CHRONIQUE DE DROIT AMÉRICAIN PARTIE I : LE PENDULE DE L'UTILISATION ÉQUITABLE FAIR USE OSCILLE

 
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CHRONIQUE DE DROIT AMÉRICAIN PARTIE I : LE PENDULE DE L'UTILISATION ÉQUITABLE FAIR USE OSCILLE
CHRONIQUE DE DROIT AMÉRICAIN
        PARTIE I : LE PENDULE DE L’UTILISATION ÉQUITABLE
                                  [FAIR USE] OSCILLE

                                                                     JANE C. GINSBURG
                                                                     Columbia Law School*

      Cette chronique se présentera, à l’instar de la précédente, en deux parties. Le
présent volet examinera l’évolution de la jurisprudence relative à l’utilisation équitable
(« fair use ») en matière de droit d’auteur depuis le précédent bilan dressé dans cette
Revue (« Chronique de droit américain, Droits exclusifs, exceptions et conformité
incertaine avec les normes internationales », RIDA, vol. 242, oct. 2014). Le prochain
volet sera quant à lui consacré à l’examen d’autres jurisprudences de la Cour suprême
et des juridictions inférieures depuis 2014, ainsi qu’aux développements législatifs
concernant la Loi Orrin G. Hatch-Bob Goodlatte de 2018 sur la modernisation en

* Nous adressons nos remerciements à Ian J. Berkelaar, Columbia Law School promotion
de 2022, pour son excellente aide à la recherche. Certaines parties de cette chronique sont
adaptées de : Jane C. Ginsburg, « Fair Use in the United States : Transformed, Deformed,
Reformed », Sing. J. Legal Stud, 2020, p. 265 et Jane C. Ginsburg, « US Second Circuit Court
of Appeals Tames « Transformative » Fair Use ; Rejects ‘Celebrity-plagiarist Privilege’; Clarifies
Protectable Expression in Photographs », J. Intell. Prop. L. & Prac., n° 16, p. 638, 2021.

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CHRONIQUE DE DROIT AMÉRICAIN PARTIE I : LE PENDULE DE L'UTILISATION ÉQUITABLE FAIR USE OSCILLE
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matière de musique (« Music Modernization Act ») et de la Loi de 2020 Copyright
Alternative in Small-Claims Enforcement Act (« CASE Act » – Loi sur l’alternative au
droit d’auteur en matière de règlement des petits litiges).

      En 2014, nous nous demandions si l’expansion considérable de l’exception
d’utilisation équitable sous le couvert d’« utilisations transformatrices » isolant
les appropriations substantielles d’œuvres d’auteur de la responsabilité pour
violation du droit d’auteur avait placé les États-Unis au-delà du « test en trois
étapes » fixé par les normes internationales. Comme nous l’avions évoqué dans
la Chronique de 2014, la détermination par un tribunal, eu égard au premier
facteur d’utilisation équitable (« nature et but de l’utilisation »), du caractère
« transformateur » de l’utilisation par un défendeur, a souvent prédéterminé le
résultat final, poussant les autres considérations légales, en particulier l’impact
économique de l’utilisation, à la périphérie1. La prédominance de l’« utilisation
transformatrice » a potentiellement placé la jurisprudence américaine en tension
avec le critère international selon lequel l’utilisation ne doit pas « porter atteinte
à l’exploitation normale de l’œuvre » ni « causer un préjudice injustifié aux

1. La doctrine de l’utilisation équitable est codifiée à l’article 17 U.S.C. § 107, prévoyant :
           Limitations des droits exclusifs : Utilisation équitable
           Nonobstant les dispositions des sections 106 et 106A4, l’utilisation équitable
d’une œuvre protégée, y compris des usages tels la reproduction par copie, l’enregistrement
audiovisuel ou quelque autre moyen prévu par cette section, à des fins telles que la critique,
le commentaire, l’information journalistique, l’enseignement (y compris des copies multiples
à destination d’une classe), les études universitaires et la recherche, ne constitue pas une
violation des droits d’auteurs. Pour déterminer si l’usage particulier qui serait fait d’une œuvre
constitue une utilisation équitable, les éléments à considérer comprendront :
(1) L’objectif et la nature de l’usage, notamment s’il est de nature commerciale ou éducative
et sans but lucratif ;
(2) la nature de l’œuvre protégée ;
(3) la quantité et l’importance de la partie utilisée en rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée ;
(4) les conséquences de cet usage sur le marché potentiel ou sur la valeur de l’œuvre protégée.
Le fait qu’une œuvre ne soit pas publiée ne constitue pas en soi un obstacle à ce que son
utilisation soit équitable s’il apparaît tel au vu de l’ensemble des critères précédents.

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          partie i: le pendule de l’utilisation équitable [fair use] oscille

intérêts légitimes de l’auteur »2. Initialement appliquée pour évaluer si l’utilisation
contestée a abouti à une œuvre ayant transformé le matériel copié avec « une nouvelle
expression, signification ou message »3, l’utilisation transformatrice a évolué vers un
but transformateur, permettant une variété d’utilisations technologiques équitables
basées sur la copie d’œuvres entières sans commentaire, critique ou autre intervention
substantielle dans le contenu de l’œuvre. Qui plus est, l’utilisation équitable n’étant
« pas une violation du droit d’auteur »4, aucune de ces utilisations technologiques
équitables ou autres utilisations équitables « transformatrices », aussi lucratives
soient-elles, n’exigeait de paiement aux auteurs et titulaires de droits d’auteur dont les
œuvres servaient de « matière première »5.

