Chronique bibliographique 323 - Annales monégasques
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Chronique bibliographique
Comptes rendus
Michaël BLOCHE, Vincent du mariage en 1715 de la princesse héritière avec
MAROTEAUX (dir.), Les un descendant de la riche et ancienne famille
princes de Monaco en Nor- d’Estouteville. En effet, le prince Antoine Ier de
mandie. Des Estouteville Monaco, n’ayant que des filles, avait recherché
aux Grimaldi, seigneurs de un parti digne de la main de sa fille aînée Louise-
Valmont. Rouen, Archives Hippolyte, à laquelle la Principauté allait revenir
départementales de la en succession légitime. Le choix demandait des
Seine-Maritime, 2019, 268 p. précautions politiques ; l’éventuel promis devait
avoir assez de mérite, de dignité sociale et de
Aux Archives départementales de la fortune, sans toutefois être d’un trop haut rang
Seine-Maritime, à Rouen, s’est tenue à l’automne qui aurait pu dans l’avenir servir de prétexte
2019 une exposition consacrée aux possessions à une incorporation dans le royaume. L’élu
qu’avaient détenues les princes de Monaco fut Jacques de Goyon-Matignon (1689-1751),
dans les provinces normandes au cours du XVIIIe lieutenant du roi en Normandie, gouverneur
siècle. Elle était placée sous le haut patronage de Cherbourg et Granville, maître de camp de
de S.A.S. le Prince Albert II. Ce volume reproduit cavalerie. Le contrat de mariage, examiné et
les documents d’archives et d’images exposés agréé par Louis XIV, obligeait l’époux à prendre le
et en présente des commentaires historiques nom de Grimaldi, duc de Valentinois, et à prendre
dans de copieuses notices érudites dues à treize rang dans la succession à la dignité de prince.
différents chercheurs, médiévistes, modernistes Le mariage fut heureux ; le couple prit résidence
et historiens d’art. L’ouvrage est publié sous la au château de Torigni en Cotentin, plutôt que
direction de Vincent Maroteaux, conservateur dans celui de Valmont dont les hautes murailles
général, directeur des Archives départementales paraissaient à cette génération un sinistre séjour.
de Seine Maritime, et de Michaël Bloche, À la mort prématurée de la princesse en 1731,
conservateur, directeur adjoint. Trois grandes son époux devint sous le nom de Jacques Ier,
parties étudient successivement l’histoire de la prince de Monaco.
famille d’Estouteville et de ses terres depuis le XIe Les domaines normands, que le mari
jusqu’au XVIIIe siècle, le passage de cet héritage apportait en 1715 ou plus tard, comprenaient
des Matignon aux Grimaldi et enfin la situation les terres du duché d’Estouteville en Pays de
de ces domaines normands au cours des XVIIIe Caux et le comté de Torigni en Cotentin, chacun
et XIXe siècles. de ces ensembles fonciers étaient issus d’une
Les très anciens liens frontaliers longue histoire que ce volume sait raconter et
et commerciaux de la principauté avec la documenter avec une généreuse érudition.
Provence, l’expulsion de la garnison espagnole, Estouteville est un village proche
récompensée en 1642 par la concession du duché de Fécamp. Un sire d’Estouteville avait été
de Valentinois et d’autres titres seigneuriaux et compagnon de Guillaume le conquérant.
fonciers dans des provinces françaises avaient Un descendant fonda en 1169 l’abbaye
ancré le prince de Monaco dans une forte alliance bénédictine de Notre-Dame de Valmont qui
avec le roi de France. Les biens des Grimaldi dans devint la nécropole de la famille. Dès le règne
ce royaume se situaient en Provence, Dauphiné de Charles V, les comtes d’Estouteville avaient
et Auvergne. Or, voici qu’au début du XVIIIe siècle choisi la cause du roi de France et combattu
cette implantation patrimoniale connaissait une contre les prétentions anglaises. Ils en furent
extension exceptionnelle dans les campagnes récompensés sous le règne de Charles VII. L’un
de la Normandie. Cet épisode singulier résultait d’eux Guillaume d’Estouteville, archevêque de
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Rouen, cardinal en 1439, camerlingue du Saint- À l’occasion de l’exposition de 2019, l’étude des
Siège, lança la procédure d’annulation de la archives comptables et notariales, s’ajoutant
condamnation de Jeanne d’Arc ; il entreprenait aux travaux de Thomas Fouilleron, a permis
la reconstruction de l’église Saint-Augustin à d’en connaître avec précision les montants. Au
Rome lorsqu’il y mourut en 1483. Les seigneuries début de son règne, les revenus du territoire de
et paroisses des Estouteville, dispersées sur le Monaco montaient à 175 000 livres ; les profits
plateau cauchois, furent érigées en duché en des domaines normands rapportaient 124 000
1534. Le bénéficiaire était le comte de Saint- livres, soit 37 000 livres pour Estouteville et
Pol, distingué chef de guerre, qui épousait la plus de 80 000 livres pour les possessions du
très jeune Adrienne d’Estouteville, héritière de Cotentin. L’ensemble cauchois s’étendait des
cette fortune terrienne. Veuve en 1545, elle se environs de Dieppe jusqu’aux abords du Havre.
consacra au réaménagement du grand château Il couvrait un millier d’hectares mis en fermages
de Valmont et à la décoration de l’église abbatiale. dans une quinzaine d’exploitations dont aucune
Elle fit établir au cours des années 1550 dans une ne dépassait cent hectares. Les redevances de
chapelle axiale, dite chapelle des Six heures, de caractère seigneurial ne représentaient qu’un
splendides verrières figurant sept épisodes de la tiers des recettes ; les plus rentables consistaient,
vie de la Vierge. Elles ont été restaurées en 1990. comme à peu près partout dans la France du
Sa fille Marie de Bourbon-Vendôme Nord, en droits de mutation et en banalités de
épousa en troisièmes noces, en 1566, Louis moulins. S’y ajoutaient des droits honorifiques de
d’Orléans. Il portait le titre de duc de Longueville, patronage et nominations à une dizaine de cures.
bourg proche de Dieppe, dignité accordée en 1505 Dans les domaines de Basse Normandie,
à sa famille descendante de Dunois. Les duchés l’emprise était beaucoup plus vaste, couvrant
d’Estouteville et de Longueville, composés tous près de vingt mille hectares sur plus de
deux de villages et de terres du Pays de Caux, se soixante paroisses. Là aussi les articles les plus
trouvaient réunis par ce mariage. rémunérateurs étaient les fours et les moulins et
Un autre accroissement de patrimoine également les coupes de bois dont les profits
à la génération suivante résulta de l’union en montaient à plus de 60 % des revenus.
