LE PIÈGE MONDIAL DU GAZ - DESASTRE DROIT DEVANT - Rosa Luxemburg Brussels
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
LE PIÈGE MONDIAL DU GAZ DESASTRE DROIT DEVANT ALFONS PÉREZ Co-auteurs de l’étude : Anna Pérez, David Panadori, Nicola Scherer, Alfred Burballa, Josep Nualart et Raül Sánchez. Nous voudrions exprimer nos remerciements à Alba del Campo, Luis González, Pedro Pietro, Antonio Turiel, Sara Sánchez, Elena Gerebizza, Samuel Martín-Sosa, Frida Kieninger, Marijke Vermander et Marlis Gensler, pour avoir relu le texte et fait part de leurs suggestions. Bruxelles, avril 2018
CONTENTS INTRODUCTION : QU‘ALLEZ-VOUS TROUVER DANS CETTE ÉTUDE ? 4 I CONCEPTS DE BASE SUR LE GAZ 7 Qu’est-ce que le gaz ? 8 Quels sont les différents types de gaz ? 9 Comment les quantités de gaz sont-elles mesurées ? 10 Comment le gaz est-il mis sur le marché ? 11 II LE GAZ DANS LE PASSÉ: UNE CROISSANCE RÉGIONALE LENTE 14 III LE GAZ AUJOURD’HUI : UNE CROISSANCE MONDIALE RAPIDE 19 Géopolitique: nouvelles relations gazières 21 Projets d’importation et d’exportation 25 Les grandes compagnies pétrolières et gazières 30 IV GAS IN EUROPE 33 Données sur le gaz en Europe 34 Consommation 34 Extraction 36 Importations 37 Dépendance au gaz 39 Sécurité énergétique et union de l’énergie 43 Les infrastructures: gazoducs et terminaux méthaniers 46 Les accords de libre-échange 55
V LA FINANCIARISATION DANS LE SECTEUR DU GAZ 56 Le gaz comme « carburant » de transaction 57 La financiarisation des infrastructures 59 VI DÉPENDANCE ET INSÉCURITÉ DANS LES PAYS EXPORTATEURS 63 Dépendants à l’extraction d’énergies fossiles 64 Indices de la situation des pays exportateurs 66 Impacts sur la population 70 VII LE GAZ FOSSILE : AMI OU ENNEMI DU CLIMAT ? 73 VIII CONCLUSION ET RÉFLEXION FINALE 79 BIBLIOGRAPHIE 84 ~3~
INTRODUCTION : QU‘ALLEZ-VOUS TROUVER DANS CETTE ÉTUDE ? Le gaz naturel progresse et gagne en importance dans le paysage énergétique mondial. Le gaz est entré dans la rhétorique officielle comme le combustible de la transition éner- gétique vers une économie bas-carbone, bien qu’il n’ait pas encore dépassé le charbon ni le pétrole en termes de quantité consommée. Cette affirmation est répétée comme un mantra pour ouvrir le chemin au développement du gaz au niveau mondial. Pour cette raison, cette étude entend adopter une approche critique des multiples dimensions et implications de la progression du gaz à l’échelle mondiale, en particulier dans l’Union européenne, avec l’intention de traduire cette complexité en arguments clairs pour aider le débat, en accordant une attention particulière à l’influence géopolitique et aux intérêts économiques et financiers liés à cet engouement pour le gaz. Cette publication commence par un résumé des principales caractéristiques du gaz (chapitre 1), qui ont fait qu’il était auparavant considéré comme un sous-produit de ~4~ l’extraction du pétrole brut, difficile à transporter et à stocker compte tenu de son état gazeux (chapitre 2). Mais maintenant que cette étape a été franchie, et avec l’apparition inattendue du gaz non conventionnel, son développement semble irréversible, tant en ce qui concerne l’exploration et l’exploitation des gisements de gaz que pour la planification d’un nombre infini d’infrastructures gigantesques (chapitre 3). Par conséquent, la valeur géostratégique des régions possédant des réserves de gaz est en hausse et l’intérêt pour la création d’un véritable marché mondial du gaz augmente. Au sein de l’Union européenne, la baisse de l’extraction interne et la croissance de la consom- mation jusqu’en 2010 ont accru sa dépendance vis-à-vis des pays étrangers, augmentant la pression sur les autres territoires et communautés riches en énergies fossiles (chapitre 4). L’UE a ensuite annoncé son Union de l’énergie, une stratégie qui comporte une dimension extérieure, visant à diversifier les importations grâce à des voies d’acheminement situées en dehors de la zone d’influence russe, et une dimension intérieure, afin d’interconnecter les États membres pour que les m3 de gaz puissent circuler librement dans l’UE. Malgré la sous-utilisation des infrastructures existantes, la justification/l’excuse du conflit entre la Russie et l’Ukraine est suffisante pour planifier de nouveaux gazoducs et terminaux pour les importations de gaz, en les qualifiant de projets d’intérêt commun et en leur allouant des capacités de financement et des garanties publiques.
C’est précisément la partie financière, à la fois la transition des prix indexés au pétrole brut vers les prix de marché, et l’investissement de plusieurs millions d’euros dans les infrastructures gazières, qui est un aspect clé de cette étude. La financiarisation du gaz et de ses infrastructures ouvre la porte à de nouveaux acteurs (fonds d’investissement par exemple) qui n’ont rien à voir avec le monde de l’énergie et encore moins avec les besoins de la population (chapitre 5). L’étude aborde également l’impact sur les pays exportateurs et leur population, révélant des indicateurs et des cas concrets qui montrent l’autre visage des relations gazières (chapitre 6). Enfin, les fuites de méthane tout au long de la chaîne, depuis l’extraction jusqu’à la consommation (chapitre7), sont examinées. Les calculs jettent un sérieux doute sur l’idée selon laquelle le gaz est bon pour le climat et, par conséquent, sur les politiques qui font sa promotion et les accords de libre-échange qui l’encouragent et s’opposent donc à la lutte contre le changement climatique et à l’Accord de Paris. GAZ NATUREL OU GAZ FOSSILE Le mot « naturel » dans « gaz naturel » amène un double sens tout à fait voulu. La raison pour laquelle on l’appelle « gaz naturel » est l’origine de son extraction de la nature, contrairement aux gaz produits à partir du charbon ou du pétrole. L’indus- trie gazière a joué du mot « naturel » pour faire penser à l’environnement et à un ~5~ avenir vert, alors même qu’il s’agit d’un combustible fossile. C’est pourquoi, afin de rappeler ses impacts sociaux et climatiques et rendre visible cette opération de greenwashing menée par l’industrie, nous préférons parler de « gaz fossile ».