      Depuis cette Chronique, le pendule de l’utilisation équitable a marqué un
ralentissement de son mouvement de balance vers l’extérieur, les juridictions ayant

2. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques art. 9 (2), 9 septembre
1886, révisée le 24 juillet 1971 et modifiée le 28 septembre 1979, S. Treaty Doc. No. 99-27,
1161 U.N.T.S. 3. Voir également l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce du 15 avril 1994, article 13 ; Traité de Marrakech instituant l’Organisation
mondiale du commerce, annexe 1C, 1869 U.N.T.S. 299, 33 I.L.M. 1197 ; Traité de l’OMPI
sur le droit d’auteur du 20 déc. 1996, article 10, 2186 U.N.T.S. 121, 36 I.L.M. 65.
3. Voir Campbell v. Acuff-Rose Music, Inc., 510 U.S. 569, 579 (1994) (citant Pierre N. Leval,
« Toward a Fair Use Standard », Harv. L. Rev., Vol. 103, 1990, p. 1105-1136, p. 1111).
4. 17 U.S.C. § 107.
5. Voir Seltzer v. Green Day, Inc. 725 F.3d 1170, 1176 (9e Circuit 2013) (constatant un « but
transformateur » lorsque le défendeur « a utilisé [l’illustration du demandeur] comme « matière
première » dans la construction [d’une] toile de fond d’une vidéo de quatre minutes ») ; Bill
Graham Archives v. Dorling Kindersley Ltd, 448 F.3d 605, 610-11 (2e Cicuit, 2006) (constatant
un « but transformateur » dans le cas de la reproduction par le défendeur de sept images
protégées par le droit d’auteur dans leur intégralité). Voir également Authors Guild v. Google,
Inc. (Google Books), 804 F.3d 202, 216-17 (2e Circuit, 2015) (constatant « une finalité
hautement transformative » dans le cas de la numérisation par Google de livres entiers dans le
but de permettre une fonction de recherche) ; Authors Guild, Inc. v. HathiTrust, 755 F.3 d 87,
98 (2e Circuit, 2014) ; « 4 Melville B. Nimmer & David Nimmer, Nimmer on Copyright »,
§ 13.05 [B] [6], 2021 (« Il semblerait que le pendule soit allé trop loin dans la direction de la
reconnaissance de toute altération comme transformative, de sorte que cette doctrine menace
maintenant de prendre le pas sur l’utilisation équitable. Nous insistons alors respectueusement
sur la nécessité d’une modification de la loi en la matière »).

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exprimé un plus grand scepticisme quant aux utilisations « transformant » réellement
le contenu copié en de nouvelles œuvres littéraires ou artistiques, ou qui sont
réaffectées à des systèmes dévoreurs de droits d’auteur. En conséquence, dans les
affaires concernant de nouvelles œuvres et de nouveaux buts, les juridictions ont
réformé l’« utilisation transformatrice » afin de revigorer les autres facteurs énumérés
dans la disposition sur l’utilisation équitable, en particulier celui de la détermination
de l’impact de l’utilisation sur les marchés potentiels ou la valeur de l’œuvre copiée.
Ceci dit, d’autres oscillations jurisprudentielles, incarnées notamment par la récente
décision de la Cour suprême dans l’affaire Google v. Oracle6, rendent tout sauf fluide
le mouvement de balancier retour du pendule vers le centre.

     En ce sens, la présente chronique examinera d’abord la jurisprudence en matière
d’utilisation équitable concernant la création de nouvelles œuvres qui incorporent
des œuvres antérieures. À l’instar de l’étude précédente des affaires incluant une
utilisation équitable de 2008 à 2014, les affaires concernant l’« art d’appropriation »
continuent d’alimenter le rôle des juridictions, mais entraînent des résolutions plus
nuancées. Nous aborderons ensuite les affaires d’utilisation technologique équitable
dans le cas d’une « fin nouvelle », en commençant par la confirmation des juges du
2e circuit en 2015 dans l’affaire Google Books (la Chronique de 2014 traitait de la
décision du Tribunal de district dans cette affaire). Nous terminerons par une analyse
de la décision rendue par la Cour suprême en 2021 dans l’affaire Google v. Oracle en
proposant quelques pistes de réflexion concernant l’impact probable de cette décision
sur l’exception de l’utilisation équitable dans son ensemble.

6. 141 S. Ct. 1183 (2021).

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      I. ŒUVRES « TRANSFORMATRICES » : QUEL DEGRÉ D’« EMPRUNT »
L’UTILISATION ÉQUITABLE PEUT-ELLE EXCUSER ?

      Le pendule de l’utilisation équitable a commencé à reculer lors d’une controverse
concernant une pièce de théâtre qui avait incorporé un dialogue célèbre d’un film
d’Abbott et Costello. Le Tribunal de district avait estimé que l’incorporation mot pour
mot de l’œuvre première dans la pièce était transformatrice parce que le contexte général
de la pièce était complètement différent de celui de l’œuvre copiée7. La caractérisation
par le Tribunal de l’utilisation comme « transformatrice » l’a amenée à ne pas tenir
compte de la possibilité pour le producteur du film d’obtenir des licences pour des
extraits des dialogues du film8. La Cour du 2e circuit a infirmé cette décision, critiquant
le raisonnement « erroné » de la juridiction inférieure, qui confondait « l’objectif et
le caractère général, artistique et critique de la pièce » avec l’utilisation spécifique du
dialogue copié9. « Le Tribunal de district n’a pas expliqué comment la copie extensive
par les défendeurs d’une célèbre séquence comique était nécessaire à cet objectif, et
encore moins comment le caractère de la séquence a été transformé par l’utilisation
des défendeurs. »10 La Cour a ensuite estimé que l’incorporation verbatim n’était pas
transformatrice. En réponse à l’affirmation des défendeurs selon laquelle la pièce faisait
un usage dramatique différent du contenu copié, la Cour a ainsi rétorqué :

      La fonction « dramatique » de cette séquence dans la pièce semble s’apparenter
      à un « McGuffin », c’est-à-dire un dispositif théâtral qui met en place l’intrigue,

7. TCA Television Corp. v. McCollum, 151 F. Supp. 3d 419, 433-34 (S.D.N.Y. 2015), confirmé
sur autres motifs, 839 F.3d 168 (2e Circuit, 2016).
8. Idem, § 434-35.
9. McCollum, 839 F.3d à 179 (souligné dans le texte).
10. Idem.