1596 d’Eléonore, duchesse de Longueville, avec Honoré III résidait le plus souvent à l’hôtel
Charles de Matignon, comte de Thorigny ou Matignon à Paris, mais il était féru d’anglomanie
Torigni, dont les terres étaient sises en Basse et passionné d’agriculture. Attentif aux problèmes
Normandie aux abords de Saint-Lô. Le couple d’un propriétaire d’herbages, il veillait aux profits
établit sa résidence dans ce château, sis dans de l’élevage des bovins et aussi des chevaux,
un paysage de bocage et de grasses prairies. notamment dans le haras qu’il faisait établir à
Le titre de Longueville, partagé ensuite dans Torigni dans les années 1770. Il avait en 1735
diverses successions, s’éteignit en 1694. confié la gestion de l’ensemble de ses domaines
Jacques de Goyon-Matignon avait dès le de Normandie à un fermier général dans un bail
mariage de 1715 apporté les terres du Cotentin, unique. Prenant conscience de la lourde sous-
c’est-à-dire la seigneurie d’Hambye et le comté évaluation de ce bail, il y mit fin en 1772 pour
de Torigni. L’héritage cauchois, la seigneurie du les terres du Cotentin et en 1786 pour celles du
duché d’Estouteville, lui échut en 1725. Devenu Pays de Caux. Les revenus cauchois avaient
prince de Monaco en 1731, il abdiqua deux ans connu une croissance remarquable, notamment
après en faveur de son fils Honoré III. Celui-ci, grâce aux soins du dernier régisseur Jean Labbé,
majeur en 1740, eut le plus long exercice de receveur du domaine, résidant au château
l’histoire de la principauté, conservant son titre de Valmont. Les profits des deux ensembles
jusqu’à sa mort en 1795. normands avaient pu monter jusqu’à 200 000
Dans sa fortune, la part des domaines de livres. En fait, ces montants devaient couvrir
Haute et de Basse Normandie était considérable. des dépenses très élevées de construction et
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entretien des bâtiments, de fonctionnement conserva respectueusement le château de
du haras, de rétribution des nombreux agents, Valmont, lui laissant son apparence de forteresse
officiers seigneuriaux et domestiques. médiévale. Hélas, le domaine fut revendu
Dès l’été 1789, l’abolition des droits en 1824 à un autre riche parisien, le vicomte
seigneuriaux réduisit sévèrement les recettes Hocquart, qui entreprit aussitôt de faire abattre
et interrompit les travaux qui étaient alors en les enceintes et leurs tours ; Hocquart ne garda
cours dans les différents terroirs. Les années que le logis Renaissance, qu’il modifiait au goût
révolutionnaires allaient, bien sûr, affecter le sort du jour en maison de villégiature et prolongeait
politique des Grimaldi et menacer leurs vies. d’écuries. Quant à l’abbaye de Valmont, devenue
Tout d’abord, en dépit des évènements, le prince bien national, elle avait été achetée en 1790 par
Honoré put demeurer à Paris, conservant grâce Nicolas Bataille, lui aussi ancien gestionnaire du
au « domaine non fieffé » ou « domaine utile » prince. Il se trouve que ce personnage avait un
les moyens d’un propriétaire foncier ordinaire. neveu talentueux, Eugène Delacroix (1798-1863).
Il échappait aux persécutions politiques grâce Dans son adolescence, le peintre avait séjourné
à l’immunité que lui assurait le statut de prince en vacances à Valmont où il était tombé sous le
étranger, excipant même de son alliance avec le charme mélancolique des ruines de l’abbatiale ;
roi de France contre son voisin le roi de Piémont- il conserva toute sa vie le plaisir d’y dessiner et
Sardaigne. Ce fut le départ de son fils cadet peindre. Les bâtiments de l’abbaye de Valmont
Joseph dans l’armée de Condé qui le soumit aux restèrent aux mains des héritiers Bataille jusqu’en
lois terroristes, entrainant le séquestre de ses 1993 où ils furent cédés à une communauté de
terres en juillet 1793, son emprisonnement en sœurs bénédictines.
septembre 1793, et la mort sur l’échafaud de sa Les terres de Basse Normandie, c’est-
belle-fille, Marie de Choiseul, épouse de Joseph, à-dire du département de la Manche, n’ont pas
le jour même de la chute de Robespierre. Libéré été examinées avec la même attention dans ce
en septembre 1794, le prince mourut peu après volume qui repose sur les fonds d’archives et les
dans son hôtel parisien en mai 1795. travaux d’histoire locale de la Seine Maritime. Il
Le territoire de la principauté avait été est signalé seulement que les terres de Torigni-
annexé à la République en février 1793 ; la sur-Vire furent vendues à leur tour en 1806. Il faut
souveraineté de Monaco ne fut rétablie qu’en mai noter que le prince Honoré V, attaché à son titre
1814. Pendant les années de troubles, Honoré IV de pair de France, tint à garder un lien avec le
(1758-1819) avait survécu discrètement, à Paris bocage bas normand et acquit un bien rural plus
ou à Valmont. Son fils, futur Honoré V (1778- modeste à Saint-Martin-des-Besaces (Calvados)
1841), y passait une enfance paisible et obscure, où il séjourna parfois dans les années 1840 dans
où il eut la chance en 1795 d’écouter des leçons une demeure dite l’Orangerie.
du jeune Cuvier, alors précepteur dans un château Les matériaux d’érudition et d’images
voisin. À ses vingt ans, le futur prince Honoré fut rassemblés dans ce volume éclairent un épisode
incorporé dans un régiment de chasseur à cheval insolite et peu connu de l’histoire de la fortune
et fit campagne en Allemagne. des princes de Monaco.
