Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des réactions à l'insécurité aux fondements des politiques publiques Civility and ...
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Document generated on 04/17/2023 11:11 a.m. Lien social et Politiques Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des réactions à l’insécurité aux fondements des politiques publiques Civility and citizens’ committees in Marseilles and Quebec City. From public safety concerns to public policy Caroline Patsias Number 57, printemps 2007 Article abstract This article draws on cases studies of two citizen groups, one in France and one Les compétences civiles, entre État sécuritaire et État social in Quebec. It follows the reactions and mobilisations of the residents of two low-income neighbourhoods in situations where they consider their safety at URI: https://id.erudit.org/iderudit/016387ar risk. Reminding us that demands for security raise issues about how to live DOI: https://doi.org/10.7202/016387ar together, the analysis finds that the issues are understood differently in France and Quebec. This divergence is more due to the structuration of national political space than the result of differences in the demands themselves. The See table of contents article calls, therefore, for attention to state-civil society relations. Publisher(s) Lien social et Politiques ISSN 1204-3206 (print) 1703-9665 (digital) Explore this journal Cite this article Patsias, C. (2007). Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des réactions à l’insécurité aux fondements des politiques publiques. Lien social et Politiques, (57), 47–61. https://doi.org/10.7202/016387ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2007 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
LSP 57-12 14/05/07 16:02 Page 47 Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des réactions à l’insécurité aux fondements des politiques publiques Caroline Patsias À l’automne 1993, la Revue nance » dans la montée de l’insécu- † « vision binaire » que celles-ci sup- † † internationale d’action communau- rité (Chabanet, 1999 ; Gleizal, † posent (Beaud et Pialloux, 2005). taire consacrait déjà un numéro au 1999 ; Crawford, 2001). Les † À cette fin, et d’abord du point de thème de « l’insécurité, la peur de † secondes interrogent les compor- vue de la discipline, nous avons la peur ». Dix ans après, l’insécurité † tements entourant le phénomène mis l’accent à la fois sur les mobi- demeure une question d’actualité, de l’insécurité, les causes et les lisations face à l’insécurité et sur comme l’illustrent les « violences † conséquences sociales de celui-ci. la lecture de ces mobilisations à urbaines » qui ont marqué le mois † Du point de vue des arguments travers les politiques publiques d’octobre 2005, en France, ou avancés et des objets étudiés, les instaurées. Ensuite, du point de encore la volonté du gouverne- analyses, particulièrement euro- vue des objets, nous avons choisi ment Harper au Canada de réfor- péennes, opposent ville-centre et comme lieu d’enquête des mer le Code criminel. La presse banlieue, et les populations groupes situés dans des quartiers comme les analystes ont large- qu’elles abritent, l’une nantie et paupérisés et reconnus comme ment pris acte du phénomène. bourgeoise, l’autre jadis ouvrière, problématiques sur le plan de l’in- aujourd’hui « précaire » et issue de † † sécurité et de l’immigration. Il Grosso modo, les propos déve- l’immigration. Ainsi, et selon les s’agit donc d’examiner l’insécurité loppés croisent deux axes. Du orientations idéologiques, les à l’intérieur des zones dites « dan- † point de vue de la discipline, les émeutes ou les actes de délin- gereuses » ou « sensibles » et les † † † analyses opposent les approches quance mettent face à face « les † comportements de populations se concentrant sur les politiques racailles » et les « vrais jeunes », ou † † † elles-mêmes défavorisées. publiques et les analyses sociolo- sont l’expression d’un mal-être giques. Les premières s’intéressent En partant des réactions à l’in- social et d’une exclusion écono- au « traitement » de l’insécurité, sécurité, notre perspective pré- mique et politique (Belaïd et al., † † c’est-à-dire l’efficacité des poli- sente l’avantage d’ouvrir l’analyse 2006 ; Duprez et Heldi, 1992). † tiques de sécurité publique ; elles † non seulement aux actions collec- peuvent aussi questionner le rôle Notre perspective tente de sor- tives, mais aussi aux comporte- des institutions et de la « gouver- † tir de ces oppositions et de la ments individuels face à Lien social et Politiques–RIAC, 57, Les compétences civiles. Entre État sécuritaire et État social. Printemps 2007, pages 47 à 61.