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      mais qui n’a que peu, ou pas, de signification en soi. Pour faire avancer l’intrigue
      de la pièce, […] [le dramaturge] avait besoin que [le protagoniste] mente à
      propos de quelque chose et qu’un [autre personnage] l’interpelle à ce sujet. Mais
      le sujet particulier du mensonge – la séquence – ne semble pas pertinent en ce
      qui concerne cet objectif11.

      En l’espèce, le protagoniste a menti en disant avoir créé lui-même le dialogue
d’Abbott et Costello. Mais le protagoniste aurait pu mentir sur le fait d’avoir créé
n’importe quel dialogue ; il n’y avait aucune raison particulière pour que le personnage
plagie le travail du plaignant. La volonté de la Cour de s’engager dans une analyse
littéraire, en qualifiant l’utilisation de la séquence de « McGuffin », offre une
première indication du fait scepticisme avec lequel la Cour du 2e Circuit accueillera
les affirmations d’utilisation transformatrice.

      Les juges du 4e Circuit ont appliqué un degré d’examen similaire en renversant
la décision du Tribunal de district selon laquelle l’incorporation non autorisée d’une
vue photographique du quartier Adams Morgan de Washington D.C., dans un
site Web montrant les attractions touristiques de D.C. liées à un festival de films,
avait transformé l’objectif de l’œuvre copiée12. La Cour du 4e Circuit a, à cet effet,
critiqué l’acceptation crédule par le Tribunal de district de la défense de l’utilisation
transformatrice :

11. Idem § 182 (souligné dans le texte).
12. Brammer v. Violent Hues Prods., LLC (Violent Hues II), 922 F.3d 255, § 269 (4e Cir. 2019),
renversant la décision Brammer v. Violent Hues Prods., LLC (Violent Hues I), N° 17-cv-1009,
2018 U.S. Dist. LEXIS 98003 (E.D. Va. June 11, 2018).

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      Violent Hues a utilisé la photo expressément pour son contenu – c’est-à-dire
      pour représenter Adams Morgan – plutôt que pour l’organisation de données
      ou la préservation historique. De fait, la seule prétention de Violent Hues à
      la transformation est que son utilisation secondaire de la photo a fourni aux
      participants du festival du film des « informations » concernant Adams Morgan.
      Mais une telle utilisation ne crée pas nécessairement une nouvelle fonction
      ou une nouvelle signification qui élargit la création humaine ; si c’était le cas,
      pratiquement toutes les utilisations illustratives en matière de photographie
      seraient qualifiées de transformatrices.13

      La critique de la Cour du 4e Circuit peut contribuer à limiter les cas d’utilisations
équitables transformatrices « informationnelles ». Bien que les tribunaux aient opéré
la distinction entre les utilisations informationnelles et esthétiques des œuvres14,
soulignant par exemple que la copie faite dans le but de commenter ou d’écrire à
propos d’une œuvre peut être une utilisation équitable15, la distinction peut être
problématique, en particulier lorsqu’elle est appliquée aux photographies, car elles
possèdent les deux qualités. Toutes les photographies sont « informatives » dans la
mesure où elles montrent l’apparence de leurs sujets. En tant qu’œuvres originales
d’un auteur, elles sont également « esthétiques » dans la façon dont elles représentent

13. Idem, § 264.
14. En ce sens, V. par exemple Bill Graham Archives v. Dorling Kindersley Ltd., 448 F.3d 605,
609-10 (2e Circuit, 2006).
15. V. par exemple Penguin Random House LLC v. Colting, 270 F. Supp. 3d 736, 751 (S.D.N.Y.
2017) (« [S] i l’œuvre d’un défendeur décrit « brièvement » l’intrigue d’une œuvre protégée
par le droit d’auteur afin d’ajouter un commentaire significatif sur la technique d’intrigue
des auteurs, elle peut être protégée par l’utilisation équitable. Mais si le défendeur copie plus
que ce qui est nécessaire pour faciliter « le commentaire ou la critique », alors il ne sera pas
protégé ») ; Warner Bros. Ent. Inc. v. RDR Books, 575 F. Supp. 2d 513, 551 (S.D.N.Y. 2008)
(concluant que si la loi sur le droit d’auteur n’interdit pas catégoriquement d’écrire sur les
livres Harry Potter, l’« Encyclopédie Harry Potter » du défendeur copiait trop le matériel
source pour son objectif informatif ).

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leurs sujets. Si la copie « informative » visant à montrer l’apparence du sujet de la
photographie constituait une utilisation équitable « transformatrice », la plupart des
photographies ne bénéficieraient plus de la protection du droit d’auteur.

      Le Tribunal du district sud de New York a également rejeté une prétendue
utilisation équitable « informative » impliquant des photographies. Il s’agit de
l’affaire Fioranelli v. CBS Broad. Inc16 dans laquelle le plaignant, un photojournaliste,
a intenté une action en violation du droit d’auteur contre un producteur de films
documentaires qui avait incorporé ses photographies des événements du 11 septembre
2001. Le Tribunal a établi une distinction entre la copie d’une photographie dans
le but de la commenter et la copie d’une photographie dans le but d’illustrer les
événements décrits dans la photographie17, et a, in fine, estimé que ce dernier type
de copie caractérisait la plupart des utilisations du défendeur. La Cour a expliqué
les conséquences de la dissimulation de la copie de photographies illustrant des
événements historiques sous couvert de l’utilisation équitable informative :

      [S]i je devais accepter l’argument des défendeurs selon lequel, parce que
      les œuvres, prétendument en infraction, documentent un événement
      historique, l’utilisation secondaire devrait être considérée comme équitable,
      les photojournalistes, tels que le plaignant « seraient incapables d’obtenir des
      licences pour leurs photos et seraient effectivement sans emploi ». La carrière
      du plaignant est basée sur la capture de moments dignes d’intérêt et sur l’octroi

16. N°15-CV-0952, 2021 U.S. Dist. LEXIS 145311 (S.D.N.Y. 28 Juill. 2021).
17. V. idem, § 70 (« Cependant, les défendeurs semblent mal comprendre la signification
du commentaire, de la critique et du reportage dans le contexte de l’utilisation équitable.
« L’affichage d’une image ou d’une vidéo protégée par le droit d’auteur peut être transformé
lorsque l’utilisation sert à illustrer une critique, un commentaire ou un reportage sur l’œuvre en
question. » » (citant Barcroft Media, Ltd. v. Coed Media Grp., LLC, 297 F. Supp. 3d 339, § 352
(S.D.N.Y. 2017) (souligné dans le texte)).

