Inégalités scolaires et politiques d'éducation - Cnesco
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COMMENT L’ÉCOLE AMPLIFIE LES INÉGALITÉS SOCIALES ET MIGRATOIRES ? Inégalités scolaires et politiques d’éducation GEORGES FELOUZIS, BARBARA FOUQUET-CHAUPRADE, SAMUEL CHARMILLOT & LUANA IMPERIALE-AREFAINE Université de Genève Barbara.Fouquet-Chauprade@unige.ch Georges.Felouzis@unige.ch Samuel.Charmillot@unige.ch Luana.Arefaine@unige.ch
Ce document s’inscrit dans une série de contributions publiées par le Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) dans le cadre de son rapport scientifique : comment l’école amplifie les inégalités sociales et migratoires ? Les opinions et arguments exprimés n’engagent que les auteurs de la contribution. Pour citer cet article : Felouzis, G., B. Fouquet-Chauprade, S. Charmillot, et L. Imperiale-Arfaine, (2016). Inégalités scolaires et politiques d’éducation. Contribution au rapport du Cnesco Les inégalités scolaires d’origines sociales et ethnoculturelle. Paris. Cnesco. Disponible sur le site du Cnesco : http ://www.cnesco.fr Publié en Mars 2016 Conseil national d’évaluation du système scolaire Carré Suffren - 31-35 rue de la Fédération 75015 Paris
Table des matières Résumé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 I Inégalités scolaires : De quoi parle-t-on ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 1 Groupes et ampleur des inégalités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 2 L’égalité des chances et ses limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 3 Les sources des inégalités scolaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 II Les inégalités scolaires en France : quelle évolution ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 1 Les inégalités d’acquis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 2 Les inégalités de parcours scolaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 III L’évolution des politiques éducatives et du système scolaire : quels liens avec les inégalités ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 1 Le collège unique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28 2 La carte scolaire : une politique de lutte contre la ségrégation ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 3 L’éducation prioritaire : outil de lutte contre les effets de la ségrégation ? . . . . . . . . . . . . 33 4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 IV Les mécanismes de production des inégalités scolaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 1 La "qualité de l’éducation" : un concept multidimensionnel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 2 Ségrégation scolaire et qualité de l’enseignement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 3 Pédagogie et inégalités d’apprentissage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 4 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 V Conclusion générale - Lutter contre la ségrégation scolaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 1 Un système en déroute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 2 Massification ségrégative et compensation distributive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 3 Lutter explicitement contre la ségrégation au lieu de la produire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 3
Table des gures Figure 1 Distribution des élèves selon leurs performances globales aux tests de début de CP (évolution 1997-2011). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18 Figure 2 Distribution des élèves selon leurs performances globales aux tests de début de CE2 (évolution 1999-2013). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Figure 3 Les performances en lecture. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Figure 4 Évolution des inégalités scolaires en France. Compréhension de l’écrit 2000-2012 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21 Figure 5 Score en mathématiques prédit, en fonction du statut migratoire et du niveau d’études des parents, PISA 2003. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22 Figure 6 Score en mathématiques prédit, en fonction du statut migratoire et du niveau d’études des parents, PISA 2012. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Figure 7 Proportion d’élèves ayant obtenu le baccalauréat selon le milieu social.. . . . . . . . . . . . . . . 26 Figure 8 Origine sociale des étudiants en CPGE en 2001 et 2011. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Figure 9 Secteur du collège fréquenté par l’élève selon son milieu social (en %). . . . . . . . . . . . . . . . 31 Figure 10 Dispositifs de l’éducation prioritaire et dispositifs qui y interviennent . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Figure 11 Évolution de la part de variance expliquée par l’établissement en France. . . . . . . . . . . . . . 39 Figure 12 L’impact de la composition socio-économique des écoles sur les performances des élèves : modèle théorique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 Figure 13 Stratégies d’apprentissage et métacognitives selon le quartile de l’indice socio-économique en Suisse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 5