LSP 57-12 14/05/07 16:02 Page 48 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 57 intègrent l’État et, d’autre part, tements de précaution dans le d’examiner comment les réactions rapport à autrui, la civilité est Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des réactions à l’insécurité aux des citoyens sont appréhendées significative des comportements fondements des politiques publiques par l’État à travers les politiques d’autorégulation des citoyens de sécurité publique. Plus précisé- quant au maintien de la sécurité ment, si les réactions des citoyens au sein d’un territoire. En élargis- à l’insécurité sont similaires, sont- sant la réflexion aux relations elles pour autant traitées de la sociales, elle souligne comment le même façon par les politiques de sentiment d’insécurité dépasse la sécurité publique ? Si non, com- † simple appréhension individuelle ment expliquer les différences pour interroger les fondements de entre les politiques publiques la collectivité et l’« accord social » † † 48 dans chaque cadre national ? † sur lequel celle-ci repose. En ouvrant l’analyse au traitement Sortir des oppositions précé- des incivilités à travers les poli- l’insécurité. Penser d’emblée les dentes en analysant les réactions tiques de sécurité publique, elle revendications « sécuritaires » au des acteurs devant l’insécurité et initie une réflexion sur les média- † † sein d’une réflexion sur les mou- les politiques publiques menées, tions entre société civile et État. vements sociaux serait présumer tout en en insistant sur les proces- La notion de civilité sera donc le du sens des mobilisations consta- sus sociaux engagés dans les réac- fil directeur de notre argument, tées. Le risque serait alors que l’on tions face au sentiment d’insécurité qui va des réactions et des mobili- élude toute réflexion sur la façon nous a incitée à concentrer notre sations face à l’insécurité jusqu’à dont des groupes comme les comi- propos autour de la « civilité ». † † la place que celles-ci occupent tés de citoyens permettent la tran- Davantage notion que concept, la dans les fondements et la mise en sition entre des comportements civilité désigne l’ensemble des œuvre des politiques publiques. individuels (suscités par un senti- codes sociaux légaux et infralégaux ment de peur) et l’action collec- qui permettent un réglage de la Afin de satisfaire aux ambitions tive. Il y aurait également le risque distance sociale, constitutif du lien de la réflexion, notre stratégie de que l’analyse fasse peu de place civil et nécessaire à la vie en société recherche s’est appuyée sur une aux comportements d’autorégula- (Bourricaud, 1989). Le respect de enquête qualitative auprès de deux tion de la sécurité, lesquels peu- la civilité est le gage de l’innocuité comités de citoyens : le Comité † vent être individuels et ne pas du rapport à autrui. À l’inverse, son d’intérêt de quartier Saint-André à s’adresser à l’État. Comme le sou- non-respect, les « incivilités », intro- † † Marseille (CIQ) et le Comité de ligne Michel Anselme (1993), la duisent de l’incertitude dans les citoyens du quartier Saint-Sauveur sécurité engage un rapport à rapports sociaux et rendent le rap- à Québec (CCQSS). Cerner les autrui qui questionne les liens port à autrui potentiellement réactions face au sentiment d’insé- sociaux quotidiens. La perspective menaçant. Mais cette menace n’est curité et les situations auxquelles choisie entend donc ne pas négli- pas uniquement individuelle, elle renvoie ce sentiment nécessite de ger cette dimension quotidienne est aussi collective. À travers le res- saisir le point de vue des acteurs et du sentiment d’insécurité afin de pect de codes sociaux qui reflètent a donc justifié une approche com- mieux comprendre comment les normes et les valeurs d’une préhensive. Réunissant des habi- celle-ci peut nourrir certaines société donnée, la civilité incarne tants, ces groupes ont pour but revendications politiques. aussi un ordre social, un « ordre en † d’améliorer la qualité de vie dans public », et est garante de la possi- † leur quartier respectif et de favori- À cet égard, relier les compor- ser l’implication politique des bilité du lien civil (Elias, 1973 ; † tements sociaux aux politiques citoyens. À Marseille, les CIQ relè- Goffman, 1973 ; Pharo, 1985). † publiques permet d’une part, de vent du mouvement associatif. questionner la façon dont les La notion de civilité sert nos Moribonds avant le début de la demandes et les pratiques rela- ambitions de recherche à trois Seconde Guerre mondiale, ils vont tives à la sécurité des citoyens égards. En illustrant des compor- connaître une nouvelle impulsion
