Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des réactions à l'insécurité aux fondements des politiques publiques Civility and ...

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Lien social et Politiques

Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des
réactions à l’insécurité aux fondements des politiques
publiques
Civility and citizens’ committees in Marseilles and Quebec City.
From public safety concerns to public policy
Caroline Patsias

Number 57, printemps 2007                                                             Article abstract
                                                                                      This article draws on cases studies of two citizen groups, one in France and one
Les compétences civiles, entre État sécuritaire et État social                        in Quebec. It follows the reactions and mobilisations of the residents of two
                                                                                      low-income neighbourhoods in situations where they consider their safety at
URI: https://id.erudit.org/iderudit/016387ar                                          risk. Reminding us that demands for security raise issues about how to live
DOI: https://doi.org/10.7202/016387ar                                                 together, the analysis finds that the issues are understood differently in France
                                                                                      and Quebec. This divergence is more due to the structuration of national
                                                                                      political space than the result of differences in the demands themselves. The
See table of contents
                                                                                      article calls, therefore, for attention to state-civil society relations.

Publisher(s)
Lien social et Politiques

ISSN
1204-3206 (print)
1703-9665 (digital)

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Cite this article
Patsias, C. (2007). Civilité et comités de citoyens marseillais et québécois : des
réactions à l’insécurité aux fondements des politiques publiques. Lien social et
Politiques, (57), 47–61. https://doi.org/10.7202/016387ar

Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2007                               This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
                                                                                     (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
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                                                                                     This article is disseminated and preserved by Érudit.
                                                                                     Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,
                                                                                     Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to
                                                                                     promote and disseminate research.
                                                                                     https://www.erudit.org/en/
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        Civilité et comités de citoyens marseillais et
        québécois : des réactions à l’insécurité aux fondements
        des politiques publiques

        Caroline Patsias

           À l’automne 1993, la Revue                       nance » dans la montée de l’insécu-
                                                                      †                                         « vision binaire » que celles-ci sup-
                                                                                                                  †                  †

        internationale d’action communau-                   rité (Chabanet, 1999 ; Gleizal,   †                 posent (Beaud et Pialloux, 2005).
        taire consacrait déjà un numéro au                  1999 ; Crawford, 2001). Les
                                                                  †                                             À cette fin, et d’abord du point de
        thème de « l’insécurité, la peur de
                          †                                 secondes interrogent les compor-                    vue de la discipline, nous avons
        la peur ». Dix ans après, l’insécurité
                  †                                         tements entourant le phénomène                      mis l’accent à la fois sur les mobi-
        demeure une question d’actualité,                   de l’insécurité, les causes et les                  lisations face à l’insécurité et sur
        comme l’illustrent les « violences
                                         †                  conséquences sociales de celui-ci.                  la lecture de ces mobilisations à
        urbaines » qui ont marqué le mois
                      †                                     Du point de vue des arguments                       travers les politiques publiques
        d’octobre 2005, en France, ou                       avancés et des objets étudiés, les                  instaurées. Ensuite, du point de
        encore la volonté du gouverne-                      analyses, particulièrement euro-                    vue des objets, nous avons choisi
        ment Harper au Canada de réfor-                     péennes, opposent ville-centre et                   comme lieu d’enquête des
        mer le Code criminel. La presse                     banlieue, et les populations                        groupes situés dans des quartiers
        comme les analystes ont large-                      qu’elles abritent, l’une nantie et                  paupérisés et reconnus comme
        ment pris acte du phénomène.                        bourgeoise, l’autre jadis ouvrière,                 problématiques sur le plan de l’in-
                                                            aujourd’hui « précaire » et issue de
                                                                              †           †                     sécurité et de l’immigration. Il
           Grosso modo, les propos déve-
                                                            l’immigration. Ainsi, et selon les                  s’agit donc d’examiner l’insécurité
        loppés croisent deux axes. Du
                                                            orientations idéologiques, les                      à l’intérieur des zones dites « dan-
                                                                                                                                                 †

        point de vue de la discipline, les
                                                            émeutes ou les actes de délin-                      gereuses » ou « sensibles » et les
                                                                                                                            †            †   †

        analyses opposent les approches
                                                            quance mettent face à face « les            †       comportements de populations
        se concentrant sur les politiques
                                                            racailles » et les « vrais jeunes », ou
                                                                          †        †                †           elles-mêmes défavorisées.
        publiques et les analyses sociolo-
                                                            sont l’expression d’un mal-être
        giques. Les premières s’intéressent                                                                        En partant des réactions à l’in-
                                                            social et d’une exclusion écono-
        au « traitement » de l’insécurité,                                                                      sécurité, notre perspective pré-
                                                            mique et politique (Belaïd et al.,
              †                 †

        c’est-à-dire l’efficacité des poli-                                                                     sente l’avantage d’ouvrir l’analyse
                                                            2006 ; Duprez et Heldi, 1992).
                                                                  †

        tiques de sécurité publique ; elles      †                                                              non seulement aux actions collec-
        peuvent aussi questionner le rôle                      Notre perspective tente de sor-                  tives, mais aussi aux comporte-
        des institutions et de la « gouver-  †              tir de ces oppositions et de la                     ments     individuels    face     à

        Lien social et Politiques–RIAC, 57, Les compétences civiles. Entre État sécuritaire et État social. Printemps 2007, pages 47 à 61.
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            LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES–RIAC, 57           intègrent l’État et, d’autre part,                   tements de précaution dans le
                                                             d’examiner comment les réactions                     rapport à autrui, la civilité est
            Civilité et comités de citoyens marseillais et
            québécois : des réactions à l’insécurité aux     des citoyens sont appréhendées                       significative des comportements
            fondements des politiques publiques              par l’État à travers les politiques                  d’autorégulation des citoyens
                                                             de sécurité publique. Plus précisé-                  quant au maintien de la sécurité
                                                             ment, si les réactions des citoyens                  au sein d’un territoire. En élargis-
                                                             à l’insécurité sont similaires, sont-                sant la réflexion aux relations
                                                             elles pour autant traitées de la                     sociales, elle souligne comment le
                                                             même façon par les politiques de                     sentiment d’insécurité dépasse la
                                                             sécurité publique ? Si non, com-
                                                                                      †                           simple appréhension individuelle
                                                             ment expliquer les différences                       pour interroger les fondements de
                                                             entre les politiques publiques                       la collectivité et l’« accord social »
                                                                                                                                       †              †

