Compte-rendu du Colloque sur la LOVD et la Convention d'Istanbul - Schweizerisches Polizei-Institut
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COMPTE-RENDU DU COLLOQUE SUR LA LOVD ET LA CONVENTION D’ISTANBUL Compte-rendu du Colloque sur la LOVD et la Convention d’Istanbul De nouveaux moyens d’action contre la violence domestique Sarah Tschan Collaboratrice scientifique, ISP Cyril Amberg Responsable CentreDoc et Traductions, ISP Le Colloque sur la Loi d’organisation de la pré- « La violence dans le couple n’est pas une affaire vention et de la lutte contre la violence domes- privée, mais bien une affaire publique. » Tel est, en tique (LOVD) et la Convention d’Istanbul avait substance, le changement de paradigme offert par pour double objectif de présenter les contours l’arsenal juridique vaudois en matière de prévention de la LOVD quelques semaines après son entrée des violences domestiques qui vient d’être mis à en vigueur, tout en les inscrivant dans le contexte jour. plus large de la Convention d’Istanbul, qui s’ap- Le 23 novembre 2018, la nouvelle « Loi d’organi- plique en Suisse depuis le 1er avril 2018. Après sation de la prévention et de la lutte contre la vio- une contextualisation du phénomène de la vio- lence domestique (LOVD) », entrée en vigueur au lence domestique, le présent article se penche 1er novembre 2018, a été présentée lors d’un col- notamment sur les innovations de la nouvelle loi loque aux différents acteurs des milieux judiciaires, vaudoise qui offre, à travers une approche pluri- académiques, policiers, ainsi qu’aux représentant·e·s disciplinaire, de nouveaux mécanismes destinés des institutions de prévention et d’accueil des vic- à protéger les victimes de violence et à réduire la times. Plusieurs intervenant·e·s ont, d’une part, mis récidive. Il évoque également les résultats d’une en lumière les principales avancées de la LOVD en étude menée dans le canton de Zurich et consa- termes de protection des victimes et d’encadrement crée notamment au traitement policier des cas de des auteur·e·s de violences domestiques et, d’autre violence domestique et aux suites des mesures part, présenté la Convention d’Istanbul, un traité policières, en termes de récidive et de nouvelle international plus large traitant de la prévention et victimisation. Le colloque a rappelé l’ampleur du de la lutte contre toutes formes de violence à l’égard phénomène de la violence domestique qui per- des femmes (cf. encadré en p. 75). met, en Suisse, de révéler la mixité particulière de la société ; de très nombreuses nationalités La violence domestique : phénomène omnipré- sont ainsi représentées tant parmi les victimes sent, mais longtemps occulté que parmi les auteur∙e∙s, le statut de victime Confinée jusqu'il y a peu en dehors du champ d’ac- étrangère étant par ailleurs lié à des défis supplé- tion de la police et de la justice pénale, la violence mentaires. Les interventions pour violence do- domestique est aujourd’hui reconnue comme étant mestique resteront vraisemblablement parmi les responsable de la majorité des infractions de vio- plus fréquentes pour les polices, mais la LOVD lence et des interventions policières y relatives, pas- leur offre désormais, en collaboration avec les sant en moins de trois décennies du statut de « non- nombreux autres acteurs engagés, de nouveaux sujet » – la violence domestique n’étant considérée moyens d’action prometteurs. dans le débat public que depuis les années 80 en Suisse (BEFH, 2017, p. 2) – à celui de problématique format magazine no 8 71
COMPTE-RENDU DU COLLOQUE SUR LA LOVD ET LA CONVENTION D’ISTANBUL centrale de la criminalité de violence, tant en Suisse des tensions (phase I). Le passage à l’acte (phase II) qu’au niveau international1. lui succède, suivi d’une période durant laquelle Un simple coup d’œil aux statistiques fédérales l’auteur·e se déresponsabilise et tente de justifier ses (BEFG-DFI, 2018) permet d’en prendre la mesure : actes (phase III). Finalement, l’accalmie ou « lune en Suisse, 17 000 infractions étaient liées à la vio- de miel » (phase IV) laisse entrevoir à la victime un lence domestique en 2017, soit près de 46 par jour ! espoir, aussi ténu soit-il, maquillé de regrets et de Parmi ces cas enregistrés, 53 étaient des tentatives promesses de l’auteur·e pour se voir accorder une d’homicide et 21 personnes sont décédées des nouvelle chance. Bien entendu, cette phase dite suites des coups portés par leur conjoint·e ou ex- de « lune de miel » se révèle souvent éphémère