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          partie i: le pendule de l’utilisation équitable [fair use] oscille

      de licences pour ces séquences à des producteurs comme CBS. L’argument des
      défendeurs, s’il est accepté, éliminerait effectivement le gagne-pain de nombreux
      photojournalistes comme le plaignant.18

      À l’instar des juges du 4e circuit, ceux du 9e circuit ont mis un frein à la
détermination généreuse de l’utilisation transformatrice, dans une affaire concernant
un « mashup » combinant des éléments de deux œuvres différentes – le livre illustré
« Oh, the Places You’ll Go », de l’auteur pour enfants « Dr Seuss », et la série télévisée
populaire des années 1960 « Star Trek » – dans un livre illustré intitulé « Oh the Places
You’ll Boldly Go »19. Le Tribunal avait estimé que la « réaffectation » des histoires
et des images du Dr. Seuss dans une histoire basée sur Star Trek constituait une
transformation20. Bien que les défendeurs aient copié des éléments significatifs, le
facteur « quantité et substantialité » a joué en leur faveur, selon le Tribunal, parce
qu’ils « n’ont finalement pas utilisé les mots du Dr. Seuss, son personnage ou son
univers » et n’ont donc pas pris plus que ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif
de transformation du mashup21. En ce qui concerne le quatrième facteur, après avoir
conclu que l’œuvre des défendeurs était transformative, le Tribunal de district a
fait peser sur le demandeur la charge de « démontrer par une prépondérance de la
preuve que Boldly est susceptible de nuire substantiellement au marché de Go ! ou
des œuvres dérivés sous licence de Go ! »22. Le Tribunal a, in fine, déterminé que tout

18. Idem, § 80-81 (citant BWP Media USA, Inc. v. Gossip Cop Media, Inc., 196 F. Supp. 3d
395, 406 n.6 (S.D.N.Y. 2016)).
19. Le titre du mashup reprenait les premiers mots de chaque épisode « Space, the final frontier/
There are the voyages of the Starship Enterprise/Its five year mission/To explore strange new worlds/
To seek out new life/And new civilizations/To boldly go where no man has gone before » (nous
soulignons). Les producteurs de Star Trek n’étaient pas parties au litige.
20. Dr. Seuss Enters., L.P. v. ComicMix LLC, 372 F. Supp. 3d 1101, § 1115-16 (S.D. Cal.
2019), infirmé par 983 F.3d 443 (9e Circuit, 2020).
21. Idem, § 1118.
22. Idem, § 1120.

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préjudice était simplement « hypothétique »23 et a décidé que le quatrième facteur
ne favorisait aucune des parties.24 Toutefois, dans son analyse du quatrième facteur,
le Tribunal a souligné à plusieurs reprises l’intérêt des défendeurs à faire un usage
créatif et non concurrentiel (selon le Tribunal) de l’œuvre du plaignant25. Cette
discussion rappelle l’avis du Tribunal de district dans une phase antérieure du litige
partiellement déboutant les demandeurs de leur cause. En effet, dans cet avis il a
caractérisé l’affaire comme « présentant une question importante concernant la culture
émergente du « mashup » où les artistes combinent deux œuvres indépendantes d’une
manière nouvelle et unique », et a exprimé sa crainte que, si le demandeur l’emportait
contre la défense d’utilisation équitable, « une catégorie entière d’œuvres hautement
créatives serait effectivement exclue ».26

      La Cour d’appel a infirmé cette décision, estimant que « tous les facteurs
énumérés dans la loi pèsent de manière décisive contre ComicMix et qu’aucun

23. Idem.
24. Idem, § 1125.
25. Idem, § 1119-25.
26. Dr. Seuss Enters., L.P. v. ComicMix, LLC 256 F. Supp. 2d 1101, 1109 (S.D. Cal. 2017)
(requête en irrecevabilité). Tant la Cour de district que celle du 9e circuit ont convenu que
le mashup Seuss/Star Trek ne constituant pas une parodie. Dans la législation américaine en
matière de droit d’auteur, contrairement à la législation européenne, une parodie doit dans
une certaine mesure commenter ou critiquer l’œuvre copiée. En ce sens, comparez l’affaire
C-201/13, Deckmyn v. Vandersteen, ECLI : EU : C : 2014:2132, § 33 (3 septembre 2014)
(jugeant que « le concept de « parodie » […] n’est pas soumis à la condition que la parodie […]
se rapporte à l’œuvre originale elle-même ou mentionne la source de l’œuvre parodiée »), avec,
par ex, Rogers v. Koons, 960 F.2d 301, § 310 (2e Circuit, 1992) (« [L]’œuvre copiée doit être,
au moins en partie, un objet de la parodie, sinon il ne serait pas nécessaire d’évoquer l’œuvre
originale »). Contrairement au droit européen, les États-Unis ne disposent pas non plus d’une
catégorie distincte d’exemptions pour le « pastiche », qui pourrait englober les mashups. Un
mashup peut être considéré comme une utilisation équitable, si l’analyse, pour chaque cas, des
quatre facteurs énumérés dans la loi pèse en sa faveur. Voir Dr. Seuss Enters, L.P. v. ComicMix
LLC, 983 F.3d 443, § 452 (9e Circuit, 2020) (« [N] ous ne nous demandons pas si les mashups
peuvent constituer une utilisation équitable – ils peuvent l’être – mais si [une œuvre donnée]
est […] transformative. »)