    48                                                       dans chaque cadre national ?             †
                                                                                                                  sur lequel celle-ci repose. En
                                                                                                                  ouvrant l’analyse au traitement
                                                                Sortir des oppositions précé-                     des incivilités à travers les poli-
            l’insécurité. Penser d’emblée les                dentes en analysant les réactions                    tiques de sécurité publique, elle
            revendications « sécuritaires » au               des acteurs devant l’insécurité et                   initie une réflexion sur les média-
                                        †             †

            sein d’une réflexion sur les mou-                les politiques publiques menées,                     tions entre société civile et État.
            vements sociaux serait présumer                  tout en en insistant sur les proces-                 La notion de civilité sera donc le
            du sens des mobilisations consta-                sus sociaux engagés dans les réac-                   fil directeur de notre argument,
            tées. Le risque serait alors que l’on            tions face au sentiment d’insécurité                 qui va des réactions et des mobili-
            élude toute réflexion sur la façon               nous a incitée à concentrer notre                    sations face à l’insécurité jusqu’à
            dont des groupes comme les comi-                 propos autour de la « civilité ».
                                                                                          †               †
                                                                                                                  la place que celles-ci occupent
            tés de citoyens permettent la tran-              Davantage notion que concept, la                     dans les fondements et la mise en
            sition entre des comportements                   civilité désigne l’ensemble des                      œuvre des politiques publiques.
            individuels (suscités par un senti-              codes sociaux légaux et infralégaux
            ment de peur) et l’action collec-                qui permettent un réglage de la                         Afin de satisfaire aux ambitions
            tive. Il y aurait également le risque            distance sociale, constitutif du lien                de la réflexion, notre stratégie de
            que l’analyse fasse peu de place                 civil et nécessaire à la vie en société              recherche s’est appuyée sur une
            aux comportements d’autorégula-                  (Bourricaud, 1989). Le respect de                    enquête qualitative auprès de deux
            tion de la sécurité, lesquels peu-               la civilité est le gage de l’innocuité               comités de citoyens : le Comité
                                                                                                                                           †

            vent être individuels et ne pas                  du rapport à autrui. À l’inverse, son                d’intérêt de quartier Saint-André à
            s’adresser à l’État. Comme le sou-               non-respect, les « incivilités », intro-
                                                                                  †               †
                                                                                                                  Marseille (CIQ) et le Comité de
            ligne Michel Anselme (1993), la                  duisent de l’incertitude dans les                    citoyens du quartier Saint-Sauveur
            sécurité engage un rapport à                     rapports sociaux et rendent le rap-                  à Québec (CCQSS). Cerner les
            autrui qui questionne les liens                  port à autrui potentiellement                        réactions face au sentiment d’insé-
            sociaux quotidiens. La perspective               menaçant. Mais cette menace n’est                    curité et les situations auxquelles
            choisie entend donc ne pas négli-                pas uniquement individuelle, elle                    renvoie ce sentiment nécessite de
            ger cette dimension quotidienne                  est aussi collective. À travers le res-              saisir le point de vue des acteurs et
            du sentiment d’insécurité afin de                pect de codes sociaux qui reflètent                  a donc justifié une approche com-
            mieux comprendre comment                         les normes et les valeurs d’une                      préhensive. Réunissant des habi-
            celle-ci peut nourrir certaines                  société donnée, la civilité incarne                  tants, ces groupes ont pour but
            revendications politiques.                       aussi un ordre social, un « ordre en
                                                                                              †
                                                                                                                  d’améliorer la qualité de vie dans
                                                             public », et est garante de la possi-
                                                                    †
                                                                                                                  leur quartier respectif et de favori-
               À cet égard, relier les compor-                                                                    ser l’implication politique des
                                                             bilité du lien civil (Elias, 1973 ;              †

            tements sociaux aux politiques                                                                        citoyens. À Marseille, les CIQ relè-
                                                             Goffman, 1973 ; Pharo, 1985).
                                                                              †

