DES ÉCOLES PLUS SÛRES - UN DROIT POUR TOUTES LES FILLES - HALTE À LA VIOLENCE CONTRE LES FEMMES - Amnesty International
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ACT77_001_2008_couv:03aSSCover copy 1 22/02/08 11:36 Page 2 DES ÉCOLES PLUS SÛRES UN DROIT POUR TOUTES LES FILLES DES ÉCOLES PLUS SÛRES – UN DROIT POUR TOUTES LES FILLES HALTE À LA VIOLENCE CONTRE LES FEMMES AMNESTY INTERNATIONAL
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:47 Page 2 DES ÉCOLES PLUS SÛRES : Un droit pour toutes les filles Halte à la violence contre les femmes L’édition originale en langue Tous droits de reproduction réservés. Amnesty International est un anglaise de cet ouvrage a été Cette publication ne peut faire mouvement mondial regroupant publiée en 2008 par l’objet, en tout ou en partie, d’aucune 2 200 000 personnes, réparties dans AMNESTY INTERNATIONAL forme de reproduction, d’archivage plus de 150 pays et territoires, qui PUBLICATIONS ou de transmission, quels que soient défendent les droits humains. Secrétariat International les moyens utilisés (électroniques, La vision d’Amnesty International est Peter Benenson House mécaniques, par photocopie, par celle d’un monde où chacun peut se 1 Easton Street enregistrement ou autres), sans prévaloir de tous les droits énoncés Londres WC1X 0DW l’accord préalable des éditeurs. dans la Déclaration universelle des Royaume-Uni droits de l’homme et dans d’autres www.amnesty.org Photo de couverture : textes internationaux. Nous faisons Fillette franchissant victorieusement des recherches sur la situation des © Amnesty International la ligne d’arrivée, lors d’une course droits humains, nous les défendons et Publications 2008 organisée à Dacca, la capitale du nous nous mobilisons pour mettre fin Bangladesh. aux violations de ces droits. Amnesty Index AI : ACT 77/001/2008 © 2004 Roobon/The Hunger Project- International est indépen-dante de Bangladesh, avec la permission de tout gouvernement, de toute © Les Éditions francophones Photoshare idéologie politique, de tout intérêt d’Amnesty International (EFAI) économique et de toute religion. pour la version en langue française Notre action est en grande partie financée par les dons et les ISBN : 978287 666 16 cotisations de nos membres.
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 3 Cette synthèse s’appuie sur des informations recueillies par Amnesty International et par de nombreuses autres organisations travaillant sur ce sujet dans le monde. Elle n’aurait pas pu être élaborée sans la générosité, les compétences et les connaissances d'un grand nombre d'organisations et de personnes militant dans le mouvement pour le respect des droits des femmes. Amnesty International aimerait remercier en particulier Alison Symington, de Toronto (Canada), chercheuse spécialisée dans les droits humains et analyste politique. Ce document est dédié à toutes les jeunes filles d’âge scolaire, dans l’espoir que nous puissions ensemble avancer vers un monde où plus aucune fille ne verra son droit fondamental à l'éducation considéré comme facultatif, sans importance ou conditionné par des contingences économiques. © Craig Cozart
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page i DES ÉCOLES PLUS SÛRES Un droit pour toutes les filles AMNESTY INTERNATIONAL éditions francophones ÉFAI
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page ii Monkeybiz, une association de femmes sud-africaines qui assure un revenu à ses membres, a fabriqué ces broches pour la campagne Halte à la violence contre les femmes. © AI
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 1 TABLE DES MATIÈRES Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 L’éducation est un droit humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 Inégalité et passivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Le moment d’agir est venu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10 1 • Recenser les violences, réduire les effets néfastes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Lésions physiques et autres conséquences graves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Exploitation et sévices sexuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20 Préjudice affectif et psychologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Un obstacle à la prévention du sida . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 2 • Pour des écoles plus sûres : quels sont les dangers ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Le trajet jusqu’à l’école . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 En danger à l’école . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 La violence utilisée comme châtiment . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35 Les écoles situées dans des zones de conflit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37 Le cyberespace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 3 • Les facteurs de risque en matière de violence et d’exclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45 Comportements discriminatoires. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 46 L’escalade de la violence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Les frais de scolarité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 4 • Une inexcusable passivité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54 5 • Normes internationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Objectifs du millénaire pour le développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 6 • Six mesures pour mettre fin à la violence contre les filles dans les écoles . . . . . . 62 Amnesty International 1
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 2 © 2004 Roobon/The Hunger Project-Bangladesh, avec la permission de Photoshare 2 Des écoles plus sûres : un droit pour toutes les filles
