Comment peut-on être kurde - à Istanbul auiourd'hui ?
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Comment peut-on être kurde à Istanbul auiourd'hui ? Esquisse d'ethnogéographie urbaine JEAN-FRANÇOIS PEROUSE Le contexte du renouveau : S I LES « FONDEMENTS DE L'IDENTITÉ » K U R D E sont déjà délicats à analyser au Kurdistan même, qu'en est-il à Istanbul, une des métro- une ancienne présence de fait, mais récemment réactivée poles vers lesquelles ont afflué et affluent encore des personnes identifiées comme L'intensi'ation des migrations kurdes kurdes (1) ? Pour tenter d'apporter quelques vers Istanbul :de nouvelles sollicitations éléments de réponse à cette question sensible, identitaires ? nous nous appuierons sur deux postulats. Indépendamment de toute évaluation quan- D'une part, il est impossible et vain de dénom- titative de la ((présencekurde » (comme si celle- brer les Kurdes d'Istanbul, dans la mesure où ci pouvait être figée, circonscrite), un fait est il n'existe pas de (c population kurde » claire- sûr : Istanbul connaît depuis 1990 une accélé- ment isolable et distincte d'une (non moins ration de l'immigration en provenance du individualisable) « population turque » ; d'autre « sud-est anatolien » (périphrase géographique part, l'identité kurde (et déjà le singulier nous couramment utilisée pour désigner les dépar- gêne, du fait de la pluralité de ses expressions) tements à fort peuplement kurde), qui a pour n'est pas donnée a priori : elle est l'objet de effet de rendre plus visibles et fréquentes les reconstructions et d e négociations, indivi- manifestations, volontaires ou non, des diffé- duelles ou collectives, et reste fonction du rences identitaires kurdes. Des enquêtes réali- contexte socio-politique. Ceci admis, Istanbul nous apparaît comme un espace privilégié, voire un laboratoire des (re)constructions iden- titaires kurdes, en raison de son ouverture à 1. Identifiées, c'est-à-dire s'auto-désignant ou désignées, voire stigmatisées comme «kurdes r . Contrairement à l'Europe - notamment par le truchement des certaines allégations convenues en Europe occidentale, émigrés, prompts à s'interroger sur leurs iden- l'adjectif « kurde » pour qualifier une personne n'est pas tités -, et de l'anonymat ainsi que de la rela- tabou (i Istanbul; il est fréquemment utilisé et revêt en tive liberté d'expression et d'interaction que fait, selon le contexte, des connotations très variables. Même dans le discours public, officiel, il est désormais permet son immensité peu contrôlable. employé, mais o n lui préfère encore souvent les péri- phrases et euphémismes suivants : « de l'est » ou K de la région ».
À Joël Bonnemaison, le Voyage inachevé.. . sées ( 2 ) dans les mairies de quartier d'arron- Une visibilité et des sonorités banalisées ? dissements périphériques d'Istanbul, mairies Dans ce contexte, les femmes et les enfants font auprès desquelles les nouveaux arrivants sont figure de marqueurs identitaires ». En effet, tenus de se faire enregistrer après leur instal- une des expressions les plus visibles de la lation, nous ont permis de nous rendre compte présence kurde, produit de l'immigration de l'intensification de cet afflux, liée à la dété- accrue, est le port distinctif de la coiffe kurde rioration des conditions de vie au Kurdistan. (fin tissu blanc ou noir, épousant la forme de Autrement dit, en raison des troubles et des la tête, et frangé de petites perles transparentes violences dont il est le théâtre, le ((sud-est )) souvent jaunes (4)) par les femmes mariées. paraît en passe de devenir le principal bassin Cette coiffe permet, assez commodément et migratoire de la métropole turque, supplan- sûrement, d'identifier la provenance des tant les bassins jusque-là prédominants : à familles. On peut même faire l'hypothèse que savoir les départements riverains de la mer dans le contexte du grand brassage stambou- Noire et ceux du centre-est anatolien. Par liote, ces coiffes sont plus systématiquement exemple, dans l'arrondissement dlAltînova (3) portées que dans les régions d'origine ; comme (lointaine périphérie asiatique de l'aire urbaine si spontanément (ou sciemment) la différence