Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux

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Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux
2018 - 2019

 Une saison
 de Rencontres
                      35e saison

En partenariat avec
Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux
77 participations étudiantes à la saison 2018-2019 des Rencontres :

Grand oral de Pierre Sadran | 19 octobre 2018 | 4 élèves
Camille BIGOT, Arnaud BUREL, Grégoire KINOSSIAN, Camille RIGEADE

Grand oral de Patrice Blanc-Francard | 12 novembre 2018 | 9 élèves
Camille BIGOT, Valentin BOULAY, Valentin LEJEUNE, Inès LEVAL, Camille PENHIRIN, Pierre-Alexandre PERALDI, Maxime RASSION,
Camille RIGEADE, Yéléna SAM-MINE

Grand oral de Jean-Noël Jeanneney | 22 novembre 2018 | 15 élèves
Arnaud BUREL, Léonard DE CARLO, Juliette DEGRAVE, Quentin HADERER, Grégoire KINOSSIAN, Catherine LE PAGE, Anthony
LEROY, Pauline LE TROQUIER, Margot MONTBROUSSOUS, Sarra MOUALHI, Mathias PREVOST, Sara RODRIGUES, Manon ROUGER,
Cassandre THOMAS, Luc VERGEZ-PASCAL.

Rencontre décentralisée à Saint-Médard-en-Jalles avec la Chaire Défense & Aérospatial : « Quelle défense
pour la France demain, en Europe et dans le monde ? » | 7 décembre 2018 | 18 élèves
Lucie BARANES, Abel CAZENAVE, Constance COUSTON, Grégoire KINOSSIAN, Tanguy KIRCHER, Inès LEVAL, Gabriel MALLET,
Salomon MENDOZA, Sarra MOUALHI, Louise OLIVIER, Elie PERDRIX, Elie POUPIN, Laure-Anaïs POYET, Maxime RASSION, Sara
RODRIGUES, Yéléna SAM-MINE, Aubin SAUMITOU, Marie SCOTTO.

Grand oral de Michelle Perrot | 31 janvier 2019 | 6 élèves
Sarah FERBACH, Gwenaëlle HABOUZIT, Alice MARTIN, Sarah MOUALHI, Jeanne RIVET et Manon ROUGER.

Grand oral de Christiane Lambert | 7 février 2019 | 11 élèves
Pauline BOUILLARD, Antoine CARIOU, Théo CORTET, Catherine LE PAGE, Inès LEVAL, Hortense LUGAND, Camille PENHIRIN,
Apolline RISPAL, Marion TOUZEAU, Corentin UGUEN, Louise VERRIER.

Grand oral de Catherine Bréchignac | 7 mars 2019 | 3 élèves
Aurélie AKNIN, Julie CHARLARD, Juliette DEGRAVE.

Carte blanche à Michel Guérard | 4 avril 2019 | 11 élèves
Roxane BARBAZO, Simon BOURGOING, Clothilde DULAT, Louis FAURENT, Baptiste GARRIGUE, Anastasia GUILLIEN, Grégoire
KINOSSIAN, Victor de LALEU, Maxime RASSION, Manon ROUGER, Romain SENEGAS.
Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux
Les Rencontres,
qu'est-ce que c’est ?

    Une dizaine de Rencontres entre les élèves et une (ou plusieurs) personnalité(s) organisées
    conjointement par le journal Sud Ouest et Sciences Po Bordeaux depuis 1984. Les élèves préparent
    et posent leurs questions, aidés par un journaliste. L'accès est gratuit et ouvert à tous.

         Une dizaine                                   Les élèves                             Un journaliste de
    de rendez-vous par an                          posent les questions                    Sud Ouest anime le débat

                       Le principe                                                    Les différents formats

Les élèves se documentent et préparent la Rencontre en            •  Grand oral
amont, aidés par un journaliste du journal Sud Ouest, par un
                                                                     E n clin d’œil à l’épreuve bien connue des élèves de Sciences
enseignant et/ou une personnalité extérieure.
                                                                      Po Bordeaux, ce format de Rencontre inverse les rôles. Un
Ce jury étudiant prend le micro pour interroger l’invité dans un      jury d’élèves interroge une personnalité sur son expérience,
amphithéâtre de plus de 350 places, ouvert au grand public.           l’actualité, un ou plusieurs grand(s) thème(s) de société...
                                                                   • Table ronde
                                                                   • Face-à-face
                                                                   •  La Rencontre décentralisée
                                                                     Cette Rencontre se déroule hors des murs, sur une journée,
                                                                     autour d’une thématique en lien avec le lieu choisi.
                                                                   • Carte blanche

                     Ils sont venus à la rencontre de nos élèves :

                                                                                                                                 3
Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux
1 9 o c t ob r e 2 0 1 8

    Pour ses 70 ans
    Sciences Po Bordeaux a passé son
    Grand oral, avec Pierre Sadran.
    Ce n’est pas un remake de « L’Arroseur arrosé »     de l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux
    qui passe pour un des premiers films des            de 1985 à 1998 et auteur de La mémoire en
    Frères Lumière projeté en 1895. Néanmoins           partage. Sciences Po Bordeaux (1948 – 2018)
    pour la première fois Sciences Po Bordeaux,         (éd. Le Bord de l’Eau). Sous la présidence de
    grande école qui fête à l’automne 2018 ses          Benoît Lasserre, directeur général délégué
    70 ans, va connaître l’épreuve reine de sa          de Sud Ouest, un jury d’élèves de l’école
    formation : le célèbre « Grand oral ». Celui        interrogera pendant deux heures celui qui a
    qui prêtera sa voix, son humour, sa culture et      dirigé leur établissement le plus longtemps,
    surtout sa rigueur historique et scientifique       parmi les huit directeurs qui se sont succédé.
    à cet exercice sera Pierre Sadran, directeur

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Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux
Rencontre du 19 octobre 2018 à la librairie Mollat | Dans le cadre des 70 ans de l'Institut

