L'élevage de précision : quelles conséquences pour le travail des éleveurs ?

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L'élevage de précision : quelles conséquences pour le travail des éleveurs ?
INRA Prod. Anim.,
2014, 27 (2), 113-122           L’élevage de précision : quelles
                                conséquences pour le travail des éleveurs ?
                                       N. HOSTIOU 1,2,3,4, C. ALLAIN 5, S. CHAUVAT 6, A. TURLOT 7, C. PINEAU 8, J. FAGON 9
                                                  1 INRA, UMR1273 Métafort, F-63122 Saint-Genès-Champanelle, France
                                                              2 AgroParisTech, UMR1273 Métafort, F-63170 Aubière, France
                                        3 Clermont Université, VetAgro Sup, UMR1273 Métafort, F-63370 Lempdes, France
                                                                         4 Irstea, UMR1273 Métafort, F-63170 Aubière, France
                                                                  5 Institut de l’Elevage, BP 85225, F-35652 Le Rheu, France
                                                                6 Institut de l’Elevage, SupAgro, F-34060 Montpellier, France
                                                7 Centre Wallon de Recherches Agronomiques, B-5030 Gembloux, Belgique
                                                             8 Chambre d’Agriculture de la Sarthe, F-72100 Le Mans, France
                                                                     9 Institut de l’Elevage, F-31321 Castanet-Tolosan, France

                                                                                           Courriel : nhostiou@clermont.inra.fr

L’émergence de l’élevage de précision s’explique principalement par la recherche constante
d’amélioration de l’efficience et de la productivité des élevages pour répondre au contexte
économique et structurel actuel. Mais l’introduction de technologies nouvelles dans un élevage,
via l’utilisation d’automatismes, de capteurs et de technologies de l’information et de la
communication, modifie le travail et le métier d’éleveur.

   L’émergence de nouvelles technolo-             Parallèlement à ces constats, des sauts    cation et suivi des animaux malades,
gies et leur utilisation en élevage, don-      technologiques dans la microélectro-          gestion de certaines informations et prise
nant naissance à l’élevage de précision,       nique, l’informatique, les télécommuni-       de décision…). Cependant, si l’allège-
apparaît comme un des leviers d’action         cations et désormais les nanotechnolo-        ment de la charge de travail est mis en
possible pour répondre au besoin de            gies, ont eu lieu. Leur utilisation mas-      avant comme un des facteurs favorisant
développement d’un élevage durable             sive dans d’autres industries a permis        l’adoption de technologies de précision
(Eastwood et al 2004). Plusieurs raisons       de réduire considérablement leur coût.        dans les élevages, ses conséquences sur
expliquent le développement de l’élevage       Ainsi, par exemple, le succès mondial         le travail restent encore peu connues.
de précision au cours de ces dernières         des téléphones mobiles ou encore des          L’objectif de cette synthèse, à partir de la
années. Quel que soit le type de produc-       jeux vidéo a eu un impact important sur       littérature scientifique et professionnelle,
tion ou l’espèce concernés, la taille des      la diminution des coûts des technologies      est de rendre compte des effets de l’élevage
élevages français et européens augmente        de communication sans fil ou des capteurs     de précision sur l’organisation du travail
chaque année (Gambino et al 2012). Cette       comme les accéléromètres, les GPS, ou les     de l’éleveur (durées, tâches), sur la péni-
évolution est en partie motivée par les        technologies d’imagerie numérique, etc.       bilité physique et mentale, sur les rela-
perspectives d’évolution des politiques        Cela favorise de fait leur utilisation pour   tions à l’animal ainsi que des évolutions
agricoles communes (fin des quotas), la        d’autres applications comme l’élevage         accompagnant le métier.
volatilité du coût des matières premières      de précision (Berkmans 2011).
et du prix de vente des produits qui ren-                                                    1 / Définition et principes
dent les marges de profit plus minces             Concomitamment à l’accroissement de
(Bewley 2010). Par conséquent, l’accrois-      la taille des élevages, les charges de tra-   généraux de l’élevage de
sement, même faible, de la productivité        vail administratives, techniques, organi-     précision
ou de l’efficience des élevages est devenu     sationnelles ou logistiques ont significa-
un enjeu important pour améliorer leur         tivement augmenté, rendant difficile le
efficacité économique. De plus, les éle-       suivi individuel de ses animaux par l’éle-    1.1 / Concept et objectifs de l’éle-
veurs doivent faire face aux demandes          veur (Berckmans 2004). Ces changements        vage de précision
sociétales et aux contraintes législatives     s’accompagnent d’évolutions modifiant
croissantes. Ainsi, la qualité sanitaire et    les rapports des éleveurs à leur travail        Différentes définitions de l’élevage de
gustative des produits, la limitation des      avec des attentes d’un travail maîtrisé et    précision sont proposées dans la littérature.
risques d’épizootie, la diminution de l’uti-   distinct de la vie familiale. La volonté      Bewley (2010) définit l’élevage laitier de
lisation des traitements vétérinaires, la      de préserver du temps libre prend le pas      précision comme l’utilisation de techno-
prise en compte du bien-être animal ou         sur le « labeur paysan », où vie privée et    logies permettant de mesurer des indica-
encore l’impact de la production sur l’en-     travail sont confondus (Barthez 1986).        teurs physiologiques, comportementaux
vironnement sont devenus des sujets ma-        L’élevage de précision permettrait de         ou de production sur les animaux pour
jeurs de préoccupation pour les consom-        réduire la charge de travail des éleveurs     améliorer les stratégies de gestion du trou-
mateurs, qui peuvent inciter à l’utilisa-      en les déchargeant de certaines tâches        peau et les performances de l’élevage.
tion de technologies de l’information          physiques (distribution d'aliment, traite,    Ces performances peuvent être écono-
(Berckmans 2004, Wathes 2007).                 surveillance…) ou mentales (identifi-         miques, sociales ou environnementales

                                                                                             INRA Productions Animales, 2014, numéro 2
114 / N. HOSTIOU, C. ALLAIN, S. CHAUVAT, A. TURLOT, C. PINEAU, J. FAGON

Figure 1. Représentation schématique du concept de l’élevage de précision (Allain et al 2012).
Le couplage de capteurs mesurant des paramètres biologiques avec des technologies de l’information et des automates permet
d’assister l’éleveur dans ses prises de décision et d’alléger la réalisation des tâches d’élevage.