Rayés des listes d’émigrés, les Grimaldi Dans une perspective d’histoire de
purent en 1802 récupérer leurs terres exploitées l’ancienne économie agraire, les vicissitudes
en fermages. Peu après, pourtant, le prince, sur plusieurs siècles de ces grands domaines
privé des revenus monégasques, ruiné par les normands présentent des exemples éloquents.
années de séquestre et chargé de dettes, dut Ils révèlent l’influence de destins familiaux sur la
en février 1805 se résigner à la vente de ses constitution d’ensembles fonciers, c’est-à-dire
derniers biens normands. L’acquéreur Louis- les rencontres, imbrications ou contradictions
Joseph Lecoq, homme d’affaires parisien, était d’évènements sociaux et de conjonctures rurales.
le dernier fermier du prince à Estouteville ; il Il importe enfin de louer le parti pris esthétique
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des éditeurs, résolus à offrir au lecteur un voyage L’ouvrage de Tristan Gaston-Breton fait
dans le passé des paysages et une promenade suite à diverses biographies publiées au XXe
de découverte à travers les évolutions du goût siècle : les deux dernières, rédigées par Donald
architectural. McCormick (1965) et par Anthony Allfrey (1989),
n’ont pas été traduites en français. Dans sa
Yves-Marie Bercé1 quête, l’auteur s’appuie sur la lecture de ses
prédécesseurs, mais aussi sur la consultation
d’archives citées en notes (dossiers de police
Tristan GASTON-BRETON, des Archives nationales de France, Archives
Basil Zaharoff. L’incroyable nationales anglaises). Si certains dossiers des
histoire du plus grand Archives du ministère français des Affaires
marchand d’armes du monde, étrangères sont cités, ceux qui concernent
Paris, Tallandier, 2019, 288 p. Monaco et la Société des Bains de mer dans les
années 1920 n’ont semble-t-il pas été consultés
Basil Zaharoff (1849- par l’auteur.
1936) semble revenir à la mode Le personnage est suivi à partir de sa
au XXIe siècle. Après le roman de l’écrivain grec naissance le 6 octobre 1849 à Mugla, au sud-
Stefanakis Dimitris, Film noir, paru en 2012, ouest de la Turquie. Zaharoff a passé son enfance
voici une biographie en français. Historien et le début de sa jeunesse à Constantinople où sa
d’entreprises et collaborateur du quotidien famille grecque se serait établie pour y pratiquer
Les Échos, Tristan Gaston-Breton s’attache le négoce des pétales de rose. Son entrée dans
à remettre en lumière la figure de cet homme le commerce des armes se fait en 1877 quand,
d’affaires à la réputation sulfureuse, archétype du à l’âge de 28 ans, Zaharoff est devenu agent
« marchand de canons » sans scrupules, mort à pour la Grèce et les Balkans de la firme suédoise
Monaco le 27 novembre 1936. Pour les lecteurs Nordenfelt, qui fabrique mitrailleuses et sous-
d’Hergé, le personnage a été immortalisé sous marins. Après la fusion en 1888 de Nordenfelt
les traits du très ressemblant « Basil Bazaroff », avec la société anglaise Maxim, il en devient agent
dans un épisode des aventures de Tintin intitulé pour toute l’Europe puis en 1890 « conseiller
L’oreille cassée (1937). pour les affaires étrangères », étendant son rayon
Dans une mise au point faite en 2006 d’action personnel au monde entier. En 1897, il
sur les représentations de Zaharoff dans les maintient cette activité de vendeur en chef au
sources écrites contemporaines et dans les sein de la firme anglaise Vickers, qui a pris le
biographies lui ayant été consacrées, Jean- contrôle de Maxim-Nordenfelt et fusionné avec
Marie Moine estimait que l’homme d’affaires elle, et dont il est en même temps administrateur.
pris comme tel, et non dans sa version plus Cette dernière étape marque son avènement au
ou moins fantasmée, « mériterait d’être mieux rang d’homme d’influence dans toute l’Europe
connu ». En effet, les difficultés principales ainsi qu’en Amérique latine, en même temps
auxquelles se heurte l’historien dans l’étude de qu’elle ouvre la voie à son enrichissement
ce personnage résident dans le foisonnement personnel. Manipulateur et corrupteur, il sait
des versions existant pour chacune des phases se rendre indispensable aux États qui sont
de sa vie, et dans la multiplicité des supputations ses clients. Parmi les hommes politiques qui
plus ou moins étayées, situant bien des écrits à entretiennent avec lui des relations étroites
son sujet dans la veine de ce que nous appelons figurent deux acteurs majeurs des exécutifs de
aujourd’hui le « complotisme ». la Première Guerre mondiale dans le camp allié :
1
Membre de l’Institut de France, ancien directeur de l’École nationale des chartes.
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Lloyd George et Clemenceau. Très lié à la France contre la Principauté par l’hebdomadaire
– il a obtenu la nationalité française en 1898 – français L’Impartial, sous l’influence discrète de
Zaharoff possède un hôtel particulier à Paris, Zaharoff qui souhaite mettre Louis II en difficulté.
avenue Hoche, et un château dans la Somme, Celui-ci répond par le biais d’un hebdomadaire
qui sera détruit par les Allemands durant la monégasque, Tout va, dont la rédaction multiplie
Grande Guerre. C’est pourtant cette dernière les attaques contre Zaharoff sans négliger le
qui a achevé de faire sa fortune ; en 1934 une recours à l’antisémitisme. L’auteur s’appuie aussi
commission du Sénat américain estimera ses sur ce que l’on trouve déjà dans des biographies
avoirs à un montant compris entre 100 et 200 antérieures de Zaharoff, ou également dans celle
millions de livres sterling, somme sans doute de Rainier III rédigée par le journaliste Frédéric
exagérée selon l’auteur. Devenu actionnaire de Laurent. Le flou de la chronologie du récit et le
la Banque de France en 1916, il peut apparaître manque d’informations précises sur l’état de
comme un membre des « 200 familles ». En l’actionnariat de la SBM dans les années 1920
1919, devenu chevalier honoraire de l’ordre du (alors qu’existent des sources à ce sujet au
Bain, il est en droit de se faire nommer « Sir Basil ministère français des Affaires étrangères) nuisent
Zaharoff ». quelque peu à la crédibilité de ce qui est avancé.