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 3 INTRODUCTION Lorsqu’une fillette ou une jeune fille prend ses affaires pour aller à l'école, le matin, elle se réjouit de retrouver ses camarades de classe, d’acquérir des connaissances, © 2004 Roobon/The Hunger Project-Bangladesh, avec la permission de Photoshare de découvrir le monde sous la conduite d’enseignants attentifs et d’aller se dépenser sur un terrain de sport. Mais est-ce bien toujours le cas ? N’y a-t-il pas aussi des filles qui partent le matin la peur au ventre, craignant les humiliations et les violences, ou, simplement, espérant que la journée ne sera pas trop dure ? L’école reflète la société en général. Les formes de violence dont sont victimes les femmes au quotidien (qu'elles soient physiques, sexuelles ou psychologiques) se retrouvent dans la vie quotidienne des filles qui fréquentent des établissements scolaires. Tous les jours, des fillettes se font agresser sur le chemin de l’école. D’autres sont « Les violences faites aux bousculées dans la cour de leur établissement, reçoivent des coups, des moqueries, femmes par des hommes des injures, ou sont humiliées à cause de rumeurs colportées à leur propos, entre continuent de faire plus de autres, sur les téléphones mobiles ou sur Internet. Certaines sont menacées de victimes que la guerre. » sévices sexuels par des condisciples ; d’autres se voient promettre de bonnes notes Millennium Project, par des enseignants, en échange de faveurs sexuelles. On a même signalé des cas 2007 State of the Future 1 de viols dans la salle des professeurs. Certaines reçoivent des coups de bâton ou se voient infliger d’autres châtiments corporels sous prétexte de discipline. Là où la guerre fait rage, des fillettes et des jeunes filles sont capturées par des groupes armés ; d'autres sont blessées ou tuées lors d'attaques lancées contre leur établissement scolaire ou sur le trajet qui conduit à celui-ci. Les filles qui vivent dans des camps de réfugiés ou de personnes déplacées risquent encore plus que les autres d’être soumises à des sévices sexuels et d’être exploitées. Tous les enfants en âge d’être scolarisés, garçons et filles, peuvent être victimes de la violence – une violence qui porte atteinte à leurs droits les plus fondamentaux. Les filles sont toutefois plus exposées à certaines formes de violence, comme le harcèlement ou les agressions à caractère sexuel, qui nuisent à leur estime d’elles- mêmes et compromettent leurs chances de succès dans leurs études, ainsi que leur santé et leur bonheur à long terme. Amnesty International 3
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 4 Certaines filles sont plus directement menacées que d’autres par la violence à l’école, du fait de leur identité propre. Les lesbiennes, par exemple, sont victimes à la fois du sexisme et de l’homophobie. Elles subissent plus souvent que leurs camarades hétérosexuelles des actes de harcèlement sexuel et des menaces à caractère sexuel. Les jeunes handicapées, quant à elles, doivent faire face à la fois au sexisme et à des discriminations liées à leur handicap. Elles sont la cible de moqueries, de sévices physiques et de violences sexuelles. Les taux d’agression sont plus élevés pour les jeunes handicapées, et les violences dont elles sont victimes sont souvent particulièrement graves2. Certaines filles sont particulièrement exposées à des abus en raison d’autres éléments constitutifs de leur identité (elles peuvent être, par exemple, immigrées, orphelines, réfugiées, ou encore séropositives au VIH, ou appartenir à telle ou telle caste, ethnie ou minorité) ; ces aspects déterminent parfois la nature des violences qu’elles risquent de subir. Les fillettes et jeunes filles Les violences infligées à une fillette ou à une jeune fille par ses camarades d’école ont toutes le droit d’être constituent la forme la plus extrême de toute une série de comportements, qui scolarisées dans un commencent souvent par des injures et des gestes menaçants. Lorsque les détenteurs environnement sûr. de l’autorité s’abstiennent de réagir face à ces manifestations agressives relativement bénignes, celles-ci sont fréquemment suivies d’actes de violence. La violence subie aux mains d’enseignants ou d'autres adultes est quant à elle l'aboutissement d'un autre type de conduite portée à son paroxysme : l'abus de pouvoir. Les professeurs, et les adultes en général, exercent un pouvoir colossal sur la vie des enfants – un pouvoir dont ils font parfois mauvais usage. L’éducation est un droit humain La privation du droit à l’éducation est souvent associée à des atteintes à d'autres droits humains. Ainsi, si le droit d'une fillette à disposer d’un logement décent est bafoué (par exemple à la suite d’une expulsion), elle risque d'être déscolarisée. Celles dont le droit à jouir de la meilleure santé possible n’est pas respecté (qui ne reçoivent pas, par exemple, les médicaments dont elles auraient absolument besoin) auront du mal à poursuivre leurs études dans de bonnes conditions. Si les filles ne reçoivent aucune protection face aux violences physiques, psychologiques et sexuelles, cela constitue une atteinte à leur droit de ne pas subir de violences qui les empêche aussi d’exercer librement leur droit à l'éducation. Les fillettes et les jeunes filles victimes de violences disent avoir des difficultés d'apprentissage, 4 Des écoles plus sûres : un droit pour toutes les filles
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 5 Le droit à l’éducation est inscrit dans de multiples normes et traités LE DROIT À L'ÉDUCATION internationaux en matière de droits humains, et notamment dans la DANS LE DROIT INTERNATIONAL Déclaration universelle des droits de l’homme, dans le Pacte international relatif aux droits écono-miques, sociaux et culturels, dans la Convention relative aux droits de l’enfant, dans la Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseigne-ment et dans la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Plusieurs traités régionaux relatifs aux droits humains garantissent également le droit à l’éducation. En vertu du droit international relatif aux droits humains, les États doivent veiller, de manière prioritaire, à ce que l’enseignement primaire soit obligatoire et gratuit pour tout enfant en âge d’être scolarisé. Ils doivent par ailleurs développer l'accès à l'enseignement secondaire, technique, professionnel et supérieur. Le contenu de cet enseignement doit en outre être conforme aux principes des droits humains. Cela signifie qu’il doit, entre autres, encourager la diversité, la tolérance et l’égalité entre les sexes, et combattre la ségrégation, les préjugés et la discrimination. ont une vision d'elles-mêmes dévalorisante et en viennent parfois à abandonner purement et simplement leurs études. Or, une fois qu’elles ont quitté le système scolaire, c'est généralement pour ne plus y revenir.Les familles sont souvent obligées d’acquitter des frais de scolarité, alors même que le droit international prévoit la gratuité de l’enseignement