Une étape nécessaire qui aide à comprendre tout ce qui touche au monde du gaz est d’appréhender les concepts de base qui reviennent dans les articles, les études, les documents officiels, etc. et qui finissent par masquer les informations importantes qui y sont contenues. QU’EST-CE QUE LE GAZ ? C’est un mélange d’hydrocarbures gazeux légers qui peuvent être extraits de gisements de gaz purs ou en association avec d’autres hydrocarbures. Son principal composant est le méthane (87 à 97 %), mais il contient aussi de petites quantités d’éthane, de propane, de butane, d’azote et de dioxyde de carbone.1 Appeler « gaz naturel » un mélange essen- tiellement composé de méthane masque le fait que, bien qu’étant le combustible fossile responsable des plus faibles émissions de CO2 lors sa combustion, les fuites dans les opérations précédentes dégagent un gaz au potentiel de réchauffement global (PRG) 86 fois supérieur à celui du CO2 sur 20 ans.2 POTENTIEL DE RÉCHAUFFEMENT GLOBAL DU MÉTHANE PAR RAPPORT AU CO2 REPORT AT 20 YEARS AT 100 YEARS 3 GIEC 1995 56 21 4 GIEC 2007 72 25 ~8~ 5 GIEC 2013 86 34 Tableau 1 / Compilé par les auteurs à partir des données des rapports du GIEC Des rapports successifs du GIEC ont réévalué le PRG du méthane à la hausse; cependant, de nombreuses institutions continuent d’utiliser un PRG de 21 ou 25.6 1 Union gas (non daté) https://www.uniongas.com/about-us/about-natural-gas/Chemical-Composition-of-Natural-Gas consulté le 10/11/16. 2 GIEC (2007) page 84 http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar4/wg1/ar4-wg1-chapter2.pdf 3 GIEC (1995) page 36 http://www.ipcc.ch/ipccreports/sar/wg_I/ipcc_sar_wg_I_full_report.pdf 4 GIEC (2007) page 55 Ibid. 5 GIEC (2007) page 84 Ibid. 6 Martín-Sosa, Samuel (2016) https://www.elespanol.com/ciencia/ecologia/20161101/167603239_12.html
LIVRES DE CO2 ÉMIS PAR MILLION DE BTU D’ÉNERGIE CONSOMMÉE % PAR RAPPORT AU GAZ Charbon (anthracite) 228,6 195 % Charbon (bitumineux) 205,7 176 % Charbon (lignite) 215,4 184 % Charbon (subbitumineux) 214,3 183 % Diesel et fioul domestique 161,3 138 % Essence 157,2 134 % Propane 139,0 119 % Gaz 117,0 100 % Tableau 2 / Source: U.S. Energy Information Administration7 Le gaz est transparent mais, contrairement à ce qu’il peut sembler, il est inodore, bien qu’une substance y soit ajoutée pour aider à détecter les fuites. Il n’est pas toxique, bien qu’il puisse remplacer l’oxygène et tuer par asphyxie. QUELS SONT LES DIFFÉRENTS TYPES DE GAZ ? Le gaz peut avoir différentes compositions chimiques, mais les classifications les plus courantes se basent sur l’endroit où on trouve le gaz en question. Le gaz est extrait prin- ~9~ cipalement dans les zones d’extraction de pétrole brut, c’est pourquoi son histoire est associée et subordonnée à cette extraction. En plus du gaz dit conventionnel, il existe des gaz dits non conventionnels, tels que le gaz de schiste, le gaz de réservoir compact (ou étanche) et le gaz de houille (ou gaz de couche). Le gaz de schiste, gaz issu de la fracturation hydraulique, se trouve dans certains schistes. Le gaz de réservoir compact se trouve dans la roche présentant une très faible perméa- bilité et nécessite également une fracturation hydraulique. Le gaz de houille, comme son nom l’indique, est du méthane piégé dans les veines de houille ou de charbon; il est normalement extrait par forage horizontal, avec ou sans fracturation hydraulique. 7 U.S. Energy Information Administration (2016) https://www.eia.gov/tools/faqs/faq.php?id=73&t=11
GÉOLOGIE SIMPLIFIÉE DES RESSOURCES EN GAZ Surface Gaz conventionnel non associé Méthane de houille Gaz dits conventionnels Grès Couche imperméable Pétrole Gaz de réservoir gréseux à faible perméabilité Schiste riche en gaz Source : U.S. Energy Information Administration 8 COMMENT LES QUANTITÉS DE GAZ SONT-ELLES MESURÉES ? Les quantités de gaz peuvent prêter à confusion, étant donné que les unités de mesure ~ 10 ~ utilisées peuvent indiquer des volumes, l’énergie y étant contenue ou son équivalent et, dans certains cas, le poids. En général, les réserves ont tendance à être mesurées en trillion cubic metres 9 (tcm = bmc en français: billion de mètres cubes) ou en trillion cubic feet (tcf = bpc en français: billion de pieds cubes). Les capacités de transport, d’exportation et d’importation sont mesurées en billions cubic metres (bcm = mmc en français: milliards de mètres cubes) ou en billions cubic feet (bcf = mpc en français: milliards de pieds cubes). L’énergie contenue peut être mesurée en kilojoules (kJ), en British thermal units (BTU, unités thermiques britanniques), en kilowattheures (kWh) ou en tonnes d’équivalent pétrole (TEP). Il est à noter que l’énergie contenue par quantité de gaz, paramètre très important, n’est pas constante et varie considérablement en fonction de la composition du gaz au site d’extraction ainsi que du processus de filtration. Si les quantités en volume sont accompagnées d’unités de temps, elles peuvent indiquer le débit de gaz qui peut être produit, transporté, consommé, etc. Par exemple, mmc/an ou GWh/jour. 8 U.S. Energy Information Administration (2016) https://www.eia.gov/tools/faqs/faq.php?id=73&t=11 9 Le billion et le milliard se réfèrent respectivement à 1012 et 10 9 puisqu’ils sont exprimés dans le système «à échelle courte» utilisé aux États-Unis, dans la partie anglophone du Canada et au Royaume-Uni.