Le chapitre XVII de l’ouvrage, intitulé Le décès prématuré en février 1926 de
« Le vieil homme, la duchesse et le Rocher » est la duchesse de Marchena met fin aux ambitions
naturellement celui qui nous intéresse le plus ici. monégasques de Zaharoff, qui se retire de la
Zaharoff fréquente la Principauté à partir de 1895 ; SBM en cédant ses parts à la banque Dreyfus,
chaque année, il y passe une partie de l’hiver dans ce que Tristan Gaston-Breton voit comme une
une suite de l’hôtel de Paris. Il noue des liens réponse aux attaques antisémites dont a été
d’amitié avec le prince Albert Ier, auquel il aurait l’objet l’homme d’affaires. Malgré les tensions qui
en 1918 octroyé un prêt avantageux d’un million ont marqué ces années l’ex-marchand d’armes,
de livres, avant, en 1923, de prendre le contrôle désormais retiré des affaires, a fait le choix de
de la Société des Bains de mer. L’auteur reprend poursuivre ses séjours monégasques. C’est à
à son compte un scénario « romantique » de la Monte-Carlo qu’il décède le 27 novembre 1936,
littérature zaharovienne : sur ses vieux jours, à l’âge de 87 ans, mais il est inhumé dans son
l’homme d’affaires aurait souhaité offrir la château de Balincourt (Val-d’Oise).
principauté de Monaco à son épouse espagnole, Destiné à un public large tout en
et longtemps maîtresse, Maria del Pilar, duchesse s’efforçant d’éviter le sensationnalisme, l’ouvrage
de Marchena, avec laquelle il s’est marié en 1924. de Tristan Gaston-Breton livre de son héros
Mais il se serait, en 1925, heurté au refus du prince un portrait qui se veut nuancé, mais n’efface
Louis II de céder le patrimoine des Grimaldi, en rien le caractère extraordinaire de cette
malgré les difficultés financières du souverain. existence terminée en Principauté. Sur la période
On peut regretter que les pages consacrées aux monégasque des affaires de Zaharoff, les zones
affaires de Zaharoff à Monaco ne s’appuient sur d’ombre demeurent toutefois, et des recherches
aucun document d’archive, et reposent avant tout supplémentaires permettraient probablement
sur des extraits de presse d’époque (L’Humanité, d’aller au-delà de la répétition de récits parfois
le 9 mai 1923, qualifie Zaharoff de « prince de schématiques et peu étayés.
Monaco ») ; dans ce registre, est mentionnée
la campagne virulente opérée en 1925-1926 Jean-Rémy Bézias2
2
Agrégé et docteur en histoire, professeur de chaire supérieure au Lycée Masséna à Nice, chercheur associé au
Centre de la Méditerranée moderne et contemporaine (EA 1193 – Université Côte d’Azur), membre du Comité de
rédaction des Annales monégasques.
Revue d’histoire de Monaco | 2020
329Chronique bibliographique
Stéphane LOISY, Grace un triomphe et toute l’équipe rend hommage au
Kelly. Portrait d’une prin- professionnalisme de Grace, apôtre du pacifisme
cesse en artiste, Paris, et de la non-violence.
Gründ, 2019, 224 p. Dès le départ, Grace est très méfiante vis-
à-vis des studios de production car elle ne veut
Stéphane Loisy pas de limitation à sa liberté : elle sera toujours
est avocat au barreau de élégante et discrète, mais très déterminée.
Paris, mais il a conservé Suite à cette réussite, la MGM va
des attaches à Monaco s’intéresser à elle et elle finira par signer un
par sa grand-mère qui demeure en Principauté. contrat d’exclusivité de sept ans : « Les studios
Dans son ouvrage, illustré de magnifiques sont tenaces. Quand ils veulent quelque chose,
photographies, il passe en revue la carrière de ils finissent toujours par l’avoir. » En fait, le pacte
Grace Kelly, d’actrice à princesse, et s’efforce de est la promesse de tourner avec l’un des plus
mettre au jour, derrière les lumières aveuglantes grands réalisateurs de l’époque, John Ford. Ce
d’Hollywood, la véritable personnalité artistique dernier prépare son nouveau film, Mogambo, qui
de la princesse. Lorsqu’on évoquait auprès doit se tourner en Afrique ; cela permet à John
de Grace sa vie de contes de fées, celle-ci Ford de prendre ses distances avec la MGM,
répondait : « Les contes de fées racontent des et de présenter une nouvelle vision de l’Afrique.
histoires imaginaires. Moi je suis un personnage C’est un très bon film, Grace admire le réalisateur
vivant. J’existe. Si l’on racontait un jour ma vie de comme un génial directeur d’acteurs, celui-ci
femme réelle, on découvrirait enfin l’être véritable apprécie son sérieux et pense qu’elle incarne
que je suis. » la nouvelle génération d’actrices. En outre, une
Après une enfance heureuse à amitié va naître entre les trois acteurs : Clark
Philadelphie, auprès d’une famille d’origine Gable, Ava Gardner et Grace Kelly. Le film est
irlandaise, unie, catholique et très sourcilleuse un succès du box-office, le talent de Grace est
sur les valeurs morales, la jeune Grace est reconnu, elle est sacrée « meilleure comédienne
attirée par le théâtre, ce qui n’est pas du goût du cinéma pour l’année 1953 ».