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chronique de droit américain
        partie i: le pendule de l’utilisation équitable [fair use] oscille

principe de droit d’auteur ne permet d’admettre le contraire »27. La Cour a été
particulièrement critique à l’égard de la conclusion du Tribunal de district concernant
le caractère transformateur :

     La revendication de l’utilisation transformatrice de Boldly repose sur le fait qu’elle
     possède un « contenu nouveau étendu ». Mais l’ajout d’une nouvelle expression
     à une œuvre existante ne donne pas carte blanche qui rend l’utilisation de
     l’original transformatrice. La nouvelle expression doit être accompagnée des
     critères de l’utilisation transformatrice. […] (Ceux-ci sont) (1) « un autre but ou
     un caractère différent » dans la création du défendeur, c’est-à-dire, « la création
     de nouvelles informations, d’une nouvelle esthétique, de nouveaux aperçus et
     d’une nouvelle compréhension » ; (2) « une nouvelle expression, signification
     ou message » par rapport à l’œuvre originale, c’est-à-dire, une « valeur ajoutée
     par rapport à l’original » ; et (3) l’utilisation de la matière citée comme « matière
     première », au lieu de la reconditionner et de « simplement remplacer les objets
     de la création originale ».28

     Selon les juges du 9e circuit, Boldly ne répondait à aucun de ces « critères » :
l’œuvre des défendeurs reconditionnait les originaux de Seuss, sans leur donner
un nouveau sens29. De plus, la Cour d’appel a déduit de l’offre des défendeurs de
remplacer le matériel le plus étendu et le plus fidèlement copié une admission que
son mashup « aurait pu être créé sans copie massive ».30 Le silence de la Cour au sujet
des mashups en tant que genre indique qu’elle ne partage pas la crainte de la Cour de

27. ComicMix, 983 F.3d au § 451.
28. Idem, § 453.
29. Idem, § 453-54.
30. Idem, § 458.

                                                                                       103
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district que le rejet de la défense de son utilisation équitable mette en danger « tout un
ensemble d’œuvres hautement créatives ». En fait, l’argument de la Cour de district
se révèle excessif, car on pourrait avancer la même revendication pour n’importe quel
type d’œuvre dérivée. Par exemple, on pourrait tout aussi bien prétendre que si la
réalisation d’un film basé sur un roman ne constituait pas une utilisation équitable,
alors le genre hautement créatif des adaptations cinématographiques pourrait
également être « mis en péril ». Mais, il est évident que, ces adaptations survivent
et prospèrent – grâce aux licences accordées par les auteurs des œuvres en question.

      Après avoir fait savoir à la Cour de district qu’elle avait commis « une erreur » en
transférant la charge de la preuve du quatrième facteur au plaignant31, les juges du 9e
circuit ont été particulièrement critiques vis-à-vis de la place qu’avait prise la question
de savoir si l’œuvre du défendeur s’est substituée aux ventes du livre original, plutôt
que de se concentrer sur le fait que Boldly pouvait supplanter les marchés de licences
de Seuss pour des variations de Oh the Places You’ll Go. De plus, elle n’a accordé aucun
crédit à l’argument des défendeurs selon lequel le Dr Seuss ne leur aurait de toute
façon pas accordé de licence. « [L]a loi ne limite pas la portée du marché pertinent
aux produits déjà fabriqués ou en cours de fabrication. […] Seuss a certainement
le droit de prendre « la décision artistique de ne pas saturer ces marchés avec des
variations de son original » »32. En d’autres termes, un défendeur affecte de manière
négative le « marché potentiel de la valeur de l’œuvre protégée par le droit d’auteur »33
en occupant un marché que l’auteur a choisi de ne pas exploiter, qu’il s’agisse d’une
décision principalement économique (pour empêcher qu’un type d’œuvre dérivée
n’en sous-estime un autre) ou artistique (par exemple, un romancier refuse de créer
31. Idem.
32. Idem, § 461 (référence de la citation incluse omise).
33. 17 U.S.C. § 107 (4).

104
chronique de droit américain
         partie i: le pendule de l’utilisation équitable [fair use] oscille

ou d’autoriser des suites). Comme nous le verrons, l’attention renouvelée portée
à l’impact de l’œuvre du défendeur sur les perspectives d’octroi de licences pour
l’œuvre du demandeur contribue à redresser les déséquilibres qui avaient découlé
de l’appréciation extensive par certaines cours du caractère « transformable » d’une
œuvre.

      La catégorie la plus controversée en matière d’affaires d’utilisation équitable pour
des « œuvres nouvelles » est probablement celle concernant l’« art d’appropriation ».
Les artistes « d’appropriation » ont bénéficié d’une marge de manœuvre substantielle
dans l’incorporation d’œuvres d’autres artistes. Tout particulièrement concernant la
photographie, « matière première » sujette à des remaniements « transformateurs »,
comme ce fut notamment le cas dans l’affaire (célèbre) Cariou v. Prince34, une
décision de la Cour du 2e Circuit en 2013, analysée dans la notre Chronique de 2014.
Dans cette affaire, que les juges du 2e Circuit ont par la suite qualifiée de « niveau
standard » de l’analyse en matière d’utilisation équitable35, l’artiste Richard Prince a
créé une série de 30 peintures, intitulées Canal Zone, pour lesquelles il a décuplé des
images tirées du livre Yes, Rasta du photojournaliste Patrick Cariou et les a transférées
sur des toiles36. Ces peintures superposaient parfois des couleurs ou d’autres éléments
sur des images, par ailleurs inchangées, ou incorporaient des images dans un collage
avec d’autres images tirées du livre de Cariou ou d’autres sources37. La Cour a jugé
que toutes ces images, sauf cinq, correspondaient à une utilisation équitable38.