et, conjoint·e. Année après année, ces chiffres évoluent une fois que la limite de la violence a été franchie peu et, malgré leur importance, sont encore trop une première fois, le franchissement du palier sui- souvent relativisés. vant s’en trouve facilité. Les coups peuvent alors Toujours en 2017, pour le seul canton de Vaud, reprendre et le cycle infernal maintes fois se répéter. on relevait 1371 dénonciations, soit près de 4 cas par jour. Ces actes représen- x A ccalmie, affection / u Montée En Suisse, 17 000 infractions peur de la tension taient 45 % de toutes les étaient liées à la violence domes- infractions de violence wD éresponsabilisation et v Passage à l’acte / tique en 2017, soit près de commises en général justification de l’auteur / coups 46 par jour ! sur le canton. Les trois culpabilisation de la victime Illustration 1 : Le cycle de la violence domestique (Source : Institut quarts des victimes étaient des femmes, le plus sou- Suisse de Police, manuel Psychologie policière, à paraître en 2019) vent âgées de 30 à 39 ans (BEFH & StatVD, 2018). La violence domestique est particulière en ce sens Confronté·e·s à ce mécanisme pervers et difficile qu’elle tue régulièrement ou laisse dans son sillage à enrayer, les professionnel·le·s des milieux poli- des séquelles physiques et psychologiques durables. ciers, juridiques, médicaux ou encore associatifs ont L’Office fédéral de la statistique (OFS, 2018) indique parfois l’impression d’être mal armé·e·s pour y faire que les femmes sont nettement surreprésentées parmi face. Dans les faits, la violence domestique se tra- les victimes d’homicides perpétrés au sein du couple. duit par des abus répétés au sein du couple et une Sur la période 2009–2016, la proportion de femmes attitude générale de contrôle et de domination de la décédées sur le territoire helvétique à la suite de vio- part de l’auteur·e. La personne qui subit les actes de lences conjugales était sept fois plus élevée que celle maltraitance se sent contrainte et vit en état d’alerte des hommes. Ces chiffres illustrent la gravité d’un permanent. Elle peine en conséquence à se libérer phénomène dont la trame reste complexe. Par ail- d’elle-même de la relation malsaine. leurs, ils n’englobent pas les interventions policières Relation de pouvoir et d’emprise, peur de la vic- qui n’auraient pas débouché sur une action pénale ou time d’être mal comprise dans ses souffrances, mais une plainte. En effet, le comportement de dénoncia- aussi imbroglio affectif et enfants communs sont tion des victimes doit aussi être pris en compte. « Les autant d’aspects qui tissent la toile de la violence violences et menaces sont de manière générale les domestique qui est le plus souvent cachée, source crimes les moins dénoncés par la population, et parmi de honte et de déni. S’exprimer librement sur les ces crimes, ceux qui concernent des personnes se violences subies dans une salle d’audience en pré- connaissant ont tendance à être moins dénoncés que sence de son agresseur·euse peut s’avérer incon- ceux impliquant des inconnus, ceci de la part des vic- cevable pour la victime qui craint des représailles. times, mais aussi des personnes tierces. » (Bureau de « Si nombre d’acteurs de tous horizons se sentent l’égalité entre les femmes et les hommes, 2018, p. 9). impuissants face à ce problème de santé publique En clair, de nombreux cas ne sont pas comptabilisés usant, il s’agit de ne pas baisser la garde ni d’être dans les statistiques. tenté de détourner le regard », a rappelé, lors du Un cycle infernal difficile à enrayer 1 L’ONU estime ainsi que chaque année, la violence dans le couple ou au sein de la famille est responsable de 58 % des homicides tou- La violence domestique peut être décrite comme un chant les femmes ou les filles dans le monde, pour un total de plus cercle vicieux qui s’enclenche suite à une montée de 50 000 cas en 2017 (UNODC, 2018, p. 13). 72 format magazine no 8