de son père, homme très sérieux. Mais, l’oncle C’est alors qu’intervient Alfred Hitchcock,
de Grace, Georges Kelly, prend sa défense et exilé anglais aux États-Unis. À Hollywood,
convainc le père d'accepter la vocation de sa Hitchcock est considéré comme le maître du
fille. Elle déclarera plus tard : « Comme j’étais suspense et de la manipulation. Hitchcock
leur fille, mes parents savaient que, quelque fût le trouve en elle l’interprète parfaite : il a su briser
métier que je choisirais, je le ferais bien. Cela leur son apparente froideur en l’humanisant et il
suffisait. Chez les Kelly, on se faisait confiance. » l’a sexualisée sans faire oublier qu’elle est
Acceptée à l’American Academy of Dramatic l’incarnation de la vertu. Le Crime était presque
Arts de New York, Grace travaille énormément, parfait est l’adaptation d’une pièce de théâtre
avec ferveur, mais ses débuts sont difficiles, on où le réalisateur donne une profondeur au
la trouve trop grande pour jouer les ingénues, et personnage de Grace qui incarne la femme
trop intelligente. Heureusement, elle rencontre adultère allant vers la rédemption ; dans ce film,
Edith Van Cleeve, qui devient son agent, et qui il y a un suspense psychologique qui s’exprime
la dirige vers la télévision ; de la télévision, elle dans les détails (couleur des robes par exemple).
passe au grand écran et la notoriété viendra avec Le maître la définit ainsi : « Elle est un phénomène
un western de référence, Le Train sifflera trois fois, rare dans le cinéma : une lady. C’est une véritable
qui lui permettra de faire connaissance avec Fred actrice. Elle fait partie de ces personnalités qui
Zinneman et Gary Cooper : il s’agit d’un western peuvent se glisser dans n’importe quel rôle ».
révolutionnaire car il s’oppose au maccarthysme, Grace Kelly savoure le lien unique qui la lie au
très actif pendant les années 1950 ; le film est réalisateur : « j’ai pour Hitchcock beaucoup
330 ANNALES MONÉGASQUES | N° 44Chronique bibliographique
d’estime, beaucoup d’affection... C’est un inhumaine, où celui qui sombre dans la misère
homme curieux, très mystérieux, très secret... Il peut mourir tranquillement sans que personne ne
sait juger sans jamais se tromper sur la qualité de lève le petit doigt pour lui venir en aide. »
ses acteurs ». Le film est un triomphe de l’année Après L’Émeraude tragique, Grace
1953. va retrouver Hitchcock pour une troisième
Dédaignant d’autres propositions, elle et dernière collaboration : La Main au collet.
veut renouveler l’expérience avec Hitchcock. L’intrigue s’inspire d’un roman de David Lodge
Elle est revendue par la MGM à la Paramount et où Cary Grant est une sorte d’Arsène Lupin qui
elle rejoint le casting de Fenêtre sur cour, qui a vole les gens riches dans les grands hôtels. Le
acquis le statut de classique absolu. Hitchcock film se déroule sur la Riviera, avec beaucoup de
fait du personnage de Lisa un archétype moral scènes en extérieur, dont une est restée célèbre,
qui devient victime de la perversité masculine. celle où les deux héros passent en voiture sur
Grace Kelly fascine tous ceux qui l’entourent, les hauts de Monte-Carlo. Hitchcock va ajouter
Edith Head, la costumière, James Stewart, son une facette au talent de l’actrice : il se dégage
partenaire, un parfait honnête homme... Avec du film un érotisme diffus et de nombreux sous-
ce film, elle impose son indépendance morale et entendus sexuels. Grace Kelly est devenue
professionnelle. vraiment sa comédienne fétiche, elle incarne la
En décembre 1953, elle poursuit sa femme parfaite à la beauté morale. Le film est
collaboration avec la Paramount, dans un film bien accueilli, surtout en France.
tiré du roman de James A. Michener, Les Ponts Après le tournage de La Main au collet,
de Toko-Ri, avec William Holden, grande vedette, Grace va entreprendre une lutte contre la MGM,
mais personnage ingérable : alcoolique notoire, qui tend à fabriquer des êtres serviles et des
séducteur pathologique, en outre il aime tenir personnalités déstructurées. Elle refuse tous les
tête au système hollywoodien ; sur ce dernier films qu’on lui propose : Quentin Durward, La
point, il est en accord avec Grace. Le film est une Loi de la prairie, La Toile d’araignée, parce que
grosse réussite de l’année 1955. les rôles ne lui conviennent pas. Elle voudrait
Grace à William Holden, elle fait une autre jouer dans le film Géant d’après Edna Ferber,
rencontre : le producteur Seaton ; elle se bat mais la MGM refuse catégoriquement, et choisit
avec la MGM pour tourner dans son prochain Elizabeth Taylor. Ce sont des moments très
film Une Fille de la province. Il s’agit d’un pénibles que ces négociations ; finalement, la
mélodrame relatant les amours impossibles entre MGM la met en disponibilité, c’est-à-dire qu’elle
un metteur en scène de théâtre et l’épouse d’un ne perçoit plus de salaire ; la major va jusqu’à
comédien déchu. Grace Kelly détruit son image lui signifier la suspension de son contrat, ce
de mystérieuse actrice blonde, insondable et qui l’éloigne des rôles les plus intéressants
distante, pour se transformer en femme vieillie, d’Hollywood. Grace Kelly va contre-attaquer
pathétique et perdante. La MGM lui impose en publiant un communiqué de presse où elle
ensuite un film d’aventure, L’Émeraude tragique, dénonce le comportement déloyal de la société
qui n’obtient pas le succès escompté. de production et les règles mercantiles qui
En 1954, Grace affiche un beau palmarès. régissent la profession. Fin 1954, l’emprise de la
Elle va entreprendre de démythifier Hollywood, MGM se fait de plus en plus prégnante.
usine à rêves et à mensonges, une ville sans Le succès d’Une fille de la province va
pitié : « À Hollywood, de jolies filles arrivent tous un peu changer la donne. Cependant, la MGM
les jours de leur province pour faire du cinéma, mise sur Judy Garland et néglige de plus en plus
devenir très vite des stars, c’est un rêve qui ne Grace Kelly qui est condamnée à plus ou moins
se réalise pratiquement jamais ; leurs économies long terme. En 1955, c’est finalement Grace
envolées, ces filles se retrouvent seules, sans Kelly qui obtiendra l’oscar de la meilleure actrice,
un sou, sur le pavé d’une ville entre toutes ce sera la revanche des âmes libres. Devenue
Revue d’histoire de Monaco | 2020
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reine d’Hollywood après seulement cinq ans de graines à planter par le lecteur, mais ce projet n’a
carrière, elle va peser de tout son poids pour pu être réalisé.