Résumé Le propos de ce rapport est de penser les liens entre inégalités scolaires et politiques éducatives. Par "inégalités scolaires" nous entendons une inégale répartition de biens distribués par l’école - parcours d’ap- prentissage, diplômes, compétences - en fonction de groupes socialement définis notamment par le milieu socio-économique, le capital culturel des parents ou le parcours migratoire. Cette question est particu- lièrement pertinente dans le contexte français qui, sous couvert d’égalité des chances et de méritocratie "républicaine", conduit à l’échec une bonne partie des élèves issus de ces groupes minoritaires : les élèves migrants et issus de l’immigration, les élèves défavorisés au plan socio-économique et/ou faiblement dotés en capital culturel. Ce travail ne consiste pas à interroger le caractère juste ou injuste des inégalités scolaires, ni à déterminer s’il est normal que les élèves les plus défavorisés au plan économique soient aussi désavantagés au plan de leurs apprentissages et de leurs acquis scolaires. Nous avons considéré - peut-être naïvement - qu’il était clair pour tous que de tels écarts d’apprentissage - achievement gap - étaient non seulement en rupture avec les valeurs promues dans les sociétés démocratiques avancées, mais aussi qu’ils étaient peu fonctionnels dans un pays développé et riche où la place des individus dépend étroitement de leur niveau de diplôme et des compétences acquises en cours de formation. Cette situation d’inégale répartition des compétences scolaires et des savoirs existe certes dans tous les pays. Mais nous montrons que l’ampleur de ces inégalités est particulièrement marquée en France, bien plus que dans les pays voisins tels que le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, le Luxembourg, la Suisse. De plus, ces inégalités s’accroissent significativement depuis dix ou vingt ans (on pourra par exemple se référer respectivement aux sources telles que Pisa et les sources nationales comme celles de la DEPP). Soyons concrets : savoir lire un texte simple ou effectuer un calcul élémentaire en fin d’école primaire, savoir résoudre un problème basique de géométrie en fin de collège, maîtriser les bases du raisonnement scientifique sont des compétences que tous les élèves ne maîtrisent pas, notamment les plus fragiles au plan socio-économique et culturel. Soyons plus clairs encore. La part des élèves qui ne maîtrisent pas ces compétences basiques augmente parmi les élèves socialement défavorisés alors qu’elle régresse parmi les élèves des milieux favorisés. Cela signifie que l’école en France est peu efficace et de moins en moins équitable. Elle ne parvient pas à faire acquérir les compétences de base à tous les élèves alors même que c’est l’une des missions fondamentales de l’enseignement obligatoire. Par définition une inégalité est un écart (de performance, d’acquis, de réussite, etc.) qui dépend méca- niquement de deux phénomènes : l’évolution des acquis des groupes les plus favorisés et celle des groupes les moins favorisés. Dans le cas de la France, contrairement à la moyenne des pays de l’OCDE, on observe un effet de ciseaux : les performances des plus favorisés s’améliorent alors que celles des moins favorisés se dégradent. En d’autres termes, l’école française est efficace pour les plus favorisés et peu efficaces 7
pour les élèves appartenant aux groupes minoritaires définis par leur origine socio-économique, culturelle, migratoire. Comment expliquer une telle situation ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de passer en revue les politiques éducatives qui, en France, sont susceptibles d’influer sur les inégalités scolaires, qu’il s’agisse de l’accès aux diplômes ou aux apprentissages scolaires. Nous analysons trois politiques : le collège unique, la carte scolaire et l’éducation prioritaire. Ces trois politiques sont fortement cohérentes entre elles puisqu’elles se proposent officiellement d’égaliser autant que possible, les conditions d’apprentissage entre tous les élèves. Le bilan de ces trois politiques phares de l’éducation en France est pourtant peu rassurant. Le collège "unique" n’a jamais été unique et ne propose en fait nullement les mêmes conditions d’apprentissage, ni les mêmes opportunités ou les mêmes chances à tous les élèves. La gestion de la carte scolaire est chaotique. Elle tend à reproduire la ségrégation sociale et ethnique des espaces urbains dans les établissements scolaires. Enfin, l’éducation prioritaire consiste trop souvent à institutionnaliser les ghettos ethniques et sociaux dans les établissements scolaires, sous couvert de "donner plus à ceux qui ont le moins". Nous savons désormais que cette politique est peu efficace (en France comme dans tous les pays où elle a été appliquée). Il ressort de nos analyses que la vertu principale de l’éducation prioritaire est probablement de donner bonne conscience aux politiques et aux classes moyennes aisées. Ceux-ci s’accommodent fort bien des situations d’apartheid scolaire dans lesquelles se trouve une part non négligeable de la population scolarisée sur le territoire français. En définitive, nous montrons que la mise en œuvre concrète de ces politiques produit et/ou renforce la ségrégation scolaire. Nous montrons aussi que tous les acteurs de l’éducation sont à la source de cette ségrégation : l’administration scolaire qui organise la diversification de l’offre, les parents qui choisissent quand ils le peuvent