Don Pasquale Gaetano Donizetti - Opéra Orchestre National Montpellier
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Don Pasquale Gaetano Donizetti
Don Pasquale 1 ± 2 h 30 Michele Spotti Andrea Cozzi Valérie Chevalier avec entracte direction musicale décors, costumes directrice générale Chanté en italien Valentin Schwarz et lumières Michael Schønwandt chef principal Gaetano Donizetti mise en scène Mathieu Cabanes (1797 – 1848) et lumières collaborateur Opéra bouffe en 3 actes aux lumières Livret de Giovanni Ruffini Bruno Taddia Composé en 1842 et créé Don Pasquale Noëlle Gény au Théâtre Italien de Paris le 3 janvier 1843 Julia Muzychenko chef de chœur Norina Valérie Blanvillain Nouvelle coproduction Tobias Greenhalgh chef de chant Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, Docteur Malatesta Badisches Staatstheater Edoardo Miletti Magdalena Maria Karlsruhe Ernesto Schnitzler Entrée au répertoire à Montpellier Xin Wang assistante à la mise Pour la 1ère fois en France, un notaire en scène Albaka opéra adapté en Langue des Signes Française décors Julia Trybula par Katia Abbou et Vincent Bexiga, chansigneurs Katia Abbou assistante aux Andrea Cozzi Vincent Bexiga costumes Marie Janssen chansigneurs Regard extérieur : Delphine Saint-Raymond sculptures Colin Lombard Atelier Opéra Orchestre Sébastien Lagord régisseur technique Surtitrage également adapté aux personnes national Montpellier Occitanie costumes le majordome de production sourdes et malentendantes Roman Viguier Mireille Jouve Let Your Hair Down – Mulhouse perruques un valet de pied régisseur de production Joachim Picon Torao Suzuki un séminariste Xavier Bouchon Julie Cucchiaro-Paun régisseurs de scène une femme de chambre Maya Lehec Réalisation Accès Culture régisseur du chœur (www.accesculture.org) Production 2019 Chœur Opéra national Spectacle capté à l’Opéra Montpellier Occitanie Richard Neel Comédie le 20 février 2019 Orchestre national surtitres Diffusion en ligne Montpellier Occitanie Tessa Thiery du jeudi 6 mai régie des surtitres au dimanche 6 juin 2021 Captation coproduite par / Ricordi Video recording produced by éditions musicales Wahoo Production et Opéra Orchestre national Montpellier Nous vous rappelons qu’il est formellement Occitanie interdit de filmer, enregistrer ou photographier Avec la participation de TF1 les spectacles Réalisateur : Julien Condemine
Sommaire 3 p. 4 Don Pasquale en un clin d’œil p. 21 L’opéra bouffe, par Benjamin François une autre scène par Marguerite Haladjian p. 8 L’action par Benjamin François p. 26 Discographie Bibliographie p. 10 Écho de la direction musicale Vidéographie par Benjamin François p. 27 Livret p. 13 Écho de la mise en scène par Benjamin François p. 75 Biographies p. 16 « Vite, vite, les diamants » : Donizetti orfèvre par Luca Dupont-Spirio
Don Pasquale collègue Bartolo, basse bouffe dans Pour résumer : des personnages tout Le Barbier de Séville, c’est lui le tenant à fait traditionnels de la commedia du rôle-titre ! dell’arte pris dans les rouages d’une intrigue des plus conventionnelles. en un clin d’œil L’éternelle (mais désopilante !) histoire Sofronia ou du barbon ridicule qui veut épouser 5 toutes affaires cessantes une jeune l’enfer du jeu veuve apparemment douce et modeste fermement décidée à vivre son bonheur Par Benjamin François avec le jeune homme qu’elle aime. Il y a de bonnes et de mauvaises raisons de se marier : le vieux bouffon cacochyme Don Pasquale préfère On lit souvent que le dernier opéra de Gaetano Donizetti serait une œuvre à renouveler en faisant triompher le plaisir de l’instant. déshériter son neveu Ernesto plutôt Le dernier grand légère dans la droite ligne des farces « à la napolitaine ». En quelque sorte, que de le laisser épouser une jolie jeune femme – veuve de surcroît – succès de Donizetti sans le sou. Et le vieillard acariâtre, l’apothéose de l’opera buffa (mais pas le dernier, songeons au Falstaff de Verdi Un lever de figure drolatique entre toutes, fait Don Pasquale est le dernier grand créé un demi-siècle après) issu de la populaire commedia dell’ arte, tout rideau enlevé même mieux : le voici bientôt qui se met en tête de convoler en justes noces succès de Donizetti dont la raison va progressivement sombrer jusqu’à son droit venue d’Italie. Cela est vrai, mais avec la première venue, manière bien internement, le 1er février 1846, dans ne devrait pas nous faire perdre de vue, Avant même que la frénésie ne s’empare peu élégante de déshériter le neveu. une maison de santé d’Ivry-sur-Seine. au-delà de son irrésistible drôlerie très du plateau dès les premiers instants, Malin d’entre les malins, le Docteur Atteint tout comme Robert Schumann proche des comédies de Molière, que Donizetti n’a pas son pareil pour Malatesta lui vient en aide : pourquoi d’une forme très avancée de syphilis, l’œuvre adopte parfois des accents déclencher un véritable cataclysme n’épouserait-il pas sa sœur, la sage le compositeur sombrera à demi-paralysé quasi-féministes qui reposent sur sonore en lever de rideau. La surprise et douce Sofronia, élevée dans un dans la folie comme ses deux plus un rôle féminin principal de femme et les rebondissements régneront couvent de bonnes sœurs ? Hélas célèbres héroïnes, Anna Bolena et Lucia libre et revendicatrice. Un personnage bientôt en maître sur la scène lyrique, pour Don Pasquale, Sofronia a pris di Lammermoor. Sa carrière musicale qui n’hésite pas à user de tous les mais la première des surprises est les atours de Norina, la fiancée avait été extrêmement brillante, mais stratagèmes à sa disposition pour qu’il commande à l’orchestre de s’assagir d’Ernesto : convaincue par Malatesta le destin rattrapa tragiquement ce presque imposer une « tyrannie pour permettre deux envols, l’un que le meilleur moyen de s’unir à musicien qui avait élu domicile