obtenir des rôles qui lui conviennent pour les Dans les années 1970, la princesse a
trois films qu’elle doit encore à la MGM. réalisé une très belle aventure avec la narration
C’est à ce moment-là que son destin d’un conte écrit par Pierre Grosz, L’Oiseau du
bascule : d’une rencontre à visée promotionnelle Nord et l’oiseau du soleil. Pierre Grosz est un
en 1955 durant le festival de Cannes, va naître auteur iconoclaste et avant-gardiste qui a travaillé
une authentique histoire d’amour avec le prince avec Gilbert Bécaud ou Michel Polnareff. Grace
Rainier. Rentrée à Hollywood, elle joue le rôle a été séduite par l’histoire de deux amoureux
d’une princesse dans Le Cygne, histoire de se issus de deux communautés différentes qui
préparer à sa nouvelle destinée. Pour lui donner les rejettent et les obligent à créer leur propre
la réplique, un grand comédien, Alec Guiness, et paradis. La dimension écologique et le thème
un enfant de douze ans, Van Dyke Parks, avec de la liberté trouvent un écho dans le cœur de la
lequel elle va beaucoup sympathiser. princesse, ce qui l’a amenée à s’emparer de ce
Son dernier film avec la MGM est une texte avec passion. En outre, les droits du disque
comédie musicale à la fois très enjouée et très ont servi à créer une école de danse à Monaco.
satirique, Haute Société, où Grace Kelly a pour Dès 1976, par amour pour la poésie, elle
partenaire Franck Sinatra et Louis Armstrong. prend part au festival d’Edimbourg ayant pour
Ensuite, elle refusera de faire un dernier film thème « un héritage américain ». En 1977, elle
pour la major. Elle conclura sa carrière par cette est présente au festival de Stratford-sur-Avon
déclaration : « Ma vraie difficulté fut de redevenir consacré aux œuvres de Shakespeare. En 1978,
une personne normale après avoir été une actrice elle participe dans son pays natal à une tournée
pendant si longtemps. » au profit du Fonds de protection mondial pour la
En 1962, la perspective d’un retour à Nature. Cela se fait sous l’égide de William Blake,
l’écran se dessine à l’initiative d’Alfred Hitchcock : qu’elle a toujours admiré. La princesse choisit
il s’agit du film Marnie d’après Winston Graham ; des poètes connus, comme D.H. Lawrence,
la princesse est très intéressée ; cependant, le Percy Bysse Shelley, Thomas Hardy..., et des
projet ne se réalisera pas à cause de problèmes poètes moins connus, comme John Heath,
de calendrier. En fait, la passion de Grace pour le Marie Kingsley, qu’elle veut réhabiliter ; c’est une
cinéma ne s’est jamais éteinte ; mais sa position anthologie de la poésie naturaliste. Le spectacle
de princesse rendait cette activité peu accessible. intitulé Birds, Beats and Flowers est mis en scène
Elle se tourne alors vers d’autres formes d’art. par John Carroll ; il remporte une brillant succès :
En 1979, prenant à contrepied le même la reine mère et Lord Mountbatten sont
monde de l’édition, qui attendait une sorte de venus y assister.
biographie, elle entreprend de se lancer dans un Une autre initiative de la princesse sur
projet d’ouvrage où elle exprime sa passion pour le plan artistique concerne le Garden-Club de
l’art floral. Depuis qu’elle est enfant, Grace est Monaco, créé en 1968, qui allie l’art floral à
tournée vers la beauté, la nature, l’altruisme, et la l’altruisme. Elle demande à Jacqueline Monsigny
symbolique florale. Elle écrivait aussi beaucoup de lui établir un scénario pour faire connaître les
de poèmes lorsqu’elle était jeune : « Je hais que activités du Garden Club hors de la Principauté ;
le soleil se couche / Et soit dévoré par la terre / elle souhaite que le film ait une véritable intrigue
D’une nuit chaude prisonnier / Pour ne plus se et qu’elle puisse jouer son propre rôle : « Je
lever ». L’ouvrage mêle poésie, souvenirs intimes, n’ai jamais eu la chance de jouer une histoire
réflexions sur la nature et plantes médicinales. spécialement écrite pour moi ». L’intrigue est
Mon Livre des fleurs a été édité en 1986 par basée sur un quiproquo entre un savant et un
Jean-Claude Marsan aux éditions du Rocher, et journaliste ; c’est un joli conte qui est un hymne
devait être réédité en 2012, avec un sachet de au bonheur et à la beauté de toute chose.
332 ANNALES MONÉGASQUES | N° 44Chronique bibliographique
Incarnant l’élégance et le panache, la en façade, en étain fin. L’orgue n’a pas été
princesse Grace aura suggéré l’intelligence de sérieusement entretenu et a dû être complété,
l’existence. La conclusion de cet ouvrage est en 1869, par un modeste instrument dû au
laissée à Stéphane Bern, qui a écrit une biographie facteur marseillais François Mader. Lorsque
de la princesse : « son parcours artistique éveilla Saint-Nicolas est démolie, les deux orgues
à ce point l’imagination de son siècle qu’il créa sont démontés. Le vieil instrument Oltrachino
autour d’elle un mythe et une légende. » est installé à l’église Saint-Charles et le facteur
François Mader installe lui-même le petit orgue
Martine Rousseau-Chatelain3 dans la chapelle de la Visitation. La maison
Merklin procède à quelques travaux d’entretien
mais, quelques années plus tard, le petit orgue
Claude PASSET, Silvano RODI, Mader est transporté à l’église Sainte-Dévote.