d’éviter les établissements qui offrent des conditions dégradées qui pourraient être préjudiciables à leur enfant, les chefs d’établissement qui jouent la concurrence dans les espaces locaux, les politiques qui préfèrent le statu quo sur un sujet potentiellement explosif, les enseignants qui préfèrent enseigner dans un bon climat scolaire plutôt que dans un mauvais. En quoi la ségrégation scolaire est-elle une source déterminante des inégalités ? Certaines populations d’élèves sont mises à l’écart dans les établissements. Ils sont souvent défavorisés au plan économique, social et urbain. Ils appartiennent souvent à une minorité ethno-raciale. Ils se définissent aussi par un retard d’apprentissage accumulé depuis les premiers pas à l’école. Leurs compétences moyennes sont donc faibles, voire très faibles. Or le fait de scolariser ensemble - dans les mêmes établissements et dans les mêmes classes - ces élèves a des effets spécifiques sur leurs chances d’apprendre. Trois vecteurs d’inégalités permettent d’expliquer l’effet de la ségrégation scolaire sur les apprentissages : les effets de composition (être scolarisé dans une classe en moyenne faible a des effets négatifs sur les apprentissages), les effets de climat scolaire (valeurs scolaires, ambiance d’apprentissage, culture scolaire vs culture des élèves, motivation à apprendre) et les effets de qualité de l’enseignement fourni aux élèves (niveau de formation et expérience des enseignants, nature de la mobilisation des équipes des établissements). Ces trois vecteurs (composition, climat et qualité de l’enseignement) sont fortement reliés entre eux et forment ensemble la qualité de l’éducation offerte aux élèves. Les plus défavorisés, les migrants, les descendants de migrants ne bénéficient pas de la même qualité déducation que les autres. Ils ne bénéficient pas des mêmes opportunités d’apprentissage ce qui accentue les inégalités de départ entre groupes d’élèves constatées dans ce rapport. 8
On pourrait aisément penser que nos résultats conduisent à un certain pessimisme sur l’avenir de l’école en France. Cela est vrai, mais qu’en partie seulement. Car il ressort de nos analyses que le problème principal de l’école en France est l’absence de régulation politique de l’affectation des élèves aux établissements d’une part, et celui d’une inégalité de la qualité de l’éducation donnée aux élèves d’autre part. D’où notre conclusion qui plaide pour une politique explicite de déségrégation, ce qui à ce jour n’a jamais été mis en œuvre en France. 9
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Inégalités scolaires et politiques d’éducation Introduction Le présent rapport traite de l’évolution des inégalités scolaires en France depuis une vingtaine d’années. Il se situe volontairement dans une temporalité courte dans la perspective d’étudier les sources et les logiques de ces évolutions et d’identifier les modes d’action publique susceptibles de limiter ces inégalités de façon à rendre l’école plus juste et équitable. La première question traitée ici concerne la définition même du concept d’inégalités. La tâche peut paraître ardue, tant il est vrai que ce concept est soumis à de fortes turbulences théoriques selon que l’on se situe dans une logique de justice distributive ou compensatoire, ou encore d’un point de vue individuel ou collectif. Toutefois, il nous faut préciser que ces principes de justice peuvent varier selon que l’on se situe dans le domaine de l’enseignement obligatoire ou post-obligatoire. Les missions de ces deux moments des parcours scolaires ne sont en effet pas les mêmes. Du côté de l’enseignement obligatoire, la mission - au plan de l’enseignement - est de garantir à tous les compétences de base nécessaires à la vie en société. Cette mission première nous servira de guide pour définir ce que nous comprenons sous le vocable "inégalité", tout en nous questionnant sur les critères, les groupes, les indicateurs pertinents pour en mesurer l’ampleur (Felouzis, 2014). Du côté du post-obligatoire - nous pensons ici au lycée, bien sûr, mais aussi et surtout à l’enseignement supérieur - la différenciation des parcours et des apprentissages en constitue une dimension première, ce qui change bien évidemment la donne quant aux principes de justice que l’on peut y appliquer. Précisons d’ores et déjà que dans le cadre de ce rapport, l’expression "inégalités scolaires" désigne une inégale répartition d’un bien scolaire (des acquis, connaissances, savoirs, diplômes, etc.) entre groupes d’élèves désignés par leur origine sociale, leur sexe, leur parcours migratoire notamment. Cette première définition nous permettra d’aborder les constats empiriques sur l’évolution des inégalités scolaires en France. La temporalité ainsi que les indicateurs choisis sont ici de première importance pour saisir la nature des phénomènes étudiés. Le choix d’une temporalité courte présente l’avantage de garantir la comparabilité des résultats et ainsi d’éviter les anachronismes qui guettent trop souvent le sociologue de l’éducation lorsqu’il compare des niveaux d’acquis scolaires ou des taux d’accès au baccalauréat à cinquante ou soixante ans de distance. Cette temporalité est aussi un moyen de mettre en relation les inégalités avec les évolutions du système éducatif, les politiques conduites, les faits sociaux qui structurent l’école aujourd’hui. Les transformations de l’enseignement primaire, la mise en place et le développement du "collège unique" ou encore de la politique d’éducation prioritaire peuvent-ils être convoqués - et si oui, de quelle manière ? - pour rendre compte des évolutions constatées au plan des inégalités d’acquis entre élèves ? Cette analyse nous conduira à la question des mécanismes de production des inégalités scolaires. C’est là que la littérature internationale sera mise à profit de façon à éclairer les mécanismes qui favorisent, 11