près domestique » à son barbon ! mélancolique et l’autre espiègle, Ernesto est d’épouser d’abord le barbon, de Paris, ville où sa maladie le retenait bientôt repris par le couple de jeunes Norina accepte le marché. La vie de prisonnier. Il ne pourra retrouver sa Soixante-neuvième ouvrage premiers, Ernesto et Norina. Don Pasquale Pasquale devient rapidement un enfer : ville natale de Bergame pour s’y composé par Gaetano Donizetti va leur pourrir la vie avec ses airs l’épouse s’avère insupportable, mène éteindre le 5 avril 1848 que grâce à une (1797 – 1848), Don Pasquale est en d’indécrottable vieux ronchon, de vieillard la maisonnée à la baguette, dépense intervention diplomatique autrichienne. quelque sorte le « chant du cygne » tout aussi lubrique que vaniteux, sans compter, malmenant le géronte Le 3 janvier 1843, Don Pasquale était et l’apothéose de l’opera buffa italien. jouisseur, pour ne pas dire libidineux, qui regrette amèrement son choix. créé au Théâtre Italien et c’est un Après Linda di Chamounix (1842), pingre et ridicule à souhait. Persuadé que sa nouvelle épouse immense succès populaire qui s’étend comédie larmoyante avec « scène de Incroyablement drôle, il constituera le trompe et rencontre un amant en immédiatement à toute l’Europe et folie », Donizetti délaisse le mélodrame un des rôles de basse bouffe les plus secret, Don Pasquale lui tend un même bien au-delà. Les Etats-Unis romantique et ses héroïnes évanescentes désopilants jamais écrits par Donizetti. guet-apens, mais le piège se referme par exemple accueillent chaleureusement pour renouer avec la verve jubilatoire Dès l’ouverture, le spectateur comprend sur lui : comprenant qu’il s’est fait berné, Don Pasquale en 1846. Cet opera buffa de l’opera buffa, genre dans lequel qu’une irrésistible comédie à l’italienne il reconnaît aussi que le mariage n’est devient rapidement l’ouvrage de s’était si brillamment illustré Rossini, va faire tourbillonner les personnages pas fait pour lui… Le voici contraint Donizetti le plus représenté ; dans la mais qui commençait à se scléroser jusqu’à leur en faire perdre la tête ! et forcé d’accepter l’union d’Ernesto catégorie des opéras comiques, il ne quelque peu, et que Donizetti parvient Et en prime, contrairement à son et Norina. se fera damer le pion que par le Falstaff
de Verdi en 1893. Au lendemain de de même que la clarté caractéristique Côté nouveautés, il remplaça les récitatifs du poignet, en usant aussi bien de la première, seule la presse parisienne de son écriture musicale ne sont en accompagnés au clavier par des liaisons douceur que de la plus extrême vivacité se montre timorée, critiquant le livret rien le fruit du hasard, même si cette orchestrales qui assurent une plus de caractère : Don Pasquale doit en qu’elle trouve paresseux et la musique commande du Théâtre Italien de Paris grande continuité. Tout en s’inscrivant faire l’expérience à ses propres dépens : de Donizetti que l’on vilipende à cause puise son inspiration d’un livret dans la légèreté rythmique rossinienne, au IIIème acte, après quelques échanges de sa verve facile («une musique nouvelle préexistant d’Angelo Anelli (1761–1820), le musicien pratiqua une orchestration à fleurets mouchetés, le ton monte 7 sur un canevas flétri »). Mais qu’importe, lui-même tiré d’une comédie ample et raffinée qui annonce les grandes jusqu’à ce que la scène de ménage ovationné par le public, Donizetti vient élisabéthaine de Ben Jonson (1572–1637), pages symphoniques du drame verdien. se conclut sur une magistrale gifle de conquérir Paris, capitale du monde The Silent Woman créée à Milan en 1810. Dans cette œuvre charnière, il faut veiller infligée par Norina. Le scandale fut à musical du XIXe siècle. À cette époque Le succès de l’ouvrage fut conséquent à privilégier une interprétation qui l’avenant lors de la création non pas qui va de la mort de Bellini en 1835 à pour rester au répertoire pendant plus préserve la fraîcheur et l’humour tant à cause du geste de théâtre que l’émergence de Verdi, on peut même de vingt ans et être repris à Vienne caractéristiques d’une intrigue comique parce que le rideau de la comédie se dire que Donizetti a conquis l’opéra en août 1842. Présent dans la capitale entièrement conçue pour le plaisir déchire pour nous donner à entrevoir italien ; mieux, il vient là d’obtenir l’ultime autrichienne durant les mois de mai et de l’instant. Entre tradition et transition, les glauques entrelacs des souffrances consécration, à peine cinq années juin, Donizetti eut l’idée de faire fructifier le compositeur donne la preuve de humaines. D’ailleurs, son autoportrait après un autre succès tout aussi cette tout aussi rocambolesque son talent protéiforme. ne fait aucun mystère sur le personnage : éclatant, mais dans un autre genre, qu’éternelle histoire et la confia à un « Je connais les mille façons de la fraude avec Lucia di Lammermoor (1835). librettiste peu expérimenté, Giovanni amoureuse, les vices et les arts faciles Cette année-là, il réussira même à réitérer son exploit en composant coup Ruffini (1807–1881), à tel point qu’il refusa d’apposer son nom sur la page de garde L’émancipation pour enjôler un cœur (…) J’ai un caractère bizarre, je suis prompte, vive, briller me sur coup deux autres réussites, La Fille du Régiment, le premier de ses opéras de l’œuvre. Et l’histoire ne s’arrête pas là puisqu’en 1932 l’écrivain Stefan Zweig féminine avant plaît, j’aime plaisanter. Si la colère me prend, je me contiens rarement, mais en français, et La Favorite, qui sera donnée six cents fois à Paris avant allait adapter lui aussi cette Femme silencieuse de Ben Jonson pour permettre la lettre en rire je change vite ma fureur ». Autrement dit : à bon entendeur… la fin du XIXe. Également, malgré les à Richard Strauss de composer Die succès de Rienzi