            publiques permet d’une part, de                                                                       vent du mouvement associatif.
            questionner la façon dont les                      La notion de civilité sert nos                     Moribonds avant le début de la
            demandes et les pratiques rela-                  ambitions de recherche à trois                       Seconde Guerre mondiale, ils vont
            tives à la sécurité des citoyens                 égards. En illustrant des compor-                    connaître une nouvelle impulsion
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        sous l’influence du maire de             de la ville, dont la majorité pro-     mobilisations face à l’insécurité,
        l’époque, Gaston Defferre, qui a         vient de Bosnie-Herzégovine.           dépendent de processus sociaux
        contribué à faire de ceux-ci des ins-    Comme à Saint-André, le comité         renvoyant à l’identité et à l’appar-
        truments de clientèle au service de      regroupe cependant en majorité,        tenance à toute collectivité et la
        la gouverne locale. S’ils revendi-       une population de souche, tribu-       spécificité des réponses à ces réac-
        quent aujourd’hui davantage d’au-        taire de l’aide sociale. Ces deux      tions. La dimension comparative
        tonomie, les comités marseillais         comités s’avèrent des lieux cohé-      aide ainsi à saisir comment les
        sont cependant encore vus comme          rents pour examiner comment des        politiques de sécurité publique
        des groupes proches du pouvoir.          citoyens « ordinaires », dans des
                                                            †          †
                                                                                        relèvent de médiations particu-
        Le CCQSS, quant à lui, est               quartiers paupérisés, se mobilisent    lières entre société civile et État.
        membre des groupes communau-             face à des situations jugées peu
                                                                                           Conformément à nos objectifs
        taires autonomes du Québec. Bien         sécuritaires et quels comporte-
                                                                                        et perspectives de recherche,
        que cette dimension soit discutée        ments individuels et collectifs ils                                             49
                                                                                        notre réflexion comprend deux
        par les analystes (Hamel, 1993), ces     mettent en œuvre pour y remédier.
                                                                                        parties. Dans la première, nous
        groupes se définissent eux-mêmes
                                                    Comme méthode et instru-            examinons les réactions des
        comme participant au mouvement
                                                 ments de recherche, nous avons         membres des comités face à des
        social et affirment leur caractère
                                                 privilégié une observation partici-    situations jugées peu sécuritaires.
        politique (White, 2001).
                                                 pante au sein des deux comités2.       Dans la seconde, nous soulignons
           Le CIQ Saint-André à Marseille        Une partie de celle-ci est le résul-   comment des mêmes revendica-
        et le CCQSS à Québec correspon-          tat d’une enquête menée dans le        tions peuvent susciter des poli-
        dent à nos objectifs de recherche        cadre de notre recherche docto-        tiques publiques différentes
        sous plusieurs aspects. Saint-André      rale, de 1998 à 2000 à Marseille, et   caractéristiques, pour chaque
        appartient aux « quartiers nord » de
                               †             †
                                                 de 2000 à 2003 à Québec. Nous          contexte national, des rapports
        la cité phocéenne, très stigmatisés      avons effectué un retour sur les       entre État et société civile.
        sur le plan de l’insécurité et de        deux terrains, à l’automne 2005 à
        l’immigration. Autrefois ouvrier,        Québec, et à la fin de l’année 2005    Les comités de citoyens français
        les chômeurs et les rmistes1 y ont       à Marseille. Cette période, encore     et québécois et l’insécurité
        aujourd’hui remplacé les popula-         marquée par le souvenir des               Dans cette première partie,
        tions laborieuses. Le quartier           émeutes des banlieues d’octobre        sont examinés les comportements
        compte en outre un nombre                2005, a été propice à l’analyse des    déployés par les membres des
        important de populations issues de       réactions suscitées par le senti-      comités de citoyens face à l’insé-
        l’immigration (particulièrement          ment d’insécurité. À l’observation     curité. L’analyse menée insiste
        maghrébine et comorienne) qui            participante se sont ajoutées des      d’abord sur la définition de l’insé-
        sont regroupées dans les cités adja-     entrevues avec les membres régu-       curité et les comportements qui y
        centes aux anciens noyaux villa-         liers des comités et la consultation   sont rattachés par les membres
        geois. Les membres du CIQ                des journaux internes des groupes.     des comités. Elle souligne ensuite,
        appartiennent dans leur grande           Parallèlement à cette enquête          les actions que ces derniers met-
        majorité à la population de souche,      empirique, nous nous sommes            tent en œuvre, avant de conclure
        elle-même originaire d’une immi-         également penchée sur les poli-        par une réflexion plus générale
        gration antérieure en provenance         tiques de sécurité en France et au     questionnant le lien entre lutte
        d’Italie ou d’Espagne, et aux            Québec à travers l’analyse de          contre les incivilités, action collec-
        classes populaires du quartier.          documents officiels et des études      tive et citoyenneté.
        Saint-Sauveur est lui aussi un           menées dans le domaine.
        ancien quartier populaire où les                                                Le sentiment d’insécurité : entre
        ouvriers ont cédé la place aux              La comparaison entre la France      inquiétude personnelle et atteinte
        « chambreurs » et aux familles           et le Québec est pertinente pour
            †              †

                                                                                        aux normes sociales
        monoparentales. Zone la plus pau-        notre démarche. Elle permet de
        périsée de Québec, il abrite égale-      mettre en exergue à la fois les élé-      À Québec comme à Marseille,
        ment le plus fort taux d’immigrants      ments qui, dans les réactions et       les problèmes de sécurité font
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            LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES–RIAC, 57           bée du jour. Les réunions du           « préoccupation » : elles expriment
                                                                                                     †                           †   †

                                                             comité sont l’occasion de rappor-      alors une inquiétude par rapport
            Civilité et comités de citoyens marseillais et
            québécois : des réactions à l’insécurité aux     ter les actes de délinquance ou de     au « monde conçu », à savoir celui
                                                                                                         †                               †

            fondements des politiques publiques              violence commis dans le quartier.      des valeurs et des normes
                                                             Entre 1999 et 2002, le CCQSS           (Furstenberg, 1971, repris par
                                                             avait formé un sous-comité spé-        Roché, 1998). Selon les membres
                                                             cialement affecté à la question de     des deux groupes, les actes qu’ils
                                                             la sécurité dans le quartier. Le       dénoncent sont non seulement
                                                             sentiment d’insécurité était parti-    une offense au droit (lorsque les
                                                             culièrement exprimé par les            actes commis sont illégaux), mais
                                                             femmes seules ou les mères céli-       expriment également un non-res-
                                                             bataires. Les plaintes avaient sur-    pect d’autrui, un manque de
    50                                                       tout trait à la prostitution, aux      morale et de civisme (tels les cra-
                                                             batailles entre ivrognes et à l’ac-    chats, les tags ou les insultes).
            partie des thèmes récurrents lors                cès aux parcs du quartier que les      Certains propos sont ici révéla-
                                                             membres évitaient en raison de la      teurs : « Il ne faut plus avoir de
            des réunions. Ainsi, les comités                                                                 †   †

                                                             présence de drogués.                   morale, voler on peut com-
            autorisent d’abord une prise de
            parole des habitants autour des                                                         prendre, mais toute cette violence
                                                                La fréquentation des deux
            enjeux relatifs à la sécurité dans le                                                   gratuite, “Prends le portefeuille et
                                                             comités sur une période relative-
            quartier. Ces discussions sont                                                          barre-toi” » (M. Prégent), ou
                                                                                                                         †

                                                             ment longue montre la récurrence
            révélatrices des comportements                                                          encore « Parfois, on se demande
                                                                                                                     †

                                                             de ces plaintes. Les membres ont
            ou situations auxquels la notion                                                        s’ils ne sont pas des barbares,
                                                             certes l’impression que l’insécu-
            d’insécurité signifie pour les                                                          quand même » (Mme Gamache)3.
                                                                                                                             †

                                                             rité a augmenté depuis 10 ans,
            membres des deux groupes.                                                               Ces paroles tenues lors des
                                                             mais cette impression fait toujours
            L’enquête souligne ici des simili-                                                      réunions du CIQ Saint-André fai-
                                                             référence à « un ordre social bous-
                                                                          †

            tudes sensibles.                                                                        saient référence aux incidents du
                                                             culé » (Pharo, 1986). La dénoncia-
                                                                  †