Inégalités scolaires et politiques d’éducation ou au contraire amenuisent, les inégalités entre élèves, qu’il s’agisse de la nature de l’offre de formation, de l’accès aux opportunités d’apprentissage, de la distribution des élèves dans les établissements ou encore des pratiques pédagogiques au sein des classes. En définitive, nous essaierons de montrer quels types de politiques publiques en éducation sont suscep- tibles aujourd’hui de limiter les inégalités d’acquis entre groupes d’élèves. Non pas pour définir ces politiques de façon précise, mais pour en dessiner les premiers contours et les orientations susceptibles d’améliorer l’équité de l’école française. I Inégalités scolaires : De quoi parle-t-on ? L’une des missions de l’école est de reconnaître et de certifier le "talent" des élèves dans leurs capacités à apprendre et à mettre en œuvre leurs compétences dans le cadre scolaire. Ce "talent" et ces capacités ne sont pas également répartis dans la population au sein de laquelle de nettes variations individuelles existent. Toutefois, ces qualités que reconnaît et valorise l’école - on le sait depuis les travaux fondateurs de Bourdieu et Passeron (1964) - ne sont pas du seul ressort des individus, de leur "nature" ou de leurs "dons innés". Ils dépendent aussi de facteurs sociaux hérités liés à la socialisation familiale et aux apprentissages dès le plus jeune âge. Comme Christopher Jencks (1979) le soulignait déjà dès le début des années 1970 : "À moins qu’une société n’élimine complètement les liens entre parents et enfant, l’inégalité entre les parents garantit un certain niveau d’inégalités des chances offertes aux enfants. La seule véritable question porte sur la gravité des inégalités." (p.18). Les inégalités scolaires prennent donc leurs racines, comme le rappelait le sociologue Raymond Boudon (1973), dans les structures mêmes de la stratification sociale. Dès lors que leurs parents sont inégaux au plan des revenus comme des conditions de vie, les enfants seront eux-mêmes inégaux. Ces premiers constats pourraient pousser à un certain pessimisme concernant les inégalités scolaires. Si elles s’inscrivent dans les fondements mêmes de nos sociétés démocratiques avancées, que peut donc faire l’école ? En quoi cette institution, produit de la société dans laquelle elle s’insère (Durkheim, 1938), aurait-elle pour vocation d’être moins inégalitaire que la société elle-même ? N’est-elle pas condamnée à enregistrer des inégalités qui lui préexistent et contre lesquelles elle ne peut opposer que des réponses faites de bouts de ficelles et d’approximations sans grande efficacité ? Il serait en fait hâtif et pour le moins simpliste de conclure dans ce sens car la question pertinente qui se pose à propos des inégalités scolaires n’est pas tant celle de leur universalité que celle de leur ampleur. À ce titre, on peut considérer les inégalités scolaires comme un fait social durkheimien dont le caractère universel est avéré, mais dont il est pertinent de comprendre les variations au même titre que d’autres faits sociaux tels que le suicide, les croyances religieuses ou la délinquance. Et de fait, comme le soulignent nombre d’enquêtes internationales (OCDE, 2014b), les inégalités d’apprentissage s’observent partout, mais de façon très différenciée d’un pays à l’autre. Et c’est bien cette diversité qui constitue le nœud de la question et l’objet du présent rapport. À partir du substrat constitué par la stratification sociale, certains systèmes éducatifs produisent plus d’inégalités d’acquis et de parcours que d’autres et il est utile de comprendre par quels mécanismes cela se produit. 12
I. Inégalités scolaires : De quoi parle-t-on ? 1 Groupes et ampleur des inégalités Il faut pourtant revenir sur ce que nous entendons par "inégalités". Toute répartition inégale d’un bien ne constitue pas nécessairement une inégalité à combattre. Il peut sembler légitime et souhaitable que le salaire des individus dépende de leurs compétences, de leurs talents, de leur capacité à produire de la richesse. Ce principe est fondateur de nos sociétés démocratiques, modernes, avancées : les revenus, les positions sociales et plus généralement la répartition des biens rares dépendront du talent de chacun. Toutefois, le problème change de nature si l’inégale répartition ne concerne plus des individus mais des groupes d’individus. Si à compétence égale le salaire des femmes est plus faible que celui des hommes, on peut soupçonner une inégalité liée à la nature des rapports sociaux et non à l’utilité sociale du travail des femmes et des hommes. Si l’on se situe dans le domaine scolaire, le raisonnement est le même. Il n’y a rien de déraisonnable à l’idée qu’un élève soit meilleur qu’un autre, qu’il obtienne de meilleurs