(Eastwood et al 2004). Selon Berckmans         un monitoring et un pilotage continu de      ou caractéristiques physico-chimiques
(2012), il s'agit du pilotage de l’élevage     l’élevage. D’abord, des variables ani-       du lait...). Dans un second temps, un
grâce à la surveillance et aux enregistre-     males doivent être mesurées et analysées     modèle prédictif qui se veut le plus fiable
ments de mesures automatisées et en            en continu à une échelle de temps appro-     possible de la réponse de l’animal aux
temps réel de la production, de la repro-      priée à l’aide de capteurs. Ces variables    conditions environnementales (alimen-
duction, de la santé et du bien-être des       peuvent être par exemple le poids vif, la    tation, climat, conduite d’élevage…) doit
animaux. Une définition relativement           quantité d’aliments ingérée, le compor-      être développé. C’est la comparaison entre
consensuelle aux différentes filières ani-     tement alimentaire (ingestion, mastica-      ce qui est attendu (calculé par ce modèle
males peut être proposée. L’élevage de         tion, rumination, fréquence des bouchées),   mathématique) et ce qui est mesuré par les
précision, c’est l’utilisation coordonnée de   social (chevauchements, bagarres...), ou     capteurs qui va permettre de détecter
capteurs pour mesurer des paramètres           encore des paramètres physiologiques         les animaux présentant un problème et
comportementaux, physiologiques ou de          (température et pH corporels, composition    nécessitant une attention particulière de
production sur les animaux ou les carac-
téristiques du milieu d’élevage (tempéra-      Figure 2. Principes généraux de l’élevage de précision (d’après Aerts et al 2003).
ture, hygrométrie, ventilation…), de
Technologies de l’Information et de la
Communication (TIC) pour échanger,
stocker, transformer et restituer ces infor-
mations à l’éleveur afin de l’aider dans
sa prise de décision en complément de ses
observations.

  L’utilisation d’automatismes permet-
tant de décharger l’éleveur de certaines
tâches astreignantes (traite, alimentation,
régulation de l’ambiance des bâtiments)
peut également être associée à l’élevage
de précision, s’ils sont couplés à l’utili-
sation de capteurs et de technologies de
transfert d’informations. En effet, ces
automatismes peuvent en général être
déclenchés, régulés ou pilotés grâce aux
capteurs qu’ils contiennent. La figure 1
schématise cette définition de l’élevage
de précision.

1.2 / Principes généraux
   Selon Aerts et al (2003), Berckmans
(2004) et Whates (2007), plusieurs condi-
tions doivent être réunies pour permettre

INRA Productions Animales, 2014, numéro 2
Elevage de précision : quelles conséquences pour le travail des éleveurs / 115

