COMITÉ SCIENTIFIQUE CONSULTATIF DE MÉTÉO-FRANCE - LA PRÉVISION SAISONNIÈRE ET INFRA-SAISONNIÈRE

 
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COMITÉ SCIENTIFIQUE CONSULTATIF
DE MÉTÉO-FRANCE

LA PRÉVISION SAISONNIÈRE ET INFRA-SAISONNIÈRE
Lauriane Batté, CNRM, Météo-France et CNRS, Toulouse, France

                                                      2021
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Remerciements
L’auteur tient à remercier les collègues ayant contribué à l’élaboration du rapport: Philippe
Peyrillé (équipe TROPICS du CNRM), Constantin Ardilouze, Jean-François Guérémy, Da-
mien Specq et Laurent Dorel (équipe Prévision Atmosphérique Saisonnière et TELécon-
nexions - PASTEL du CNRM), Christian Viel (équipe Analyse et Veille Hydrologique de la
Direction de la Climatologie et des Services Climatiques - DCSC), Jean-Michel Soubey-
roux (DCSC), Julie Capo (division Energie du Département Conseil et Services - CS de la
Direction des Services Météorologiques - DSM).
Ce rapport a bénéficié des relectures attentives de Marc Pontaud, Samuel Morin et David
Salas y Mélia, ainsi que des retours constructifs des rapporteurs Yves Brunet (INRAE) et
Pascale Lherminier (IFREMER).

Sommaire
1 Principes de la prévision saisonnière                                                                                  5
  1.1 Qu’est-ce qu’une prévision saisonnière ? . . . .       .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   5
  1.2 Ingrédients clés d’une prévision . . . . . . . . . .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   5
       1.2.1 Sources de prévisibilité . . . . . . . . . .    .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   5
       1.2.2 Modèles numériques . . . . . . . . . . . .      .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   6
       1.2.3 Prévision d’ensemble . . . . . . . . . . .      .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   6
       1.2.4 Les re-prévisions . . . . . . . . . . . . . .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   7
       1.2.5 Des sorties numériques aux applications         .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   8

2 Positionnement de Météo-France sur la thématique                                                                        9
  2.1 Un acteur établi et reconnu en prévision saisonnière . . . . . . . . . . . . .                                     10
  2.2 La prévision saisonnière dans la stratégie de Météo-France . . . . . . . . .                                       10
  2.3 Le programme Copernicus Climate Change Services . . . . . . . . . . . .                                            12
  2.4 L’échelle "S2S": une dichotomie assumée . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                                      14
       2.4.1 Implication dans le projet S2S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                                    14
       2.4.2 Conséquences du positionnement sur la thématique . . . . . . . . .                                          14
       2.4.3 Implication de Météo-France dans des projets institutionnels liés à S2S                                     15

3 Avancées et prospectives des travaux de recherche                                                                      17
  3.1 Sources de prévisibilité et leur modélisation . . . . . . . . . . . . . . . . . .                                  17
      3.1.1 Surfaces continentales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                                   17
      3.1.2 Océan et glace de mer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                                      19
      3.1.3 Représentation des modes de variabilité et téléconnexions . . . . .                                          21
  3.2 Conception et évaluation des systèmes de prévision . . . . . . . . . . . . .                                       23
      3.2.1 Choix de modélisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                                    23
      3.2.2 Initialisation et génération d’ensembles . . . . . . . . . . . . . . . .                                     26
      3.2.3 Evaluation des ensembles et cas d’étude . . . . . . . . . . . . . . .                                        28
      3.2.4 Approches de calibration et combinaison des ensembles de prévision                                           29

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4 Quelles applications pour la prévision saisonnière et S2S ?                                                  32
  4.1 Les services climatiques à ces échelles à Météo-France . .           .   .   .   .   .   .   .   .   .   32
      4.1.1 Services climatiques institutionnels . . . . . . . . . .       .   .   .   .   .   .   .   .   .   32
      4.1.2 Applications sectorielles . . . . . . . . . . . . . . . .      .   .   .   .   .   .   .   .   .   35
      4.1.3 Valorisation commerciale des services climatiques .            .   .   .   .   .   .   .   .   .   37
  4.2 Prospective d’évolution de ces services climatiques . . . .          .   .   .   .   .   .   .   .   .   37

5 Conclusion et perspectives                                                                                   38
  5.1 Verrous et défis à relever . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                       38
      5.1.1 Limites des applications en métropole liées à une plus faible prévisi-
             bilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                    38
      5.1.2 Fournir une information fiable et adaptée aux échéances . . . . . .                                39
      5.1.3 Coordonner la recherche et les services autour de l’échelle infra-
             saisonnière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                       39
  5.2 Opportunités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .                       40