résultats et soit orienté dans les meilleures filières du baccalauréat et de l’enseignement supérieur. C’est inscrit dans la nature même de l’école. En revanche, si certaines voies du supérieur sont fermées aux élèves de milieux populaires alors même que les élèves socialement les plus favorisés y sont légion, il se pose un problème d’égalité d’accès aux filières d’élite. Le critère de démarcation utilisé dans la littérature scientifique sur la question pour juger du caractère légitime ou non d’une inégalité est donc à la fois simple et classique. Cela dépend de son caractère collectif, c’est-à-dire lié à l’appartenance des individus à un groupe. Dans ce cas, en effet, l’accès aux biens scolaires dépend trop étroitement des caractéristiques ascriptives des individus, c’est-à-dire de facteurs qui ne dépendent pas de leur volonté directe comme, par exemple, le fait d’être un homme ou une femme, de telle ou telle origine sociale notamment. Ensuite, au-delà du caractère collectif des inégalités scolaires, la question de leur ampleur est de première importance. Il s’agit là d’une notion relative qui implique une démarche comparative. Cette comparaison peut s’établir de façon synchronique entre pays ou diachronique, au sein d’un seul et même système éducatif. Elle permet de situer le degré d’inégalités scolaires entre différents groupes sociaux et leur évolution dans le temps et/ou l’espace. De façon plus concrète, lorsqu’on s’intéresse aux inégalités de réussite scolaire entre les élèves blancs et noirs (Hanushek et Rivkin, 2006), aux inégalités sociales d’accès aux filières d’élite en France (Duru-Bellat et Mingat, 1997) ou encore aux acquis scolaires des élèves socialement défavorisés en Angleterre (Gillborn et Mirza, 2000), on s’attache à mesurer des différences moyennes entre groupes de façon à observer comment, et dans quelle mesure, l’accès aux biens scolaires dépend de l’appartenance à un groupe donné. Cela nécessite des comparaisons multivariées, souvent par des méthodes de régression dont la vocation est d’isoler les différents déterminants susceptibles d’intervenir dans la définition des acquis et des parcours des élèves. 2 L’égalité des chances et ses limites Pour comprendre comment se produisent les inégalités scolaires, il est nécessaire d’identifier les critères de distribution des biens scolaires qui prévalent dans une société donnée. Si l’on considère le cas français, le principe de l’égalité des chances est la référence dominante dès lors que l’on parle d’école. Ce principe, indissociable de l’idée de méritocratie, revient à considérer que chaque élève, quelles que soient ses ca- ractéristiques et ses origines, doit bénéficier au départ de sa scolarité d’une éducation égale aux autres. Dès lors que ce principe d’égalité est garanti, chaque élève doit ensuite "jouer sa carte" pour accéder à la 13
Inégalités scolaires et politiques d’éducation réussite. C’est ce principe qui a présidé à la création et au développement du collège unique en France au milieu des années 1970 (Prost, 2013). Devant le constat du caractère très inégalitaire du système filiarisé qui prévalait alors en France dès la fin de l’enseignement primaire (Baudelot et Establet, 1971 ; Bourdieu, 1966 ; Girard et Bastide, 1963), la réforme Haby proposait jusqu’à la fin de la classe de cinquième un enseignement unique, donnant à chacun sa chance dans la compétition scolaire. Ensuite, chacun accédait à l’enseignement général ou professionnel selon son "mérite" ou ses capacités. Ce principe méritocratique de l’égalité des chances a fait l’objet de nombreuses critiques et controverses, d’abord pour sa dimension "abstraite" : l’égalité que l’on propose reste une abstraction dans la mesure où les élèves ne sont pas égaux en fait de par leur origine sociale et culturelle. En leur proposant la même "offre" de formation, on tend à renforcer les inégalités d’acquis et de parcours en ignorant les inégalités de départ. C’est la thèse de "l’école reproductrice" développée par Bourdieu (1966). Une autre critique consiste à souligner que l’égalité des chances n’est qu’un mythe car les conditions de scolarisation d’un collège à l’autre par exemple, sont très inégales et n’offrent donc pas les mêmes opportunités d’apprentissage (Duru-Bellat, 2002 ; Paty, 1981). Enfin, troisième critique très proche de celle développée par Pierre Bourdieu, le concept de "méritocratie" ne résiste pas longtemps à l’analyse car ce concept fait abstraction des conditions sociales qui constituent le mérite des élèves. Le mérite jouerait alors "contre" la justice (Duru-Bellat, 2009). Si l’on se centre sur les conséquences de cette conception de l’égalité au plan de l’organisation de l’enseignement, il ressort que l’égalité des chances implique de se centrer sur "l’offre" de formation qui doit être égale pour tous en termes de programmes, de qualité, de formation des enseignants, de structures éducatives, tout au moins en début de scolarité. On agit donc sur les structures formelles dans l’idée qu’elles suffisent à garantir l’égalité entre individus. D’où l’importance des programmes scolaires dont la vocation est de définir les contenus que les enseignants doivent enseigner. Ensuite, aux élèves de faire en sorte d’apprendre. L’un des problèmes de cette conception de l’égalité est qu’elle produit des écarts