                                                                                                    Nouvel An 2006, dans le train qui
                                                             tion des incivilités et d’une
               Pour les membres des comités,                                                        reliait Nice à Paris4 et au meurtre
                                                             violence quotidienne reste pré-
            le sentiment d’insécurité est majo-                                                     de Ilan Halimi5. Le « ils » désignent    †   †

                                                             pondérante. Le sentiment d’insé-
            ritairement associé aux incivilités                                                     ici les jeunes auteurs des méfaits,
                                                             curité renvoie à des situations de
            et aux actes de petites et                                                              mais peut aussi avoir une portée
                                                             la vie de tous les jours qui mettent
            moyennes délinquances, compor-                                                          très générale et renvoyer aux
                                                             en cause un rapport à autrui jugé
            tements relevant des situations                                                         populations ne partageant pas
                                                             plus risqué. À Marseille, bien que
            quotidiennes vécues par les                                                             leurs valeurs et leurs usages.
                                                             le quartier ait connu un calme
            membres. À Marseille, les                                                               L’utilisation du vocable n’est alors
                                                             relatif, les habitants se montrent
            membres se plaignent des vols à la                                                      pas dénuée d’ambiguïté. À
                                                             préoccupés par les émeutes d’oc-
            tire et du vandalisme, des insultes,                                                    Marseille, le « ils » évoque ainsi
                                                             tobre 2005, encore très présentes
                                                                                                                                 †       †

            ils redoutent également les agres-                                                      parfois à mot couvert le camp
                                                             dans les mémoires. S’ils condam-
            sions qui pourraient dégénérer.                                                         gitan ou la cité voisine, et souligne
                                                             nent les émeutiers et trouvent l’in-
            Ces craintes sont encore plus                                                           les craintes que soulèvent chez les
                                                             tervention de la police justifiée
            fortes chez les membres âgés du                                                         membres des comités de tels lieux,
                                                             devant la délinquance, ils crai-
            CIQ. Ainsi Mme Chabot qui a été                                                         assimilés à des zones de non-droit
                                                             gnent aussi les « bavures » et la
                                                                                  †     †

            victime par deux fois du vol de son                                                     et où les membres redoutent de
                                                             violence possible.
            sac à main, avoue avoir souvent                                                         s’aventurer. Ce n’est pas tant une
            peur lorsqu’elle rentre chez elle, le               Les récriminations formulées        différence d’origine ou de culture
            soir, après les rencontres du                    par les membres des deux comités       qui est exprimée, mais bien une
            groupe, car elle doit longer la cité             dépassent l’expression d’une peur      différence de valeurs dans le rap-
            voisine réputée peu sûre. Elle                   « personnelle » pour également
                                                              †               †                     port à autrui et les modalités de la
            évite d’ailleurs de sortir à la tom-             s’inscrire au sein du registre de la   vie en commun, comme le sou-
LSP 57-12       14/05/07        16:02            Page 51

        ligne la référence très forte à « la                     †           zone, l’opinion des pauvres ne                         ral qui concerne l’ensemble du
        barbarie ». Ces thèmes sont égale-
                        †                                                    compte pas, ils souffrent de discri-                   quartier. Cette « conscientisa-
                                                                                                                                                             †

        ment présents au sein du CCQSS,                                      mination »      (permanente
                                                                                                †                du                 tion », pour reprendre le vocabu-
                                                                                                                                          †

        bien qu’ils ne visent pas comme à                                    CCQSS). L’expression se retrouve                       laire de la responsable du CCQSS,
        Saint-Sauveur des populations                                        encore dans le journal du CCQSS                        assure la mobilisation collective
        particulières. L’accent est surtout                                  (Le petit potin, novembre 1998 : 6).           †       des membres autour des enjeux
        mis sur le manque de civisme de                                      Ce sentiment d’abandon, comme                          sécuritaires.
        ceux qui commettent les délits et,                                   celui d’agir pour « le juste » va être
                                                                                                    †               †

        comme à Marseille, sur le non-res-                                   un puissant aiguillon pour le pas-                        Les actions collectives menées
        pect dont ils font preuve à l’égard                                  sage à l’action, soit « la lutte       †
                                                                                                                                    par les deux groupes offrent des
        de leurs concitoyens : « Jusqu’où            †       †               contre les incivilités » et « l’amélio-
                                                                                                        †       †
                                                                                                                                    similitudes frappantes. À Marseille
        ira-t-on si personne ne respecte                                     ration de la vie du quartier », selon      †
                                                                                                                                    comme à Québec, les comités se
                                                                                                                                    sont mobilisés pour rendre plus
        plus rien ? C’est pas parce qu’on
                            †                                                les termes des acteurs eux-mêmes.                                                              51
        est pauvre qu’on n’a pas de                                                                                                 sûr l’accès des parcs de leurs quar-
        valeur. »   †
                                                                             La lutte contre les incivilités :                      tiers, lesquels étaient devenus le
                                                                             entre autorégulation et appel à                        point de rencontre des vendeurs
           Ces derniers propos, qui illus-                                   l’État                                                 de drogue et de jeunes toxico-
        trent également le stigmate res-                                                                                            manes. Dans le cadre marseillais,
        senti par certains des habitants du                                     Les membres des comités véri-                       les comités ont fait pression auprès
        quartier, font écho à un sentiment                                   fient les conclusions de Pamela                        de la mairie d’arrondissement
        d’injustice. Les membres jugent                                      Oliver : « If you don’t do it, nobody
                                                                                    †       †                                       pour accélérer le nettoyage des
        qu’ils sont plus soumis aux vio-                                     else will » (1984). Le but des comi-
                                                                                        †                                           lieux, demander la fermeture du
        lences et aux incivilités que les                                    tés est en effet d’éviter les com-                     parc la nuit et l’affectation d’un
        habitants des autres quartiers, et                                   portements de rétraction (repli                        gardien. À Québec, le comité avait
        que l’ordre social censé être                                        sur soi) ou de défection (déména-                      organisé le nettoyage du parc local
        assuré par les représentants de                                      gement) et de favoriser, au                            par des bénévoles et mis sur pied
        l’État fait davantage défaut à leur                                  contraire, des actions individuelles                   des activités artistiques et spor-
        quartier. Ils reprochent clairement                                  et collectives contre l’insécurité                     tives. Le but était non seulement
        aux responsables politiques de                                       afin d’améliorer la vie dans leur                      d’améliorer la sécurité, mais égale-
        laisser s’installer des zones de                                     quartier respectif (Roché, 1998).                      ment de donner une image plus
        non-droit et dénoncent les iniqui-                                   Les propos qui précèdent insistent                     positive au quartier. Un groupe de
        tés de traitement dont ils se sen-                                   sur la prise de parole initiée par                     marche avait aussi été formé afin
        tent victimes et auxquelles fait                                     ces groupes. Les troubles sont                         de redonner aux habitants l’habi-
        écho l’expression « citoyens de          †                           ouvertement qualifiés d’inci-                          tude de sortir sans crainte le soir.
        deuxième zone »6 : « Nous sommes
                                 †   †       †                               viques et les membres sont invités                     Le groupe repérait les rues mal
        des citoyens de seconde zone, de                                     dans leur vie quotidienne à inter-                     éclairées ou à « problèmes » et en
                                                                                                                                                     †           †

