il est difficile, en
d’être subjective et a souvent l’inconvénient de perpétuer        fin de compte, d’expliquer pourquoi une espèce est clas-
des perceptions qui ne reposent pas toujours sur de solides       sée nuisible ou non. Lorsque le classement est controversé
fondements scientifiques (Andreu, Vilà & Hulme, 2009).            – par exemple, une plante très populaire en horticulture
     La seconde méthode (semi-quantitative) est un peu            ornementale classée comme une nuisance –, les décideurs
plus complexe, mais demeure néanmoins assez facile à              peuvent avoir de la difficulté à justifier une interdiction de
utiliser. Il s’agit, pour chaque espèce évaluée, de répondre      vente faute d’une bonne compréhension de la mécanique
à plusieurs questions précises, près d’une cinquantaine dans      de l’outil.
certains cas. Selon la réponse à la question, un score est
                                                                       Les méthodes quantitatives sont en principe plus
attribué à la plante, puis le score de toutes les questions est
                                                                  robustes, mais elles ne sont pas forcément plus efficaces
additionné. La valeur totale obtenue renseigne alors sur le
                                                                  que les autres méthodes, notamment parce qu’une grande
niveau de nuisance de l’espèce. Cette méthode d’évaluation
                                                                  partie de la variance statistique demeure inexpliquée
est devenue très populaire depuis l’émergence du premier
outil en la matière, le Australian Weed Risk Assessment           (Speek et al., 2013). Parmi les méthodes qui exploitent les
(AWRA; Pheloung, Williams & Halloy, 1999). Il existe              données sur les caractéristiques biologiques des espèces, on
d’autres outils de même nature, comme le Weber-Gut Risk           peut mentionner les analyses discriminantes, les arbres de
Assessment System (WG-RAS; Weber & Gut, 2004), le                 décision ou les régressions logistiques qui, dans plusieurs
Invasive Species Assessment Protocol (ISAP; Randall et al.,       cas, permettent de distinguer les espèces envahissantes ou
2008) ou le Index of Alien Impact (IAI; Magee et al., 2010),      nuisibles de celles qui ne le sont pas (Hulme, 2012). Le
mais le AWRA demeure, de loin, celui qui est le plus fré-         résultat est parfois excellent au sein d’une même famille ou
quemment utilisé (Hulme, 2012).                                   d’un même genre (Richardson & Rejmánek, 2004), mais de
                                                                  telles méthodes requièrent souvent la construction de bases
     Les méthodes semi-quantitatives avec scores ont par-
                                                                  de données considérables qui prennent beaucoup de temps
fois des performances spectaculaires, avec pour le AWRA
(et ses variantes) des taux de prédiction correcte (une plante    à mettre en place. De plus, les caractères pour lesquels
nuisible est classifiée comme telle) frisant ou surpassant les    l’information est la plus disponible (par exemple, la taille)
90 % (Gordon et al., 2008; Crosti, Cascone & Cipollaro,           ne sont pas forcément ceux qui sont les plus pertinents; à
2010; Gassó, Basnou & Vilà, 2010; Koop et al., 2012). Ces         l’inverse, les caractères les plus pertinents (par exemple,
méthodes ont néanmoins plusieurs défauts. Le poids relatif        la surface foliaire ou la capacité photosynthétique) peuvent
de chaque question est souvent attribué de manière arbi-          avoir été mesurés seulement chez un tout petit nombre d’es-
traire et ne reflète pas nécessairement son importance réelle,    pèces. Cela rend d’ordinaire de tels caractères inutilisables,
même si des efforts ont été faits (ISAP, IAI) pour pondé-         à moins de colliger de nouvelles données, une tâche difficile
rer les scores de manière à ce qu’ils donnent des résultats       lorsqu’il s’agit de le faire pour plusieurs centaines d’espèces
qui semblent en accord avec les données scientifiques             (Pyšek & Richardson, 2007).
disponibles quant au potentiel de nuisance des espèces                 Récemment, Hulme (2012) s’est montré très critique
(Randall et al., 2008; Magee et al., 2010). Dans le AWRA,         envers ces outils, les qualifiant de « waste of time » (p. 11).
le fort poids accordé au fait qu’une espèce est aquatique         En résumé, il leur reproche 1) de confondre espèce envahis-
fait en sorte que les espèces de milieu humide sont presque       sante et espèce nuisible, 2) d’assimiler l’étendue de la zone
d’emblée classées nuisibles, ce qui ne correspond pas à la        occupée par l’envahisseur et son impact, alors que le lien de

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ÉCOSCIENCE, vol. 21 (2), 2014