la part de l’éleveur. Enfin, le modèle        précoce des vêlages, des troubles de santé       caractériser les comportements de ponte
prédictif ainsi que les mesures effectuées    infectieux ou métaboliques.                      des poules pondeuses. Afin d’envisager
sont intégrés dans un algorithme de façon                                                      le ramassage robotisé des œufs pondus
à automatiser le monitoring et le pilotage      Parallèlement, de nombreux systèmes            au sol, Vroegindeweij et al (2013) ont
de l’élevage, voire le contrôle en temps      ont été testés dans le cadre de projets de       développé un modèle permettant de pré-
réel de l’environnement, matérialisé par      recherche, mais ne sont pas encore utili-        voir leur localisation spatiale la plus
des alertes transmises aux éleveurs (par      sés par les éleveurs laitiers. Ainsi l’ana-      probable dans le bâtiment. En produc-
Smartphone, ordinateur). Une vision sché-     lyse de la vocalisation comme indica-            tion de volailles de chair, l’évolution du
matique de ces éléments est représentée       teur du bien-être animal (Ikeda et Ishii         marché s’est fortement orientée sur la
en figure 2. Récemment, Rutten et al          2008), la mesure du temps d’ingestion            découpe de l’animal, avec in fine, la
(2013) ont également décrit schéma-           d’herbe au pâturage (Ueda et al 2011),           volonté de produire, par exemple, des
tiquement ces mêmes principes en y            l’analyse vidéo de la posture ou de la           cuisses ou des filets dans une fourchette
ajoutant une étape d’intégration de l’in-     démarche pour détecter les boiteries             restreinte de poids. Comme l’indiquent
formation prenant en compte d’autres          (Song et al 2008), la notation d’état cor-       Guérot et Ruault (2013), le métier d’éle-
données (économiques, stratégiques,           porel à partir d’images numériques               veur se trouve profondément modifié :
historiques), ainsi qu’une étape de prise     (Bewley et al 2008) sont quelques exem-          en plus d’élever un animal sur une
de décision par l’éleveur. La précision       ples de technologies encore à l’étude,           période définie, celui-ci doit être dans une
attendue en « élevage de précision » porte    mais qui pourraient déboucher sur des            gamme de poids très précise. L’utilisation
donc sur la qualité et de la fiabilité du     outils utilisables au quotidien par les          d’outils de précision prend alors tout
suivi (ou monitoring) de chaque individu      éleveurs laitiers dans les années à venir.       son sens, comme l’utilisation de pesons
du troupeau ou de chaque lots d’animaux       Des dispositifs de surveillance sont éga-        automatiques. Alors que la gestion de
(porcs, volailles), au niveau de ses répon-   lement développés pour les systèmes              l’alimentation des poulets de chair se
ses physiologiques et comportementales        d’élevage plus extensifs, par exemple en         fait habituellement par lots en raison du
aux conditions d’élevage dans le temps        production ovine (Bocquier et al 2014,           grand nombre d’individus, Aydin et al
(Meuret et al 2013).                          ce numéro).                                      (2013) ont récemment montré que l’utili-
                                                                                               sation de technologies à bas coût comme
1.3 / Exemples d’élevage de préci-               La production porcine n’est pas en reste.     les microphones et les puces RFID
sion                                          De nombreuses publications présentent            (« Radio Frequency Identification »)
                                              l’utilisation d’enregistrement de la voca-       permettaient de mesurer de façon fiable
   L’élevage de précision se développe        lisation et de l’activité physique en rap-       la consommation individuelle des ani-
dans les différentes filières animales.       port avec le bien-être et la santé, le com-      maux.
Ont d’abord été concernés les élevages        portement lors de la mise bas, la crois-
de porcs et de volailles (Meuret et al        sance et la composition corporelle (Berck-
2013). Mais depuis quelques années, les       mans 2004, Whates 2007). Certains de             2 / Conséquences sur diffé-
technologies se sont développées plus         ces développements initialement issus            rentes dimensions du travail
particulièrement en élevage laitier avec      de la recherche sont maintenant dispo-
une offre croissante et des centaines         nibles sur le marché ; c’est par exemple
d’élevages équipés chaque année. De           le cas du « Pig Cough Monitor » destiné          2.1 / Gains de temps
nombreux producteurs laitiers utilisent       à détecter les infections respiratoires à
déjà depuis plusieurs années des comp-        partir des enregistrements des sons liés            Outre les raisons technico-écono-
teurs à lait électroniques permettant de      à la toux (Vandermeulen et al 2013) ou           miques (améliorer les performances de
mesurer la production laitière avec pré-      encore le système « SowCam » pour la             reproduction, détecter précocement les
cision, des podomètres visant à détecter      surveillance automatique de la mise bas          troubles de santé…) motivant l’adop-
l’augmentation du nombre de pas conco-        des truies. De récentes applications             tion des technologies de précision, la
mitante aux chaleurs ou encore l’analyse      basées sur l’utilisation de stimuli sono-        question du temps de travail est aussi
de la conductivité du lait pour la détec-     res associés à la distribution d’aliments        évoquée par les éleveurs (Jago et al 2013).
tion des mammites. Toutefois, l’offre         ont montré leur efficacité pour réduire          En effet, pour les différentes filières ani-
disponible s’est fortement étoffée ces        l’agressivité des porcs en croissance            males, l’élevage de précision est présenté
cinq dernières années pour la détection       (Ismaliyova et al 2013) et des truies            comme un levier qui permettrait d’éco-
plus ciblée des chaleurs, des vêlages ou      gestantes élevées en groupe (Manteuffel          nomiser le temps de travail des éleveurs,
encore des troubles infectieux ou méta-       et al 2013). En pratique, l’application          en particulier sur certaines tâches jugées
boliques. Ainsi, des capteurs permettant      des nouvelles normes de bien-être, indui-        astreignantes ou pénibles physiquement
de mesurer plus finement des paramètres       sant des modifications conséquentes des          (Smith et Lehr 2011). Cette recherche
comportementaux (position debout/ cou-        bâtiments d’élevage, ont favorisé l’éle-         du gain de temps se justifie par plu-
chée, activité physique dans plusieurs        vage de précision pour la conduite des           sieurs facteurs : la réduction de la main-
dimensions de l’espace, mouvements de         lots de truies. Un exemple concret est           d’œuvre familiale sur les exploitations,
la queue, temps de rumination) ont été        l’utilisation de distributeur automatique        les attentes exprimées par les éleveurs
développés. Différents dispositifs d’ana-     de concentrés pour l’alimentation indi-          pour se libérer du temps ou encore la
lyse du lait en ligne permettant désor-       vidualisée des truies en fonction de leur        recherche d’une productivité accrue du
mais de connaître la composition du lait      état corporel.                                   travail (Smith et Lehr 2011).
(matière grasse, matière protéique, lac-
tose), sa qualité (leucocytes, sang), la         En aviculture, plusieurs études synthé-         Des études permettent de quantifier le
présence d’enzymes (lactate déshydro-         tisées par Berckmans (2004), ont été             gain de temps obtenu par certaines
génase), d’hormones (progestérone) ou         menées sur la valorisation de l’imagerie         technologies de précision, en particulier
de corps cétoniques (béta hydroxy buty-       numérique ou du son pour détecter des            pour les postes les plus consommateurs
rate), font désormais partie intégrante des   troubles de santé, mesurer le comporte-          en travail mais pouvant être automati-
nouveaux modèles de robots de traite.         ment alimentaire, contrôler la répartition       sés : la traite et l’alimentation (Chauvat
Plus récemment, des capteurs utilisés in      des animaux dans le bâtiment ou évaluer          et al 2003). Les études sur le robot de
vivo mesurant la température corporelle       leur bien-être. Plus récemment, Nakarmi          traite, technologie regroupant le plus
(vaginale ou ruminale) ainsi que le pH        et al (2013) ont testé l’utilisation de l’ima-   d’automatismes et d’analyses, actuelle-
ruminal ont été proposés pour la détection    gerie numérique en trois dimensions pour         ment en plein essor, mettent en avant un

                                                                                               INRA Productions Animales, 2014, numéro 2
116 / N. HOSTIOU, C. ALLAIN, S. CHAUVAT, A. TURLOT, C. PINEAU, J. FAGON