de Wagner et schweigsame Frau en 1935. Le travail de Donizetti a consisté aussi Benjamin François est producteur à France Musique, enseignant au Conservatoire National Supérieur Nabucco de Verdi l’année précédente, à rendre plus actuelle cette histoire de Musique de Paris et dramaturge de l’Opéra deux œuvres où triomphe la puissance traditionnelle issue de la commedia Orchestre national Montpellier Occitanie. Il vient dell’arte et dominée par Norina, figure de signer Les 100 chefs d’œuvre de la musique dramatique, le public de l’époque continue d’apprécier la muse légère Une musique féminine aux antipodes des héroïnes classique dans la collection « Pour les Nuls » aux Editions First. souffrantes (Bolena, Stuarda, Elisabetta, de l’opera buffa, veine dans laquelle Don Pasquale s’inscrit directement et entre tradition Borgia…) du drame romantique et qui n’a cessé d’irriguer la scène lyrique depuis les farces « à la napolitaine » et modernité dernière héroïne d’une école allant de Serpina (La Servante maîtresse de de Pergolèse (1710 – 1736) à Rossini Pergolèse) à Fiorilla (Le Turc en Italie (1792 – 1868). Toutes ces œuvres ont Esprit ingénieux, travailleur en diable, de Rossini). Elle tient vaillamment comme point commun une intrigue Donizetti ne souhaitait rien tant que le rôle d’une jeune femme déjà éprouvée légère et bien ficelée, des livrets mêlant distiller quelques nouveautés de son par la vie puisque veuve, pleine intimement espièglerie et gravité, dans cru, tout en servant – l’air de rien – au d’une énergie vitale communicative une ambiance musicale qui autorise public les ritournelles qui avaient fait et consciente des enjeux pour séduire toutes les trouvailles. Au théâtre, il est leurs preuves dans ses ouvrages l’homme qu’elle aime... et accessoirement, notoire qu’il est tout aussi difficile de antérieurs. Technique du « copié-collé » refuser celui qui ne fait pas partie de faire rire que de faire pleurer. Aussi ne déjà éprouvée avant lui par Rossini, son plan de vie. À la manière d’une sœur pourrait-on soupçonner Donizetti grand recycleur devant l’éternel, et de la Suzanna des Noces de Figaro de d’avoir à peine forcé son talent pour tous les compositeurs du baroque, Mozart, Norina, dotée d’une tessiture accoucher de Don Pasquale. Ce fameux Vivaldi le premier ; très peu de monde aiguë, parvient à faire valoir son droit «naturel» partout loué de la dramaturgie, dans le public en avait alors conscience. à la liberté qu’elle acquiert à la force
L’action dans la meilleure tradition napolitaine leurs voix s’unissent dans un duo d’une de Mozart jusqu’à Rossini – qui dresse profonde nostalgie. C’est alors que le contrat de mariage prévoyant le don Pasquale sort de sa cachette avec de la moitié de sa fortune. Ernesto, qui Malatesta tandis qu’Ernesto disparaît. vient saluer son oncle avant de partir, Avec aplomb, Norina affirme qu’elle entre et reconnaît Norina ; il risquerait était seule ce qui provoque la colère Par Benjamin François 9 de tout gâcher si Malatesta n’arrivait de Pasquale qui donne toute latitude à lui expliquer brièvement le stratagème. à Malatesta pour régler l’affaire. Il veut Mais dès que le mariage est prononcé, répudier sa femme et surtout faire la petite provinciale se révèle être revenir Ernesto chez lui, l’autorisant à ACTE I à son neveu qui, voyant s’évanouir ses espoirs d’héritage, croit d’abord à une une véritable petite peste, coquette, tyrannique et effrontée. Elle exige épouser Norina. De plus, il l’assure d’une rente de 4000 écus par an. Il n’est mauvaise plaisanterie, puis s’effondre de Pasquale, horrifié et furieux, qu’il garde alors plus nécessaire de feindre : L’action se situe à Rome. Le rideau se en apprenant que Malatesta a fomenté son neveu dans sa maison (et pour Sofronia révèle sa véritable identité. lève sur la maison de Don Pasquale, ce plan diabolique. Il exprime son cause !), fait doubler les gages des La joie de se retrouver libre et tranquille riche et vieux célibataire presque chagrin tandis que Pasquale marmonne domestiques, en embauche d’autres, apaise vite la colère de Pasquale et, septuagénaire. Son ami, le Docteur dans le fond de la pièce. Au second bref : régente toute la maison ! au cours du quatuor final, il accepte Malatesta, veut le convaincre d’épouser tableau qui se déroule dans la chambre que Norina devienne l’épouse d’Ernesto sa sœur Sofronia dont il exalte les vertus. de Norina, la fiancée d’Ernesto, la jeune et bénit le mariage de son neveu. Don Pasquale accepte, gagné par un étrange désir. Son geste est surtout femme exprime son caractère gai, franc et affectueux à travers la lecture ACTE III Dans un rondo final, la conclusion appartient à Norina. dicté par la ferme volonté de déplaire d’un roman. On vient lui apporter une à son neveu Ernesto qui, allant contre lettre d’Ernesto qui lui annonce qu’il Les scènes de ménage continuent : la volonté de l’oncle, aime Norina, doit renoncer à leur projet de mariage les domestiques s’affairent de la cave veuve jeune et belle, mais sans fortune, car il ne peut assurer son avenir. au grenier pour obéir aux ordres au lieu d’accepter le meilleur parti que Malatesta entre bientôt pour lui expliquer impérieux de leur nouvelle patronne. lui-même lui destinait. Il peut ainsi son plan diabolique et l’assurer que Gros-Jean comme devant, Pasquale chasser Ernesto, son unique héritier, son mariage avec le jeune homme n’a plus qu’à payer les factures. s’assurer une descendance et priver aura bien lieu comme prévu. Le temps Sofronia, couverte de diamants, arrive le jeune homme de son héritage. presse, on ne peut mettre Ernesto au même à gifler Pasquale qui, totalement Malatesta survient, bien décidé de courant et Norina se coule dans les désemparé, lui interdit d’aller au théâtre punir son ami de ses folies et lui décrit habits d’une