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Introduction
La prévision saisonnière consiste à prévoir pour les trois à six mois à venir les tendances
de paramètres météorologiques. L’appellation « prévision saisonnière » est trompeuse :
on s’attend à une information sur la chronologie d’événements météorologiques au cours
de la saison, alors que la nature chaotique de l’atmosphère la rend impossible à fournir
au-delà de deux ou trois semaines maximum. L’information d’une prévision saisonnière
sera probabiliste, le plus souvent sous forme d’indices intégrés sur une fenêtre mensu-
elle ou trimestrielle. La principale source de prévisibilité à cette échelle provient des ré-
gions tropicales, où la variabilité de l’atmosphère est moins chaotique. Le phénomène El
Niño - Southern Oscillation (ENSO) est ainsi prévisible à des niveaux proches des cor-
rélations de la prévision numérique du temps jusqu’à 6 à 12 mois d’échéance, selon le
mois d’initialisation. Ce phénomène impacte la variabilité des températures, précipitations
et de la circulation atmosphérique sur la bande tropicale, mais également aux moyennes
latitudes. Sur ces régions, la prévisibilité est plus faible, mais les travaux de recherche
ont permis d’identifier des processus clés à inclure dans les modèles dynamiques pour
permettre aux systèmes de prévision saisonnière de progresser.
     Le domaine d’activité a connu ces dix dernières années un essor considérable à la
fois en termes de moyens mis en œuvre et de rayonnement international. En Europe,
l’émergence de nouveaux services climatiques autour de la prévision saisonnière, ap-
puyée par le programme Copernicus Climate Change Services (C3S), a impulsé des
changements majeurs. L’utilisation des prévisions saisonnières reste limitée par certains
facteurs : outre la faible prévisibilité intrinsèque sur les moyennes latitudes, le niveau
restreint des performances des systèmes de prévision et l’inadéquation de l’information
fournie avec les besoins d’utilisateurs potentiels peuvent être un frein majeur au développe-
ment de services (Gerlak et al., 2020). Des prototypes de services utilisant la prévision
saisonnière, comme ceux développés pendant le projet FP7 EUPORIAS (2013-2018), ont
été riches en enseignements sur la nécessaire co-construction de tels services (Buon-
tempo et al., 2018).
     Jusqu’à peu délaissée, la fenêtre temporelle entre deux semaines et deux mois, ap-
pelée Subseasonal-to-Seasonal (S2S) ou infra-saisonnière, suscite un engouement mar-
qué comme en témoignent les projets S2S de l’Organisation Météorologique Mondiale
(OMM) (Vitart et al., 2012) et SubX en Amérique du Nord (Pegion et al., 2019). Toutefois,
si les prévisions S2S présentent l’avantage de renouer partiellement avec une chronologie
qui fait défaut aux prévisions saisonnières, leurs performances évaluées sur une vingtaine
d’années sont du même ordre, voire légèrement en-deçà, de celles-ci. Ainsi, la perfor-
mance mesurée par la corrélation des anomalies d’une variable de la seconde quinzaine
du mois est souvent du même ordre que celle de la moyenne trimestrielle. Les prévi-
sionnistes s’appuient alors sur l’existence de "fenêtres d’opportunité" (voir encadré de la
partie 1.2.1) (Mariotti et al., 2020) pendant lesquelles la variable d’intérêt sera, du fait de
phénomènes plus anticipables, mieux prévue.
     A Météo-France, la production numérique opérationnelle sépare clairement les échelles
de la prévision numérique du temps (jusqu’à cinq jours) de la prévision à l’échelle saison-
nière produite dans le cadre du programme C3S (échelle d’un à sept mois). La fourni-

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ture de services météorologiques et climatiques aux échelles intermédiaires (moyenne
échéance jusqu’à quinze jours, et échelle infra-saisonnière) s’appuie sur les prévisions du
Centre Européen de Prévisions Météorologiques à Moyen Terme (CEPMMT). La partic-
ipation de Météo-France au projet S2S repose sur le système de prévision saisonnière
développé au sein de l’équipe Prévisions Atmosphériques Saisonnières et TELéconnex-
ions (PASTEL) du Groupe de Météorologie de Grande Échelle et Climat (GMGEC) du
CNRM. Nous reviendrons plus en détail sur les implications de ce positionnement dans la
partie 2.4 de ce rapport.
    Avant d’aborder le cœur du rapport, la partie 1 présente les principes généraux de la
prévision saisonnière et précise la terminologie employée par la suite. On décrira ensuite
plus précisément le positionnement de l’établissement sur la thématique dans la partie 2.
L’objectif principal de ce rapport est de présenter un panorama de l’état des connaissances
scientifiques, des travaux de recherche sur la prévision à ces échelles dans l’établissement
(partie 3), ainsi que les différentes applications à Météo-France (partie 4). On détaillera
pour les différents axes les prospectives envisagées à horizon des cinq prochaines an-
nées.

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1       Principes de la prévision saisonnière
1.1     Qu’est-ce qu’une prévision saisonnière ?
Un public averti sait pertinemment que les limites de prévisibilité météorologique se situent
typiquement autour de la quinzaine de jours. Que peut-on alors entendre par "prévi-
sion saisonnière" ? Au lieu de prévoir précisément une suite temporelle de phénomènes
météorologiques, ce qu’on appelle "prévision saisonnière" consiste plutôt à informer sur
les statistiques du temps sensible (moyenne, dispersion) sur une fenêtre temporelle don-
née. Ainsi, la prévision saisonnière s’attachera le plus souvent à fournir des tendances
pour une fenêtre de trois mois à venir, voire, lorsque la prévisibilité le permet, une vari-
abilité sur des fenêtres mensuelles. La prévision infra-saisonnière ou sub-saisonnière
(S2S) s’intéressera plutôt aux statistiques hebdomadaires ou bihebdomadaires sur une
fenêtre allant de quinze jours à deux mois. L’étude de Merryfield et al. (2020) (dont deux
chercheurs du CNRM sont co-auteurs) présente une revue récente de l’état de l’art des
recherches sur ces échéances de prévision.

1.2     Ingrédients clés d’une prévision
Nous définirons ici la terminologie relative aux différents ingrédients de la prévision clima-
tique.

