Don Pasquale Gaetano Donizetti - Opéra Orchestre National Montpellier

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Don Pasquale
Gaetano Donizetti
Don Pasquale

                                                                                                                                                    1
                                                                 ± 2 h 30                         Michele Spotti          Andrea Cozzi
           Valérie Chevalier                                     avec entracte                    direction musicale      décors, costumes
           directrice générale                                   Chanté en italien
                                                                                                  Valentin Schwarz        et lumières
           Michael Schønwandt
           chef principal                                        Gaetano Donizetti                mise en scène           Mathieu Cabanes
                                                                 (1797 – 1848)                    et lumières             collaborateur
                                                                 Opéra bouffe en 3 actes
                                                                                                                          aux lumières
                                                                 Livret de Giovanni Ruffini       Bruno Taddia
                                                                 Composé en 1842 et créé          Don Pasquale            Noëlle Gény
                                                                 au Théâtre Italien de Paris
                                                                 le 3 janvier 1843                Julia Muzychenko        chef de chœur
                                                                                                  Norina                  Valérie Blanvillain
                                                                 Nouvelle coproduction            Tobias Greenhalgh       chef de chant
                                                                 Opéra Orchestre national
                                                                 Montpellier Occitanie,           Docteur Malatesta
                                                                 Badisches Staatstheater          Edoardo Miletti         Magdalena Maria
                                                                 Karlsruhe
                                                                                                  Ernesto                 Schnitzler
                                                                 Entrée au répertoire
                                                                 à Montpellier                    Xin Wang                assistante à la mise
               Pour la 1ère fois en France,                                                       un notaire              en scène
                                                                 Albaka
               opéra adapté en Langue des Signes Française       décors
                                                                                                                          Julia Trybula
               par Katia Abbou et Vincent Bexiga, chansigneurs                                    Katia Abbou             assistante aux
                                                                 Andrea Cozzi                     Vincent Bexiga          costumes
                                                                 Marie Janssen
                                                                                                  chansigneurs
               Regard extérieur : Delphine Saint-Raymond         sculptures
                                                                                                                          Colin Lombard
                                                                 Atelier Opéra Orchestre          Sébastien Lagord        régisseur technique
               Surtitrage également adapté aux personnes         national Montpellier Occitanie
                                                                 costumes                         le majordome            de production
               sourdes et malentendantes
                                                                                                  Roman Viguier           Mireille Jouve
                                                                 Let Your Hair Down – Mulhouse
                                                                 perruques
                                                                                                  un valet de pied        régisseur de production
                                                                                                  Joachim Picon           Torao Suzuki
                                                                                                  un séminariste          Xavier Bouchon
                                                                                                  Julie Cucchiaro-Paun    régisseurs de scène
                                                                                                  une femme de chambre    Maya Lehec
               Réalisation Accès Culture                                                                                  régisseur du chœur
               (www.accesculture.org)                            Production 2019                  Chœur Opéra national
                                                                 Spectacle capté à l’Opéra        Montpellier Occitanie   Richard Neel
                                                                 Comédie le 20 février 2019
                                                                                                  Orchestre national      surtitres
                                                                 Diffusion en ligne               Montpellier Occitanie   Tessa Thiery
                                                                 du jeudi 6 mai                                           régie des surtitres
                                                                 au dimanche 6 juin 2021

                                                                 Captation coproduite par /                               Ricordi
                                                                 Video recording produced by                              éditions musicales
                                                                 Wahoo Production et Opéra
                                                                 Orchestre national Montpellier
Nous vous rappelons qu’il est formellement                       Occitanie
interdit de filmer, enregistrer ou photographier                 Avec la participation de TF1
les spectacles                                                   Réalisateur : Julien Condemine
Sommaire

                                                                            3
p. 4    Don Pasquale en un clin d’œil    p. 21   L’opéra bouffe,
        par Benjamin François                    une autre scène
                                                 par Marguerite Haladjian
p. 8 	L’action
        par Benjamin François            p. 26   Discographie
                                                 Bibliographie
p. 10   Écho de la direction musicale            Vidéographie
        par Benjamin François
                                         p. 27   Livret
p. 13   Écho de la mise en scène
        par Benjamin François            p. 75   Biographies

p. 16   « Vite, vite, les diamants » :
        Donizetti orfèvre
        par Luca Dupont-Spirio
Don Pasquale
                                                                                          collègue Bartolo, basse bouffe dans            Pour résumer : des personnages tout
                                                                                          Le Barbier de Séville, c’est lui le tenant     à fait traditionnels de la commedia
                                                                                          du rôle-titre !                                dell’arte pris dans les rouages d’une
                                                                                                                                         intrigue des plus conventionnelles.

en un clin d’œil
                                                                                                                                         L’éternelle (mais désopilante !) histoire

                                                                                          Sofronia ou                                    du barbon ridicule qui veut épouser

                                                                                                                                                                                     5
                                                                                                                                         toutes affaires cessantes une jeune