jeune provinciale timide. avec Ernesto. Pasquale commence sa sœur Sofronia comme une personne alors à songer à se débarrasser de timide, ingénue jadis élevée dans un Sofronia qui, en partant, laisse tomber couvent, Norina lui montre la lettre désespérée d’Ernesto. Dans ce duo, ACTE II un billet, preuve d’un rendez-vous galant avec Ernesto. Au comble du la situation est analogue au deuxième désespoir, il fait appeler Malatesta tableau du premier acte du Barbier Nous nous retrouvons à nouveau chez qui lui conseille de répudier sa femme de Séville entre Figaro et Rosine : Don Pasquale qui n’en peut plus après l’avoir surprise en flagrant délit Norina et Malatesta complotent contre d’attendre sa promise. De son côté, d’infidélité. Toute la maison se gausse Pasquale : pour le tromper, Norina va Ernesto exprime sa douleur de devoir du ridicule de la situation. Dans un bref jouer Sofronia, se laisser épouser – renoncer à Norina et décide de s’exiler. échange, Malatesta et Ernesto règlent il n’y a heureusement rien de plus faux Quand Sofronia arrive enfin, recouverte les derniers détails du rendez-vous galant. que ce mariage – et réduire ensuite d’un voile et jouant la comédie à Bientôt, Malatesta et Don Pasquale le pauvre Pasquale au désespoir. la perfection, Pasquale est ébloui par se cachent tous deux dans le jardin. Resté seul, le vieil oncle se réjouit son charme et par sa modestie; il l’épouse Ernesto y chante une sérénade pour d’annoncer la nouvelle de son mariage aussitôt devant un faux notaire – Norina, et à l’approche de Sofronia,
Écho de la et Norina à Colombine… – mais dans et légèreté peu communes ? une manière totalement nouvelle N’annonce-t-elle pas les grandes et laissant une très large place pages symphoniques du drame à l’innovation. Et ce, même si Donizetti verdien ? direction ne résiste pas à réutiliser les passages de son répertoire qui ont fait leurs M.S. À mon sens, c’est une manière 11 preuves auprès du public comme de se rapprocher d’une veine plus ceux de L’Elixir d’amour, La Fille tragique, comme dans Ermione où musicale : du régiment, La Favorite, de même Rossini abandonne les recitativi secci que Le Barbier de Séville ou pour leur privilégier les recitativi La Cenerentola de Rossini. Dans ce accompagnati (avec l’orchestre). domaine, le crescendo-accelerando, Quant à l’apparition de la valse, c’est 3 questions une des marques de fabrique un de mes moments préférés car les plus caractéristiques du maître ce moment se passe avec le chœur. de Pesaro figure en bonne place, Contrairement à ce que l’on pourrait ou bien cet ostinato si souvent répété croire, ce n’est pas une valse viennoise, avec ses formules statiques qui j’y vois plutôt un hommage au style à Michele augmentent les sonorités et français car c’est une valse plus posée, l’orchestration. Mais le crescendo délicate, qui contredit ceux qui disent donizettien se singularise par que les orchestrations de Donizetti la différenciation de la texture sont faibles. D’ailleurs un des signes harmonique qui se situe en-dessous de cette grande qualité est que Spotti de la mélodie, ce qui le rend encore Giuseppe Verdi reprendra à un âge plus intéressant. De même que ses déjà mûr l’orchestration de Donizetti. conclusions ne sont jamais attendues. Je trouve beaucoup de points Je viens de diriger Le Barbier de Séville communs entre Donizetti et le Verdi à Saint-Etienne, et je ne peux d’après 1885, alors que le maître Propos recueillis par Benjamin François qu’observer sa similarité avec de Parme était moins proche. Plus le 18 janvier 2019 Don Pasquale. Mais il faut aussi j’étudie la partition, plus je ne cesse souligner que Don Pasquale a servi de m’étonner que la partition de de réservoir d’inspiration pour Don Pasquale regorge d’analogies B.F. Un critique à la plume acérée dans l’orchestration géniale de les opéras de l’avenir, avec cette avec Falstaff. a écrit lors de la création de Don la partition par Donizetti et la gestion omniprésence du tragi-comique Pasquale à propos de la musique au millimètre de la psychologie aux mêmes moments, contrairement B.F. Que dire de la vocalité des de Donizetti qu’elle était « une musique des personnages. La musique à Rossini qui ne parvient jamais à rôles principaux et du belcanto en nouvelle sur une canevas flétri ». permet en effet de rendre leurs la tragédie pure. général dans Don Pasquale ? En quoi Effectivement, les emprunts sont caractéristiques encore plus évidentes. consiste la tessiture de « basse bouffe » nombreux, tant et si bien qu’on a parlé Je note une utilisation de l’harmonie B.F. En quoi cette musique est-elle du rôle-titre ? Et la vocalité des de technique du « copié-collé ». pour souligner les émotions et états « neuve » ? La plus grande nouveauté rôles féminins ? Egalement la partition reprend aussi d’âme des personnages, notamment ne consiste-t-elle pas en l’introduction le fameux « crescendo-accelerando » au troisième acte. Donizetti fait d’une mélodie constante à la place M.S. Les rôles de basse bouffe qui est la marque de Rossini, ou bien par ailleurs un usage très personnel des récitatifs utilisés jusque-là ? accordent généralement une grande des onomatopées et des répétitions des instruments solistes. Bien sûr, Pourquoi les a-t-il abandonnés selon importance au texte. À mon sens, à effet comique. les racines de Don Pasquale sont vous ? On observe aussi l’apparition la puissance vocale du personnage à chercher dans la commedia dell’ de la valse dans cette œuvre. Enfin : est secondaire, le texte doit être M.S. La nouveauté de la musique arte italienne – Don Pasquale comment décririez-vous l’orchestration systématiquement mis en avant. de Don Pasquale est à rechercher ressemble à son ancêtre Pantalon donizettienne, à la vitalité mélodique Si le chanteur prononce parfaitement,