        ce qui se passe ici, ils s’en foutent »                      †       venir contre les actes d’incivilité                    avisait les autorités municipales.
        (un membre du CIQ). Ou encore :                                  †   ou de violence dont ils seraient                       De 1996 à 1998, le CIQ s’est
        « La partie haute de notre quartier
            †                                                                témoins. Cette prise de parole est                     opposé, auprès des représentants
        s’appelle les Abandonnés. Il                                         pour les groupes la première                           municipaux, au relogement diffus
        n’entre pas dans nos intentions de                                   étape vers une action collective.                      des populations gitanes, jugées
        demander à changer de nom, car                                       Les comités partagent en effet                         problématiques par les habitants.
        nous le méritons bien » (Journal                 †                   une vision empirique du politique                      Enfin, le comité se prononce pour
        de la fédération des CIQ mar-                                        qui ne sépare pas le « personnel »
                                                                                                            †                   †   l’« îlotage policier » qui, selon les
                                                                                                                                      †                  †

        seillais, mai 1995 : 7) ; à Québec :
                                         †       †                       †   du politique (Patsias, 2006). Grâce                    habitants, instaure des rapports de
        « Le comité a pour but de tra-
            †                                                                aux discussions et aux débats, le                      proximité et favorise le dialogue
        vailler avec les exclus, de leur don-                                but des groupes est de relier une                      entre représentants de l’ordre et
        ner une place, les citoyens de                                       expérience concrète – l’expression                     habitants (surtout les jeunes de la
        Saint-Sauveur sont considérés                                        d’un sentiment individuel d’insé-                      communauté) tout en permettant
        comme des citoyens de seconde                                        curité – à un problème plus géné-                      une lutte plus efficace contre la
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            LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES–RIAC, 57           nature des revendications qu’ils         seillais, inséré dans un système de
                                                             adressent aux institutions. Si l’ac-     clientèle qui a corseté les mouve-
            Civilité et comités de citoyens marseillais et
            québécois : des réactions à l’insécurité aux     tion est bien une nécessité pour les     ments sociaux locaux. Elle est
            fondements des politiques publiques              groupes, l’analyse des discours et       moins prévisible venant du
                                                             des mobilisations de ces derniers        CCQSS (Patsias et Patsias, 2006).
                                                             révèle que l’amélioration de la          Bien que la dimension de mouve-
                                                             sécurité du quartier relève d’un         ment social des groupes commu-
                                                             acte civique et démocratique. La         nautaires soit fortement discutée
                                                             sécurité est envisagée comme un          (Hamel, 1993, le comité Saint-
                                                             droit impliquant aussi des devoirs       Sauveur connaît bien les actions
                                                             et qui engage une responsabilité à       contestataires, dont certaines
                                                             la fois individuelle et collective.      témoignent d’une critique de
    52                                                       Cet appel à la responsabilité des        l’économie de marché et d’une
                                                             citoyens ne s’effectue cependant         volonté de changements sociaux
                                                             pas au détriment des revendica-          (White, 2001). En ce qui concerne
            petite délinquance (Patsias, 2003).
                                                             tions à l’endroit de l’État. Le senti-   les questions reliées à la sécurité,
            Dans la même veine, le CCQSS,
                                                             ment d’injustice exprimé par les         la différence entre les comités
            qui a participé en 2001 à la Journée
                                                             habitants montre que, selon ces          marseillais et québécois est pour-
            d’échange sur le projet de sécurité              derniers, c’est bien à l’État qu’il      tant peu visible et les actions des
            urbaine, a soutenu l’introduction                revient d’assurer la sécurité, et        deux groupes restent très simi-
            d’une police communautaire à                     qu’ils n’entendent pas se substituer     laires : elles réclament une inter-
                                                                                                           †

            Québec, dans le but d’améliorer                  à celui-ci. L’injustice ressentie par    vention de l’État et favorisent la
            les rapports entre résidents et poli-            les membres emprunte à la fois à         coopération plutôt que la
            ciers, et de favoriser la prévention             une conception en termes de droits       confrontation avec les autorités.
            sur la répression (Bherer, 2003).                – à laquelle fait écho l’affirmation     Les mobilisations relatives à l’in-
               Ces derniers exemples souli-                  d’une responsabilité individuelle –      sécurité occupent donc une place
            gnent que les luttes contre les inci-            et à une revendication de justice        à part au sein des groupes, elles ne
            vilités peuvent bien être, pour une              sociale. L’iniquité de traitement        sont que peu articulées aux mobi-
            part, assimilées à des comporte-                 serait en effet aussi le fait d’une      lisations plus larges qui revendi-
            ments d’autorégulation de l’insé-                injustice sociale, une conséquence       quent un changement social ou
            curité. Cependant, ces demandes,                 de la pauvreté des habitants,            davantage de justice sociale. Cette
            loin de supprimer celles adressées               comme le rappellent les propos           caractéristique des enjeux sécuri-
            aux responsables politiques, sem-                mentionnés plus haut, évoquant un        taires est la conséquence des
            blent les alimenter. Les comités                 « abandon »
                                                              †         †      des      quartiers.    formes mêmes que prend dans ces
                                                             Néanmoins, cette référence à une         groupes la lutte contre l’insécu-
            privilégient alors des moyens d’ac-
                                                             injustice sociale demeure plus           rité, à savoir, une lutte contre les
            tion conventionnelle (pressions ou
                                                             ténue et n’est pas le premier argu-      incivilités.
            rencontres avec les responsables
                                                             ment des revendications quant à la
            politiques) plutôt que des actions                                                           Cette lutte contre les incivilités
                                                             sécurité.
            contestataires (manifestation). Ces                                                       est conservatrice au premier sens
            deux types d’action (autorégula-                                                          du terme : elle conserve une idée
                                                             La lutte contre les incivilités :                  †