Pierre Sadran a évoqué hier
son parcours et, en miroir,
l'histoire de l'École
Pierre Sadran était l'invité, hier soir, de la rencontre            totalement originale, libre, qui s'exprimait avec une
organisée, Station Ausone à Bordeaux, par Sciences                  rigueur considérable. Il est, aujourd'hui, très connu aux
Po Bordeaux et Sud Ouest pour saluer les 70 ans de                  États-Unis, mais peu en France, c'est une injustice. »
l'École. Il connaît l'établissement sans doute mieux
                                                                    Dans un livre publié aux éditions Le Bord de l'Eau,
que personne : il y fut étudiant, puis agrégé de droit
                                                                    Pierre Sadran propose une histoire de Sciences Po
public, professeur et directeur de 1985 à 1998. C'est lui
                                                                    Bordeaux ; il a nuancé, hier, quelques idées reçues
qui a négocié le statut préservant, aujourd'hui encore,
                                                                    sur l'École. Est-elle vraiment un temple de la gauche
l'autonomie de Sciences Po Bordeaux.
                                                                    et de la social-démocratie ? « Ma sensibilité est de
Le politologue, dont l'expression est à l'oral comme à              gauche, comme celle des directeurs de l'École depuis
l'écrit cristalline, a d'abord évoqué, avec les étudiants,          quarante ans. Le corps enseignant est, majoritairement,
son parcours. Comment un enfant de la bourgeoisie                   de gauche. En revanche, chez les étudiants, c'est très
viticole de l'Entre-Deux-Mers s'est-il orienté vers la              panaché. »
science politique ? Figurez-vous qu'un petit groom à la
                                                                    En soixante-dix ans, Sciences Po Bordeaux n'a cessé
casquette rouge a sa part dans cette trajectoire : « J'étais
                                                                    de grandir. 2000 élèves aujourd'hui. Pierre Sadran
abonné à Spirou. Un jour, dans un article, j'ai découvert
                                                                    a esquissé quelques caps pour l'avenir de cette
l'existence de l'ENA. Cette école me séduisait, entre
                                                                    fringante septuagénaire : l'ouverture à l'international,
autres raisons parce qu'elle impliquait de monter à Paris
                                                                    davantage de diversité sociale parmi ses étudiants, et la
et de s'émanciper. »
                                                                    préservation de l'« équilibre » entre la spécialisation,
                                                                    nécessaire pour une meilleure insertion professionnelle,
Hommage à Jacques Ellul                                             et la pluridisciplinarité, qui est la trame des études à
                                                                    Sciences Po Bordeaux, et sa différence gagnante dans le
Pierre Sadran a finalement préféré à l'ENA, la science              paysage universitaire.
politique, et un chemin intellectuel qui sera marqué
par Jacques Ellul. « Un professeur fascinant. Nous,                                           Julien Rousset, Sud Ouest, 20 octobre 2018
étudiants, voyions se dérouler in vivo une pensée

                                                                                                                                             5
Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux
Rencontre du 19 octobre 2018 à la librairie Mollat | Dans le cadre des 70 ans de l'Institut

                 La mémoire en partage. Sciences Po
                Bordeaux (1948 – 2018), Pierre Sadran

                                  O            n pourrait s’étonner de voir publié dans la collection « Territoires du politique »
                                               un ouvrage consacré à Sciences Po Bordeaux. L’Institut bordelais, qui fête ses
                                               70 ans à l’automne 2018 (il a été créé par décret le 13 août 1948) est-il un
                                   « territoire (du) politique » ? Assurément, à la lecture du livre de Pierre Sadran, la réponse
                                   affirmative ne souffre guère de contradiction. Territoire à la fois physique (installé dans
                                   des locaux entièrement rénovés et agrandis il y a moins de deux ans) et intellectuel
                                   (lieu de recherche et de formation), Sciences Po Bordeaux vit « de et par la politique »
                                   pour reprendre une formule consacrée. Mais si on y « fait » de la politique, celle-ci est
                                   aussi, qu’elle soit incarnée ou synonyme de relations de pouvoir, un objet d’étonnement
                                   permanent. On peut donc dire, qu’on y « dit » et qu’on y « lit » tout ce qui relève « du »
                                   politique. Et d’ailleurs on n’enseigne pas que la science politique à Sciences Po Bordeaux.
                                   Le territoire de la formation dispensée tient du jardin anglais où le mot pluridisciplinarité
                                   se rencontre aux croisements de toutes les allées du savoir. Pierre Sadran, qui a dirigé
                                   pendant 13 ans cette grande École au cœur de l’université bordelaise, était le mieux à
                                   même de nous livrer son « histoire sensible » de Sciences Po Bordeaux partageant avec
                                   talent et humour, mémoires personnelle et institutionnelle, sachant éclairer l’une et
                                   l’autre du regard du scientifique qu’il n’a cessé d’être.

                                                                   Collection « Territoires du politique » dirigée par Jean Petaux, Septembre 2018

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Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux
Rencontre du 19 octobre 2018 à la librairie Mollat | Dans le cadre des 70 ans de l'Institut

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Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux
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Quand le jazz est là !
Grand oral de Patrice Blanc-Francard, journaliste musical
et producteur, suivi d'un concert des pianistes Amaury Faye
et Rémi Panossian.

    U           n fou de son qui franchit les murs. En
                ce temps-là les radios se comptaient
                sur les doigts… d’une seule main.
     D’un côté l’ORTF avec France Inter, France
     Musique, France Culture… De l’autre les
                                                         se dirait : « La bande FM n’était pas inventée ».
                                                         France Inter s’écoutait sur 1829 mètres en
                                                         ondes longues. Les radios périphériques
                                                         n’étaient pas installées à l’extérieur du
                                                         « Périph’ ». Elles tenaient leurs noms du fait
     « périphériques » : Europe 1 et Luxembourg.         que leurs émetteurs étaient situés à l’extérieur
     On pouvait passer à la seconde main pour            du territoire national. Le plus près possible de
     Radio Monte-Carlo, Sud Radio, Radio                 la frontière mais à la périphérie de la France.
     Andorre… Mais ces « petites » n’étaient pas         Ce temps-là ce n’était pas dans l’entre-deux-
     audibles sur l’ensemble du territoire français      guerres, entre 1919 et 1939. Ce temps-là
     et gaulliste. La modulation de fréquence            c’est celui de Patrice Blanc-Francard (PBF),
     n’existait pas. Ce qui en langage d’aujourd’hui     un ingénieur du son génial. Ce temps-là

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Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux
Rencontre du 15 novembre 2018 | En partenariat avec l'Esprit du piano