cause à effet est loin d’être clair, 3) de favoriser des prises   de terrain et, surtout, ont débattu en temps réel, en face à
de décision souvent arbitraires, 4) de prédire davantage la       face, leur position respective. L’intégration de ces 2 types
naturalisation que la nuisance, 5) de ne fournir aucun estimé     d’information, d’une part celle provenant d’études scien-
de l’incertitude du classement suggéré et 6) de ne pas être       tifiques, d’autre part celle provenant d’expertises, fondées
suffisamment efficaces pour influencer le commerce des            elles-mêmes sur une expérience pratique dans un contexte
plantes. S’il reconnaît la pertinence intrinsèque des outils,     particulier, est relativement courante dans les approches
Hulme (2012) suggère néamoins l’exploration de nouvelles          d’aide à la décision (Cloutier & Joerin, 2014). La place
approches pour les améliorer, notamment l’élaboration de          donnée à l’expertise permet de combler le manque de
protocoles d’évaluation impliquant dès le départ les déci-        données propre au contexte local (Landström et al., 2011;
deurs, de manière à ce qu’ils soient conscients des limites       Plummer et al., 2012). Elle permet aussi de faciliter la mise
des outils et puissent en faire un meilleur usage.                en œuvre de l’outil d’aide à la décision par l’identification,
     Même si les outils permettant de faire des listes de         dès sa conception, de certaines barrières ou résistances à
plantes exotiques nuisibles sont par nature imparfaits, ils       son application (Cloutier & Joerin, 2014).
sont souvent demandés, notamment par les autorités gou-
                                                                  Base de données sur les plantes vasculaires exotiques
vernementales afin d’accompagner l’élaboration de poli-
tiques et de règlements limitant l’importation, la vente               Toutes les espèces de plantes vasculaires qui ont été
ou la propagation de plantes ayant potentiellement des            évaluées dans ce travail ont les caractéristiques suivantes :
impacts négatifs sur les écosystèmes et les activités écono-      elles sont 1) exotiques, c’est-à-dire absentes du territoire
miques (Hulme, 2012). Au Québec (Canada), les autorités           québécois avant le début du XVIIe siècle, 2) maintenant
provinciales et municipales prennent aussi de plus en plus        présentes sur le territoire québécois et 3) naturalisées,
conscience des problèmes causés par les plantes exotiques,        c’est-à-dire qu’elles peuvent croître et se reproduire hors
                                                                  des jardins et des cultures sans assistance humaine. La
mais elles ne disposent encore que de très peu d’outils et
                                                                  liste de toutes ces espèces a été publiée récemment par
de moyens d’agir. L’industrie de l’horticulture ornementale
                                                                  Lavoie et al. (2012a); cette liste contient notamment, pour
est également interpellée par le problème, car elle constitue
                                                                  chaque espèce, l’année de la plus ancienne preuve de natu-
maintenant la principale source d’introduction de nouvelles
                                                                  ralisation. La liste comprenait à l’origine 899 taxons (880
plantes exotiques sur le territoire (Lavoie et al., 2012b).
                                                                  espèces auxquelles s’ajoutaient 19 hybrides) groupés au
Cette industrie est ainsi à la recherche d’outils d’aide à la
                                                                  sein de 95 familles. Nous avons depuis la publication de
décision performants qui identifieront les espèces probléma-      la liste ajouté 9 nouveaux taxons pour lesquels nous avons
tiques, ce qui pourra laisser le champ libre à la commercia-      obtenu de nouvelles preuves de naturalisation ou de sta-
lisation de plantes ayant peu d’impacts sur l’environnement.      tut exotique, soit Arctium ×nothum, Berberis aquifolium,
     Nous proposons dans cet article une liste de plantes         Chaerophyllum temulum, Luzula campestris, L. pallescens,
vasculaires exotiques nuisibles pour le Québec. Cette liste       Parthenocissus quinquefolia, Potentilla anglica, Securigera
a été constituée en adoptant une approche qualitative dif-        varia et Symphytum ×uplandicum, ce qui fait un total de
férente, mieux encadrée, de celles qui ont été utilisées à ce     908 taxons (887 espèces plus 21 hybrides).
jour. Nous avons privilégié cette approche, car les méthodes           Pour chaque taxon, nous avons colligé des informa-
semi-quantitatives ou quantitatives ne nous semblaient pas        tions relativement faciles à obtenir à partir de bases de
suffisamment efficaces dans l’état actuel des connaissances       données accessibles sur internet ou de la littérature scien-
pour les raisons énoncées ci-dessus. Les aspects novateurs        tifique. Beaucoup de données sur les caractéristiques des
de notre approche sont 1) l’adoption de critères d’évaluation     plantes ont été recueillies (poids des graines, mode de
explicites, 2) la prise en compte de l’ensemble des types de      dissémination des graines, taille de l’individu, etc.), mais
nuisance, 3) l’utilisation de données scientifiques crédibles,    dans les faits, les informations qui ont surtout été utilisées
4) la constitution d’un panel d’experts diversifié compre-        par le panel d’experts dans les séances de prise de déci-
nant des utilisateurs potentiels de la liste, 5) l’encadrement    sions (Tableau I) ont été 1) le cycle de vie, 2) la présence
des membres du panel par une approche d’aide à la décision        d’un mécanisme de propagation végétative, 3) les zones
et 6) l’instauration du débat pour l’évaluation du caractère      de rusticité tolérée, 4) l’étendue de l’aire de répartition au
nuisible des plantes.                                             Canada et aux États-Unis, 5) la plus ancienne preuve de
                                                                  naturalisation au Québec (année ou siècle, à défaut), 6) le
                         Méthodes                                 nombre de spécimens entreposés dans les 2 principaux
                                                                  herbiers du Québec, 7) l’inclusion dans une ou plusieurs
     L’aide à la décision combine généralement de l’infor-        listes de plantes nuisibles aux États-Unis et, enfin, 8) le
mation objective et subjective. L’information objective           nombre d’articles scientifiques où sont associés, dans la
utilisée pour la production de la liste des plantes nuisibles     base de données Web of Science™ (ci-après WoS; Thomson
proposée dans cet article a été extraite d’une base de don-       Reuters, 2014), le nom de genre et d’espèce en cause et les
nées d’envergure sur les caractéristiques écologiques et          mots-clés weed ou invasive, dans les rubriques title ou topic
biogéographiques des plantes vasculaires exotiques du             ou seulement dans la rubrique title. Si le nom de genre ou
Québec. L’information subjective a pris quant à elle la           d’espèce avait changé récemment, le nom le plus fréquent
forme d’appréciations formulées par un panel d’experts : les      dans la littérature scientifique était utilisé en combinaison.
membres du panel ont ainsi analysé les données provenant          Il est à noter que le mot invasive devait être utilisé comme
d’études scientifiques, les ont contextualisées, y ont ajouté     alternative au mot weed, car dans la littérature scientifique,
d’autres informations issues de leur propre expérience            invasive a souvent une connotation équivalente à celle

                                                          ©Écoscience                                                       135
Lavoie, Guay & Joerin : Plantes nuisibles du québec

Tableau I. Liste des données les plus fréquemment utilisées par le panel d’experts pour prendre une décision quant au caractère nuisible des
plantes vasculaires exotiques naturalisées du Québec.