stambouliote), plus de la moitié des transac- d'avec les populations environnantes était culti- tions foncières (ventes de terrains) effectuées vée, sinon forcée. ces cinq dernières années se sont faites au profit L'autre indice manifeste, ce sont les enfants d'acheteurs natifs du sud-est, parfois qualifiés de la rue ; enfants non scolarisés qui se livrent de «colonisateurs »,par certains « autochtones ». à de menus travaux : vente de fleurs dans les Donc « l'irruption kurde à Istanbul se traduit )) bars et restaurants, nettoyage de véhicules, aussi par des investissements croissants - il ne portage ... Le métier de cireur de chaussure s'agit pas seulement d'une immigration de la (boyadji) semble être dorénavant monopolisé misère - et par une intensification des mobi- par ces enfants du sud-est : pourchassés par les lités entre Istanbul et le Kurdistan. Pour autant, polices municipales ou la police nationale, contrairement à ce que certains auteurs préten- beaucoup de ces enfants sont sans logis (ils dent, s'il n'existe pas de « quartier kurde » aisé- sont estimés à plus de 6 000 ( 5 ) ) . S'interpellant ment individualisable, sinon homogène, les dans un sabir kurdo-turc, ils vivent en petites migrants récents ont tendance à s'implanter bandes mobiles. dans les arrondissements périphériques comme Quant aux migrants adultes (et mâles), si Ümraniye, Gaziosmanopacha, Esenler, Pendik, on les rencontre encore comme portefaix - Alibeykoy, Sarîyer ou Avcilar. Mais les straté- métier traditionnellement, depuis le xrxe siècle gies d'installation font intervenir des niveaux au moins, monopolisé par les Kurdes - près d'identité beaucoup plus fins (village ou arron- des grands marchés, c'est surtout dans le bâti- dissement, voire département de provenance, ment, la confection et le petit commerce ambu- réseaux religieux, famille élargie) que le trop lant (isportadji) qu'ils sont en nombre. Dans simpliste clivage 'Turcs/Kurdes. certains quartiers, de véritables marchés infor- 4. Les femmes plus àgées portent aussi un serre-tête épais, 2. Par nous-même, en janvier 1396, janvier-février 1337 de toile bicolore, qui sert à tenir la coiffe. et février 1338 5. Entre 6 et 10 000, selon la «Société pour les enfants 3. Dépendant du département de Yalova (lui-même de la rue », qui s'efforce depuis peu de venir e n aide à ces ancien arrondissement du département d'Istanbul). jeunes délaissés.
Le monde des villes mels du travail journalier se tiennent, où les Istanbul se distingue du reste de la Turquie (et migrants kurdes attendent l'embaucheur- surtout des villes de l'est), où ce type d'asser- maquignon. Celui-ci, souvent kurde lui-même, tion peut encore causer quelques sérieux ennuis les emploie e n toute illégalité, comme à celui qui la profère. Mais à quoi bon se dire manœuvres sur un chantier ou comme manu- kurde, c'est-à-dire sombrer dans l'évidence tout tentionnaires à tout faire. Ici, la commune en courant encore un risque, à Diyarbakir ? kurdicité (ou identité kurde), sur laquelle est entièrement fondée la relation de travail, n'em- Mais que peut signifier ((êtrehurde » ? pêche en rien l'exploitation. Si l'on s'en tient toujours à la situation d'une Par ailleurs, du fait de cette immigration et rencontre fortuite, l'identité kurde, une fois de la suppression d'interdits dérisoires (portant posée, est avant tout décrite sur le mode cultu- (( précisément sur l'usage du kurde en public) en rel ». Autrement dit, s'affirmer kurde à Istanbul avril 1991, il est très fréquent d'entendre parler c'est d'abord affirmer son appartenance à un kurde dans certaines rues d'Istanbul. autre ((système culturel que le système turc )) D'entendre des langues kurdes devrions-nous officiel et dominant. C'est refuser l'accultura- dire, dans la mesure où au moins deux parlers tion, et c'est assurer, ordonner son existence kurdes bien distincts sont désormais ouverte- individuelle et sociale autour de ce système ment usités : le zaza (ou dîmilki ou kurmandji) kurde, de préférence. Ce (c système », d'ailleurs, et le kurmantch (ou kîrdachki). Le tabou a été est fait de références à une famille de langues levé, et on constate même une évidente