Écho de la si le public comprend bien ses paroles, alors il arrive alors à sublimer la particularité de cette écriture. Le rôle de Don Pasquale est très mise en particulier : dans son air initial, il doit avoir des aigus impeccables (et même 13 falsetto) tout en soutenant l’émission vocale, à d’autres moments, scène : il pratique le parlato comme dans le finale du deuxième acte, tandis que dans le duo avec le Docteur Malatesta, il doit débiter son texte 3 questions à toute vitesse (canto sillabico). C’est donc un rôle compliqué qui n’est pas celui qui chante le plus, il se fait largement voler la vedette par Norina ; en fait, il n’existe pas à Valentin de Don Pasquale vraiment parfait : un chanteur à la voix très belle et très puissante va se trouver un peu en difficulté dans le registre aigu, un chanteur à la diction irréprochable Schwarz dans les passages parlato sera moins bon dans la ligne vocale. Il faut donc faire des compromis et trouver la meilleure solution dans les chanteurs qui cochent le maximum de qualités. La vocalité féminine n’est pas simple Propos recueillis par Benjamin François non plus ! Norina est un personnage le 18 janvier 2019 très jeune, talentueux, son rôle est difficile car son air de la première partie est très lyrique, sur le souffle, B.F. Traditions et modernité : de ce chœur très mélancolique. dans la deuxième partie, elle se doit avez-vous désiré conserver cette Ce qui relève ouvertement de d’être très agile tandis que dans ambiance très commedia dell’ arte l’héritage de la commedia dell’ arte le Finale, elle doit encore beaucoup dans le théâtre de ce Don Pasquale ? est l’intrigue avec le quiproquo entre donner. Pour moi, Norina est donc Dans sa dramaturgie, Donizetti réutilise les deux personnages féminins. le rôle le plus compliqué de l’opéra. des éléments traditionnels, mais il J’ai effectivement choisi de garder émet une exigence qui va à l’encontre cet élément grotesque et loufoque des habitudes de l’époque : il souhaitait au centre de la mise en scène tout que ses chanteurs apparaissent sur en prenant chaque personnage scène en costumes contemporains. très au sérieux, quand bien même Etait-ce aussi votre souhait ? une partie de son rôle tendrait vers le comique. J’ai souhaité que ce V.S. Don Pasquale est le dernier Don Pasquale se passe, non pas opéra du genre bouffe et c’est dans un passé lointain, mais bien pourquoi il contient des aspects très dans notre présent. Don Pasquale sombres ; on le voit bien dans le rôle lui, est prisonnier de son passé :
il s’est construit son petit monde Norina est à mes yeux une femme vit dans ses rêves et ses désirs de bien à lui, une sorte de « cabinet incroyablement moderne : elle décide redevenir un jeune chevalier de curiosités » avec tout un de son propre chef de prêter main puissant entouré d’admiratrices. microcosme personnel d’où il peut forte à Malatesta, elle est une experte Au contraire, son neveu Ernesto se tout contrôler de manière névrotique. en intrigues sans qui les plans meut dans un horizon beaucoup plus Mais dans le monde il est entouré des personnages masculins sont modeste et réaliste où il ne lui reste 15 de personnages modernes comme impossibles. Bien qu’elle n’a pas pas d’autre choix pour survivre que son neveu Ernesto, un jeune homme le rôle-titre, elle est bien le personnage de se délivrer du carcan imposé par dépressif qui a planté sa tente dans principal de cet opéra. C’est la raison son oncle. Un autre personnage l’environnement de son oncle et doit pour laquelle je ne veux pas en faire me paraît central dans cet opéra : composer avec son autorité et une jeune fille ingénue et sans c’est Malatesta. Nous en avons fait les minuscules libertés laissées reproche, mais une jeune femme un prêtre même si aucun membre vacantes. Et comme il ne parvient pleinement consciente de son destin du clergé n’aurait pu apparaître dans pas pour le moment à sortir de ce et qui sait parfaitement tirer les ficelles l’opera buffa historique. Mais il me carcan, il est sujet à des problèmes pour affirmer sa place dans le monde paraissait plus logique qu’il propose psychologiques ; heureusement, masculin qui l’entoure. ses bons offices à tous, même s’il ne sa libération viendra avec l’aide le fait pas de manière tout à fait de Malatesta et Norina. B.F. Comment voyez-vous désintéressée car il possède lui aussi les rapports entre les générations son côté maléfique, le plaisir de B.F. Justement les personnages dans cet opéra, avec le monde des tirer les ficelles et de gouverner féminins dans cette œuvre comme pères (Malatesta, Don Pasquale) et les consciences. En cela, je pense Norina – avec cette scène très moderne celui des enfants (Norina, Sofronia, bien que l’opéra comporte bien deux pour l’époque de la gifle qui a scandalisé Ernesto) ? Pour vous, cet opéra n’est-il niveaux d’interprétation : pas de les contemporains de Donizetti que légèreté, une farce destinée morale directe, mais la question à l’époque de la création – son à l’agréable distraction du public, posée, à chacun d’entre nous, de émancipation fait-elle sens dans votre ou bien l’œuvre possède-t-elle un la morale qu’il souhaite en retirer mise en scène ? Bien entendu, vous deuxième plan ? pour lui-même ! devez composer avec le fait qu’une simple gifle sur une scène aujourd’hui V.S. Dans cet opéra, je note aussi n’a pas la même force que cette même une thématique avec tous ces gifle assénée au XIXe siècle. Comment personnages qui désirent être autre avez-vous choisi de représenter cette chose que ce qu’ils sont vraiment. lutte entre les sexes qui se déroule Ils vivent dans un monde de fiction : sous nos yeux dans Don Pasquale ? les illusions d’un vieil homme qui rêve de redevenir jeune en prenant V.S. Je ne crois pas que le caractère pour épouse une jeunette, les illusions provocateur de cette gifle repose d’un jeune homme qui s’imagine dans son geste corporel, mais dans ramener un peu facilement dans le fait que Norina piétine ainsi les plans son giron une jeune femme. de Don Pasquale. C’est pourquoi j’ai Ces illusions se voient, une à une, renoncé à une gifle donnée sur remises en question sans pour autant la scène, pour la remplacer par que les rapports entre les générations la destruction d’un objet auquel se durcissent. Les différents Don Pasquale attache une énorme personnages poursuivent simplement importance. C’est ainsi que je montre des idéaux différents, très personnels. que Norina met en pièces son monde Don Pasquale est pour moi un lointain et son échelle de valeurs. En cela, cousin de Don Quichotte parce qu’il