            tions et revendications auprès des                                                        du juste et des rapports sociaux, du
                                                             entre revendications citoyennes
            instances politiques) sont significa-                                                     tolérable au quotidien. De cette
                                                             et mouvement social ?
            tifs des fondements idéologiques                                                          façon, les membres des comités se
            des comités quant à l’insécurité.                  L’analyse des mobilisations des        réapproprient spatialement, mais
            Ces fondements éclairent la façon                comités souligne que ces der-            aussi symboliquement le quartier.
            dont ces groupes perçoivent les                  nières ne s’inscrivent pas au sein       Ils imposent un « droit ordinaire »
                                                                                                                         †               †

            responsabilités respectives de                   d’un mouvement social. Cette             qui fixe les limites du permis au
            l’État et des individus en matière               conclusion n’est guère surpre-           quotidien, et marquent par là leur
            de sécurité, et par là même, la                  nante dans le cas du groupe mar-         appartenance à un espace et à un
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        groupe social. La lutte contre les               groupes et institutions sur l’ordre      concilie prévention sociale, pré-
        incivilités participent donc de la               en public. Elles sont l’expression       vention situationnelle de la sécu-
        citoyenneté telle que définie par T.             d’une concurrence pour exprimer          rité publique et prévention par la
        H. Marshall : « La citoyenneté
                           †       †                     le droit ordinaire.                      responsabilisation individuelle et
        implique un sens de la commu-                                                             collective (Gagnon et Gagnon,
        nauté ; […] le sentiment d’apparte-                 La comparaison entre groupes
              †                                                                                   2004 ; Ministère de la Sécurité
                                                                                                          †

        nir directement à une communauté                 marseillais et québécois marque
                                                                                                  publique, 2006). L’approche situa-
        fondée sur la loyauté vis-à-vis                  une similarité tant du point de vue
                                                                                                  tionnelle reprend la théorie de « la        †

        d’une civilisation qui est le bien               des discours que des actions. Pour
                                                                                                  vitre cassée » de George Kelling et
                                                                                                                          †

        commun de tous » (T.H. Marshall,                 les deux groupes, la sécurité dans
                               †
                                                                                                  James Wilson (1982). Selon cette
        cité par Leca, 1983).                            leur quartier respectif est une pré-
                                                                                                  théorie, « le carreau cassé » est le
                                                                                                                      †               †

                                                         occupation que ceux-ci intègrent
                                                                                                  signe que les habitants d’un quar-
           La formulation des revendica-                 explicitement à leurs revendica-
                                                                                                  tier l’abandonnent, le laissant                     53
        tions sécuritaires à travers une                 tions de citoyenneté. Ce même
                                                                                                  ainsi dépourvu de contrôle et à la
        lutte contre les incivilités inscrit             constat se reflète-t-il dans les poli-
                                                                                                  merci de la délinquance lourde.
        l’enjeu sécuritaire au sein d’un                 tiques publiques poursuivies ? En
                                                                                         †

        discours sur la citoyenneté                                                               Dans cette perspective, l’insécu-
                                                         d’autres mots, comment la lutte
        concernant les droits et une dis-                                                         rité est un problème contextuel
                                                         contre les incivilités, élément pré-
        cussion sur les conditions de l’ap-                                                       (d’où le nom d’« approche situa-
                                                         pondérant des revendications
                                                                                                                              †

        partenance, peu propice à                                                                 tionnelle »). Elle est située dans un
                                                         concernant la sécurité, est-elle
                                                                                                                  †

        l’éclosion d’un mouvement social.                                                         lieu particulier et engage certains
                                                         prise en compte par les politiques
        Une telle formulation favorise des                                                        acteurs ; la résolution du problème
                                                         publiques en France et au
                                                                                                              †

        pratiques d’autorégulation, et les                                                        passe donc par la considération de
                                                         Québec ? Quelle place est accor-
                                                                 †

        revendications adressées à l’État                                                         l’ensemble de ces éléments et
                                                         dée à des groupes comme les comi-
        n’ont pas pour objectif de contes-                                                        exige une approche globale du
                                                         tés de citoyens ? L’analyse souligne
                                                                        †

        ter les fondements de la société,                                                         problème à résoudre. En consé-
                                                         qu’au-delà du parallélisme des
        mais plutôt de faire respecter des               revendications, les réponses fran-       quence, selon cette théorie, la
        droits. La lutte contre les incivili-            çaises et québécoises sont bien dif-     prise en compte des incivilités
        tés renvoie à la dimension territo-              férentes. Elles sont significatives      nécessite la coopération entre
        riale et de services des groupes :           †
                                                         des structurations particulières des     l’ensemble des acteurs concernés
        améliorer concrètement et dans                   systèmes politiques français et qué-     (la police et les habitants) et doit
        les meilleurs délais possible la vie             bécois entendus à la fois, dans un       être une dimension prépondé-
        des habitants. Pour autant, le rap-              sens large, comme un rapport entre       rante des politiques publiques
        port de force n’est pas exclu. La                société civile et État et, dans un       mises en place (Brodeur, 1994). La
        question du respect de la civilité               sens plus restreint, comme la com-       coopération instaurée suppose
        pose en filigrane celle du maintien              position des échiquiers politiques       elle-même plusieurs éléments : la       †