Le grand livre de l’orgue à En 1869, le prince Charles III fait appel à
Monaco. XVIIe-XXIe siècle. l’architecte Charles Lenormand pour remplacer
Orgues, organistes, facteurs l’église Saint-Nicolas. En 1887, l’abbaye
d’orgues, maîtres de chapelle Nullius devient un évêché. Achevée en 1903,
et glossaire de l’orgue, la cathédrale est consacrée en 1911. Pendant
Toulouse, Privat, 2020, 480 p. longtemps, la cathédrale ne possède qu’un
seul instrument : l’orgue de chœur. Il est prévu
Œuvre d’un historien et d’un organiste, pour accompagner la première maîtrise, créée
l’ouvrage, de près de cinq-cents pages, en 1875. La construction de l’orgue, confiée
magnifiquement illustré, apporte une quantité à Joseph Merklin, sera longue en raison de
inouïe de renseignements touchant les nombreuses modifications réclamées par
instruments, les facteurs, les organistes et même l’évêque, Mgr Theuret. Après de nombreuses
les maîtres de chapelle entre les XVIIe et XXIe années d’utilisation, des pannes, de plus en plus
siècles. Cette monographie encyclopédique nombreuses, se produisent, et l’instrument cesse
comblera tous les publics : le néophyte amoureux de fonctionner en 1972. La commission des
des livres aura plaisir à feuilleter ce bel ouvrage orgues décide de le remplacer en 1979. Le projet
s’arrêtant ici ou là à une reproduction, un article retenu, du facteur Giovanni Tamburini de Crema,
ou une biographie. Le musicien – surtout s’il est est novateur : il s’agit d’un orgue mobile placé
organiste – verra en lui un outil de référence. Tous sur un chariot à roues permettant de le déplacer.
les curieux – surtout s’ils sont monégasques À la suite d’avaries sérieuses, il est alors fait
– découvriront, parfois avec étonnement, appel à un orgue électronique. Quant à l’orgue
de paroisse en paroisse, les quelques seize de tribune, prévu par Lenormand, il ne voit pas
instruments de la Principauté. le jour de sitôt en raison de son coût. Dès 1917,
Dès le milieu du XIIIe siècle, un lieu de culte Charles Mutin présente un projet de grand orgue
existe sur le Rocher. Maintes fois remaniée, cette pour la cathédrale de Monaco, mais la réponse
église Saint-Nicolas laisse place à la cathédrale tarde à venir. L’instrument, un Cavaillé-Coll,
en 1874. Lorsque le prince Honoré II décide, en est offert à la cathédrale par Jean Bartholoni,
1639, de doter l’église d’un orgue, il en fait la consul de Monaco à Genève. L’instrument est
commande au célèbre facteur génois Giovanni inauguré le 8 avril 1922 par Émile Bourdon, l’un
Oltrachino (né à Utrecht). Une description des personnages les plus importants du monde
sommaire fait état d’un clavier en buis, de huit de l’orgue en ce début du XXe siècle. Ce grand
registres en plomb et d’un neuvième, disposé orgue symphonique comporte trois claviers
3
Membre du Comité de rédaction des Annales monégasques.
Revue d’histoire de Monaco | 2020
333Chronique bibliographique
et un pédalier. Le clavier de grand orgue a de de la Visitation est transféré à l’église Sainte-
riches sonorités, celui de positif est doux et Dévote en 1886 ou 1887, lorsque la chapelle est
moelleux et le clavier de récit est très expressif. érigée en église paroissiale. En 1919, commence
En 1952, à la demande du maître de chapelle, le démontage du vieil orgue et arrive un nouvel
l’abbé Henri Carol, le facteur Pujet de Toulouse instrument, œuvre du facteur Merklin. C’est alors
agrandit l’orgue de douze jeux et l’électrifie. À que des blocs de rocher, provenant de la falaise
partir de 1968, l’orgue vieilli devient injouable. surplombant l’église menacent de se détacher.
René Saorgin, organiste titulaire de 1984 à 2005, L’orgue est mis à l’abri, ainsi que des pièces du
ne tarit pas d’éloges à l’égard de l’instrument qui mobilier de l’église. L’instrument, enfin installé,
le remplace, œuvre de la maison Boisseau de est inauguré en avril 1922. Après soixante ans
Poitiers. On trouve sous sa plume les adjectifs de service, l’orgue usé est remplacé en 1982. La
« scintillant, dynamique, exceptionnel ». À la fin maison Tamburini de Crema remporte le marché
des années 1980, un relevage en profondeur et rachète le vieux Merklin. Après quelques
devient nécessaire, confié au facteur Giovanni modifications apportées au projet initial, le nouvel
Tamburini de Crema. « L’harmonisation admirable instrument est installé sur la tribune. L’orgue
de Boisseau, écrit René Saorgin, n’a pas été de chœur est devenu grand orgue. Le concert
touchée. Cet orgue est sans doute le plus beau de d’inauguration a lieu le 27 janvier 1985. En 2011,
la Côte d’Azur ». En 2010, un concours organisé à l’occasion du mariage du prince Albert II et de
pour la réfection de l’instrument est remporté par la princesse Charlène, la communauté italienne
la manufacture Thomas, de Ster-Francorchamps de Monaco dote la paroisse d’un instrument
en Belgique. L’organiste titulaire Olivier Vernet neuf. Cet instrument, bien adapté à l’église dans
résume ses impressions sur le nouvel instrument laquelle il se trouve, est un orgue de facture
en écrivant : « Monaco se dote d’un chef d’œuvre baroque tardive, permettant l’interprétation du
qui l’inscrit désormais dans l’histoire de l’orgue ». répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles tant nordique
En achevant de transformer l’ancienne qu’italien ou français.