LSP 57-12 14/05/07 16:02 Page 49 sous l’influence du maire de de la ville, dont la majorité pro- mobilisations face à l’insécurité, l’époque, Gaston Defferre, qui a vient de Bosnie-Herzégovine. dépendent de processus sociaux contribué à faire de ceux-ci des ins- Comme à Saint-André, le comité renvoyant à l’identité et à l’appar- truments de clientèle au service de regroupe cependant en majorité, tenance à toute collectivité et la la gouverne locale. S’ils revendi- une population de souche, tribu- spécificité des réponses à ces réac- quent aujourd’hui davantage d’au- taire de l’aide sociale. Ces deux tions. La dimension comparative tonomie, les comités marseillais comités s’avèrent des lieux cohé- aide ainsi à saisir comment les sont cependant encore vus comme rents pour examiner comment des politiques de sécurité publique des groupes proches du pouvoir. citoyens « ordinaires », dans des † † relèvent de médiations particu- Le CCQSS, quant à lui, est quartiers paupérisés, se mobilisent lières entre société civile et État. membre des groupes communau- face à des situations jugées peu Conformément à nos objectifs taires autonomes du Québec. Bien sécuritaires et quels comporte- et perspectives de recherche, que cette dimension soit discutée ments individuels et collectifs ils 49 notre réflexion comprend deux par les analystes (Hamel, 1993), ces mettent en œuvre pour y remédier. parties. Dans la première, nous groupes se définissent eux-mêmes Comme méthode et instru- examinons les réactions des comme participant au mouvement ments de recherche, nous avons membres des comités face à des social et affirment leur caractère privilégié une observation partici- situations jugées peu sécuritaires. politique (White, 2001). pante au sein des deux comités2. Dans la seconde, nous soulignons Le CIQ Saint-André à Marseille Une partie de celle-ci est le résul- comment des mêmes revendica- et le CCQSS à Québec correspon- tat d’une enquête menée dans le tions peuvent susciter des poli- dent à nos objectifs de recherche cadre de notre recherche docto- tiques publiques différentes sous plusieurs aspects. Saint-André rale, de 1998 à 2000 à Marseille, et caractéristiques, pour chaque appartient aux « quartiers nord » de † † de 2000 à 2003 à Québec. Nous contexte national, des rapports la cité phocéenne, très stigmatisés avons effectué un retour sur les entre État et société civile. sur le plan de l’insécurité et de deux terrains, à l’automne 2005 à l’immigration. Autrefois ouvrier, Québec, et à la fin de l’année 2005 Les comités de citoyens français les chômeurs et les rmistes1 y ont à Marseille. Cette période, encore et québécois et l’insécurité aujourd’hui remplacé les popula- marquée par le souvenir des Dans cette première partie, tions laborieuses. Le quartier émeutes des banlieues d’octobre sont examinés les comportements compte en outre un nombre 2005, a été propice à l’analyse des déployés par les membres des important de populations issues de réactions suscitées par le senti- comités de citoyens face à l’insé- l’immigration (particulièrement ment d’insécurité. À l’observation curité. L’analyse menée insiste maghrébine et comorienne) qui participante se sont ajoutées des d’abord sur la définition de l’insé- sont regroupées dans les cités adja- entrevues avec les membres régu- curité et les comportements qui y centes aux anciens noyaux villa- liers des comités et la consultation sont rattachés par les membres geois. Les membres du CIQ des journaux internes des groupes. des comités. Elle souligne ensuite, appartiennent dans leur grande Parallèlement à cette enquête les actions que ces derniers met- majorité à la population de souche, empirique, nous nous sommes tent en œuvre, avant de conclure elle-même originaire d’une immi- également penchée sur les poli- par une réflexion plus générale gration antérieure en provenance tiques de sécurité en France et au questionnant le lien entre lutte d’Italie ou d’Espagne, et aux Québec à travers l’analyse de contre les incivilités, action collec- classes populaires du quartier. documents officiels et des études tive et citoyenneté. Saint-Sauveur est lui aussi un menées dans le domaine. ancien quartier populaire où les Le sentiment d’insécurité : entre ouvriers ont cédé la place aux La comparaison entre la France inquiétude personnelle et atteinte « chambreurs » et aux familles et le Québec est pertinente pour † † aux normes sociales monoparentales. Zone la plus pau- notre démarche. Elle permet de périsée de Québec, il abrite égale- mettre en exergue à la fois les élé- À Québec comme à Marseille, ment le plus fort taux d’immigrants ments qui, dans les réactions et les problèmes de sécurité font
LSP 57-12 14/05/07 16:02 Page 50 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 57 bée du jour. Les réunions du « préoccupation » : elles expriment † † † comité sont l’occasion de rappor- alors une inquiétude par rapport Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des réactions à l’insécurité aux ter les actes de délinquance ou de au « monde conçu », à savoir celui † † fondements des politiques publiques violence commis dans le quartier. des valeurs et des normes Entre 1999 et 2002, le CCQSS (Furstenberg, 1971, repris par avait formé un sous-comité spé- Roché, 1998). Selon les membres cialement affecté à la question de des deux groupes, les actes qu’ils la sécurité dans le quartier. Le dénoncent sont non seulement sentiment d’insécurité était parti- une offense au droit (lorsque les culièrement exprimé par les actes commis sont illégaux), mais femmes seules ou les mères céli- expriment également un non-res- bataires. Les plaintes avaient sur- pect d’autrui, un manque de 50 tout trait à la prostitution, aux morale et de civisme (tels les cra- batailles entre ivrognes et à l’ac- chats, les tags ou les insultes). partie des thèmes récurrents lors cès aux parcs du quartier que les Certains propos sont ici révéla- membres évitaient en raison de la teurs : « Il ne faut plus avoir de des réunions. Ainsi, les comités † † présence de drogués. morale, voler on peut com- autorisent