                                                                                          l’enfer du jeu                                 veuve apparemment douce et modeste
                                                                                                                                         fermement décidée à vivre son bonheur
Par Benjamin François                                                                                                                    avec le jeune homme qu’elle aime.
                                                                                          Il y a de bonnes et de mauvaises
                                                                                          raisons de se marier : le vieux bouffon
                                                                                          cacochyme Don Pasquale préfère
On lit souvent que le dernier opéra
de Gaetano Donizetti serait une œuvre
                                            à renouveler en faisant triompher
                                            le plaisir de l’instant.                      déshériter son neveu Ernesto plutôt            Le dernier grand
légère dans la droite ligne des farces
« à la napolitaine ». En quelque sorte,
                                                                                          que de le laisser épouser une jolie
                                                                                          jeune femme – veuve de surcroît –              succès de Donizetti
                                                                                          sans le sou. Et le vieillard acariâtre,
l’apothéose de l’opera buffa (mais pas
le dernier, songeons au Falstaff de Verdi   Un lever de                                   figure drolatique entre toutes, fait           Don Pasquale est le dernier grand
créé un demi-siècle après) issu de
la populaire commedia dell’ arte, tout      rideau enlevé                                 même mieux : le voici bientôt qui se
                                                                                          met en tête de convoler en justes noces
                                                                                                                                         succès de Donizetti dont la raison va
                                                                                                                                         progressivement sombrer jusqu’à son
droit venue d’Italie. Cela est vrai, mais                                                 avec la première venue, manière bien           internement, le 1er février 1846, dans
ne devrait pas nous faire perdre de vue,    Avant même que la frénésie ne s’empare        peu élégante de déshériter le neveu.           une maison de santé d’Ivry-sur-Seine.
au-delà de son irrésistible drôlerie très   du plateau dès les premiers instants,         Malin d’entre les malins, le Docteur           Atteint tout comme Robert Schumann
proche des comédies de Molière, que         Donizetti n’a pas son pareil pour             Malatesta lui vient en aide : pourquoi         d’une forme très avancée de syphilis,
l’œuvre adopte parfois des accents          déclencher un véritable cataclysme            n’épouserait-il pas sa sœur, la sage           le compositeur sombrera à demi-paralysé
quasi-féministes qui reposent sur           sonore en lever de rideau. La surprise        et douce Sofronia, élevée dans un              dans la folie comme ses deux plus
un rôle féminin principal de femme          et les rebondissements régneront              couvent de bonnes sœurs ? Hélas                célèbres héroïnes, Anna Bolena et Lucia
libre et revendicatrice. Un personnage      bientôt en maître sur la scène lyrique,       pour Don Pasquale, Sofronia a pris             di Lammermoor. Sa carrière musicale
qui n’hésite pas à user de tous les         mais la première des surprises est            les atours de Norina, la fiancée               avait été extrêmement brillante, mais
stratagèmes à sa disposition pour           qu’il commande à l’orchestre de s’assagir     d’Ernesto : convaincue par Malatesta           le destin rattrapa tragiquement ce
presque imposer une « tyrannie              pour permettre deux envols, l’un              que le meilleur moyen de s’unir à              musicien qui avait élu domicile près
domestique » à son barbon !                 mélancolique et l’autre espiègle,             Ernesto est d’épouser d’abord le barbon,       de Paris, ville où sa maladie le retenait
                                            bientôt repris par le couple de jeunes        Norina accepte le marché. La vie de            prisonnier. Il ne pourra retrouver sa
Soixante-neuvième ouvrage                   premiers, Ernesto et Norina. Don Pasquale     Pasquale devient rapidement un enfer :         ville natale de Bergame pour s’y
composé par Gaetano Donizetti               va leur pourrir la vie avec ses airs          l’épouse s’avère insupportable, mène           éteindre le 5 avril 1848 que grâce à une
(1797 – 1848), Don Pasquale est en          d’indécrottable vieux ronchon, de vieillard   la maisonnée à la baguette, dépense            intervention diplomatique autrichienne.
quelque sorte le « chant du cygne »         tout aussi lubrique que vaniteux,             sans compter, malmenant le géronte             Le 3 janvier 1843, Don Pasquale était
et l’apothéose de l’opera buffa italien.    jouisseur, pour ne pas dire libidineux,       qui regrette amèrement son choix.              créé au Théâtre Italien et c’est un
Après Linda di Chamounix (1842),            pingre et ridicule à souhait.                 Persuadé que sa nouvelle épouse                immense succès populaire qui s’étend
comédie larmoyante avec « scène de          Incroyablement drôle, il constituera          le trompe et rencontre un amant en             immédiatement à toute l’Europe et
folie », Donizetti délaisse le mélodrame    un des rôles de basse bouffe les plus         secret, Don Pasquale lui tend un               même bien au-delà. Les Etats-Unis
romantique et ses héroïnes évanescentes     désopilants jamais écrits par Donizetti.      guet-apens, mais le piège se referme           par exemple accueillent chaleureusement
pour renouer avec la verve jubilatoire      Dès l’ouverture, le spectateur comprend       sur lui : comprenant qu’il s’est fait berné,   Don Pasquale en 1846. Cet opera buffa
de l’opera buffa, genre dans lequel         qu’une irrésistible comédie à l’italienne     il reconnaît aussi que le mariage n’est        devient rapidement l’ouvrage de
s’était si brillamment illustré Rossini,    va faire tourbillonner les personnages        pas fait pour lui… Le voici contraint          Donizetti le plus représenté ; dans la
mais qui commençait à se scléroser          jusqu’à leur en faire perdre la tête !        et forcé d’accepter l’union d’Ernesto          catégorie des opéras comiques, il ne
quelque peu, et que Donizetti parvient      Et en prime, contrairement à son              et Norina.                                     se fera damer le pion que par le Falstaff
de Verdi en 1893. Au lendemain de                 de même que la clarté caractéristique            Côté nouveautés, il remplaça les récitatifs    du poignet, en usant aussi bien de
la première, seule la presse parisienne           de son écriture musicale ne sont en              accompagnés au clavier par des liaisons        douceur que de la plus extrême vivacité
se montre timorée, critiquant le livret           rien le fruit du hasard, même si cette           orchestrales qui assurent une plus             de caractère : Don Pasquale doit en
qu’elle trouve paresseux et la musique            commande du Théâtre Italien de Paris             grande continuité. Tout en s’inscrivant        faire l’expérience à ses propres dépens :
de Donizetti que l’on vilipende à cause           puise son inspiration d’un livret                dans la légèreté rythmique rossinienne,        au IIIème acte, après quelques échanges
de sa verve facile («une musique nouvelle         préexistant d’Angelo Anelli (1761–1820),         le musicien pratiqua une orchestration         à fleurets mouchetés, le ton monte