34. 714 F.3d, § 694 (2e Circuit, 2013).
35. Andy Warhol Found. for Visual Arts, Inc. v. Goldsmith (Andy Warhol II), 11 F.4th 26, § 38
(2e Circuit, 2021) (citant TCA Television Corp. v. McCollum, 839 F.3d 168, § 181 (2e Circuit,
2016)).
36. Cariou, 714 F.3d, § 699-703.
37. V. idem, § 700-02.
38. Idem, § 712.

                                                                                         105
revue internationale du droit d’auteur

      Une Cour de district a utilisé Cariou comme point de comparaison pour
s’interroger sur le caractère transformateur d’une appropriation plus étendue et
moins remaniée que les images issues de Canal Zone, jugées comme constituant
légalement une utilisation équitable par la Cour du 2e circuit ont estimé. Ainsi,
dans l’affaire Graham v. Prince39, une autre controverse impliquant l’appropriation
par Richard Prince de l’image d’un rastafari par un autre photographe (voir ci-
dessous), le Southern District of New York (une juridiction inférieure au sein du 2e
Circuit) a rejeté une motion de rejet, dans une analyse indiquant fortement qu’un
procès ultérieur sur le fond conduirait à un rejet de la défense d’une utilisation
équitable.

      La Cour a rappelé que dans l’affaire Cariou, « [l]a majorité a souligné les
différences esthétiques substantielles entre les œuvres, en soulignant que Prince avait
modifié « fondamentalement » la composition, la présentation, l’échelle, la palette de

39. 265 F. Supp. 3d 366 (S.D.N.Y. 2017).

106
chronique de droit américain
         partie i: le pendule de l’utilisation équitable [fair use] oscille

couleurs et le support des photographies originales »40. En revanche, dans le cas de
Graham, « un observateur [raisonnable] se doit de conclure que l’œuvre Untitled de
Prince n’obscurcit pas et ne modifie pas si fortement le Rastafarian Smoking a Joint
de Graham de façon à rendre la photographie originale « à peine reconnaissable ».
L’image principale des deux œuvres est la photographie elle-même. Prince n’a pas
matériellement altéré [l’œuvre de Graham] »41.

      Graham a anticipé le confinement ultérieur de Cariou v. Prince par la Cour
du 2e circuit dans sa décision de 2021 Andy Warhol Found. for the Visual Arts v.
Goldsmith42. La Cour d’appel a en effet reconnu que : « Bien que nous restons liés par
l’arrêt Cariou, et que nous n’ayons ni l’occasion ni le désir de remettre en question son
exactitude sur ses propres faits, notre examen de la décision ci-dessous nous persuade
qu’une certaine clarification s’impose. »43 La « clarification » (un euphémisme
pour un quasi-revirement ?) est intervenue dans le cadre d’une action en jugement
déclaratoire intentée par la Fondation Andy Warhol (« AWF ») contre la photographe
Lynn Goldsmith, qui avait réalisé un portrait de l’artiste Prince en 1981 (voir ci-
dessous). En 1984, Goldsmith a accordé une licence de 400 $ pour la photographie
« au magazine Vanity Fair pour l’utiliser comme référence d’artiste »44. Vanity Fair
a demandé à Andy Warhol de créer une illustration basée sur la photographie et
a publié l’illustration de Warhol afin d’accompagner un article sur Prince dans le

40. Idem, § 378 (citant Cariou, 714 F.3d, § 706). La Cour dans l’affaire Graham a noté que
« [c]es changements étaient suffisants pour rendre vingt-cinq des trente œuvres de Canal Zone
en question transformatrices d’un point de vue légal », idem.
41. Idem, § 381 (citant Cariou, 714 F.3d, § 706, 710).
42. Andy Warhol Found. for the Visual Arts, Inc. v. Goldsmith (Andy Warhol I), 992 F.3d 99 (2e
Circuit, 2021), opinion retirée et remplacée lors de la nouvelle audition, Andy Warhol II, 11
F.4th 26 (2e Circuit, 2021).
43. Andy Warhol II, 11 F.4th, § 38.
44. Idem, § 34.

                                                                                          107
revue internationale du droit d’auteur

numéro de novembre 1984 de Vanity Fair45. L’illustration publiée dans Vanity Fair
faisait partie d’une série de 16 sérigraphies, impressions et dessins que Warhol a
créés à partir de la photographie de Goldsmith46. Après la mort de Prince en 2016,
Vanity Fair a obtenu une licence d’AWF pour republier l’une des images de Warhol
(une autre que celle que le magazine avait imprimée en 1984) sur la couverture d’un
numéro spécial du magazine consacré à l’interprète (voir ci-dessous)47. Vanity Fair n’a
pas obtenu de licence auprès de Goldsmith, et son numéro spécial n’a pas mentionné
la source de la photographie, alors que le numéro de novembre 1984 incluait une
mention de la source48.

                                               Andy Warhol, Prince (pour Vanity Fair).

Photo : Lynn Goldsmith.

45. Idem.
46. Idem.
47. Idem, § 35.
48. Idem.

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          partie i: le pendule de l’utilisation équitable [fair use] oscille