« Vite, vite, l’entend de Naples à Venise. Sur cette une soprano rouée, pétillante, à mille scène paraissent des ouvrages le plus lieues des reines et amantes vaincues souvent importés de la péninsule ; qui hantent l’opéra « sérieux » ; une basse Don Pasquale, commandé exprès pour bougonne, pliant sous le poids des ans les diamants » : elle, fait exception, et témoigne de et d’un foyer dont la maîtrise lui échappe. la gloire acquise par son compositeur Ajoutez le ténor, amoureux pâmé devant 17 avec Lucie de Lammermoor (1839) son espiègle promise, et le baryton, et La Fille du régiment (1840). Dans ce complice du jeune couple qui aide Donizetti dernier titre, Donizetti pliait son style à duper le barbon : voici la recette aux exigences typiquement françaises réduite à l’essentiel, celle que suit de l’opéra-comique, comme il le ferait Donizetti dans Don Pasquale. pour le grand opéra avec La Favorite. D’un côté le public, de l’autre la fable Il travaillait alors pour d’autres théâtres. et ses acteurs ; pour tous, le musicien orfèvre Aux « Italiens », qui avaient déjà repris écrit sur mesure. À chaque rôle, il doit tels quels son Roberto Devereux donner l’élan d’une vocalité qui séduise et son célèbre Elisir d’amore, il est la salle, et entretienne l’étincelle comme chez lui. facétieuse du buffa. Commençons par Nulle part ailleurs, peut-être, le public celle en qui s’incarne l’enjeu de la pièce : Par Luca Dupont-Spirio n’attend moins l’aventure, musicale Norina. Son charme qui ensorcèle à en tout cas. Loin de toute polémique, la fois Ernesto et son oncle Pasquale, l’élite y vient oublier le souci des rentes, et dont joue le metteur en scène des mariages et des honneurs sous Malatesta, tient largement à la malice Passions incarnées du théâtre, la caresse des mélodies, dans éclatante qui lui assure l’empire des puissance occulte du chant : l’opéra un dépaysement familier. D’abord cœurs. Au premier acte, la scène 4 nous est un alliage éruptif. Tremblez, dit grâce au bel canto, « beau chant » la présente lisant un roman de chevalerie le forgeur, j’en ferai l’instrument de toutes qui exalte la suavité de la ligne, la grâce (« Quel guardo il cavaliere ») : cantabile les révolutions ; par lui l’humanité des ornements, l’agilité des vocalises. innocent, notes égales qui s’élèvent changera de mœurs et d’idéal. Ensuite grâce aux intrigues qui présentent syllabe par syllabe pour retomber sur Jouissez, dit l’orfèvre, en voici des colliers souvent les mêmes types de personnages, la fin du vers ; la rêverie naïve ne convainc et des diadèmes ; puissent-ils augmenter donc de voix, exprimant des passions qu’à moitié. Et pour cause : son livre l’éclat de vos fêtes, de vos bals. ardentes, tendres ou comiques. Enfin posé, la jeune veuve indépendante La bourgeoisie et l’aristocratie parisiennes par la magie d’une langue étrangère révèle son vrai tempérament dans qui en janvier 1843 se pressent et d’atmosphères dérobées au temps, la cabalette, authentique traité de à la création de Don Pasquale veulent qui éloignent l’ennuyeuse réalité. séduction (« So anch’io la virtù magica »). jouir – « gioire », s’écriera plus tard Avec Don Pasquale, Donizetti compose Soudain les rythmes bondissent, la voix la Traviata, âme de ce même Paris le dernier chef-d’œuvre d’un genre s’élance et scintille, enlace fins de sous cette même monarchie de Juillet. né près d’un siècle et demi plus tôt, phrases langoureuses et vocalises Le nom de Verdi n’est pas encore connu l’opera buffa. Dès l’origine, on y traite virtuoses, conquérant sans effort – en France ; l’orfèvre du jour s’appelle sur le ton de la comédie les joyeux sans élan même – la cime des aigus. Donizetti, qui a repris l’enseigne après tracas de la vie domestique. Au milieu Portrait d’une femme qui sait jouer de la retraite précoce de Rossini et la mort du XVIIIe siècle, Paris découvrant tout pour tout dominer. Plus loin (acte II, prématurée de Bellini. On l’aura compris : La serva padrona de Pergolèse bascule scènes 3 à 5), sa présentation à Don il faut un transalpin dans la capitale. dans la querelle des Bouffons, furieuse Pasquale verra des procédés semblables Non seulement parce que l’Italie bagarre entre mélomanes italophiles suggérer d’une part la niaiserie feinte, a toujours eu le secret de l’art lyrique, et défenseurs de la muse française. d’autre part, en aparté puis au grand mais parce que Paris le cultive, au Déjà cette Servante maîtresse réunit jour une fois le mariage conclu, la rouerie Théâtre Italien justement, tel qu’on deux caractères emblématiques : magistrale qui dispose avec la même