                                                                                                                                                                                                       7
sur un canevas flétri »). Mais qu’importe,        lui-même tiré d’une comédie                      ample et raffinée qui annonce les grandes      jusqu’à ce que la scène de ménage
ovationné par le public, Donizetti vient          élisabéthaine de Ben Jonson (1572–1637),         pages symphoniques du drame verdien.           se conclut sur une magistrale gifle
de conquérir Paris, capitale du monde             The Silent Woman créée à Milan en 1810.          Dans cette œuvre charnière, il faut veiller    infligée par Norina. Le scandale fut à
musical du XIXe siècle. À cette époque            Le succès de l’ouvrage fut conséquent            à privilégier une interprétation qui           l’avenant lors de la création non pas
qui va de la mort de Bellini en 1835 à            pour rester au répertoire pendant plus           préserve la fraîcheur et l’humour              tant à cause du geste de théâtre que
l’émergence de Verdi, on peut même                de vingt ans et être repris à Vienne             caractéristiques d’une intrigue comique        parce que le rideau de la comédie se
dire que Donizetti a conquis l’opéra              en août 1842. Présent dans la capitale           entièrement conçue pour le plaisir             déchire pour nous donner à entrevoir
italien ; mieux, il vient là d’obtenir l’ultime   autrichienne durant les mois de mai et           de l’instant. Entre tradition et transition,   les glauques entrelacs des souffrances
consécration, à peine cinq années                 juin, Donizetti eut l’idée de faire fructifier   le compositeur donne la preuve de              humaines. D’ailleurs, son autoportrait
après un autre succès tout aussi                  cette tout aussi rocambolesque                   son talent protéiforme.                        ne fait aucun mystère sur le personnage :
éclatant, mais dans un autre genre,               qu’éternelle histoire et la confia à un                                                         « Je connais les mille façons de la fraude
avec Lucia di Lammermoor (1835).                  librettiste peu expérimenté, Giovanni                                                           amoureuse, les vices et les arts faciles
Cette année-là, il réussira même à
réitérer son exploit en composant coup
                                                  Ruffini (1807–1881), à tel point qu’il refusa
                                                  d’apposer son nom sur la page de garde           L’émancipation                                 pour enjôler un cœur (…) J’ai un caractère
                                                                                                                                                  bizarre, je suis prompte, vive, briller me
sur coup deux autres réussites, La Fille
du Régiment, le premier de ses opéras
                                                  de l’œuvre. Et l’histoire ne s’arrête pas
                                                  là puisqu’en 1932 l’écrivain Stefan Zweig        féminine avant                                 plaît, j’aime plaisanter. Si la colère me
                                                                                                                                                  prend, je me contiens rarement, mais
en français, et La Favorite, qui sera
donnée six cents fois à Paris avant
                                                  allait adapter lui aussi cette Femme
                                                  silencieuse de Ben Jonson pour permettre         la lettre                                      en rire je change vite ma fureur ».
                                                                                                                                                  Autrement dit : à bon entendeur…
la fin du XIXe. Également, malgré les             à Richard Strauss de composer Die
succès de Rienzi de Wagner et                     schweigsame Frau en 1935.                        Le travail de Donizetti a consisté aussi       Benjamin François est producteur à France Musique,
                                                                                                                                                  enseignant au Conservatoire National Supérieur
Nabucco de Verdi l’année précédente,                                                               à rendre plus actuelle cette histoire          de Musique de Paris et dramaturge de l’Opéra
deux œuvres où triomphe la puissance                                                               traditionnelle issue de la commedia            Orchestre national Montpellier Occitanie. Il vient
                                                                                                   dell’arte et dominée par Norina, figure        de signer Les 100 chefs d’œuvre de la musique
dramatique, le public de l’époque
continue d’apprécier la muse légère               Une musique                                      féminine aux antipodes des héroïnes
                                                                                                                                                  classique dans la collection « Pour les Nuls » aux
                                                                                                                                                  Editions First.
                                                                                                   souffrantes (Bolena, Stuarda, Elisabetta,
de l’opera buffa, veine dans laquelle
Don Pasquale s’inscrit directement et             entre tradition                                  Borgia…) du drame romantique et
qui n’a cessé d’irriguer la scène lyrique
depuis les farces « à la napolitaine »            et modernité                                     dernière héroïne d’une école allant
                                                                                                   de Serpina (La Servante maîtresse de
de Pergolèse (1710 – 1736) à Rossini                                                               Pergolèse) à Fiorilla (Le Turc en Italie
(1792 – 1868). Toutes ces œuvres ont              Esprit ingénieux, travailleur en diable,         de Rossini). Elle tient vaillamment
comme point commun une intrigue                   Donizetti ne souhaitait rien tant que            le rôle d’une jeune femme déjà éprouvée
légère et bien ficelée, des livrets mêlant        distiller quelques nouveautés de son             par la vie puisque veuve, pleine
intimement espièglerie et gravité, dans           cru, tout en servant – l’air de rien – au        d’une énergie vitale communicative
une ambiance musicale qui autorise                public les ritournelles qui avaient fait         et consciente des enjeux pour séduire
toutes les trouvailles. Au théâtre, il est        leurs preuves dans ses ouvrages                  l’homme qu’elle aime... et accessoirement,
notoire qu’il est tout aussi difficile de         antérieurs. Technique du « copié-collé »         refuser celui qui ne fait pas partie de
faire rire que de faire pleurer. Aussi ne         déjà éprouvée avant lui par Rossini,             son plan de vie. À la manière d’une sœur
pourrait-on soupçonner Donizetti                  grand recycleur devant l’éternel, et             de la Suzanna des Noces de Figaro de
d’avoir à peine forcé son talent pour             tous les compositeurs du baroque,                Mozart, Norina, dotée d’une tessiture
accoucher de Don Pasquale. Ce fameux              Vivaldi le premier ; très peu de monde           aiguë, parvient à faire valoir son droit
«naturel» partout loué de la dramaturgie,         dans le public en avait alors conscience.        à la liberté qu’elle acquiert à la force
L’action
                                                                                           dans la meilleure tradition napolitaine         leurs voix s’unissent dans un duo d’une
                                                                                           de Mozart jusqu’à Rossini – qui dresse          profonde nostalgie. C’est alors que
                                                                                           le contrat de mariage prévoyant le don          Pasquale sort de sa cachette avec
                                                                                           de la moitié de sa fortune. Ernesto, qui        Malatesta tandis qu’Ernesto disparaît.
                                                                                           vient saluer son oncle avant de partir,         Avec aplomb, Norina affirme qu’elle
                                                                                           entre et reconnaît Norina ; il risquerait       était seule ce qui provoque la colère
Par Benjamin François

                                                                                                                                                                                         9
                                                                                           de tout gâcher si Malatesta n’arrivait          de Pasquale qui donne toute latitude
                                                                                           à lui expliquer brièvement le stratagème.       à Malatesta pour régler l’affaire. Il veut
                                                                                           Mais dès que le mariage est prononcé,           répudier sa femme et surtout faire
                                                                                           la petite provinciale se révèle être            revenir Ernesto chez lui, l’autorisant à

