Post FrançAfrique Nouvelles tendances - Septembre 2021

 
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Youssouf Sylla
Yousylla2014@gmail.com

                 Post FrançAfrique
                Nouvelles tendances

                                Septembre 2021

Présentation de l’auteur

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Youssouf Sylla
Yousylla2014@gmail.com

Ancien journaliste, Youssouf Sylla travaille aujourd’hui dans le secteur
financier après un passage dans une organisation internationale
humanitaire, le CICR. En plus d’une Maîtrise en droit obtenue en Guinée, il
est diplômé de troisième cycle en droit public (université de Paris 1
Panthéon Sorbonne), en droit des affaires (université de Montréal) et en
relations internationales (IDERIC Paris). Il est aussi titulaire d’un DESS en
gestion publique à l’École nationale d’administration publique du Québec.
M. Sylla est auteur du livre « Protection de l’environnement en période de
conflit armé » paru le 3 juillet 2015 aux Éditions Presses Académiques
Francophones et coauteur du livre « Qui est vraiment Charlie ? Ces 21
jours qui ébranlèrent les lecteurs du Monde », paru le 11 juin 2015 aux
Éditions François Bourin.

Résumé du livre

                                                                                2
Youssouf Sylla
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Après les ravages, en partie, provoqués par la Françafrique dans la situa-
tion politico sécuritaire de l’Afrique francophone, la majorité de la jeu-
nesse et certains acteurs socio-politiques de cette zone, sont plus que ja-
mais engagés à y tourner la page de l’influence débordante de la France.
A cette dynamique interne, s’ajoute une autre dynamique externe, portée
par la Russie, la Chine et la Turquie, qui se positionnent en puissances
concurrentes de la France dans son pré carré africain.

Face à ces mutations, à quoi sera réduit dans les années à venir, l’in-
fluence de la France dans les affaires politiques et sécuritaires de l'Afrique
francophone, et quels sont les défis les plus critiques que les Etats afri-
cains devront relever ensemble pour équilibrer leurs relations stratégiques
avec les puissances du monde? Comment aussi éviter la répétition des
travers de la Françafrique avec la Chine et la Russie? Ce livre invite à
toutes ces réflexions. Il va au-delà de la simple description de la França-
frique. Il jette un regard inédit sur les nouvelles tendances qui légitiment
la réforme en profondeur des relations franco-africaines.

Table de matières :
Abréviations
Avant-propos
Première partie : Survol de la politique africaine de la France
1.   Général de Gaulle, précurseur de la Françafrique

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1.1.  Le processus de décolonisation engagé par de Gaulle
2.    Georges Pompidou, le fidèle
3.    Valéry Giscard d’Estaing, l’affairiste
4.    François Mitterrand, le controversé
4.1.  Mitterrand dans son pré carré africain
4.2.  Rôle de la France dans le génocide Rwandais
4.3.  Rapport Duclert
5.    Chirac et Sarkozy, du paternalisme à l’arrogance
6.    Virage sécuritaire de François Hollande
6.1.  Engagement militaire en Centrafrique et au Mali
7.    Emmanuel Macron, homme de parole ?
7.1.  Promesses de Macron à Ouagadougou
7.2.  Discours ambivalent de Macron dans les crises politiques
      africaines
7.3. Conseillers de Macron sur l’Afrique ?
7.4. « CPA », une structure non officielle
7.5. Structures officielles
7.6. Action de Macron dans le Sahel
8.    Bilan des relations franco-africaines.
B. Deuxième partie : Menaces à l’influence française en Afrique
Francophone
1.    Menaces internes
1.1. Les acteurs sociaux
1.2. Les leaders politiques charismatiques
1.2.1. Ahmed Sékou Touré
1.2.2. Thomas Sankara
1.2.3. Laurent Gbagbo
1.2.4. Paul Kagamé
1.2.5. Ousmane Sonko
2.     Menaces externes
2.1. Les relations sino africaines
2.2. Afrique francophone au cœur du gigantesque projet chinois
2.3. Présence militaire chinoise en Afrique
2.4. Politique africaine de la Chine
3.     Russie et Afrique, la répétition de l’histoire
3.1. Du beau temps à la séparation en douceur
3.2. Retour en force de la Russie en Afrique
3.3. Présence militaire de plus en plus affirmée
3.4. Offensive médiatique russe
4.    Turquie en Afrique, un acteur ambitieux
4.1. Soft power

