CONFLITS ET MECANISMES DE RESOLUTION DES CRISES A L'EXTRÊME-NORD DU CAMEROUN

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CONFLITS ET MECANISMES
DE RESOLUTION DES CRISES
  A L’EXTRÊME-NORD DU
        CAMEROUN

                           1
TABLE DES MATIERES
Acronyme………………………………………………………………………………….…..4
Liste des tableaux……………………………………………………………………………...5
Résume exécutif……………………………………………………………………………....6
Summary………………………………………………………………………………………7
Carte de localisation…………………………………………………………………….……..8

CHAPITRE 1 : INTRODUCTION………………………………………………………….9
1.1 Contexte…………………………………………………………………………………..9
1.2 Justification de l’étude…………………………………………………………………..11
1.3 Objectifs…………………………………………………………………………………12

CHAPITRE 2 : REVUE DE LA LITTERATURE ET METHODOLOGIE…………...14
2.1 Définitions…………………………………………………………………………….….14
2.2 Synthèse de la littérature disponible…………………………………………………..…15
       2.2.1 La terre et l’eau…………………………………………………………………15
       2.2.2 Les enjeux politiques et l’ethnicité……………………………………………..17
       2.2.3 Mécanismes et plateformes de résolution des conflits…………………………18
2.3 Méthodologie…………………………………………………………………………….19

CHAPITRE 3 : FONDEMENTS ET TYPOLOGIE DES CONFLITS DANS LA
REGION DE L’EXTREME-NORD……………………………………………………….21
3.1. Les conflits d’accès aux ressources……………………………………………………..21
       3.1.1. Les conflits fonciers ………………………………………………………..…21
       3.1.2 Les conflits agro-pastoraux et halieutiques……………………………………23
3.2 Les conflits identitaires………………………………………………………………..…25
       3.2.1 Les luttes de pouvoir et la résurgence de l’ethnicité…………………………..25
       3.2.2 Les conflits successoraux au sujet du pouvoir traditionnel…………………….27
3.3 Les frictions religieuses………………………………………………………………......30

CHAPITRE 4 : MECANISMES ET DISPOSITIFS CONTRE LES CONFLITS……...33
4.1 Mécanismes endogènes………………………………………………………………..…33
       4.1.1 Les instances coutumières………………………………………………….…..33
       4.1.2 Les comités ad hoc…………………………………………………………..…35
       4.1.3 La contribution des associations communautaires……………………………..36
4.2 Les mécanismes et dispositifs exogènes…………………………………………………39
       4.2.1 L’action de l’Etat…………………………………………………………….…39
       4.2.2 Le rôle de la société civile…………………………………………………..….41
              4.2.2.1 Le dialogue interreligieux de l’ACADIR………………………….…41
              4.2.2.2 La contribution de l’Association Camerounaise pour l’Education
              Environnementale à la pacification de la vallée du Logone…………………43
              4.2.2.3 Les autres initiatives de la société civile……………………………...45

                                                                                   2
CHAPITRE 5 : ANALYSE SITUATIONNELLE………………………………………..47
5.1 Analyse situationnelle de Kousseri………………………………………………………47
       5.1.1 La conflictualité d’avant crise sécuritaire……………...………………………47
       5.1.2 La conflictualité induite par la crise actuelle liée à Boko Haram………………48
       5.1.3 Les mécanismes de médiation…………………………………………….……51
               5.1.3.1 Les mécanismes existants……………………………………….……51
               5.1.3.2 Les forces des dispositifs…………………………………………..…54
               5.1.3.3 Les limites des dispositifs………………………………………..…..55
5.2 Analyse situationnelle de Mora………………………………………………………..…56
       5.2.1 La conflictualité d’avant crise sécuritaire…………………………………..…56
       5.2.2 La conflictualité induite par Boko Haram…………………………...…………57
       5.2.3 Les instances de médiation…………………………………………………….60
5.3 Analyse situationnelle de Mokolo……………………………………………..…………62
       5.3.1 La conflictualité d’avant crise …………………………………………………62
       5.3.2 La conflictualité induite par Boko Haram…………………………………..….63
       5.3.3 Les instances de médiation…………………………………………………..…69
CHAPITRE 6 : CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS……………………….…73
Bibliographie………………………………………………………………………………....77
Liste des principaux informateurs……………………………………………………………80
Annexes………………………………………………………………………………………82