CONVERSION DES UNITÉS LES PLUS COURANTES POUR LE GAZ VOLUME VOLUME VOLUME VOLUME ÉNERGIE ÉNERGIE ÉNERGIE ÉNERGIE ÉNERGIE ÉNERGIE ÉNERGIE de:/à: bmc bpc mmc mpc BTU MBTU kWh GWh kJ GJ TEP bmc 1 35,3 1,000 3,53E+04 3,79E+16 3,79E+10 1,11E+13 1,11E+07 4,00E+16 4,00E+10 9,55E+08 bpc 0,02833 1 28,33 0,001 1,07E+15 1,07E+09 3,15E+05 0,3145 1,13E+15 1,13E+09 2,70E+08 mmc 0,001 0,0353 1 35,3 3,79E+13 3,79E+07 1,11E+10 1,11E+04 4,00E+13 4,00E+07 9,55E+05 mpc 2,83E-05 0,001 0,02833 1 1,07E+12 1,07E+06 3,15E+08 314,5 1,13E+12 1,13E+06 2,70E+05 BTU 2,80E-17 9,32E-16 2,80E-14 9,32E-13 1 1,00E-06 2,93E-04 2,93E-10 1,06 1,06E-06 2,52E-08 MBTU 2,80E-11 9,32E-10 2,80E-08 9,32E-07 1,00E+06 1 293 2,93E-04 1,06E+06 1,055 0,025202 kWh 9,00E-14 3,18E-12 9,00E-11 3,18E-09 3410 0,00341 1 1,00E-06 3600 0,0036 8,60E-05 GWh 9,00E-08 3,18E-06 9,00E-05 0,00318 3,41E+09 3410 1,00E+06 1 3,60E+09 3600 85,980 kJ 2,50E-17 8,83E-16 2,50E-14 8,83E-13 0,947 9,47E-07 2,78E-04 2,78E-10 1 1,00E-06 2,39E-08 GJ 2,50E-11 8,83E-10 2,50E-08 8,83E-07 9,47E+05 0,947 277,8 2,78E-04 1,00E+06 1 0,02388 TEP 1,05E-09 3,70E-08 1,05E-06 3,70E-05 3,97E+07 39,68 1,16E+04 0,01163 4,19E+07 41,868 1 Tableau 3 / Source : U.S. Energy Information Administration10 COMMENT LE GAZ EST-IL MIS SUR LE MARCHÉ ? La chaîne allant de l’extraction à la consommation est relativement simple si l’on s’en tient à ses principaux éléments. Des puits d’extraction, le gaz est transporté à l’usine de traite- ment, où certains composants sont retirés du gaz, tels que l’azote et le dioxyde de carbone, qui compliquent le transport et la combustion.11 Après cette opération, et en fonction de la destination finale, le gaz est acheminé vers une usine de compression, ce qui augmente sa ~ 11 ~ pression afin qu’il puisse être envoyé jusqu’au lieu de consommation par un gazoduc. Sur de grandes distances12 ou en l’absence de réseau de gazoducs, le gaz est acheminé vers une usine de liquéfaction, également appelée « terminal méthanier d’exportation », où il est converti en liquide suite à un processus coûteux de cryogénisation qui abaisse sa tempéra- ture à -162° C et réduit son volume jusqu’à 600 fois. Le gaz à son stade liquide est connu sous le nom de gaz naturel liquéfié ou GNL. Le GNL permet de transporter de plus grandes quantités de gaz dans les navires méthaniers. Les navires méthaniers transportent le gaz par la mer vers des usines de regazéification ou des terminaux méthanier d’importation où il est ramené à l’état gazeux. De là, il circule à travers les conduites de gaz jusqu’à l’usine de compression et, à partir de là, jusqu’aux consommateurs. Le gaz peut également être stocké pour une utilisation ultérieure (Fernández Durán & González Reyes, 2014). 10 U.S. Energy Information Administration (2016) http://wds.iea.org/wds/pdf/Gas_documentation.pdf 11 U.S. Energy Information Administration (2006) https://www.eia.gov/naturalgas/archive/feature_articles/2006/ngprocess/ ngprocess.pdf 12 Certains auteurs donnent ces estimations : 4 000 km par voie terrestre et 2 000 sous l’eau (Fernández Durán & González Reyes, 2014).
CHAÎNE D’APPROVISIONNEMENT EN GAZ PRODUCTION DISSÉMINATION UTILISATION DE L'ÉNERGIE Exploitation conventionnel et non conventionnel
LIMITES BIOPHYSIQUES Le gaz est un combustible fossile non renouvelable. Son utilisation intensive et extensive nous rapproche de plus en plus de son pic d’extraction maximal : le pic de gaz. La plupart des auteurs situent ce pic autour de l’année 2030, année à partir de laquelle une baisse de l’extraction sera irréversible pour des raisons géologiques. En outre, la courbe descendante après le pic se traduit par une plus grande volatilité et une tendance à voir s’installer des prix élevés pour le gaz, mais aussi par une augmentation de la pression sur le contrôle de cette ressource et par conséquent, par un impact négatif plus important sur les populations les plus vulnérables. PROFILS D’EXTRACTION MAXIMALE DE GAZ (BPC/AN) 250 BILLIONS DE PIEDS CUBES ANNUELS (BPC/AN) 200 150 100 50 ~ 13 ~ 0 1990 2010 2030 2050 2070 2090 Lahèrrere 2006 Mohr&Evans 2011 Cas élevé WEO2010 Politiques actuelles de production ASPO2009 Mohr&Evans 2011 Meilleure estimation Données historiques Mohr&Evans 2011 Cas faible Graphique 1 / Source : The transition towards renewable energies: Physical limits and temporal conditions (La transition vers les énergies renouvelables: limites physiques et conditions temporelles) (Mediavilla, de Castro, Capellán, Miguel, Arto, & Frechoso, 2012).