1.2.1    Sources de prévisibilité
Difficile d’aborder la prévisibilité du climat sans évoquer les travaux fondateurs de Shukla
(1998). Quelques mois après l’un des événements El Niño les plus forts jamais enreg-
istrés, cette étude démontrait l’impact qu’avaient les températures de surface de l’océan
(notées SST, pour Sea Surface Temperature) sur l’atmosphère dans les tropiques, non
seulement en surface, mais aussi en termes de circulation atmosphérique et précipita-
tions.
    L’océan tropical, et en particulier les SST sur le Pacifique Equatorial, demeure la prin-
cipale source de prévisibilité à l’échelle saisonnière. Il en existe d’autres. Certaines
relèvent de modes de variabilité internes du système climatique, comme l’oscillation de
Madden-Julian (Madden et Julian, 1971, MJO) pour les échelles S2S. D’autres sources de
prévisibilité proviennent de la persistance de conditions particulières (comme par exem-
ple une humidité du sol anormalement élevée sur une région étendue), ou encore de leur
propagation (comme lors d’anomalies dans la stratosphère qui influencent l’évolution de la
troposphère, Domeisen et al. (2020)). Enfin, des forçages externes peuvent être source
de prévisibilité, comme la concentration de gaz à effet de serre, ou les aérosols.
    Ces sources de prévisibilité peuvent induire une prévisibilité locale, mais également
sur d’autres régions du globe. On appelle téléconnexion le lien entre un phénomène cli-
matique et la variabilité de la circulation atmosphérique de grande échelle, influençant les
températures et précipitations sur une région distante (Trenberth et al., 1998). L’utilisation
du terme implique l’existence d’un mécanisme physique permettant d’établir une causalité

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entre les phénomènes.

    La notion de fenêtre d’opportunité découle de la variabilité spatiale et temporelle
    des phénomènes sources de prévisibilité aux échelles S2S et saisonnières décrits
    plus haut. Les performances des prévisions à ces échelles fluctuent en fonc-
    tion de ces phénomènes. L’identification des fenêtres spatio-temporelles pour
    lesquelles ces prévisions sont en capacité d’apporter une information pertinente
    avec une confiance accrue est un enjeu majeur pour le développement de ser-
    vices autour de ces échelles.

1.2.2   Modèles numériques
Les prévisions climatiques telles qu’abordées dans ce rapport s’appuient sur des modèles
numériques représentant les différents compartiments du système climatique. Les pre-
miers exemples de prévisions numériques océan-atmosphère à l’échéance de quelques
mois se focalisaient sur la prévision du phénomène ENSO (Cane et al., 1986).
    Aujourd’hui, les modèles de prévision climatique à l’état de l’art utilisés par les or-
ganismes scientifiques représentent l’océan, l’atmosphère, mais également les surfaces
continentales et la cryosphère terrestre et marine, afin de bénéficier au mieux des sources
de prévisibilité citées dans le paragraphe précédent.
    La figure 1 reprend un schéma de principe du modèle de climat couplé CNRM-CM
développé au CNRM et au CERFACS, et utilisé en prévision saisonnière à Météo-France.
    Par la suite, le terme "modèle" désignera indifféremment une composante spécifique
du système climatique (atmosphère, océan, surfaces continentales...) ou le modèle de
climat dans son ensemble.

1.2.3   Prévision d’ensemble
Comme précisé précédemment, la nature chaotique de l’atmosphère rend nécessaire une
approche probabiliste pour la prévision numérique. Cette approche probabiliste est as-
surée par une prévision d’ensemble: pour chaque prévision, un ensemble de plusieurs
intégrations de l’évolution climatique sur une même période, appelées membres, est réal-
isé dans le but d’évaluer l’incertitude qu’on peut y associer. Cette incertitude provient
non seulement de l’inexacte connaissance de l’état initial du système climatique au mo-
ment du démarrage de la prévision, mais également des incertitudes liées à la formulation
et aux paramètres des modèles numériques utilisés. Plusieurs méthodes existent pour
prendre en compte ces incertitudes, dont les perturbations stochastiques et l’approche
multi-modèle décrites plus loin.
    On entend généralement par système de prévision la chaîne de production com-
prenant la stratégie d’initialisation, les simulations numériques d’ensemble, et les post-
traitements permettant d’obtenir des sorties numériques de prévision saisonnière.

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Figure 1: Schéma du modèle couplé de climat CNRM-CM6, source: Voldoire et al. (2019).
Les noms désignent les modèles des différentes composantes des enveloppes fluides
représentées, ainsi que le logiciel de couplage (OASIS) et la bibliothèque de gestion des
entrées/sorties de ces modèles (XIOS).

1.2.4   Les re-prévisions
Au-delà des échéances de la prévision numérique déterministe, les systèmes de prévision
tendent à s’écarter de l’état initial (tenant compte des observations) et dériver vers un
attracteur proche de l’équilibre du modèle couplé intégré sur des centaines d’années.
    De plus, l’initialisation de la prévision consistant à relâcher une contrainte sur le sys-
tème couplé (comme on pourrait relâcher un ressort qu’on a comprimé vers une longueur
fixée), des chocs peuvent apparaître dans les premiers pas de temps, heures, semaines,
et mois de prévision, suivant la variable considérée.
    Ces deux facteurs, complexes à distinguer l’un de l’autre, induisent des erreurs dans
les prévisions climatiques dont il faut tenir compte afin d’en extraire une information utile,
et qui le plus souvent empêchent l’utilisation des sorties brutes des prévisions.
    Afin de mettre en œuvre des méthodes de correction et de calibration a posteriori des
prévisions en temps réel, on réalise sur une période passée, typiquement de l’ordre de

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vingt ou trente ans, des simulations appelées re-prévisions.
   Ces re-prévisions permettent également d’évaluer la qualité du système de prévision
sur un ensemble de saisons ou événements passés pour lesquels on dispose de données
de référence (réanalyses, données d’observation spatialisées...), et donc la possibilité de
calculer des scores quantifiant la performance du système.