                                       Prendre le jazz comme
                                          on le sent, loin des
                                        querelles et des écoles
     c'est celui de 1969 quand PBF, 27 ans au compteur           Smadja       écrit :
et une belle culture musicale dans ses bagages, retrouve         « Les questions
son mentor José Artur aux commandes d’une émission               de     l’extension
déjà culte, le « Pop Club » qui va résonner aux oreilles         et de la com-
des auditeurs de la nuit pendant 40 ans, jusqu’en 2005.          préhension du « jazz » font continûment l’objet
Avec des génériques cultes : Otis Redding The Dock of            d’inlassables et exténuantes discussions d’érudits,
the Bay ou encore les paroles de Gainsbourg chantées             à propos de la naissance et de l’origine de cette
(ou plus exactement presque récitées) par une Birkin             musique, à la fois dans le temps (chants de travail,
plus câline que jamais : « 24 heures sur 24, la vie serait       blues, ragtime) et dans l’espace (Afrique ou Amérique)
bien dure si l’on n’avait pas le Pop’ Club avec… José            touchant sa fin ou mort supposée ; à propos des genres
Artuuuur ».                                                      qu’il subsume (swing, pop, new thing, rythm and
                                                                 blues, etc.) et des déterminants ethniques, culturels
Blanc-Francard, conseiller musical du « Pop’ Club » va           et socio-économiques, enfin au regard de ses critères
vite prendre son envol. Il enchaîne les émissions, tous          musicologiques et esthétiques ». Voilà donc pourquoi
les soirs sur Inter pendant toute la décennie 70 : « Pas         on ne s’aventurera pas dans cette Rencontre Sciences
de panique », « Bananas », « Loup Garou », « Bikini » et         Po Bordeaux / Sud Ouest sur les chemins escarpés des
même pendant une saison prend les commandes d’une                débats d’experts reconnus (ou autoproclamés) estimant
autre émission mythique « Marche ou rêve » créée par             par exemple que « le be-bop de Charlie Parker n’est pas
un pilier du service public, Claude Villers, le conteur          du jazz », thèse du grand critique musicologue Hugues
fabuleux et le président définitivement arbitraire du            Panassié, fervent admirateur du jazz traditionnel d’un
« Tribunal des Flagrants délires ». Ensuite PBF enchaîne         Armstrong et dont la critique des « formes modernes »
les chaînes : télés (Antenne 2… Ah… « Les Enfants du             du jazz, telle le be-bop justement, enflamma le « Hot
rock » ; Arte : « Velvet Jungle » ; Canal J ; etc.), radios      Club de France » par exemple.
encore (Europe 1, la direction du Mouv’, la chaîne
« jeunes » de Radio France de 2011 à 2013). PBF c’est            On ne cherchera pas non plus à procéder à une analyse
le son, du gros son, des trouvailles de musique, des             sociologique du jazz, les plus éminents penseurs tels
importations géniales, des inventions incroyables.               Théodor W. Adorno (Prismes : critique de la culture et
Avec son pote Bernard Lenoir on écoute en boucle les             société, Payot, 1986) ou LeRoi Jones (Le Peuple du blues :
premiers 33 tours des Reggaemen directement venus de             la musique noire dans l’Amérique blanche, Gallimard,
Kingston, Jamaïque ; la salsa transfusée des boîtes afro-        1968) ont posé, pour le second il y a 50 ans, les termes
cubaines de Spanish Harlem ; le son West Coast des               d’un débat entre « universalité du jazz » et « esthétique
Eagles et leur éternel Hotel California, ou les mélodies         individuelle » qui ne sera pas réouvert à l’occasion du
pop-rock d’une Linda Ronstadt ou le country-rock                 « Grand oral » de PBF qui va être aussi celui du jazz.
d’Emmylou Harris. Tout cela sur fond de Neil Young ou            Non pas que ces débats n’aient pas d’intérêt, même
de Stevie Wonder.                                                s’ils pèchent parfois par excès de sophisme ou de
                                                                 préciosité sectaire. Tout simplement parce que nous
On ne s’attendait pas à croiser la route de                      avons privilégié la simplicité en invitant Patrice Blanc-
Blanc-Francard au carrefour du jazz. Et pourtant, à y            Francard à parler du jazz, de ses jazz, de tous les jazz,
regarder de plus près, il ne faut pas s’en étonner. Avec         dans une « session » de plus de 90 minutes. L’idée ici est
un tel bagage musical, une telle culture de tous les sons,       de vagabonder sur les chemins de traverse des champs
une telle agilité à franchir les murs et à faire sauter les      de coton, de se poser sur les rares bancs du Preservation
clôtures, PBF pouvait-il ignorer ce qui est peut-être la         Hall, temple du jazz traditionnel, dans St Peters Street
mère de toutes les musiques contemporaines ?                     au cœur du French Quarter de New-Orleans ou de
Dans un excellent article publié en mai 2004 dans la             passer la nuit dans un club enfumé de Chicago à écouter
revue « Raisons politiques » (Presses de la FNSP), David         Luther Allison quand lui ou John Lee Hooker n’étaient

                                                                                                                                      9
Une saison de rencontres 2018 - 2019 35e saison - Sciences Po Bordeaux
Rencontre du 15 novembre 2018 | En partenariat avec l'Esprit du piano