                                     Traitement de la donnée lors de la prise de décision                                                 Principales sources
Donnée                               (observations lors des discussions du panel)                                                         consultées
Cycle de vie                         Aucun, mais une information de base presque toujours demandée par les membres du panel.              United States Depart-
(annuel, biannuel, vivace)                                                                                                                ment of Agriculture,
                                                                                                                                          2014
Présence d’un mécanisme de           Une plante pouvant se propager de manière végétative est plus susceptible d’être nuisible, du        Essentiellement,
propagation végétative               moins localement, qu’une plante ne pouvant pas le faire.                                             United States Depart-
                                                                                                                                          ment of Agriculture,
                                                                                                                                          2014
Zone de rusticité tolérée            Une plante très rustique est plus susceptible d’être nuisible qu’une plante peu rustique.            Voir Lavoie et al.,
(la plus froide)                                                                                                                          2013b, pour les détails
                                                                                                                                          de la procédure de
                                                                                                                                          collecte des données
Étendue de l’aire de répartition     Une plante dont l’aire de répartition est très étendue est plus susceptible d’être nuisible qu’une   United States Depart-
au Canada et aux États-Unis          plante peu répandue, pourvu que l’introduction ne soit pas trop récente, auquel cas la plante        ment of Agriculture,
                                     n’a peut-être pas encore eu le temps de se propager.                                                 2014
Plus ancienne preuve de natu-        Une plante introduite depuis plusieurs décennies et qui n’est toujours pas nuisible est peu          Lavoie et al., 2012a
ralisation au Québec (année ou       susceptible de le devenir, du moins dans le contexte climatique actuel.
siècle, à défaut)
Nombre de spécimens entreposés Plus le nombre de spécimens d’herbier récoltés pour une plante est élevé, plus grande est la               Herbiers de l'Univer-
dans les 2 principaux herbiers du probabilité que cette plante soit abondante ou fort répandue sur le territoire québécois. Elle est      sité Laval (QFA) et de
Québec                            donc plus susceptible d’être nuisible (et inversement). Il faut toutefois tenir compte du taux          l'Université de Montréal
                                  de récolte très bas des spécimens dans la province depuis 1985 (Lavoie et al., 2012b) qui peut          (MT); voir Lavoie et al.,
                                  fausser la réalité pour une plante introduite plus récemment.                                           2013b, pour les
                                                                                                                                          détails de la collecte
                                                                                                                                          des données
Taxon inclus dans une ou plu-        Une plante qui est déjà incluse dans une liste de plantes nuisibles quelque part aux États-Unis      United States Depart-
sieurs listes de plantes nuisibles   est aussi susceptible d’être nuisible au Québec, quoiqu’il faille tenir compte du contexte cli-      ment of Agriculture,
aux États-Unis (pas de données       matique de la province.                                                                              2014
fiables pour le Canada)
Nombre d’articles scientifiques      Le nombre d’articles donne un indice de l’intérêt que le caractère nuisible ou envahissant de la     Thomson Reuters, 2014
où sont associés, dans la base       plante suscite chez les chercheurs et donc, d’une certaine manière, de l’impact de cette plante      (dernière mise à jour :
de données Web of Science™,          sur les écosystèmes et les activités économiques. Le nombre issu de la seule rubrique title a        décembre 2012)
le nom de genre et d’espèce en       plus d’influence sur la décision car il suggère une association plus directe entre la plante et un
cause et les mots-clés weed ou       potentiel de nuisance ou d’envahissement.
invasive, dans les rubriques title
ou topic ou seulement dans la
rubrique title