1.2.5   Des sorties numériques aux applications
Par applications de la prévision saisonnière ou S2S, on entend l’ensemble des services
allant de la préparation des bulletins "grand public" aux activités de conseil aux entreprises
météo-sensibles pour lesquelles les échéances infra-saisonnière et saisonnière sont par-
ticulièrement pertinentes.
    Ces travaux nécessitent de replacer les prévisions numériques dans un contexte plus
général: compréhension des facteurs pouvant entraîner une prévisibilité accrue ou au con-
traire plus faible pour la période à venir, post-traitement et correction statistique des sor-
ties numériques, approches de combinaisons multi-modèles et utilisation de "benchmarks"
statistiques.
    Selon l’utilisation des prévisions, celles-ci peuvent procurer les forçages numériques
d’autres modèles numériques utilisés en aval, comme pour les applications en hydrologie.

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2   Positionnement de Météo-France sur la thématique
Cette partie décrit l’organisation de Météo-France autour des thématiques de prévision
saisonnière et infra-saisonnière. La figure 2 résume les étapes clés du développement
de ces thématiques qui sont développées dans ce qui suit. La prévision saisonnière est
une activité ancrée historiquement au CNRM depuis les années 1980. La prévision S2S
est apparue beaucoup plus récemment, et nous détaillerons le positionnement actuel de
Météo-France sur cette échelle dans la partie 2.4.

Figure 2: Chronologie répertoriant les principales étapes du développement de la prévi-
sion saisonnière et S2S à Météo-France, les systèmes de prévision consécutifs, ainsi que
les projets de recherche majeurs en lien avec la thématique auxquels l’établissement a
participé.

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2.1   Un acteur établi et reconnu en prévision saisonnière
Dans la foulée des projets européens ELMASIFA (programme Avicenne, 1994-1997) et
FP4 PROVOST (1996-1999), Météo-France s’est engagé depuis la fin des années 1990
dans la production en temps réel de prévisions saisonnières, diffusées sous forme d’un
bulletin à quatre mois d’échéance sur le site Internet de l’établissement. Ces prévisions
étaient des simulations d’ARPEGE forcées par une persistance des anomalies de tem-
pérature de surface de l’océan. Suite au projet européen FP5 DEMETER (2000-2003),
Météo-France a mis en œuvre son premier système de prévisions couplées océan-atmos-
phère (Système 2). Dans le cadre du consortium EUROSIP piloté par le CEPMMT, des
prévisions de modèles du CNRM, du CEPMMT et du Met-Office, rejoints par la suite par
le National Centers for Environmental Prediction (NCEP) (Etats-Unis) et le Japan Meteo-
rological Agency (JMA), étaient post-traitées et diffusées tous les mois sur le site du CEP-
MMT pour les principales variables atmosphériques d’intérêt à cette échelle (précipitation,
température de surface, SST, circulation atmosphérique).
     La mise en place à partir de 2015 du programme Copernicus Climate Change Ser-
vices, qui comprend une composante prévision saisonnière, a permis de standardiser et
d’étendre cette production. EUROSIP a cessé ses activités en 2019 avec l’intégration de
tous les systèmes de prévision (NCEP et JMA compris) dans la plateforme C3S. Nous
reviendrons plus en détail sur les implications de C3S pour l’établissement dans la partie
2.3.
     Météo-France remplit des fonctions auprès de l’OMM liées à la prévision saisonnière:
l’établissement est l’un des producteurs désignés de prévision saisonnière (Global Pro-
ducing Center), et a la responsabilité du nœud prévision saisonnière du centre climatique
régional (Regional Climate Center) de la zone VI (Europe). Toujours dans le cadre des ac-
tivités liées à l’OMM, l’établissement participe activement à plusieurs forums climatiques
régionaux (RCOF, pour Regional Climate Outlook Forum) sur les régions concernant la
métropole et les territoires d’outre-mer. Nous les détaillerons dans la partie 4.1.1. Par
ailleurs, l’auteur de ce rapport fait partie depuis 2019 du Working Group on Subseasonal
to Interdecadal Prediction (WGSIP), groupe de travail du World Climate Research Pro-
gramme (WCRP), preuve de l’expertise du CNRM en matière de prévision à l’échelle
saisonnière.

2.2   La prévision saisonnière dans la stratégie de Météo-France
La prévision saisonnière est un domaine bien identifié dans la stratégie scientifique de
Météo-France, ainsi que les prospectives successives du CNRM évaluées par le HCERES.
Un des objectifs du Contrat d’Objectifs et de Performance en cours est de "Innover pour
maintenir les systèmes de prévision numérique du temps et de projection climatique au
meilleur niveau international et réaliser les simulations en amont des services climatiques".
Il est précisé qu’un des moyens de remplir cet objectif est de "poursuivre l’amélioration des
systèmes de prévision saisonnière". A Météo-France, ces systèmes s’appuient notamment
sur le modèle couplé de climat CNRM-CM.
    Les activités de recherche et la production des prévisions numériques à l’échelle saison-
nière sont portées par l’équipe PASTEL du CNRM, qui comporte quatre chercheurs et un

                                            10
ingénieur permanents et plusieurs agents contractuels (actuellement, deux post-doctorants
et une doctorante). Cette équipe a donc la particularité d’avoir une production opéra-
tionnelle dans ses activités. Le rythme de production (deux dates principales de démar-
rage à la fin du mois) et les délais de fourniture des prévisions au CEPMMT ont permis
à l’équipe d’assurer cette activité sans accroc depuis les années 2000. La surveillance
de la chaîne de prévision repose sur un ingénieur, secondé par un chercheur en cas
d’indisponibilité (congés). En incluant la production des re-prévisions, la conception des
systèmes de prévision et les validations préalables à un changement de système, l’activité
directement liée à la production pour C3S peut être estimée à 1,5 équivalent temps plein
(ETP) environ depuis 2016. L’équipe PASTEL s’appuie sur le GMGEC pour le développe-
ment et l’amélioration du modèle couplé CNRM-CM, et des collaborations externes (no-
tamment Mercator Ocean International pour les réanalyses et analyses océaniques).