primaire. Cette pratique illégale empêche totalement ou partiellement la scolarisation, même primaire, de nombreuses filles dont les parents ont de faibles moyens. Lorsque l’accès à l’éducation est conditionné au paiement de frais de scolarité, les familles choisissent, parmi leurs enfants, ceux qu’elles souhaitent envoyer en priorité à l'école. La sélection se fait alors systématiquement au détriment des filles. Aux termes du droit international, tout enfant doit avoir accès, au minimum, à un enseignement primaire gratuit. Cela signifie que cet enseignement doit lui être dispensé sans qu’aucune condition financière (frais de scolarité, de transport ou d'examen, ou toute autre charge indirecte) ne fasse obstacle. Le droit international oblige par ailleurs les États à œuvrer à la mise en place d’un enseignement secondaire gratuit. Or, cela n’empêche pas de nombreux établissements scolaires dans différents pays de faire payer leurs élèves. Ces frais constituent un obstacle insurmontable pour de nombreux enfants. De plus, lorsque l'argent manque dans une famille, une fille risque davantage qu'un garçon d'être privée de scolarité. La violence à laquelle sont confrontées les fillettes et les jeunes filles au cours de leurs études constitue une atteinte à leurs droits les plus élémentaires : droit de vivre dans la dignité et la sécurité, droit de ne subir aucune forme de violence, droit à l'éducation. La violence contre les filles est toujours injustifiable. Et elle n’est jamais inéluctable. Amnesty International 5
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 6 Inégalité et passivité La violence contre les filles à l’école est un phénomène universel, qui prend différentes formes et est plus ou moins répandu selon les endroits. Pourquoi les filles sont-elles visées ? L’origine de ce problème est à rechercher dans des cultures marquées par la domination masculine, qui tolèrent les violences liées au genre et traitent les femmes et les filles comme des êtres inférieurs, moins dignes que les hommes de bénéficier d'une éducation et de jouir des autres droits de la personne humaine. L’inégalité des sexes, la violence généralisée au sein de la société, l’incapacité à contraindre les auteurs d'abus à rendre compte de leurs actes et le refus d'appliquer certaines lois ou certaines politiques sont autant de facteurs qui y contribuent. Si la violence peut frapper les garçons comme les filles dans les établissements scolaires, l’inégalité entre les sexes agit au détriment des femmes et des fillettes, qui subissent davantage ce fléau, aussi bien à l'école que dans la société en général. Un peu partout dans le monde, les hommes continuent d’avoir plus de pouvoir et de jouir de plus de privilèges que les femmes, tout en exerçant un rôle « La violence contre les enfants a des coûts incalculables pour les générations présentes et futures et elle porte atteinte au développement humain. Nous reconnaissons que toutes les formes de violence sont liées à des rôles et inégalités sexistes profondément ancrés, et que les violations des droits de l’enfant sont liées au statut de la femme. » Déclaration africaine sur la violence contre les filles, 2006 3 6 Des écoles plus sûres : un droit pour toutes les filles
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 7 dominant sur elles, dans leur existence quotidienne. La violence est un moyen de contrôle et de maintien du rapport de forces. Les établissements scolaires se caractérisent par des relations de pouvoir asymétriques : on s’attend à ce que les enseignants contrôlent les comportements de leurs élèves, à ce que l'administration élabore le règlement et distribue les sanctions, à ce que les élèves les plus âgés donnent l’exemple aux plus jeunes. Il est facile à des enseignants ou à des membres du personnel peu scrupuleux, voire aux élèves les plus anciens, de profiter de ces statuts et de ces rôles inégaux. Certains stéréotypes renforcent les inégalités entre sexes à l’école. La participation à certaines corvées, comme le ménage, peut par exemple être attendue des filles, mais pas des garçons. Certains enseignants vont excuser les bagarres entre garçons ou ne pas prêter attention aux railleries qu’ils infligent aux filles, tout en exigeant des filles qu’elles fassent preuve de réserve et de discrétion. Certaines conceptions profondément enracinées de la sexualité et des comportements sexuels mènent à une relative tolérance de l'emploi de la force chez les hommes et les jeunes garçons, alors que l'on attend des femmes et des jeunes filles qu'elles restent passives 4. Lorsqu’il n’existe pas de mécanismes permettant de signaler, de surveiller et de sanctionner les actes de violence perpétrés à l'école contre des filles, et que L'éducation n'est pas l’impunité est la règle, les violences liées au genre ont tendance à se multiplier. seulement un droit en tant Et lorsqu’une fille dénonce un cas de violence, et notamment de violence sexuelle, que tel : c'est aussi le moyen c’est trop souvent son attitude à elle qui est jugée, plutôt que l’acte commis par de jouir d'autres droits. l'agresseur présumé. Une fille qui se plaint d’avoir été victime de sévices est parfois Lorsque des filles ne peuvent accusée d’en être elle-même responsable, par une conduite jugée légère ou une pas être scolarisées, tenue considérée comme provocante, ou parce qu’elle se trouvait à un endroit où abandonnent leurs études ou elle n’aurait pas dû être. D’autres sont tournées en ridicule ou traitées de ne peuvent pas participer menteuses par des condisciples qu’elles prenaient encore récemment pour leurs amis. Elles peuvent se heurter à l’indifférence de l’administration ou être réellement aux cours, les encouragées par leurs parents à se taire. perspectives qu'ouvre l'éducation leur sont De toute évidence, une victime hésitera à signaler les sévices dont elle a fait l'objet nécessairement bouchées. si elle craint de subir de nouveaux abus, d'être ridiculisée ou de ne susciter aucune réaction. Et tant que les auteurs d’actes criminels pourront se croire libres d’agir en toute impunité, les pratiques violentes se perpétueront. Amnesty International 7
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 8 Fillettes mayas du Guatémala jouant dans un centre pédagogique géré par l’organisation non gouvernementale Save the Children. Ces enfants travaillent dans la journée comme domestiques et se retrouvent au centre le soir.