ACTE I                                        à son neveu qui, voyant s’évanouir ses
                                              espoirs d’héritage, croit d’abord à une
                                                                                           une véritable petite peste, coquette,
                                                                                           tyrannique et effrontée. Elle exige
                                                                                                                                           épouser Norina. De plus, il l’assure
                                                                                                                                           d’une rente de 4000 écus par an. Il n’est
                                              mauvaise plaisanterie, puis s’effondre       de Pasquale, horrifié et furieux, qu’il garde   alors plus nécessaire de feindre :
L’action se situe à Rome. Le rideau se        en apprenant que Malatesta a fomenté         son neveu dans sa maison (et pour               Sofronia révèle sa véritable identité.
lève sur la maison de Don Pasquale,           ce plan diabolique. Il exprime son           cause !), fait doubler les gages des            La joie de se retrouver libre et tranquille
riche et vieux célibataire presque            chagrin tandis que Pasquale marmonne         domestiques, en embauche d’autres,              apaise vite la colère de Pasquale et,
septuagénaire. Son ami, le Docteur            dans le fond de la pièce. Au second          bref : régente toute la maison !                au cours du quatuor final, il accepte
Malatesta, veut le convaincre d’épouser       tableau qui se déroule dans la chambre                                                       que Norina devienne l’épouse d’Ernesto
sa sœur Sofronia dont il exalte les vertus.   de Norina, la fiancée d’Ernesto, la jeune                                                    et bénit le mariage de son neveu.
Don Pasquale accepte, gagné par un
étrange désir. Son geste est surtout
                                              femme exprime son caractère gai,
                                              franc et affectueux à travers la lecture     ACTE III                                        Dans un rondo final, la conclusion
                                                                                                                                           appartient à Norina.
dicté par la ferme volonté de déplaire        d’un roman. On vient lui apporter une
à son neveu Ernesto qui, allant contre        lettre d’Ernesto qui lui annonce qu’il       Les scènes de ménage continuent :
la volonté de l’oncle, aime Norina,           doit renoncer à leur projet de mariage       les domestiques s’affairent de la cave
veuve jeune et belle, mais sans fortune,      car il ne peut assurer son avenir.           au grenier pour obéir aux ordres
au lieu d’accepter le meilleur parti que      Malatesta entre bientôt pour lui expliquer   impérieux de leur nouvelle patronne.
lui-même lui destinait. Il peut ainsi         son plan diabolique et l’assurer que         Gros-Jean comme devant, Pasquale
chasser Ernesto, son unique héritier,         son mariage avec le jeune homme              n’a plus qu’à payer les factures.
s’assurer une descendance et priver           aura bien lieu comme prévu. Le temps         Sofronia, couverte de diamants, arrive
le jeune homme de son héritage.               presse, on ne peut mettre Ernesto au         même à gifler Pasquale qui, totalement
Malatesta survient, bien décidé de            courant et Norina se coule dans les          désemparé, lui interdit d’aller au théâtre
punir son ami de ses folies et lui décrit     habits d’une jeune provinciale timide.       avec Ernesto. Pasquale commence
sa sœur Sofronia comme une personne                                                        alors à songer à se débarrasser de
timide, ingénue jadis élevée dans un                                                       Sofronia qui, en partant, laisse tomber
couvent, Norina lui montre la lettre
désespérée d’Ernesto. Dans ce duo,            ACTE II                                      un billet, preuve d’un rendez-vous
                                                                                           galant avec Ernesto. Au comble du
la situation est analogue au deuxième                                                      désespoir, il fait appeler Malatesta
tableau du premier acte du Barbier            Nous nous retrouvons à nouveau chez          qui lui conseille de répudier sa femme
de Séville entre Figaro et Rosine :           Don Pasquale qui n’en peut plus              après l’avoir surprise en flagrant délit
Norina et Malatesta complotent contre         d’attendre sa promise. De son côté,          d’infidélité. Toute la maison se gausse
Pasquale : pour le tromper, Norina va         Ernesto exprime sa douleur de devoir         du ridicule de la situation. Dans un bref
jouer Sofronia, se laisser épouser –          renoncer à Norina et décide de s’exiler.     échange, Malatesta et Ernesto règlent
il n’y a heureusement rien de plus faux       Quand Sofronia arrive enfin, recouverte      les derniers détails du rendez-vous galant.
que ce mariage – et réduire ensuite           d’un voile et jouant la comédie à            Bientôt, Malatesta et Don Pasquale
le pauvre Pasquale au désespoir.              la perfection, Pasquale est ébloui par       se cachent tous deux dans le jardin.
Resté seul, le vieil oncle se réjouit         son charme et par sa modestie; il l’épouse   Ernesto y chante une sérénade pour
d’annoncer la nouvelle de son mariage         aussitôt devant un faux notaire –            Norina, et à l’approche de Sofronia,
Écho de la
                                                                                        et Norina à Colombine… – mais dans          et légèreté peu communes ?
                                                                                        une manière totalement nouvelle             N’annonce-t-elle pas les grandes
                                                                                        et laissant une très large place            pages symphoniques du drame
                                                                                        à l’innovation. Et ce, même si Donizetti    verdien ?

direction
                                                                                        ne résiste pas à réutiliser les passages
                                                                                        de son répertoire qui ont fait leurs          M.S.		 À mon sens, c’est une manière

                                                                                                                                                                                  11
                                                                                        preuves auprès du public comme                de se rapprocher d’une veine plus
                                                                                        ceux de L’Elixir d’amour, La Fille            tragique, comme dans Ermione où

musicale :
                                                                                        du régiment, La Favorite, de même             Rossini abandonne les recitativi secci
                                                                                        que Le Barbier de Séville ou                  pour leur privilégier les recitativi
                                                                                        La Cenerentola de Rossini. Dans ce            accompagnati (avec l’orchestre).
                                                                                        domaine, le crescendo-accelerando,            Quant à l’apparition de la valse, c’est

3 questions
                                                                                        une des marques de fabrique                   un de mes moments préférés car
                                                                                        les plus caractéristiques du maître           ce moment se passe avec le chœur.
                                                                                        de Pesaro figure en bonne place,              Contrairement à ce que l’on pourrait
                                                                                        ou bien cet ostinato si souvent répété        croire, ce n’est pas une valse viennoise,
                                                                                        avec ses formules statiques qui               j’y vois plutôt un hommage au style

à Michele
                                                                                        augmentent les sonorités et                   français car c’est une valse plus posée,
                                                                                        l’orchestration. Mais le crescendo            délicate, qui contredit ceux qui disent
                                                                                        donizettien se singularise par                que les orchestrations de Donizetti
                                                                                        la différenciation de la texture              sont faibles. D’ailleurs un des signes
                                                                                        harmonique qui se situe en-dessous            de cette grande qualité est que

Spotti
                                                                                        de la mélodie, ce qui le rend encore          Giuseppe Verdi reprendra à un âge
                                                                                        plus intéressant. De même que ses             déjà mûr l’orchestration de Donizetti.
                                                                                        conclusions ne sont jamais attendues.         Je trouve beaucoup de points
                                                                                        Je viens de diriger Le Barbier de Séville     communs entre Donizetti et le Verdi
                                                                                        à Saint-Etienne, et je ne peux                d’après 1885, alors que le maître
Propos recueillis par Benjamin François                                                 qu’observer sa similarité avec                de Parme était moins proche. Plus
le 18 janvier 2019                                                                      Don Pasquale. Mais il faut aussi              j’étudie la partition, plus je ne cesse
                                                                                        souligner que Don Pasquale a servi            de m’étonner que la partition de
                                                                                        de réservoir d’inspiration pour               Don Pasquale regorge d’analogies
B.F. Un critique à la plume acérée         dans l’orchestration géniale de              les opéras de l’avenir, avec cette            avec Falstaff.
a écrit lors de la création de Don         la partition par Donizetti et la gestion     omniprésence du tragi-comique
Pasquale à propos de la musique            au millimètre de la psychologie              aux mêmes moments, contrairement            B.F. Que dire de la vocalité des
de Donizetti qu’elle était « une musique   des personnages. La musique                  à Rossini qui ne parvient jamais à          rôles principaux et du belcanto en
nouvelle sur une canevas flétri ».         permet en effet de rendre leurs              la tragédie pure.                           général dans Don Pasquale ? En quoi
Effectivement, les emprunts sont           caractéristiques encore plus évidentes.                                                  consiste la tessiture de « basse bouffe »
nombreux, tant et si bien qu’on a parlé    Je note une utilisation de l’harmonie      B.F. En quoi cette musique est-elle           du rôle-titre ? Et la vocalité des
de technique du « copié-collé ».           pour souligner les émotions et états       « neuve » ? La plus grande nouveauté          rôles féminins ?
Egalement la partition reprend aussi       d’âme des personnages, notamment           ne consiste-t-elle pas en l’introduction
le fameux « crescendo-accelerando »        au troisième acte. Donizetti fait          d’une mélodie constante à la place              M.S.		 Les rôles de basse bouffe
qui est la marque de Rossini, ou bien      par ailleurs un usage très personnel       des récitatifs utilisés jusque-là ?             accordent généralement une grande
des onomatopées et des répétitions         des instruments solistes. Bien sûr,        Pourquoi les a-t-il abandonnés selon            importance au texte. À mon sens,
à effet comique.                           les racines de Don Pasquale sont           vous ? On observe aussi l’apparition            la puissance vocale du personnage
                                           à chercher dans la commedia dell’          de la valse dans cette œuvre. Enfin :           est secondaire, le texte doit être
  M.S.		 La nouveauté de la musique        arte italienne – Don Pasquale              comment décririez-vous l’orchestration          systématiquement mis en avant.
  de Don Pasquale est à rechercher         ressemble à son ancêtre Pantalon           donizettienne, à la vitalité mélodique          Si le chanteur prononce parfaitement,
Écho de la
si le public comprend bien ses paroles,
alors il arrive alors à sublimer
la particularité de cette écriture.
Le rôle de Don Pasquale est très