                                                                                    3
Acronymes
ACADIR : Association Camerounaise pour le Dialogue Interreligieux
ACIC : Association Culturelle Islamique du Cameroun
ACM : Association Culturelle Mousgoum
AC-SAO : Association Culturelle Sao
BID : Banque Islamique de Développement
ADEMAT : Association pour le Développement du Mayo-Tsanaga
APLESUMAT : Association pour la Promotion de l’Excellence Scolaire et Universitaire
dans le Mayo-Tsanaga
ALVF : Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes
BUCREP : Bureau Central des Etudes et de Recherche sur les populations
CBLT : Commission du Bassin du Lac Tchad
CDD : Comité Diocésain de Développement
CDSG : Comité de Développement du Sultanat de Goulfey
CENC : Conférence Episcopale Nationale du Cameroun
CEPCA : Conseil des Eglises Protestantes du Cameroun
CRTV : Cameroon Radio and Television
CSIC : Conseil Supérieur Islamique du Cameroun
ECAM: Enquêtes Camerounaises Auprès des Ménages
SEMRY : Société d’Expansion et de Modernisation de la Riziculture de Yagoua
RGPH : Recensement Général de la Population et de l’Habitat
ADEMSA : Association pour le Développement du Mayo-Sava
CODAKOL : Comité de développement de l’Arrondissement de Kolofata
FAO: Food and Agriculture Organization of the United Nations
MAG: Malnutrition Aigüe Globale
OPEP : Organisation des Pays Producteurs de Pétrole
OSC : Organisations de la Société Civile
PAM: Programme Alimentaire Mondial
PDI : Projet de Développement Intégré
PDRI-CL : Projet de Développement Rural Intégré-Chari Logone
PIWL : Plaine d’Inondation Waza Logone
PLD : Pacific Logone Development
PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement
SMART: Standardized Monitoring Assessment of Relief and Transition
UNESCO : Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture
UNICEF : Fonds des Nations Unies pour l’Enfance

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Liste des tableaux et encadrés
Tableaux
Tableau 1 : Etat de la conflictualitéinduite par les déplacés/réfugiés dans la localité de
Kousseri………………………………………………………………………………………48
Tableau 2 : Dispositifs de gestion/résolution des conflits dans la localité de
Kousseri………………………………………………………………………………………53
Tableau 3 : Etat de la conflictualité induite par les déplacés/réfugiés dans la localité de
Mora……………………………………………………………………………………...…..57
Tableau 4 : Dispositifs de gestion/résolution des conflits dans la localité de Mora…...…..60
Tableau 5 : Etat de la conflictualité induite par les déplacés/réfugiés dans la localité de
Mokolo………………………………………………………………………………….……68
Tableau 6 : Dispositifs de gestion/résolution des conflits dans la localité de Mokolo……...73

Encadrés
Encadré 1 : La crise du fleuve Logone…………………………………………...…………24

Encadré 2 : Mal gouvernance et permanence des conflits………………………...………...30

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Résumé exécutif
A l’Extrême-Nord du Cameroun, la permanence des conflits entre les communautés est
préoccupante. Ces conflits devenus récurrents opposent les communautés ethniques, les
communautés socioprofessionnelles (pêcheurs, éleveurs, agriculteurs) ou les membres d’un
même groupe tribal. Les causes des conflits sont liées à une histoire locale tumultueuse qui
cristallise encore les frustrations. L’accès aux ressources et le contrôle des pouvoirs
traditionnels sont les principales causes de conflits. Ces conflits sont structurels et
traditionnels dans la cohabitation des communautés. Ils se manifestent par des affrontements
violents, des tensions et inimitié permanentes qui tirent leurs origines des différences
ethniques, religieuses et des modes de production. Ces différents conflits ont favorisé la
formation d’une conscience ethnique sur fond de crispations identitaires, surtout à l’occasion
des joutes électorales ou des luttes de leadership local, lesquelles ont installé dans la durée
une fracture entre ou au sein des communautés.

Le contexte d’insécurité provoquée par les attaques de Boko Haram a reconfiguré le paysage
conflictuel de l’Extrême-Nord. Aux traditionnels conflits inter/intracommunautaires,
succèdent des conflits et tensions sporadiques entre les communautés des déplacés/refugiés et
les populations d’accueil. Dans les localités de Kousseri, Mora et Mokolo (Logone et Chari,
Mayo-Savaet Mayo-Tsanaga), ces tensions couvent et peuvent dégénérer. L’exode des
populations en direction des zones plus sécurisées produit les mêmes effets conflictuels dans
le Mayo-Kani, le Diamaré et le Mayo-Danay. La suspension de toutes les activités humaines
sur le fleuve Logone engendre une crise de ressources qui mérite une attention particulière.

Face à ces conflits qui perdurent et évoluent, les dispositifs traditionnels de gestion sont
restés fonctionnels. A ceux-là, il faut ajouter les actions des associations/comités de
développement. Ces modes de gestion apparaissent cependant inefficaces dans la mesure où
ils n’intègrent pas les principaux acteurs en conflit. Les initiatives de résolution des conflits
de la société civile restent elles aussi peu pertinentes, les actions menées restant limitées au
cas par cas. Les mesures prises par l’Etat manquent de vigueur structurelle. Celles des
autorités administratives répondent dans l’urgence au besoin de maintien de l’ordre et
n’intègrent pas un cadre global de résolution permanente des conflits. Il n’existe aucun
mécanisme permanent de prévention, gestion et résolution des conflits dans la région. Il y a
lieu de mettre en place des plateformes inclusives, de renforcer les capacités des acteurs et de
véhiculer des messages de paix pour garantir la cohésion sociale.