COMPTE-RENDU DU COLLOQUE SUR LA LOVD ET LA CONVENTION D’ISTANBUL colloque, la Directrice du Bureau fédéral de l’éga- bitation. Suite à son expulsion, l’auteur∙e pourra lité entre les femmes et les hommes, Sylvie Durrer également, à l’avenir, être soumis∙e au port d’un (2018). « Une vie sans violence n’est pas un privilège dispositif de surveillance électronique pour le- c’est un droit ! » quel une base légale spécifique doit encore être adoptée. Le tribunal rend systématiquement une Contextualisation de la LOVD ordonnance et fixe En Suisse, ce droit a pourtant mis du temps à être une audience d’of- La nouvelle LOVD, fruit d’un long reconnu. Ce n’est que dans les années 90 que les fice dans les qua- et laborieux parcours de réflexion, premiers projets cantonaux de lutte contre la vio- torze jours suivant vise à réduire au maximum le lence domestique ont pris forme. Il s’agissait alors les faits durant la- risque de récidive, notamment « de mettre en réseau les acteurs institutionnels ré- quelle il sera vérifié grâce au renforcement du méca- gionaux appelés à intervenir contre la violence do- qu’un premier en- nisme d’expulsion automatique des mestique (police, justice, aide aux victimes, foyers tretien d’accompa- auteur·e·s. pour femmes, médecins, etc.) » (BEFH, 2017, p. 3). gnement de l’aut- Peu à peu, un changement de paradigme s’est opéré eur·e aura bien eu lieu ou qu’un premier contact et des législations cantonales ont été adoptées pour aura bien été pris. protéger les victimes. 2. Protéger les victimes : plusieurs prestations sont Dans ce contexte, la nouvelle LOVD, fruit proposées par les institutions spécialisées pour d’un long et laborieux parcours de réflexion, vise accompagner les victimes2. Quant aux situations à réduire au maximum le risque de récidive, no- à haut risque, elles sont prises en charge de ma- tamment grâce au renforcement du mécanisme nière coordonnée grâce aux appels directs de la d’expulsion automatique des auteur·e·s d’actes de police et au partage d’informations avec les insti- violence sur leur conjoint·e ou ex-conjoint·e. Cette tutions de terrain, avec pour objectif une vision à loi vise à compléter l’arsenal juridique existant, 360° (art. 10 LOVD). Pour faciliter les échanges, où la procédure judiciaire actuelle est composée une plateforme de prise en charge coordonnée3 d’un volet pénal et d’un volet civil, ce dernier ayant verra bientôt le jour. déjà largement évolué dans le canton de Vaud sous 3. Prévenir par l’information et la collecte de l’impulsion des travaux liés à la LOVD, comme l’a données (art. 13 LOVD) : le travail en amont est souligné la juge Marie-Pierre Bernel (2018). La nou- tout aussi important (campagnes d’information veauté de cette loi réside dans le fait qu’elle pose et de prévention, récolte de données permettant non seulement un cadre juridique, mais propose de constituer un registre des événements, sta- désormais une chaîne d’actions intégrale compo- tistiques, etc.) pour suivre les situations, mieux sée de cinq maillons essentiels, détaillés par Mari- les comprendre, pouvoir identifier les goulots bel Rodriguez (2018) comme suit : d’étranglement et développer des solutions inno- 1. Réduire la récidive : sans que la victime n’en vantes. fasse la demande, sur simple plainte de tiers, 4. Spécialiser les professionnel·le·s (art. 14 LOVD) : par exemple, la police doit désormais informer la formation et le perfectionnement du personnel l’auteur·e qu’il/elle devra suivre un entretien so- en contact direct avec les victimes permet de les cioéducatif obligatoire avec des professionnel·le·s préparer au mieux à reconnaître les indices de de la prévention (art. 12 LOVD) qui l’orienteront situation de violences domestiques. vers une prise en charge adéquate. La police est 5. Coordonner les acteurs : plusieurs niveaux aussi désormais en mesure d’expulser de façon doivent apprendre à collaborer, comme les sys- immédiate l’auteur·e du logement commun pour tèmes publics, parapublics, les ONG, les direc- une durée de 30 jours prolongeable (CDPJ, art. 48, 2010) afin de l’inciter à réfléchir à ses actes. 2 Notamment, les projets « Guidance » et « Itinérance » du Centre Cette mesure opérationnelle appelée « Qui MalleyPrairie, accompagnement du Centre LAVI, etc. frappe part » vise à permettre à la victime de 3 Elle regroupe notamment la Police cantonale vaudoise, le Centre LAVI, le Service de protection de la jeunesse du canton de Vaud, rester chez elle, même si elle n’est pas officielle- l’Unité de médecine des violences, le Centre MalleyPrairie ou en- ment propriétaire/signataire du bail du lieu d’ha- core le Bureau vaudois de l’égalité entre les femmes et les hommes. format magazine no 8 73