jubi- distincte de celle de la langue turque, à un passé lation, teintée d'une volonté de distinction chez singulier (en voie de redécouverte) et à des certains locuteurs, à recourir à ces langues long- pratiques sociales spécifiques et disuiminantes. temps prohibées. Aussi, avec ce souci de faire(( Aussi, la kurdicité » à Istanbul n'est-elle géné- la différence » s'opère un changement dans le ralement vécue ni sur le mode ethno-racial de ((mode d'être kurde : d'un mode passif, la )) la différence biologique, ni sur un mode han- transition se fait vers un mode plus actif. chement politique. Et si une ethnie kurde est maintenant reconnue comme différente de la L'éclosion des discours turque dans des publications tolérées (Kirisci, et des pratiques identitaires kurdes : 1997), elle est souvent réduite à sa dimension de l'individu au groupe linguistique et folklorique. L'émancipation des discours individuels La délicate politisation de llidentiG Depuis le début des années quatre-vingt-dix, Istanbul vit une inflation des discours identi- L'expression politique de l'identité demeure taires kurdes, que les autorités ne peuvent ni encore contrainte et donc indirecte. S'il existe, vraiment juguler, ni réguler o u détourner. dans le champ politique turc, un parti connu Effectivement, au détour d'une conversation comme le parti kurde admis (quoique très (( )) de rue avec un inconnu - dans le contexte surveillé et souvent inquiété) - le Hadep -, ce d'une rencontre fortuite -, la mention je suis (( parti ne porte dans son intitulé aucune réfé- kurde » s'est banalisée, et ne relève plus de rence explicite au fait kurde. Dans sa déno- l'aveu grave, murmuré sur le mode de la confi- mination officielle, il recourt donc aussi à la dence risquée ou sur le ton de l'apitoiement, périphrase (((Parti du peuple et de la démo- e n direction d'un interlocuteur étranger cratie »). Fondé en mai 1994, à la suite de la supposé complaisant et compréhensif. Par là, dissolution d'un parti qui remplissait alors la
À Joël Bonnemaison, le Voyage inachevé.. . délicate fonction médiatrice qu'il assure « Mazlum-Der », de création plus récente, s'oc- aujourd'hui (le DEP), il dispose à Istanbul cupe plus spécifiquement des personnes chas- d'une audience importante. Seuls des partis sées d u Kurdistan e t q u i é c h o u e n t sans interdits (donc clandestins), dont les membres ressource à Istanbul. Les fondations, quant à peuplent les prisons d'Istanbul (Ümraniye, elles, se sont aussi multipliées. Leurs noms sont Kasimpacha, Metris.. .), font une référence plus ou moins explicites : une des plus actives explicite à la kurdicité, considérée par les auto- en direction des Kurdes s'intitule Association (( rités comme une inadmissible atteinte à I'in- pour la recherche sur les questions sociales » tégrité de l'État. (Tosav). Un réseau de base est méconnu : ce sont les L'afirmation biaisée :sociétés, fondations « associations culturelles et d'entraide ». Très et partis nombreuses, surtout dans les quartiers récem- Ne pouvant s'exprimer encore ouvertement au ment apparus o ù sévissent chômage, sous- plan politique, la kurdicité emprunte des biais emploi et indigence, ces sociétés ont un rôle- multiples pour avoir « droit de cité à Istanbul. )) clé dans la veille ou le réveil identitaire kurde. D'abord, tous les partis constitués et reconnus En effet, organisées généralement autour d'un disposent de leur « groupe kurde » interne qui « salon de thé » où les hommes se retrouvent, n'est pas formalisé, mais dont l'existence de discutent et jouent (de longues heures parfois), fait n'en est pas moins admise de tous (c'était ces sociétés » ont toutes une base régiona- (( très net pour le parti dit « islamiste », très récem- liste, voire localiste. À l'échelle de l'unité de ment dissous). De même, les confréries reli- voisinage, elles regroupent et maintiennent en gieuses (tarikat) peuvent aussi, officieusement, contact étroit les migrants provenant d'un être des espaces d'expression de la différence même département, d'un même arrondisse- kurde : c'est le cas de la mouvance nourdjou, ment ou d'un même village. Si les « sociétés » dont le fondateur - Bediüzzaman - était natif kurdes ne s'annoncent pas comme kurdes, les de Bitlis, au Kurdistan. géonymes qui figurent sur l'enseigne suffisent Mais il s'opère surtout un investissement à les identifier. multiforme de la société civile assez remar- Le renouveau identitaire kurde à Istanbul quable, qui exige une habile exploitation de met donc à profit de nombreuses voies indi- tous les vides et opportunités juridiques. Parmi rectes. Il prend aussi un tour plus ouvert. ces structures de substitution qu'autorise le droit turc, on peut citer « l'Association des droits Être kurde activement, grâce de l'homme deTurquie », fondée en 1386, dont a une infrastructure culturelle, (( )) la plupart des militants sont kurdes, comme si diversifiée, en pleine construction le c o m b a t p o u r le respect des droits d e Ce qui frappe à présent à Istanbul, c'est la l'homme en Turquie passait de fait prioritai- multiplication des lieux s'affichant comme rement par la question kurde ». Si cette asso- (( ciation reconnue en Europe a du mal à exister kurdes, sans ambiguïté, et l'expérimentation de modes d'être kurde plus directs et officiels. au Kurdistan - où ses antennes sont périodi- quement fermées et victimes de descentes de police, d e perquisitions et d e pressions Des tentatives contrariées :les cours diverses -, son centre névralgique est incon- privés de langue kurde et l'Institut kurde testablement à Istanbul (dans l'arrondissement En Turquie, la première fondation légale à user d e Beyoglu). Parallèlement, l'association du terme « kurde » dans sa dénomination offi-
Le monde des villes Les arrondissements d'lstanbul et la r présence kirnie M cielle a été enregistrée à Istanbul en avril 1337 : kurde dans l'enseignement public semblent il s'agit de la Fondation pour la culture kurde (( encore peu imaginables, la voie d u privé et la recherche (Kürt-Kav ( 6 ) ) . 11 est intéres- )) s e m b l e ouverte. Q u a n t à l'Institut k u r d e sant de souligner l'importance du terme culture : d'Istanbul (c'est son nom officiel !), il existe l'enjeu de l'être kurde semble toujours ne depuis 1337, et s'est fixé pour priorité de réha- pouvoir être formulé de façon tolérable par le biliter les langues kurdes par l'édition de textes pouvoir qu'en termes culturels. Depuis sa créa- littéraires et d e dictionnaires. tion, la fondation, qui a son siège dans l'ar- rondissement anciennement cosmopolite de Le réseau du Mezopotamya Kültür Beyoglu, n'est pas encore vraiment entrée en Merkezi ( M K M ) :le folhlore d'abord ? activité : des déboires juridiques dus à une offensive des ministères d e l'Intérieur et de Parmi les nouveaux moteurs d u renouveau l'Éducation l'empêchent de réaliser ce pour identitaire kurde, o n doit souligner l'impor- quoi elle a été créée. Cependant, si les cours de tance d u « C e n t r e d e C u l t u r e M é s o p o - tamienne (soit Navenda Çanda Mezopotamya, )) 6 . Soit, en kurde kumandç : Weqfa Lêkolin û Canda Kurd. en kurde). Fondé à Istanbul en 1331, ce centre
À loël Bonnemaison, le Voyage inachevé.. . dispose à présent de plusieurs antennes dans tique kurde, les fameuses trois « couleurs » la ville, et même dans l'ensemble du pays (mais constitutives du drapeau (re)créé : le jaune, le celles-ci sont périodiquement fermées). Étran- vert et le rouge. Désormais, l'usage de ces trois gement, « Mésopotamie ( 7 ) » est l'euphémisme couleurs par u n individu, sous forme d e très usité en Turquie pour signifier Kurdistan. bandeau dans les cheveux ou de mouchoir, Dans les locaux du MKM, on trouve à la fois signe clairement l'affirmation active de sa une librairielcafé, où l'on peut consulter livres, kurdicité. revues et journaux (en toutes langues) en buvant un thé, une salle de réunion, une salle La presse et les maisons d'édition : de conférence ou d'exposition et une salle de la sortie de la clandestinité ? concert et de répétition. Une des activités prin- S'il n'existe ouvertement qu'un quotidien d'in- cipales du MKM réside dans les cours de danse formation pro-kurde en langue turque, Ülke et de musique du « pays » (i.e. le Kurdistan) ; Gündem (91, il existe en revanche une multi- chaque soir, au son de la zurna, du davul, du