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Summary
Permanent inter-community skirmishes in Far North Cameroon is a source for concern. They
are recurrent conflicts pitting ethnic and socioprofessional groups (fishermen, cattle-rearers,
farmers) or members of the same ethnic group. What triggers these conflicts are past
skirmishes which still remain vivid in peoples’ minds. Access to resources and traditional
power control are the main causes of these conflicts. These skirmishes are structural and
traditional in the cohabitation of the communities. They are characterised by violent clashes,
permanent tensions and brinkmanships which are fueled by ethnic, religious and production
means. These conflicts have given rise to the construction of an ethnic consciousness against
the backdrop of identity-based frustrations, especially during political rallies or battle for
local leadership, which in the long run pave the way for conflicts between people and
communities.

The present context of insecurity emanating from the Boko Haram insurgency has reshaped
the conflictual landscape of Far North Cameroon. From time to time, conflicts betweeen
displaced communities /refugees and host populations tend to replace traditional
inter/intracommunity conflicts. In the localities of Kousseri, Mora, Mokolo (Logone and
Chari, Mayo-Sava and Mayo Tsanaga Divisions respectively), these tensions are covert and
can blast at anytime. The movement of people towards more secured areas yield the same
effects in the Mayo Kani, Diamaré and Mayo Danay. The suspension of all human activities
on the Logone river gives rise to a crisis in resources which deserves special attention.

In a bid to face these lasting and evolving conflicts, traditional structures of management
have remained operational. These methods of management, however seem to be ineffective
in so far as they do not take into account the main people involved in the conflict. Initiatives
of conflict resolution of the civil society are all the same inefficient given that they deal with
cases taken in isolation. Measures taken by the State lack stutural vigour. Those by the
administrative authorities are geared toward immidiate peace-keeping needs and do not
consider wholistic frameworks of conflict resolution. There is no permanent prevention,
management and resolution mechanism in the region. There is need to put inplace inclusive
plattforms, strenghten peoples’ capacities and spread messages of peace in order to garantee
social cohesion.

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Carte de localisation

                        8
CHAPITRE PREMIER : INTRODUCTION

1.1Contexte

La Région de l’Extrême-Nord connaît un cycle de crises. Ces crises sont tributaires d’une
géographie contraignante, d’un passé qui a légué des germes de conflits et d’un faible
encadrement socioéconomique des populations. A cela, il faut ajouter les crises sécuritaires
dont la plus violente est celle due aux attaques de Boko Haram à partir du Nord-Est du
Nigeria. La montée en puissance de cette insurrection islamiste a bouleversé les équilibres
sociodémographiques et la stabilité des Etats du bassin du lac Tchad. L’usage de la terreur
par ce groupe extrémiste a engendré une violencesans précédentet installé une crise
sécuritaire durable. Jusqu’en 2012, la violence de Boko Haram était restée limitée à
l’intérieur du Nigeria, même si quelques faits d’incursions sporadiques sont enregistrés à la
frontière avec le Cameroun1. Depuis 2013, les attaques de Boko Haram se sont étendues à
l’Extrême-Nord du Cameroun avec de graves conséquences socioéconomiques2, sécuritaires
et humanitaires.

La situation critique de l’Extrême-Nord est indissociable d’un environnement régional
caractérisé par l’instabilité politique des Etats, les crises écologiques à répétition et la
pauvreté massive des populations. Dans l’Extrême-Nord du Cameroun, ces facteurs sont à
l’origine de la vulnérabilité structurelle des populations et accroissent leur vulnérabilité aux
nouvelles crises. Ce cycle de crises repose sur une pluviométrie déficitaire ou précoce qui
conduit à des réductions considérables des superficies emblavées de l’ordre de 40%. Dans
l’ensemble, entre 2001 et 2007, le taux de pauvreté s’est accru, passant de 56,3% à 65,9%3.
La région connaît le taux d’insécurité alimentaire le plus élevé du Cameroun avec 17, 8%
environ et 10,3% des ménages ruraux sont touchés4. Les indicateurs sociaux restent aussi
préoccupants malgré des efforts constatés ces dernières années. Selon le rapport de la Banque
mondiale sur la croissance économique au Cameroun, les régions septentrionales et
particulièrement celle de l’Extrême-Nord, connaissent encore un faible encadrement en

1
  La première attaque de Boko Haram est enregistrée du 1O au 11 avril 2O12 dans la localité commerciale de
Banki à la frontière des deux pays.
2
  Lire Saïbou Issa (dir.), Les effets socioéconomiques de Boko Haram à l’Extrême-Nord du Cameroun, Revue
Kaliao, numéro spécial, décembre 2014.
3
  ECAM 2 & 3.
4
  PAM, FAO, Cameroun, « Analyse globale de la sécurité alimentaire et de la vulnérabilité (CFSVA)», 2011.