aisance des hommes, du foyer et des la chanson « Com’è gentil » (III, 6), où scénique. Déjà lors de la création, eux, commentent la scène de la gifle. fusées mélodiques. S’étonnera-t-on celui-ci désormais associé à la farce Théophile Gautier louait le légendaire L’ironie n’est pas en reste. à l’acte III de retrouver tant de brio, feint de soupirer encore, est une merveille Luigi Lablache, premier interprète du Or, plus on veut rire, plus il faut de fous. si grisant pour les oreilles, dans la scène de verve populaire, mêlant l’ivresse barbon, « représenté par [lui] de la On l’a vu : hormis dans la partie d’Ernesto, de la gifle ? On en oublierait presque, d’une phrase chaloupée à celle d’un façon la plus ébouriffante […] On ne les airs sont rares, et souvent brefs. sous le stratagème et l’artifice, la nature rythme obsédant, repris par les « la, la » saurait mettre dans un rôle plus de L’effervescence joyeuse de Don Pasquale 19 intime de Norina : cette bonté, cette du chœur. L’esprit folklorique renforce gaîté, plus de verve, plus d’invention tient à une trame qui ne souffre aucun tendresse qui reprennent le dessus l’onirisme du rendez-vous nocturne, et en même temps plus de naturel et temps mort, pousse les uns vers les lorsqu’elle évoque avec Malatesta lequel n’est que fiction dans la fiction ; de vérité que M. Lablache n’en met autres des personnages sans cesse (I, 5, « Pronta son io ») son souci ultime : le spectateur, qui traverse ces différents dans Don Pasquale […] [Celui-ci] perdrait réunis dans des duos, trios et quatuors. « l’amour du bien-aimé ». degrés du rêve, n’en demandait pas tant. sa voix qu’il serait encore un des acteurs Autant d’ensembles qui créent Encore celui-ci serait-il bien désarmé Le beau chant, toutefois, ne fait pas les plus remarquables d’aujourd’hui ». l’atmosphère chorale de l’opéra – un tour sans le génie de sa maîtresse. Le jeune tout ; encore faut-il que l’intrigue vibre. On ne saurait toutefois sous-estimer de force pour une pièce à quatre ! –, couple illustre ce qui semble un principe C’est ici qu’intervient un autre rôle la part du chanteur. À elles seules, en même temps qu’ils en soutiennent de l’opera buffa : soprane, règne et traditionnel : celui du baryton complice, les cabalettes exigent de lui une émission la tension tapageuse. Le chœur, dont conquiers ; ténor, sois beau ou tais-toi. qui assiste les amants et mène la danse. aussi agile que généreuse, le tout les deux numéros s’inscrivent en marge, Va pour le beau. Incapable de ruse, À cet égard, Malatesta rappelle dans la nuance du clin d’œil : « Un foco en guise de transition, s’exclame Ernesto n’est que flamme et candeur. furieusement Figaro, célèbre barbier insolito » de l’acte I où bonhomie justement : « quel interminable Chez lui le bel canto se décline en ces de Séville immortalisé par Rossini ; du registre grave et lyrisme de l’aigu va-et-vient ! » Certes, Donizetti peut unir mélodies sensuelles, longues de souffle son histoire, certes, est fort proche alternent dans un même souffle, les voix avec une grâce digne de Bellini : et chaudes de ton, propres à faire chavirer de celle qui nous occupe. Le Docteur « Aspetta, aspetta » de l’acte III où rendez-vous au duo nocturne des amants les âmes. Écarté d’une intrigue écrite n’a qu’un vrai moment lyrique pour des motifs semblables débouchent (III, 6, « Tornami a dir che m’ami »), dont par Norina et Malatesta aux dépens lui seul, le charmant « Bella siccome sur l’élocution virtuose évoquée plus les souffles s’étreignent dans une phrase de Don Pasquale, il est le seul à obtenir un angelo » : juste assez pour faire valoir, haut, au sujet de Malatesta. Mais par-delà irrésistible, infinie, jusqu’à chavirer trois moments solistes ; tous ont pour au début de la pièce (I, 2), les qualités ces morceaux à l’élan implicite, le basso ensemble après le mot « tremo » – thème l’amour malheureux ou languissant. du chanteur, lequel n’existe ensuite qu’au buffo – lui-même héritier d’une riche « je tremble ». Mais le ton principal Le premier, « Sogno soave e casto » (I, 3), contact des autres personnages. tradition – doit encore inventer. À la fois est celui qui culmine dans le quatuor adopte une ligne toute en liaison, Pour autant, Malatesta ne manque comptable de ses propres intérêts et de l’acte II, point d’orgue de l’ouvrage accompagnée par une clarinette et pas d’adresse vocale dans les nombreux dupe d’un scénario pensé par d’autres, et sommet du genre. Après la menace des violoncelles émus, abandonnée ensembles – duos, trios, quatuors – où Pasquale calcule, raisonne, délibère adressée par Norina à Pasquale, à la seule tendresse. La présence de il partage les mélodies des protagonistes; seul ou en dialogue, ce qui lui vaut Malatesta commente la stupeur de ce Pasquale ne fait que ponctuer, et Donizetti exige même de lui, en réponse des kilomètres de texte sans envol dernier (« È rimasto là impietrato ») la seconde partie, animée par la trahison à Don Pasquale, ce débit vertigineux mélodique. C’est le chant dit parlando, sur une mélodie rêveuse doublée apparente de Malatesta (« Mi fa il destin qui projette sur la même note une dizaine qui peut se réduire à un simple recto par les violons, bientôt reprise par mendico»), expose davantage la bravoure de syllabes par seconde (III, 5, « Aspetta, tono – tout sur la même note : tel est Ernesto et son amie qui se demandent de l’interprète, sur des aigus à l’accent aspetta, cara sposina »). Sa présence d’ailleurs son langage lorsqu’il apparaît justement s’ils assistent à un songe. passionné. Le second air, « Cercherò va au-delà : maître du jeu, doté toujours au début de l’opéra (« Son nov’ore »), Lyrisme augmenté par l’entrelacement lontana terra », ouvre l’acte II dans un d’un longueur d’avance, il impose les ou encore lorsqu’il lamente son sort des voix et le déploiement de l’orchestre ; registre encore plus accablé : prêt à l’exil, changements de tempo et d’affect qui après la gifle de Norina (III, 2, « È finita, la ligne abattue de Pasquale, brisée Ernesto chante une mélodie aux notes animent le reste du plateau. Don Pasquale»). L’interprète doit déployer par l’émotion, y apporte un contrepoint tantôt répétées comme un glas, tantôt Car là est le nerf de la comédie : faire alors des trésors de couleur, d’esprit saisissant. La fièvre reprend