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4.2. Hard power
5.   L'Afrique face aux défis du partenariat diversifié
5.1. Enjeux
5.2. De l’approche bilatérale à l’approche multilatérale
   C.Troisième partie : Perspectives d’avenir des relations franco
                                africaines
1.   Nouvelles tendances
2.   Réforme des relations politico sécuritaires entre la France et
      l’Afrique
2.1. Pilier Paix et Sécurité
2.2. Pilier Etat de droit et Démocratie

Abréviations

AKP (Parti de la justice et du développement)
CPA (Conseil présidentiel pour l’Afrique)
CPC (Coalition des patriotes pour le changement)
CNRS (Centre national de la recherche scientifique)

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CEI (Commission Electorale Indépendante)
ENA (Ecole Nationale d’Administration)
FCFA (Communauté financière africaine)
FPI (Front Populaire Ivoirien)
FCSA (Forum sur la Coopération Sino Africaine)
FACT (Front pour l'alternance et la concorde au Tchad)
FPR (Front Patriotique Rwandais),
IFF (Ichikowitz Family Foundation)
MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour
la stabilisation au Mali)
MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola)
ONU (Organisation des Nations Unies)
ONUCI (Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire)
PASTEF (Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité)
RFI (Radio France Internationale)
RECAMP (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix).
URSS (Union des républiques socialistes soviétiques)
TIKA (Agence turque pour la coopération internationale et le
développement)

Avant-propos

Deux événements marquent les esprits dans les récents développements
des relations franco-africaines. Le premier a eu lieu au Tchad et montre
que la Françafrique est encore une réalité. Le second se passe au Mali et
montre à son tour que la page de cette Françafrique est en train de se
tourner. L’image des obsèques du président tchadien Idriss Itno Déby, tué

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selon la version officielle le 20 avril 2021 sur le front, les armes à la main,
pendant qu’il combattait les rebelles du Front pour l'alternance et la
concorde au Tchad (FACT), a attiré l’attention de plus d’un. Au cours de
cette cérémonie, le président français Emmanuel Macron, par fidélité à cet
allié historique de la France dans le Sahel, a accordé, dans le
contournement des règles constitutionnelles en vigueur au Tchad, sa
bénédiction à la transmission du pouvoir à son fils, Mahamat Idriss Deby,
après une trentaine d’années d’exercice du pouvoir par le père. Comme
ses prédécesseurs, Macron venait de montrer qu’il a ses deux pieds dans
la Françafrique. Ce réseau parallèle et officieux a vu le jour au temps du
général de Gaulle, à travers la fameuse Cellule africaine de l'Élysée, tenue
d’une main de fer par le redoutable Jacques Foccart. Composé de hautes
personnalités politiques franco-africaines, mais aussi du monde des
affaires, ce réseau permet à la France de conserver son influence politico-
économique dans ses anciennes colonies d’Afrique, tout en protégeant les
chefs d’Etat africains favorables à cette influence. Les relations du réseau
sont tissées et gérées au sommet des Etats et échappent à tout contrôle
démocratique. Les populations africaines quant à elles, subissent les
pratiques du réseau.

L'impact de la Françafrique, ce néologisme créé de toutes pièces par le
premier président ivoirien, Félix Houphouët Boigny, sur le continent
africain est tel que la nouvelle génération d'africains s'interroge si la
France, dans ses relations avec l'Afrique francophone, n'est pas comme
une chape de plomb à ses pattes, l'empêchant de voler librement vers sa
propre destination? Même si la question mérite d’être amplement
discutée, il n’en demeure pas moins, à travers les multiples interventions
françaises en Afrique, que la Françafrique a contrarié le développement
des dynamiques politiques propres à l’Afrique.