de weed. Enfin, la liste des articles extraits avec ces mots-                        donc de constituer un panel d’experts présentant une diver-
clés a été révisée pour identifier les espèces pour lesquelles                       sité de champs d’expertise.
l’association avec les mots weed ou invasive n’était pas                                  Le panel constitué pour l’élaboration de la liste était
directement reliée à la plante étudiée, mais plutôt à des                            composé de 7 personnes, un nombre suffisant pour qu’il
plantes associées. C’était particulièrement fréquent chez les
                                                                                     y ait au moins 2 représentants de chacune des principales
plantes cultivées. Ce ne sont pas des nuisances, mais elles
                                                                                     sphères d’expertise recherchées (agriculture, écologie, hor-
sont souvent affectées par la présence d’autres plantes nui-
                                                                                     ticulture), mais aussi un nombre impair pour départager les
sibles envahissantes, ce qui explique l’association. Dans de
                                                                                     décisions qui ne seraient pas unanimes. À cet égard, nous
tels cas, une valeur de zéro était attribuée au WoS.
                                                                                     avons estimé qu’un petit nombre d’experts, disposant cha-
Composition du panel d’experts                                                       cun d’une vaste expérience, était préférable à un nombre
     Il a été décidé dès le début du projet que toutes les                           plus grand présentant des expertises très inégales. De plus,
formes de nuisance causées par les plantes vasculaires                               nous tenions à ce que les experts participent à toutes les
exotiques allaient être prises en considération, et pas seu-                         réunions de prise de décision, chose difficile à faire avec un
lement les nuisances à la biodiversité ou à l’intégrité éco-                         grand nombre de personnes. Nous avons pris en considéra-
logique des écosystèmes, comme c’est souvent le cas pour                             tion le fait que les experts seraient aussi, dans la majorité
d’autres outils (IAI, ISAP). En l’occurrence, en sus des nui-                        des cas, des utilisateurs potentiels. Afin de contribuer à
sances à l’intégrité écologique, celles aux activités agricoles                      l’appropriation de l’outil (ici la liste), nous avons souhaité
(cultures commerciales de végétaux comestibles) et horti-                            que les décideurs ou futurs utilisateurs contribuent aussi à
coles (production de plantes ornementales, aménagement                               son élaboration (Joerin & Rondier, 2008). Ils sont ainsi plus
paysager), à la santé des animaux et des humains, ainsi                              à même de le comprendre, d’en connaître les limites et d’en
qu’aux activités de loisir, ont été évaluées. Cela nécessitait                       défendre les mérites.

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ÉCOSCIENCE, vol. 21 (2), 2014

     Les 2 représentants de la sphère agricole sont des spé-       à l’appui du jugement. Elle devait indiquer clairement les
cialistes de la malherbologie parmi les plus expérimentés du       taxons pour lesquels le jugement n’était pas tout à fait cer-
Québec. Ils cumulent ensemble plus de 71 ans d’expérience          tain (et pour quelles raisons).
sur les plantes nuisibles des cultures et ont fréquemment                Les membres du panel sélectionnés pour ce travail
été impliqués au cours de leur carrière dans des processus         se sont rencontrés en personne à 5 reprises (environ 40 h
décisionnels en matière de nuisances, notamment pour le            de travail en groupe) durant le processus d’évaluation. Au
test du AWRA pour le Canada (McClay et al., 2010). Les             cours des 2 premières rencontres, les attentes par rapport à
2 experts de l’écologie sont des botanistes de formation et        l’outil et au panel ont été précisées (Fox & Gordon, 2009).
des chercheurs universitaires qui cumulent plus de 65 ans          Même si plusieurs décisions concernant l’outil ont été prises
d’expérience sur la flore indigène et exotique du Québec.          assez tôt au cours du processus, l’expérience en aide à la
Le premier expert a lui aussi participé au test du AWRA            décision (Joerin & Bozovic, 2007) montre que les posi-
pour le Canada (McClay et al., 2010) et le second – le             tions de départ continuent à se structurer au fur et à mesure
premier auteur de cet article – est le principal chercheur en      qu’évolue l’outil, notamment lorsque les participants
matière de plantes exotiques au Québec. Les 2 représentants        constatent l’effet des décisions sur le résultat ou la diffi-
du monde de l’horticulture cumulent 54 ans d’expérience            culté d’appliquer les critères sans ambiguïté. Il y a donc eu
et sont, pour l’un, un horticulteur professionnel ayant une        des ajustements en cours de route. La mise en œuvre d’un
vingtaine d’ouvrages en horticulture à son actif (à titre          processus en plusieurs étapes contribue à l’apprentissage du