ses droits tombantes comme ses forces abattues. tourner en bourrique ce pauvre Pasquale, et de diction. L’orchestre en profite pour quand Norina attise encore l’indignation Mais la perspective de voir au moins « vieux fou », comme le décrit Norina décrire le personnage, par ces phrasés de son époux, et l’épisode s’achève Norina heureuse relance le rythme (« vecchio matto », II, 3), mais si attachant ! à la chaleur bourgeoise, ces rythmes sur une course frénétique lancée par et revigore le trait dans le tempo vif Des quatre rôles en présence, il demande enjoués sur lesquels des bois mutins celui-ci (« Son tradito »). Verbe explosif, de la cabalette (« E se fia ch’un altro sans doute l’équilibre le plus subtil répondent à des basses friponnes ; réponses en fusées, tempête au plateau oggetto »). Troisième solo du ténor, entre éloquence vocale et présence les sanglots pathétiques des violons, comme en fosse : dans le sillage Rossini,
L’opéra bouffe, l’un des plus grands finales jamais répondre à sa commande : « vite, vite, écrits. Cet esprit enjoué, festif, relie les diamants » ! la tradition de l’opera buffa… au goût parisien. Pourquoi un tel succès, en Diplômé du Conservatoire de Paris, professeur une autre scène agrégé de musique, Luca Dupont-Spirio a enseigné 1843, pour une histoire d’un autre siècle, au Conservatoire de Bobigny ainsi qu’aux universités aux ressorts usés ? Les costumes de Rouen et Poitiers. Créateur avec Vincent Dumestre 21 du Concours Corneille, événement international contemporains voulus par Donizetti, dédié à la musique baroque, il en dirige les trois franchement anachroniques, heurtaient premières éditions. Également journaliste, il collabore aussi bien la presse que les interprètes ; à la revue Classica puis à Diapason. Depuis 2018, il est responsable des relations internationales au le genre buffo lui-même avait vécu, Conservatoire de Paris, et enseigne ponctuellement Par Marguerite Haladjian et s’éteindrait peu après. Pourtant, à l’Université catholique de l’Ouest (Angers). quelle musique reflète mieux cette monarchie de Juillet qui voit la bourgeoisie triompher, et l’éclairage Lors de la création Don Pasquale, (L’Étoile, 1877), Verdi (Falstaff, 1893), au gaz transformer Paris en Ville chef-d’œuvre bouffe de Gaetano Donizetti, Poulenc (Les Mamelles de Tirésias,1947) Lumière ? La légèreté entame son le 3 janvier 1843 au Théâtre Italien à Paris, ou Georges Aperghis (Les Boulingrins, âge d’or. Déclinante dans les années le genre a déjà connu depuis le XVIIIe 2010) useront à leur tour du vocabulaire 1820 après un premier élan au tournant siècle ses heures de gloire. Placé sous bouffe pour nourrir leur imagination du siècle, la valse revient pour de bon le signe de la légèreté qui allie la verve créatrice et l’écriture de leurs œuvres. avec Johann Strauss père et son comique et l’esprit joyeux, ce nouveau orchestre, dont la tournée parisienne registre lyrique s’est emparé des sujets de 1837 résonne jusqu’à Don Pasquale. Ce dernier se sent-il brûler de désir et des situations de la vie quotidienne pour constituer un opéra populaire De l’opera seria (« Un foco insolito ») ? Il valse. Veut-il jouer un tour («Aspetta, aspetta»)? que des compositeurs virtuoses tels Pergolèse, Paisiello, Cimarosa, Haydn, à l’opera bouffa Encore. Se morfond-il après la gifle Mozart, Rossini et Donizetti ont célébré. (« È finita ») ? Une valse triste, que Norina Dans ses œuvres bouffes, le compositeur Au milieu du XVIIIe siècle, la musique magnifie avant d’enchaîner sur une autre, de Don Pasquale a su manier la mélodie baroque atteint son apogée au diapason décidément espiègle (« Via, caro sur un mode comique comparable à celle de l’évolution de l’opéra italien dont sposino »). Le début du fameux quatuor de Rossini en accordant la primauté la prédominance semble incontestable. (« È rimasto là impietrato ») rêve de valse, à la voix, en exploitant les possibilités En un peu plus d’un siècle et demi, et c’est toujours à trois temps que de formes et de styles renouvelés du les successeurs de Monteverdi le chœur commente les remous de vieux maître. Les recettes époustouflantes (1567 – 1643) dont Cavalli (1602 – 1676), la maison (« Quel nipotino guasta- et les techniques seront empruntées Cesti (1623–1669), Legrenzi (1626–1690), mestieri »). Offenbach a bientôt un quart par nombre de compositeurs à la suite puis Alessandro Scarlatti (1660 – 1725), de siècle, La Vie Parisienne attendra de Rossini, crescendo / accelerando, Caldara (1670–1736), Vivaldi (1678–1741), aussi longtemps, mais déjà tout tourne, rythmes fondés sur la scansion, Porpora (1686 – 1725), ont développé tourne, tourne, tout danse, danse, la répétition, l’énumération, un procédé le drame lyrique dont le prestige danse… Donizetti, Strauss, Offenbach : que Mozart avait déjà utilisé dans Don a rayonné sur toute l’Europe, de Naples autant d’étrangers venus nourrir une Giovanni et dans Cosi fan tutte qu’on à Venise, de Vienne à Madrid, les cours capitale qui se veut le centre du monde, retrouvera dans Le Barbier de Rossini. allemandes à leur tour ont accueilli et accueille tout ce qui accroît son Certaines des formules du bouffe dans ce théâtre musical. Dresde deviendra ivresse. Tour à tour brillant et blagueur, la lignée de Don Pasquale seront reprises avec John Adolf Hasse (1699 – 1783) l’orchestre se mêle à la fête, et par Richard Strauss, intégrées dans son la capitale de l’italianisme en Allemagne les interventions du chœur sonnent langage musical pour Ariane à Naxos et Hambourg la première scène lyrique comme un éclat de rire. D’un bout (1916) ou La Femme silencieuse (1935). où Telemann fit représenter en 1725 à l’autre, le musicien-orfèvre semble D’autres compositeurs tels Chabrier son intermède bouffe Pimpinone.
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