Les leaders politiques africains qui se sont opposés à la Françafrique ont
été voués aux gémonies (cas du président Ahmed Sékou Touré en
Guinée), tués dans des conditions non encore élucidées (cas de Thomas
Sankara au Burkina Faso) et mis à la disposition de la Cour pénale
internationale de la Haye pour y connaître une extinction politique (cas de
Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire). D'autres comme Ousmane Sonko au
Sénégal, à cause de leur rhétorique anti française, doivent certainement
se trouver sous une stricte surveillance. Malgré tout, le charismatique Paul
Kagamé, a pu tenir tête à la France, et imposer un modèle de relation
respectueux de la souveraineté de son pays, le Rwanda. Depuis le
génocide de 1994, le Rwanda se présente aux yeux d’un certain nombre

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d’africains, comme une sorte de laboratoire d’expérimentation du prochain
modèle de relations franco africaines.

A son tour, le développement au Mali de la situation politique (prise de
pouvoir par une junte militaire), sociale (montée en puissance du
sentiment anti français au sein de la population) et sécuritaire (réduction
par la France de son dispositif militaire Barkhane dans le cadre de la lutte
contre le terrorisme) a conduit ce pays à remttre en cause la préférence
des français au profil des russes, du moins sur le plan sécuritaire. Pour
Paris, la signature d’un accord entre le Mali et les mercenaires du groupe
Wagner, proche de Kremlin, serait inconciliable avec la présence des
forces françaises dans ce pays. Wagner est une entreprise militaire privée
russe présente sur différents terrains de conflits armés. Tout comme en
Centrafrique, les russes remplacent de plus en plus les français en Afrique
francophone sur le terrain sécuritaire, non sans soulever des inquiétudes
en Afrique aussi. En effet, nombreux sont ceux qui craignent le
remplacement de la Russafrique par la Françafrique: deux formes de
coopération non transparentes qui consistent à avoir une mainmise
politique, sécuritaire et économique sur le continent africain.

Outre la Russie, la France est sérieusement concurrencée dans son pré
carré africain par la Chine et la Turquie. Sans passé colonial dans le
continent, ces pays offrent du moins sur papier, un partenariat d’égal à
égal aux Etats africains. L’intérêt croissant de ces partenaires stratégiques
pour l’Afrique, continent riche en matières premières, devrait poser pour
la France en sa qualité d’ancienne puissance coloniale, d’importants défis
à relever en matière de positionnement en Afrique francophone.

A ces facteurs externes, il y a aussi des facteurs internes qui s’opposent
de nos jours à l’influence débordante de la France en Afrique. Il s'agit en
particulier de la jeunesse des pays francophones du continent. Une
jeunesse décomplexée, hyper connectée, pour laquelle la France est un
pays comme un autre, non un modèle de référence absolu, comme ce fut
le cas pour leurs aînés. Cette population est médusée face à l’existence
d'obscurs accords de défense, souvent destinés à protéger certains
régimes corrompus du continent, alors que la France sur la scène
internationale est porteuse d’un discours universel sur la démocratie et le
respect des droits de l’homme.

Ainsi, le présent ouvrage vise à montrer dans une première partie, ce
qu’est en substance, sur le plan politique et sécuritaire, la réalité de la
Françafrique, en passant en revue la politique africaine des différents
chefs d’Etat de la cinquième République. Dans une deuxième partie, il met
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en exergue les menaces qui guettent l’influence française en Afrique
francophone. Enfin, dans la troisième partie, il s’agira de faire le point sur
les grandes tendances actuelles des relations franco-africaines, avant de
proposer quelques pistes de réforme de ces relations, tout en évoquant les
défis à relever par l’Afrique dans le cadre de son partenariat avec les
acteurs internationaux de poids.