II LE GAZ DANS LE PASSÉ: UNE CROISSANCE ~ 14 ~ RÉGIONALE LENTE
Le premier puits souterrain connu pour l’extraction du gaz a été mis en service en 1821 à Fredonia, New York, par William Hart. Le puit, qui faisait moins de 8 mètres de profondeur, était relié par une canalisation rudimentaire de troncs d’arbres creux attachés ensemble avec des chiffons et du goudron. Les difficultés liées à la tuyauterie et au transport du gaz limitèrent son expansion jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les améliorations appor- tées aux méthodes de traitement des métaux, de soudage et de production de tubes pendant la guerre ont transformé la construction de réseaux de gazoducs en une activité économiquement plus attrayante.13 Les grandes compagnies pétrolières et gazières ont vu le jour à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. La Standard Oil a été créée en 1870 par John D. Rockefeller. Ses dirigeants ont été contraints de la diviser en 4 entreprises en raison des lois anti-monopole adoptées par les États-Unis. C’est ainsi qu’Exxon Mobil et Chevron ont été fondées. Shell a été créée en 1907, peu avant British Petroleum (BP). En 1920, la Deutsche Bank a cédé 25 % de la Turkish Petroleum Company à la France en compensation des dommages causés par l’Allemagne à la République française pendant la Première Guerre mondiale. Cet acte a été le début embryonnaire de la société Total. Plusieurs décennies plus tard, en 1959, le gisement de gaz de Groningue (en néerlandais Groningen) a été découvert aux Pays-Bas et le développement du gaz en Europe a réelle- ment décollé. Trois ans plus tard, les Pays-Bas ont commencé à exporter du gaz vers la France, la Belgique et l’Allemagne. Jan Willem de Pous, ministre hollandais des Affaires économiques, a alors créé une formule pour fixer un prix à l’exportation qui garantissait les bénéfices du pays exportateur et de l’entreprise titulaire de la licence. La solution ~ 15 ~ était de trouver une « valeur de référence » reliant le prix du gaz à celui d’un combustible alternatif qui pourrait le remplacer, qui était à l’époque le pétrole brut.14 Au fil du temps, cette formule s’est fait connaître sous l’appellation « prix indexé sur le pétrole ». Cette méthode d’indexation a permis à Exxon, Shell et au gouvernement néerlandais de réaliser plus de bénéfices que si le prix du gaz avait été lié aux coûts d’extraction dans le gisement de gaz de Groningue. La méthode De Pous a servi de base aux accords d’approvisionnement en gaz. Les contrats prévoient des périodes de 20 à 25 ans et comprennent des dispositions d’achat garanti telles que les contrats d’enlèvement ferme, c’est-à-dire que l’acheteur doit payer pour un volume minimum de gaz même s’il finit par ne pas l’importer. L’objet de ce type de contrat est d’établir des « relations stables » entre les exportateurs et les importateurs. D’une part, les pays exportateurs peuvent développer les infrastructures extrêmement coûteuses nécessaires à l’exportation tout en réduisant le risque de les voir tomber en désuétude et, d’autre part, les importateurs peuvent s’assurer d’un approvisionnement capable de couvrir leurs besoins en matière de sécurité énergétique. 13 New York State (non daté) https://www.dec.ny.gov/docs/materials_minerals_pdf/nyserda2.pdf 14 The Global Gas Historical Network (non daté) http://archive.is/GDgWK consulté le 07/08/16.
Dans les années 1960, le Royaume-Uni a découvert les premiers champs gaziers de la mer du Nord pour aider à couvrir sa consommation intérieure.15 La Norvège a suivi la même voie, mais a dû construire des gazoducs pour l’exportation vers le Royaume-Uni et l’Europe parce que son marché intérieur était limité (Stern, 2004). RÉSEAU DE GAZODUCS NORVÈGE-EUROPE, 2016 NORVÈGE ~ 16 ~ SUÈDE DANEMARK GRANDE BRETAGNE ALLEMAGNE PAYS-BAS Gazoduc existant Gazoduc prévu Autres gazoducs FRANCE BELGIQUE Carte 1 / Source : Norwegian Petroleum16 15 La «consommation intérieure» désigne la consommation à l’intérieur du territoire d’un état. 16 Norwegian Petroleum (2016) https://www.norskpetroleum.no/en/production-and-exports/exports-of-oil-and-gas/
L’Algérie a également construit sa première usine d’exportation dans les années 1960 et a commencé à approvisionner le Royaume-Uni et la France.17 En 1983, le gazoduc trans- méditerranéen a commencé à envoyer du gaz depuis l’Algérie en passant par la Tunisie et la Sicile et à se connecter avec les réseaux italiens. En 1996, l’autre gazoduc algérien, transitant par le Maroc, a raccordé l’Espagne et le Portugal. Enfin, en 2010, MEDGAZ, un gazoduc reliant directement l’Algérie à l’Espagne, est entré en service (Stern, 2004). RÉSEAU DE GAZODUCS ALGÉRIE-UE, 2016 ~ 17 ~ Carte 2 / Source : REGRT pour le gaz/GIE18 Les exportations de gaz de la Russie vers l’Europe n’ont commencé qu’au début des années 1970 avec la construction du gazoduc géant Brotherhood, qui est entré en service en 1983, et plus tard du gazoduc Yamal-Europe en 1997. 17 Ambassade d’Algérie à Londres (non daté) http://www.algerianembassy.org.uk/index.php/algeria-uk-relations.html consulté le 18/11/16 18 REGRT pour le gaz/GIE (2016) https://www.entsog.eu/public/uploads/files/maps/systemdevelopment/ENTSOG-GIE_ SYSDEV_MAP2015-2016.pdf
RÉSEAU DE GAZODUCS RUSSIE-UE, 2007 Vers le gisement Gazoduc de Chtokman Vers les gisements Gazoduc proposé de Yamal États membres de l’UE Russie 500 Km Carte 3 / Source : Samuel Balley, 2009 ~ 18 ~ Malgré l’installation par le Royaume-Uni, la France, l’Italie, l’Espagne et la Belgique de terminaux méthaniers d’importation sur leurs côtes, le GNL a connu une croissance lente en raison de son coût économique élevé. En revanche, le réseau de gazoducs russes a cimenté les relations gazières de l’Europe centrale et orientale avec les gisements gaziers de Sibérie, favorisant une plus grande dépendance vis-à-vis du gaz russe. IMPORTATIONS EN PROVENANCE DE L’URSS/FÉDÉRATION DE RUSSIE (MMC) 160,00 ALLEMAGNE ITALIE TURQUIE FRANCE HONGRIE AUTRES 140,00 120,00 100,00 80,00 60,00 40,00 20,00 0,00 1973 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2003 Graphique 2 / Compilé par les auteurs à partir des données de Stern, 2004