      La Cour de district a confirmé la défense d’AWF concernant l’utilisation
équitable, estimant que les sérigraphies de Warhol constituaient une transformation
(« chaque œuvre de la série Prince est immédiatement reconnaissable comme étant un
« Warhol » plutôt qu’une photographie de Prince ») et qu’il était peu probable qu’elles
supplantent le marché de la photographie de Goldsmith (« Il est clair que les marchés,
en matière beaux-arts, pour un Warhol et pour un Goldsmith sont différents »)49.
La Cour a également fait peu de cas de l’affirmation de Goldsmith selon laquelle
l’utilisation sans licence d’AWF a fait concurrence à sa capacité d’obtenir une licence
pour sa photographie : « cela ne suggère pas qu’un magazine ou une maison de
disques accorderait une licence pour une œuvre transformatrice de Warhol au lieu
d’une photographie réaliste de Goldsmith »50. L’analyse de la Cour de district suggère
que Warhol peut légitimement empêcher Goldsmith d’obtenir une licence pour son
œuvre simplement parce qu’il est plus célèbre et reconnaissable qu’elle. On aurait
alors pu plutôt se demander dans le cas où le public veut « un Warhol », faut-il que
ce soit un Warhol d’un Goldsmith ? L’approche de la Cour de première instance a
soutenu la critique selon laquelle une exemption pour « utilisation transformatrice »
est en conflit avec l’octroi par la loi sur le droit d’auteur de droits exclusifs pour la
création d’œuvres dérivées ; la loi définit celles-ci comme englobant toute « forme
dans laquelle une œuvre peut être refondue, transformée ou adaptée »51. La nécessité
49. Andy Warhol Found. for the Visual Arts v. Goldsmith, 382 F. Supp. 3d 312, § 326, § 330
(S.D.N.Y. 2019).
50. Idem, § 330-31.
51. 17 U.S.C. § 101 (nous soulignons). Voir, par exemple, Authors Guild v. Google, Inc. (Google
Books), 804 F.3d 202, § 215 (2e Circuit, 2015) (« Une autre complication qui peut résulter
d’une confiance trop simpliste dans le fait de savoir si la copie implique une transformation est
que le mot « transformer » joue également un rôle dans la définition des « œuvres dérivées »,
sur lesquelles le titulaire original des droits conserve un contrôle exclusif. ») ; Kienitz v Sconnie
Nation LLC, 766 F.3 d 756, § 758 (7e Circuit, 2014) (« Nous sommes sceptiques quant à
l’approche de Cariou, car demander exclusivement si quelque chose est « transformateur »
non seulement remplace la liste du § 107, mais pourrait également passer outre le 17 U.S.C.
§ 106 (2), qui protège les œuvres dérivées. Dire qu’une nouvelle utilisation transforme l’œuvre
revient précisément à dire qu’elle est dérivée et donc, on peut le supposer, protégée par le

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persistante de réconcilier l’utilisation équitable « transformatrice » avec le droit de
l’auteur de réaliser des œuvres dérivées, ainsi que d’éviter les excès de Cariou, est
ainsi à l’origine de l’annulation de la décision de la Cour de district par les juges du
2e circuit.

      En ce qui concerne le premier facteur, les juges du 2e circuit se sont appuyés
sur la qualification de la Cour suprême, en matière d’utilisation équitable, selon
laquelle il y a transformation : « si la nouvelle œuvre ne fait que remplacer les objets
de la création originale, ou si elle ajoute quelque chose de nouveau, avec un autre
but ou un caractère différent, modifiant la première avec une nouvelle expression,
signification ou message »52. Mais la Cour du 2e circuit a critiqué la Cour de district
pour avoir appliqué une règle stricte « selon laquelle toute œuvre secondaire qui
ajoute une nouvelle esthétique ou une nouvelle expression à son matériel source est
nécessairement transformatrice »53. En écho à la comparaison dressée par la Cour
de district dans l’affaire Graham, la Cour ayant entendu l’affaire Andy Warhol a
mentionné les cinq œuvres (sur 30) de l’affaire Cariou qu’elle n’avait pas considérées
comme une utilisation juridiquement équitable, en indiquant que si les modifications
minimes apportées par Prince à ces photographies « ont certainement conféré aux
originaux dont elles sont dérivées une « nouvelle esthétique » », néanmoins, les
modifications n’étaient pas suffisamment substantielles pour permettre à la Cour de
déterminer une utilisation juridiquement équitable.54

§ 106 (2). Cariou et les jurisprudences antérieurs de la Cour du 2e circuit n’expliquent pas
comment chaque « utilisation transformatrice » peut constituer une « utilisation équitable »
sans éteindre les droits de l’auteur en vertu du § 106 (2) ».)
52. Andy Warhol II, 11 F.4th § 37 (citant Campbell v. Acuff-Rose Music, Inc., 510 U.S. 569,
§ 579 (1994)).
53. Idem, § 38-39.
54. Idem, § 39 (citant Cariou v. Prince, 714 F.3d 694, § 711 (2e Circuit, 2013)).

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chronique de droit américain
         partie i: le pendule de l’utilisation équitable [fair use] oscille

      De manière tout aussi importante, la Cour a enfin fait face à la tension entre
une utilisation équitable transformatrice et le droit exclusif de l’auteur de réaliser, ou
d’autoriser, la réalisation d’œuvres dérivées. Selon les dispositions législatives, une
œuvre qui a été « transformée » est une œuvre dérivée55. Mais si la « transformation »
d’une œuvre constitue une utilisation équitable, alors l’exception au droit d’auteur
semble annuler l’un des droits exclusifs de l’auteur. La Cour du 2e circuit a alors
reconnu qu’« un standard trop libéral en matière de transformation, tel que celui
employé par le Tribunal de district dans cette affaire, risque d’évincer la protection
légale pour les œuvres dérivées »56. La Cour a admis que sa caractérisation des œuvres
dérivées dans l’affaire Cariou « en tant qu’œuvres secondaires présentant simplement
“le même matériel, mais sous une nouvelle forme”» sans “ajouter quelque chose de
nouveau” »57 pouvait être « susceptible d’une application erronée […]. En effet, de
nombreuses œuvres dérivées […] ajoutent quelque chose de nouveau à leur matériel
source […] »58. Afin de préserver la viabilité du droit sur les œuvres dérivées tout en
conservant le caractère « transformateur » en tant que considération pertinente (mais
non déterminante) de leur utilisation équitable, la Cour a revu sa jurisprudence sur
l’utilisation équitable en matière d’art d’appropriation.

      Le fil conducteur de ces affaires est que, lorsqu’une œuvre secondaire ne
      commente pas ou ne se rapporte pas de manière évidente à l’original ou
      n’utilise pas l’original dans un but autre que celui pour lequel il a été créé,
      la simple affirmation d’une « utilisation artistique supérieure ou différente »
      est insuffisante pour rendre une œuvre transformatrice. Au contraire, l’œuvre

55. 17 U.S.C. § 101.
56. Andy Warhol II, 11 F.4th, § 39.
57. Idem, (citant Cariou, 714 F.3d, § 708).
58. Idem.