                                                                                                   veillance des auges n’est donc plus néces-
 Encadré 1. Gain de temps permis par une combinaison de divers automates.                          saire car l’éleveur se concentre directe-
                                                                                                   ment sur les animaux concernés. La sup-
 84 éleveurs laitiers spécialisés dont 7 Fortement Automatisés (FA) ont été suivis dans le         pression de la gestion des refus ainsi
 cadre d'une étude menée en Wallonie (Turlot 2013). Ces éleveurs ont des exploitations             que la distribution manuelle seraient
 disposant d’au moins un robot de traite combiné à d’autres automates (DAC, DAL,
 racleur…). Leur travail d'astreinte est plus faible que celui des éleveurs sans automates et
                                                                                                   également sources de gain de temps.
 leur efficience meilleure (3h54 pour 1 000 litres produits vs 7h36). Ces éleveurs FA gèrent des
 exploitations de taille plus importante avec un nombre de travailleurs comparable. Les            2.2 / Réinvestissement du temps
 exploitants réalisent la quasi-totalité du travail d'astreinte (96%) alors que les autres béné-   libéré
 ficient de l’aide de bénévoles pour plus de 10% de ce travail quotidien.
                                                                                                      Le gain de temps permis par ces
 Caractéristiques des exploitations wallonnes suivies.                                             technologies est réinvesti de différentes
                                                                                                   manières selon les éleveurs. Certains
                                                Exploitations FA       Autres exploitations
                                                                                                   voient l’opportunité d’améliorer la
 Nombre                                                  7                       77                productivité du travail que le troupeau
 SAU (ha)                                               89                       55
                                                                                                   s’agrandisse ou non « Australian Sheep
                                                                                                   Industry Cooperative Research Centre
 UTH                                                    1,6                      1,5               2007, Rodenburg 2007 ». D’autres éle-
 Nb de personnes dans la Cellule de Base*               1,6                      1,6               veurs concentrent davantage leurs efforts
                                                                                                   sur les alertes et la gestion des vaches
 Nombre de vaches laitières                             95                       68                nécessitant une attention particulière.
 Quota (1 000 litres)                                  772                       488               Cependant, certains d’entre eux citent
                                                                                                   qu’avec l’utilisation de capteurs et le
 Travail d’astreinte (h/an)                           2 349                     3 256              suivi informatique de leurs animaux, ils
 Travail d’astreinte (h/1 000 litres)                  3h54                     7h36               peuvent passer plus de temps à observer
                                                                                                   leur troupeau à des moments plus oppor-
 *Cellule de base = ensemble des travailleurs permanents qui organisent et réalisent le            tuns. Par exemple, un éleveur note « Avec
 travail sur l’exploitation et qui sont directement intéressés au revenu.                          la traite en moins, je travaille aux loget-
                                                                                                   tes, au paillage et surtout au milieu du
                                                                                                   troupeau. J’observe le troupeau de l’in-
gain moyen de 20% du travail d’as-                tion sous forme d’alertes ou de rapports         térieur. Le suivi informatique simplifie
treinte journalier total, soit en moyenne         synthétiques peuvent aussi permettre aux         la conduite. C’est une aide qui permet
2 minutes par jour et par vache, ce qui           éleveurs de gagner un temps considéra-           d’anticiper les chaleurs, la surveillance
correspondrait à un gain de 2 heures par          ble dans le traitement de l’information et       des vêlages, les problèmes de mammi-
jour pour un cheptel de 60 vaches (Billon         la prise de décision (Banhazi et al 2012).       tes…» (Huchon 2013). Pour d’autres, le
et Pomiès 2006, Jegou et al 2007). Le             Ces dispositifs d’élevage de précision           temps gagné a servi à se diversifier, à
gain de temps, obtenu grâce à l’automa-           fournissent aux éleveurs les informations        développer une activité annexe (gîtes à
tisation de l’alimentation des animaux            pertinentes dont ils ont besoin pour la          la ferme) voire à consacrer plus de temps
adultes, est la première raison citée par         gestion quotidienne du troupeau en leur          à leur famille (Turlot 2011).
les éleveurs pour acquérir ces équipe-            permettant de se focaliser uniquement
ments. Ce gain peut aller jusqu’à 3 heures        sur les animaux nécessitant une attention        2.3 / Pénibilité physique et mentale
par jour pour un cheptel de 60 vaches             particulière. Ce pilotage du troupeau par           Les technologies de précision condui-
laitières (Pellerin 2000, Nydegger et             l’exception (Bewley 2010) peut entraîner         sent aussi à réduire la pénibilité physique
Grothmann 2009). L’automatisation de              un gain de temps réel dans les grands            du travail en déchargeant l’éleveur de
l’alimentation pour les jeunes animaux            troupeaux où l’observation quotidienne           tâches contraignantes (Jago et al 2013).
se développe également en élevage laitier.        est délicate. Les capteurs se révèlent d’une     C’est le cas du robot de traite qui modi-
Cet équipement enregistre la fréquence            grande aide pour alléger les tâches              fie la nature du travail car le travail phy-
des passages des veaux permettant d’ajus-         demandant du temps et du savoir-faire            sique lié à la traite est remplacé par des
ter la consommation à l’âge, la taille et         (détection des chaleurs, des mammites,           tâches de surveillance des animaux et
l'état de santé (Rodenbourg 2007). Envi-          des boiteries, des troubles métabo-              de gestion des informations fournies par
ron 38 minutes par jour seraient écono-           liques...), lorsque la taille du troupeau        l’ordinateur (de Koning 2010). En éle-
misées pour 40 à 50 veaux (Rodenburg              augmente ou lorsqu’il est difficile de           vage ovin, les cages de pesée automa-
2007). Le couplage de plusieurs auto-             trouver un salarié expérimenté. Ainsi par        tique des agneaux couplées à l’identifi-
matismes dans les exploitations peut              exemple, alors qu’un vacher expérimenté          cation électronique et à une liaison wifi
conduire à des réductions conséquentes            est capable de détecter en moyenne 50            pour la transmission des informations
du volume de travail. Une étude wallonne          à 55% des chaleurs chez ses vaches               vers l'ordinateur de stockage limitent les
rapporte que la présence d’un robot de            (Chanvallon et al 2012), un détecteur            manipulations des animaux et amélio-
traite combiné à d’autres automates               automatisé atteint des performances de           rent le confort de travail. En effet, le
(Distributeur Automatique de Concentrés           59 à 99% (Rutten et al 2013). Pour un            nombre d'opérations sur le troupeau est
(DAC), Distributeur Automatique de Lait           troupeau de 400 vaches laitières en vêla-        diminué grâce aux alertes qui ciblent les
(DAL), racleur…) permet aux exploi-               ges groupés, le gain de temps pour la            interventions. Les dérangements pen-
tants d’avoir un temps de travail d’as-           détection des chaleurs peut aller jusqu’à        dant la nuit sont ainsi moins fréquents.
treinte plus faible comparativement à             2 heures par jour (Jago 2011).
celui des éleveurs sans automate ni robot                                                             Les capteurs sont également un moyen
de traite (3h54 pour 1 000 litres produits          En élevage porcin, l’utilisation de son-       d’alléger le stress des éleveurs en délé-
vs 7h36) (Turlot 2013) (encadré 1).               des enregistrant la vitesse d’ingestion          guant la responsabilité de la détection de
                                                  par les truies permettrait d’ajuster les         l'évènement (apparition des chaleurs,
   La collecte automatisée de données             distributions d’aliments grâce aux alar-         déclenchement d'un vêlage, vitesse de
par les capteurs, leur stockage et leur           mes permettant à l’éleveur de repérer            mise bas, suspicion de mammite…). Les
traitement centralisé ainsi que leur restitu-     celles n’ayant pas consommé. La sur-             signes cliniques des troubles patholo-

INRA Productions Animales, 2014, numéro 2
Elevage de précision : quelles conséquences pour le travail des éleveurs / 117