III LE GAZ AUJOURD’HUI : UNE CROISSANCE MONDIALE RAPIDE ~ 19 ~
Les indicateurs confirment l’accélération actuelle de la croissance du gaz : la plupart des régions du monde ont découvert davantage de réserves, produisent et consomment plus de gaz; les usines de liquéfaction et les kilomètres de gazoducs géants se multiplient, et la flotte de navires méthaniers connaît une croissance importante. Des centaines de milliards d’euros ont été investis dans le développement de ce secteur. En outre, le discours officiel assure que le gaz est « le combustible de la transition » vers des écono- mies à faibles émissions de carbone et que c’est un « ami » inséparable des énergies renouvelables, préparant la voie à une utilisation massive. Les multinationales pétrolières et gazières profitent directement de ce développement et confortent leur hégémonie dans le secteur de l’énergie en renforçant leur part d’activité dans le gaz. RÉSERVES PROUVÉES DE GAZ (BMC) 90,0 80,0 70,0 60,0 50,0 40,0 30,0 20,0 10,0 0 Amérique Amérique centrale Europe (hors UE) Union Asie Afrique Asie du Nord et du Sud et Eurasie européenne de l’Ouest du Sud-Est ~ 20 ~ 1995 2005 2015 Graphique 3 / Source : Base de données BP EXTRACTION DE GAZ (MMC) 1200,0 1000,0 800,0 600,0 400,0 200,0 0 Amérique Amérique centrale Europe (hors UE) Union Asie Afrique Asie du Nord et du Sud et Eurasie européenne de l’Ouest du Sud-Est 1995 2005 2015 Graphique 4 / Source : Base de données BP
CONSOMMATION DE GAZ (MMC) 1200,0 1000,0 800,0 600,0 400,0 200,0 0 Amérique Amérique centrale Europe (hors UE) Union Asie Afrique Asie du Nord et du Sud et Eurasie européenne de l’Ouest du Sud-Est 1995 2005 2015 Graphique 5 / Source : Base de données BP Les graphiques montrent que l’Union européenne est la région du monde présentant la plus forte baisse des réserves et d’extraction, tandis l’Asie occidentale recèle de grandes réserves19 et que l’Amérique du Nord, États-Unis en tête, a considérablement augmenté son extraction au cours de la dernière décennie. En termes généraux, nous pouvons affirmer que l’UE et l’Asie-Pacifique sont des régions importatrices, que l’Asie occiden- tale et l’Afrique sont exportatrices, tandis que les autres régions maintiennent un certain équilibre entre l’extraction et la consommation. Cependant, si les données sont ventilées par pays, elles nous montrent une image très différente. ~ 21 ~ GÉOPOLITIQUE: NOUVELLES RELATIONS GAZIÈRES Cette dernière décennie ont été posés de nombreux jalons qui marquent une nouvelle perspective géopolitique pour l’énergie et le gaz en particulier. La crise financière de 2007-2008, le Printemps Arabe en Égypte, en Libye, en Tunisie, au Yémen et en Syrie (2010-2013), l’accident de Fukushima (2011), le renouveau du conflit gazier entre l’Ukraine et la Russie (2006 et 2009) et la guerre civile dans l’ex-république soviétique (2014-), la levée des sanctions contre l’Iran (début 2016), la baisse soudaine du prix du baril de pétrole brut (mi-2014) et le fameux boom des combustibles non conventionnels aux États-Unis20 (2007-) révèlent un scénario global assurément différent de la décennie précédente. 19 Généralement connu sous l’appellation Moyen-Orient, un nom critiqué pour sa vision eurocentrique. 20 Le boom des combustibles non conventionnels se réfère à la forte croissance de la production de gaz de schiste et de pétrole en formations étanches ainsi qu’à la technologie de fracturation hydraulique aux États-Unis à partir de 2007. https://www.eia.gov/energyexplained/index.cfm?page=natural_gas_where
TOP 10 EN RÉSERVES, EXTRACTION ET CONSOMMATION DE GAZ RÉSERVES CROISSANCE EXTRACTION CROISSANCE CONSOMMA- CROISSANCE 2015 bmc ANNUELLE (2006–15) 2015 mmc ANNUELLE (2006–15) TION 2015 mmc ANNUELLE (2006–15) Iran 34,02 2,2 % États-Unis 767,3 4,0 % États-Unis 778,0 2,3 % Russie 32,27 0,3 % Russie 573,3 -0,3 % UE 402,1 -2,0 % Qatar 24,53 -0,4 % Iran 192,5 6,1 % Russie 391,5 0,0 % Turkménistan 17,48 32,5 % Qatar 181,4 12,4 % Chine 197,3 15,3 % États-Unis 10,44 6,3 % Canada 163,5 -1,4 % Iran 191,2 6,5 % Arabie saoud. 8,33 2,0 % Chine 138,0 9,4 % Japon 113,4 3,9 % Émirats arab. 6,09 0,0 % UE 120,1 -6,0 % Arabie saoud. 106,4 4,2 % Vénézuela 5,62 2,7 % Norvège 117,2 2,9 % Canada 102,5 0,5 % Nigeria 5,11 -0,1 % Arabie saoud. 106,4 3,9 % Mexique 83,2 3,3 % Algérie 4,50 0,0 % Algérie 83,0 -0,7 % Allemagne 74,6 -1,3 % Tableau 4 / Compilé par les auteurs à partir des données de BP NB : Le TOP 10 pour les réserves, l‘extraction et la consommation de gaz montre les réserves poten- tielles en Iran, la croissance de l‘extraction aux États-Unis et l‘augmentation de l‘extraction et de la consommation en Chine. Tout cela contraste avec la baisse de l‘extraction dans l‘Union européenne. L’Arctique se démarque sans aucun doute comme région du monde où l’extraction du gaz ~ 22 ~ est source de conflit. On estime que 13 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % du gaz s’y trouvent (Aoun, Lojanica, & Mathieu, 2015). Bien qu’aucune exploration ou extrac- tion à grande échelle ne soit prévue à court terme, les cinq pays de l’Arctique (Russie, États-Unis, Canada, Norvège et Danemark) sont en conflit permanent pour établir des frontières dans cette région.21 L’Afrique du Nord est également une région importante en ce qui concerne le gaz. Les réserves en Algérie (4,5 bmc), en Égypte (1,8 bmc) et en Libye (1,5 bmc)22 sont très importantes pour l’Union européenne.23 Mais ces trois puissances gazières ont été affectées par diverses circonstances qui ont compliqué leurs activités d’extraction et d’exportation. En février 2013, l’Algérie a subi une attaque perpétrée par Al-Qaïda faisant 40 morts sur les installations d’Amena. 24 Cette attaque, l’épuisement des gisements existants, le manque d’investissements pour de nouvelles explorations et l’augmentation de la consommation intérieure ont entraîné une baisse durable de sa capacité d’exportation (Hamouchene & Pérez, 2016). En Libye, la guerre civile de 2011 a temporairement stoppé les exportations de gaz et actuellement sa seule usine de liqué- 21 La campagne lancée par Greenpeace en 2012 vise à prévenir l’exploitation des hydrocarbures et la pêche industrielle non durable dans l’Arctique. Greenpeace (non daté) https://www.savethearctic.org/ consulté le 19/11/16. 22 Base de données BP. Estimation pour la fin de 2014. 23 4 gazoducs relient l’Afrique du Nord à l’UE : 3 provenant de sites de production en Algérie et un de Libye. Des projets sont à l’étude pour construire un nouveau gazoduc entre l’Algérie et l’Italie. 24 Prise d‘otages d‘In Amenas https://fr.wikipedia.org/wiki/Prise_d%27otages_d%27In_ Amenas