d’auteur) et, pour l’autre, un spécialiste de la production        groupe et renforce, au final, la qualité des appréciations.
de plantes horticoles en serre et en champ, plus particuliè-             Les experts ont d’abord statué sur la nécessité de faire
rement de plantes vivaces ornementales, de fines herbes,           une distinction entre plante envahissante et plante nuisible.
de fougères, de graminées et de plantes grimpantes. Le             Il a ainsi été décidé que les appréciations allaient se faire
panel a été complété par une biologiste employée dans une          uniquement en fonction du caractère nuisible de la plante et
grande municipalité du Québec et responsable depuis 23 ans         non en raison de son caractère envahissant. Les experts ont
des opérations de lutte aux plantes envahissantes dans les         jugé qu’il était difficile de définir avec précision ce qu’est
espaces verts. Les experts travaillent essentiellement dans        une plante envahissante, du moins au regard des définitions
les régions de Montréal et de Québec, mais ont une bonne           les plus en usage à l’heure actuelle (Valéry et al., 2008;
connaissance des plantes exotiques qui se disséminent dans         Richardson, Pyšek & Carlton, 2011). Aussi, les experts se
toutes les régions du Québec méridional, là où se trouve           sont mis d’accord sur le fait qu’une plante envahissante
d’ailleurs la quasi-totalité de ces plantes, les milieux fores-    n’était pas forcément nuisible, plusieurs envahisseurs se
tiers boréaux étant plus imperméables à leur établissement         cantonnant aux endroits très perturbés dans lesquels leur
(Lavoie & Saint-Louis, 2008). Cela dit, il est possible            impact est moindre que dans les habitats naturels (Hansen
que certaines régions situées hors de la vallée du fleuve          & Clevenger, 2005; Chytrý et al., 2008).
Saint-Laurent et où on observe aussi plusieurs popula-                   Les experts se sont ensuite prononcés sur la structure
tions de plantes envahissantes, comme celle de l’Outaouais         même de l’outil, c’est-à-dire sur les catégories de nuisance
(région d’Ottawa-Gatineau), font face à des problèmes par-         retenues et les critères qui devaient être utilisés pour décider
ticuliers de plantes nuisibles qui sont méconnus des experts       si la plante était nuisible ou pas. Le panel a défini 5 catégo-
du panel. Cet aspect doit être pris en considération lors de       ries de nuisance, qui ne sont ni hiérarchiques ni ordonnées.
l’évaluation de la performance de l’outil.                         Une plante pouvait être classée dans plus d’une catégorie :
                                                                   1) nuisance pour l’agriculture, les productions horticoles
Fonctionnement du panel d’experts                                     ou la foresterie (catégorie A). Une plante faisait partie de
Structuration de l’outil                                              cette catégorie si elle peut nuire à elle seule au rendement
     Il a été décidé dès le début du projet que le princi-            des cultures et si elle fait donc l’objet de mesures spéci-
pal usage de la liste de plantes nuisibles qui allait être            fiques de contrôle chez les producteurs agricoles (grandes
construite serait d’identifier les plantes pouvant faire l’objet      cultures, productions fourragères, maraîchères ou frui-
de mesures quant à leur utilisation, leur commerce ou leur            tières), horticoles (production de plantes ornementales en
contrôle. La liste allait donc surtout être destinée 1) aux           serre ou au champ) ou forestiers (plantations). On trouve
décideurs publics pour les conseiller, par exemple, lors              beaucoup de littérature scientifique pouvant appuyer les
d’émissions de certificats d’autorisation environnemen-               jugements en la matière, mais celle-ci n’est pas toujours
tale ou pour mieux cibler les efforts de suivi dans les               suffisante pour la prise de décision;
espaces naturels, 2) aux entreprises horticoles pour les           2) nuisance pour la biodiversité des écosystèmes natu-
inciter à mettre un frein à la vente de plantes nuisibles ou au       rels ou pour le maintien des fonctions écosystémiques
contraire leur permettre de mettre en relief, au bénéfice de          (catégorie B). Une plante faisait partie de cette catégorie
leurs clients, le caractère non nuisible de certaines espèces         s’il existe des preuves scientifiques indiquant qu’elle
(celles évaluées mais non retenues dans la liste) et 3) aux           porte préjudice à la diversité des espèces indigènes ou au
entreprises responsables de travaux de renaturalisation, afin         fonctionnement des écosystèmes naturels, ou du moins
de faire en sorte qu’elles soient moins enclines à utiliser           s’il y a de forts indices en ce sens, certains envahisseurs
des plantes nuisibles. La liste devait prendre la forme d’un          étant trop récents ou trop peu étudiés pour pouvoir l’affir-
tableau contenant certaines informations de base sur la               mer avec certitude;
répartition actuelle du taxon, mais aussi des renseignements       3) nuisance pour l’horticulture ornementale ou l’amé-
sur le caractère nuisible de la plante et quelques sources            nagement paysager (catégorie H). Une plante fai-