        de la détermination de l’ordre au                nationaux.                               prise en compte de la parole des
        quotidien. « Qui se trouve en posi-
                       †
                                                                                                  habitants, la responsabilisation et
        tion de prescrire ou de proscrire                Incivilités et politiques                l’implication de ces derniers dans
        ce qui ne peut être fait ou dit ? Et     †
                                                         publiques : différences de struc-        le « contrôle social » et la préven-
                                                                                                      †                           †

        quels moyens de faire respecter                  turation du système politique            tion, enfin la reddition de compte
        des proscriptions et prescriptions               au Québec et en France                   des policiers envers les habitants
        sont-ils disponibles aux mains de                                                         (Donzelot et Wyvekens, 2002 ;                   †

        ceux qui les énoncent ? » (Roché,
                                        †   †
                                                         Des politiques publiques et des          Body-Gendrot, 2001). Une telle
        2000). L’ordre social est le résultat            conceptions de la « sécurité »           politique, qui réclame une cer-
        d’un rapport de force dont                       spécifiques au Québec et à la            taine proximité avec les habitants,
        témoigne la lutte pour la civilité.              France                                   s’appuie donc sur la décentralisa-
        Les incivilités traduisent la                                                             tion des structures et la gestion à
        contestation par certains groupes                   Le Québec a choisi de privilé-        l’échelle locale, et ne peut se pas-
        de l’emprise qu’exercent d’autres                gier une prévention « globale » qui
                                                                                †        †        ser d’une évolution du rôle et des
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            LIEN   SOCIAL ET   POLITIQUES–RIAC, 57                       palités) dans la responsabilisation     matière de sécurité ressortent
                                                                         et l’implication des citoyens dans le   davantage d’un partenariat insti-
            Civilité et comités de citoyens marseillais et
            québécois : des réactions à l’insécurité aux                 maintien de la sécurité et la mise      tutionnel. Les habitants demeu-
            fondements des politiques publiques                          en œuvre d’une police communau-         rent peu impliqués dans la
                                                                         taire. Les principes de la politique    résolution des problèmes et l’éla-
                                                                         en matière de sécurité publique de      boration des stratégies d’action ; le
                                                                                                                                                   †

                                                                         la ville de Québec témoignent de        dialogue avec les autorités poli-
                                                                         cette perspective et de l’intégration   cières reste ténu, particulièrement
                                                                         de la civilité dans la prévention de    dans la reddition de compte qui
                                                                         la criminalité en formulant un lien     marque la résolution des pro-
                                                                         explicite entre sentiment d’appar-      blèmes dans une approche situa-
                                                                         tenance et maintien de la sécurité      tionnelle (Donzelot et Wyvekens,
    54                                                                   publique : « Sentiment d’apparte-
                                                                                  †   †
                                                                                                                 2002). Cette mise en œuvre fait
                                                                         nance, civisme et solidarité contri-    écho à une lecture différente de
                                                                         buent fortement à l’amélioration        l’insécurité. Selon le modèle fran-
            compétences des policiers. Cette
                                                                         de la sécurité et du sentiment de       çais, l’insécurité est attribuable à
            évolution s’inscrit également dans
                                                                         sécurité. Il faut donc mettre en        une trop grande distance entre les
            la « prévention par la responsabili-
                                                                                                                 institutions et les habitants.
                   †

            sation individuelle et collective ».                         place les conditions favorables à la
                                                                                                                 L’abandon ne désigne pas celui du
                                                             †

            Celle-ci sous-entend notamment                               consolidation du lien de chacun et
                                                                         de chacune avec sa communauté           quartier par les habitants, mais
            un resserrement des liens entre
                                                                         d’appartenance, son milieu de vie »     renvoie à l’absence d’institutions
            police et milieu communautaire                                                                  †

                                                                         (Ville de Québec, 2004 : 20).           publiques dans un quartier (ibid.).
            avec la création d’une police com-                                                   †

            munautaire afin, entre autres, de :                  †
                                                                            Le gouvernement québécois a             Au sein d’une situation pour le
                                                                         également instauré Info-crime           moins tendue entre population et
            —          développer chez le citoyen
                                                                         qui, en collaboration avec l’entre-     institution policière, la France a
                       un sens de la prévention ;
                                                                                                                 également fait le choix d’un res-
                                                         †

                                                                         prise privée, vise l’identification
            —          améliorer l’image du policier                     par les citoyens, des auteurs de        serrement de la mission policière
                       aux yeux des citoyens ;       †                   délits graves non résolus. Des          autour de la sécurité d’État, au
                                                                         affiches, placées au bord de la         détriment de la vocation de ser-
            —          promouvoir la collaboration                                                               vices à la population (Mucchielli
                                                                         route ou à l’entrée des quartiers,
                       entre le policier et le citoyen ;             †
                                                                                                                 et Robert, 2002 ; Roché, 2006).
                                                                         invitent également à « ouvrir†
                                                                                                                                   †

            —          intervenir plus efficacement                      l’œil ». L’approche québécoise
                                                                             †
                                                                                                                 Cette dimension est pourtant un
                       devant les problèmes soule-                       rappelle également le rôle de la        élément essentiel au développe-
                       vés. (Ministère québécois de                      prévention dans l’amélioration de       ment d’une police communau-
                       la Sécurité publique, 2006).                      la sécurité (Ministère de la            taire, le Québec pouvant servir
                                                                         Sécurité publique du Québec,            d’exemple ici (Ministère de la
               La planification stratégique éla-                         2001 ; 2006).
                                                                              †
                                                                                                                 Sécurité publique, 2001-2003)7. À
            borée par le ministère québécois                                                                     cet égard, il faut remarquer que, si
            de la Sécurité publique insiste sur                            La France a aussi été influencée      le contexte s’inscrit au Québec
            l’importance d’un partenariat                                par une politique de rapproche-         dans un amoindrissement de
            entre l’ensemble des acteurs liés au                         ment entre police et habitants et a     l’État pénal, avec notamment la
            problème de la sécurité, autorités                           favorisé une approche locale des        diminution du recours à l’empri-
            gouvernementales, policiers, muni-                           problèmes, notamment avec les           sonnement, en France, la tendance
            cipalités et acteurs de la société                           contrats locaux de sécurité.            est plutôt inverse, avec un renfor-
            civile (groupes associatifs et com-                          Néanmoins, les enquêtes souli-          cement de la pénalisation : Loi
                                                                                                                                               †

            munautaires, citoyens). Le minis-                            gnent des mises en œuvre diffé-         Peyrefitte de 1981, Loi Sarkozy-
            tère de la Sécurité publique (2001 :                     †   rentes. Plus que d’une véritable        Perben de 2002-2005, Lois Pasqua
            20) souligne encore le rôle primor-                          coopération entre police et habi-       de 1986 et 1993, Loi Marchand de
            dial de l’échelon local (les munici-                         tants, les politiques publiques en      1991, Loi Debré de 1997 et Loi
LSP 57-12   14/05/07       16:02   Page 55