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 9 © Stuart Freedman
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 10 Lorsque les pouvoirs publics sont confrontés au phénomène de la violence contre les filles, leur réaction est souvent d'imposer à ces dernières des règles de compor- tement plus strictes, leur dictant ce qu'elles doivent faire pour « se protéger » : avoir une tenue « décente », ne jamais se déplacer seule, rester chez elles, etc. Dans le pire des cas, il arrive que des filles soient elles-mêmes sanctionnées, sous prétexte de les « protéger ». Ainsi, la mutilation génitale est parfois présentée comme une manière de préserver la vertu des jeunes filles, en leur ôtant tout désir d'exprimer leur sexualité. Certaines familles, persuadées de rétablir ainsi leur honneur bafoué, n’hésitent pas à punir, voire à tuer des adolescentes victimes de sévices. La violence contre les filles L’État a pourtant l’obligation, à laquelle il ne peut se soustraire, d'empêcher que les est à la fois le symptôme et la femmes et les fillettes ne soient victimes de violences et, lorsqu'elles le sont, de tout faire pour traiter le problème. Il est aussi tenu de veiller à ce que tous et toutes conséquence du vaste aient accès à l’enseignement primaire et à ce que l’enseignement secondaire soit problème de l'inégalité entre ouvert aux élèves des deux sexes sans distinction. Si les filles ont peur de se rendre hommes et femmes, qu'il est à l'école à cause du climat qui règne dans les établissements, ces obligations ne indispensable de combattre sauraient être remplies. dans tous les domaines. Les États ont le devoir de veiller à ce qu’aucun de leurs agents, y compris ceux qui appartiennent au corps enseignant et à l’administration, ne commettent de violences, à ce que des mesures appropriées soient prises pour empêcher les actes de violence et dissuader ceux qui seraient tentés de s'y livrer, et à ce que les victimes d'éventuelles violations reçoivent réparation. Aucun pays ne peut se soustraire à ces obligations sous prétexte qu'il ne dispose pas de moyens suffisants. Lorsque les pouvoirs publics ne font rien pour que cesse la violence à l'école, c'est qu'ils n'en ont pas la volonté politique. Le moment d’agir est venu Le présent rapport traite de la violence dans les établissements scolaires et de ses conséquences sur le droit des filles à l’éducation. Il est fondé sur des informations directement reçues par Amnesty International, ainsi que sur des données recueillies par d’autres organisations non gouvernementales (ONG), par les Nations unies (ONU) et par divers chercheurs. S’il ne constitue qu'un aperçu de la situation, il permet d'appréhender toute l'ampleur du phénomène et l'urgence d'agir pour y mettre fin. 10 Des écoles plus sûres : un droit pour toutes les filles
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:48 Page 11 Ce document s’intéresse particulièrement à la manière dont la violence entrave la scolarisation des filles, en raison de l’ampleur des souffrances qu’elle provoque. Le rapport souligne qu’il est urgent de mener des actions efficaces sur cette question. Deux autres raisons expliquent que l’on s’y intéresse aujourd’hui. La première, c’est que les cas de violence contre les fillettes et les jeunes filles sont très peu signalés. La situation à Haïti n'a rien d'exceptionnel. Les personnes interrogées par Amnesty International estimaient toutes que la violence était très répandue dans les écoles. Mais il était impossible d’obtenir des données précises à ce sujet. C’est un sujet tabou. Très peu de cas sont officiellement signalés. Les châtiments corporels sont interdits dans les écoles haïtiennes. Pourtant, leur existence était fréquemment évoquée lors des entretiens. Les enfants, semble-t-il, sont parfois fouettés ou frappés à coups de câble électrique, ou encore contraints de rester agenouillés en plein soleil. Les personnes interrogées parlent également de privation de nourriture, de sévices sexuels infligés à des jeunes filles par des enseignants ou des membres du personnel administratif, d'insultes et de violences morales. Selon plusieurs ONG locales, élèves et professeurs rejettent les filles victimes de violences sexuelles, et celles-ci sont souvent obligées de changer d'école pour échapper à l'opprobre dont elles sont l'objet. Par ailleurs, les Objectifs du millénaire pour le développement relatifs à l’éducation L’éducation fait partie des ne soulignent pas à quel point il est important de mettre un terme à la violence droits humains. Les contre les filles. Ces Objectifs du millénaire pour le développement constituent des gouvernements ont le devoir buts majeurs que se sont fixés en l’an 2000 plus de 190 gouvernements dont de garantir un cadre sûr, dont l’objectif est d’éliminer la pauvreté. Ce document préconise entre autres l’accès universel à l’enseignement primaire et l’égalité des sexes. Il mesure cependant les la violence est exclue. progrès accomplis au nombre de filles scolarisées sans chercher à agir contre la violence et la discrimination qui nuisent à la qualité des études suivies par les filles et empêchent même parfois toute scolarisation. La présente étude s'inscrit dans le cadre plus large du programme d’action mis en place par Amnesty International à l’occasion de sa campagne Halte à la violence contre les femmes. Elle sera suivie par une série d’analyses de la situation pays par pays et par des actions ciblées. Un grand nombre de jeunes filles, de groupes de femmes et d’organisations de défense des droits humains interviennent déjà, au niveau local, sur cette question. Amnesty International 11
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 12 Groupe d’élèves de Porto- Novo, participant avec Amnesty International Bénin au lancement de la campagne Halte à la violence contre les femmes, en 2004.