                                                                                                        9
matière d’éducation. A ce sujet, 76% des habitants sont analphabètes5. La malnutrition
perdure chez les enfants de moins de 5 ans, se situant en 2013 au stade « précaire » de la
malnutrition aigüe globale (MAG) de 8.6%6. A la pauvreté, s’ajoutent des situations de
vulnérabilitésconflictogènesà la réduction des espaces cultivables et des zones de pâturages
notamment. Entre les périodes de sècheresse, d’épidémies et d’inondations, la carte des
vulnérabilités de l’Extrême-Nord connaît une nouvelle répartition que les attaques de Boko
Haram ont accrue et reconfigurée.

Lorsque l’Extrême-Nord du Cameroun subit les premières conséquences de l’insurrection
Boko Haram au Nord-Est du Nigeria, le Nord-Cameroun en général sortait à peine d’une
longue crise sécuritaire due au phénomène des « coupeurs de route » et des prises d’otages7.
Succédant donc à cette période de crise, la secte terroriste Boko Haram s’est déployée sur le
sol camerounais par étapes. Les attaques épisodiques sur les postes frontaliers de gendarmerie
et de police dès 2012, les incursions fugaces de replis tactiques et d’approvisionnement sur
fond d’enlèvements à partir de 2013 et les attaques frontales sur les cibles militaires et les
populations civiles en 2014 constituent les principales phases de la guerre contre le
Cameroun. Les attaques s’accompagnent d’assassinats ciblés de chefs traditionnels,
d’enlèvements d’enfants, ainsi que de messages de menaces à destination des populations.
Au-delà du Cameroun, la menace terroriste s’est régionalisée à travers les attaques menées
dans le lac Tchad et au Sud-Est du Niger. Au fil du temps, l’expansion territoriale de la
menace s’est traduite par la négation de toute autorité publique, la sanctuarisation des zones
stratégiques conquises, en particulier les Monts Mandara le long de la frontière avec le
Cameroun, la forêt de Sambisa ou certains îlots du lac Tchad et la destruction des
infrastructures de base8. Cette stratégie d’expansion s’est surtout accompagnée d’un vaste
exode des populations fuyant la violence du groupe terroriste ou celle de la contre-offensive
de l’armée nigériane.

Les attaques répétées sur les populations civiles ont produit des effets dont les plus visibles
restent l’afflux des réfugiés et des personnes déplacées internes. Les chiffres sont évocateurs
de ce désastre humain perpétré par le mouvement terroriste. Selon le rapport inter-Agences

5
  Banque mondiale, « Cahiers économiques du Cameroun : réexaminer les sources de la croissance, la qualité de
l’éducation de base », Washington, janvier 2014.
6
  UNICEF, Enquête nutritionnelle SMART, juillet-août 2013.
7
  Lire à ce sujet Saïbou Issa, 2010, Les coupeurs de route. Histoire du banditisme rural et transfrontalier dans le
bassin du lac Tchad, Paris, Karthala
8
  H. Mbarkoutou Mahamat, « Expansion de Boko Haram, dépeuplement des zones frontalières et afflux des
réfugiés du terrorisme dans le Nord-Cameroun » in Bulletin d’Analyse Stratégique et Prospective, EIFORCES,
Yaoundé, n°2.

                                                                                                                10
du HCR sur la situation dans l’Extrême-Nord, jusqu’au 25 mai 2015, la région comptait
81.117 personnes déplacées internes, 74.000 réfugiés recensés par les autorités locales dont
37.171 vivant au camp de Minawaou9. Ce mouvement des populations sous crise s’est doublé
d’une crise humanitaire générale puisque 21,9% de la population totale de la région nécessite
une assistance10.

L’afflux des réfugiés vers le Cameroun et le déplacement massif des populations internes ont
connu des trajectoires différentes. La première est celle des réfugiés nigérians. Si quelques
milliers d’entre eux ont accepté de rejoindre le camp de Minawaou, il convient de préciser
que plusieurs autres milliers s’y refusent, préférant l’accueil d’une famille proche ou amie.
12.487 réfugiés ont été identifiés hors camp en mai 2015. La deuxième trajectoire concerne
les déplacés internes. En vagues successives, les populations qui fuient leurs villages attaqués
par les assauts de Boko Haram s’installent dans les camps de fortune le long des axes
routiers. Celles qui jouissent de relations amicales ou familiales sont intégrées dans des
familles d’accueil des grandes agglomérations de l’Extrême-Nord. Les populations déplacées
internes qui s’installent ainsi de façon spontanée connaissent une cohabitation difficile avec
les communautés hôtes,ce qui engendre des conflits.

Dès lors, il est important de questionner les conditions d’intégration ou d’installation des
communautés déplacées. Dans la plupart des cas, les populations d’accueil se sont montrées
hostiles aux populations déplacées parce qu’elles redoutent de partager désormais les maigres
ressources disponibles. Cette nouvelle source de conflits vient s’ajouter à des antagonismes
existants qu’il convient de cerner pour identifier les développements consécutifs à l’arrivée
des réfugiés et des déplacés, puis examiner les modes de régulation jusque-là usités par les
pouvoirs publics, les communautés et la société civile.

