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CHASSE, NATURE & SOCIÉTÉ 2040 LETTRE Nº3 DEMAIN, LE SAUVAGE DANS LA RELATION HOMME/ANIMAL QUELS ENJEUX POUR LA CHASSE ?
LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 AVANT-PROPOS 1 L ES RELATIONS HOMME/ANIMAL AU COURS DE L’HISTOIRE Une relation historiquement fondée sur l’utilitarismeP.6 P.4 3 LA SOCIÉTÉ ACTUELLE ET LA CAUSE ANIMALE Les Français de plus en plus préoccupés par le bien-être P.26 Nous arrivons à la lettre n°3 relatant les travaux de réflexion prospective menés par la Fondation François Sommer sur les paramètres qui vont commander l’évolu- de questionnement n’était pas le moins du monde d’actualité. On chassait parce que c’était un droit de l’Homme – d’ailleurs reconnu par la Révolution française qui Le renforcement de la distinction entre animal de compagnie, des animaux d’élevage P.28 tion de la chasse en France d’ici 2040. avait assuré la victoire des droits de de rente et sauvage entre 1800 et 2000 P.7 Cruauté, maltraitance, bien-être animal : de quoi parle-t-on ? P.30 l’Homme – un point c’est tout. Il y avait, au À l'horizon 2040, l'animal de compagnie devient la référence Trois grands cadres moraux : « écologisme », « bien-être animal Dans la lettre n°1, nous avons passé en lendemain de la guerre, deux millions et pour les relations homme/animal P.8 ou welfarisme », « animalisme » P.32 revue tous les paramètres qui ont trait à demi de chasseurs en France (il n’y en a l’environnement physique dans lequel on jamais eu autant à aucune autre époque La question animale : plus cloisonnée ou plus globale ? P.9 Quels impacts pour la chasse ? P.35 chasse. Nous avons évoqué la question de l’histoire de France). Et ceux qui ne Quelques penseurs repères du rapport à l'animal P.10 préoccupante du climat. Puis nous avons chassaient pas n’y voyaient rien à redire. Homme et animal au prisme de trois approches La chasse, une histoire ancestrale du rapport à l'animal P.12 P.14 4 QUELLES CONSÉQUENCES POUR LA CHASSE ? Chasse et éthique : les termes du débat P.36 P.38 exploré les facteurs d’évolution des espaces (urbanisation, agriculture, forêts…). Enfin nous nous sommes interrogés sur la ques- Tout a changé il n’y a guère plus de deux décennies – ce qui, à l’échelle de l’histoire 2 tion cruciale et presque imprévisible des de l’humanité, est de l’épaisseur d’une LE RAPPORT P.16 Chasse et cause animale : les enjeux P.39 écosystèmes. feuille de papier à cigarette. Des concep- AU MONDE SAUVAGE Les modes de chasse et leur acceptation sociétale P.41 tions idéologiques nouvelles, prenant Anthropomorphisme des représentations de l'animal sauvage P.18 Dans la lettre n°2, nous avons traité des appui sur l’évolution des mœurs décou- Et le rapport à la mort ? P.42 paramètres sociétaux. Nous avons exploré lant de la vague urbaine, ont lancé une Quel avenir pour le sauvage ? Propos d'experts P.19 Pourquoi chasser ? P.44 les perspectives d’évolution de la popula- vision révolutionnaire des relations entre Demain, un « sauvage » de plus en plus administré ? P.20 tion de la France. Nous avons constaté l’homme et l’animal. Le bien-être animal Vers une reconnaissance des droits… qu’il n’y aurait plus une mais des ruralités devrait désormais s’imposer à tous comme de la nature et des écosystèmes ? P.21 LE VIVRE ENSEMBLE EN 2040 : P.46 assez différentes. Nous avons observé que une conquête essentielle. La chasse n’étant L'animal dans le droit P.22 UNE SOCIÉTÉ D’EXCLUSION les activités de loisirs seront de plus en pas compatible avec cet impératif devrait, Le loup, archétype des enjeux de cohabitation avec le sauvage P.24 OU DE TOLÉRANCE ? plus présentes dans la nature selon des selon eux, disparaître. modalités qui ne manqueront pas d’inter- férer avec la chasse. Nous avons souligné Afin d’éclairer ce débat, la lettre n°3 que les chasseurs, moins nombreux, moins propose une revue des idées qui, hier et ruraux, allaient avoir des motivations aujourd’hui, ont éclairé le rapport entre AVERTISSEMENT différentes, d’autant que les jeunes géné- l’homme et l’animal. Elle suggère rations auront des comportements et des quelques éléments de réflexion sur les Cette troisième lettre propose une approche différente des précédentes. En effet, le sujet choisi porte autant sur les représentations que sur les réalités et les questions éthiques, attentes souvent très éloignés des pratiques principes qui devraient orienter à l’avenir ce qui rend toute démarche « cognitive » ou de connaissance difficile, notamment dans traditionnelles de la chasse. l’éthique de la chasse. le monde contemporain où dominent une certaine relativité des positions (crise du progrès, de la vérité, des institutions, progression de la défiance) et une contextualisation des analyses (la pertinence des propos dépend du contexte, de la culture, du territoire…). La lettre n°3 traite des paramètres moraux. Philippe Dulac L’analyse « objective » est presque impossible. En conséquence, le présent travail Pendant des siècles, on ne s’est posé Président de la Fondation de prospective est organisé de manière différente : nous sommes amenés à exposer aucune question morale sur le thème de François Sommer pour la des points de vue différents et il ne sera question des impacts des transformations pour la chasse et ses pratiques que dans les dernières parties de la lettre. la chasse. Au surplus, la chasse était un Chasse et la Nature thème d’inspiration majeur pour les artistes de toutes les disciplines, de sorte qu’elle tenait une place éminente dans l’expression de la civilisation. Chasser consiste-t-il à faire le bien ou le mal ? Le simple énoncé de cette question eut paru saugrenu à tout le monde jusqu’à un passé très récent. Quand j’ai commencé à porter le carnier de mon père en 1948, ce genre Enluminure (1405-1410) du Livre de chasse de Gaston Phébus (composé entre 1387 et 1389) 3