giques observables par l’éleveur sont                Cependant, la charge mentale peut              gestion des alarmes est pointée comme
souvent précédés de signes physiolo-               aussi s’alourdir lorsque les problèmes           une source de stress, et rend donc néces-
giques peu ou non visibles par l’œil               s’accumulent. C’est le cas des éleveurs          saire d’établir des priorités pour décider
humain (changement de température, fré-            pionniers qui testent de nouveaux systè-         à quel moment intervenir (encadré 2).
quence cardiaque, changement de con-               mes et qui en subissent les conséquences.        Dans le cas du robot de traite, des erreurs
centration d’une hormone...), mais détec-          La question de la robustesse à la fois des       peuvent apparaître à tout moment du
tables par ces technologies. L’éleveur est         équipements et des règles de décisions           jour ou de la nuit, impliquant la présence
alors capable d’intervenir plus tôt, voire         est alors particulièrement importante. Se        d’une personne à proximité pour répon-
d’anticiper l’expression clinique des              pose d’ailleurs la question de la respon-        dre aux alertes (De Koning 2010). Ainsi
troubles de santé et ainsi éviter des com-         sabilité financière des dérives ou de pro-       le fait de recevoir en permanence des
plications liées à une prise en charge trop        blèmes qui seraient liés soit à de mauvai-       informations peut renforcer le sentiment
tardive qui lui demanderaient un travail           ses mesures (dysfonctionnement d'un              des éleveurs d'être corvéables à merci.
et un coût supplémentaires (tri de l’animal,       capteur) soit à de mauvaises règles de           Le stress peut aussi être renforcé par les
traitement, traite/alimentation séparée).          décision (mauvais modèle de prédiction           risques accrus de pannes dans des sys-
Ces nouvelles technologies, si elles repré-        de la réponse animale). Un point crucial         tèmes fortement automatisés (pilotage
sentent une aide au diagnostic, ne pourront        est l’analyse des alertes/informations           électronique de l'ambiance des bâti-
complètement remplacer le savoir-faire             reçues sur l’ordinateur ou sur le téléphone      ments en volaille, de systèmes d'alimen-
et l'expérience de l'éleveur pour identifier       portable, pouvant devenir trop complexe          tation en élevages porcins…). De plus,
les animaux nécessitant une intervention           car non adaptée aux besoins et aux com-          la présence d’outils technologiques dans
(Bewley 2010).                                     pétences des éleveurs (Wathes 2007). La          une ferme rend le remplacement de l'éle-
                                                                                                    veur plus complexe. Un agriculteur wal-
                                                                                                    lon explique qu’il a dû trouver dans son
 Encadré 2. Retours d’expérience d’éleveurs sur la détection automatisée des chaleurs               entourage un « binôme technologique »
 (Pupin 2013).                                                                                      qui sait gérer son robot de traite (au quo-
                                                                                                    tidien mais également en cas de pro-
 Pour évaluer le retour d’expérience d’éleveurs utilisateurs d’outils d’élevage de précision,       blème) ce qui lui permet de s’absenter
 une série d’entretiens semi-directifs a été menée chez 21 éleveurs laitiers équipés de détec-      l’esprit tranquille (Turlot 2011).
 teurs automatisés des chaleurs (podomètres, activité-mètres). Ils ont été choisis selon des
 critères de taille de troupeau (petite, moyenne, grande), de production par vache (moyenne
 ou forte) et d’étalement des vêlages (groupé ou étalé). Ils ont notamment été interrogés sur       2.4 / Réorganisation du travail et
 leur satisfaction a posteriori vis-à-vis de l’équipement utilisé. Leur degré de satisfaction sur   nouvelles compétences
 les gains en confort et temps de travail, les performances de détection des chaleurs et les
 gains économiques ont été évalués sur une échelle de notation de 0 (pas du tout satisfait)            L’introduction de l’élevage de préci-
 à 10 (très satisfait). Le premier motif de satisfaction concerne le gain en confort de travail     sion crée de nouvelles activités de sur-
 apporté par ces technologies. C’est le domaine pour lequel les notes sont les plus élevées         veillance et de gestion des automates ou
 (figure ci-dessous). Un éleveur explique qu’il est « plus rassuré, surtout quand les vaches        encore d’analyse des données issues des
 sont au pâturage et que je ne peux pas les observer ». Un autre confirme que « cela per-           logiciels (repérage des alertes...). Par
 met de détecter les vaches que je ne vois pas en chaleurs et donc ça me rassure dans ma
 prise de décision quand je ne suis pas sûr de moi ». En revanche, un éleveur mentionne le
                                                                                                    exemple, le robot de traite induit de
 fait que cette nouvelle technologie peut aussi générer du stress supplémentaire : « il faut        nouvelles tâches pour son contrôle deux
 que j’aille sur mon PC et que j’interprète la courbe lorsqu’il y a une alerte. Et les courbes ne   à trois fois par jour associées à des obser-
 sont pas faciles à lire ». Les gains de temps permis par les détecteurs automatisés des cha-       vations visuelles des vaches (Lind et al
 leurs arrivent en troisième position, mais avec des notes de satisfaction relativement éta-        2000, De Koning et al 2002 cité par
 lées. Ainsi un éleveur explique que « quand on veut passer du temps pour détecter les cha-         De Koning 2010). A l'inverse, certaines
 leurs, c’est 1 heure tous les jours. Nous on est à beaucoup moins ». Un autre précise que          tâches sont supprimées ou réalisées à
 « ça nous fait gagner du temps, et comme ça, le soir, on part, on ne regarde même pas les          d’autres moments de la journée. Par
 bêtes ». En revanche, ces dispositifs peuvent également générer de nouvelles charges de            exemple, la surveillance des vaches ou
 travail. Par exemple, « ça prend du temps d’enlever les colliers et de les remettre » ou « de
 vérifier tous les jours si les colliers n’ont pas été perdus ou si la puce fonctionne ».
                                                                                                    des porcs est effectuée à partir d’une
                                                                                                    tablette numérique, et non plus depuis
 Notes de satisfaction après équipement de détecteurs automatisés des chaleurs pour                 le bâtiment d’élevage. Le contrôle à dis-
 différents critères de gain (n = 21).                                                              tance des bâtiments et équipements d’éle-
                                                                                                    vage est particulièrement développé en
                                                                                                    élevage avicole et porcin (vidéosur-
                                                                                                    veillance, contrôle des DAC, paramètres
                                                                                                    d’ambiance dans les bâtiment...). Plus
                                                                                                    que le gain de temps économisé, c’est
                                                                                                    l’amélioration de la souplesse du travail
                                                                                                    qui est mise en avant par les éleveurs
                                                                                                    (encadré 2). En effet, l'utilisation de cer-
                                                                                                    taines technologies leur permet de se
                                                                                                    libérer du temps le week-end ou la jour-
                                                                                                    née et de diminuer les interventions de
                                                                                                    nuit, souvent considérées comme péni-
                                                                                                    bles, grâce à leur ciblage (détecteurs de
                                                                                                    vêlage par exemple). Ces attentes expri-
                                                                                                    mées par les éleveurs renvoient aux
                                                                                                    nouveaux rapports entre travail et vie
                                                                                                    privée qui ont modifié fortement leurs
                                                                                                    conceptions du métier (Dufour et Dedieu
                                                                                                    2010). Cependant, la modification des
                                                                                                    horaires de travail peut créer de nouvel-
                                                                                                    les tensions. C’est le cas d’un éleveur
                                                                                                    laitier wallon qui explique qu'il est plus