1.2 Justification de l’étude
La conflictualité dans les sociétés de l’Extrême-Nord du Cameroun est récurrente. Du fait
desafaible pluviométrie qui n’optimise pas les rendements agricoles, de sa démographie
importante et d’une pauvreté rampante, la région est vulnérable aux antagonismes. Cette
vulnérabilité est entretenue par le difficile accès aux ressources vitales, à la manipulation de
l’ethnicité dans un contexte démocratiquemultipartiste et aux oppositions d’origine religieuse.
A cela, il faut ajouter une succession de crises sécuritaires dont la plus violente est celle

9
  HCR, « Rapport Inter-Agences sur la situation à l’Extrême-Nord du Cameroun », 18-24 mai 2015.
10
   BUCREP, « Les populations vulnérables dans les situations d’urgence. Regard sur les régions affectées par
les situations d’urgence au Cameroun », Journée Mondiale de la Population, juillet 2015.

                                                                                                         11
induite par les attaques de Boko Haram. Cette crise sécuritaire en coursa inscrit la région dans
une perspective incertaine qui ne garantit ni la cohésion sociale, ni le développement
socioéconomique des populations.
Il est donc nécessaire que les risques de troubles sociaux induits par la crise sécuritaire soient
analysés et compris. Cet éclairage de premier niveau est un préalable à la création des
conditions favorables au déploiement de l’aide que les partenaires internationaux et diverses
organisations apportent aux personnes sinistrées dans la région. Dans cette perspective, les
antagonismes existants et les moyens visant à les résoudre doivent être évalués pour que la
cohésion sociale soit un outil au service du développement.
C’est dans cette optique que les agences des Nations Unies, divers acteurs humanitaires et les
autorités nationales font face à l’urgence de la situation et envisagent le relèvement précoce
des communautés impliquées : refugiés, PDI et les populations hôtes. Ils envisagent
également de contribuer à la construction d’une paix durable dans cette Région
multiculturelle, la plus pauvre du pays et sujette à une variété de vulnérabilités. La présente
étude s’inscrit dans le cadre du « Projet d’urgence pour le renforcement des mécanismes de
prévention des crises et le développement inclusif dans la Région de l’Extrême-Nord » et du
projet Rapid Response. Parallèlement, l’UNESCO est engagée avec la FAO et le PNUD dans
un projet conjoint d’appui au relèvement précoce des communautés affectées à l’Extrême-
Nord. L’initiative, financée par le Gouvernement Japonais, vise à renforcer non seulement
l'administration locale et la fourniture de services sociaux fonctionnels mais aussi la cohésion
sociale par l'autonomisation économique des victimes et la mise en place des mécanismes
opérationnels de prévention et gestion de conflits dans les localités de Kousseri, Mora et
Mokolo.     Les deux projets souhaitent s’appuyer sur une bonne connaissance des
fondements/sources de conflits, des catégories d’acteurs impliqués et d’une évaluation
préalable des mécanismes endogènes de prévention et de gestion des conflits pour rendre plus
opérationnelles les plateformes de dialogue existantes ou à créer dans les communautés en
milieux adulte et jeune.

1.3 Objectifs
L’objectif de la consultation est de faire une synthèse des conflits et des mécanismes de
prévention, de gestion et de résolution des conflits dans la Région de l’Extrême-Nord avec
une attention particulière sur les sites ciblés (Mora, Mokolo et Kousseri). Il s’agit, pour les
zones cibles particulièrement, d’identifier les communautés résidentes (réfugiés, les
populations déplacées internes et les populations hôtes), de répertorier les conflits récurrents
qui les opposent, leurs sources, les catégories d’acteurs impliqués, les éléments de

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remédiation, les mécanismes endogènes et innovants de prévention, de gestion et de
résolution des différends entre lescommunautés installées dans les sites d’intervention du
projet de relèvement précoce afin que l’UNESCO et d’autres acteurs s’en inspirent pour
promouvoir le dialogue inter et intracommunautaire et la cohésion sociale.

De manière spécifique, il s’agitde :

 -   Dresser le profil des grandes composantes sociologiques de la région avec un accent
     particulier sur les communautés résidant dans les sites du projet retenus par la FAO et le
     PNUD dans les localités de Mora, Mokolo et Kousseri
 -   Analyser la typologie, les sources et la fréquence des conflits au sein desdites
     communautés avant et du fait des effets des récents mouvements de population liés à la
     crise générée par les exactions de Boko Haram
 -   Répertorier les mécanismes et les acteurs clés endogènes (traditionnels, religieux et
     administratifs) de prévention, de gestion et de résolution de conflits en soulignant leurs
     forces et leurs faiblesses notamment en ce qui concerne l’approche genre et
     l’implication des jeunes
 -   Evaluer l’apport, les forces et les faiblesses des plateformes pertinentes de la société
     civile
 -   Proposer des actions concrètes pour la redynamisation des mécanismes existants ou à
     créer avec des stratégies efficaces à opérationnaliser.