d’abord une prise de parole des habitants autour des prendre, mais toute cette violence La fréquentation des deux enjeux relatifs à la sécurité dans le gratuite, “Prends le portefeuille et comités sur une période relative- quartier. Ces discussions sont barre-toi” » (M. Prégent), ou † ment longue montre la récurrence révélatrices des comportements encore « Parfois, on se demande † de ces plaintes. Les membres ont ou situations auxquels la notion s’ils ne sont pas des barbares, certes l’impression que l’insécu- d’insécurité signifie pour les quand même » (Mme Gamache)3. † rité a augmenté depuis 10 ans, membres des deux groupes. Ces paroles tenues lors des mais cette impression fait toujours L’enquête souligne ici des simili- réunions du CIQ Saint-André fai- référence à « un ordre social bous- † tudes sensibles. saient référence aux incidents du culé » (Pharo, 1986). La dénoncia- † Nouvel An 2006, dans le train qui tion des incivilités et d’une Pour les membres des comités, reliait Nice à Paris4 et au meurtre violence quotidienne reste pré- le sentiment d’insécurité est majo- de Ilan Halimi5. Le « ils » désignent † † pondérante. Le sentiment d’insé- ritairement associé aux incivilités ici les jeunes auteurs des méfaits, curité renvoie à des situations de et aux actes de petites et mais peut aussi avoir une portée la vie de tous les jours qui mettent moyennes délinquances, compor- très générale et renvoyer aux en cause un rapport à autrui jugé tements relevant des situations populations ne partageant pas plus risqué. À Marseille, bien que quotidiennes vécues par les leurs valeurs et leurs usages. le quartier ait connu un calme membres. À Marseille, les L’utilisation du vocable n’est alors relatif, les habitants se montrent membres se plaignent des vols à la pas dénuée d’ambiguïté. À préoccupés par les émeutes d’oc- tire et du vandalisme, des insultes, Marseille, le « ils » évoque ainsi tobre 2005, encore très présentes † † ils redoutent également les agres- parfois à mot couvert le camp dans les mémoires. S’ils condam- sions qui pourraient dégénérer. gitan ou la cité voisine, et souligne nent les émeutiers et trouvent l’in- Ces craintes sont encore plus les craintes que soulèvent chez les tervention de la police justifiée fortes chez les membres âgés du membres des comités de tels lieux, devant la délinquance, ils crai- CIQ. Ainsi Mme Chabot qui a été assimilés à des zones de non-droit gnent aussi les « bavures » et la † † victime par deux fois du vol de son et où les membres redoutent de violence possible. sac à main, avoue avoir souvent s’aventurer. Ce n’est pas tant une peur lorsqu’elle rentre chez elle, le Les récriminations formulées différence d’origine ou de culture soir, après les rencontres du par les membres des deux comités qui est exprimée, mais bien une groupe, car elle doit longer la cité dépassent l’expression d’une peur différence de valeurs dans le rap- voisine réputée peu sûre. Elle « personnelle » pour également † † port à autrui et les modalités de la évite d’ailleurs de sortir à la tom- s’inscrire au sein du registre de la vie en commun, comme le sou-
LSP 57-12 14/05/07 16:02 Page 51 ligne la référence très forte à « la † zone, l’opinion des pauvres ne ral qui concerne l’ensemble du barbarie ». Ces thèmes sont égale- † compte pas, ils souffrent de discri- quartier. Cette « conscientisa- † ment présents au sein du CCQSS, mination » (permanente † du tion », pour reprendre le vocabu- † bien qu’ils ne visent pas comme à CCQSS). L’expression se retrouve laire de la responsable du CCQSS, Saint-Sauveur des populations encore dans le journal du CCQSS assure la mobilisation collective particulières. L’accent est surtout (Le petit potin, novembre 1998 : 6). † des membres autour des enjeux mis sur le manque de civisme de Ce sentiment d’abandon, comme sécuritaires. ceux qui commettent les délits et, celui d’agir pour « le juste » va être † † comme à Marseille, sur le non-res- un puissant aiguillon pour le pas- Les actions collectives menées pect dont ils font preuve à l’égard sage à l’action, soit « la lutte † par les deux groupes offrent des de leurs concitoyens : « Jusqu’où † † contre les incivilités » et « l’amélio- † † similitudes frappantes. À Marseille ira-t-on si personne ne respecte ration de la vie du quartier », selon † comme à Québec, les comités se sont mobilisés pour rendre plus plus rien ? C’est pas parce qu’on † les termes des acteurs eux-mêmes. 51 est pauvre qu’on n’a pas de sûr l’accès des parcs de leurs quar- valeur. » † La lutte contre les incivilités : tiers, lesquels étaient devenus le entre autorégulation et appel à point de rencontre des vendeurs Ces derniers propos, qui illus- l’État de drogue et de jeunes toxico- trent également le stigmate res- manes. Dans le cadre marseillais, senti par certains des habitants du Les membres des comités véri- les comités ont fait pression auprès quartier, font écho à un sentiment fient les conclusions de Pamela de la mairie d’arrondissement d’injustice. Les membres jugent Oliver : « If you don’t do it, nobody † † pour accélérer le nettoyage des qu’ils sont plus soumis aux vio- else will » (1984). Le but des comi- † lieux, demander la fermeture du lences et aux incivilités que les tés est en effet d’éviter les com- parc la nuit et l’affectation d’un habitants des autres quartiers, et portements de rétraction (repli gardien. À