pas au Cricketer’s, lieu mythique de la scène blues en                    an avant la disparition de Lester Young. Ce qu’en écrit
France, quai de Paludate à Bordeaux, à la fin des années                  PBF est tout simplement déchirant. Déchirant comme
80 et dans la première moitié des années 90.                              un solo de saxo ténor sur un trottoir détrempé de la
                                                                          52e rue, après minuit : « Tu me comprends ? – Bien sûr
                                                                          que je te comprends, je t’ai toujours compris, Prez…
Des figures et des âmes                                                   - Je joue pour toi, Lady. – Je sais. C’est beau ce que tu
Voilà pourquoi, à la manière d’un Patrice Blanc-                          joues » (p.605). Des paroles non dites qui s’accordent à
Francard, nous nous laisserons porter par la vague                        la fragilité musicale de Lester.
d’émotion qui saisit celui qui écoute la chanson par
laquelle Billie Holiday finissait chacun de ses spectacles :              Ou alors on ira du côté de Louis Armstrong ou plus
Strange Fruit. Ces « fruits étranges » pendus, comme les                  exactement de sa femme Lil Hardin-Armstrong, « Hot
deux adolescents noirs Thomas Shipp et Andrew Smith,                      Miss Lil ». Les deux artistes vont se séparer dès les années
aux branches des arbres du Sud profond et qui inspireront                 30 tout en restant très proches. Fin août 1971, au Civic
les paroles de ce qui restera à jamais l’hymne de Lady                    Center de Chicago (qui deviendra plus tard le Dealey
Day, comme la surnommait Lester Young, son ami et                         Plaza), 2000 personnes, dans une chaleur étouffante,
son grand frère. Paroles d’un poète inconnu qui se fait                   sont venues écouter l’hommage « au plus grand
appeler Lewis Allan, de son vrai nom Abel Meeropol                        trompettiste du monde », Louis Armstrong, décédé le
qui présente à Billie Strange Fruit en 1939, sans lui dire                6 juillet 1971. « Hot Miss Lil se met au piano », écrit
qu’il est aussi membre                                                                                     Patrice Blanc-Francard,
du Parti Communiste                                                                                        et entame St Louis
Américain : « Southern                                                                                     Blues (NDLA : morceau
trees bear strange
fruit / Blood on the
                                           Il n’y a pas un jazz, mais                                      mythique du répertoire
                                                                                                           du grand Armstrong),
leaves and blood at the
root / Black bodies
                                              des jazz. Éclectiques et                                     acclamée par le public.
                                                                                                           Encouragée par cette
swinging in the southern                  bleus comme autant d’arcs                                        réaction, un grand
                                                                                                           sourire aux lèvres,
breeze / Strange fruit
hanging from the poplar                électriques. Se repoussant et                                       Lil Hardin livre une
trees / Pastoral scene                                                                                     vibrante version du
of the gallant south »…                 s’attirant les uns les autres,                                     célèbre blues de W.C.
« Scène pastorale du Sud                                                                                   Handy. Et au moment
galant »… Patrice Blanc-                       au rythme des osmoses                                       précis où, sous les
Francard, qui évoque                                                                                       acclamations, elle plaque
cette histoire dans son                           et des hybridations.                                     le dernier accord, elle
article consacré à Billie                                                                                  s’écroule sur le piano,
Holiday, nous rappelle                                                                                     raide morte… ». (p.34).
que Columbia va refuser                                                                                    Elle était née en 1898 à
d’enregistrer Strange Fruit en 1939. C’est un jeune                       Memphis dans une des « rues chaudes » de la ville, Beale
producteur, totalement inconnu, Milt Gabler qui va                        Street.
prendre le risque. Time Magazine, écrit PBF, considère
                                                                          Et puis on s’intéressera forcément à la recherche presque
Strange Fruit, encore aujourd’hui, comme la chanson
                                                                          désespérée de LA note, l’unique, la seule, l’inaccessible
du siècle (p.351). C’est ce jazz-là qui s’invite aux
                                                                          étoile après laquelle un Miles Davis va courir toute
« Rencontres ».
                                                                          sa vie. De lui, Blanc-Francard écrit : « Miles ! (…) Je
C’est aussi celui, encore, de Billie Holiday qui regarde                  réalise que son personnage passe en filigrane à travers
de ses yeux de braise, avec ce sourire triste et cette                    tout mon livre, et qu’il est présent dans une bonne
mélancolie ironique, celui qu’elle appelle « Prez »,                      dizaine de chapitres – ou d’entrées si vous préférez.
comme « Président », celui qu’elle considérait comme                      Plus qu’incontournable. Inoubliable ». En effet, qui
le plus grand de tous, Lester Young qui inspirera pour                    pourrait oublier ces triples croches suspendues au ciel
partie Bertrand Tavernier dans Autour de minuit. On                       dans ce générique improvisé du film de Louis Malle
verra cette scène mentionnée par Blanc-Francard dans                      Ascenseur pour l’échafaud. Comme si les notes de Miles
son article sur Lester Young extraite d’une émission                      ruisselaient en perles de pluie sur le visage de Madone
de jazz culte aux États-Unis à la fin des années 50 :                     d’une Jeanne Moreau bouleversante dans l’attente de
« The Sound of Jazz ». Cet enregistrement a été fait un                   son amant assassin, coincé dans un ascenseur.

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Rencontre du 15 novembre 2018 | En partenariat avec l'Esprit du piano

Charlie Parker, The Bird remarquablement bien mis en
scène par Clint Eastwood, que l’on retrouve illustré par
Jean-Michel Basquiat, l’icône du street-art new-yorkais,
tragiquement décédé à l’âge de 28 ans, passionné de jazz,
de rap, de hip-hop, de mots et de listes, est une autre
figure qui vient nous émouvoir dans ce « jeu de noms ».
Tout comme Duke Ellington (dont on lira l’étonnante
présentation rédigée par un Michel Le Bris encore plus
inspiré qu’à l’accoutumée, p.220) découvrant Django
Reinhardt dans une cave de Saint Germain des Prés. Ou
encore la fabuleuse Ella Fitzgerald, tellement simple et
tellement grande. D’elle, PBF dit : « C’était une femme
de peu de mots. Elle préférait les chanter » (p.264).
Une dernière pensée peut-être, parmi tant et tant
d’artistes aux frontières les plus éloignées du jazz, mais
marquées par une forme commune de partage de l’âme
humaine, pour Aretha Franklin, disparue à l’âge de
76 ans à son domicile, le 16 août 2018. Elle ne figure
pas, sous la forme d’une entrée, dans le Dictionnaire
de Patrice Blanc-Francard, mais il n’est pas interdit de
penser que la Reine de la Soul n’est pas étrangère non
plus à son cœur.
Il n’y a pas un jazz, mais des jazz. Éclectiques et bleus
comme autant d’arcs électriques. Se repoussant et
s’attirant les uns les autres, au rythme des osmoses et
des hybridations. Inspirateurs de tous les arts parce
qu’ils aspirent à l’essentiel en quelque sorte : la liberté.
Celle des caves improbables où jouait Boris Vian (p.569),
celle de l’Acid Jazz d’un Jimi Hendrix (p.331) ou celle
de la transcendance de Ray Charles, dans ses « années
Atlantic » (p. 148). C’est de tous « ses » jazz que Patrice
Blanc-Francard nous entretiendra dans son Grand oral.
              JP | Revue de presse du 15 novembre 2018

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Rencontre du 15 novembre 2018 | En partenariat avec l'Esprit du piano

Blanc-Francard,
la passion du jazz
Journaliste et producteur, Patrice Blanc-Francard sera ce soir à Bordeaux pour
débattre de son Dictionnaire amoureux du jazz.