forteresse en palais, le prince Honoré II (1597- Pour équiper l’église Saint-Charles,
1662) remplace l’antique chapelle castrale Saint- ouverte au culte en 1883, la maison Merklin est
Jean-Baptiste. La nouvelle chapelle palatine est sollicitée, en 1882, pour étudier la construction
bénite le 15 octobre 1656. Satisfait de l’orgue d’un instrument en utilisant les éléments de
installé à l’église Saint-Nicolas, le prince avait l’ancien orgue Oltrachino, démonté avant la
commandé, dès 1640, au facteur Giovanni démolition de l’église Saint-Nicolas, lesquels
Oltrachino, un instrument portatif à cinq jeux sont expédiés aux ateliers Merklin à Lyon. Le
pour la chapelle palatine. Ce petit instrument facteur parle de la réutilisation des matériaux du
est encore en usage en 1793 pour la fête de buffet de l’orgue ancien, mais ne mentionne ni les
la Fédération sur la place de la République tuyaux ni la vieille mécanique. Le nouveau buffet
(place du Palais…). Après la Révolution et la répond à des dessins fournis par l’architecte
restauration des Grimaldi en 1814, la chapelle Lenormand. L’orgue est inauguré en 1884. En
palatine, saccagée, est remise en état. Le vieil 1940, une révision complète est nécessaire et
instrument Oltrachino est encore signalé lors quelques jeux sont modifiés. En 1953, la maison
d’une cérémonie en 1869. Mais, en 1884, le Puget de Toulouse ajoute à l’orgue un clavier de
prince Charles III passe commande à la maison récit électrique. Dans les années 1958, l’orgue,
Joseph Merklin de Lyon d’un orgue à deux dans un état de grand délabrement, a besoin
claviers et pédalier. Cet instrument est offert par de gros travaux de restauration que la maison
le prince Rainier III à l’église de Peille en 1989. En Puget assume. La dernière restauration a lieu en
1987, un orgue napolitain ancien du XVIIIe siècle 1971. La maison Merklin en est chargée, elle se
est acheté à la maison Tamburini de Crema. déclare impuissante devant certains dommages.
L’orgue Mader qui se trouvait à la chapelle Jusqu’en 1976, l’orgue assure plus ou moins
334 ANNALES MONÉGASQUES | N° 44Chronique bibliographique
bien son service. Le facteur Tamburini remporte acheté par les pères Carmes de Monaco en
l’appel d’offres et commence la construction d’un 1926. Centenaire, l’orgue a besoin d’une révision
orgue d’esthétique italienne classique. Une partie approfondie en 1978. Un Carme espagnol,
du buffet du vieil orgue Oltrachino est conservée. spécialiste en facture d’orgue, le père Honorio
L’orgue est inauguré le 26 janvier 1979. de l’Enfant Jésus, s’en charge. La reconstruction
Aucun témoignage n’atteste la présence de la chapelle est l’occasion d’une nouvelle
d’un orgue dans la chapelle Saint-Martin, restauration, confiée à la manufacture d’orgues
jusqu’à la nomination, en 1926, de Georges belge André Thomas, de Ster-Francorchan.
Blanchi comme organiste titulaire. En 1930, une L’orgue remis à neuf est inauguré, le 25 janvier
restauration en profondeur de l’orgue est confiée 2004. La dernière restauration a lieu en janvier
à la manufacture Michel Merklin. Dès 1968, 2020 : elle est confiée au facteur italien Brondino-
l’organiste et le chanoine Henri Carol demandent Enrico Vegezzi-Bossi.
un relevage de l’orgue. Mais, au même moment, Une église anglicane est édifiée sur un
se dessine le grand projet de la reconstruction terrain donné par le prince Albert Ier en 1921.
de l’église. Le nouvel édifice est doté d’un Elle est consacrée en 1925. Peu après, la
instrument neuf : un orgue de treize jeux construit communauté fait l’acquisition d’un orgue chez le
par la maison Danion-Gonzalez de Paris. Il est facteur Tschanun de Genève (ce facteur a fourni
inauguré en 1977. alors des instruments pour toutes les églises
Le premier orgue de l’église du Sacré- anglicanes de la Côte). Le buffet néoclassique a
Cœur est installé en 1968, à la demande des été conservé lors des restaurations successives.
pères jésuites. Merklin a proposé un instrument L’instrument présente deux claviers de soixante
utilisant des matériaux d’occasion d’excellente et une notes et un pédalier de trente. En 1972, les
qualité, mais le nouvel instrument ne donna facteurs d’orgues L. et E. Simon procèdent à une
jamais satisfaction. Le relevage complet du restauration et apportent quelques modifications.
Merklin est confié au facteur Tamburini en 1985. La dernière intervention date de 2016. Saverio
Dans les années 1997, une nouvelle restauration Tamburini installe un système électronique de
est envisagée, mais elle est refusée. Un entretien transmission permettant d’enlever des centaines
régulier permet d’utiliser l’orgue pendant encore de mètres de fils électriques.
quelques années. En 2013, le Gouvernement Pour l’inauguration du temple de
princier lance un appel d’offre pour la l’église Réformée, en 1957, un orgue est
construction d’un instrument neuf. La maison commandé dans l’urgence au facteur français
italienne Brondino Vegezzi-Bossi est choisie. Haerpfer-Erman, de Boulay (Moselle). Très vite,
L’église Saint-Nicolas de Myre, à l’instrument ne donne pas satisfaction. En 1960,
Fontvieille, est dotée d’un orgue dès son une demande d’agrandissement est formulée.
ouverture au culte, en 1989. L’appel d’offres Pour des motifs techniques, cela est impossible.
pour la construction d’un instrument neuf est Le facteur d’orgues Simon ajoute cependant
lancé dès le début de l’édification de l’église. La un jeu de Gambe. Vers 1985, l’état de l’orgue
manufacture Tamburini de Créma est retenue. décline sérieusement par défaut d’entretien. En
L’orgue de douze jeux (deux claviers et un 1992, le conseil presbytéral de l’église, reprend
pédalier) a une esthétique classique italienne. contact avec Haerpfer pour un relevage complet.
La nouvelle chapelle Sainte-Thérèse-de- La Commission des orgues de la Principauté
l’Enfant-Jésus, dite des Carmes, reconstruite, demande à examiner un projet émanant d’un
est consacrée en 2002, sous la titulature de autre facteur. Celui-ci est fourni par la maison
Sainte Thérèse de Lisieux ou de l’Enfant Jésus. Tamburini. La Commission opte pour la fourniture
L’orgue de la chapelle primitive a été conservé. d’un instrument neuf, construit par le facteur
L’instrument Cavaillé-Coll, en provenance du italien ; il est inauguré en 1995.
couvent des Carmes de Montélimar, avait été Un orgue est installé dans l’Académie
Revue d’histoire de Monaco | 2020
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