Québec, le comité avait que l’ordre social censé être sur soi) ou de défection (déména- organisé le nettoyage du parc local assuré par les représentants de gement) et de favoriser, au par des bénévoles et mis sur pied l’État fait davantage défaut à leur contraire, des actions individuelles des activités artistiques et spor- quartier. Ils reprochent clairement et collectives contre l’insécurité tives. Le but était non seulement aux responsables politiques de afin d’améliorer la vie dans leur d’améliorer la sécurité, mais égale- laisser s’installer des zones de quartier respectif (Roché, 1998). ment de donner une image plus non-droit et dénoncent les iniqui- Les propos qui précèdent insistent positive au quartier. Un groupe de tés de traitement dont ils se sen- sur la prise de parole initiée par marche avait aussi été formé afin tent victimes et auxquelles fait ces groupes. Les troubles sont de redonner aux habitants l’habi- écho l’expression « citoyens de † ouvertement qualifiés d’inci- tude de sortir sans crainte le soir. deuxième zone »6 : « Nous sommes † † † viques et les membres sont invités Le groupe repérait les rues mal des citoyens de seconde zone, de dans leur vie quotidienne à inter- éclairées ou à « problèmes » et en † † ce qui se passe ici, ils s’en foutent » † venir contre les actes d’incivilité avisait les autorités municipales. (un membre du CIQ). Ou encore : † ou de violence dont ils seraient De 1996 à 1998, le CIQ s’est « La partie haute de notre quartier † témoins. Cette prise de parole est opposé, auprès des représentants s’appelle les Abandonnés. Il pour les groupes la première municipaux, au relogement diffus n’entre pas dans nos intentions de étape vers une action collective. des populations gitanes, jugées demander à changer de nom, car Les comités partagent en effet problématiques par les habitants. nous le méritons bien » (Journal † une vision empirique du politique Enfin, le comité se prononce pour de la fédération des CIQ mar- qui ne sépare pas le « personnel » † † l’« îlotage policier » qui, selon les † † seillais, mai 1995 : 7) ; à Québec : † † † du politique (Patsias, 2006). Grâce habitants, instaure des rapports de « Le comité a pour but de tra- † aux discussions et aux débats, le proximité et favorise le dialogue vailler avec les exclus, de leur don- but des groupes est de relier une entre représentants de l’ordre et ner une place, les citoyens de expérience concrète – l’expression habitants (surtout les jeunes de la Saint-Sauveur sont considérés d’un sentiment individuel d’insé- communauté) tout en permettant comme des citoyens de seconde curité – à un problème plus géné- une lutte plus efficace contre la
LSP 57-12 14/05/07 16:02 Page 52 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 57 nature des revendications qu’ils seillais, inséré dans un système de adressent aux institutions. Si l’ac- clientèle qui a corseté les mouve- Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des réactions à l’insécurité aux tion est bien une nécessité pour les ments sociaux locaux. Elle est fondements des politiques publiques groupes, l’analyse des discours et moins prévisible venant du des mobilisations de ces derniers CCQSS (Patsias et Patsias, 2006). révèle que l’amélioration de la Bien que la dimension de mouve- sécurité du quartier relève d’un ment social des groupes commu- acte civique et démocratique. La nautaires soit fortement discutée sécurité est envisagée comme un (Hamel, 1993, le comité Saint- droit impliquant aussi des devoirs Sauveur connaît bien les actions et qui engage une responsabilité à contestataires, dont certaines la fois individuelle et collective. témoignent d’une critique de 52 Cet appel à la responsabilité des l’économie de marché et d’une citoyens ne s’effectue cependant volonté de changements sociaux pas au détriment des revendica- (White, 2001). En ce qui concerne petite délinquance (Patsias, 2003). tions à l’endroit de l’État. Le senti- les questions reliées à la sécurité, Dans la même veine, le CCQSS, ment d’injustice exprimé par les la différence entre les comités qui a participé en 2001 à la Journée habitants montre que, selon ces marseillais et québécois est pour- d’échange sur le projet de sécurité derniers, c’est bien à l’État qu’il tant peu visible et les actions des urbaine, a soutenu l’introduction revient d’assurer la sécurité, et deux groupes restent très simi- d’une police communautaire à qu’ils n’entendent pas se substituer laires : elles réclament une inter- † Québec, dans le but d’améliorer à celui-ci. L’injustice ressentie par vention de l’État et favorisent la les rapports entre résidents et poli- les membres emprunte à la fois à coopération plutôt que la ciers, et de favoriser la prévention une conception en termes de droits confrontation avec les autorités. sur la répression (Bherer, 2003). – à laquelle fait écho l’affirmation Les mobilisations relatives à l’in- Ces derniers exemples souli- d’une responsabilité individuelle – sécurité occupent donc une place gnent que les luttes contre les inci- et à une revendication de justice à part au sein des groupes, elles ne vilités peuvent bien être, pour une sociale. L’iniquité de traitement sont que peu articulées aux mobi- part, assimilées à des comporte- serait en effet aussi le fait d’une lisations plus larges qui revendi- ments d’autorégulation de l’insé- injustice sociale, une