                                                           ©Écoscience                                                         137
Lavoie, Guay & Joerin : Plantes nuisibles du québec

   sait partie de cette catégorie si, une fois introduite           leur propre expérience. Au besoin, les experts faisaient sur
   dans les jardins (volontairement ou pas), elle finit par         place quelques recherches supplémentaires sur les espèces
   nuire à la qualité des aménagements paysagers parce              évaluées, notamment dans la base de données Web of
   qu’elle est difficilement contrôlable à cette échelle.           Science™ (Thomson Reuters, 2014). Si le caractère nuisible
   L’information en la matière est rarement disponible              de la plante ne faisait pas l’unanimité, alors la question fai-
   dans la littérature scientifique et est surtout connue des       sait l’objet d’un débat entre les membres du panel, puis la
   horticulteurs professionnels;                                    décision (nuisible ou non) était prise à la majorité des voix.
4) nuisance pour les activités de loisir (catégorie L). Une         La durée de la discussion était très variable, soit à peine une
   plante faisait partie de cette catégorie si elle constitue une   minute pour les plantes aucunement problématiques à près
   nuisance à la pratique de certaines activités de plein air. Il   de 15 minutes pour les plantes pour lesquelles il n’y avait
   existe très peu de littérature sur ce sujet;                     pas d’unanimité.
                                                                         Après avoir soumis les 300 taxons à l’appréciation des
5) nuisance pour la santé des animaux ou des humains
                                                                    experts, nous avons constaté que parmi les 49 plantes consi-
   (catégorie S). Une plante faisait partie de cette catégorie
                                                                    dérées a priori comme non nuisibles, certaines avaient été
   s’il existe des preuves scientifiques indiquant qu’elle
                                                                    classées nuisibles par une majorité de membres. Il a ainsi
   nuit à la santé des animaux (plante toxique si ingérée par       été choisi d’examiner rapidement, en groupe, les 608 autres
   broutement) ou des humains (dermatites).                         taxons considérés unanimement comme non nuisibles lors
     Les membres du panel ont aussi convenu qu’il n’était           de l’examen préliminaire, pour déceler des candidats à un
pas absolument nécessaire que la nuisance ait été constatée         examen plus approfondi dans une seconde ronde d’éva-
sur le territoire du Québec pour que la plante soit considérée      luation. Enfin, les auteurs de cet article ont consigné les
comme nuisible. Une plante peut avoir été introduite au             appréciations des membres du panel dans un tableau, puis
Québec trop récemment pour qu’elle ait eu le temps d’avoir          une revue de littérature a été faite pour chacun des taxons
un impact, mais si la littérature scientifique est convain-         retenus comme nuisibles, notamment pour vérifier si les
cante sur le fait que la plante est problématique (ou s’il y a      appréciations des experts étaient conformes aux résultats
de forts indices en ce sens), alors elle a été classée comme        des études scientifiques publiées, dans les cas où elles
telle (nuisible). Par contre, les changements climatiques           existaient. S’il y avait une nette différence entre les appré-
escomptés pour le futur n’ont pas été pris en considération         ciations et la littérature, alors soit une note était ajoutée au
dans l’évaluation : la plante devait pouvoir devenir nuisible       tableau pour nuancer la décision, soit le taxon était, en défi-
dans le contexte climatique actuel. Les experts ont jugé            nitive, retiré de la liste.
qu’il était trop difficile de prédire les répercussions du
réchauffement du climat sur la dynamique des populations                                      Résultats
de plantes exotiques pour émettre un jugement assez solide
en la matière.                                                           Au total, 87 des 908 taxons de plantes vasculaires
                                                                    exotiques naturalisées au Québec ont été retenus par le
Formulation des appréciations (classement)                          panel d’experts comme plantes nuisibles, soit 9,6 % de
     Les experts ont été invités, avant qu’ils ne soient            l’ensemble (Tableau II et Annexe I). La très grande majorité
convoqués à leur toute première réunion (donc avant même            (92 %) de ces taxons avaient été identifiés comme nuisances
l’élaboration des critères), à examiner la liste des plantes        potentielles par au moins un des membres du panel lors de
vasculaires exotiques naturalisées du Québec (Lavoie et al.,        l’examen préliminaire. Huit taxons qui n’avaient pas du tout
2012a). L’examen s’est fait sur une base individuelle. À            été identifiés comme tels lors de cet examen ont finalement
partir de leur seule expérience personnelle, il a été demandé       été introduits dans la liste des taxons nuisibles, ce qui ne
aux experts d’indiquer quels taxons pourraient être nuisibles       représente toutefois que 1,2 % des 657 taxons en cause.
dans la province. Le but de l’exercice était de recenser le         Dans tous les cas, il s’agissait de plantes très peu répan-
plus grand nombre possible de taxons potentiellement nui-           dues sur le territoire québécois (Chenopodium ficifolium,
sibles pour un examen plus approfondi en groupe. Au total,          Ficaria verna, Ornithogalum umbellatum) ou relativement
251 taxons ont été mentionnés à au moins une reprise. Ces           peu nuisibles ou uniquement dans des contextes bien pré-
251 taxons ont fait l’objet d’une première ronde de discus-         cis (Brassica napus, B. rapa, Centaurea jacea, Glechoma
sion portant sur l’appréciation de leur potentiel de nuisance.      hederacea, Trifolium repens). Une seule espèce sélection-
En sus de ces 251 taxons, une sélection aléatoire de 49 des         née par les experts comme plante nuisible (Acer negundo)
657 taxons qui n’avaient jamais été mentionnés comme                a été rejetée en définitive, faute de preuve dans la littérature
nuisibles a aussi été effectuée à des fins d’évaluation, de         scientifique et parce que son classement n’était pas suffi-
manière à ce que le panel soit confronté non seulement à            samment appuyé par l’expérience des membres.
des nuisances potentielles, mais aussi à des plantes qui, de             On trouve dans la liste une proportion à peu près
prime abord, ne causent aucun problème.                             égale de plantes annuelles (47 %) et vivaces (55 %), cer-
     Les experts ont examiné en groupe chacun des                   taines plantes pouvant avoir plus d’un type de cycle de vie
300 taxons retenus pour la première ronde d’évaluation              (Tableau II). La proportion de plantes annuelles est plus
(durée du travail : 24 h sur 3 jours). Les données scienti-         élevée chez les plantes exotiques naturalisées nuisibles
fiques ont d’abord été présentées aux membres du panel              que chez les plantes non nuisibles (38 %). Près de 43 %
avec une photographie de la plante évaluée. Les experts             des taxons nuisibles disposent d’un mécanisme de propa-
ont ensuite à tour de rôle émis une opinion sur la plante,          gation végétative (taxons non nuisibles : 36 %). Les plantes
basée sur l’interprétation des données et, le cas échéant, sur      de la liste sont en général assez répandues au Canada

138                                                         ©Écoscience
ÉCOSCIENCE, vol. 21 (2), 2014

Tableau II. Caractéristiques choisies des taxons (espèces, sous-espèces, variétés, hybrides) de plantes vasculaires exotiques naturalisées et
nuisibles au Québec.
                                                                                                                             Taxons inclus
                                                                           Étendue de l’aire                                  dans une ou
                                                                             de répartition    Plus ancienne                    plusieurs
                                                            Zone de          au Canada et        preuve de                      listes de
                                            Présence d’un   rusticité       aux États-Unis     naturalisation   Spécimens        plantes          WoS
                                  Cycle     mécanisme de     tolérée           (n états ou      au Québec        d’herbier   nuisibles aux      (topic +
                                    de       propagation    (la plus         provinces ou        (année ou      au Québec      États-Unis      title/title;
Taxon                             vie a,b    végétative b   froide) c         territoires) b      siècle) d        (n) e       (n listes) b   n articles) f