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ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 14 Ainsi, en 2005, un groupe de jeunes filles de Sotouboua, au Togo, a créé Arc-en-ciel, une association d’entraide qui œuvre contre le harcèlement sexuel à l’école et contre la propagation du virus VIH et du sida, et met à la disposition des jeunes filles et femmes une structure au sein de laquelle elles pourront apprendre à défendre leurs intérêts 5. Le Comité international de secours envoie des assistantes scolaires dans les classes des écoles pour réfugiés d’Afrique occidentale. Elles sont chargées d'empêcher, dans toute la mesure du possible, que les élèves ne soient victimes de sévices ou ne soient exploitées, et de faire en sorte que le cadre scolaire soit plus accueillant pour les filles 6. On peut également citer l’exemple du Programme H, au Brésil et au Mexique, qui encourage les jeunes hommes à remettre en question les préjugés traditionnellement attachés à la notion de virilité, et qui fait la promotion d’une bonne hygiène et de l’égalité des genres 7. Le Forum for African Women Educationalists (FAWE), ONG panafricaine de promotion de l’éducation des filles et des femmes en Afrique subsaharienne, organise des programmes dont le but est d’augmenter le nombre de fillettes scolarisées, d’aider ces enfants à rester à l’école, et d’améliorer le niveau de l’éducation dispensée aux filles 8. Amnesty International constate que, dans le monde entier, des jeunes filles se montrent déterminées à faire valoir leur droit à l’éducation. Nous nous félicitons de toutes ces initiatives originales et dynamiques, qui visent à protéger les filles de la violence et à aider celles qui en sont victimes, mais nous exigeons également des États qu’ils prennent immédiatement des mesures pour s’acquitter de leurs engagements internationaux et donner enfin à toutes les fillettes et jeunes filles la possibilité de fréquenter des écoles sûres. 14 Des écoles plus sûres : un droit pour toutes les filles
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 15 1 • RECENSER LES VIOLENCES, RÉDUIRE LES EFFETS NÉFASTES Lorsqu’une jeune fille est victime de violences à l’école, ou qu’elle craint de l’être, ses résultats scolaires risquent fort de s’en ressentir. Peut-être lui sera-t-il difficile de se concentrer sur ses études, peut-être ne percevra-t-elle plus le travail scolaire comme une priorité. Cette baisse de niveau sera encore plus prononcée si la jeune fille est forcée d’être régulièrement en contact avec la personne qui la fait souffrir. La violence à l’intérieur et aux abords des établissements scolaires est un Des études montrent que les phénomène constaté partout dans le monde. Nombreuses sont les filles qui finissent femmes qui ont été victimes par considérer que les brimades, les plaisanteries et les gestes à connotation d’une agression sexuelle sexuelle, les punitions abusives ou même les actes sexuels imposés sont le prix qu'elles doivent payer pour faire des études. risquent plus que les autres d’être de nouveau agressées. Ces violences paraissent banales, mais elles sont gravement préjudiciables. Pas moins de 60 p. cent des La violence contre les filles dans les écoles et aux alentours constitue un obstacle femmes dont la première qui empêche les victimes de jouir pleinement de leur droit à l'éducation. Elle porte expérience sexuelle a eu lieu atteinte à leur vision d’elles-mêmes, compromet leurs résultats scolaires et a des effets aussi bien immédiats qu’à long terme sur leur santé physique et mentale, sous la contrainte sont plus ainsi que sur leur indépendance socioéconomique. tard victimes d’autres violences sexuelles 9. Une personne qui n’a pu mener à bien ses études en subira les conséquences sa vie durant. Dans le cas particulier des jeunes filles, celles qui ont un faible niveau d’instruction ont moins de chances de parvenir à l’indépendance financière. La probabilité est forte qu’elles se marient très jeunes, avec toutes les conséquences que cela peut avoir en termes de santé et d'équilibre affectif. Elles sont beaucoup plus exposées au danger d’être infectées par le VIH ou de mourir en accouchant. Elles auront plus de mal à se faire une place dans la société et à faire valoir leurs droits. Les relations que peuvent avoir les enfants entre eux et avec les adultes déterminent celles qu’ils auront plus tard, lorsqu’ils auront grandi. Si la société impose dès l’école des définitions rigides de la féminité et de la masculinité qui se traduisent par des moqueries, des actes de harcèlement ou des violences, les lesbiennes, Amnesty International 15