1 LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 L'HISTOIRE DES RELATIONS HOMME/ANIMAL L’idée que l’on se fait de l’animal conditionne largement les relations avec lui et les utilisations que l’on s’autorise à en faire. La question « qu’est-ce qu’un animal ? » ne peut être écartée, sachant que les regards au sein de la société apparaissent aujourd’hui de plus en plus divers et conflictuels. L’enjeu n’est pas tant la définition du propre de l’homme ou de l’animal que l’appréciation de la distance qui existe entre eux. Depuis les débuts de la domestication, les rapports entre les hommes et les animaux n’ont cessé d’évoluer et de se complexifier. La relation à l’animal devient de plus ambivalente : déléguée pour l'animal de rente, impliquante pour l'animal de compagnie, abstraite et idéalisée pour l'animal sauvage. Et les espèces peuvent, en fonc- tion des situations, relever du registre du sauvage, de l’animal de rente ou de compagnie (nouveaux animaux de compagnie : écureuil, fouine, fennec, marmotte, cochon…). 5
LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 UNE RELATION HISTORIQUEMENT LE RENFORCEMENT DE LA DISTINCTION FONDÉE SUR L’UTILITARISME ENTRE ANIMAL DE COMPAGNIE, DE RENTE ET SAUVAGE ENTRE 1800 ET 2000 Source : FranceAgriMer. Source : Dittgen Alfred, « L’évolution de la population de la France de 1800 à 1945 », Évolution de la consommation totale de viande en France Évolution des populations urbaine et rurale entre 1806 et 1946 in La Population de la France. Évolutions 96 (dans le territoire français actuel) démographiques depuis 1946, Bordeaux : Toutes viandes confondues CUDeP (Conférence universitaire 30 de démographie et d’étude de la population), 94 2005, p. 12. 92 25 90 20 Millions d’habitants kg/hab* 88 15 86 10 84 5 Urbains 82 Ruraux 80 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 5 6 7 8 9 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 199 199 178 180 182 184 186 188 190 192 194 196 199 199 199 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 20 Année * kg d’équivalent carcasse par habitant et par an Année Le rapport à l’animal d’élevage et à l’animal urbaine française dépasse la population Les populations occidentales urbanisées sentés par des espèces emblématiques, domestique a toujours reposé sur l’utilita- rurale ; voitures et chemin de fer an- délèguent totalement l’acte de production souvent exotiques, envers qui les humains risme : satisfaire des besoins humains, se noncent la fin de la présence des chevaux en alimentaire et le rapport à l’animal en entretiennent des rapports paradoxaux. nourrir, s’habiller, être accompagné, ville. Dans la foulée, pour des questions général. La distinction s’est ainsi accen- En effet, les relations directes des indivi- protégé, etc. Cette vision s’est accompagnée, d’hygiène, de rentabilité et de confort, les tuée entre1: dus avec ces animaux sont exceptionnelles, à certaines périodes de l’histoire, d’une abattoirs sont regroupés et éloignés des et relèvent de contextes très encadrés dimension sacrée; l’animal a ainsi été asso- centres urbains. - les animaux domestiques et de compa- (zoos, cirques), ces animaux étant avant cié aux divinités dans certaines civilisations. gnie2, pour lesquels les frontières avec tout connus au travers de documentaires Cette représentation a progressivement Parallèlement, la consommation de viande, l’humain sont de plus en plus ténues (en et de fictions. Pourtant, ces animaux disparu à l’époque moderne, l’animal jusqu’alors plutôt réservée aux riches, se termes de droits et de devoirs, d’investis- suscitent à la fois fascination et idéalisa- étant avant tout considéré comme une démocratise: elle passe de 40 kg par Fran- sement financier, d’empathie…). Ils sont tion, leur protection est considérée ressource et un outil au service d’une çais et par an en 1910 à 94 kg en 1998¹ considérés par une part majeure de leurs comme une nécessité. population croissante. avant de redescendre à 86 kilos en 2017. propriétaires comme « des membres de la famille » (67% des propriétaires de chiens - au contraire, d’autres espèces sauvages Ce mouvement s’est accentué en Europe les considèrent comme leur alter ego), sont considérées comme « nuisibles », car depuis le début du XXE siècle. L’urbanisa- envahissantes et/ou menaçantes. L’exten- tion, l’essor de l’industrie puis des activités - les animaux d’élevage, regroupés dans sion des surfaces utilisées par l’homme de services ont entraîné un éloignement des élevages toujours plus grands et éloi- pour son habitat et son activité a entraîné En France, la fête de l’ours a encore lieu progressif des individus avec les animaux gnés des villes, mais qui font l’objet de une croissance des concurrences pour les chaque année dans trois villages du Haut d’élevage, mais aussi avec les animaux préoccupations croissantes quant au bien- usages des espaces avec les animaux Vallespir, dans les Pyrénées-Orientales. sauvages. Ainsi, dès 1930, la population être animal, les animaux sauvages repré- sauvages3. 1. « L’ambivalence des https://www.erudit.org/ 2. Depuis 1980, le nombre compagnie. On compte millions (contre 8,2 3. https://journals. relations humain-animal », fr/revues/socsoc/2010- d’animaux de compagnie aujourd’hui 13,5 millions millions en 1996). openedition.org/cdg/1057 Emmanuel Gouabault et v42-n1-soc- a doublé en France, pour de chats, soit une hausse À l’horizon 2030, si les Claudine Burton-Jeangros. soc3861/043967ar/ atteindre près de 63 de 3,5 millions en 10 ans tendances actuelles 1. FranceAgriMer, « Impact des comportements revue Sociologie millions en 2016, un record (et de 5 millions se poursuivent, la France de la crise économique alimentaires », Les et sociétés, Volume 42, en Europe. Aujourd’hui, en 20 ans). Parallèlement, pourrait compter sur la consommation synthèses de FranceAgri- Numéro 1, printemps 2010, un foyer sur deux possède le nombre de chiens est 17 millions de chats, contre 6 de viandes et évolutions Mer, n° 21, juin 2015. p. 299–324. au moins un animal de passé de 9 millions à 7,3 5,5 millions de chiens. 7
LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 L'HISTOIRE DES RELATIONS HOMME/ANIMAL À L’HORIZON 2040 LA QUESTION ANIMALE : L’ANIMAL DE COMPAGNIE DEVIENT LA RÉFÉRENCE PLUS CLOISONNÉE OU PLUS GLOBALE ? POUR LES RELATIONS HOMME/ANIMAL La répartition des animaux en trois grandes catégories (sauvages, d’élevage, domestiques) structure l’ensemble des relations que la société entretient avec eux. Ainsi, chaque catégorie possède des professionnels dédiés (éleveurs, vétérinaires…), des corps administratifs (ministère de l’Agriculture, ministère de l’Environnement…). Il peut résulter un cloisonnement et un éclatement toujours plus marqué des problématiques. Le mouvement de progression du sensible et la connaissance du comportement animal contribuent-ils à réduire rapidement dans nos représentations la distance homme- animal ? Entrons-nous dans une Quatre facteurs contribuent au rappro- ment des préoccupations du « bien-être vite du tressaillement intérieur au boule- période de continuum et de logique chement, voire à l’effacement progressif animal » à l’instar de la définition des versement des foules. « La foule sentimen- floue ? Le cadre juridique à long dans les représentations des contempo- objectifs finaux de la santé humaine. tale » annoncée dès 1993 par Alain terme concernant les animaux rains, entre les distinctions qui s’étaient Ce mouvement étant renforcé par le Souchon pourrait devenir notre quotidien. (y compris sauvages) sera-t-il amené Moutons sur les Champs-Elysées, durant l’opération renforcées depuis deux cents ans: mouvement de « socialisation » des à évoluer ? « Les Champs-Elysées passent au vert », Paris, mai 2010 émotions des individus notamment via les – Le retour de la présence de l’animal – L’évolution de la connaissance scienti- réseaux sociaux. Ce qui est à l'œuvre sauvage notamment en milieu périurbain, Aujourd’hui, l’animal n’existe juridi- Dans tous les cas, le statut d’animal a de moins en moins de droits sur fique, éthologique, qui reconnaît à dehors se manifeste désormais dans notre avec l’extension de nos villes. quement que par rapport au regard sauvage, domestique ou de rente, n’est l’animal et de plus en plus de devoirs. diverses espèces des capacités et sensibili- sensibilité intérieure, avec un retentisse- que porte sur lui l’homme. Sont ainsi pas lié à l’espèce: il peut varier selon 2) La suppression ou réduction dras- tés significatives (en fonction des espèces: ment psychologique parfois supérieur aux distingués, avec des variations les individus, leur localisation et leurs tique de certains usages, considérés conscience individuelle chez les grands événements du quotidien. L'émotion en fonction des textes : animaux relations avec les humains. Des comme intolérables sur le plan éthique: primates, éléments culturels transmis, socialisée devient clef pour comprendre de compagnie, animaux apprivoisés, individus appartenant à des espèces animaux de recherche, certains capacité d’abstraction…); les transformations de la politique ou des animaux d’élevage, animaux en capti- sauvages peuvent ainsi s’apparenter animaux en captivité comme les médias, pourvoyeurs et relais de sensa- vité (espèces « sauvages » en captivité), à des animaux domestiques (singes, animaux de cirque. – Une anthropomorphisation croissante tions, d'exaltations ou de malaises. animaux destinés à la recherche, écureuils…). de l’image de l’animal dans nos sociétés Cette émotion socialisée devient ainsi une animaux sauvages. En France, c’est (animal de compagnie devenu « membre force politique, qui peut être manipulée, l’usage que l’homme fait de l’animal LA DISTINCTION (JURIDIQUE, de la famille », imaginaire de l’animal orientée… Les mouvements collectifs qui entraîne son classement dans telle CONCEPTUELLE, DE REPRÉSENTATIONS) sauvage autour d’animaux embléma- reposent de plus en plus sur l’agrégation ou telle catégorie juridique. Ainsi, ENTRE ANIMAL DE COMPAGNIE, tiques assimilés à des humains…); des ressentis individuels (notamment sous l’animal, tel qu’il est saisi par le droit DOMESTIQUE ET DE RENTE, SAUVAGE l’effet des réseaux numériques), autour français, a toujours été polymorphe. S’EFFACERA-T-ELLE À LONG TERME ? – Une progression séculaire de la sensi- d’une émotion partagée, d’une indigna- En fonction des catégories, c’est bilité1 et sa son apport bénéfique à la tion, d’une cause médiatisée à partir de l’espèce ou l’individu qui est concerné. Deux scénarios semblent se dessiner : cause animale notamment le développe- faits supports d’émotion. On passe très On notera qu’en la matière, 1) Celui d’une suppression de ces le code civil, le code de l’environne- distinctions avec l’émergence d’un statut ment, le code rural, le code pénal… unique pour l’animal, avec des « droits » ne sont pas alignés. propres, qui signifie que l’homme 1. Cf : « En 2050, le Futuribles, 2018. https:// triomphe du sensible ? », www.futuribles.com/fr/ par Georges Vigarello, document/en-2050- 8 Rapport Vigie, le-triomphe-du-sensible/ 9
LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 QUELQUES PENSEURS REPÈRES DU RAPPORT À L’ANIMAL PLUTARQUE (46-125) RENÉ DESCARTES (1596-1650) KONRAD LORENZ (1903-1989) ÉLISABETH DE FONTENAY (1934) « Aucune bête n’est plus sauvage « Les bêtes n’ont pas seulement moins « Ce n'est pas en dépit de ces faiblesses, « On devrait pouvoir aller le plus loin qu’un homme possédé par la puissance de raison que les hommes, elles n’en ont mais à cause d'elles, que l'homme est possible dans la défense du droit de sa rage. » point du tout . » devenu supérieur aux animaux. La des animaux sans pour autant offenser perte des instincts, de ces les humains. » « Si tu veux t’obstiner à soutenir que In Lettre à Morus, 5 février 1649 structures fixes qui déterminent le plus la nature t’a fait pour manger telle « Nous avons un devoir d’humanité envers « Je sais bien que les bêtes font beaucoup clair du comportement animal, viande, tue-la donc toi-même le premier les bêtes. Parce que nous tenons à notre de choses mieux que nous, mais je ne était une des conditions préalables comme font les loups, les ours et les merci ces vies vulnérables et muettes nous m’en étonne pas; car cela même sert à l'éveil d'une liberté d'actions lions qui, à mesure qu’ils mangent, tuent avons une responsabilité. L’homme à prouver qu’elles agissent naturellement spécifiquement humaine. » la bête. » perd sa dignité en faisant souffrir ceux et par ressorts, ainsi qu’une horloge, In Tous les Chiens, tous les Chats, 1970 qu’il domine. » laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est, que notre jugement ne nous l’enseigne .» In Le Silence des bêtes, 1998 In Lettre au marquis de Newcastle, 23 novembre 1646, in Œuvres et lettres, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, 1983 MICHEL EYQUEM DE MONTAIGNE JEREMY BENTHAM (1748-1832) PETER SINGER (1946) TOM REGAN ( 1938-2017) (1533-1592) « Le jour viendra peut-être où le reste « La libération animale exigera des êtres « Certains animaux ont une vie mentale « Il se trouve plus de différence de la création animale acquerra ces droits humains un altruisme plus grand suffisamment complexe pour avoir de tel homme à tel homme que de tel qui n’auraient jamais pu être refusés que tout autre mouvement de libération. une expérience propre de leur bien-être. animal à tel homme » à ses membres autrement que par la main Les animaux sont incapables d'exiger En d’autres termes, ils ont une de la tyrannie. Les Français ont déjà d'eux-mêmes leur propre libération, vie mentale assez complexe pour que « Nous vivons et eux et nous sous découvert que la noirceur de la peau n’est ou de protester contre leur situation ce qui leur arrive leur importe. » un même toit et humons un même air : en rien une raison pour qu’un être humain par des votes, des manifestations il y a, sauf le plus et le moins, entre nous In Les Droits des animaux, 2013. soit abandonné sans recours au caprice ou des boycotts. » une perpétuelle ressemblance. » d’un bourreau. On reconnaîtra peut-être In La Libération animale , 1975 In Les Essais, 1572-1592 un jour que le nombre de pattes, la pilosité de la peau, ou la façon dont se termine le sacrum sont des raisons également insuf- fisantes pour abandonner un être sensible à ce même sort. Et quel autre critère devrait marquer la ligne infranchissable ? Est-ce la faculté de raisonner, ou peut-être celle de discourir ? Mais un cheval ou un chien adultes sont des animaux incompa- rablement plus rationnels, et aussi plus causants, qu’un enfant d’un jour, ou d’une semaine, ou même d’un mois. Mais s’ils ne l’étaient pas, qu’est-ce que cela chan- gerait ? La question n’est pas: Peuvent-ils raisonner ? ni: Peuvent-ils parler ? mais: Peuvent-ils souffrir ? » In Introduction to the Principles of Morals and Legislation, 1780 10 11
LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 L'HISTOIRE DES RELATIONS HOMME/ANIMAL HOMME ET ANIMAL AU PRISME DE TROIS APPROCHES Homme Animal / animaux Évolutions et tendances lourdes Approches biologiques – Genre HOMO – Être vivant Depuis les années 1990, pour et scientifiques – Conscience, langage – Mobilité certains mammifères,notamment – Intelligence – Réflexe les grands primates (et quelques – Symbolisation – Apprentissage simple céphalopodes et oiseaux), – Société complexe – Insertion dans une organisation reconnaissance de : – Culture (ex : meute mais aussi termitière) – conscience individuelle – Artificialisation – Graduation entre espèces – culture (embryonnaire mais (8 millions d’espèces animales, spécifique et transmissible) dont moins de 20% décrites, 10 000 – intelligence (abstraction, à 18 000 espèces d’oiseaux et 5 500 conception/représentation, espèces de mammifères) composition) – Vers une différence de degré (et non de nature) entre l’homme et les grands mammifères et les primates. Mais ce palier est celui d’une divergence majeure, d’une rupture depuis 3 millions d’années Approches – Propre de l’homme – Ancien : animal-machine – Renouveau de l’éthique philosophiques – Responsabilité / raison / éthique de Descartes de conviction, des croyances – Spiritualité – Codépendance / évolution avec – Crise de l’éthique de responsabilité ? – Imaginaire l’animal domestiqué – Vers un renversement des – Sentiment esthétique – Vers l’animal sensible idéologies : de l’animal méchant, – Politique – Responsabilité de l’homme dangereux, « bête » versus – Quid de l’animalité ? et devoirs / animaux utilisés « homme sublime » « la part mauvaise de l’humain » – Nouvelles grilles de Philippe à un animal « libre », sensible, Descola, relativisation ambiante coopérant et un homme brutal, par-delà nature et culture coupable. De l’humanisme au (naturalisme, totémisme, post-humanisme analogisme, animisme) – Vers un reniement de la part – Antispécisme comme nouvelle animale de l’homme ? (y compris philosophie / utopie procréation) Approches culturelles – La distance à la maison définit la – La domestication a scindé le – Émergence d’un refus distance culturelle : premier cercle, règne animal entre le « sauvage » de différenciation entre l’animal Saint Eustache - Lucas Cranach (1472-1553) avec le chat, chien pour la et le « domestique ». Un autre de compagnie, de rente, sauvage : Allemagne - Huile sur bois, Musée de la Chasse et de la Nature. protection ; deuxième cercle : processus distingue, au sein « cause animale » versus l’élevage ; troisième cercle : de la sphère du domestique, « cause humaine » le monde sauvage les animaux de rente et les animaux de compagnie – Philosophie non-occidentale : animal sacré, réincarné, panthéisme… 12 13
LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 L'HISTOIRE DES RELATIONS HOMME/ANIMAL LA CHASSE, UNE HISTOIRE ANCESTRALE DU RAPPORT À L’ANIMAL Avec la Renaissance, la chasse à courre devient un art de vivre sous le règne de Fran- çois Ier. Les banquets après-chasse sont l’oc- casion de montrer les rapports sociaux de la cour. Durant cette période, la chasse devient un privilège de la noblesse et le droit de la pratiquer est directement lié au droit de propriété de terres. Les non-nobles ont la formelle interdiction de chasser, qui revien- drait « à perdre le temps qu’ils devraient consacrer au travail des terres », selon l’ordon- nance royale de mars 1515. Les veneurs et leurs meutes galopant à travers prés et bois constituaient un spectacle familier aux hommes de l’Ancien Régime. La chasse parti- cipait de l’éducation des princes, les prépa- rait à la guerre, les familiarisait avec la mort. Peintures de la Cova dels Cavalls à Valltorta. La Révolution abolit le privilège aristocra- tique (dès les articles 2 et 3 du décret du 4 Les premiers êtres humains, au mode de Durant le Moyen Âge, la pratique de la au 11 août 1789). La démocratisation de la vie nomade, introduisent la viande dans chasse se codifie. Des lois se mettent en pratique entraîne une vague de chasse leur alimentation il y a environ 3 millions place pour régulariser la chasse sur les généralisée. Pour préserver la faune, des d’années. Ils commencent à mettre en territoires royaux. À cette même période, permis sont introduits sous Napoléon Ier place des techniques de chasse au moyen les aménagements des forêts et les privi- et circonscrivent tant la période que les d’armes et de stratagèmes rudimentaires. lèges accordés pour leur usage causent lieux de chasse. La chasse est principale- une prolifération d’animaux qui nuit aux ment devenue une pratique de loisir visant à réguler les populations de gibier. Décret dit du 4 août 1789 portant abolition Au Néolithique, avec le développement de cultures paysannes. La chasse vise encore des privilèges, du régime féodal, des justices l’agriculture et de l’élevage, la chasse n’est à les éliminer afin de protéger les planta- LE RETOUR DE LA CHASSE À L’ARC seigneuriales, des dîmes, de la vénalité plus indispensable à la survie. Elle devient tions. Dès le XIIIE siècle, des ouvrages Jusqu’à la Grande Guerre, le droit de des offices,… L’article 3 abolit le droit exclusif chasse refléta l’inégale organisation de la Celle-ci se développe, avec un matériel de de la chasse. une pratique défensive ayant pour but de théoriques sur l’animal sauvage, la typolo- protéger des animaux dévastateurs les gie des proies et les techniques de chasse société et les disparités régionales. Depuis, plus en plus sophistiqué, et se présente cultures des populations d’agriculteurs. La abondent, tout comme les recettes pour l’urbanisation intense de la France et le également pour certains comme une chasse chasse de nécessité subsiste lorsque les les banquets royaux. Les exigences de la développement industriel ont transformé la plus écologique. Elle a le mérite de ne pas conditions d’élevage sont difficiles. chasse rythmaient alors les travaux et les relation des hommes aux bêtes, à la nature, émettre de substances polluantes, de limiter jours de nos ancêtres. Elles supposaient un à la chasse. Certaines espèces prolifèrent au le dérangement de la faune par le bruit et le La chasse comme privilège apparaît dès solide entraînement et une excellente point de compromettre les forêts et les stress liés aux déflagrations. Elle permet l’Antiquité. Les cultures et l’élevage connaissance de la nature et des animaux. cultures. Des chasseurs sont saisis de doute aussi de chasser dans des zones « péri-ur- couvrant les besoins alimentaires de base, Le comte de Foix Gaston Phébus, avec qui face à ceux qui dénoncent une pratique baines » avec des risques moins grands pour la chasse offre un choix plus large de s’ouvre cette passionnante histoire de la barbare. Les nouvelles politiques qui les riverains grâce à la portée réduite des viandes aux classes privilégiées. chasse, fit de cette pratique un art qui préservent les espèces de grands prédateurs flèches. Elle avait été interdite en France par inspira des générations de rois et de nobles. suscitent des résistances. Ainsi, au fil du la loi du 2 mars 1844 qui considérait que ce temps, et contre toute attente, la chasse type de chasse silencieuse favorisait le dont l’histoire paraissait révolue est deve- braconnage, puis autorisée en 1995 par un nue un enjeu majeur pour les territoires et arrêté. En France, en 2019, on estime à ses répercussions politiques et symboliques 12 000 le nombre de chasseurs à l'arc, répar- restent majeures. tis dans 88 associations actives. 14 15