faction reste hors service à cause des attaques lancées pendant la guerre.25 En Égypte, la consommation intérieure a triplé au cours de la période 2000-2012 et l’extraction de gaz a essayé de la satisfaire en réduisant considérablement les quotas d’exportation. 26 En Asie occidentale, l’Iran devrait être le centre de toutes les attentions. La levée de l’embargo intervenu récemment avec la signature de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien27 a esquissé un nouvel avenir pour ce géant du gaz. Les réserves de l’Iran sont estimées à 34,02 bmc avec des exportations minimales de 9 mmc/an vers la Turquie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan. 28 Comme l’Égypte, l’extraction est destinée à la consomma- tion intérieure, mais la société gazière nationale iranienne souhaite atteindre des quotas d’exportation de 128 mmc/an, ce qui la placerait parmi les leaders mondiaux dans ce secteur. Dans ce but, l’Iran a l’intention de construire une usine de liquéfaction pour exporter du gaz vers l’Europe, via la Turquie et la péninsule arabique29 ainsi que des gazo- ducs tels que le gazoduc Iran-Pakistan ou le gazoduc Perse. Plus au nord, nous avons le Turkménistan. La découverte de nouvelles réserves donne au pays la possibilité de devenir un grand exportateur, l’Union européenne et la Chine cherchant à établir des liens avec cette république d’Asie centrale. CONCENTRATION DES RÉSERVES DE GAZ 2015 1 Azerbaïdjan 1,148337 2 Fédération de Russie 32,27103 ~ 23 ~ 3 Turkménistan 17,479 4 Iran 34,02 2 5 Irak 3 694 6 Qatar 24,52806 7 Arabie saoudite 8,325154 8 Émirats arabes unis 6,091 1 3 9 Algérie 4,504 5 4 10 Égypte 1,846259 9 11 10 11 Libye 1,5049 7 6 8 Carte 4 / Compilé par les auteurs à partir des données de BP NB : Plus de 70 % des réserves mondiales se trouvent dans cette région. 25 U.S. Energy Information Administration (2015) https://www.eia.gov/beta/international/analysis.cfm?iso=LBY 26 U.S. Energy Information Administration (2015) https://www.eia.gov/beta/international/analysis.cfm?iso=EGY 27 Département d’État américain (2015) https://www.state.gov/e/eb/tfs/spi/iran/jcpoa/ 28 U.S. Energy Information Administration (2015) https://www.eia.gov/beta/international/analysis.cfm?iso=IRN 29 S&P Global. Platts (2016) https://www.platts.com/latest-news/natural-gas/london/feature-iran-eyes-major-gas-export- boost-but-26448318
Le gaz naturel joue également un rôle important dans les relations UE-Russie. Le déclen- chement de la guerre en Ukraine et le niveau élevé de dépendance de l’UE vis-à-vis du gaz russe sont des facteurs qui justifient l’orientation prise par la politique énergétique de l’UE. Il convient de noter qu’environ 30 % des importations de gaz proviennent de la Fédération de Russie et que 50 % d’entre elles sont acheminées via l’Ukraine. L’UE et la Russie parlent toutes deux de diversification. L’UE est à la recherche de nouveaux fournisseurs et prévoit des gazoducs tels que le corridor gazier sud-européen30 pour acheminer le gaz depuis l’Azerbaïdjan (et le Turkménistan) vers l’Italie. En outre, l’Union espère intensifier ses relations existantes avec l’Afrique du Nord, poursuivre les discussions de haut niveau sur l’énergie avec l’Algérie, les États-Unis et le Canada, s’ou- vrir au GNL de pays tels que le Qatar, le Nigeria, l’Égypte, et de nouveaux exportateurs tels que l’Angola, le Mozambique, la Tanzanie, Israël, le Liban, l’Iran et l’Irak. 31 En même temps, la Fédération de Russie souhaite réorienter son activité gazière vers l’Est, le marché européen semblant saturé, tant par la baisse de la consommation de gaz consé- cutive à la crise financière que par la politique énergétique européenne qui lui est hostile. En 2014, Gazprom a signé un accord sur 30 ans avec la China National Petroleum Corporation (CNPC) pour fournir 38 mmc de gaz par an et pour construire le gazoduc géant Force de Sibérie.32 L’investissement total s’élève à environ 55 milliards de dollars, bien que certaines sources affirment que la baisse du prix du pétrole brut a ralenti les plans du Kremlin.33 D’autre part, nous ne pouvons pas oublier l’émergence au cours de la dernière décennie ~ 24 ~ de nouveaux acteurs suite au boom des combustibles non conventionnels. Les États- Unis, par exemple, ont fait exploser leur extraction de gaz de schiste, qui est passée en quelques années d’un combustible presque inexistant à 40 % de l’extraction totale en 2013. Ce boom a provoqué une baisse interne des prix du gaz34 et des importations nettes, qui ont atteint le niveau de 1986 35, tout en s’accompagnant de graves dommages pour l’environnement et la santé signalés par de nombreuses organisations. 36 Afin de réduire l’effet de cette baisse des prix, les États-Unis souhaitent devenir le premier exportateur mondial, en profitant de leur capacité technique. Dans cette situation, elles peuvent exporter vers le marché asiatique, où les prix sont plus attractifs, ou vers le marché européen, moins lucratif, mais plus stratégique quant à leur objectif de mettre fin à l’hégé- 30 Le corridor gazier sud-européen était auparavant dénommé gazoduc Europe-Mer Caspienne. 31 Commission européenne (2016) https://ec.europa.eu/energy/sites/ener/files/documents/1_EN_ACT_part1_v10-1.pdf 32 Gazprom - compagnie nationale de gaz russe - (non daté) http://www.gazprom.com/about/production/projects/pipelines/built/ ykv/ consulté le 10/08/16 33 Reuters (2016) https://www.reuters.com/article/us-russia-china-gas-exclusive/exclusive-russia-likely-to-scale-down-china-gas- supply-plans-idUSKCN0UT1LG 34 Son prix en 2008 était de 8,86 $/Mbtu et en 2015 de 2,62 $/Mbtu, soit une baisse de 70 % pour atteindre les niveaux de prix des années 90. U.S. Energy Information Administration (2016) https://www.eia.gov/naturalgas/importsexports/annual/ 35 U.S. Energy Information Administration (2016) https://www.eia.gov/naturalgas/importsexports/annual/ 36 Greenpeace (2014) https://www.greenpeace.org/usa/global-warming/issues/natural-gas/case-studies/