                                                                                                    INRA Productions Animales, 2014, numéro 2
118 / N. HOSTIOU, C. ALLAIN, S. CHAUVAT, A. TURLOT, C. PINEAU, J. FAGON

difficile de commencer à travailler tôt         lyse de données pour une prise de déci-        qui perturberaient moins les animaux.
lorsqu'il n'y a plus l'astreinte de la traite   sion efficace) et les projette dans un         Dans certains cas d’automatisation (robot
(Turlot, communication personnelle). Ces        monde de travail plus « administratif ».       de traite), les animaux peuvent aussi col-
changements dans les tâches à réaliser          Un processus de dépendance voire d’ad-         laborer au travail en ayant des conduites
avec le troupeau induisent de nouvelles         diction à ces données peut également           autonomes, et en coopérant avec ces
compétences à acquérir par les éleveurs         se mettre en place avant toute prise de        automates et avec l’éleveur (éviter les
pour la mise en œuvre de ces techno-            décisions. Les compétences à acquérir          conflits...). Ainsi le robot de traite n’est
logies (gestion et suivi des bases de don-      pour intervenir dans ces systèmes très         donc pas nécessairement un outil de
nées, détection et utilisation des aler-        technologiques se posent aussi pour les        l’aliénation des animaux et des éleveurs
tes...) (Eastwood et al 2012, Dolechek          salariés et les structures employeuses de      (Porcher et Schmitt 2010). Les éleveurs
et Bewley 2013).                                main-d’œuvre (Cuma, groupement d’em-           accepteront-ils de transférer ce rôle à des
                                                ployeurs) ou encore les vétérinaires. Les      automates même si ces derniers pro-
2.5 / Apprentissage et métier                   personnes bénévoles ou les voisins éle-        duisent des mesures plus objectives et
d'éleveur                                       veurs qui assurent des chantiers d’entraide    contrôlent de nouveaux indicateurs de
                                                ou des remplacements demanderont aussi         bien-être animal comme les variations
   Peu de références existent dans ce           à être formés. Les éleveurs eux-mêmes          de la fréquence cardiaque ou le taux de
domaine mais la question des apprentis-         seront probablement mis à contribution         cortisol ?
sages est identifiée par plusieurs auteurs.     pour transférer leur connaissance. Il leur
La mise en œuvre de l'élevage de préci-         faudra donc investir du temps dans la             L'élevage de précision pourrait amé-
sion nécessite une période d'apprentis-         formation et la transmission de ce nou-        liorer la vision du métier de jeunes en
sage pour l'éleveur, dont les conséquen-        veau savoir. Des investissements collec-       quête d'installation et de modernité, atti-
ces ne sont pas toujours bien évaluées          tifs et utilisés de façon partagée (achat      rés par les technologies de pointe, syno-
tant en termes de travail que de perfor-        de matériel de détection de chaleurs en        nymes d'un renforcement de l'autonomie
mances du troupeau (Eastwood 2008).             Cuma) permettront de renforcer les liens       décisionnelle par le raisonnement des
Deux domaines de formation sont requis,         entre éleveurs au sein des territoires,        données fournies par les capteurs. Mais,
celui du maniement de l'automate et celui       ainsi que les réseaux entre éleveurs pour      à l’inverse, la représentation d'un élevage
du traitement de l'information pour les         favoriser les apprentissages.                  sans cesse plus industriel peut rebuter
décisions de pilotage de l’animal. Actuel-                                                     certains futurs installés qui choisissent
lement, les mieux à même à dispenser            2.6 / Relations homme-animal                   l'agriculture par amour des bêtes (Soriano
du conseil sont les fournisseurs, mais                                                         2002), le travail au grand air et la proxi-
leur intervention se limite à la connais-          L’usage de technologies de précision        mité de la nature. Une voie « médiane » est
sance de l'outil plutôt qu'à l'usage que        interroge sur le statut des animaux et la      peut-être à inventer pour bénéficier des
peut en faire l'éleveur dans la gestion de      relation entre les éleveurs et les animaux     deux.
son exploitation. L'absence de réseaux          (Lagneaux, à paraître) car de probables
d'apprentissage, doublée du manque de           répercussions sur celle-ci, fondatrice du
relations avec les autres intervenants de       métier d'éleveur, sont attendues. L'auto-      3 / Discussion
l'élevage à ce sujet (vétérinaires, conseil-    matisation de différentes tâches dans
lers agricoles…), ne favorise pas la            l’élevage, limitant les contacts entre
réflexion de l'éleveur quant à l'intégra-       l'homme et l'animal, diminuerait d'autant      3.1 / Des impacts sur les différen-
tion de la nouvelle technologie dans la         les possibilités pour l'éleveur d'observer     tes dimensions du travail à mieux
globalité de son système et à l'optimisa-       le comportement, la santé et le bien-être      objectiver
tion de la gestion des données couplée          des animaux. Les nouvelles technologies
à un réglage adéquat des paramètres             réduisent plus particulièrement les rela-        Si l’élevage de précision est présenté
(Jago et al 2013). Le réseau de forma-          tions homme-animal les plus régulières,        dans de nombreuses études comme un
tion et d'échanges reste donc à construi-       voire les plus positives, fondées sur la       levier pour réduire les temps de travaux
re pour une meilleure appropriation de          satisfaction des besoins des animaux           journaliers des éleveurs, les gains de
ces techniques de précision. Certaines          comme la traite ou l'alimentation. On          temps permis sont encore peu objecti-
expériences se mettent en place, par            pourrait alors craindre que cette relation     vés, d’autant plus qu’ils ne sont effectifs
exemple autour du robot de traite il existe     ne se réduise aux interventions les plus       que si l’éleveur n’en passe pas autant
des groupes d’échanges entre éleveurs,          stressantes comme les vaccinations, la         voire plus à mettre en œuvre ces techno-
souvent animés par les contrôles laitiers,      castration, le parage, etc. pour lesquelles    logies. Il existe encore peu d’études et
des conseillers spécialisés qui cherchent       l'intervention de l'éleveur au contact de      de retours d’expériences d’éleveurs sur
à prendre en compte les différentes             l'animal est encore nécessaire. Les solu-      ces nouvelles technologies, comme sur
facettes de l’acquisition d’un robot pour       tions reposent alors sur le développement      les modifications qu’elles induisent
accompagner les projets.                        d'interactions homme-animal positives          dans les visions des éleveurs de leurs
                                                et fréquentes pour diminuer la peur de         métiers et de leurs relations avec leurs
   Les principales raisons d'adoption ou        l'animal vis-à-vis de l'homme, certains        animaux. Ce sont pourtant des champs
de refus de ces innovations technologi-         recommandant même des formations à             essentiels à explorer. En effet, nombre
ques sont, d'après une enquête auprès de        destination des éleveurs, pour promou-         de ces technologies sont encore très
229 éleveurs laitiers du Kentucky (Bewley       voir un comportement et des attitudes          récentes (par exemple pour la détection
et Russel 2010), une faible familiarité des     apaisantes (Cornou 2009). L'interven-          des vêlages ou des chaleurs, commer-
exploitants avec ces techniques (55%),          tion de l'homme auprès des animaux             cialisées depuis les années 2000) ou peu
un rapport coût/bénéfice défavorable            est vectrice d'interactions sensorielles       utilisées. Il est d’autant plus difficile d’es-
(42%), un nombre trop important de              (visuelles, olfactives, tactiles, auditives)   timer le gain de temps sur des tâches qui
données fournies sans que les éleveurs          de nature positive, neutre ou négative et      ne font pas toujours l’objet de références
sachent en faire bon usage (36%), mais          influence donc le bien-être et le niveau       en élevage ou qui ne sont pas toujours
aussi un manque d'intérêt économique            de performance des animaux (Praks et           clairement quantifiées (surveillance lors
et une trop grande complexité d'utilisa-        Veermäe 2011). Cependant, certains éle-        des mises bas ou détection des chaleurs
tion. L'adoption de l'élevage de préci-         veurs remplacent les contacts « con-           par exemple). En effet, certaines de ces
sion interroge donc les compétences de          traints », à heures fixes par des contacts     tâches peuvent être réalisées conjointe-
l'éleveur (notamment en matière d'ana-          choisis et des moments d’observation           ment à d’autres activités avec les animaux