C          ertaines personnes entrent en musique
           comme d'autres en religion : pour y consacrer
           toute leur âme, sinon leur vie entière. C'est
indubitablement le cas de Patrice Blanc-Francard, né à
Marseille en 1942, peu avant la révolution du be-bop et
                                                                          aux côtés de son mentor José Arthur. Et s'il dispense son
                                                                          exégèse aussi sur le petit écran (le cultissime « Pop 2 »)
                                                                          et sur le papier (les années pionnières du mensuel Rock
                                                                          & Folk), Blanc-Francard demeure longtemps un homme
                                                                          de radio. « Bananas » puis « Loup-Garoup » et « Bikini
le premier festival de jazz de Nice. Il est encore étudiant               » sont, tout au long des années 1970, des mots de passe
quand, à la fin des années 1950, le morceau « Blues                       pour les amateurs de musique et auditeurs d'Inter. Au
March » d'Art Blakey & the Jazz Messengers, indicatif                     cours de la décennie suivante, il devient producteur
de « Pour ceux qui aiment le jazz » sur Europe n° 1,                      des « Enfants du Rock » d'Antenne 2, directeur des
jaillit de son transistor pour le saisir au coeur.                        programmes d'Europe 1, puis à la fin du siècle dernier,
                                                                          de Disney Channel, où sa réussite le hisse jusqu'au
« Une dimension miraculeuse s'ouvrait alors à moi :                       poste de vice-président de Walt Disney Television
la découverte et le partage d'une langue nouvelle,                        International.
fascinante et magnifique, clé magique qui vous donnait
pour toujours accès aux portes du monde, secret de                        Curieux de tout, Patrice Blanc-Francard est depuis 10
l'art, un sésame pour le jardin des merveilles », confie-                 ans responsable du cinéma et documentaires au festival
t-il si joliment dans l'avant-propos de son Dictionnaire                  des Étonnants Voyageurs de Saint-Malo. Frère aîné de
amoureux du jazz.                                                         l'ingénieur du son Dominique Blanc-Francard - et donc
                                                                          l'oncle de Boom Bass (la moitié du duo Cassius) et du
L'anecdote omet cependant une dimension importante :                      chanteur Sinclair -, il demeure avant tout un passionné
en même temps que celui du jazz, il contractait le virus                  de musique. Éternellement en quête de la note bleue.
de la radio. Sur France Inter, il est d'abord ingénieur du
son chargé d'enregistrer de la musique live. Puis, après                             Sud Ouest, 15 novembre 2018, Stéphane C. Jonathan
Mai 68, derrière le micro de l'aventurier « Pop-Club »,

Quand Sciences Po Bordeaux
se fait boîte de jazz
MUSIQUE Patrice Blanc-Francard, producteur et animateur historique de France
Inter, est venu parler de son amour du jazz.
Dites Max à Patrice Blanc-Francard, il vous répondra                      l'histoire du jazz et de ses musiciens, ainsi que le
Max Roach, l'un des plus grands batteurs de jazz, plutôt                  contexte politique périlleux dans lequel trompettistes
que Max Weber, le père de la sociologie politique que                     ou pianistes se produisaient. En revanche, vous
tout étudiant de Sciences Po se fait un devoir de citer                   l'écouterez, oreilles écarquillées, décrire la troublante
sans l'avoir forcément lu.                                                et magique complicité du regard que se lancent Billie
                                                                          Holiday et Lester Young.
Bref, ne comptez pas sur PBF pour vous faire une
dissertation universitaire sur les liens entre le jazz et la              Il est question d'amour, pas de théorie. Et c'est bien
ségrégation raciale dans les États-Unis des années 50,                    ce Dictionnaire amoureux du jazz qui a servi à Patrice
même s'il connaît parfaitement, et sans pédantisme,                       Blanc-Francard de (lourd) passeport pour décrocher

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Rencontre du 15 novembre 2018 | En partenariat avec l'Esprit du piano

une invitation à la deuxième Rencontre Sciences Po                esclave d'aucune chapelle, d'aucune case, d'aucune
Bordeaux / Sud Ouest de la saison, devant un parterre             frontière.
d'étudiants et d'auditeurs plus âgés, dont on devine
                                                                  Non, s'il y a un lien entre le jazz et la radio, c'est parce
qu'ils écoutaient France Inter dans les années 70 et 80
                                                                  que tous les deux ne s'adressent qu'à un seul individu.
quand la programmation musicale était plus libre et plus
                                                                  « Quand je faisais de la radio, je ne parlais au micro qu'à
indépendante qu'aujourd'hui. D'ailleurs, PBF n'écoute
                                                                  une seule personne même si des milliers m'écoutaient. »
plus la radio, sauf en voiture. Un lien existe entre le jazz
                                                                  Et le jazz, au contraire du rock, est lui aussi une musique
et la radio. Pas tellement pour la programmation car,
                                                                  d'individu à individu.
hormis quelques niches, les ondes sont plutôt chiches
pour diffuser cette musique. Mais, quitte à fâcher les            S'il regrette, sans forcer le trait, la radio et les grands
musiciens, Patrice Blanc-Francard ne s'en lamente pas.            festivals de jazz d'avant, moins « mécanisés » que
                                                                  maintenant, il s'interdit de jouer au vieux combattant
D'ailleurs, le jazz n'est plus une musique exclusivement
                                                                  du bop ou du free. Et tout autant de se prendre pour un
américaine, née des conditions atroces de l'esclavage. Il
                                                                  devin. « Comment je vois la radio de demain ? Je ne la
y a du jazz en France, en Italie, en Norvège et peut-
                                                                  vois pas. »
être même au Nunavut. Cela réjouit aussi PBF qui n'est
                                                                                       Sud Ouest, 16 novembre 2018, Benoît Lasserre

                                                                                              Le jazz est comme
                                                                                             la mauvaise herbe,
                                                                                              il pousse partout.

                                                                                                                                   13
2 2 n o v emb r e 2 0 1 8

     Jean-Noël Jeanneney,
     Historien, ancien ministre, ancien
            président de la BNF

        Un beau prénom d’empreintes
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Rencontre du 22 novembre 2018 | Dans le cadre du Festival International du Film d'Histoire de Pessac

                                                                    La « sévérité » que relève Péguy chez les « jeunes
                                                                    maîtres » de la République troisième du nom et dont
                                                                    Jules Jeanneney, est déjà député depuis onze ans quand
                                                                    L’Argent est publié, est certainement un mot bien trop
                                                                    grave pour s’appliquer à son petit-fils Jean-Noël. C’est
La cuillère d’argent                                                pour cela qu’il convient de laisser la parole, pour un
                                                                    portrait sensible du cofondateur de l’excellente revue
n’interdit pas de                                                   L’Histoire, à Jean-Pierre Rioux qui le connaît bien. Ils
                                                                    ont vécu ensemble dans « le chaudron de Nanterre »
croquer la vie à                                                    (sic), en 1970, tous les deux jeunes assistants de René
                                                                    Rémond. Dans Libération du 15 octobre 2010, Rioux

pleines dents                                                       écrit sur son collègue et ami  : « Jean-Noël a su se
                                                                    nourrir de toutes ces fidélités et son œil s’allume encore
                                                                    au souvenir de De Gaulle à la Boisserie, des glissades