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CHAPITRE 2 : REVUE DE LA LITTERATURE ET
                                        METHODOLOGIE
2.1 Définitions
Les concepts de conflit et mécanismes constituent les principaux centres d’intérêts de cette
étude.
Le conflit a fait l’objet de définitions variées, à la fois par des organismes internationaux de
promotion de la paix et les universitaires. Globalement, le mot conflit désigne des
phénomènes si divers qu’il est quelque peu difficile à conceptualiser. Il vient du latin
confligere (con : ensemble ; fligere : heurter, frapper) ou conflictus (choc, heurt, lutte,
attaque). Au sens plus général, un conflit est une opposition entre deux ou plusieurs acteurs.
Il connaît une expression violente lorsqu’un acteur, individuel ou collectif, a un
comportement qui porte atteinte à l’intérêt d’autres acteurs. Selon les contextes, il implique
l’existence d’un antagonisme qui peut prendre diverses formes : un rapport entre des forces
opposées, une rivalité ou une inimitié, une guerre, etc. Il existe ainsi une échelle de la
conflictualité qui va du désaccord à la tension et à la violence, en passant par un nombre plus
ou moins grand de degrés intermédiaires11.

Dans le cadre de la présente étude, le conflit est entendu comme une opposition plus ou
moins ouverte et violente entre deux groupes de personnes ou communautés dans le but de
défendre leurs intérêts. Il oppose deux forces contraires, chacune ayant ses sentiments et ses
intérêts propres. Les conflits sont liés aux modalités économiques et sociales de l’occupation
des espaces, d’accès et de répartition des ressources, de manipulation politique sur fond de
divisions ethniques et de crispations identitaires. Ils se manifestent par l’usage de la violence,
l’inimitié constante à travers des modalités de méfiance et/ou une organisation séparée des
activités socioéconomiques. Pour la plupart, ces conflits reposent sur un terreau identitaire
fortement parsemé sur l’ensemble de la région dont les facteurs d’activation sont une parcelle
de terre, une mare d’eau à poissons, une crise de succession du pouvoir traditionnel et un

11
  Selon diverses sources, les conflits sont définis à partir des postures différentes. L’Université d’Uppsala parle
de conflit armé actif à condition de recenser au moins 25 victimes par année calendaire. Elle distingue les
conflits armés majeurs lorsque le nombre de morts est supérieur à 1 000 en une année, dans le cadre d’un conflit
dont au moins un des acteurs est un gouvernement. A l’inverse, l’Institut de recherche sur les conflits de
Heidelberg, qui définit les conflits à partir de trois attributs seulement : acteurs, actions et objets, ne mentionne
pas de condition de nombre.Lire à ce sujet, Uppsala Conflict Data Program (Date of retrieval: yy/mm/dd)
UCDP Conflict Encyclopedia: www.ucdp.uu.se/database, Uppsala University; Heidelberg Institute for
International Conflict Research, “Conflict Barometer”, 2014.

                                                                                                                  14
constant jeu de manipulation des identités à des fins politiques. Ces modes d’opposition
s’opèrent à l’intérieur d’une même communauté, entre les groupes d’individus défendant les
mêmes intérêts, entre des communautés de différentes identités. Yr-

Les mécanismes et les plateformes de médiation renvoient auxmodes d’action de prévention,
gestion et résolution des conflits. Plusieurs dispositifs traditionnels existent dans les cultures
des communautés en conflits. Ceux-ci sont relatifs à la justice coutumière et aux assemblées
de dialogue fonctionnant dans les cours des chefferies traditionnelles. Ils sont complétés par
l’action de conciliation des autorités administratives, les décisions des instances judiciaires et
les initiatives de médiation de la société civile. Ce sont en définitive, des méthodes internes
aux communautés ou des cadres de rencontre, de dialogue et de consensus qui mobilisent les
acteurs en conflits dans le but de trouver des solutions consensuelles.
2.2 Synthèse de la littérature
La question des conflits à l’Extrême-Nord du Cameroun a fait l’objet d’études générales et
spécifiques de la part des chercheurs universitaires ou d’institutions spécialisées et de divers
organismes en charge du développement. Suivant les centres d’intérêts particuliers, cette
littérature traite des ressources disputées, de l’ethnicité comme instrument des enjeux
politiques et des dispositifs existants de résolution des conflits dans l’Extrême-Nord du
Cameroun.
2.2.1 La terre et l’eau
La plupart des travaux sur les conflits à l’Extrême-Nord du Cameroun se situent dans le
contexte de la rupture politique des années 1990 pour expliquer leurs causes. Ils présentent
une structure ancienne de conflits dans les zones spécifiques de production. L’accès à la terre
pour la culture du coton se caractérise, depuis des décennies, par une pression et une
insécurité foncière. Les litiges qui en découlent, souvent mal résolus du fait de la
rémunération permanente qu’ils génèrent pour les instances coutumières d’arbitrage,
débouchent sur des conflits ouverts entre les producteurs de coton12. L’objet des conflits est
la terre sur laquelle la pratique de l’agriculture assure la vie des communautés paysannes. Les
terroirs chers aux agriculteurs sont aussi convoités par les éleveurs dont l’itinérance à la
recherche du pâturage détruit les champs agricoles.