importants d’acquis et de parcours scolaires entre groupes d’élèves définis notamment par leur origine sociale. Nous pourrions dire à ce propos que se satisfaire d’une égalité formelle à l’école n’est en rien satisfaisant pour qui cherche à limiter les inégalités scolaires réelles. Pour au moins toutes ces raisons, il est utile de concevoir d’autres principes de distribution des biens scolaires que la seule égalité formelle des chances. En la matière, la perspective rawlsienne insiste sur la dimension de l’équité. Avec "l’égalité équitable des chances", John Rawls (1987) propose une vision moins formelle d’une répartition juste des biens rares au sein d’une société, au sens où les chances doivent effectivement être égales de façon à ce que les positions de chacun dépendent le moins possible de leur position de départ. Dans le domaine de l’éducation, cette conception s’apparente à celle de "l’égalité des acquis". Il faut d’emblée souligner, comme le fait Marcel Crahay (2013), que ce principe d’égalité s’applique à l’enseignement obligatoire et postule que l’objectif principal de cet enseignement est de garantir à tous un bagage minimal de compétences de base. L’égalité des acquis ne postule donc pas que tous les élèves devraient être excellents sans aucune différence, ou tous avoir le diplôme le plus élevé, mais seulement que ces différences doivent être les plus faibles possible et surtout le plus possible dégagées des caractéristiques ascriptives des élèves. L’intérêt d’une telle conception est qu’elle inverse l’ordre des priorités entre l’enseignement et l’apprentissage. Les programmes et plans d’étude définissent ce que les élèves doivent savoir, aux enseignants d’agir pour enseigner ce qu’il est nécessaire pour réaliser ce but. L’objectif premier est donc l’apprentissage. L’enseignement n’est qu’un moyen pour y parvenir. L’objectif 14
I. Inégalités scolaires : De quoi parle-t-on ? n’est donc plus seulement de garantir l’égalité formelle entre élèves. Il est de tendre vers une plus grande égalité réelle des acquis. 3 Les sources des inégalités scolaires Quelles sont les sources des inégalités scolaires ? Comment expliquer leur universalité qu’attestent no- tamment les enquêtes PISA (OCDE, 2014b) et leur variation dans le temps et l’espace ? Quel est le poids des politiques scolaires dans leur construction ? Quel est le rôle des familles, de la socialisation primaire, du rapport à l’école, etc. ? La littérature sur cette question est abondante. Dans un souci de synthèse, nous pouvons distinguer deux grands types d’explications qui se proposent de rendre compte de ces inégalités selon qu’elles privilégient les sources familiales ou institutionnelles comme facteurs premiers. Il faut toutefois souligner que beaucoup d’auteurs empruntent à l’une et à l’autre de ces voies interprétatives, se différenciant par le dosage qu’ils proposent pour chacune d’elles (Ogbu, 1982). La première explication insiste sur les discontinuités culturelles entre les familles et l’école. Ces discontinuités peuvent être de nature linguistique, liées aux mœurs ou aux conceptions de l’école, aux stratégies d’apprentissage privilégiées dans tel ou tel milieu social, aux stratégies scolaires plus ou moins informées des familles, etc. Elles sont à l’origine des inégalités scolaires dans le sens où les élèves n’arrivent pas avec le même background à l’école, ni avec la même connaissance des implicites scolaires, ni avec la même maîtrise des normes comportementales à adopter en classe. Du côté des familles, il s’agit aussi de considérer qu’elles n’ont pas les mêmes connaissances du système scolaire et donc des stratégies pertinentes à développer. Elles n’ont pas non plus les mêmes capacités - financières et culturelles - à se positionner sur le marché scolaire et immobilier. Les travaux empiriques sur le choix de l’établissement par les familles, ainsi que les ressources nécessaires pour mettre en œuvre ces choix, montrent l’importance stratégique de ces ressources (van Zanten, 2009) qui dépendent, selon les cas, des moyens économiques nécessaires pour choisir un établissement privé ou habiter dans la zone de recrutement d’un établissement public réputé. Elles peuvent aussi dépendre des ressources culturelles permettant de choisir des options rares et valorisées sur le marché si concurrentiel de l’excellence scolaire au sein même du "collège unique". C’est ainsi que la distance à parcourir pour les élèves issus des milieux les plus défavorisés est bien plus grande et semée d’embûches que pour ceux dont l’habitus social est en parfaite conformité avec les attentes scolaires. Cette théorie de la discontinuité culturelle, que la sociologie de l’éducation anglaise et française a fortement contribué à développer (Bernstein, 1975 ; Bourdieu et Passeron, 1964 ; Lahire, 2008 ; Willis, 1978), s’interroge sur les dispositions socialement construites des élèves en lien avec leur milieu familial. Par exemple, pour Bernard Lahire (2008) "l’inégale réussite scolaire des élèves issus des différents groupes sociaux (. . . ) met (. . . ) fondamentalement en jeu le rapport de ces groupes sociaux aux formes objectivées de culture." (p. 56). L’idée est alors de montrer que le rapport à l’écrit, par exemple, distingue les élèves de milieu populaire des autres par le fait qu’ils entretiennent un rapport distant à cette "forme objectivée de culture" qui est privilégiée par l’école. Enfin, au plan des politiques éducatives, la théorie de la discontinuité culturelle permet de penser les inégalités scolaires en postulant que l’école, en étant "indifférente aux différences", reproduit les inégalités de départ entre élèves, voire les accentue in fine, en transformant les inégalités sociales en inégalités scolaires. 15