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 16 les gays et les personnes bisexuelles et transgenres risquent fort, dans le contexte scolaire, de ne pas pouvoir exprimer leur véritable identité. Si les premières expériences sexuelles d’une jeune fille se font sous la contrainte, elle risque davantage de connaître la violence dans sa vie d’adulte 10. À terme, les sociétés qui ne font rien contre les violences infligées aux filles subissent les conséquences de leur passivité. Le niveau scolaire de leurs élèves est bas, et la discrimination entre hommes et femmes y atteint un degré élevé. par des M., une mère de famil le renco ntrée en Macé doine qu’au cune de délég ués d’Am nesty Inter natio nal, a recon nu : « Je ne veux ses trois filles adole scent es n'éta it scola risée qu’ell es ne pas qu’ell es aillen t à l’écol e en ville… J’ai peur qu’ell es se soien t pas en sécur ité si elles sorten t. J’ai peur ité. » fassen t enlev er et qu’ell es perde nt leur virgin Lésions physiques et autres conséquences graves Un nombre croissant d’éléments, recueillis dans le monde entier, indiquent que les violences liées au genre qui touchent les femmes et les fillettes peuvent entraîner la mort, par homicide, par suicide, ou des suites du sida 11. Les filles qui sont victimes de violences subissent des blessures diverses, de l'ecchymose à la fracture, ou des incapacités graves. Dans les cas les plus extrêmes, elles perdent la vie. La violence a également des effets durables sur la santé, qui peuvent prendre la forme, par exemple, de douleurs chroniques ou de troubles gastro-intestinaux 12. Selon un rapport publié par l’ONU en 2006 sur la violence à l’égard des enfants, plusieurs études, menées dans le monde entier, insistent toutes sur la gravité des conséquences de ce phénomène. Ainsi : 16 Des écoles plus sûres : un droit pour toutes les filles
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 17 « La tolérance de la violence contre les enfants est un obstacle important à la santé et au développement en Europe. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser cette violence s’installer sans rien faire ; nous devons agir immédiatement pour changer les conditions qui font que les enfants en sont victimes. » Marc Danzon, directeur régional pour l’Europe, Organisation mondiale de la santé 13 Une étude réalisée en Europe montre que, parmi les enfants souffrant de dépression, le point commun le plus fréquemment relevé est l’infliction de châti- ments corporels dans le passé. Une autre étude, menée au Cameroun, indique que les punitions corporelles, à la maison et à l’école, inhibent la socialisation de ceux qui en étaient victimes, qui ont tendance à devenir passifs et excessivement prudents, craignent d'exprimer leurs idées et leurs sentiments et, dans certains cas, se livrent à des violences psychologiques sur d’autres. Les victimes et les auteurs de brimades ont fréquemment de moins bonnes notes que leurs camarades. Selon une étude réalisée au Népal, 14 p. cent des élèves qui abandonnaient leurs études en cours de route le faisaient par peur de leur professeur. Plusieurs travaux de recherche menés en Afrique du Sud montrent que les élèves qui se plaignent d’être victimes de violences sexuelles se heurtent ensuite à une telle hostilité qu’elles doivent arrêter l’école pendant quelque temps, changer d’établissement ou même mettre un terme à leurs études. Plusieurs études réalisées dans des pays d’Afrique, d’Asie et des Antilles soulignent que les jeunes filles qui se retrouvent enceintes à la suite d’agressions sexuelles ou de rapports forcés sont souvent contraintes de quitter l’école 14. Amnesty International 17
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 18 Quand une fille subit une bastonnade punitive, quand un camarade l’agresse sexuellement, quand elle est la cible d’une projection d'acide, elle endure une souffrance incontestable et inacceptable. Quels que soient les sévices subis, qu’ils soient le fait d’autres élèves ou d’adultes, leur gravité ne peut toutefois pas s’évaluer uniquement à l’intensité de la douleur physique infligée. Il est plus facile de mesurer la longueur d’une cicatrice sur le corps d'un enfant que d’apprécier les autres traces, bien plus durables, que la violence a pu laisser en portant atteinte à son équilibre mental et au sentiment qu’il a de son intégrité. Dans certains pays d’Asie du Sud, des filles ont été la cible de jets d'acide. Ces agressions sont perpétrées dans des contextes divers : différends familiaux ou fonciers, conflits liés au montant de la dot, vengeance d’un prétendant éconduit, etc. Selon la Fondation pour les victimes des agressions à l’acide, une ONG du Bangladesh, 27 p. cent des attaques à l’acide recensées dans ce pays visaient des mineures, et plusieurs actes de ce type auraient eu lieu dans des écoles 15 . Exploitation et sévices sexuels « L’an dernier, j'avais peur de mon professeur. Il voulait absolument que j'aie des rapports sexuels avec lui. […] J’en ai parlé à mes parents, mais ils n’ont rien fait contre mon professeur. Ils ne l'ont même pas dit au directeur. Ils ont peur des enseignants. Ils s’estiment inférieurs à eux. Maintenant, quand je suis à l’école, j’ai peur, et je manque souvent les cours. » Témoignage d’une jeune Béninoise, cité par B. Wilbe, dans Making School Safe for Girls : Combating Gender-Based Violence in Benin. 18 Des écoles plus sûres : un droit pour toutes les filles