COMPTE-RENDU DU COLLOQUE SUR LA LOVD ET LA CONVENTION D’ISTANBUL tions interservices, les groupes de travail issus de celles qui les y exposent (gefährdende Personen). la commission cantonale, le Bureau de l’égalité et Ces termes allant volontairement au-delà des no- bien d’autres. tions de « victime » ou d’« auteur∙e d’infraction » per- mettent d’élargir le champ d’application du GSG, en Un regard zurichois sur une problématique com- couvrant des réalités qui ne relèvent pas encore, ou mune plus, du champ d’action du droit pénal et de la pro- Afin d’offrir un éclairage complémentaire sur la vio- cédure pénale. lence domestique et sa prise en charge, le Profes- L’obligation de suivre un entretien socio-éducatif, seur Christian Schwarzenegger (2018) a présenté les introduite par la LOVD, ne figure pas encore dans travaux de l’Institut de criminologie de l’Université le GSG zurichois, mais tant les victimes que les de Zurich effectués en collaboration avec la Police auteur∙e∙s bénéficient dans la majorité des cas des cantonale zurichoise et le Ministère public zuri- services de conseils offerts par différents organismes chois. Ces recherches visent à étudier la violence dans le canton (cf. aussi Valach, 2017). domestique dans le canton et son traitement policier Les statistiques zurichoises montrent que la police comme judiciaire, no- intervient en moyenne treize fois par jour pour des À Zurich, comme ailleurs, le tamment sous l’angle de violences domestiques et qu’elle applique des me- constat reste implacable : envi- l’efficacité des mesures, sures de protection dans un quart ou un cinquième ron 93 % des auteur∙e∙s sont des en s’appuyant sur des des cas environ, 92 % des interventions débouchant hommes, alors que près de 90 % enquêtes de victimisa- sur une procédure pénale. Il s’agit toutefois de noter des victimes sont des femmes. tion et sur l’analyse d’un que 64 % de ces procédures pénales sont classées échantillon représentatif sans suite (!) dans le canton de Zurich (Schwarze- de cas de violence domestique ayant débouché sur negger, 2018). des mesures de protection policières (voir également Ott & Schwarzenegger, 2017). Une violence répétée, ciblant avant tout les femmes Se plaçant en amont de la procédure pénale À Zurich, comme ailleurs, le constat reste im- (qui sera généralement déclenchée en parallèle), la placable : environ 93 % des auteur∙e∙s sont des Loi zurichoise sur la protection contre la violence hommes, alors que près de 90 % des victimes sont (Gewaltschutzgesetz, GSG), pendant de la LOVD, des femmes, la classe d’âge des 30–39 ans étant sert notamment de base légale aux mesures im- surreprésentée dans les deux cas (Schwarzenegger, médiates que peut appliquer la police lorsqu’elle 2018). Les chiffres sont donc encore plus marqués intervient en raison d’une situation de violence dans le canton de Zurich que sur le plan national ou domestique. Elle prévoit ainsi trois mesures clé : dans le canton de Vaud (cf. ci-dessus) et ils mettent l’éloignement, l’interdiction de périmètre et l’inter- en évidence les liens directs entre la violence do- diction de contact. La police peut les déclencher de mestique et les rapports (problématiques) entre les manière autonome et elles s’étendront sur une durée hommes et les femmes que relève explicitement la de quatorze jours dès leur notification (GSG, §3). Convention d’Istanbul (cf. encadré en page 75). Dans les cas graves, la police peut par ailleurs pla- Une des particularités de la violence domestique, cer les auteur∙e∙s présumé∙e∙s en détention policière confirmée par l’étude zurichoise, est le relativement pour une durée de 24 heures maximum. Ces me- fort taux de récidive, plus 25 % des auteur∙e∙s étant sures précèdent la procédure judiciaire qui doit être à l’origine d’une nouvelle intervention policière déclenchée à l’impulsion de l’auteur∙e dans les cinq pour violence domestique dans les douze mois sui- jours (GSG, §5), sous peine de voir les mesures se vant la mesure de protection initiale. La plupart des poursuivre ; la victime pouvant elle-même deman- cas de récidive interviennent dans les trois premiers der une prolongation des mesures (GSG, §6). mois suivant la mesure et le taux de récidive étant Une autre particularité zurichoise est le choix deux fois plus élevé chez les auteurs de sexe mas- d’une terminologie spécifique qui s’applique à la culin (Ott & Schwarzenegger, 2017, pp. 99–103). violence domestique, mais aussi à la gestion des L’enquête révèle par ailleurs qu’il s’agit dans près de menaces. Il s’agit ainsi de protéger les personnes neuf cas sur dix des mêmes victimes que lors de la exposées à la violence (gefährdete Personen) de première intervention (ibid, p. 102). Ces cas de victi- 74 format magazine no 8