Figure 3: Schéma d’organisation des services utilisant les prévisions saisonnières et infra-
saisonnières à Météo-France

    Les services exploitant la prévision saisonnière (figure 3) sont principalement dévelop-
pés et produits par la Direction de la Climatologie et des Services Climatiques (DCSC).
L’équipe Analyse et Veille Hydrologique (AVH) est en charge de l’élaboration du bulletin de
prévision saisonnière de Météo-France. En plus des services sectoriels décrits dans la par-
tie 4, Météo-France tient un rôle de conseil sur l’échelle saisonnière en tant qu’opérateur de
l’Etat, et la DCSC est sollicitée à ce titre sur un certain nombre d’enjeux récurrents (risques
de sécheresse, de vagues de chaleur) et ponctuels (par exemple, évaluer le risque d’avoir
une saison plus froide pouvant induire des problèmes d’approvisionnement en électricité

                                              11
si plusieurs centrales nucléaires sont arrêtées pour maintenance). Ces activités mobilisent
actuellement environ 3 ETP. Certains services sectoriels comme ceux liés à la demande
énergétique se sont développés à la Direction des Services Météorologiques (DSM), no-
tamment dans le cadre du programme C3S. Les directions d’outre-mer ont également mis
en place des bulletins et services spécifiques à leur région d’intérêt.

2.3   Le programme Copernicus Climate Change Services
Le programme Copernicus Climate Change Services (C3S) a eu un rôle déterminant dans
l’évolution de la prévision saisonnière à Météo-France au cours des six dernières années,
tant pour le système de prévision que pour la diversité des produits développés dans les
directions en charge des services. C3S est opéré par le CEPMMT par délégation de
la Commission Européenne, et remplit ses objectifs en sous-traitant une partie de ses
activités dans le cadre de contrats spécifiques.
    Deux contrats successifs ont porté sur la fourniture en temps réel de prévisions saison-
nières numériques: un premier contrat de 2016 à 2018 s’est d’abord appuyé sur la pro-
duction pour le consortium EUROSIP pour ensuite passer à une chaîne opérationnelle
répondant aux standards édictés par C3S:

   • Une résolution atmosphérique horizontale d’au moins 50 km

   • Une taille d’ensemble de re-prévisions de 25 membres minimum

   • Des données de sortie atmosphériques à fréquence quotidienne au format NetCDF
     répondant à des exigences de qualité

    Dans le cadre d’un deuxième contrat de 2018 à mi-2021, une exigence supplémen-
taire a été d’augmenter la résolution du modèle d’océan à une résolution équivalente à
l’atmosphère. Ceci s’est traduit au CNRM par l’utilisation d’une version à haute résolution
du modèle CNRM-CM6 (résolution à 50 km dans l’atmosphère, et au 1/4◦ pour l’océan).
    Parmi les contributeurs contractuels, aux systèmes d’EUROSIP (CEPMMT, Met Office
et Météo-France) se sont ajoutés deux nouveaux systèmes opérationnels de prévision
saisonnière implémentés au DWD (Allemagne) et au CMCC (Italie). Le multi-modèle s’est
ensuite élargi en 2019 pour inclure les contributions bénévoles du NCEP et du JMA. Au
total, plus de 400 membres de prévision sont ainsi disponibles chaque mois (le nombre
exact variant chaque mois selon le calendrier de production de certains centres contribu-
teurs comme le NCEP, le JMA ou le MetOffice). Les prévisions de ces sept systèmes
sont publiées sous la forme de graphiques sur le site https://climate.copernicus.eu/
charts/c3s_seasonal/ et les données diffusées sur le portail C3S Climate Data Store
(CDS, https://cds.climate.copernicus.eu/). Les re-prévisions sur la période 1993-
2016 sont également disponibles sur le CDS. La figure 4 montre un exemple de produit
graphique multi-systèmes.
    Le rythme de mise à jour du système de prévision de Météo-France imposé par les
attentes de C3S a été très élevé. Jusqu’en 2015, l’équipe avait développé trois nouveaux
systèmes en l’espace de dix ans. Après le passage au Système 6 mi-2017, le Système 7

                                            12
Figure 4: Exemple de graphique produit par C3S à partir des prévisions saisonnières pour
la saison de mai à juillet (MJJ) des sept centres contributeurs, initialisées au plus tard le 1er
avril. Les plages de couleurs indiquent la probabilité prévue pour le tercile de température
à 2m le plus probable. Les régions blanches indiquent soit une région pour laquelle la
température prévue est proche des normales, soit une région pour laquelle les modèles
divergent sur le scénario à privilégier.

a été lancé à l’automne 2019 et le Système 8 a été défini fin 2020 et passera en production
opérationnelle à l’été 2021. Ce rythme a demandé un investissement fort de l’équipe PAS-
TEL en moyens humains et temps de calcul. Cette fréquence de mise à jour a également
des conséquences en termes d’activité des équipes en charge des services, notamment
pour toutes les applications nécessitant une phase de calibration ou de correction sur la
base des re-prévisions.
     Les retombées positives de ces contrats sont nombreuses: en particulier, la standard-
isation de la production de prévision saisonnière a facilité le développement de produits
utilisant les sorties de plusieurs modèles producteurs de C3S, intégrés aux bulletins opéra-
tionnels et au site http://seasonal.meteo.fr. De plus, C3S a permis à Météo-France
d’asseoir encore davantage son statut de producteur de prévisions saisonnières vis-à-vis
de partenaires nationaux et internationaux.
     La deuxième phase du programme C3S démarre en 2021, et Météo-France espère
renouveller sa position de producteur opérationnel de prévisions saisonnières. L’établisse-
ment a ainsi répondu à l’appel d’offres sur la fourniture de prévisions saisonnières pour
les quatre prochaines années. Le rythme de mise à jour du système opérationnel sera

                                               13
cependant moins élevé qu’auparavant, les principales attentes en termes de qualité et de
résolution des modèles étant déjà remplies par le système actuel de prévision.