conséquence quent un changement social ou curité. Cependant, ces demandes, de la pauvreté des habitants, davantage de justice sociale. Cette loin de supprimer celles adressées comme le rappellent les propos caractéristique des enjeux sécuri- aux responsables politiques, sem- mentionnés plus haut, évoquant un taires est la conséquence des blent les alimenter. Les comités « abandon » † † des quartiers. formes mêmes que prend dans ces Néanmoins, cette référence à une groupes la lutte contre l’insécu- privilégient alors des moyens d’ac- injustice sociale demeure plus rité, à savoir, une lutte contre les tion conventionnelle (pressions ou ténue et n’est pas le premier argu- incivilités. rencontres avec les responsables ment des revendications quant à la politiques) plutôt que des actions Cette lutte contre les incivilités sécurité. contestataires (manifestation). Ces est conservatrice au premier sens deux types d’action (autorégula- du terme : elle conserve une idée La lutte contre les incivilités : † tions et revendications auprès des du juste et des rapports sociaux, du entre revendications citoyennes instances politiques) sont significa- tolérable au quotidien. De cette et mouvement social ? tifs des fondements idéologiques façon, les membres des comités se des comités quant à l’insécurité. L’analyse des mobilisations des réapproprient spatialement, mais Ces fondements éclairent la façon comités souligne que ces der- aussi symboliquement le quartier. dont ces groupes perçoivent les nières ne s’inscrivent pas au sein Ils imposent un « droit ordinaire » † † responsabilités respectives de d’un mouvement social. Cette qui fixe les limites du permis au l’État et des individus en matière conclusion n’est guère surpre- quotidien, et marquent par là leur de sécurité, et par là même, la nante dans le cas du groupe mar- appartenance à un espace et à un
LSP 57-12 14/05/07 16:02 Page 53 groupe social. La lutte contre les groupes et institutions sur l’ordre concilie prévention sociale, pré- incivilités participent donc de la en public. Elles sont l’expression vention situationnelle de la sécu- citoyenneté telle que définie par T. d’une concurrence pour exprimer rité publique et prévention par la H. Marshall : « La citoyenneté † † le droit ordinaire. responsabilisation individuelle et implique un sens de la commu- collective (Gagnon et Gagnon, nauté ; […] le sentiment d’apparte- La comparaison entre groupes † 2004 ; Ministère de la Sécurité † nir directement à une communauté marseillais et québécois marque publique, 2006). L’approche situa- fondée sur la loyauté vis-à-vis une similarité tant du point de vue tionnelle reprend la théorie de « la † d’une civilisation qui est le bien des discours que des actions. Pour vitre cassée » de George Kelling et † commun de tous » (T.H. Marshall, les deux groupes, la sécurité dans † James Wilson (1982). Selon cette cité par Leca, 1983). leur quartier respectif est une pré- théorie, « le carreau cassé » est le † † occupation que ceux-ci intègrent signe que les habitants d’un quar- La formulation des revendica- explicitement à leurs revendica- tier l’abandonnent, le laissant 53 tions sécuritaires à travers une tions de citoyenneté. Ce même ainsi dépourvu de contrôle et à la lutte contre les incivilités inscrit constat se reflète-t-il dans les poli- merci de la délinquance lourde. l’enjeu sécuritaire au sein d’un tiques publiques poursuivies ? En † discours sur la citoyenneté Dans cette perspective, l’insécu- d’autres mots, comment la lutte concernant les droits et une dis- rité est un problème contextuel contre les incivilités, élément pré- cussion sur les conditions de l’ap- (d’où le nom d’« approche situa- pondérant des revendications † partenance, peu propice à tionnelle »). Elle est située dans un concernant la sécurité, est-elle † l’éclosion d’un mouvement social. lieu particulier et engage certains prise en compte par les politiques Une telle formulation favorise des acteurs ; la résolution du problème publiques en France et au † pratiques d’autorégulation, et les passe donc par la considération de Québec ? Quelle place est accor- † revendications adressées à l’État l’ensemble de ces éléments et dée à des groupes comme les comi- n’ont pas pour objectif de contes- exige une approche globale du tés de citoyens ? L’analyse souligne † ter les fondements de la société, problème à résoudre. En consé- qu’au-delà du parallélisme des mais plutôt de faire respecter des revendications, les réponses fran- quence, selon cette théorie, la droits. La lutte contre les incivili- çaises et québécoises sont bien dif- prise en compte des incivilités tés renvoie à la dimension territo- férentes. Elles sont significatives nécessite la coopération entre riale et de services des groupes : † des structurations particulières des l’ensemble des acteurs concernés améliorer concrètement et dans systèmes politiques français et qué- (la police et les habitants) et doit les meilleurs délais possible la vie bécois entendus à la fois, dans un être une dimension prépondé- des habitants. Pour autant, le rap- sens large, comme un rapport entre rante des politiques publiques port de force n’est pas exclu. La société civile et État et, dans un mises en place (Brodeur, 1994). La question du respect de la civilité sens plus restreint, comme la com- coopération instaurée suppose pose en filigrane celle du