I
                                                                    sous les ors républicains et sur les courts du tennis du
        l y a des trajectoires de vie qui semblent exister          Sénat, des derniers préaux des réunions électorales,
        d’abord pour donner raison à telle ou telle théorie         des lavoirs municipaux (magnifiques) du canton de
        sociologique. Celle de Jean-Noël Jeanneney par              Rioz - Haute - Saône. Il mérite de tous ces atavismes
        exemple semble tout droit sortie d’une étude                aussi par sa sociabilité avenante (mais qui peut renouer
        de Pierre Bourdieu et de ses disciples sur la               avec l’âpreté comtoise). Par sa langue impeccable (il
reproduction sociale, les dynasties, le capital culturel            sait réciter nos classiques, à perdre haleine), son goût
permettant aux Héritiers de se reproduire entre eux et              pour l’écriture (il vient de s’essayer au théâtre), son
de renforcer ainsi les castes et autres noblesses d’État.           humanisme, son sens du Carpe Diem. Et un art de
D’une certaine façon on pourrait écrire, sans grand                 croquer la vie qui ne s’embarrassent ni de bondieuseries,
risque d’être démenti  : « Sur les Jeanneney, voyez                 ni d’idéologies, ni de systèmes. Par son sens de l’amitié
Bourdieu… ».                                                        aussi. Et par sa passion pour le bien commun, viscérale
                                                                    et si aiguë. Sans négliger pour autant la recherche du
Sauf que derrière les apparences il y aussi les êtres, de           neuf  : tout jeune homme il a exploré avec autant de
chair et d’esprit. Et le moins que l’on puisse dire c’est que       gourmandise le plateau des jeux télévisés aux Buttes-
le remarquable producteur de l’émission hebdomadaire                Chaumont et la Chine interdite de Mao. Mais ce Jean-
sur France Culture, « La concordance des temps                      Noël à cuillère d’argent est resté l’enfant de sa lignée en
», ne manque ni de charme ni d’intelligence. Il faut                devenant lui-même via l’histoire. ».
l’avoir entendu prononcer sans aucune note sa grande
leçon annuelle dans le cadre du Festival International
du Film d’Histoire de Pessac, dont il fut, aux côtés                Des familles au cœur de l’Histoire
d’Alain Rousset, de Jean Lacouture, de Jean Labib et
de René Rémond une des figures fondatrices, pour                    Dans ce beau portrait, plein de tendresse et de
considérer, définitivement, que Jean-Noël Jeanneney                 complicité, on devine que Jean-Noël Jeanneney s’inscrit
est un dangereux cumulard  : passeur de savoirs ;                   dans une longue succession. Celle de la République
éveilleur de consciences ; défricheur d’archives ;                  tout simplement. Petit-fils de Jules Jeanneney, aïeul
promoteur de culture ; chercheur d’heures (au sens des              qu’il a connu jusqu’à ses 15 ans, Jean-Noël naît en
« Livres d’heures ») et puis peut-être tout simplement  :           avril 1942 alors que son grand-père, président du Sénat
professeur. Catégorie « instituteur ». Du genre décrit              depuis 1932, va quitter ses fonctions le 25 août 1942
par Charles Péguy dans L’Argent (1913)  : « Nos jeunes              lorsque les bureaux des deux chambres sont dissous
maîtres étaient beaux comme des hussards noirs.                     par le régime de Vichy. Ayant vigoureusement, dès
Sveltes, sévères, sanglés. Sérieux, et un peu tremblants            juillet 1940, avec Édouard Herriot, combattu les pleins
de leur précoce, de leur soudaine omnipotence. (…)                  pouvoirs accordés à Pétain, Jules Jeanneney rejoint
Cet uniforme civil était une sorte d’uniforme militaire             son fils Jean-Marcel à Grenoble à l’automne 1942.
encore plus sévère, encore plus militaire, étant un                 Celui-ci est déjà dans la Résistance. Jules va entrer
uniforme civique. Quelque chose, je pense, comme le                 dans la clandestinité au début de 1944 et sera élevé au
fameux cadre noir de Saumur. (…) Porté par ces gamins               rang de ministre d’État par le Général de Gaulle de
qui étaient vraiment les enfants de la République. Par ces          septembre 1944 à novembre 1945. Jean-Marcel, le père
jeunes hussards de la République. Par ces nourrissons de            de Jean-Noël, professeur d’Économie à l’université de
la République. Par ces hussards noirs de la sévérité ».             Grenoble, l’un des fondateurs de l’Institut d’Études