2.4     L’échelle "S2S": une dichotomie assumée
2.4.1   Implication dans le projet S2S
L’implication de Météo-France dans le projet S2S co-piloté par le WWRP (World Weather
Research Programme) et le WCRP (World Climate Research Programme) remonte à
2015, lorsque l’équipe en charge de la prévision saisonnière a été contactée par le CEP-
MMT afin de contribuer à la base S2S avec ses prévisions en temps réel réalisées pour
EUROSIP. L’objectif de ce projet est, à l’instar du projet TIGGE (THORPEX Interactive
Grand Global Ensemble, Bougeault et al. (2010)) pour la moyenne échéance, de fournir
à la communauté une base de données de re-prévisions et prévisions (disponibles trois
semaines après le temps réel) afin de nourrir les activités de recherche autour de cette
échéance (Vitart et al., 2017).
    La disponibilité de ressources de calcul sur le calculateur du CEPMMT a permis de
réaliser des re-prévisions à 60 jours d’échéance avec le modèle CNRM-CM utilisé pour le
Système 5 de prévision saisonnière, opérationnel à l’époque, pour les 1er et 15 de chaque
mois sur la période 1993-2015, et de mettre en place une prévision en temps réel lancée
tous les quinze jours, puis à fréquence hebdomadaire.
    La mise à disposition de données a suscité un engouement international en termes
de projets de recherche. Les États-Unis ont par exemple financé un partenariat entre
plusieurs laboratoires d’Amérique du Nord autour de la thématique, le projet SubX. En
Europe, la plupart des efforts coordonnés de recherche sur la thématique ont porté sur le
développement de services (on citera le projet S2S4E focalisé sur les énergies renouve-
lables). Si ses collaborations autour de cette échelle restent pour l’heure assez restreintes,
l’implication de l’équipe PASTEL dans le projet S2S et la réalisation des prévisions lui a per-
mis de développer des activités de recherche, notamment par le biais d’accueil d’étudiants
en stage de master ou en doctorat. Les prévisions temps réel ont également fait l’objet
de plusieurs cas d’études valorisés dans des publications scientifiques (Ardilouze et al.,
2017b; Batté et al., 2018; Domeisen et al., 2021).

2.4.2   Conséquences du positionnement sur la thématique
Le premier système de prévision S2S développé en 2015 s’est appuyé sur le Système 5
pré-existant, tant pour la préparation des conditions initiales et la génération d’ensembles,
que pour les exécutables du modèle couplé de climat. Il en résulte un système de prévision
souvent sous-optimal pour la courte et moyenne échéance (1-15 jours), mais dont les
performances sur la fenêtre cible de 2 à 6 semaines sont à un niveau équivalent à la
plupart des systèmes contribuant au projet (hormis le plus souvent le modèle du CEPMMT
dont les performances restent au-dessus des autres centres pour la plupart des variables
étudiées).
   Lors de la mise en place d’un second système en 2020, l’équipe PASTEL du GMGEC
s’est appuyée sur la production opérationnelle du Système 7 de prévision saisonnière,

                                              14
cette fois-ci en concevant les systèmes de manière conjointe. Ainsi, les deux derniers
jeudis du mois utilisés en démarrages décalés (lag-average) pour la prévision saisonnière
correspondent à deux initialisations hebdomadaires du système S2S, qui sont complétées
par les autres jeudis "manquants", ceci à la fois pour les re-prévisions et la production en
temps réel pour le projet S2S.
    Ceci étant, la méthode de dispersion d’ensemble, si elle permet une dispersion suff-
isante aux échelles saisonnières, n’est pas optimisée pour l’échelle S2S. De même, l’initiali-
sation de la prévision peut générer des chocs initiaux qui dégradent les performances du
système au cours de la première semaine. Le système S2S de Météo-France résulte de
compromis en termes de coût de calcul, et ne peut donc être considéré comme un système
opérationnel à part entière. Dans le cadre du projet S2S, les productions sont regroupées
avec des systèmes conçus sur mesure pour cette fenêtre de prévision.
    En termes de ressources humaines, l’activité représente environ 0,2 ETP pour le suivi
des prévisions en temps réel et les interactions avec l’équipe technique du projet S2S, et
entre 1 et 1,25 ETP en activités de recherche dans l’équipe PASTEL, sachant que d’autres
chercheurs du CNRM s’intéressent à cette échelle (notamment dans l’équipe TROPICS
du Groupe de Météorologie de Moyenne Échelle (GMME)).
    En ce qui concerne la production de services à Météo-France, ce sont les prévisions
du CEPMMT (dans la continuité des prévisions à moyenne échéance) qui sont utilisées
pour couvrir les échelles mensuelles à subsaisonnières des produits qui les exploitent. De
même, les activités à Météo-France relevant de l’initiative CREWS (Climate Risk and Early
Warning Systems, https://www.crews-initiative.org/en/projects) s’appuient sur les
prévisions du CEPMMT pour cette fenêtre temporelle (voir la partie 2.4.3). Même si la
production du CNRM pour S2S n’est pas à visée opérationnelle, le suivi graphique des
prévisions via un site interne développé en 2019 (cf. figure 5) a permis à des agents
des services opérationnels de Météo-France de mieux quantifier les incertitudes de ces
prévisions.