COMPTE-RENDU DU COLLOQUE SUR LA LOVD ET LA CONVENTION D’ISTANBUL misation répétée confirment le caractère cyclique de Ces constats réjouissants soulignent l’importance la violence décrit plus haut et la difficulté pour les de législations spécifiques en matière de lutte contre victimes d’en sortir. la violence dans le domaine privé et laissent augu- rer une amélioration concrète de la situation des La Convention d’Istanbul, nouvel instrument multi- latéral pour contrer la violence faite aux femmes victimes grâce aux nouvelles mesures de la LOVD, Ratifiée par 33 des 47 États du Conseil de l’Europe, la dont les dispositifs vont parfois au-delà de ceux du Convention sur la prévention et la lutte contre la violence GSG zurichois. à l’égard des femmes et la violence domestique, commu- nément appelée « Convention d’Istanbul », est entrée en vigueur en Suisse le 01.04.2018 (RS 0.311.35). Cet ambi- Quand la victime est de nationalité étrangère tieux traité multilatéral régional repose sur une approche Reflet de la forte mixité de la population zurichoise, intégrée dite des « quatre P » couvrant les trois champs thématiques que sont la prévention de la violence, la pro- l’échantillon révèle que les auteur∙e∙s de violence tection contre la violence et la poursuite pénale, auxquels sont des ressortissant∙e∙s de 79 États et les victimes se rajoute un aspect lié au pilotage, à savoir les politiques coordonnées en matière de lutte contre les violences faites de 62 États différents. Les personnes n’ayant pas aux femmes. la nationalité suisse sont d’ailleurs surreprésentées La Convention d’Istanbul, dont le champ d’application dans les deux catégories. Cela s’explique par un cu- est plus large que celui de la LOVD ou d’autres lois simi- laires, fait plusieurs parallèles explicites entre les inégalités mul de facteurs de risque tels que le recours moins hommes-femmes et la violence faite aux femmes. Au-delà fréquent aux services d’aide aux victimes des per- de la violence au sein du couple, la Convention s’applique sonnes étrangères, ainsi que par une plus grande également aux mutilations génitales féminines, aux ma- riages forcés ou au harcèlement sexuel, des infractions non acceptation de la violence ou à des représentations couvertes par les principales législations en matière de vio- patriarcales de la mas- lence domestique. culinité prévalant dans Les victimes d’ infraction consi- certaines communau- dèrent [...] la police comme une Au-delà des dispositions formelles qui relèvent essen- tiellement du droit fédéral, les principaux aspects matériels de la Convention, à savoir la prévention et la répression de tés (Ott & Schwarze- institution digne de confiance, ce la violence à l’égard des femmes, relèvent en Suisse de la negger, 2017). Les qui est indispensable lorsque celle-ci compétence des cantons. C’est pourquoi plusieurs d’entre eux sont appelés à mettre en conformité leurs législations différentes études doit intervenir de manière répétée. en matière de violences faites aux femmes. zurichoises identifient Encadré 1 : La Convention d’Istanbul toutefois d’autres facteurs importants favorisant la violence, à savoir les attitudes individuelles, le Une satisfaction à l’égard des mesures de protec- cercle d’ami·e·s, le lieu de vie ou l’exposition régu- tion et du travail de la police lière à des représentations de violence (Schwarze- Analysant l’efficacité des mesures policières prises, negger, 2018). l’étude a révélé, à travers les entretiens avec les vic- Si les violences au sein du couple sont difficiles à times, que ces dernières étaient très majoritairement dénoncer, cela est d’autant plus criant pour les vic- satisfaites du traitement policier de leur cas, des times de nationalité étrangère menacées par un ren- informations fournies et des mesures ordonnées par voi. « Pour les femmes non ressortissantes de l’Union la police ; le taux de satisfaction oscillant entre 82 % européenne mariées à un Suisse ou à un étranger au et 91 % selon la question posée (Ott & Schwarze- bénéfice d’un droit de séjour en Suisse, il existe un negger, 2018, p. 107–109). Elle souligne ainsi que obstacle supplémentaire qui les décourage d’entre- les victimes d’infraction considèrent elles aussi, à prendre toute démarche de séparation et de dénon- l’image de la population dans son ensemble, la po- ciation. » (ODAE, 2016, p. 7) Selon les statistiques fé- lice comme une institution digne de confiance, ce dérales (OFS, 2018), 91 % des victimes d’homicides qui est indispensable lorsque celle-ci doit intervenir dans le couple sont des résident·e·s permanent·e·s de manière répétée dans des situations de vulnéra- en Suisse (nationalités suisses et étrangères confon- bilité. La plupart des victimes portent par ailleurs un dues), majoritairement des femmes. Parmi elles, les regard positif sur les mesures prévues par le GSG, résidentes étrangères encourent un risque deux fois leur mise en œuvre ainsi que sur le déroulement de supérieur à celui des Suissesses d’être tuées par leur la procédure et estiment globalement que la mesure partenaire. « Les hommes étrangers sont également prise a permis d’améliorer leur situation, tout comme deux fois plus représentés que les Suisses parmi les leur sentiment de sécurité. auteur·e·s. » (BEFG-DFI, 2018, p. 5) format magazine no 8 75