                                                                                                                                      15
Rencontre du 22 novembre 2018 | Dans le cadre du Festival International du Film d'Histoire de Pessac

Politiques de Grenoble en 1948, est un fils unique. Né                   ces mots du même Rioux  : « Dans le sillage de René
le 13 novembre 1910, il décède, quasi-centenaire, le 17                  Rémond nous avons, l’un et l’autre appris l’essentiel  :
septembre 2010. Il n’a pas encore 9 ans quand il tient                   être historien, c’est marier la vérité et l’engagement.
la main du « Tigre », Georges Clemenceau, au grand                       C’est prouver pas à pas, chaque jour, au pire des amphis
« défilé de la Victoire », le 14 juillet 1919 sous l’Arc de              manipulés et des travaux dirigés éruptifs, qu’hier vaut
Triomphe. Jules Jeanneney, sous-secrétaire d’État à la                   pour demain, que le passé nous provoque et nous
présidence du Conseil est le bras droit de Clemenceau                    nourrit, que l’histoire c’est la vie qui crie et la route qui
à partir de novembre 1917 quand le « Tigre » entre                       va, qui va et qui ne finit pas. ».
à Matignon. Jean-Marcel, camarade d’études de
Michel Debré, diplômé de l’École Libre des Sciences
Politiques en 1936, fait partie de ces jeunes et brillants               L’héritier de la République des
universitaires et hauts fonctionnaires qui vont, après un                Lettres ouvre la voix des ondes
engagement sans faille dans la Résistance, participer à
la Reconstruction de la France. Gaulliste de gauche,                     Elle semble, en effet, ne jamais marquer de pause la
dans le sillage d’un Léo Hamon ou d’un René Capitant,                    route de Jean-Noël Jeanneney. Au plan de l’écriture
plus gaullien que gaulliste au demeurant, Jean-Marcel                    tout d’abord. Entre le premier ouvrage publié en
va être plusieurs fois ministre du Général. Dès janvier                  1965, correspondant à cet épisode de sa vie où le jeune
1959 dans le premier gouvernement Debré, jusqu’en                        Normalien agrégé d’Histoire se confronte à la Chine de
avril 1962 lorsque Georges Pompidou succède à Michel                     Mao (Le Riz et le Rouge, cinq mois en Extrême-Orient, Le
Debré. Et, sans interruption, de janvier 1966 à juin                     Seuil) et le dernier livre publié chez le même éditeur, 52
1969. Premier ambassadeur de France d’une Algérie                        ans plus tard, Le moment Macron, un président et l’Histoire
indépendante, en juillet 1962, il y reste une année.                     (2017), on compte plus de 30 titres. Entre les biographies,
Député de l’Isère élu en juin 1968, son élection fait                    documentées et si intelligemment orientées (Mandel,
grand bruit puisqu’il bat le député sortant Pierre Mendès                1991 ; Hugo et la République, 2002 ; Clemenceau,
France qui avait conquis le siège un an plus tôt lorsque la              2005 puis 2017 ; René Rémond, son maître, 2014) ou
Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS)                   encore sa grande thèse consacrée à François de Wendel
présidée par François Mitterrand avait le vent en poupe.                 et aux 200 familles, 1976, on recense aussi des ouvrages
La coquetterie et les vicissitudes de la politique feront                consacrés aux médias (Le Monde de Beuve-Méry ou le
d’ailleurs que Jeanneney et Mendès se retrouveront tous                  métier d’Alceste, co-écrit avec Jacques Julliard, 1979 ; Une
les deux à soutenir la candidature du même Mitterrand                    histoire des médias des origines à nos jours, 1990) ou encore
au premier tour de l’élection présidentielle de 1974                     des livres consacrés à une épistémologie de l’Histoire,
suite au décès du président Pompidou. Voilà pour la                      mettant en débat la question-même de l’usage de
famille paternelle…                                                      cette discipline indispensable à la compréhension des
                                                                         sociétés contemporaines.   Il faudrait ajouter à cela une
Quand on aura précisé que Jean-Marcel Jeanneney a
                                                                         authentique vocation de documentariste dont le premier
épousé Marie-Laure Monod appartenant à l’une des
                                                                         opus titré Léon Blum ou la fidélité (1973) fait désormais
grandes familles protestantes françaises, où l’on compte
                                                                         référence.
Théodore, le grand arpenteur de déserts ; Jacques,
prix Nobel de Médecine ; Philippe, l’un des chefs du                     Mais l’œuvre, considérable, de Jean-Noël Jeanneney est
réseau Combat, et même un certain Jean-Luc Godard,                       aussi, si l’on voulait employer un vocabulaire qui n’est
dont la mère est née Odette Monod, lui-même (Jean-                       pas forcément le sien, celui de Marx, une praxis. Elle
Luc G.) cousin germain de Jérôme Monod, fondateur                        se nourrit aussi de ses expériences et des responsabilités
du RPR avec Jacques Chirac… Quand on aura encore                         qu’il a pu exercer au service du bien commun, comme
précisé que Jean-Noël Jeanneney a épousé Annie-Lou                       le commis de l’État qu’il n’a pas voulu devenir à la
Cot, professeur d’Économie à la Sorbonne, fille de                       sortie de Ulm mais qu’il a été de fait à l’aune de ses
Pierre Cot le grand ministre de l’Air entre 1936 et 1939                 nominations à la tête d’institutions culturelles de tout
dont Jean Moulin dirigea le cabinet et sœur de Jean-                     premier ordre. François Mitterrand pouvait-il passer
Pierre Cot, professeur agrégé de Droit et de Science                     à côté d’un jeune intellectuel tout juste entré dans la
politique et éphémère ministre de la Coopération de                      quarantaine, en 1982, dont il avait bien connu le père
François Mitterrand de 1981 à 1982… On arrêtera là                       et n’ignorait rien du destin politique exceptionnel du
une énumération qui justifie pleinement l’expression                     grand-père ? Évidemment que non. C’est ainsi que Jean-
« cuillère d’argent » sous la plume de Jean-Pierre Rioux                 Noël Jeanneney se retrouve aux commandes de ce qui
associée à Jean-Noël Jeanneney mais on comprendra                        fut longtemps considéré comme la « chasse gardée » du
aussi ce que signifient, dans le même portrait de Libé,                  gaullo-pompidolisme, de ce qui émettait « la voix de la

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Rencontre du 22 novembre 2018 | Dans le cadre du Festival International du Film d'Histoire de Pessac

France » comme l’estimait Georges Pompidou en 1970  :
la « Maison Ronde », autrement dit Radio France, ainsi
baptisée depuis que Valéry Giscard d’Estaing avait fait
exploser la citadelle ORTF. Radio France, en 1982, à
laquelle s’ajoute Radio France Internationale, c’est un
monde qui bouge et qui s’interroge. Le mouvement,
c’est l’extraordinaire vent de liberté qui s’empare des
émissions, des magazines, des rédactions aussi. Le
questionnement, c’est l’avenir face à un tsunami qui
déferle sur les ondes, celui des « radios libres » qui
envahissent le PAF (Paysage Audiovisuel Français).
Ce temps charnière, ce temps d’entre deux ondes,
Jeanneney va le vivre de l’intérieur. Une grande
dame de Radio France, apprenant que le président
d’honneur du Festival d’Histoire du Film d’Histoire
de Pessac allait être l’invité des « Rencontres Sciences             Deux fois secrétaire d’État de 1991 à 1993, intégrant
Po Bordeaux / Sud Ouest » nous disait récemment  :                   ainsi le club très fermé de trois générations de ministres
« Je voudrais vraiment assister à son Grand oral… J’ai               dans la même famille (même les Debré, les Joxe et
connu dix présidents pendant toute ma carrière à Radio               les Cot ne l’ont pas fait…), Jean-Noël Jeanneney va
France  : ce fut mon préféré et parmi les tout meilleurs ».          parachever sa mission de « service public » en présidant
Transmis à l’intéressé…                                              ce qui semble être l’établissement public le plus proche
En 1986, on a beau être le fils du ministre des Affaires             de ses goûts, de ses passions, de sa raison d’être  : le
sociales de Mai 68, négociateur des Accords de Grenelle,             livre. Ce sera la Bibliothèque François Mitterrand, de
photographié à la droite du premier ministre Pompidou                2002 à 2007 dont l’architecte Dominique Perrault a
avec, sur sa gauche, un jeune secrétaire d’État nommé                voulu qu’elle ressemble à quatre livres géants ouverts.
Jacques Chirac, belle gueule d’acteur, regard d’aigle,               Il va y mener de courageux combats, surtout contre
mâchoires serrées et clope entre les doigts, on n’en est             ce que l’on n’appelle pas encore les GAFAM et dont
pas moins remercié par le même Chirac, inaugurant la                 il a compris, avant nombre d’autres responsables,
première cohabitation et qui, en « première intention »,             qu’en détenant le monopole de la diffusion des savoirs
comme ne disait pas encore le très gaulliste journaliste             ils pourront réserver à la culture un sort digne des
sportif, pilier de Radio France, Jacques Vendroux                    pires ouvrages de SF. Il publie en 2005 Quand Google
(normal, le Général était juste son grand-tonton, par                défie l’Europe  : plaidoyer pour un sursaut et on lui doit le
Yvonne de Gaulle, née Vendroux…) met la main sur la                  lancement de la Bibliothèque européenne numérique.
présidence de la radio publique.                                     Robert Kennedy aimait citer cet aphorisme de
                                                                     George Bernard Shaw  : « Dans la vie il y a deux sortes
                                                                     d’individus. Ceux qui regardent le monde tel qu’il est et
L’Histoire se lit dans les                                           se demandent pourquoi, et ceux qui imaginent le monde
livres et se vit en société                                          tel qu’il devrait être et qui se disent  : pourquoi pas ? ».
                                                                     Il faudrait interroger Jean-Noël Jeanneney pour savoir
C’est pourtant encore et toujours François Mitterrand,               dans laquelle de ces deux catégories il se reconnaît.
fidèle en amitié, fidèle aussi sans doute à sa propre histoire       Peut-être celle des « Pourquoi pas ? ». C’était le nom du
dont il considérait souvent qu’elle était aussi l’Histoire de        célèbre bateau du commandant Jean-Baptiste Charcot,
France, qui va nommer Jean-Noël Jeanneney à la tête de               médecin, explorateur polaire, qui disparut à la barre de
la Mission du Bicentenaire de la Révolution française,               son navire, le 16 septembre 1936, à 5h30 du matin, sur
de 1988 à 1990, suite au décès d’Edgar Faure, premier                les récifs d’Alftanes au sud de l’Islande. Il y eut un deuil
président. On lui doit un extraordinaire défilé du 14 juillet        national tant Charcot était aimé et admiré.
1989, devant les chefs d’État du monde entier, conçu et
réalisé par un Jean-Paul Goude de folie où les Tambours              1936  : l’année du Front Populaire, mais aussi celle des
du Bronx vont répondre à la flamboyante Marseillaise de              Jeux olympiques de Berlin.
Jessie Norman après que la Bête Humaine, la locomotive               1936  : c’était encore la « Drôle de Paix »…
de Zola, Renoir et Gabin a craché sa fumée sur les
Champs-Élysées… Souvenirs, souvenirs.                                                 JP | Revue de presse du 22 novembre 2018