2 LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 LE RAPPORT AU MONDE SAUVAGE On l’a dit, les soixante dernières années ont vu l’éloignement des Français des animaux de la ferme et de la faune sauvage. Les contacts des urbains avec l’animal d’élevage se sont forte- ment réduits et ceux avec les mammifères sauvages sont devenus rares, alors que la relation avec les animaux de compagnie s’intensifiait. VERS DE NOUVELLES COHABITATIONS HOMME – ANIMAL LE RETOUR DU SAUVAGE Plusieurs phénomènes montrent une inflexion possible dans cette tendance pluridécennale : - L’extension des zones d’influence urbaine met l’habitat et les infrastructures de nouveau en contact avec les popula- tions d’animaux sauvages autochtones (ainsi que les animaux de compagnie); - La progression majeure des populations des grands ongu- lés (sangliers, cerfs, chevreuils) renforce les situations de contacts et crée des enjeux sanitaires (zoonoses notam- ment) et la conscience aujourd’hui partagée du besoin d’une régulation des populations (problématique depuis les années 2000); - Enfin, on constate une présence croissante d’animaux de rente et/ou sauvages dans les espaces urbains de manière volontaire (cas des moutons dans les parcs urbains fermés), ou involontaire (cas des sangliers nourris dans les parcs à Berlin); - Les activités de « pleine nature », les aspirations au « wilder ness » et au « survivalisme » se développent, occasionnant des situations de rencontres pour le meilleur ou pour le pire (maladie de Lyme par exemple); - La réintroduction d’espèces ou le développement d’espèces sauvages (loups notamment, ours, lynx boréal), contribue à réveiller nos imaginaires ancestraux. 17
LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 ANTHROPOMORPHISME QUEL AVENIR POUR LE SAUVAGE ? DES REPRÉSENTATIONS DE L’ANIMAL PROPOS D’EXPERTS SAUVAGE Lorsque l’on regarde dans la littérature méticuleuse du détail, Walt Disney Plus des trois quarts des Français il y avait le temps de l’été, investi par machines et des robots. Se relier à la pour adultes, on s’aperçoit que les voulait avant tout « authentiques », vivent en ville. Dans ces conditions, l’homme, et le temps de l’hiver, investi par nature et aux animaux est une aide face l’anthropomorphisme est bien présent et bien que les animaux parlent les les occasions de rencontre et la le sauvage. Maintenant cette alternance aux souffrances modernes et permet de mais le plus souvent dans un but de uns aux autres, l’anthropomorphisme familiarité avec la faune sauvage se disparaît. La surveillance permanente de devenir plus humain. L’intérêt pour les dénoncer. Ainsi, dans ses Fables, La est restreint au minimum, rendant les perdent. La connaissance du compor- la nature sauvage pour son bien-être pratiques chamaniques, les usages Fontaine utilise les animaux pour criti- animaux réalistes dans leurs attitudes. tement et de l’écologie d’espèces modifie complètement le statut des espaces, thérapeutiques des animaux en sont des quer la société, La Ferme des animaux communes devient l’apanage qui deviennent quadrillés, militarisés. signes. Il faut donc laisser de la place de Georges Orwell est une critique des Dans la cité Zootopie, les animaux de spécialistes ou de passionnés. Il n’y aura plus d’endroit dans la forêt où, au vrai sauvage, y compris à la part qui dérives du communisme russe, Les portent des vêtements, utilisent Le « sauvage » relève de moins demain, je ne sois filmé par des étholo- est en nous. » Peines de cœur d’une chatte anglaise des téléphones portables et se en moins de l’expérience directe et gistes ou des spécialistes des espèces. » d’Honoré de Balzac une satire de la tiennent debout même s’ils ont quatre de plus en plus du spectacle fascinant FRANCIS WOLFF société et Rhinocéros d’Eugène Ionesco pattes. Dans ce film, on découvre un et divertissant qu’en proposent SOPHIE BOBBÉ PHILOSOPHE ET PROFESSEUR ÉMÉRITE dénonce la montée du nazisme. renard roux et un fennec malicieux. grands et petits écrans. Parallèlement, ANTHROPOLOGUE, CHERCHEUSE À L’ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE Après la sortie du film dans les salles se multiplient, dans un cadre de forte ASSOCIÉE AUX LABORATOIRES DU CENTRE « Si l’on regarde l’évolution de nos rapports LA DISPARITION DE LA NATURE chinoises, on a ainsi noté une médiatisation, les conflits d’usage EDGAR MORIN ET DE MONA À L’INRA avec le sauvage, nous constatons leur DANS LES DESSINS ANIMÉS explosion des demandes de renards suscités par la protection ou la « Un sauvage « du troisième type » (des diminution rapide: il n’y a plus guère DE DISNEY ET L’ÉVOLUTION et de fennecs pour en faire des gestion de certaines espèces sauvages espèces introduites, gérées, administrées) de contrées, de peuples sauvages DE L’ANTHROPOMORPHISME animaux de compagnie, ce pour telles que les loups, les ours, les se développe avec peut-être demain de qui n’auraient pas eu de contact avec les quoi ils sont totalement inadaptés1. vautours, les cormorans, les goélands, nouvelles espèces. Il faudra compter aussi autres cultures, ou de grandes espèces Deux chercheuses ont analysé les sangliers, etc. Les questions liées avec le développement ou la fabrication à découvrir… La sauvagerie ou la barbarie la soixantaine de dessins animés à la coexistence avec les animaux des hybrides animaux domestiques / se développent à nos portes et non dans réalisés par Disney et diffusés sauvages font ainsi l’objet d’un animaux sauvages, chien-loup, chats la nature. Il ne faut pas nier que l’homme au cinéma entre 1937 et 2010. Elles constant et vigoureux débat public. errants retournant au sauvage… Mais s’est humanisé grâce aux espèces qu’il ont constaté que le temps consacré nous n’en aurons jamais fini avec le a domestiquées depuis 12 000 ans. à la nature dans ces œuvres n’a cessé La Fondation François Sommer a réalisé sauvage ordinaire. L’être humain a besoin Que certaines espèces ne sont ce qu’elles de diminuer, et que les imaginaires une série de douze longs entretiens avec du non prévisible, du non prédictible, sont que par les relations étroites avec associés se sont progressivement des philosophes, écologues, artistes, d’une figure du danger. Le sauvage nous l’homme: le cheval, le chien… Il faut appauvris. Ainsi, les décors naturels gestionnaires d’espaces naturels, etc. colle