COMPTE-RENDU DU COLLOQUE SUR LA LOVD ET LA CONVENTION D’ISTANBUL Le cas des victimes de nationalité étrangère, dont physiques, psychiques et économiques. Quelques le permis de séjour en Suisse et celui de leurs en- consignes pour adopter un comportement profes- fants dépendent des personnes qui les violentent, sionnel adéquat sont également spécifiées. est également réglé par la LOVD. La loi stipule en Lors du Brevet fédéral, l’un des thèmes évalués effet que l’expulsion du/de la partenaire violent·e lors de l’examen pratique « Intervention policière » n’est qu’un moyen à court terme permettant d’écar- est celui de la violence domestique, ce qui a été salué ter un danger. Ainsi, la victime ne perd pas immé- par les intervenant·e·s du colloque. Les aspirant·e·s diatement son permis de séjour si la police expulse sont notamment évalué·e·s sur leur habilité à interve- son/sa conjoint·e violent·e. Sur le long terme, la nir en binôme sur des cas de violences domestiques séparation ou le divorce peut toutefois compro- lors de jeux de rôle ; l’objectif étant d’empêcher mettre le renouvellement du titre de séjour accordé que la situation jouée ne dégénère. L’adéquation du en vertu du regroupement familial (séparée de son/ comportement des futur·e·s policiers·ières est éva- sa partenaire, la victime peut ne plus être indépen- luée dans cette mise en situation critique. dante financièrement). « Prouver les violences, leur L’Institut Suisse de Police propose par ailleurs intensité et leur caractère systématique, prouver que depuis 2014 aux collaborateurs·trices et cadres de la réintégration serait la police intéressé·e·s la formation continue intitu- Lors du Brevet fédéral, l’un des compromise en cas de lée Police et société en mutation (cf. Imhof, 2018, thèmes évalués lors de l’examen renvoi ou encore faire et Lips, 2018). Cette formation vise notamment à pratique « Intervention policière » reconnaître les consé- appréhender les problématiques sociétales récentes est celui de la violence quences à long terme engendrées par les différents flux migratoires en domestique. des violences, notam- Suisse et permettre aux professionnel·le·s de cerner ment sur les possibilités les enjeux sous-jacents en termes de changements de réinsertion professionnelle » (ODAE, 2016, p. 11) de valeurs et de comportements, en lien avec leur sont autant d’obstacles qui retiennent une éventuelle métier. dénonciation. On comprend que, pour toutes ces raisons, auxquelles s’ajoute la longueur des procé- La LOVD, nouveau moyen d’action contre la vio- dures administratives et judiciaires, les victimes hé- lence au sein du couple sitent à dénoncer leur partenaire violent·e, parfois au Si elle semble aller de soi et a finalement été accep- péril de leur vie. Cette situation d’extrême vulnérabi- tée à l’unanimité par le Parlement vaudois, rappe- lité complique aussi le travail des professionnel·le·s lons que la LOVD a tout d’abord essuyé deux refus chargé·e·s de les accompagner. avant d’être entérinée. L’une des raisons tenant au contexte particulier de la sphère privée (le foyer) qui Formation des policiers·ières en Suisse confine les victimes et dans lequel l’État s’interdisait Toutes les formes de violences (harcèlement, vio- de s’immiscer. lences physiques, psychiques, etc.) sont connectées, Ce nouveau dispositif législatif vise un effet de se succèdent et se renforcent mutuellement. Du côté levier permettant de briser le cercle vicieux de la de la police, la capacité de détecter pareilles situa- violence domestique. Il ne s’agit ni d’une garantie, tions est primordiale pour intervenir précocement et ni d’une protection absolue des victimes, mais le éviter ainsi des issues dramatiques. message se veut clair : la violence au sein du couple Dans leur cursus de formation, les policiers·ières n’est ni tolérée ni justifiable