                                              mise en
particulier : dans son air initial, il doit
avoir des aigus impeccables (et même

                                                                                                                                   13
falsetto) tout en soutenant l’émission
vocale, à d’autres moments,

                                              scène :
il pratique le parlato comme dans
le finale du deuxième acte, tandis
que dans le duo avec le Docteur
Malatesta, il doit débiter son texte

                                              3 questions
à toute vitesse (canto sillabico).
C’est donc un rôle compliqué qui
n’est pas celui qui chante le plus,
il se fait largement voler la vedette
par Norina ; en fait, il n’existe pas

                                              à Valentin
de Don Pasquale vraiment parfait :
un chanteur à la voix très belle et très
puissante va se trouver un peu en
difficulté dans le registre aigu, un
chanteur à la diction irréprochable

                                              Schwarz
dans les passages parlato sera moins
bon dans la ligne vocale. Il faut donc
faire des compromis et trouver
la meilleure solution dans les chanteurs
qui cochent le maximum de qualités.
La vocalité féminine n’est pas simple         Propos recueillis par Benjamin François
non plus ! Norina est un personnage           le 18 janvier 2019
très jeune, talentueux, son rôle est
difficile car son air de la première
partie est très lyrique, sur le souffle,      B.F. Traditions et modernité :              de ce chœur très mélancolique.
dans la deuxième partie, elle se doit         avez-vous désiré conserver cette            Ce qui relève ouvertement de
d’être très agile tandis que dans             ambiance très commedia dell’ arte           l’héritage de la commedia dell’ arte
le Finale, elle doit encore beaucoup          dans le théâtre de ce Don Pasquale ?        est l’intrigue avec le quiproquo entre
donner. Pour moi, Norina est donc             Dans sa dramaturgie, Donizetti réutilise    les deux personnages féminins.
le rôle le plus compliqué de l’opéra.         des éléments traditionnels, mais il         J’ai effectivement choisi de garder
                                              émet une exigence qui va à l’encontre       cet élément grotesque et loufoque
                                              des habitudes de l’époque : il souhaitait   au centre de la mise en scène tout
                                              que ses chanteurs apparaissent sur          en prenant chaque personnage
                                              scène en costumes contemporains.            très au sérieux, quand bien même
                                              Etait-ce aussi votre souhait ?              une partie de son rôle tendrait vers
                                                                                          le comique. J’ai souhaité que ce
                                                V.S.		 Don Pasquale est le dernier        Don Pasquale se passe, non pas
                                                opéra du genre bouffe et c’est            dans un passé lointain, mais bien
                                                pourquoi il contient des aspects très     dans notre présent. Don Pasquale
                                                sombres ; on le voit bien dans le rôle    lui, est prisonnier de son passé :
il s’est construit son petit monde             Norina est à mes yeux une femme               vit dans ses rêves et ses désirs de
  bien à lui, une sorte de « cabinet             incroyablement moderne : elle décide          redevenir un jeune chevalier
  de curiosités » avec tout un                   de son propre chef de prêter main             puissant entouré d’admiratrices.
  microcosme personnel d’où il peut              forte à Malatesta, elle est une experte       Au contraire, son neveu Ernesto se
  tout contrôler de manière névrotique.          en intrigues sans qui les plans               meut dans un horizon beaucoup plus
  Mais dans le monde il est entouré              des personnages masculins sont                modeste et réaliste où il ne lui reste

                                                                                                                                        15
  de personnages modernes comme                  impossibles. Bien qu’elle n’a pas             pas d’autre choix pour survivre que
  son neveu Ernesto, un jeune homme              le rôle-titre, elle est bien le personnage    de se délivrer du carcan imposé par
  dépressif qui a planté sa tente dans           principal de cet opéra. C’est la raison       son oncle. Un autre personnage
  l’environnement de son oncle et doit           pour laquelle je ne veux pas en faire         me paraît central dans cet opéra :
  composer avec son autorité et                  une jeune fille ingénue et sans               c’est Malatesta. Nous en avons fait
  les minuscules libertés laissées               reproche, mais une jeune femme                un prêtre même si aucun membre
  vacantes. Et comme il ne parvient              pleinement consciente de son destin           du clergé n’aurait pu apparaître dans
  pas pour le moment à sortir de ce              et qui sait parfaitement tirer les ficelles   l’opera buffa historique. Mais il me
  carcan, il est sujet à des problèmes           pour affirmer sa place dans le monde          paraissait plus logique qu’il propose
  psychologiques ; heureusement,                 masculin qui l’entoure.                       ses bons offices à tous, même s’il ne
  sa libération viendra avec l’aide                                                            le fait pas de manière tout à fait
  de Malatesta et Norina.                      B.F. Comment voyez-vous                         désintéressée car il possède lui aussi
                                               les rapports entre les générations              son côté maléfique, le plaisir de
B.F. Justement les personnages                 dans cet opéra, avec le monde des               tirer les ficelles et de gouverner
féminins dans cette œuvre comme                pères (Malatesta, Don Pasquale) et              les consciences. En cela, je pense
Norina – avec cette scène très moderne         celui des enfants (Norina, Sofronia,            bien que l’opéra comporte bien deux
pour l’époque de la gifle qui a scandalisé     Ernesto) ? Pour vous, cet opéra n’est-il        niveaux d’interprétation : pas de
les contemporains de Donizetti                 que légèreté, une farce destinée                morale directe, mais la question
à l’époque de la création – son                à l’agréable distraction du public,             posée, à chacun d’entre nous, de
émancipation fait-elle sens dans votre         ou bien l’œuvre possède-t-elle un               la morale qu’il souhaite en retirer
mise en scène ? Bien entendu, vous             deuxième plan ?                                 pour lui-même !
devez composer avec le fait qu’une
simple gifle sur une scène aujourd’hui           V.S.		 Dans cet opéra, je note aussi
n’a pas la même force que cette même             une thématique avec tous ces
gifle assénée au XIXe siècle. Comment            personnages qui désirent être autre
avez-vous choisi de représenter cette            chose que ce qu’ils sont vraiment.
lutte entre les sexes qui se déroule             Ils vivent dans un monde de fiction :
sous nos yeux dans Don Pasquale ?                les illusions d’un vieil homme qui
                                                 rêve de redevenir jeune en prenant
  V.S.		 Je ne crois pas que le caractère        pour épouse une jeunette, les illusions
  provocateur de cette gifle repose              d’un jeune homme qui s’imagine
  dans son geste corporel, mais dans             ramener un peu facilement dans
  le fait que Norina piétine ainsi les plans     son giron une jeune femme.
  de Don Pasquale. C’est pourquoi j’ai           Ces illusions se voient, une à une,
  renoncé à une gifle donnée sur                 remises en question sans pour autant
  la scène, pour la remplacer par                que les rapports entre les générations
  la destruction d’un objet auquel               se durcissent. Les différents
  Don Pasquale attache une énorme                personnages poursuivent simplement
  importance. C’est ainsi que je montre          des idéaux différents, très personnels.
  que Norina met en pièces son monde             Don Pasquale est pour moi un lointain
  et son échelle de valeurs. En cela,            cousin de Don Quichotte parce qu’il
« Vite, vite,
                                                                          l’entend de Naples à Venise. Sur cette         une soprano rouée, pétillante, à mille
                                                                          scène paraissent des ouvrages le plus          lieues des reines et amantes vaincues
                                                                          souvent importés de la péninsule ;             qui hantent l’opéra « sérieux » ; une basse
                                                                          Don Pasquale, commandé exprès pour             bougonne, pliant sous le poids des ans