2.4.3   Implication de Météo-France dans des projets institutionnels liés à S2S
Actuellement la demande d’information à l’échelle infra-saisonnière est grandissante. C’est
notamment le cas dans les régions tropicales où une anticipation d’une dizaine de jours de
périodes sèches / humides ou d’événements extrêmes peut avoir un fort enjeu humain, so-
cial et financier. Cela s’est traduit par des interventions dans le cadre des projets CREWS
Burkina Faso (2018-2020), CREWS Tchad (2020-2022), CREWS Togo (2020-2022), et
CREWS Indian Ocean (2020-2022) dans lesquels Météo-France s’est positionné sur le
développement de produits de prévision saisonnière et infra-saisonnière intégrant une ex-
pertise humaine, notamment en tirant parti de paramètres et mécanismes pouvant être
mieux représentés par les modèles S2S que les précipitations, comme les ondes équa-
toriales et la circulation de grande échelle. Pour ces projets, l’établissement s’appuie sur
les prévisions saisonnières de C3S (dont celles de Météo-France), et sur le système de
prévision d’ensemble S2S du CEPMMT.
    Beaucoup est actuellement fait en terme de produits de prévisions et de méthodologie
par l’IRI (International Research Institute for Climate and Society, Université de Columbia)

                                             15
Figure 5: Illustration de produits graphiques de suivi des prévisions disponibles sur un site
interne. Les prévisions S2S réalisées au CNRM sont comparées aux prévisions S2S du
CEPMMT pour plusieurs champs pertinents (géopotentiel à 500 hPa, pression au niveau
de la mer, température à 2m, précipitations) ainsi que pour des modes de variabilité.

et le CEPMMT sur une base multi-modèle et poussant jusqu’aux produits sur-mesure. Un
des atouts de Météo-France est de posséder des compétences fortes à la fois dans les
métiers de la prévision synoptique, infra-saisonnière et saisonnière et dans la compréhen-
sion des mécanismes physiques en jeu aux différentes échelles.

                                             16
3       Avancées et prospectives des travaux de recherche
On reprend dans cette partie les différents ingrédients cités dans la partie 1.2 afin de
décrire les principaux travaux sur ces aspects et les perspectives associées.

3.1     Sources de prévisibilité et leur modélisation
3.1.1    Surfaces continentales
Bilan L’influence des surfaces continentales, et plus particulièrement de l’humidité du sol,
sur la prévisibilité en été a fait l’objet de plusieurs travaux récents au CNRM, notamment
dans le cadre d’une thèse de doctorat (Ardilouze, 2019).
    L’importance de l’initialisation de l’humidité du sol a été quantifiée dans le cadre d’une
étude multi-modèle portée par le CNRM (Ardilouze et al., 2017a). Cette étude a montré
qu’on pouvait obtenir une amélioration significative des prévisions de température de sur-
face en été dès lors qu’on initialisait de manière plus réaliste les surfaces continentales en
mai, et ce sur des régions identifiées par des travaux antérieurs comme étant soumises à
un couplage fort entre l’humidité du sol et l’atmosphère, comme la région des Balkans.
    Elle a également permis d’identifier des biais récurrents des modèles utilisés en prévi-
sion saisonnière, notamment sur la région des Grandes Plaines d’Amérique du Nord,
où on aurait pu s’attendre à des améliorations similaires. Une méthode de correction
des flux de précipitations qui pénètrent dans le sol a permis de réduire les biais secs et
chauds sur la région, notamment en améliorant la variabilité de l’humidité du sol et de
l’évapotranspiration sur la zone (Ardilouze et al., 2019a).
    Pour mieux quantifier le lien entre humidité des sols et précipitations à l’échelle saison-
nière, des expériences plus idéalisées ont été menées dans le cadre de projets européens
(FP7 SPECS et ERA4CS MEDSCOPE). Dans SPECS, deux jeux de re-prévisions où
l’humidité du sol estimée par la réanalyse ERA-Land du CEPMMT était imposée ont
été comparés à des expériences où l’humidité du sol pouvait évoluer librement à partir
de l’initialisation au 1er mai (Ardilouze et al., 2019b). La figure 6 montre l’influence de
l’humidité du sol sur les scores des précipitations sur la saison d’été (JJA) estimée par
ce protocole. Les régions en rouge de la figure 6 (c) sont celles pour lesquelles la cor-
rélation des précipitations prévues avec les données d’observation est améliorée lorsque
l’humidité du sol est contrainte. L’analyse des expériences a également permis de mettre
en exergue les régions d’Europe les plus influencées par les conditions d’humidité du sol,
et de préciser le rôle des surfaces continentales pour la bonne prévision des vagues de
chaleur de 2003 (en Europe de l’ouest) et 2010 (en Russie occidentale). En effet, d’autres
facteurs tels que les conditions de température de surface de la mer et la chronologie des
régimes de circulation atmosphérique (chronologie non prévisible à l’échelle de la saison)
prédominent dans le cas de l’été 2003, qui est caractérisé par l’occurrence de plusieurs
épisodes de vagues de chaleur courtes et intenses. Pour l’événement de 2010, ces sim-
ulations confirment le rôle fondamental des surfaces continentales dans l’amplification et
la durée de cette vague de chaleur (résultat cohérent avec les travaux de Hauser et al.
(2016)).