Les conflits éleveurs-agriculteurs sont traditionnels et fréquents dans la région de l’Extrême-
Nord. Plusieurs chercheurs s’y sont penchés, abordant chacun les aspects dont la portée est
significative dans la permanence des conflits. Les conflits sont enregistrés pendant les

12
  N. Koussoumna Libra’a, 2014, Crises de la filière coton au Cameroun : fondements et stratégies d’adaptation
des acteurs, Yaoundé, éditions Clé, pp. 241-242.

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activités de nomadisme et de transhumance qui provoquent une lutte d’intérêts autour des
points d’eau et des espaces de pâturage réservés ou utilisés pour l’agriculture13. Dans ce cas,
la compétition pour les ressources est à l’origine des oppositions entre les communautés
pastorales et agricoles. Mais, il est notable de constater que la survenue des conflits n’est pas
toujours liée à la rareté des ressources. Plusieurs conflits sont causés par le manque
d’organisation des espaces disponibles, lequel engendre un accès anarchique favorable aux
conflits14. En dehors des Mbororo dont la transhumance permanente est conflictogène dans
les régions de l’Adamaoua, du Nord et de l’Est15, des communautés partageant la même
identité mais exerçant des activités différentes s’opposent aussi pour accéder ou contrôler une
ressource.

Cette structuration des conflits est similaire à celle connue entre les éleveurs arabes choa et
agriculteurs issus d’autres communautés dans la zone du delta du lac Tchad. Le recul des
eaux a favorisé la multiplication de nouvelles zones de cultures sur les abords du lac. En
même temps, s’intensifient les mouvements transfrontaliers des pêcheurs dans le sillage du
retrait du lac. Si la compétition d’accès aux ressources halieutiques est âpre dans le lac
Tchad, celle constatée dans la vallée du Logone l’est tout aussi avec une fixation sur les
mares d’eau en période sèche16. La compétition d’accès aux ressources se fait aussi par la
prédation. Le vol a constitué depuis longtemps un réel facteur de conflits entre les
communautés au point de structurer les relations entre Peul et Guiziga dans la plaine du
Diamaré17. Le vol du bétail génère des conflits intra ou intercommunautaires dans le
Diamaré, le Logone et Chari et le Mayo Danay. La revue de la littérature sur les diverses
sources de conflits dans l’Extrême-Nord fait une faible allusion à la conjoncture sécuritaire
due aux attaques de Boko Haram.

La crise sécuritaire et humanitaire consécutive aux attaques de Boko Haram, dont on sait que
l’impact sur les communautés est récessif, n’a pas modifié la configuration des conflits à
l’Extrême-Nord du Cameroun. Elle a plutôt accru leur potentiel de risques avec la pression
exercée sur les ressources disponibles. Cette perspective d’analyse n’est pas développée par
13
   Christian Floret, Roger Pontanier, « La gestion des ressources locales et les dynamiques territoriales : conflits
et défis pour l’espace, l’eau, la biodiversité », in Jean-Yves Jamin, L. Seiny Boukar, Christian Floret, 2003,
Synthèse des communications sur le thème 2, Cirad – Prasac.
14
    Moïse Labonne, Paul Magrong, Yvan Oustalet, « Le secteur de l’´élevage au Cameroun et dans les provinces
du grand Nord : situation actuelle, contraintes, enjeux et défis », in Jean-Yves Jamin, Lamine Seiny Boukar,
Christian Floret, 2003, Cirad, Prasac.
15
   N. Koussoumna Libra’a, 2013, Les éleveurs Mbororo du Nord-Cameroun, Paris, L’Harmattan
16
    Abdoulaye Djibrine, « Conflits interethniques et sous-développement dans le Logone et Chari », mémoire de
master en Sciences Sociales pour le Développement, ISS, 2014.
17
   Saïbou Issa et Hamadou Adama, «Vol et relations entre Peuls et Guiziga dans la plaine du Diamaré (Nord-
Cameroun) », in Cahiers d’Etudes Africaines, 166, XLII-2, 2002, pp. 359-372.

                                                                                                                 16
la littérature accessible, encore moins en ce qui concerne les mécanismes communautaires et
institutionnels de résolution des conflits. Pourtant, les recherches jusque-là menées
confirment l’itinéraire d’incertitude des réfugiés et populations déplacées de manière à les
placer dans l’orbite de sources de conflits. En adoptant la fuite comme mode d’évasion, les
communautés déplacées du Mayo-Sava et du Mayo Tsanaga qui se réinstallent sur de
nouveaux sites provoquent l’hostilité des populations d’accueil, les accusant d’occuper les
terres de cultures. La résistance et les nombreuses tentatives de survie des déplacés finissent
pas déclencher les conflits. L’insécurité causée par Boko Haram n’a pas seulement engendré
une pression sur les ressources naturelles, elle a, par ailleurs, fortement réduit les sources de
revenus des populations. Toute chose qui accroit le désœuvrement des populations et une
compétition sur les rares domaines encore survivants de l’économie. L’île de Kofia offre une
illustration de cette modification des itinéraires d’accumulation du fait de l’insécurité au
profit d’un modèle de survivance réduit à quelques activités18. Aux causes structurelles des
conflits, il faut ajouter les causes conjoncturelles.