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 19 Deux élèves d’une école élémentaire de Philadelphie rentrant chez elles. La multiplication des incidents impliquant des armes à feu dans les établissements scolaires américains a entraîné un certain nombre de mesures de sécurité faisant appel à des technologies avancées, d'une efficacité et d'une légalité contestables, sans qu’aucune initiative visant à traiter systématiquement les causes profondes du problème de la violence dans les écoles n'ait été mise en œuvre. ©AP Mark Stehle/AP/PA Photos
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 20 Le harcèlement sexuel à l'école est une réalité dans de nombreux pays du monde. Une étude réalisée aux États-Unis révèle ainsi que 83 p. cent des élèves du secondaire (âgées de douze à seize ans environ) scolarisées dans le public disent avoir été victimes de harcèlement sexuel, sous une forme ou une autre 16. Selon une autre étude, menée en 2006 auprès de filles scolarisées au Malawi, 50 p. cent d'entre elles disaient avoir subi des attouchements sexuels « sans leur consentement, soit par leurs enseignants soit par leurs condisciples masculins 17». Le harcèlement sexuel à l’école est également répandu en Amérique latine, notamment en République dominicaine, au Honduras, au Guatemala, au Mexique, au Nicaragua et au Panama 18. Selon un rapport des Nations unies de 2006 sur la violence à l’égard des enfants, le phénomène « est particulièrement courant, voire extrême, dans les endroits où d’autres formes de violence scolaire sont également prévalentes 19 ». Lorsqu’une très jeune fille est contrainte à avoir des rapports sexuels, les lésions causées par cette activité sexuelle forcée entraînent parfois des complications diverses (fistules, infections génitales hautes ou autres troubles gynécologiques). La violence sexuelle peut entraîner toutes sortes de conséquences : infections Selon l’organisation non gouvernementale Plan Togo, le harcèlement sexuel des filles scolarisées par les enseignants est tellement répandu au Togo qu'il a donné naissance à un véritable argot spécialisé. Ainsi, l’expression « notes sexuellement transmises » désigne des bonnes notes qui seraient dues aux relations sexuelles d’une élève avec son enseignant. On appelle parfois « cahier de roulement » une élève présumée avoir eu des relations avec plusieurs enseignants. Les lettres BF (marque de savon connue au Togo) sont censées signifier « bordelle fatiguée », formule désignant une jeune fille qui serait épuisée par ses multiples rapports sexuels avec des enseignants 20. 20 Des écoles plus sûres : un droit pour toutes les filles
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 21 La Cour constitutionnelle de Colombie a estimé que le fait d’exclure contre son gré du cycle scolaire normal une jeune fille enceinte constituait une forme de punition, qui portait atteinte à ses droits : « Faire de la grossesse, dans le cadre du règlement scolaire, un motif de punition constitue une violation des droits fondamentaux à l’égalité, au respect de la vie privée, au libre épanouissement de la personnalité et à l'éducation 21. » sexuellement transmissibles, y compris le sida, grossesse non désirée, dysfonc- tionnement sexuel, douleurs pelviennes chroniques, avortements à risques, etc 22. Les grossesses chez les très jeunes filles, qu’elles soient ou non désirées, peuvent résulter de violences liées au genre. Dans le monde entier, il arrive que des filles scolarisées soient enceintes sans le vouloir. Le responsable est parfois un enseignant, ou un garçon plus âgé, ou un prétendu protecteur qui a donné argent ou cadeaux à la jeune fille en échange de ses faveurs. Malgré l'existence dans certaines régions de politiques visant à permettre aux jeunes mères de reprendre leurs études après la naissance de leur enfant, ces grossesses marquent le plus souvent la fin définitive de la scolarisation de la jeune fille, qui voit ainsi s'éloigner ses espoirs d'indépendance socioéconomique. Les grossesses non désirées peuvent avoir de graves répercussions : avortements à risque, suicides, réactions brutales des familles, qui peuvent aller du rejet au meurtre, en passant par l'ostracisme. Un avortement pratiqué dans de mauvaises conditions pour mettre fin à une grossesse non désirée peut lui aussi nuire gravement à la santé de l’adolescente et même mettre sa vie en danger. Selon Margaret Sitta, ministre de l’Éducation et de la Formation professionnelle de Tanzanie, entre 2003 et 2006, plus de 14 000 filles scolarisées dans le primaire ou dans le secondaire ont été exclues de leur établissement parce qu’elles étaient Amnesty International 21
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 22 enceintes. Selon elle, la pauvreté mettait certaines jeunes filles à la merci d’hommes sans scrupules ; le viol, le manque d’attention parentale, les mariages précoces et les distances à parcourir pour se rendre à l’école étaient, a-t-elle précisé, autant de facteurs de grossesses non désirées 23. Le mariage précoce crée évidemment les conditions d’une activité sexuelle Dans le cadre d'une campagne nationale visant à prématurée, qui constitue une forme de violence sexuelle. De plus, cette pratique scolariser davantage de entraîne souvent l'arrêt des études de la jeune mariée. En cela, elle constitue une fillettes et de jeunes filles des forme de violence contre les jeunes filles, qui a des conséquences sur l'exercice de zones rurales et des milieux leur droit à l'éducation 24. défavorisés, une enseignante cherche à convaincre une adolescente d’un quartier pauvre de Van, dans l’est de la Turquie, qu’elle doit aller à l’école. Traditionnellement, les filles sont astreintes à des corvées et à des tâches dont les garçons sont exemptés, ce qui limite leurs possibilités de fréquenter un établissement scolaire. ©AP Photo/Burhan Ozbilici