Abutilon theophrasti               A            Non            3b                 58              1916             42              4           556/14
Acer platanoides                   V            Non            5a                 33              1926             72              2            63/9
Aegopodium podagraria              V            Oui            3b                 37              XVII            180              3            11/0
Alliaria petiolata                 A+B          Non            4b                 42              1895            117              8           158/29
Amaranthus powellii                A            Non            3b                 46              1974             45              0            37/2
Amaranthus retroflexus             A            Non            2b                 61              XVIII           274              0           515/11
Anthriscus sylvestris              A+B          Oui            5a                 25              1879            204              2             9/1
Avena fatua                        A            Non            2b                 55              XVIII            75              0           416/15
Barbarea vulgaris                  B            Non            3b                 55              1821            810              0            16/2
Brassica napus                     A+B          Non            2b                 50              XVII             35              0           479/28
Brassica rapa                      A+B          Non            2b                 63            Inconnue          311              0           153/4
Bromus inermis                     V            Oui            2b                 62              1911            574              0            65/4
Butomus umbellatus                 V            Oui            3b                 24              1897            399              3             8/1
Calystegia sepium                  V            Oui            3b                 60              1914            555              1            13/0
Celastrus orbiculatus              V            Non            5a                 29              1937              2              5            33/3
Centaurea jacea                    V            Non            5a                 31              1850            215              1             2/0
Chenopodium album                  A            Non            2b                 63              XVII            715              0           827/12
Chenopodium ficifolium             A            Non            5a                  5              1964             51              0             2/1
Chenopodium strictum               A            Non            3b                 33              1968             90              0             1/0
Cirsium arvense                    V            Oui            2b                 55              XVII            482             31           374/22
Convolvulus arvensis               V            Oui            3b                 58              1820            160             21           178/8
Cuscuta epilinum                   V            Oui            3b                 13              1880              4              0             2/0
Cuscuta epithymum                  V            Oui            4b                 30              1916             16              0             3/0
Digitaria ischaemum                A            Non            3b                 58              1905            195              0            25/0
Digitaria sanguinalis              A            Non            3b                 56              1899            116              0           196/1
Echinochloa crus-galli             A            Non            3b                 59              1860            409              1           458/20
Elymus repens                      V            Oui            2b                 59              XVIII           663              0           199/7
Eriochloa villosa                  A            Non            5a                 14              2000              4              0            29/2
Erysimum cheiranthoides            A+B          Non            2b                 57              XVIII           827              0            13/1
Fallopia japonica var. japonica    V            Oui            3b                 50              1906            199              7            93/16
Fallopia sachalinensis             V            Oui            5a                 35              1941              8              4            13/0
Fallopia ×bohemica                 V            Oui            5a                  3              1973              3              1            12/3
Ficaria verna                      V            Oui            5a                 26              1932             10              2             6/2
Frangula alnus                     V            Non            3b                 31              1925            198              2            25/5
Galeopsis tetrahit                 A            Non            2b                 40              XVIII           717              1            20/3
Galinsoga quadriradiata            A            Non            3b                 52              1893            270              0            19/3
Galium aparine                     A            Non            3b                 59              XVIII           116              0           157/5
Galium mollugo                     V            Oui            4b                 41              1915            313              0             4/2
Galium spurium                     A            Non            3b                 59              1920              1              0            26/1
Glechoma hederacea                 V            Oui            3b                 58              1874            541              1            19/0
Heracleum mantegazzianum           V            Non            5a                 12              1990              4             13            65/8
Hydrocharis morsus-ranae           V            Oui            5a                  3              1952            163              4             6/1
Impatiens glandulifera             A            Non            3b                 19              1939             27              3            66/6
Linaria vulgaris                   V            Oui            2b                 62              1820            867              8            18/3
Lythrum salicaria                  V            Non            3b                 54              1865            927             30           230/29
Matricaria discoidea               A            Non            2b                 58              1860            124              0            12/0
Miscanthus sacchariflorus          V            Oui            5a                 13              1966             14              1             1/0
Myriophyllum spicatum              V            Oui            4b                 47              1927            191             17           106/5
Ornithogalum umbellatum            V            Oui            5a                 48              1880             10              2             2/1
Oxalis stricta                     V            Oui            3b                 54              1904            715              0             6/2
Panicum dichotomiflorum            A            Non            5a                 52              1932             56              0           123/8
Panicum miliaceum                  A            Non            3b                 55              1899             87              2            89/8
Pastinaca sativa                   B+V          Non            2b                 58              XVII            314              1             9/1
Persicaria maculosa                A+V          Non            3b                 62              XVIII           705              0            45/2
Petasites japonicus                V            Oui            5a                  4              2007              1              0             0/0
Phalaris arundinacea               V            Oui            2b                 56            Inconnue          341              3           131/12
Phragmites australis
  (subsp. australis)               V            Oui            2b                 60              1916             95              6           301/23
Plantago major                     V            Non            2b                 63              XVII            692              0            28/5
Poa annua                          A            Non            2b                 63              1877            232              0           157/2

                                                                        ©Écoscience                                                                     139
Lavoie, Guay & Joerin : Plantes nuisibles du québec

Tableau II. Suite.