maintien position des échiquiers politiques elle-même plusieurs éléments : la † de la détermination de l’ordre au nationaux. prise en compte de la parole des quotidien. « Qui se trouve en posi- † habitants, la responsabilisation et tion de prescrire ou de proscrire Incivilités et politiques l’implication de ces derniers dans ce qui ne peut être fait ou dit ? Et † publiques : différences de struc- le « contrôle social » et la préven- † † quels moyens de faire respecter turation du système politique tion, enfin la reddition de compte des proscriptions et prescriptions au Québec et en France des policiers envers les habitants sont-ils disponibles aux mains de (Donzelot et Wyvekens, 2002 ; † ceux qui les énoncent ? » (Roché, † † Des politiques publiques et des Body-Gendrot, 2001). Une telle 2000). L’ordre social est le résultat conceptions de la « sécurité » politique, qui réclame une cer- d’un rapport de force dont spécifiques au Québec et à la taine proximité avec les habitants, témoigne la lutte pour la civilité. France s’appuie donc sur la décentralisa- Les incivilités traduisent la tion des structures et la gestion à contestation par certains groupes Le Québec a choisi de privilé- l’échelle locale, et ne peut se pas- de l’emprise qu’exercent d’autres gier une prévention « globale » qui † † ser d’une évolution du rôle et des
LSP 57-12 14/05/07 16:02 Page 54 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES–RIAC, 57 palités) dans la responsabilisation matière de sécurité ressortent et l’implication des citoyens dans le davantage d’un partenariat insti- Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des réactions à l’insécurité aux maintien de la sécurité et la mise tutionnel. Les habitants demeu- fondements des politiques publiques en œuvre d’une police communau- rent peu impliqués dans la taire. Les principes de la politique résolution des problèmes et l’éla- en matière de sécurité publique de boration des stratégies d’action ; le † la ville de Québec témoignent de dialogue avec les autorités poli- cette perspective et de l’intégration cières reste ténu, particulièrement de la civilité dans la prévention de dans la reddition de compte qui la criminalité en formulant un lien marque la résolution des pro- explicite entre sentiment d’appar- blèmes dans une approche situa- tenance et maintien de la sécurité tionnelle (Donzelot et Wyvekens, 54 publique : « Sentiment d’apparte- † † 2002). Cette mise en œuvre fait nance, civisme et solidarité contri- écho à une lecture différente de buent fortement à l’amélioration l’insécurité. Selon le modèle fran- compétences des policiers. Cette de la sécurité et du sentiment de çais, l’insécurité est attribuable à évolution s’inscrit également dans sécurité. Il faut donc mettre en une trop grande distance entre les la « prévention par la responsabili- institutions et les habitants. † sation individuelle et collective ». place les conditions favorables à la L’abandon ne désigne pas celui du † Celle-ci sous-entend notamment consolidation du lien de chacun et de chacune avec sa communauté quartier par les habitants, mais un resserrement des liens entre d’appartenance, son milieu de vie » renvoie à l’absence d’institutions police et milieu communautaire † (Ville de Québec, 2004 : 20). publiques dans un quartier (ibid.). avec la création d’une police com- † munautaire afin, entre autres, de : † Le gouvernement québécois a Au sein d’une situation pour le également instauré Info-crime moins tendue entre population et — développer chez le citoyen qui, en collaboration avec l’entre- institution policière, la France a un sens de la prévention ; également fait le choix d’un res- † prise privée, vise l’identification — améliorer l’image du policier par les citoyens, des auteurs de serrement de la mission policière aux yeux des citoyens ; † délits graves non résolus. Des autour de la sécurité d’État, au affiches, placées au bord de la détriment de la vocation de ser- — promouvoir la collaboration vices à la population (Mucchielli route ou à l’entrée des quartiers, entre le policier et le citoyen ; † et Robert, 2002 ; Roché, 2006). invitent également à « ouvrir† † — intervenir plus efficacement l’œil ». L’approche québécoise † Cette dimension est pourtant un devant les problèmes soule- rappelle également le rôle de la élément essentiel au développe- vés. (Ministère québécois de prévention dans l’amélioration de ment d’une police communau- la Sécurité publique, 2006). la sécurité (Ministère de la taire, le Québec pouvant servir Sécurité publique du Québec, d’exemple ici (Ministère de la La planification stratégique éla- 2001 ; 2006). † Sécurité publique, 2001-2003)7. À borée par le ministère québécois cet égard, il faut remarquer que, si de la Sécurité publique insiste sur La France a aussi été influencée le contexte s’inscrit au Québec l’importance d’un partenariat par une politique de rapproche- dans un amoindrissement de entre l’ensemble des acteurs liés au ment entre police et habitants et a l’État pénal, avec notamment la problème de la sécurité, autorités favorisé une approche locale des diminution du recours à l’empri- gouvernementales, policiers, muni- problèmes, notamment avec les sonnement, en France, la tendance cipalités et acteurs de la société contrats locaux de sécurité. est plutôt inverse, avec un renfor- civile (groupes associatifs et com- Néanmoins, les enquêtes souli- cement de la pénalisation : Loi † munautaires, citoyens). Le minis- gnent des mises en œuvre diffé- Peyrefitte de 1981, Loi Sarkozy- tère de la Sécurité publique (2001 : † rentes. Plus que d’une véritable Perben de 2002-2005, Lois Pasqua 20) souligne encore le rôle primor- coopération entre police et habi- de 1986 et 1993, Loi Marchand de dial de l’échelon local (les munici- tants, les politiques publiques en 1991, Loi Debré de 1997 et Loi