les diamants » :
                                                                          elle, fait exception, et témoigne de           et d’un foyer dont la maîtrise lui échappe.
                                                                          la gloire acquise par son compositeur          Ajoutez le ténor, amoureux pâmé devant

                                                                                                                                                                         17
                                                                          avec Lucie de Lammermoor (1839)                son espiègle promise, et le baryton,
                                                                          et La Fille du régiment (1840). Dans ce        complice du jeune couple qui aide

Donizetti
                                                                          dernier titre, Donizetti pliait son style      à duper le barbon : voici la recette
                                                                          aux exigences typiquement françaises           réduite à l’essentiel, celle que suit
                                                                          de l’opéra-comique, comme il le ferait         Donizetti dans Don Pasquale.
                                                                          pour le grand opéra avec La Favorite.          D’un côté le public, de l’autre la fable
                                                                          Il travaillait alors pour d’autres théâtres.   et ses acteurs ; pour tous, le musicien

orfèvre
                                                                          Aux « Italiens », qui avaient déjà repris      écrit sur mesure. À chaque rôle, il doit
                                                                          tels quels son Roberto Devereux                donner l’élan d’une vocalité qui séduise
                                                                          et son célèbre Elisir d’amore, il est          la salle, et entretienne l’étincelle
                                                                          comme chez lui.                                facétieuse du buffa. Commençons par
                                                                          Nulle part ailleurs, peut-être, le public      celle en qui s’incarne l’enjeu de la pièce :
Par Luca Dupont-Spirio                                                    n’attend moins l’aventure, musicale            Norina. Son charme qui ensorcèle à
                                                                          en tout cas. Loin de toute polémique,          la fois Ernesto et son oncle Pasquale,
                                                                          l’élite y vient oublier le souci des rentes,   et dont joue le metteur en scène
                                                                          des mariages et des honneurs sous              Malatesta, tient largement à la malice
                         Passions incarnées du théâtre,                   la caresse des mélodies, dans                  éclatante qui lui assure l’empire des
                         puissance occulte du chant : l’opéra             un dépaysement familier. D’abord               cœurs. Au premier acte, la scène 4 nous
                         est un alliage éruptif. Tremblez, dit            grâce au bel canto, « beau chant »             la présente lisant un roman de chevalerie
                         le forgeur, j’en ferai l’instrument de toutes    qui exalte la suavité de la ligne, la grâce    (« Quel guardo il cavaliere ») : cantabile
                         les révolutions ; par lui l’humanité             des ornements, l’agilité des vocalises.        innocent, notes égales qui s’élèvent
                         changera de mœurs et d’idéal.                    Ensuite grâce aux intrigues qui présentent     syllabe par syllabe pour retomber sur
                         Jouissez, dit l’orfèvre, en voici des colliers   souvent les mêmes types de personnages,        la fin du vers ; la rêverie naïve ne convainc
                         et des diadèmes ; puissent-ils augmenter         donc de voix, exprimant des passions           qu’à moitié. Et pour cause : son livre
                         l’éclat de vos fêtes, de vos bals.               ardentes, tendres ou comiques. Enfin           posé, la jeune veuve indépendante
                         La bourgeoisie et l’aristocratie parisiennes     par la magie d’une langue étrangère            révèle son vrai tempérament dans
                         qui en janvier 1843 se pressent                  et d’atmosphères dérobées au temps,            la cabalette, authentique traité de
                         à la création de Don Pasquale veulent            qui éloignent l’ennuyeuse réalité.             séduction (« So anch’io la virtù magica »).
                         jouir – « gioire », s’écriera plus tard          Avec Don Pasquale, Donizetti compose           Soudain les rythmes bondissent, la voix
                         la Traviata, âme de ce même Paris                le dernier chef-d’œuvre d’un genre             s’élance et scintille, enlace fins de
                         sous cette même monarchie de Juillet.            né près d’un siècle et demi plus tôt,          phrases langoureuses et vocalises
                         Le nom de Verdi n’est pas encore connu           l’opera buffa. Dès l’origine, on y traite      virtuoses, conquérant sans effort –
                         en France ; l’orfèvre du jour s’appelle          sur le ton de la comédie les joyeux            sans élan même – la cime des aigus.
                         Donizetti, qui a repris l’enseigne après         tracas de la vie domestique. Au milieu         Portrait d’une femme qui sait jouer de
                         la retraite précoce de Rossini et la mort        du XVIIIe siècle, Paris découvrant             tout pour tout dominer. Plus loin (acte II,
                         prématurée de Bellini. On l’aura compris :       La serva padrona de Pergolèse bascule          scènes 3 à 5), sa présentation à Don
                         il faut un transalpin dans la capitale.          dans la querelle des Bouffons, furieuse        Pasquale verra des procédés semblables
                         Non seulement parce que l’Italie                 bagarre entre mélomanes italophiles            suggérer d’une part la niaiserie feinte,
                         a toujours eu le secret de l’art lyrique,        et défenseurs de la muse française.            d’autre part, en aparté puis au grand
                         mais parce que Paris le cultive, au              Déjà cette Servante maîtresse réunit           jour une fois le mariage conclu, la rouerie
                         Théâtre Italien justement, tel qu’on             deux caractères emblématiques :                magistrale qui dispose avec la même
aisance des hommes, du foyer et des             la chanson « Com’è gentil » (III, 6), où          scénique. Déjà lors de la création,             eux, commentent la scène de la gifle.
fusées mélodiques. S’étonnera-t-on              celui-ci désormais associé à la farce             Théophile Gautier louait le légendaire          L’ironie n’est pas en reste.
à l’acte III de retrouver tant de brio,         feint de soupirer encore, est une merveille       Luigi Lablache, premier interprète du           Or, plus on veut rire, plus il faut de fous.
si grisant pour les oreilles, dans la scène     de verve populaire, mêlant l’ivresse              barbon, « représenté par [lui] de la            On l’a vu : hormis dans la partie d’Ernesto,
de la gifle ? On en oublierait presque,         d’une phrase chaloupée à celle d’un               façon la plus ébouriffante […] On ne            les airs sont rares, et souvent brefs.
sous le stratagème et l’artifice, la nature     rythme obsédant, repris par les « la, la »        saurait mettre dans un rôle plus de             L’effervescence joyeuse de Don Pasquale