à la peau, il est intrinsèquement souhaiter que l’apprivoisement n’écrase ne représentaient plus que la moitié Ces entretiens sont disponibles sur la humain. » pas tout dans nos échanges et nos regards de la durée des dessins animés des chaîne YouTube de la Fondation (taper: sur le monde animal. Admirer, comprendre années 2010, contre 80% pour celles entretiens-sur-le-sauvage dans la barre des années 1940. de recherche). VÉRONIQUE SERVAIS les espèces sauvages, nous mesurer PSYCHOLOGUE, ENSEIGNANTE- avec elles est essentiel à notre humanité. » De plus, lorsque des environnements CHERCHEUSE EN ANTHROPOLOGIE Les entretiens se terminent par la même naturels sont représentés, il s’agit de question: Quel avenir pour le sauvage ? DE LA COMMUNICATION plus en plus de paysages anthropisés Nous en reprenons quelques extraits. À L’UNIVERSITÉ DE LIÈGE (zones agricoles, jardins, etc.). Le monde « Le risque est grand de transformation de sauvage et libre s’efface peu à peu. SERGIO DALLA BERNARDINA la nature en un grand zoo, où l’on serait ENSEIGNANT, dans une relation de mise en spectacle La représentation de l’animal a PROFESSEUR D’ETHNOLOGIE distant de la nature. Avec un sauvage géré, beaucoup évolué, de Bambi (1942) à « L’avenir du sauvage est derrière nous. parqué, administré. Est-ce que l’on Zootopie (2016). Dans Bambi, l’un des Sur les plans symbolique et pratique, acceptera que le sauvage échappe à notre aspects les plus importants du film est le sauvage disparaît. Ainsi, les nouveaux contrôle, à notre gestion ? Cela semble le sujet naturaliste, les animaux sont usagers des espaces naturels produisent compromis. Or, pour regagner notre dessinés avec une attention des va-et-vient permanents avec le monde humanité, nous devrons regagner notre urbain; la nature n’a plus le temps animalité. Hier l’inhumain était du côté Source: 1. Inspired by “Zootopia”, Le Monde du 16/05/2014 kids in China are begging for L’animal chez Disney, de Bambi (1942) à Zootopie (2016) de se retrouver. Dans le folklore des Alpes, de l’animal, demain il sera du côté des rare, protected foxes as pets, The Los Angeles Times, 12 Apr, 2016. 19
LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 LE RAPPORT AU MONDE SAUVAGE DEMAIN, UN « SAUVAGE » VERS UNE RECONNAISSANCE DES DROITS… DE PLUS EN PLUS ADMINISTRÉ ? DE LA NATURE ET DES ÉCOSYSTÈMES ? Rivière Whanganui, Nouvelle-Zélande. Le Parlement néozélandais a accordé en 2017 Agent équipé d’une antenne pour le suivi à cette rivière les mêmes droits par télémétrie du lagopède alpin. qu’une personne. En France, très peu de zones échappent à animaux sauvages peuvent difficilement Un autre élément modifiant notre AU-DELÀ DE L’ESPÈCE, VERS UN seraient désormais considérés l’emprise de l’homme, le « sauvage » est de entrer dans le champ du bien-être animal rapport aux animaux sauvages est STATUT/PERSONNALITÉ JURIDIQUE comme des « entités vivantes ayant fait administré. Il est moins le reliquat des ou des éthiques animales. La première l’émergence de la « biodiversité » OCTROYÉ AUX ÉCOSYSTÈMES le statut de personne morale » animaux non domestiqués qu’une des voies raison est qu’ils ne sont pas individuali- comme valeur, notion scientifique clé LE CAS DE LA NOUVELLE-ZÉLANDE et les droits afférents (« Gangamama » par lesquelles la société décide avec quelles sables et que les éthiques animales sont et nouveau registre de réflexions sur ET DE L’INDE – « la mère Gange » –, reconnue espèces et comment partager un domus liées à l’attitude vis-à-vis d’un individu. La la nature. Le fonctionnement des comme une déesse-fleuve). territorial. Pour un certain nombre d’es- seconde raison est que leurs intérêts ne différents écosystèmes, leur richesse En 2008, l’Équateur reconnaît pèces considérées comme sensibles, l’avène- sont nullement respectés dans la nature, et leur résilience priment de plus les droits de la nature dans sa consti- Reconnaître une personnalité juri- ment des modes de gestion modernes des où tout organisme vivant vit aux dépens en plus sur la trajectoire des différentes tution. En 2009, la Bolivie a voté une dique à des écosystèmes – des fleuves, populations sauvages (suivi par puçage d’autres organismes vivants. Prenons un espèces le composant (ces trajectoires loi sur les droits de la Terre-Mère. mais ce pourrait être des forêts ou RFID, surveillance satellitaire et gestion exemple : les intérêts des loups sont en étant largement liées à ces écosystèmes En Nouvelle-Zélande, le Parlement l’océan –, permet de cadrer les activités « active » de la diversité génétique des contradiction avec ceux de leurs proies et non aux seules dynamiques propres a accordé en 2017 à la rivière industrielles que l’on n’arrive précisé- populations peu nombreuses), tend à (dont les moutons, chèvres, sangliers…). à chaque espèce). Alors que pendant Whanganui les mêmes droits qu’une ment pas à cadrer par le droit brouiller encore plus la frontière ténue Respecter leurs « droits » reviendrait à les longtemps une hiérarchie entre personne. Les membres de la tribu de l’environnement traditionnel, entre mondes sauvage et domestique. laisser ne pas respecter ceux de leurs proies. animaux sauvages existait – selon locale ont été nommés dépositaires de représenter les intérêts du fleuve une logique de protection par segmen- du fleuve et ont pour charge en justice, comme on peut le faire pour LA QUESTION JURIDIQUE : Dans ce contexte, pour certains, tation et sanctuarisation d’espaces de le protéger. Ce vote permet aussi ceux d’un enfant ou d’une personne PEUT-ON PARLER DE RÈGLES les rapports que nous entretenons avec et d’espèces –, un nouveau paradigme de leur octroyer plusieurs dizaines morale, une entreprise. DE COMPORTEMENT VIS-À-VIS les animaux sauvages relèvent ainsi plus intégrateur se fait jour. de millions d’euros afin de réparer DE L’ANIMAL SAUVAGE ? d’une éthique environnementale. le préjudice subi par la Whanganui Ce qui importe, ce n’est ni la vie, – pollutions, notamment dues Une distinction première doit être rappe- ni les intérêts, ni la liberté de mouve- à des activités industrielles sur lée : nous ne pouvons adopter les mêmes ment de tel ou tel animal individuel son cours ou à proximité. règles de comportement envers les (tel que présenté dans le bien-être animaux sauvages, qui mènent une vie animal), mais la survie et les possibili- En Inde, l’État himalayen de l’Utta- autonome, et envers des animaux domes- tés d’adaptation des populations. rakhand a décrété que le Gange tiques qui dépendent de nous. Ainsi les et l’un de ses affluents, la Yamuna, 20 21