INRA Productions Animales, 2014, numéro 2
Elevage de précision : quelles conséquences pour le travail des éleveurs / 119

(par exemple surveillance des chaleurs        du travail qu’elles soient organisation-      difficile de quantifier la satisfaction
lors de la traite ou de l’alimentation). En   nelles (qui fait quoi et quand), sociolo-     d’avoir des animaux en bonne santé, de
outre, le temps consacré aux nouvelles        gique (rapport au travail, au métier et aux   travailler dans de bonnes conditions de
technologies sera sans doute différent        animaux), etc. Or, si peu de références       sécurité ou d’améliorer l’impact environ-
entre le moment de la mise en route et        sont disponibles pour qualifier les temps     nemental de son élevage (Huirne et al
les années suivant leur installation du       des travaux, elles sont encore moins          2003). Ainsi, bien que des modèles per-
fait de l’apprentissage nécessaire pour       nombreuses pour objectiver les autres         mettant d’analyser l’intérêt économique
maîtriser ces technologies par les éleveurs   dimensions de la composante travail           d’investir ou non dans une technologie
(Eastwood et al 2012). Par exemple, De        (pénibilité physique, pénibilité mentale,     d’élevage de précision aient été dévelop-
Koning (2010) cite que le temps gagné         confort de travail, perception et repré-      pés (Bewley 2010 par exemple), Dolechek
grâce à l'utilisation d'un robot de traite    sentation du métier, relation homme-          et Bewley (2013) précisent que certaines
par rapport à une salle de traite conven-     animal) (tableau 1).                          technologies peuvent se révéler non ren-
tionnelle varie selon les élevages de 20                                                    tables économiquement, tout en présen-
à 30% du temps consacré à la traite, la       3.2 / Rapport coût/bénéfice de                tant un intérêt majeur pour l’améliora-
variabilité étant plus importante lors de     l'introduction de l'élevage de                tion de la qualité de vie de l’éleveur. Par
la première année. En outre, le manque                                                      exemple, plusieurs scénarios dévelop-
de temps, notamment celui qui doit être
                                              précision                                     pés par Jago (2011) montrent que l’achat
investi pour leur prise en main, est mis         La question du rapport coût/bénéfice       d’un détecteur automatisé des chaleurs
en avant par les éleveurs pour ne pas         est l’une des premières raisons expli-        peut être économiquement négatif si les
adopter les technologies de précision         quant l’adoption ou non des nouvelles         performances de détection de cet outil
(Fountas et al 2004 cité par Lawson et        technologies par les éleveurs (Bewley et      sont inférieures à celles de l’éleveur, tout
al 2011). Ce facteur est cité dans le cas     Russell 2010). Mais le calcul de ce ratio     en libérant deux heures de travail par jour.
de grandes exploitations mais aussi par       n’est pas simple, car au-delà des éléments    C’est donc la balance entre performan-
les petits exploitants (Reichardt et          techniques et économiques à considérer,       ces économiques et amélioration de la
Jurgens 2009).                                les notions de gain en temps et confort       qualité de vie qui devra être évaluée pour
                                              de travail (sécurisation de la prise de       décider de la pertinence de l’investisse-
   La mise en œuvre d’une nouvelle pra-       décision, amélioration de flexibilité et      ment. D’autres éléments sont également
tique est souvent liée à une ou plusieurs     allègement de la charge mentale) sont         à considérer car le choix des technolo-
attentes en terme de travail (Moreau et       rarement prises en compte dans les étu-       gies adoptées peut être fonction de la
al 2004, Cournut et Hostiou 2010). La         des. En effet, il est extrêmement diffi-      main-d’œuvre présente sur l’exploitation
mise en place d’une technologie dans les      cile de quantifier la valeur économique       du fait de ses attentes, des capacités finan-
élevages modifie le contenu et la nature      du bien-être procuré à l’éleveur par l’uti-   cières et du cycle de vie de l’exploitation
des tâches réalisées, et aurait donc des      lisation de nouvelles technologies (Otte      (par exemple reprise ou non à court terme
conséquences sur différentes dimensions       et Chilonda 2000). Il est par exemple très    de l’exploitation).

Tableau 1. Impacts de l’élevage de précision sur différentes dimensions du travail en élevage.