par quel motif que ce sont formé·e·s à ces interventions particulières. Le soit (alcool, stress, provocation, etc.) et indépendam- moyen didactique ISP Psychologie policière (édi- ment du statut de la relation de couple. En effet, que tion révisée à paraître début 2019), destiné à la l’auteur·e et la victime soient reconnu·e·s comme formation policière de base, contient à ce propos époux, partenaire·s enregistré·e·s ou encore concu- un sous-chapitre sur la prise en charge des cas de bins ne joue aucun rôle. Toutefois, la LOVD légifère violence domestique. Les aspirant·e·s sont notam- exclusivement sur la situation des deux partenaires ment sensibilisé·e·s à la dynamique complexe du d’un couple et non sur celle d’autres personnes phénomène, au vécu de la victime, de l’auteur·e, pouvant partager le domicile (enfants mineurs ou mais aussi des enfants du couple, aux répercussions majeurs, colocataires, parents, etc.), bien qu’elles 76 format magazine no 8
COMPTE-RENDU DU COLLOQUE SUR LA LOVD ET LA CONVENTION D’ISTANBUL puissent aussi être témoins et/ou victimes collaté- doute d’importants outils complémentaires à l’arse- rales des violences. Dans ces cas, c’est le reste du nal législatif existant pour lutter efficacement, et de dispositif légal qui s’applique (p. ex., l’article 28b manière interdisciplinaire, contre le fléau de la vio- Code civil). Il n’en reste pas moins que tant la LOVD lence domestique. que la Convention d’Istanbul constituent sans nul Bibliographie Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes du Canton de Office fédéral de la statistique [OFS] (2018), Homicides enregistrés Vaud [BEFH] (2017), Violence dans le couple. Détection, soutien, par la police 2009–2016. Dans la sphère domestique et hors de la sphère orientation des personnes victimes. Protocole d’ intervention à l’usage des domestique., Domaine « Criminalité et droit pénal », Neuchâtel : OFS. professionnel∙le∙s, 3e éd., Lausanne : BEFH. Ott, Rahel & Christian Schwarzenegger (2017), „Erste Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes [BEFG-DFI] Ergebnisse der Studie ‚Polizeiliche und strafrechtliche Massnahmen (2018), La violence domestique en chiffres au niveau national. Feuille gegen häusliche Gewalt – Praxis und Wirkungsevaluation‘ in d’information 9, Domaine violence domestique. Schwarzenegger, Christian & Reinhard Brunner (Hrsg.), Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes [BEFG- Bedrohungsmanagement – Gewaltprävention, Zürich: Schulthess, DFI] (2017), Violence domestique envers les femmes et les hommes. pp. 87–114. Informations et offres de soutien. Feuille d’information 15, Domaine United Nations Office on Drugs and Crime [UNODC] (2018), violence domestique. Global study on homicide. Gender-related killing of women and girls Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes du canton de Vaud 2018, Vienna: UNODC. [BEFH] (2012), Retardez-vous le moment de rentrer ? Dépliant publié Valach, Rastislav (2017), «Fachtagung Bedrohungsmanagement – par le BEFH, Lausanne : BEFH. Häusliche Gewalt: Tagungsbericht», format magazine, no. 7 (2017), Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes du Canton de Neuchâtel: ISP, pp. 66–70. Vaud [BEFH] (2015), Violence conjugale, que faire ? : De l’aide et des conseils pratiques pour sortir de la violence, 7e éd., Lausanne : BEFH. Colloque sur la LOVD et la Convention d’Istanbul : présentations Bureau de l’égalité entre les femmes et les hommes du Canton de Bernel, Marie-Pierre, « Prise en charge des dossiers de violence Vaud [BEFH] et Statistique Vaud [StatVD] (2018), 50/50 ? : les chiffres domestique par les tribunaux et apports attendus de la LOVD », de l’ égalité, Lausanne : BEFH & StatVD. Colloque sur la LOVD et la Convention d’Istanbul, Lausanne, 2018. Code de droit privé judiciaire vaudois (CDPJ) du 12 janvier 2010, De Quattro, Jacqueline et Eric Kaltenrieder, « Mot de RSV 211.02. bienvenue et ouverture du colloque », Colloque sur la LOVD et la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte Convention d’Istanbul, Lausanne, 2018. contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique Durrer, Sylvie, « Mise en œuvre de la Convention d’Istanbul en [Convention d’Istanbul] du 11 mai 2011, RS 0.311.35. Suisse », Colloque sur la LOVD et la Convention d’Istanbul, Lausanne, Gewaltschutzgesetz (GSG) [des Kantons Zürich] vom 19. Juni 2006, 2018. LS 351. Rodriguez, Maribel, « Présentation de la loi d’organisation de la Imhof, Lionel (2018), « ‘Profilage racial’ : prise de