                                                                                                                                   Taxons inclus
                                                                              Étendue de l’aire                                     dans une ou
                                                                                de répartition     Plus ancienne                      plusieurs
                                                                 Zone de        au Canada et         preuve de                        listes de
                                              Présence d’un      rusticité     aux États-Unis      naturalisation    Spécimens         plantes           WoS
                                    Cycle     mécanisme de        tolérée         (n états ou       au Québec         d’herbier    nuisibles aux       (topic +
                                      de       propagation       (la plus       provinces ou         (année ou       au Québec       États-Unis       title/title;
Taxon                               vie a,b    végétative b      froide) c       territoires) b       siècle) d         (n) e        (n listes) b    n articles) f

Portulaca oleracea                   A             Non              3b                59               XVII              75               1           150/5
Ranunculus acris                     V             Oui              2b                56               1821             969               1            13/1
Ranunculus repens                    V             Oui              3b                53               1821             493               1            21/2
Raphanus raphanistrum                A+B           Non              3b                52               1882              81               0           130/3
Rhamnus cathartica                   V             Non              3b                42               1919             236               5            40/9
Robinia pseudoacacia                 V             Oui              4b                55               1884             137               2            58/5
Rumex acetosella                     V             Oui              3b                62               XVII             760               2            29/2
Rumex crispus                        V             Oui              2b                63               XVIII            440               1            41/3
Senecio vulgaris                     A+B           Non              2b                63               XVIII            322               1           141/11
Setaria faberi                       A             Non              5a                40               1975              28               3           196/3
Setaria pumila                       A             Non              3b                59               1925             165               1            16/1
Setaria viridis var. viridis         A             Non              2b                61               1821             191               0           202/4
Sinapis arvensis                     A             Non              2b                62               XVIII            428               2           176/5
Solanum ptychanthum                  A             Non              3b                54               1821               1               1           248/16
Sonchus arvensis                     V             Oui              2b                55               1859             270              12            55/3
Sonchus asper                        A             Non              3b                62               1821             266               0            25/1
Sonchus oleraceus                    A             Non              2b                61               1821             201               0            62/2
Spergula arvensis                    A             Non              2b                53               XVIII            378               0            41/2
Stellaria graminea                   V             Oui              3b                46               1883             940               0             2/1
Stellaria media                      A+V           Non              2b                63               XVII             310               0           224/7
Taraxacum officinale                 V             Non              2b                64               XVII             652               0           162/7
Trapa natans                         V             Non              5a                10               1998               2               9            23/2
Trifolium repens                     V             Oui              2b                63               XVIII            492               0           187/4
Tripleurospermum maritimum
  subsp. maritimum                   A             Non              5a                14               1880              98               0             12/0
Vicia cracca                         V             Oui              2b                50               XVIII          1 135               0              8/1
Vinca minor                          V             Oui              5a                45               1883             120               0              3/0
Viola arvensis                       A             Non              3b                47               1905             118               0             74/1
a   A : plante annuelle; B : plante biannuelle; V : plante vivace.
b   Source : United States Department of Agriculture (2014).
c   Classification d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (2014) pour l’an 2000. Voir Lavoie et al. (2013b) pour les détails de la procédure de collecte des
    données : les zones ont été extrapolées à partir de l’actuelle répartition des plantes sur le territoire nord-américain (selon le United States Department of
    Agriculture, 2014), et sont donc approximatives, surtout si la plante est d’introduction récente. La valeur des données est surtout relative (chaque plante par
    rapport aux autres) et non absolue.
d   Le siècle, en chiffres romains, est indiqué lorsqu’il n’est pas possible de donner une année précise (source : Lavoie et al., 2012a, sauf pour Cirsium arvense,
    J. Cayouette, Agriculture et Agroalimentaire Canada, comm. pers.).
e   Herbiers de l'Université Laval (QFA) et de l'Université de Montréal (MT) seulement. Voir Lavoie et al. (2013b) pour les détails de la collecte des données.
f   WoS : Web of Science™ (voir le texte pour la signification de cette donnée; source : Thomson Reuters, 2014; dernière mise à jour : décembre 2012).

et aux États-Unis (présentes en moyenne dans 47 états,                                    Les deux tiers des plantes (60 taxons) sont nuisibles
provinces ou territoires; taxons non nuisibles : 31), mais                           à des degrés divers pour les productions agricoles, horti-
4 taxons sont présents dans tout au plus 5 États ou pro-                             coles ou forestières (A; Annexe I). Suivent dans l’ordre
vinces. Les plus anciennes plantes se sont naturalisées                              les nuisances pour la biodiversité ou le maintien des fonc-
dès le XVIIe siècle, alors que la plus récente s’est natu-                           tions écosystémiques (B : 27 taxons), celles pour la santé
ralisée en 2007. Les plantes nuisibles ont été récoltées                             (S : 15), celles pour l’horticulture ornementale ou l’aména-
(spécimens d’herbier) 288 fois en moyenne, soit bien plus                            gement paysager (H : 11) et celles pour les activités de loisir
que les plantes non nuisibles (73), mais le nombre de                                (L : 4). On trouve pour la plupart des plantes problématiques
récoltes est très variable d’un taxon à l’autre (minimum : 1;                        pour l’agriculture ou la foresterie des preuves du caractère
maximum : 1 135). Près de la moitié (42 sur 87 : 48 %)                               nuisible dans la littérature scientifique, même si l’indice
des taxons ne figurent pas dans une autre liste de plantes                           WoS ne le reflète pas nécessairement pour des raisons de
nuisibles aux États-Unis. À l’inverse, 123 taxons non nui-                           référencement (mots-clés des articles plus ou moins indi-
sibles figurent sur au moins l’une de ces listes. L’indice                           catifs du caractère nuisible). Plusieurs taxons (Brassica
WoS est extrêmement variable d’un taxon à l’autre, mais                              rapa, Chenopodium strictum, Erysimum cheiranthoides,
en moyenne, on trouve 20 fois plus d’articles avec l’usage                           Matricaria discoidea, Persicaria maculosa, Stellaria gra-
des rubriques title ou topic qu’avec le seul usage de la                             minea, Trifolium repens, Tripleurospermum maritimum)
rubrique title.                                                                      n’auraient toutefois pas été découverts par le seul examen

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