        Vaillant de 2001 dite de « sécurité
                                       †        tifs spécifiques. Les relations entre     le mouvement social a difficile-
        quotidienne » (Dubois, 2006 ; Sire-
                       †                   †    société civile et État sont mar-          ment survécu à l’effritement de
        Marin, 2006). Enfin, l’approche         quées en France et au Québec par          celui-ci, d’autant plus qu’à la dif-
        situationnelle, qui est au Québec       des conceptions différentes de            férence du Québec, il n’a été que
        reliée à une approche préventive        l’intérêt général, lesquelles ont         peu repris par le mouvement
        voulant éviter la focalisation sur la   nourri des rapports divergents            associatif (Bacqué, 2005). Défini
        réponse pénale, reste en France         entre centre et périphérie. En            par la loi de 1901, le vocable
        fortement associée aux dérives de       France, l’intérêt général n’est pas       « associatif » désigne des groupes
                                                                                           †            †

        la politique américaine et à la phi-    conçu comme la somme des inté-            très divers – des associations de
        losophie répressive de la tolé-         rêts particuliers, mais transcende        loisirs aux organismes politiques
        rance zéro (Body-Gendrot, 2001).        ces derniers. Les seconds souffrent       – ayant pour point commun une
                                                donc toujours d’un déficit de légi-       appartenance à un espace parti-
           L’intégration de l’approche          timité face au premier. La concep-                                               55
                                                                                          culier, entre l’État et la sphère
        situationnelle varie grandement         tion française de l’intérêt général       privée. Si la loi de 1901 consacre
        selon les politiques publiques          a pour corollaire une tradition           donc l’existence d’une société
        françaises ou québécoises. Elle est     étatiste bien ancrée et une               civile, elle circonscrit du même
        significative des places différentes    méfiance envers le local censé            coup celle-ci à l’expression des
        qu’occupe la lutte contre les inci-     représenter les intérêts particu-         intérêts      particuliers,   l’État
        vilités dans les politiques poursui-    liers. Ces derniers éléments justi-       demeurant le garant de l’intérêt
        vies, comme de la divergence des        fient en partie la mise en œuvre          public. Le mouvement associatif
        moyens       utilisés    dans    les    tardive des politiques de décen-          français emprunte à une vision
        approches en matière de sécurité.       tralisation et une concurrence            libérale de la démocratie. Les
        Là où les Québécois privilégient        forte entre centre et périphérie          associations relèvent davantage
        une participation des habitants, les    (Rui, 2004). Une telle concurrence
                                                                                          du civil et du civique que du poli-
        Français préfèrent une approche         teinte particulièrement les rela-
                                                                                          tique (Barthélémy, 2000). Cette
        plus institutionnalisée qui ne fait     tions entre police nationale et
                                                                                          place du mouvement associatif,
        que peu de place aux habitants          police municipale. Elle a rendu
                                                                                          elle-même corollaire d’une
        dans la gestion de la sécurité. Ces     plus problématique l’instauration
                                                                                          méfiance à l’endroit des intérêts
        différences de traitement de la         d’une approche situationnelle. En
                                                                                          particuliers, explique la logique
        sécurité sont incompréhensibles         effet, la reddition de compte aux
                                                                                          participative et l’univers normatif
        en dehors d’une analyse des sys-        populations locales serait, selon la
                                                                                          qui sous-tendent la culture de
        tèmes politiques français et qué-       police nationale,
                                                                                          l’action publique en France. Le
        bécois, qui témoignent à la fois
                                                  prendre le risque de basculer dans      modèle participatif fondé sur « la
        d’une structuration particulière
                                                                                                                           †

                                                  la soumission au local et aux élus,     proximité » postule un rappro-
        entre société civile et État, et
                                                                                                    †

                                                  alors qu’elle constitue dans l’esprit   chement entre autorités poli-
        d’échiquiers politiques nationaux         de ses promoteurs le dernier rem-
                                                                                          tiques et habitants, mais la nature
        qui ont contribué à formuler diffé-       part contre une partition de la
                                                  police en une logique de municipa-      de ce rapprochement, y compris
        remment les enjeux sécuritaires.
                                                  lisation pour les communes aisées       dans les textes, reste très floue
        Politiques de sécurité publique et        et une logique d’ordre, faite de        (Bacqué, 2005 : 91). Il favorise des
                                                                                                            †

        structuration des rapports entre          CRS [Compagnie républicaine de          pratiques basées sur des relations
                                                  sécurité, ou police nationale] et de    de coopération, voire de clienté-
        société civile et État                    brigades spécialisées pour les          lisme et de corporatisme. Certes,
                                                  zones défavorisées. (Donzelot et        ce modèle intègre davantage les
           Les politiques publiques sont
                                                  Wyvekens, 2002 : 63)
        l’expression des rapports entre                                                   acteurs de la société civile, mais
        société civile et État, en même           L’étatisme français s’est en            cette intégration se limite à une
        temps qu’elles les façonnent. Elles     outre inscrit, depuis la fin des          consultation plus qu’à une véri-
        témoignent des médiations, des          années 1970, au sein d’un recul           table participation aux prises de
        rapports de force entre ces der-        du mouvement social. Surtout              décision et aux processus poli-
        niers, mais aussi d’univers norma-      porté par le mouvement ouvrier,           tiques. Ainsi, la séparation entre
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