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 23 Préjudice affectif et psychologique Les victimes de violences perpétrées dans le cadre scolaire souffrent de nombreuses séquelles affectives et comportementales, allant de l’insomnie aux tentatives de suicide, en passant par la perte d’appétit, la dépression, les angoisses, le désespoir, la dépréciation de soi, l’agressivité, l’alcoolisme, la toxicomanie ou encore des activités sexuelles à haut risque. La dépression est l’une des conséquences les plus fréquentes de la violence sexuelle et physique exercée contre les filles. Une étude réalisée en 2005 en Jamaïque révèle que 66 p. cent des hommes et 49 p. cent des femmes étaient d’accord avec la phrase « Lorsque des femmes et des jeunes filles se font violer, ce sont parfois elles qui l'ont cherché 25 ». Quand les enseignants insultent des élèves, ces derniers peuvent se sentir dévalo- risés 26. La discrimination pratiquée par certains professeurs à l’égard des filles, qu’ils considèrent comme moins intelligentes ou moins dynamiques que les garçons, peut avoir le même effet. Un obstacle à la prévention du sida L’éducation est un élément déterminant dans la lutte contre la propagation du VIH et du sida. Lorsque la violence force une jeune fille à abandonner ou à négliger ses études, elle l’empêche d’acquérir des connaissances qui pourraient lui permettre d’être moins vulnérable à une éventuelle infection par le VIH. L’accès à un enseignement de qualité est essentiel pour que la femme, une fois adulte, jouisse d’une véritable indépendance économique et soit donc mieux armée pour négocier les termes de sa vie sexuelle, notamment en évitant les pratiques à risque. Tout être humain a le droit d’aspirer au meilleur état de santé possible. Ce droit comprend notamment le droit à l'éducation et à l'information en matière de santé. Dans les établissements scolaires, les enfants et adolescents peuvent bénéficier Amnesty International 23
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ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 25 Moment de détente pour trois adolescentes, après un rituel de passage alternatif, organisé dans un foyer pour jeunes filles fuyant les mutilations génitales et le mariage forcé, dans le sud de la vallée du Rift, au Kenya. La violence est l’une des causes principales de l'échec scolaire chez les ©Paula Allen filles. Cette situation a de nombreuses conséquences : faible scolarisation, taux élevé d’abandon scolaire, mariages et grossesses précoces, maladies sexuellement transmissibles, etc. Décembre 2005.
ACT77_001_2008_ext_fra:Blank 22/02/08 10:49 Page 26 d’une information sur la santé. De plus, grâce à l’enseignement général que l’on y dispense, ils comprennent mieux et peuvent mettre en pratique les notions qui leur sont transmises. En privant les enfants de leur droit à l’éducation, on compromet donc leur droit à la santé. La Campagne mondiale pour En outre, si les filles scolarisées courent un risque d’agressions sexuelles dans leur l’éducation estime que, établissement ou à proximité, elles sont exposées au danger de l’infection par le VIH. Dans les pays où le taux d’infection par le VIH est élevé et où la violence chaque année, 700 000 cas sexuelle est un phénomène endémique, les femmes risquent d’être contaminées nouveaux d’infection par le à la suite d'un viol. Les jeunes filles sont particulièrement vulnérables. Dans un VIH pourraient être évités si contexte de violence, il y a peu de chances pour que des mesures de prévention l’enseignement primaire était soient prises. Les pressions et la contrainte s’exerceront plus facilement lorsque la universel. différence d'âge entre une jeune fille et son « partenaire » est importante (élève plus âgé, enseignant, « protecteur » adulte 27 ). Une fillette contrainte à avoir des rapports sexuels peut ensuite souffrir de nom- breuses complications gynécologiques. Les jeunes filles séropositives risquent d’être exclues de l’école ou de faire l’objet de réactions de rejet, d'actes de harcèlement, voire d’agression au sein de leur établissement. Enfin, dans les familles où quelqu’un est malade du sida, ce sont généralement les filles qui restent à la maison pour en prendre soin. De nombreux conflits armés sont marqués par une généralisation de la violence sexuelle contre les femmes et les fillettes, ce qui entraîne une forte propagation du VIH. Ainsi, 70 p. cent des 250 000 à 500 000 femmes et fillettes qui ont survécu après avoir été violées ou avoir subi d’autres violences sexuelles lors du génocide commis en 1994 au Rwanda sont aujourd’hui séropositives au VIH ou malades du sida 28. 26 Des écoles plus sûres : un droit pour toutes les filles
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