conscience, enjeux prévention et de la lutte contre la violence domestique (LOVD) », et défis pour la police », format magazine, no. 8 (2018), Neuchâtel, ISP, Colloque sur la LOVD et la Convention d’Istanbul, Lausanne, 2018. pp. 34–39. Schmid, Evelyne, « Convention d’Istanbul: enjeux pour le canton de Institut Suisse de Police [ISP], Psychologie policière, (à paraître en Vaud », Colloque sur la LOVD et la Convention d’Istanbul, Lausanne, 2019), 4e éditions, Neuchâtel : ISP. 2018. Lips, Gerhard (2018), « Polizei und Gesellschaft im Wandel », format Schwarzenegger, Christian, « Mesures policières contre la magazine, no. 8 (2018), Neuchâtel, ISP, pp. 4–8. violence domestique – évaluation de la pratique dans le canton de Loi d’organisation de la prévention et de la lutte contre la violence Zurich », Colloque sur la LOVD et la Convention d’Istanbul, Lausanne, domestique (LOVD) [du canton de Vaud] du 26 septembre 2017, 2018. RSV 211.24. Observatoire romand du droit d’asile et des étrangers [ODAE] (2016), Brochure Femmes étrangères victimes de violences conjugales. Obstacles au renouvellement du titre de séjour en cas de séparation., 3e édition, Genève : ODAE. format magazine no 8 77
COMPTE-RENDU DU COLLOQUE SUR LA LOVD ET LA CONVENTION D’ISTANBUL Zusammenfassung Bericht über die Konferenz zum LOVD und zur verweist er auf die Ergebnisse einer im Kanton Zü- Istanbul-Konvention rich durchgeführten Studie, die den polizeilichen Die Konferenz zum Loi d‘organisation de la pré- Umgang mit Fällen von häuslicher Gewalt sowie vention et de la lutte contre la violence domestique die Rückfallquote und erneute Viktimisierung im (LOVD, Gesetz zur Organisation der Prävention Anschluss an polizeiliche Massnahmen untersuch- und der Bekämpfung häuslicher Gewalt) hatte zwei te. Die Konferenz rief das Ausmass des Phänomens Ziele: Die wesentlichen Züge des LOVD einige Wo- der häuslichen Gewalt in Erinnerung, das in der chen nach dessen Inkrafttreten im Kanton Waadt Schweiz auch die Pluralität der Gesellschaft ent- vorzustellen und sie in den breiteren Kontext der in hüllt; so sind sowohl unter den Opfern als auch der Schweiz seit 1. April 2018 gültigen Istanbul-Kon- unter den Tätern zahlreiche Nationalitäten vertre- vention zu stellen. Nach einer Kontextualisierung ten, wobei sich für ausländische Opfer zusätzliche des Phänomens der häuslichen Gewalt konzentriert Herausforderungen ergeben. Einsätze wegen häus- sich der Artikel insbesondere auf die Neuerungen licher Gewalt werden für Polizisten/-innen vermut- des Waadtländer Gesetzes, welches durch einen lich weiterhin zu den häufigsten gehören, aber das interdisziplinären Ansatz mit neuen Mechanismen LOVD bietet ihnen nun in Zusammenarbeit mit ei- zum Schutz der Opfer von Gewalt und zur Ver- nem Netzwerk von spezialisierten Partnern vielver- ringerung von Rückfällen aufwartet. Des Weiteren sprechende neue Handlungsoptionen. Riassunto Resoconto del convegno sulla LOVD e la Con- fatto riferimento ai risultati di uno studio condotto venzione di Istanbul nel cantone di Zurigo sulla gestione da parte della Il convegno sulla Loi d’organisation de la prévention polizia dei casi di violenza domestica e sulle con- et de la lutte contre la violence domestique (LOVD) seguenze delle misure di polizia in termini di re- si prefiggeva due obiettivi: presentare gli orienta- cidiva e di nuova vittimizzazione. Il convegno ha menti della LOVD poche settimane dopo la sua en- ricordato la portata del fenomeno della violenza trata in vigore nel cantone di Vaud, e al contempo domestica che permette di rivelare la particolare iscriverli nella prospettiva più ampia della Conven- diversità della società svizzera; molte nazionalità zione di Istanbul, applicata in Svizzera dal 1° aprile risultano così rappresentate sia tra le vittime sia tra 2018. Dopo aver contestualizzato il fenomeno della gli autori – lo status di vittima straniera è legato tra violenza domestica, questo articolo si concentra in l’altro a sfide supplementari. Gli interventi per vio- particolare sulle innovazioni della nuova legge vo- lenza domestica resteranno probabilmente tra i più dese che offre, attraverso un approccio multidiscipli- frequenti per gli agenti di polizia, ma la LOVD offre nare, nuovi meccanismi volti a proteggere le vittime loro, in collaborazione con una rete di partner spe- di violenze e ridurre i casi di recidiva. Ha inoltre cializzati, nuovi e promettenti strumenti d’azione. 78 format magazine no 8
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