2.2.2 Les enjeux politiques et l’ethnicité
Plusieurs travaux se sont concentrés sur les nouvelles formes de conflits que l’ouverture
démocratique a favorisées dans les années 1990. Il ne s’agit pas d’une cause directe de
conflits, mais il apparaît que les jeux d’intérêts politiques se sont appuyés sur le vote
ethnique. L’ouvrage de Saïbou Issamontre à cet effet que la mobilisation des communautés
Arabes Choa et Kotoko dans la perspective des premières élections législatives multipartites
dans le département du Logone et Chari a considérablement instrumentalisé l’ethnicité19. Les
affrontements de 1992 entre les deux communautés sont l’aboutissement violent d’une
longue période d’inimitié. Bien que l’opposition entre Kotoko et Arabes Choa soit ancienne
et latente, empruntant les voies de l’autochtonie et de l’allochtonie, les deux communautés ne
sont jamais arrivées à un niveau de confrontation aussi violente qu’en 1992. Pourtant,
certains travaux insistent sur le rôle négatif de la colonisation européenne dans
l’instrumentalisation de l’ethnicité et la division des communautés Kotoko et Arabes Choa
pour mieux régner. De cette posture critique, se dégagent les premiers agrégats d’une scission
structurelle entre les deux communautés. Le déclassement politique des Arabes Choa au
bénéfice de Kotoko, adoubés par le pouvoir du Président Ahmadou Ahidjo avait renforcé le
sentiment d’exclusion des premiers. Le changement des paradigmes politiques dans le

18
    Koultchoumi Babette, « Boko Haram au lac Tchad : la vie socioéconomique de Kofia à l’épreuve de
l’insécurité », in Revue Kaliao, volume spécial, novembre 2014, pp. 118-135.
19
   Saïbou Issa, 2012, Ethnicité, frontières et stabilité aux confins du Cameroun, du Nigeria et du Tchad, Paris,
L’Harmattan.

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Logone et Chari à la faveur de l’ouverture démocratique, dont on sait que le divorce entre
l’ancien président et son successeur a profité aux Arabes Choa, a redistribué les cartes20. Les
événements violents qui vont se succéder en 1992 dénotent d’une haine tribale pour le
contrôle du pouvoir politique, en même temps qu’ils constituent un réel obstacle au processus
de développement de la localité21.

De nombreux conflits sont constatés dans le registre de la succession au sein du pouvoir
traditionnel. Ils s’inscrivent dans deux contextes. Le premier est lié à l’extraversion des
rituels de succession qui ne respectent plus l’orthodoxie traditionnelle. Le contrôle de
l’institution cheffale au Nord-Cameroun par l’autorité administrative a bouleversé l’équilibre
des instances de désignation et la généalogie des successeurs. Cette intrusion qu’on peut
mettre à l’actif des allégeances recherchées par le pouvoir politique, crée des tensions et
conflits, soit entre les clans d’une même communauté, soit entre les individus d’une même
famille. Le deuxième contexte de conflit est le processus migratoire de certaines
communautés qui, au bout de quelques décennies d’établissement, revendiquent une
légitimité traditionnelle. La question des peuples autochtones, propriétaires des terres
rencontre dès lors l’aspiration des allogènes à se soustraire de l’autorité des premiers. Ces
oppositions ont généré plusieurs conflits dans la vallée du Logone. Les différentes formes de
conflits ainsi recensées font l’objet d’un encadrement multiforme.

2.2.3 Mécanismes et plateformes de résolution des conflits
Si de nombreux mémoires académiques ont abordé ces sujets, il reste que les méthodes de
gestion des conflits ont rarement fait l’objet d’études spécifiques. On sait qu’en Afrique, il
existe une gamme variée de modes endogènes de résolution des conflits. Les pratiques
dissuasives, les alliances sacrificielles, les sociétés secrètes et le rôle des leaders constituent
les formes majeures d’action et d’institutions de prévention des conflits. Quant à la
résolution, elle repose sur les faiseurs de paix (plénipotentiaires, négociateurs, médiateurs) et
surtout la palabre22. Ces différents niveaux d’institutions et d’actions en faveur de la paix sont
observables dans toutes les sociétés traditionnelles d’Afrique noire.

20
   A. Sopca, « l’hégémonie ethnique cyclique au Nord-Cameroun », in Afrique et développement, Vol. XXIV,
Nos 1-2, 1999.
21
   Alawadi Zelao, « Conflictualité interethnique et régression scolaire dans la ville de Kousseri au Nord-
Cameroun », Communication au Colloque International Education, Violences, Conflits et perspectives de paix
en Afrique, Yaoundé, 6 au 10 mars 2006.
22
   Thierno Bah, « Les mécanismes traditionnels de prévention et de résolution des conflits en Afrique noire », in
Les fondements endogènes d’une culture de la paix en Afrique : mécanismes traditionnels de prévention et de
résolution des conflits, Paris, 2003

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