                                              17
Figure 6: Corrélation des précipitations moyennes des saisons JJA de la période 1993-
2012 avec les données GPCC pour des re-prévisions initialisées le 1er mai avec une
évolution libre de l’humidité du sol (G-REF, a) et une humidité du sol contrainte vers ERA-
Land (G-SOIL, b), et différence de corrélations "G-SOIL - G-REF" (c). Figure adaptée de
Ardilouze (2019).

    Des expériences dans le cadre du projet ERA4CS MEDSCOPE ont permis de com-
pléter les travaux de thèse de Constantin Ardilouze. De nouvelles expériences multi-
modèles pour lesquelles l’humidité du sol a été imposée à des valeurs extrêmement sèches
et humides sur le bassin Méditerranéen ont approfondi la compréhension du rôle de cette
variable sur les précipitations (Ardilouze et al., 2020) et les vagues de chaleur (Materia
et al., 2021) sur la région. En effet, ce rôle est difficile à mettre en évidence dans le cadre
de re-prévisions en raison du faible rapport signal sur bruit et du peu d’années disponibles.

Perspectives Les perspectives des travaux de ces prochaines années au CNRM sur la
thématique sont d’étendre la compréhension des phénomènes à l’origine de prévisibilité
à ces échelles au-delà de l’humidité du sol. Les travaux dans le cadre du projet interna-
tional LS4P (piloté par les programmes S2S et GEWEX, https://ls4p.geog.ucla.edu/)
s’intéressent aux contributions relatives de l’humidité et de la température des couches su-
perficielles du sol à la prévisibilité du climat à l’échelle infra-saisonnière, non seulement via
une rétroaction locale, mais également par l’impact sur la circulation atmosphérique. Dans
le cadre du projet H2020 CONFESS qui a débuté fin 2020, on se focalisera sur l’influence
d’une meilleure prise en compte de l’utilisation des sols et de la végétation sur la qual-
ité des prévisions, notamment en termes de tendances sur les périodes de re-prévision.
L’objectif in fine est de tirer parti de jeux d’observations satellites et de données grillées ex-

                                               18
istantes, afin d’améliorer l’initialisation des prévisions saisonnières produites dans le cadre
de C3S. Le défi est de disposer de données globales et aussi homogènes que possibles
sur la période de re-prévisions et en temps quasi-réel pour les prévisions, malgré des dis-
continuités dans les observations satellites. Les travaux du projet H2020 CONFESS se
focaliseront sur l’indice foliaire (Leaf Area Index, ou LAI) en utilisant les estimations tirées
d’observation satellites d’AVHRR (jusqu’en 2005) et le produit de Copernicus Global Land
Service (CGLS-V2-1km) calculé à partir des réflectances de SPOT-VEGETATION (1998-
2014) puis PROBA-V (2013-aujourd’hui), ainsi que l’utilisation des sols estimée par les
données harmonisées LUH2 (Hurtt et al., 2020). Ils viennent en complément d’un objectif
de l’équipe d’investiguer les apports d’une végétation interactive telle qu’intégrée dans le
modèle CNRM-ESM2-1 en prévision saisonnière.
    L’ensemble de ces travaux s’appuient sur des compétences sur le modèle de surfaces
continentales naturelles ISBA-CTRIP de SURFEX développées depuis 2015 au sein de
l’équipe PASTEL au GMGEC, mais également des collaborations sur la thématique au sein
du laboratoire (équipes Étude Système Terre - EST - du GMGEC, SURFACE du GMME)
et à l’international (notamment le CEPMMT, et les CNR-ISAC et CMCC en Italie).
    Jusqu’ici, les travaux de l’équipe se sont surtout focalisés sur la saison estivale et le
lien entre l’humidité du sol et l’atmosphère, mais l’amélioration de l’initialisation de la neige
continentale (étendue et épaisseur) et son impact sur la prévisibilité en hiver (abordés dans
le projet MEDSCOPE) font partie des axes à explorer dans les années qui viennent.

3.1.2   Océan et glace de mer
Bilan Si l’ENSO reste la principale source de prévisibilité à l’échelle saisonnière (présen-
tée dans la partie 3.1.3), les travaux au CNRM sur l’océan comme source de prévisibilité
ont aussi porté ces dernières années sur les moyennes et hautes latitudes, notamment
impulsés par le projet H2020 APPLICATE (2017-2021).
    L’étude de re-prévisions avec CNRM-CM6-1 n’a pas permis d’établir de lien statistique-
ment significatif sur la période 1993-2014 entre l’étendue de glace de mer en Arctique
(mers de Barents et Kara, notamment) et l’oscillation Nord-Atlantique. Toutefois, dans
un cadre multi-modèle, Acosta-Navarro et al. (2020) ont quantifié à l’aide de régressions
linéaires le rôle de la variabilité de la couverture de glace en novembre sur les mers de Bar-
ents et Kara dans les scores de prévision de pression de surface, de températures et de
précipitations de décembre à février. Ils montrent que plus la corrélation entre l’anomalie
de couverture de glace et la pression de surface sur la Russie occidentale est négative,
meilleure est la prévision de la pression de surface. Une analyse composite sur les mem-
bres de re-prévision suggère que cette téléconnexion est favorisée par des conditions de
blocage sur la Scandinavie en novembre.
    Dans le cadre d’un stage de master en collaboration avec Mercator Ocean Interna-
tional et l’équipe Interactions Océan Glace Atmosphère (IOGA) du GMGEC, des simu-
lations avec le modèle CNRM-CM ont permis de revisiter l’hypothèse de Duchez et al.
(2016) (formulée sur la base de données d’observations et de réanalyse) selon laquelle la
vague de chaleur de l’été 2015 en Europe de l’Ouest était principalement pilotée par une
zone étendue d’anomalies froides de SST sur l’Atlantique Nord (Souan, 2017). Le mod-

                                               19
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