monie russe du gaz en Europe. Fait pertinent aux États-Unis : le niveau élevé d’endettement des compagnies d’extraction de gaz qui accumulent des pertes de plusieurs millions en raison du déclin rapide des puits d’extraction ainsi que de la chute du prix du pétrole brut.37 Dans le cas de l’Australie, la principale incitation au développement des exportations de gaz a été la situation post-Fukushima, avec un Japon, leader des importations de GNL et un marché asiatique à forte demande (Corée du Sud, Chine, Inde, etc.). L’Australie a décidé d’explorer de nouvelles réserves de combustibles conventionnels et de gaz de houille, et planifie la construction d’installations d’exportation. Plus de 90 % de ses réserves de gaz conventionnel sont situées dans la zone maritime du nord-ouest, une zone de grande valeur écologique et de grande biodiversité marine. Contrairement aux États-Unis, l’Australie a peu d’installations d’exportation. Elle ne dispose pas de travailleurs spécialisés et les projets sont situés dans des zones reculées, rendant astronomiques les coûts des installations de liquéfaction. Par exemple, le complexe d’exportation de gaz Gorgon LNG, situé dans le nord- ouest de l’Australie, représente un coût final de 54 milliards de dollars (Lee, 2013). À son tour, le Canada possède d’importantes réserves de gaz, mais se heurte aux mêmes problèmes que l’Australie : les projets sont situés dans des régions reculées, sans infras- tructure et dans les territoires des communautés autochtones. Au Mozambique, les sociétés américaines Anadarko et italiennes Eni espèrent exporter du GNL en 2018-2019, mais les projets seront retardés en raison du faible prix du gaz. (Maugeri, 2014). PROJETS D’IMPORTATION ET D’EXPORTATION ~ 25 ~ Comme vu dans le chapitre précédent, l’empressement à exporter du gaz est allé de pair avec la planification de projets gaziers interminables. Si on considère les installations de liquéfaction actuellement en construction, la capacité augmentera de pratiquement 50 % (286 MTA déjà opérationnels et 139 MTA en construction) et sera concentrée dans très peu de pays, principalement les États-Unis et l’Australie. Si nous considérions aussi les installations prévues et proposées, leur nombre ferait plus que doubler la capacité actuelle. Néanmoins, nous devons traiter les projets qui n’ont pas encore atteint la phase de construction avec prudence, car ils se font concurrence pour une part des marchés mondiaux du GNL et tous n’obtiendront pas la licence ou l’investissement nécessaires. La baisse actuelle du prix du pétrole brut a également un effet direct sur l’intérêt des investis- seurs pour ce type d’infrastructures, qui ont été proposées lorsque les prix étaient élevés. En revanche, les installations de regazéification connaissent une croissance modérée (1499 MTA en service et 144 MTA en construction) et un déséquilibre majeur subsiste à l’échelle mondiale entre les capacités d’exportation et d’importation de GNL. Les chiffres indiquent également que la flotte de méthaniers augmentera de 25 % en quelques années.38 37 Bloomberg (2015) www.bloomberg.com/news/articles/2015-09-17/an-oklahoma-of-oil-at-risk-as-debt-shackles-u-s-shale-drillers 38 Selon l’édition 2016 de l’IGU World Gas LNG Report, il existe 614 méthaniers en fonctionnement et 150 en cours de construction.
CAPACITÉ DES INSTALLATIONS DE LIQUÉFACTION EN 2015 (TONNES MÉTRIQUES PAR AN - MTPA) 80,00 Opérationnel En construction 70,00 60,00 50,00 40,00 30,00 20,00 10,00 0,00 Indonésie Australie Malaysie Nigeria Algérie Trinid. et Tob. Egypte Oman Russie Brunei Yémen Émirats arab. Angola Pérou Norvège Guinée équat. Papouasie-Nlle.-Guin. Libye États-Unis Cameroun Qatar Graphique 6 / Compilé par les auteurs à partir des données de International Gas Union, 2016 CAPACITÉ DES INSTALLATIONS DE REGAZÉIFICATION EN 2015 (TONNES MÉTRIQUES PAR AN - MTPA) 200,00 150,00 Opérationnel En construction 100,00 ~ 26 ~ 50,00 0,00 Japon États-Unis Corée Espagne Chine Royaume-Uni Inde France Mexique Taïwan Brésil Italie Turquie Égypte Pays-Bas Indonésie Argentine Canada Belgique Singapore Koweït Portugal Thaïlande Chili Jordanie Malaisie Pakistan Grèce Israël Lituanie Émirats arab. Rép. Dominicaine Puerto Rico Philippines Pologne Graphique 7 / Compilé par les auteurs à partir des données de International Gas Union, 2016 Le GNL représentait 9,8 % du total des approvisionnements en gaz naturel en 2015 (Inter- national Gas Union, 2016), mais cet essor majeur pourrait le placer dans une meilleure position. En outre, le GNL redéfinit les relations gazières entre les régions du monde, mettant de plus en plus de pays en concurrence pour s’assurer une place sur le marché gazier mondial et apportant plus de flexibilité que les gazoducs. Le développement du GNL n’a pas d’impact sur le nombre de grands gazoducs planifiés. Les mégas gazoducs sont de véritables plateformes relationnelles entre territoires qui vont au-delà des questions énergétiques, mais il est en effet difficile de trouver des infor- mations sur leurs caractéristiques techniques et leurs états d’avancement. Le tableau suivant énumère les principaux gazoducs internationaux.