                                                                                                                                                                                                 19
intime de Norina : cette bonté, cette           du chœur. L’esprit folklorique renforce           gaîté, plus de verve, plus d’invention          tient à une trame qui ne souffre aucun
tendresse qui reprennent le dessus              l’onirisme du rendez-vous nocturne,               et en même temps plus de naturel et             temps mort, pousse les uns vers les
lorsqu’elle évoque avec Malatesta               lequel n’est que fiction dans la fiction ;        de vérité que M. Lablache n’en met              autres des personnages sans cesse
(I, 5, « Pronta son io ») son souci ultime :    le spectateur, qui traverse ces différents        dans Don Pasquale […] [Celui-ci] perdrait       réunis dans des duos, trios et quatuors.
« l’amour du bien-aimé ».                       degrés du rêve, n’en demandait pas tant.          sa voix qu’il serait encore un des acteurs      Autant d’ensembles qui créent
Encore celui-ci serait-il bien désarmé          Le beau chant, toutefois, ne fait pas             les plus remarquables d’aujourd’hui ».          l’atmosphère chorale de l’opéra – un tour
sans le génie de sa maîtresse. Le jeune         tout ; encore faut-il que l’intrigue vibre.       On ne saurait toutefois sous-estimer            de force pour une pièce à quatre ! –,
couple illustre ce qui semble un principe       C’est ici qu’intervient un autre rôle             la part du chanteur. À elles seules,            en même temps qu’ils en soutiennent
de l’opera buffa : soprane, règne et            traditionnel : celui du baryton complice,         les cabalettes exigent de lui une émission      la tension tapageuse. Le chœur, dont
conquiers ; ténor, sois beau ou tais-toi.       qui assiste les amants et mène la danse.          aussi agile que généreuse, le tout              les deux numéros s’inscrivent en marge,
Va pour le beau. Incapable de ruse,             À cet égard, Malatesta rappelle                   dans la nuance du clin d’œil : « Un foco        en guise de transition, s’exclame
Ernesto n’est que flamme et candeur.            furieusement Figaro, célèbre barbier              insolito » de l’acte I où bonhomie              justement : « quel interminable
Chez lui le bel canto se décline en ces         de Séville immortalisé par Rossini ;              du registre grave et lyrisme de l’aigu          va-et-vient ! » Certes, Donizetti peut unir
mélodies sensuelles, longues de souffle         son histoire, certes, est fort proche             alternent dans un même souffle,                 les voix avec une grâce digne de Bellini :
et chaudes de ton, propres à faire chavirer     de celle qui nous occupe. Le Docteur              « Aspetta, aspetta » de l’acte III où           rendez-vous au duo nocturne des amants
les âmes. Écarté d’une intrigue écrite          n’a qu’un vrai moment lyrique pour                des motifs semblables débouchent                (III, 6, « Tornami a dir che m’ami »), dont
par Norina et Malatesta aux dépens              lui seul, le charmant « Bella siccome             sur l’élocution virtuose évoquée plus           les souffles s’étreignent dans une phrase
de Don Pasquale, il est le seul à obtenir       un angelo » : juste assez pour faire valoir,      haut, au sujet de Malatesta. Mais par-delà      irrésistible, infinie, jusqu’à chavirer
trois moments solistes ; tous ont pour          au début de la pièce (I, 2), les qualités         ces morceaux à l’élan implicite, le basso       ensemble après le mot « tremo » –
thème l’amour malheureux ou languissant.        du chanteur, lequel n’existe ensuite qu’au        buffo – lui-même héritier d’une riche           « je tremble ». Mais le ton principal
Le premier, « Sogno soave e casto » (I, 3),     contact des autres personnages.                   tradition – doit encore inventer. À la fois     est celui qui culmine dans le quatuor
adopte une ligne toute en liaison,              Pour autant, Malatesta ne manque                  comptable de ses propres intérêts et            de l’acte II, point d’orgue de l’ouvrage
accompagnée par une clarinette et               pas d’adresse vocale dans les nombreux            dupe d’un scénario pensé par d’autres,          et sommet du genre. Après la menace
des violoncelles émus, abandonnée               ensembles – duos, trios, quatuors – où            Pasquale calcule, raisonne, délibère            adressée par Norina à Pasquale,
à la seule tendresse. La présence de            il partage les mélodies des protagonistes;        seul ou en dialogue, ce qui lui vaut            Malatesta commente la stupeur de ce
Pasquale ne fait que ponctuer, et               Donizetti exige même de lui, en réponse           des kilomètres de texte sans envol              dernier (« È rimasto là impietrato »)
la seconde partie, animée par la trahison       à Don Pasquale, ce débit vertigineux              mélodique. C’est le chant dit parlando,         sur une mélodie rêveuse doublée
apparente de Malatesta (« Mi fa il destin       qui projette sur la même note une dizaine         qui peut se réduire à un simple recto           par les violons, bientôt reprise par
mendico»), expose davantage la bravoure         de syllabes par seconde (III, 5, « Aspetta,       tono – tout sur la même note : tel est          Ernesto et son amie qui se demandent
de l’interprète, sur des aigus à l’accent       aspetta, cara sposina »). Sa présence             d’ailleurs son langage lorsqu’il apparaît       justement s’ils assistent à un songe.
passionné. Le second air, « Cercherò            va au-delà : maître du jeu, doté toujours         au début de l’opéra (« Son nov’ore »),          Lyrisme augmenté par l’entrelacement
lontana terra », ouvre l’acte II dans un        d’un longueur d’avance, il impose les             ou encore lorsqu’il lamente son sort            des voix et le déploiement de l’orchestre ;
registre encore plus accablé : prêt à l’exil,   changements de tempo et d’affect qui              après la gifle de Norina (III, 2, « È finita,   la ligne abattue de Pasquale, brisée
Ernesto chante une mélodie aux notes            animent le reste du plateau.                      Don Pasquale»). L’interprète doit déployer      par l’émotion, y apporte un contrepoint
tantôt répétées comme un glas, tantôt           Car là est le nerf de la comédie : faire          alors des trésors de couleur, d’esprit          saisissant. La fièvre reprend ses droits
tombantes comme ses forces abattues.            tourner en bourrique ce pauvre Pasquale,          et de diction. L’orchestre en profite pour      quand Norina attise encore l’indignation
Mais la perspective de voir au moins            « vieux fou », comme le décrit Norina             décrire le personnage, par ces phrasés          de son époux, et l’épisode s’achève
Norina heureuse relance le rythme               (« vecchio matto », II, 3), mais si attachant !   à la chaleur bourgeoise, ces rythmes            sur une course frénétique lancée par
et revigore le trait dans le tempo vif          Des quatre rôles en présence, il demande          enjoués sur lesquels des bois mutins            celui-ci (« Son tradito »). Verbe explosif,
de la cabalette (« E se fia ch’un altro         sans doute l’équilibre le plus subtil             répondent à des basses friponnes ;              réponses en fusées, tempête au plateau
oggetto »). Troisième solo du ténor,            entre éloquence vocale et présence                les sanglots pathétiques des violons,           comme en fosse : dans le sillage Rossini,
L’opéra bouffe,
l’un des plus grands finales jamais           répondre à sa commande : « vite, vite,
écrits. Cet esprit enjoué, festif, relie      les diamants » !
la tradition de l’opera buffa… au goût
parisien. Pourquoi un tel succès, en          Diplômé du Conservatoire de Paris, professeur