Inégalités scolaires et politiques d’éducation C’est principalement sur ce dernier point du rôle et de la place de l’école dans la construction des inégalités que la théorie de la discrimination systémique prend ses distances avec celle de la discontinuité culturelle. Pour les tenants de cette théorie, il n’est pas certain que l’école soit "indifférente aux différences" dans le sens où elle ne propose pas les mêmes conditions d’apprentissage, ni les mêmes programmes, ni les mêmes opportunités à tous les élèves. Dans cette perspective, la tradition américaine de la sociologie de l’éducation, inaugurée avec le rapport Coleman et al. (1966) et les travaux de Christopher Jencks (1979), prend une place de premier plan. On y retrouve en effet l’idée, et de multiples vérifications empiriques, d’un "effet Matthieu" (Crahay, 2013) qui consiste à donner plus à ceux qui ont déjà le plus (on donne donc plus à ceux qui ont déjà les meilleures conditions de vie, le capital culturel le plus élevé, etc.). L’offre d’éducation n’est pas la même si l’on habite un ghetto d’un centre urbain dégradé réservé aux noirs et aux minorités ou une banlieue "chic" où se côtoient des blancs des classes moyennes et supérieures. Pour beaucoup d’auteurs, tels que Hanushek et Rivkin (2006), l’achievement gap entre noirs et blancs est le résultat d’une forme de discrimination systémique : les enseignants les mieux formés, les conditions d’apprentissage les plus favorables, les pédagogies les plus efficaces sont réservés aux élèves blancs des classes moyennes alors même que les élèves noirs ne bénéficient pas d’autant d’opportunités d’apprentissage (Carrol, 1963). Ce fût ce constat qui présida aux politiques de busing (Armor, 1972) ou aux programmes d’affirmative action pour favoriser l’accès des élèves des minorités aux universités américaines (Orfield, 2001). Si l’on transpose ce raisonnement au cas français, on montre que la ségrégation sociale et ethnique dans les établissements (Felouzis, 2003) a des effets délétères sur les apprentissages en créant des contextes d’enseignement qui suscitent peu d’opportunités d’apprendre (van Zanten, 2012). Les politiques d’éducation prioritaire, dont l’ambition est de limiter ces effets délétères en apportant plus de moyens aux établissements les plus ségrégués, ont pour point de départ ce type d’analyse (Robert, 2009) : c’est bien parce que l’on pense que l’offre d’éducation est moins performante dans les zones défavorisées que l’on se propose d’y ajouter des moyens supplémentaires en guise de compensation. Ces deux théories s’opposent donc sur la place et le rôle de l’école dans la formation des inégalités scolaires. Pour les tenants de la "discontinuité", l’école ne fait que reproduire, ce qui laisse peu de place à l’action publique pour limiter les inégalités scolaires. Pour les tenants des "discriminations" systémiques, l’école fait bien plus : elle les produit et les accentue, ce qui signifie qu’en égalisant l’offre d’éducation, il est possible de lutter efficacement contre les inégalités scolaires. Cela expliquerait qu’à partir d’un substrat semblable, certains systèmes éducatifs produisent moins d’inégalités d’apprentissage que d’autres (OCDE, 2014b). Et cela permettrait aussi de rendre compte de l’évolution rapide des inégalités d’acquis en France depuis une vingtaine d’années (Felouzis et al., 2015), en lien avec les politiques scolaires. II Les inégalités scolaires en France : quelle évolution ? Comme indiqué en introduction de ce rapport, nous avons pris le parti de limiter notre analyse à une temporalité relativement courte. L’objectif est ici de montrer l’apport des travaux empiriques sur l’évolution des inégalités scolaires en France. Par souci de clarté, nous présenterons ces résultats en fonction de la nature des biens scolaires distribués. Ceux-ci sont au moins de deux types. Il s’agit d’abord des connaissances et compétences acquises par les élèves au cours de leur scolarité. On sait que ces acquis sont des atouts déterminants pour comprendre les parcours scolaires et l’insertion des jeunes adultes sur le marché du travail. 16