MÉGA GAZODUCS INTERNATIONAUX PLANIFIÉS GAZODUC/ LONGUEUR PAYS ET CAPACITÉ STATUT ENTREPRISES Northwest Pipeline (Pemex Gas et Petroquimica Basica (PGPB), une filiale de Pemex, + Ienoca Los Ramones 860 km Opérationnel (Sempra Mexico) > Phase I39 ; Gazoduc de Chihuahua, États-Unis/Mexique 22 mmc depuis 2016 filiale de PGPB > Phase I; MGI Supply > Phase I; SunGard > Phase I; GDF Suez + Pemex > Phase II 40 ; Gazoduc TAG, partie de Pemex > Phase II En construction Power of Siberia 3944 km Gazprom Opérationnel Chine-Russie 38 mmc China National Petroleum Corporation (CNPC) fin 2019 41 TAPI En construction 1420 km Turkmengaz; GAIL India; Turkménistan-Afgha- Opérationnel 33 mmc ISGS > Pakistan; Afghan Gas Enterprise (AGE) nistan-Pakistan-Inde fin 2019 42 Société nationale iranienne de gaz > Iran En construction 2775 km Khatam al-Anbia (sous-traitance) > Iran Iran-Pakistan Incertain quand 40 mmc 43 Sui Northern Gas Pipeline Limited + Sui Southern Gas opérationnel Company Limited (consortium) > Pakistan Société nationale iranienne d’exportation de gaz Som Petrol, Turquie Gazoduc Persa (ITE) 3300 km Option 1: société iranienne + société étrangère (consortium); En projet 44 Iran-Turquie- Europe 37 mmc Option 2: 2 sociétés iraniennes + 2 sociétés étrangères; Frontière entre l’Iran et la Turquie: société mixte; Frontière entre la Grèce et la Turquie: société mixte Société nationale nigériane du pétrole Gazoduc transsaharien 4128 km 45 Sonatrach > Algérie; Contributeurs possibles en cas d’apport En projet Nigeria-Algérie 30 mmc d’appui technique et non uniquement d’apport financier. Gazprom, GAIL India, Total, Eni, Royal Dutch Shell Nord Stream 2 1200x2 km 46 Gazprom > Actionnaire (100 %); OMW > Support; Shell > En projet Russie-Allemagne 27,5x2 mmc Support; Wintershall (BASF-Gruppe) > Support; ENGIE > Support Corridor gazier BP (Royaume-Uni), SOCAR (Azerbaïdjan), Lukoil (Russie), sud-européen 3500 km Opérationnel en Snam (Italie), BOTAS et TPAO (Turquie), Fluxys (Belgique), ~ 27 ~ 47 Azerbaïdjan et 10-32 mmc 2021 Enagás (Espagne), Total (France), Naftiran Intertrade (Iran), Turkménistan-Italie Petronas (Malaisie) et Axpo (Suisse). Galsi 288 km 48 Sonatrach (Algérie), Edison (Italie), Enel (Italie), En projet Algérie-Italie 7,6 mmc Sfirs (Italie), Hera Trading (Italie) TurkStream 900 km Opérationnel en 49 Gazprom > Société mixte qui appartient à une société Russie-Turquie 31,5 mmc 2019 turque pour la partie «en surface» du gazoduc. South Stream South Stream Transport AG (co-entreprise)>16 septembre Russie-Bulgarie-Serbie- 2380 km Annulé en 2014 50 2011; Gazprom (50 %), Eni (20%), Électricité de France (15 %), Hongrie-Slovaquie- 63 mmc Wintershall (BASF Gruppe) (15 %) Slovénie-Autriche Tableau 5 / Compilé par les auteurs 39 Business News Americas (non daté) www.bnamericas.com/project-profile/en/ducto-de-transporte-de-gas-natural-los- ramones-fase-i-los-ramones-fase-i consulté le 01.12.16 40 Business News Americas (non daté) www.bnamericas.com/project-profile/en/ducto-de-transporte-de-gas-natural-los- ramones-fase-ii-norte-los-ramones-fase-ii-norte consulté le 01.12.16 41 Gazprom (non daté) www.gazprom.com/about/production/projects/pipelines/built/ykv/ consulté le 05/04/2018. 42 Banque asiatique de développement (non daté) www.adb.org/projects/44463-013/main#project-overview consulté le 01/12/2016. 43 Modern Diplomacy (2018) https://moderndiplomacy.eu/2018/03/05/ip-gas-pipeline-fading-opportunity-pakistan/ 44 ITE gas pipeline project (ohne Datum) http://en.turangtransit.com.tr/ 45 OCDE (2014) www.oecd.org/swac/maps/02-Transsaharan%20gas%20pipeline.pdf 46 Nord Stream 2 (2016) https://www.nord-stream2.com/ 47 Commission européenne (2018) https://ec.europa.eu/energy/sites/ener/files/documents/pci_annex2_7_1_1_en_2017.pdf 48 Hydrocarbons Technology (non daté) https://www.hydrocarbons-technology.com/projects/algeria-sardinia-italy-gas- pipeline-galsi/ consulté le 05/04/2018. 49 TurkStream (2018) http://www.turkstream.info/press/news/2018/177/ 50 South Stream (2016) http://www.south-stream-transport.com/
Les projets d’extraction de gaz ainsi que les installations de liquéfaction et de regazéi- fication, les navires méthaniers GNL et les grands gazoducs comportent des risques associés élevés : 1) les investissements de plusieurs millions dans les infrastructures reposent sur des projections futures de consommations volontairement optimistes 2) la majorité de ces investissements sont soutenus par des fonds et/ou des garanties qui transfèrent le risque au domaine public 3) si la totalité des capacités projetées entrait en service, cela ferait chuter les prix du gaz et contribuerait à une catastrophe climatique 4) la durée de vie de ces infrastructures est calculée entre 40 et 50 ans et le pic de gaz se produira avant cette période. Beaucoup tomberont donc en désuétude. PROJECTIONS « OPTIMISTES » DE CONSOMMATION DANS L’UE 600 Millions de tonnes d'équivalent pétrole Consommation intérieure brute 500 400 ~ 28 ~ 300 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016 2018 2020 2022 2024 2026 2028 2030 Prévision 2003 Prévision 2005 Prévision 2007 Prévision 2009 Prévision 2011 Prévision 2013 Consommation réelle Graphique 8 / Source : European Court of Auditors, 2015 Note sur le schéma d’origine : Toutes les projections sont destinées à la consommation dans l’UE des 27 à des intervalles de cinq ans (2005, 2010, 2015, etc.).
LA CHUTE RÉCENTE DU PRIX DU PÉTROLE BRUT Le lien étroit entre l’extraction de gaz et de pétrole et la tarification indexée du gaz par rapport au pétrole signifie que la chute du prix du pétrole affecte l’industrie du gaz. Généralement, les périodes où le prix du pétrole est élevé provoquent un pic initial dans l’extraction de cette ressource, mais finissent par ralentir la croissance économique mondiale; les périodes où le prix est bas favorisent l’exploration et l’extraction. La majorité des grandes infrastructures gazières a été planifiée à une période (2010-2014) de prix du pétrole et du gaz stables à la hausse. Compte tenu des prix actuels, les investisseurs ne voient pas aussi favorablement les béné- fices futurs de l’industrie des énergies fossiles. Cela peut ralentir la construction d’installations de liquéfaction et de regazéification coûteuses et de gigantesques gazoducs, tandis que ceux qui sont déjà en phase de construction peuvent se trouver confrontés à de réels problèmes de rentabilisation de l’investissement. De plus, les garanties publiques pour ces projets doivent être analysées, car elles peuvent conduire à des dettes illégitimes51 que le contribuable devra supporter. CORRÉLATION ENTRE LES PRIX DU PÉTROLE ET DU GAZ 140 14 12 ~ 29 ~ 120 Prix du pétrole 100 10 Prix du gaz 8 80 60 6 pétrole (($/baril) gaz ($/Mmbtu) 40 4 20 2 0 0 6.1.1990 6.1.1995 6.1.2000 6.1.2005 6.1.2010 6.1.2015 Graphique 9 / Source: Statistiques macroéconomiques croisées du FMI sur les pays 51 Plataforma Auditoria Ciudadana de la Deuda (non daté) https://www.dropbox.com/s/1pla1din3znkbkz/Definicion%20 Schulden%20Ilegitim.pdf consulté le 18/11/16
Vous pouvez aussi lire