                                                                                                     une autre scène
                                              agrégé de musique, Luca Dupont-Spirio a enseigné
1843, pour une histoire d’un autre siècle, au Conservatoire de Bobigny ainsi qu’aux universités
aux ressorts usés ? Les costumes              de Rouen et Poitiers. Créateur avec Vincent Dumestre

                                                                                                                                                                                                 21
                                              du Concours Corneille, événement international
contemporains voulus par Donizetti,           dédié à la musique baroque, il en dirige les trois
franchement anachroniques, heurtaient premières éditions. Également journaliste, il collabore
aussi bien la presse que les interprètes ; à la revue Classica puis à Diapason. Depuis 2018,
                                              il est responsable des relations internationales au
le genre buffo lui-même avait vécu,           Conservatoire de Paris, et enseigne ponctuellement     Par Marguerite Haladjian
et s’éteindrait peu après. Pourtant,          à l’Université catholique de l’Ouest (Angers).
quelle musique reflète mieux cette
monarchie de Juillet qui voit
la bourgeoisie triompher, et l’éclairage                                                             Lors de la création Don Pasquale,               (L’Étoile, 1877), Verdi (Falstaff, 1893),
au gaz transformer Paris en Ville                                                                    chef-d’œuvre bouffe de Gaetano Donizetti,       Poulenc (Les Mamelles de Tirésias,1947)
Lumière ? La légèreté entame son                                                                     le 3 janvier 1843 au Théâtre Italien à Paris,   ou Georges Aperghis (Les Boulingrins,
âge d’or. Déclinante dans les années                                                                 le genre a déjà connu depuis le XVIIIe          2010) useront à leur tour du vocabulaire
1820 après un premier élan au tournant                                                               siècle ses heures de gloire. Placé sous         bouffe pour nourrir leur imagination
du siècle, la valse revient pour de bon                                                              le signe de la légèreté qui allie la verve      créatrice et l’écriture de leurs œuvres.
avec Johann Strauss père et son                                                                      comique et l’esprit joyeux, ce nouveau
orchestre, dont la tournée parisienne                                                                registre lyrique s’est emparé des sujets
de 1837 résonne jusqu’à Don Pasquale.
Ce dernier se sent-il brûler de désir
                                                                                                     et des situations de la vie quotidienne
                                                                                                     pour constituer un opéra populaire              De l’opera seria
(« Un foco insolito ») ? Il valse.
Veut-il jouer un tour («Aspetta, aspetta»)?
                                                                                                     que des compositeurs virtuoses tels
                                                                                                     Pergolèse, Paisiello, Cimarosa, Haydn,          à l’opera bouffa
Encore. Se morfond-il après la gifle                                                                 Mozart, Rossini et Donizetti ont célébré.
(« È finita ») ? Une valse triste, que Norina                                                        Dans ses œuvres bouffes, le compositeur         Au milieu du XVIIIe siècle, la musique
magnifie avant d’enchaîner sur une autre,                                                            de Don Pasquale a su manier la mélodie          baroque atteint son apogée au diapason
décidément espiègle (« Via, caro                                                                     sur un mode comique comparable à celle          de l’évolution de l’opéra italien dont
sposino »). Le début du fameux quatuor                                                               de Rossini en accordant la primauté             la prédominance semble incontestable.
(« È rimasto là impietrato ») rêve de valse,                                                         à la voix, en exploitant les possibilités       En un peu plus d’un siècle et demi,
et c’est toujours à trois temps que                                                                  de formes et de styles renouvelés du            les successeurs de Monteverdi
le chœur commente les remous de                                                                      vieux maître. Les recettes époustouflantes      (1567 – 1643) dont Cavalli (1602 – 1676),
la maison (« Quel nipotino guasta-                                                                   et les techniques seront empruntées             Cesti (1623–1669), Legrenzi (1626–1690),
mestieri »). Offenbach a bientôt un quart                                                            par nombre de compositeurs à la suite           puis Alessandro Scarlatti (1660 – 1725),
de siècle, La Vie Parisienne attendra                                                                de Rossini, crescendo / accelerando,            Caldara (1670–1736), Vivaldi (1678–1741),
aussi longtemps, mais déjà tout tourne,                                                              rythmes fondés sur la scansion,                 Porpora (1686 – 1725), ont développé
tourne, tourne, tout danse, danse,                                                                   la répétition, l’énumération, un procédé        le drame lyrique dont le prestige
danse… Donizetti, Strauss, Offenbach :                                                               que Mozart avait déjà utilisé dans Don          a rayonné sur toute l’Europe, de Naples
autant d’étrangers venus nourrir une                                                                 Giovanni et dans Cosi fan tutte qu’on           à Venise, de Vienne à Madrid, les cours
capitale qui se veut le centre du monde,                                                             retrouvera dans Le Barbier de Rossini.          allemandes à leur tour ont accueilli
et accueille tout ce qui accroît son                                                                 Certaines des formules du bouffe dans           ce théâtre musical. Dresde deviendra
ivresse. Tour à tour brillant et blagueur,                                                           la lignée de Don Pasquale seront reprises       avec John Adolf Hasse (1699 – 1783)
l’orchestre se mêle à la fête, et                                                                    par Richard Strauss, intégrées dans son         la capitale de l’italianisme en Allemagne
les interventions du chœur sonnent                                                                   langage musical pour Ariane à Naxos             et Hambourg la première scène lyrique
comme un éclat de rire. D’un bout                                                                    (1916) ou La Femme silencieuse (1935).          où Telemann fit représenter en 1725
à l’autre, le musicien-orfèvre semble                                                                D’autres compositeurs tels Chabrier             son intermède bouffe Pimpinone.
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