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Rencontre du 22 novembre 2018 | Dans le cadre du Festival International du Film d'Histoire de Pessac

Les concordances de Jean-Noël
Jeanneney
PESSAC Conjuguant histoire et politique, le président d'honneur du Festival
International du Film d'Histoire est invité du Grand oral.

Depuis les débuts du Festival International du Film                      de l'audiovisuel, bonne fée sur le berceau de la chaîne
d'Histoire de Pessac - démarré en 1990 avec « le                         franco-allemande Arte, pionnier d'une Bibliothèque
Temps des colonies » et qui vit jusqu'à lundi prochain                   numérique européenne multilingue et gratuite pour
sa 29e édition consacrée à l'entre-deux-guerres - Jean-                  la culture et contre le monopole que voulait imposer
Noël Jeanneney en est une cheville ouvrière. En                          Google, ce fils et petit-fils d'une lignée républicaine
totale complicité avec Alain Rousset, fondateur de la                    franc-comtoise aime la politique qui pense et qui fait.
manifestation à son élection à la mairie de Pessac, le
                                                                         Mais l'agrégé d'histoire n'a jamais oublié sa discipline.
président d'honneur du festival y a imposé sa marque.
                                                                         Auteur de nombreux livres, conseiller de la revue
Et son discours inaugural annuel, prononcé sans notes,
                                                                         L'Histoire depuis sa création, intervenant régulier sur la
ciselé, brillant et amical, est pour les festivaliers un
                                                                         chaîne Histoire, animant l'émission de France Culture
moment incontournable.
                                                                         (le samedi matin) sur la « Concordance des temps », il
Que Jean-Noël Jeanneney vienne enfin plancher au                         est attentif aux échos permanents entre passé et présent.
Grand oral face aux étudiants de Sciences Po Bordeaux,                   Autant dire que le parfum « années 30 » qui émane de
au public de Pessac et aux lecteurs de Sud Ouest, est                    notre actualité troublée est une des premières questions
d'autant plus une évidence que l'ancien patron de Radio                  qui lui sera posée cet après-midi.
France et de la Bibliothèque nationale de France, deux
                                                                         Jean-Noël Jeanneney devrait aussi évoquer la haute figure
fois secrétaire d'État sous la présidence Mitterrand
                                                                         du Tigre, que le centenaire de l'Armistice remet en
(au Commerce extérieur puis à la Communication),
                                                                         première ligne. Président de la Fondation Clemenceau, il
est au carrefour de tout ce qui fait la substance du
                                                                         a consacré des centaines de pages au « Père la Victoire » et
festival pessacais : la fabrique de l'histoire, la question
                                                                         à cette Grande Guerre, « si lointaine et si proche », dont
mémorielle, les enjeux politiques des médias écrits et
                                                                         l'écho nous parvient si fort.
parlés, la culture, le cinéma et la vie internationale.
                                                                                            Sud Ouest, 22 novembre 2018, Christophe Lucet
Sur tous ces sujets, Jean-Noël Jeanneney a été, tour à
tour, observateur et acteur. Initiateur du dépôt légal

La démocratie est fragile
PESSAC Les rapports entre passé et présent au centre du dialogue, hier
après-midi, entre l'historien Jean-Noël Jeanneney et les étudiants.

Assez naturellement, Jean-Noël Jeanneney a parlé avec les                Quelques jours après l'« itinérance mémorielle »
étudiants de Sciences Po Bordeaux, hier, des trames qui                  mouvementée d'Emmanuel Macron et les polémiques
n'ont cessé de se croiser dans son parcours : l'histoire, la             liées au souvenir du maréchal Pétain, Jean-Noël
culture et les médias - il fut président de Radio France, et             Jeanneney a été interrogé sur notre rapport à la
produit actuellement l'émission « Concordance des temps »,               mémoire. « Commémoration n'est pas célébration,
sur France Culture. La rencontre, animée par le journaliste              la coupure entre les deux doit être très nette pour
Christophe Lucet, avait lieu au cinéma Jean-Eustache,                    chacun. Commémorer, c'est se rappeler ensemble.
bondé, dans le cadre du festival du film d'histoire de Pessac.           On commémore des événements sinistres, ça ne veut

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