II. Les inégalités scolaires en France : quelle évolution ? Ensuite, les parcours scolaires eux-mêmes et les diplômes obtenus constituent une deuxième catégorie de biens scolaires dont nous observerons la distribution. 1 Les inégalités d’acquis La comparaison des performances des élèves de 15 ans mesurées par PISA (OCDE, 2007, 2014b) montre que globalement le niveau moyen de compétences en mathématiques a baissé entre 2006 et 2012 (-16 points) et qu’il s’est à peu près maintenu en compréhension de l’écrit et en sciences. Cependant, on note une détérioration de la situation des élèves les moins performants. Le constat le plus marquant est celui d’une dégradation de l’équité du système éducatif français. La position de la France en termes d’inégalités de compétences expliquées par l’origine sociale devient toujours plus forte : en 2012, "la progression d’une unité de l’indice PISA de statut économique, social et culturel entraîne une augmentation du score en mathématiques de 39 points, en moyenne, dans les pays de l’OCDE, et de 57 points en France, soit l’augmentation la plus importante de tous les pays de l’OCDE (. . . ). Les inégalités sociales semblent s’être principalement aggravées entre 2003 et 2006 (43 points en 2003 contre 55 en 2006, 58 en 2009 et 57 points en 2012)." (OCDE, 2013, p.10). Deux questions se posent alors. D’une part, ces inégalités sont-elles le fruit d’une construction tout au long de la scolarité ? Et d’autre part, à quel moment apparaissent-elles ? Les enquêtes empiriques portant sur la première question sont plutôt rares. Une publication récente de la DEPP s’est attachée à mesurer les acquis des élèves en première année d’école élémentaire (Cours Préparatoire) ainsi que l’ampleur des inégalités. Voici la conclusion des auteurs : "De 1997 à 2011, on observe une augmentation générale et significative des performances des élèves [de CP]. Sur les 100 items utilisés au total, le taux de réussite moyen passe de 66 % en 1997 à 74 % en 2011. Cette évolution du niveau moyen s’accompagne d’une diminution de la dispersion" (Le Cam et al., 2013, p.1). L’augmentation des compétences des élèves dans les premières classes de l’école élémentaire, parfaite- ment illustrée par le graphique 1, s’explique en partie par l’augmentation du nombre de mères diplômées du supérieur, mais pas uniquement puisqu’on note également une réduction des inégalités sociales, mesurée par une baisse des écarts de performance en fonction du diplôme des parents. Toutefois, cette hausse des performances n’est pas confirmée par l’étude de l’évolution des acquis en CE2 entre 1999 et 2013 (Andreu et al., 2014). Cette étude, qui évalue les acquis en mathématiques et en français de 3800 élèves scolarisés en début de CE2, réplique une évaluation effectuée dans les mêmes conditions et avec des élèves de même degré scolaire en 1999. Comme le montre le graphique 2, on constate une baisse du niveau de performance global en CE2 entre les deux dates d’observation. Les auteurs expliquent que cette baisse est due en partie à une augmentation de la proportion des élèves très faibles. 17
Inégalités scolaires et politiques d’éducation Figure 1 – Distribution des élèves selon leurs performances globales aux tests de début de CP (évolution 1997-2011). Source : Le Cam et al. (2013), p.2. Source originale : MEN-MESR DEPP 18
II. Les inégalités scolaires en France : quelle évolution ? Figure 2 – Distribution des élèves selon leurs performances globales aux tests de début de CE2 (évolution 1999-2013). Source : Andreu et al. (2014), p.2. Source originale : MENESR DEPP Ces résultats montrent ainsi que l’augmentation des performances en CP n’est pas suffisante pour réduire durablement les écarts entre élèves. Dans la même perspective, la note de Thierry Rocher "Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à vingt ans d’intervalle 1987-2007" (Rocher, 2008) montre, à partir de mesures empiriques répétées à plusieurs années d’intervalle, la dégradation des performances scolaires dès l’école primaire. S’agissant de la lecture, l’auteur note une stabilité des performances entre 1987 et 1997 à l’issue de l’école élémentaire, puis une forte baisse jusqu’en 2007. Cette baisse se fait surtout au détriment des élèves les plus faibles, comme le montre le graphique 3 qui indique un "étalement" de la courbe dans les valeurs les plus faibles et une baisse du niveau moyen. 19
Inégalités scolaires et politiques d’éducation Figure 3 – Les performances en lecture. Source : Rocher (2008), p.2. Source originale : MEN DEPP En calcul, en revanche, les performances des élèves de dernière année de l’école élémentaire chutent fortement sur la première période puis se stabilisent jusqu’en 2007. Enfin en orthographe, les résultats montrent, en l’espace de 20 ans, une forte augmentation du nombre moyen d’erreurs à la même dictée (représentant 10 lignes environ) et une proportion beaucoup plus importante d’élèves faisant plus de 15 erreurs (26 % en 1987 contre 46 % en 2007). La dernière livraison de l’enquête CEDRE (Arzoumanian et Dalibard, 2015) montre d’ailleurs que 3,5 % des élèves à la fin du CM2 ne maîtrisent pas les compétences attendues à la fin du primaire, et qu’ils sont encore 11,8 % à n’avoir que de faibles connaissances. Elle confirme également que la proportion d’élèves en difficulté en mathématiques a augmenté à ce degré scolaire entre 2008 et 2014. Les résultats présentés au niveau de l’école primaire sont parfaitement concordants avec les observations des enquêtes PISA pour les élèves de 15 ans. Et là encore, on peut noter le poids non négligeable de l’origine sociale des élèves : ceux qui sont issus des milieux sociaux les plus favorisés ont maintenu leur niveau de compétence alors que les élèves issus des milieux les plus défavorisés ont vu leur niveau moyen de compétence largement baisser, ce qui contribue à creuser les inégalités de compétence en fonction de l’origine sociale. L’auteur montre par ailleurs, que le fait d’avoir redoublé ou non a une influence non négligeable sur les écarts de compétence. 20
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