LSP 57-12 14/05/07 16:02 Page 55 Vaillant de 2001 dite de « sécurité † tifs spécifiques. Les relations entre le mouvement social a difficile- quotidienne » (Dubois, 2006 ; Sire- † † société civile et État sont mar- ment survécu à l’effritement de Marin, 2006). Enfin, l’approche quées en France et au Québec par celui-ci, d’autant plus qu’à la dif- situationnelle, qui est au Québec des conceptions différentes de férence du Québec, il n’a été que reliée à une approche préventive l’intérêt général, lesquelles ont peu repris par le mouvement voulant éviter la focalisation sur la nourri des rapports divergents associatif (Bacqué, 2005). Défini réponse pénale, reste en France entre centre et périphérie. En par la loi de 1901, le vocable fortement associée aux dérives de France, l’intérêt général n’est pas « associatif » désigne des groupes † † la politique américaine et à la phi- conçu comme la somme des inté- très divers – des associations de losophie répressive de la tolé- rêts particuliers, mais transcende loisirs aux organismes politiques rance zéro (Body-Gendrot, 2001). ces derniers. Les seconds souffrent – ayant pour point commun une donc toujours d’un déficit de légi- appartenance à un espace parti- L’intégration de l’approche timité face au premier. La concep- 55 culier, entre l’État et la sphère situationnelle varie grandement tion française de l’intérêt général privée. Si la loi de 1901 consacre selon les politiques publiques a pour corollaire une tradition donc l’existence d’une société françaises ou québécoises. Elle est étatiste bien ancrée et une civile, elle circonscrit du même significative des places différentes méfiance envers le local censé coup celle-ci à l’expression des qu’occupe la lutte contre les inci- représenter les intérêts particu- intérêts particuliers, l’État vilités dans les politiques poursui- liers. Ces derniers éléments justi- demeurant le garant de l’intérêt vies, comme de la divergence des fient en partie la mise en œuvre public. Le mouvement associatif moyens utilisés dans les tardive des politiques de décen- français emprunte à une vision approches en matière de sécurité. tralisation et une concurrence libérale de la démocratie. Les Là où les Québécois privilégient forte entre centre et périphérie associations relèvent davantage une participation des habitants, les (Rui, 2004). Une telle concurrence du civil et du civique que du poli- Français préfèrent une approche teinte particulièrement les rela- tique (Barthélémy, 2000). Cette plus institutionnalisée qui ne fait tions entre police nationale et place du mouvement associatif, que peu de place aux habitants police municipale. Elle a rendu elle-même corollaire d’une dans la gestion de la sécurité. Ces plus problématique l’instauration méfiance à l’endroit des intérêts différences de traitement de la d’une approche situationnelle. En particuliers, explique la logique sécurité sont incompréhensibles effet, la reddition de compte aux participative et l’univers normatif en dehors d’une analyse des sys- populations locales serait, selon la qui sous-tendent la culture de tèmes politiques français et qué- police nationale, l’action publique en France. Le bécois, qui témoignent à la fois prendre le risque de basculer dans modèle participatif fondé sur « la d’une structuration particulière † la soumission au local et aux élus, proximité » postule un rappro- entre société civile et État, et † alors qu’elle constitue dans l’esprit chement entre autorités poli- d’échiquiers politiques nationaux de ses promoteurs le dernier rem- tiques et habitants, mais la nature qui ont contribué à formuler diffé- part contre une partition de la police en une logique de municipa- de ce rapprochement, y compris remment les enjeux sécuritaires. lisation pour les communes aisées dans les textes, reste très floue Politiques de sécurité publique et et une logique d’ordre, faite de (Bacqué, 2005 : 91). Il favorise des † structuration des rapports entre CRS [Compagnie républicaine de pratiques basées sur des relations sécurité, ou police nationale] et de de coopération, voire de clienté- société civile et État brigades spécialisées pour les lisme et de corporatisme. Certes, zones défavorisées. (Donzelot et ce modèle intègre davantage les Les politiques publiques sont Wyvekens, 2002 : 63) l’expression des rapports entre acteurs de la société civile, mais société civile et État, en même L’étatisme français s’est en cette intégration se limite à une temps qu’elles les façonnent. Elles outre inscrit, depuis la fin des consultation plus qu’à une véri- témoignent des médiations, des années 1970, au sein d’un recul table participation aux prises de rapports de force entre ces der- du mouvement social. Surtout décision et aux processus poli- niers, mais aussi d’univers norma- porté par le mouvement ouvrier, tiques. Ainsi, la séparation entre
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