                                                  Impacts positifs                                 Impacts négatifs

                                    Diminution du temps de travail par               Augmentation du temps de travail pour
                                    l'automatisation des tâches, l'aide à la         gérer le matériel, traiter les données dans
       Temps de travail             prise de décision et la détection précoce        des troupeaux de grande taille, en cas de
                                    des problèmes sanitaires, le ciblage des         panne ou de mauvais paramétrage du
                                    interventions.                                   logiciel source d'erreurs, d’autant plus en
                                                                                     période d'apprentissage.
                                    Augmentation de la taille du troupeau            Diminution de la productivité du travail en
       Productivité du
                                    sans augmentation de la taille du collectif      cas de dysfonctionnement.
         travail
                                    de travail.
                                    Réorganisation possible du travail en            Astreinte des alarmes jour et nuit,
                                    limitant les tâches d'astreinte auprès du        connexion permanente avec
       Astreinte                    troupeau (traite, distribution de                l'exploitation.
                                    l'alimentation…).

                                    L'automate remplace l'homme pour                 Augmentation de la charge mentale car :
                                    certains travaux physiques et répétitifs.        -    la technologie est parfois complexe
                                    Diminution de la charge mentale                  -    le risque de panne augmente
                                    (délégation à la technologie de la               -    les alarmes peuvent se déclencher à
       Pénibilité                   détection des dysfonctionnements du                   tout moment.
                                    matériel, des problèmes sanitaires ou            La taille du troupeau à gérer est quelques
                                    des moments opportuns d'intervention             fois plus importante.
                                    auprès des animaux).

                                    Permet, pour certaines tâches, de                Nouvelles tâches, compétences à
                                    remplacer l’humain lorsqu’il est difficile       acquérir (analyse des données,
       Compétences                  de trouver un salarié qualifié.                  surveillance des automates…).
                                                                                     Le remplacement devient plus difficile.

                                                                                            INRA Productions Animales, 2014, numéro 2
120 / N. HOSTIOU, C. ALLAIN, S. CHAUVAT, A. TURLOT, C. PINEAU, J. FAGON

3.3 / Interactions entre technolo-                   porcins, ceux-ci étant déjà très « techno-           Mais il démontre également le manque
gies de précision, main-d’œuvre                      logiques », les critères de choix des                d'informations objectives pour en quali-
et simplification de la conduite                     employés se feront, par exemple, plus sur            fier les incidences sur l’ensemble des
                                                     la qualité du management du personnel.               composantes du travail. Du fait des
du troupeau                                                                                               enjeux économiques associés, le déve-
   Trois types de leviers sont mobilisés par            Dans un contexte de moins en moins                loppement et la commercialisation de
les éleveurs pour agir sur la dimension              régulé (marché économique, arbitrage                 ces technologies sont largement assurés
travail : i) réorganisation/recomposition            politique, climat…), la flexibilité des sys-         par les firmes privées. Elles assurent
de la main-d'œuvre, ii) simplification de            tèmes d’élevage est une clé importante               alors la construction et la diffusion des
la conduite technique du troupeau ou des             pour piloter et sécuriser son exploitation           argumentaires tant économiques que
surfaces, iii) amélioration des équipe-              (Dedieu et Ingrand 2010). Les trois                  techniques et organisationnels. De réelles
ments et bâtiments d’élevage (Dedieu et              types de leviers mobilisés pour agir sur             analyses objectives sont attendues de la
Servière 2001) dont l’élevage de préci-              le travail n’ont pas la même incidence               part des éleveurs et du développement
sion. L’investissement dans celui-ci peut            en termes de souplesse d’utilisation et de           agricole. Toutes les filières animales ne
être associé à des simplifications de la             réversibilité. Les investissements enga-             sont pas au même stade de déploiement
conduite du troupeau (par exemple iden-              gés par l’élevage de précision peuvent               de ces technologies dans leurs élevages.
tification électronique des ovins laitiers           être conséquents (variables selon le type            Elles ne sont pas non plus concernées
et distribution automatisée individuelle             d’équipement concerné), se raisonnent                par les mêmes champs d’application
de concentré). La mise en place de ces               sur plusieurs années (amortissement,                 (traite par exemple). De nouvelles appli-
technologies en élevage peut conduire à              révision et frais d’entretien) et parfois par        cations se développent très régulière-
réviser certaines pratiques du fait de               seuil de dimension, laissant peu de place            ment du fait d’un transfert important
contraintes (exemple de la cohabitation              aux évolutions progressives (robot d’ali-            d’autres secteurs industriels vers l’agri-
jugée difficile par les éleveurs entre le            mentation calibré pour une taille de                 culture. L’offre est donc conséquente et
robot de traite et le pâturage des vaches            troupeau optimale). Au vu des engage-                l’innovation permanente. A ce jour, le
laitières) ou de nouvelles opportunités              ments financiers concernés, il peut être             développement des technologies, pour la
(exemple d'allotements plus efficaces                plus difficile de revenir en arrière pour            plupart issues de l'industrie, est davan-
avec des portes de tri en ovin viande).              les éleveurs. Cependant, les investisse-             tage dicté par les impératifs de rentabi-
Dans des structures qui s’agrandissent,              ments réalisés pour s’équiper avec ces               lité des entreprises qui les conçoivent
les leviers « main-d’œuvre » et « équi-              nouvelles technologies peuvent être plus             que par les besoins réels des éleveurs.
pement » sont plus régulièrement mobi-               modérés dans certains domaines (dispo-               L'association des éleveurs au dévelop-
lisés, comme par exemple dans les filiè-             sitifs de surveillance des chaleurs par              pement de ces nouvelles technologies
res porcines et avicoles (Roguet et al               exemple) L'élevage de précision pour-                aiderait les entreprises conceptrices à
2011). Mais ces deux leviers peuvent                 rait alors aussi permettre de modifier               mieux prendre en compte les besoins
interagir car l’investissement dans des              plus facilement certaines pratiques (par             des utilisateurs, car à ce jour les éleveurs
nouvelles technologies est considéré                 exemple d'alimentation ou de conduite                restent encore très peu sollicités. De
comme un substitut à l’embauche. Dans                des bâtiments) pour s'adapter à des fluc-            réelles synergies sont à trouver entre
certains cas, les technologies sont aussi            tuations accrues de contexte climatique              filières, surtout sur un thème transversal
des arguments intéressants pour recruter             ou économique.                                       comme le travail, pour apporter collec-
ou fidéliser des salariés (fierté de travailler                                                           tivement des réponses à ces attentes.
dans des élevages technologiques néces-              Conclusion
sitant de nouvelles compétences et deve-
nant localement une vitrine de l’innova-
tion). Cependant cet argument ne vaut                  Cet article illustre les nombreuses inci-
que parce que tous les élevages ne sont              dences de la mise en œuvre des techno-
pas uniformes. Dans les grands élevages              logies de précision dans les élevages.

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INRA Productions Animales, 2014, numéro 2
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