tude de revues hebdomadaires et mensuelles, saz ou du def (81, des jeunes y chantent et y répè- entièrement ou partiellement en langue kurde, tent des danses que beaucoup, (pour être nés mais à caractère essentiellement culturel (litté- en exil, à Istanbul) n'ont même jamais dansées rature et arts). Parmi les principales, toutes au pays. éditées à Istanbul, on peut citer Dersim, publié En outre, le MKM, qui publie une revue par 1'« Association d'entraide et de soutien mensuelle en kurde, Jiyana Rewsen («vie lumi- social de Tunceli » depuis 1996, de façon très neuse »),s'emploie à réintroduire et à promou- discontinue (théoriquement, un numéro tous voir les fêtes présentées comme « typiquement les deux mois, mais les deux premiers numé- kurdes » : au nouvel an (newroz, ou « nouveau ros ont été saisis sur ordre du Tribunal de la jour »)fêté le 21 mars, se sont ajoutés Xidrelez Sécurité d'État), Jiyana nû (ou « nouvellevie »), (les 5 et 6 mai), Kosegelî (les 20-30 mai), Newroz, Welatê Me («notre patrie »), Ronahi Vartîvar (le 15 juillet) et Mihricân le 31 août.. . («lumière ») ou h d i y a Welat (« patrie libre »), Beaucoup de ces fêtes d'origine rurale sont tous les cinq hebdomadaires bilingues. O n introduites à Istanbul, et comme exhumées, mettra à part Ozgür Halk (ou « peuple libre »), (ré)adaptées et réinterprétées par des généra- un mensuel fondé en 1990, dont les liens avec tions qui ne les ont souvent jamais célébrées. la guérilla du PKK semblent évidents, mais qui De même, par son logo, le MKM participe à la parvient néanmoins à être encore publié et vulgarisation du nouvel imaginaire chroma- diffusé semi-ouvertement, e n t o u t cas à Istanbul. Par la vitalité stupéfiante de ses maisons 7. 11 existe d'ailleurs une nouvelle fondation (créée à d'édition ( o n en compte plus de soixante Beyoglu fin 199G) qui se réfère aussi à ce territoire faisant une grande place à la « question kurde )) antique : la «Fondation pour la culture mésopotamienne » dans leur catalogue), au fonctionnement plus (Mezopotamya Kültür Vakfl, en turc), qui connaît encore des déboires avec la justice turque.. . o u moins professionnel, Istanbul est en 8. Zumn : instrument à vent (à anche) ; davul : grosse percussion à peau que l'on frappe avec un maillet; saz : instmment à quatre fois deux cordes (à pincer), au long 9. Qui est l'avatar d'une multitude de précédents titres, manche et à la caisse bombée, s'apparentant au tanbur. tous fermés par les autorités turques : citons entre autres C'est un des emblèmes de la musique populaire centre titres éteint, Yeni Ülke, 0zgür Ülke et Ozgür Gündem. Le et est-anatolienne; def (ou @f) : tambour plat au diamètre siège de ce dernier a d'ailleurs été plastiqué dans des large et à timbre. circonstances suspectes en 1992.
Le monde des villes Turquie le principal centre de réélaboration du tier se distingue, celui de Cagaloglu, dans l'ar- patrimoine historique kurde. Mises à part les rondissement central d'Eminonü. Les lieux de traductions d'ouvrages d'auteurs occidentaux diffusion se situent en revanche dans les arron- et les études de Kurdes de l'extérieur (d'Europe, dissements centraux mieux équipés (Aksaray, essentiellement), ces maisons d'édition s'ef- Beyoglu, Kadikoy ...) et qui possèdent des forcent de rendre accessibles des documents librairies offrant un choix parfois étonnant (on d'archives et de publier des études de première y trouve des revues et des ouvrages très enga- main qui permettent une sorte de réappro- gés, dont la diffusion partout ailleurs en priation et de reconstruction d'un passé, Turquie est inconcevable). jusque-là occulté ou caricaturé par l'histoire Cependant, il faut le souligner, ces nouveaux turque officielle. Les éditions Berfin, par modes d'être kurde à Istanbul sont des plus exemple, s'emploient à publier une « mytho- diversifiés, voire contradictoires. Les divers logie kurde » (en plusieurs tomes) et les moyens et facilités nouvellement disponibles éditions Hasat, à publier la traduction turque ne sont pas utilisés uniformément. Aussi, du Sherefnâme, texte fondateur de l'histoire l'identité kurde reconquise devrait-elle être kurde, datant de la fin du