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      secondaire elle-même doit être raisonnablement perçue comme incarnant
      un objectif artistique distinct, qui transmet une nouvelle signification ou un
      message séparé de son matériel source. Bien que nous ne puissions pas, et
      n’essayons pas, de cataloguer toutes les façons dont un artiste peut atteindre
      ce but, nous notons que les œuvres qui l’ont fait jusqu’à présent étaient elles-
      mêmes des œuvres d’art distinctes qui puisaient dans de nombreuses sources,
      plutôt que des œuvres qui modifient ou refondent simplement une seule œuvre
      avec l’aide d’une nouvelle esthétique.59

      La Cour n’a pas exclu la possibilité que le retraitement d’une seule œuvre
antérieure puisse être « transformateur », mais « l’objectif et le caractère transformateur
de l’œuvre secondaire doivent, à tout le moins, comprendre quelque chose de plus
que l’imposition du style d’un autre artiste sur l’œuvre primaire, de telle sorte que
l’œuvre secondaire continue à dériver de manière reconnaissable de son matériel
source et à en conserver les éléments essentiels »60. Comme les adaptations d’œuvres
dérivées, les révisions apportées par Warhol à la photographie de Goldsmith ont
modifié le support, mais « la photographie de Goldsmith reste la base reconnaissable
sur laquelle la série Prince est construite »61. La Cour du 2e circuit s’est alors attaquée
à l’un des raisonnements les plus maladroits du Tribunal de district pour arriver à la
conclusion que les remaniements de Warhol constituaient une utilisation équitable
transformatrice :

      Enfin, nous nous sentons obligés de préciser qu’il n’est absolument pas pertinent
      pour cette analyse que « chaque œuvre de la série Prince soit immédiatement
59. Idem, § 41 (référence de la citation incluse omise).
60. Idem, § 42.
61. Idem, § 43.

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chronique de droit américain
         partie i: le pendule de l’utilisation équitable [fair use] oscille

      reconnaissable comme un « Warhol » ». Une telle logique créerait inévitablement
      un privilège de célébrité-plagiaire ; plus l’artiste est reconnu et plus son style est
      distinct, plus il aurait la possibilité de s’approprier le travail créatif d’autrui.
      Mais la Loi n’établit pas de telles distinctions ; le fait que les images de la série
      Prince présentent le style et les caractéristiques typiques de l’œuvre de Warhol
      (ce qui est le cas) ne permet pas de déterminer si elles peuvent être considérées
      comme une utilisation équitable en vertu du Copyright Act.62

      Les juges du 2e circuit ont également noté que l’utilisation de Warhol était
« de nature commerciale, mais […] produit une valeur artistique qui sert l’intérêt
public supérieur. […] Néanmoins, tout comme nous ne pouvons pas affirmer que la
série Prince est légalement une œuvre transformatrice, nous ne pouvons pas non plus
conclure que Warhol et AWF ont le droit de la monétiser sans payer à Goldsmith le
« prix standard » des droits sur son œuvre […] »63.

      Le troisième facteur d’utilisation équitable, à savoir la quantité et la substantialité
de l’utilisation, critère à partir duquel les juridictions examinent la question de savoir
si un défendeur a pris plus que ce qui était nécessaire pour son objectif d’utilisation
équitable, a suscité une autre forte critique de l’analyse du Tribunal de district.
Bien que Warhol ait repris l’intégralité de la représentation du visage de Prince par
Goldsmith (mais pas sa présentation du torse), le Tribunal de district a estimé que
cette copie n’était ni quantitativement ni qualitativement substantielle parce que le
traitement de la photographie par Warhol, en supprimant son contraste et en lui
substituant un schéma de couleurs complètement différent, n’a essentiellement

62. Idem, (référence de la citation incluse omise).
63. Idem, § 44.

                                                                                         113
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copié que le « visage » de Prince, sans tenir compte des contributions expressives de
Goldsmith. La Cour du 2e circuit a réaffirmé que

      le produit final de Warhol n’est pas simplement une sérigraphie basée de manière
      identifiable sur une photographie de Prince. Il s’agit plutôt d’une sérigraphie
      facilement identifiable comme étant dérivée d’une photographie spécifique de
      Prince, la photographie Goldsmith. […] L’appropriation de la photographie
      Goldsmith par Warhol ne peut pas non plus être considérée comme raisonnable
      par rapport à son objectif. Bien que Warhol ait vraisemblablement eu besoin
      d’une photographie de Prince pour créer la série Prince, AWF ne donne aucune
      raison pour laquelle il avait besoin de la photographie de Goldsmith64.

      L’analyse par la Cour du quatrième facteur – l’effet de l’utilisation sur le marché
potentiel de l’œuvre protégée par le droit d’auteur – a mis l’accent sur des considérations
que les affaires antérieures d’utilisation transformatrice ont parfois occultées. La Cour
a commencé par souligner que l’enquête sur les dommages au marché doit prendre
en compte l’impact de l’utilisation si elle se répandait.65 Le Tribunal de district a
affirmé de façon plutôt dédaigneuse que nul ne cherchant un Warhol ne souhaiterait
acquérir un Goldsmith, et que les œuvres n’étaient donc pas en concurrence ; quant
à elle, la Cour du 2e Circuit a admis que le « marché primaire » des artistes pouvait
être différent.66 Mais elle a mis l’accent sur le marché des œuvres dérivées qui consiste
à concéder des images sous licence en tant que « référence d’artiste » que d’autres
artistes peuvent styliser.67 Andy Warhol était donc, en ce qui concerne le quatrième

64. Idem, § 47 (souligné dans le texte).
65. Idem, § 48.
66. Idem.
67. Idem, § 50.

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