LA LETTRE CHASSE, NATURE ET SOCIÉTÉ 2040 – DÉCEMBRE 2019 LE RAPPORT AU MONDE SAUVAGE L’ANIMAL DANS LE DROIT 1791 1963 1992 Première loi visant à prendre en compte L’acte de cruauté envers les animaux Le code pénal de 1992 marque la distinc- l'animal en tant que propriété de domestiques apprivoisés et les animaux tion entre l’animal « être vivant » et les l'homme. en captivité est un délit. autres biens de nature matérielle. Les mauvais traitements infligés aux La loi de 1963 crée le délit d’actes de animaux appartenant à autrui sont punis cruauté, en tant que volonté de faire souf- comme des atteintes à la propriété. Cette loi concerne principalement les frir, que ceux-ci soient ou non commis en public, envers les animaux domestiques 1999 chiens de garde. Il ne s’agit donc pas de apprivoisés et les animaux tenus en capti- Modification du code pénal, durcisse- protéger l’animal pour lui-même. vité. Les animaux sauvages sont exclus de ment des peines encourues. ces mesures. La loi du 6 janvier 1999 réprime le fait « d’exercer des sévices graves ou de nature 1850 Une truie et ses porcelets jugés pour sexuelle, ou de commettre un acte de le meurtre d'un enfant. Le procès s’est tenu en Loi Grammont, première loi de protec- 1976 cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité » par une 1457, la mère étant reconnue coupable et les porcelets acquittés. Ces procès sont rapportés en France (Falaise) et en Angleterre. tion de l’animal. Reconnaissance de l’animal (domes- peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’em- Ce sont les mauvais traitements sur la voie tique, ou apprivoisé, ou tenu en capti- prisonnement et de 30 000 euros d’amende. Les amendements visant à la reconnais- intentionnellement blessés, tués, capturés, ou, publique qu’interdit la loi Grammont, qui vité) comme être sensible. sance du caractère sensible de l’animal qu’ils soient vivants ou morts, transportés, concerne notamment (voire essentielle- « Tout animal étant un être sensible doit être sauvage. colportés, vendus, ou achetés, sauf lors des ment) les chevaux dédiés au transport urbain, au travail dans les mines, à la placé par son propriétaire dans des condi- tions compatibles avec les impératifs biolo- 2015 Lors des débats à l’Assemblée nationale, en 2015, plusieurs amendements ont été activités régies par les règlements propres à la chasse, aux pêches, à la recherche scienti- guerre: « Seront punis d’une amende de 5 à giques de son espèce » stipule la loi de 1976. L’animal devient un « être doué de sensi- déposés pour inscrire le caractère sensible fique ainsi qu’à la protection de la santé 15 francs, et pourront l’être d’un à cinq jours L’animal domestique a le droit de ne pas bilité » dans le Code civil. de « l’animal sauvage » dans le code de publique ou vétérinaire et de la sécurité de prison, ceux qui auront exercé publique- souffrir inutilement et de ne pas être mis Le Parlement reconnaît aux animaux l’environnement, qui se sont heurtés sur publique ». ment et abusivement des mauvais traite- à mort sans nécessité. La loi comporte la qualité symbolique « d’êtres vivants le plan juridique à la distinction néces- ments envers les animaux domestiques ». aussi la création des réserves naturelles et doués de sensibilité », dans le cadre de la loi saire entre espèces (relevant du code de On note que la loi reprend les propositions des parcs nationaux concernant les de modernisation et de simplification du l’environnement, notamment protection de la britannique Royal Society for the espèces animales sauvages, qui jusqu’à droit. Le Code civil, qui considérait et gestion des espèces) et individus, Prevention of Cruelty to Animals (1824). présent n’étaient protégées que par le jusqu’ici les animaux uniquement comme animal isolé (cf. les débats à l’Assemblée droit de la chasse. « des biens meubles », est ainsi aligné sur le Nationale sur les amendements de la Une loi de 1898 interdit les mauvais trai- Code pénal et le Code rural qui les recon- députée Abeille, mentionnés ci-dessous). tements publics et privés, mais sans naissent déjà comme des êtres vivants et Les termes de ces amendements, repris prévoir de sanction. sensibles. Les animaux restent toutefois aujourd’hui par la plupart des associa- soumis au régime des biens corporels. Les tions de la cause animale sont les suivants: Le décret n° 59-1051 du 7 septembre animaux sauvages, pris en compte par le le code de l’environnement serait modifié. 1959 modifie la loi Grammont qui Code de l’environnement, ne sont pas Après l’article L. 411-1, il est inséré un exigeait, pour sanctionner les mauvais concernés. Abattages rituels, corrida ne article L. 411-1-1 ainsi rédigé : « Les traitements infligés aux animaux, que sont pas non plus concernés. animaux sauvages, dotés de sensibilité et ces actes aient été commis en public. vivant à l’état de liberté et n’appartenant pas aux espèces protégées ne peuvent être 22 23
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