m e siècle. Toutes ces déclinée en fonction de nombreuses variables : maisons d'édition publient partiellement en le niveau socio-économique, le lieu d'habita- langues kurdes. tion, le lieu de travail, l'appartenance religieuse, Parallèlement, il existe une édition musi- l'exacte provenance géographique, l'intensité cale spécialisée dans la production de cassettes des liens avec sa communauté d'origine, les de musiques et de chants kurdes. Encore engagements politiques.. . produites quasi clandestinement et vendues C'est pourquoi, pour ceux des migrants sous le manteau il y a quatre ou cinq ans, ces kurdes dont les conditions de vie sont les plus cassettes sont maintenant distribuées ouverte- difficiles, Istanbul peut n'être vécu que comme ment à Istanbul. Cependant, en ce qui conceme une nécessaire étape - un moindre mal -, en les radios privées, on peut parler d'une diffi- attendant le départ vers l'Europe où, croient- cile émergence. De fait, ce n'est que récemment ils, ils pourront enfin pleinement vivre leur (à partir de 1993) qu'Istanbul a connu un identité kurde.. . début de libéralisation des ondes hertziennes, ayant entraîné l'apparition de radios privées, encore très surveillées. Certaines de ces radios, sans le dire explicitement, représentent des mouvances kurdes et diffusent de la musique Pour conclure, il est relativement plus aisé et de la poésie dans les diverses langues kurdes. d'être kurde (au sens, actif, de la constmction Enfin, il est plus aisé de capter MED-TV - le et de la pratique identitaire) à Istanbul qu'à canal télévisé kurde qui émet de Londres depuis Diyarbakîr (la « capitale » du Kurdistan turc) mai 1995 - à Istanbul, qu'à l'est du pays, où et plus facile aussi de l'être dans les arrondis- les destmctions d'antennes paraboliques par sements centraux, comme étudiant, que dans la police restent monnaie courante. Dans les les périphéries moins équipées, comme nouveaux rituels identitaires privés, la récep- manœuvre du bâtiment. Dans cette « fabrique tion quotidienne de MED-TV s'est imposée identitaire » qu'est Istanbul, les Kurdes comme un moment cmcial. commencent donc à prendre une place à part Enfin, il est à noter que pour la presse (écrite entière aux côtés, entre autres, des Lazes ou orale) comme pour l'édition kurde, un quar- (Pontiques de langue caucasienne), des
À Joël Bonnemaison, le Voyage inacheué.. Balkaniques et des Caucasiens. Pour schéma- BIBLIOGRAPHIE tiser le processus en cours, o n est passé en quelques années de l'être kurde « sans le savoir » Cuche (D.) 1996. La notion de culture dans les ou ((honteuxet refoulé », à l'être kurde clan- sciences sociales. Col1 Repères, La Découverte, destin, puis à l'être kurde revendiqué, positif Paris, 124 p. (et parfois même radical). lstanbul fait figure Kirisci (K.), Winrow (G.M.), 1337.La question kurde. d'espace relativement propice à l'affirmation, Origine et développement. Tarih Vakfi Yurt Yay, en premier lieu culturelle, des identités kurdes. Istanbul. Ainsi, le processus de reconstmction identi- Perouse (J.-F.), 1997. «Aux marges de la métropole taire actuellement à l'ceuvre exploite-t-il à la stambouliote : les quartiers Nord de fois le gigantisme métropolitain « qui rend Gaziosmanpacha, entre varoch et batikent ». p l u s l i b r e », la p r o x i m i t é s y m b o l i q u e e t Cahiers d'Étude de la Méditerranée Orientale et du physique de l'Europe, l'ouverture sur le monde Monde Turco-Iranien, CERIIFNSP, n 24 : 122- extérieur et l'abondance des moyens d'ex- 162. pression et d e communication désormais Retaillé (D.), 1996. « Ethnogéographie : naturali- disponibles. On assiste même à une réinven- sation des formes socio-spatiales». In Claval P., tion des référents identitaires, maintenant Singaravelou, Ethnogéographies. L'Harmattan, soigneusement distingués de ceux des ((Turcs», Paris : 7-35. parfois renvoyés à une irréductible (et artifi- Yavari-D'Hellencourt (N.), 1997. « Immigration et cielle) altérité. construction identitaire en milieu péri-urbain à Téhéran : Eslâm-Shahr». Cahiers d'étude de la Méditérranée orientale et du monde turco-iranien, CERIIFNSP, n o 24, juil.-déc. : 184-206.
Vous pouvez aussi lire