A) Première partie : Survol de la politique africaine de la France

1. Général de Gaulle, précurseur de la Françafrique

C’est avec le général de Gaulle, premier président de la cinquième
République, de 1959 à 1969, que fut enclenchée la décolonisation de
l’Afrique française. Nombreux sont les africains qui ont participé aux
efforts de guerre aux côtés de l’armée française. « (…) Soumis à des
bombardements de l’artillerie ou de l’aviation d’une extrême violence, ils

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furent nombreux à se sacrifier dans des combats de retardement
meurtriers de la campagne de France, en mai-juin 1940, comme à
La Horgne dans les Ardennes, à Aubigny dans la Somme ou à Wassigny
dans l’Aisne, puis à Chasselay au nord de Lyon.» 1. Malgré ces sacrifices, la
reconnaissance de l’Etat français à l’égard des tirailleurs sénégalais fut
tardive. C’est en novembre 2018, à Reims, que le président Emmanuel
Macron a inauguré un monument dédié aux héros de l'Armée noire,
installé au Parc de Champagne2. Sans compter que nombre d’entre eux fut
fusillé, le 1er décembre 1944, dans le camp de Thiaroye, près de Dakar,
pour une simple réclamation de soldes.

Armelle Mabon, une universitaire française a mis en cause la version
officielle des circonstances de ce massacre. Elle explique que «
contrairement à ce qui a été affirmé, les tirailleurs sénégalais ne se sont
pas regroupés de leur propre initiative. Ils ont reçu l’ordre de se
rassembler sur l’esplanade où ils allaient être tués. La veille au soir, les
officiers avaient ordonné que des automitrailleuses soient disposées sur
l’esplanade. Entre 300 ou 400 hommes ont été tués. Pourtant le bilan
officiel ne fait toujours état que de 35 victimes.»3.

Il a aussi fallu l’arrêt « Diop » du Conseil d’Etat pour procéder au dégel de
leurs pensions de retraite cristallisées depuis 1959. En substance, le
Conseil d’Etat avait jugé que « (…) la différence de situation existant
entre d'anciens agents publics de la France, selon qu'ils ont la nationalité
française ou sont ressortissants d'Etats devenus indépendants, ne justifie
pas, eu égard à l'objet des pensions de retraite, une différence de
traitement (…)».4

1.1.       Le processus de décolonisation engagé par de Gaulle

La décolonisation de l’Afrique noire s’est réalisée de manière graduelle
malgré le discours anticolonial tenu à l’époque par les soviétiques et les
américains5. Ce n’est qu’en en 1958 que le général de Gaulle proposera
1
  Journoud Pierre, « 1. De la contribution des colonisés à l’effort de guerre métropolitain à la répression brutale
des insurrections anticoloniales par la métropole 1940-1945 », dans : Hervé Drévillon éd., Histoire militaire de
la France. II. De 1870 à nos jours. Paris, Perrin, « Hors collection », 2018, p. 485-503.
2
  Le Monde, « A Reims, un symbole de la reconnaissance « tardive » des tirailleurs africains », 6 novembre
2018.
3
  Laurence Caramel (Le Monde), «Il faut arrêter avec le mensonge d’Etat sur le massacre de Thiaroye », 1er
décembre 2016.
4
  Conseil d'Etat, Assemblée, du 30 novembre 2001, 212179, publié au recueil Lebon.
5
    Achcar et Catherine Samary, « L’Atlas Mondes émergents », 2012 Chapitre 3, pages 96 et 97.

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aux africains un projet de constitution qui prévoit la mise en place d’une
communauté entre la France et ses anciennes colonies dans le continent
africain. Cette communauté était pour de Gaulle, « (…) un projet
géopolitique qui prend place dans son dispositif d’affirmation de la France
sur la scène mondiale.»6.

Dans le projet constitutionnel, les domaines sensibles de l’Etat (défense,
affaires étrangères, monnaie, matières premières stratégiques) relevaient
de la compétence exclusive du président de la République française. Les
affaires locales, elles, des autres membres de la Communauté. Avec son
projet soumis au référendum le 28 septembre 1958, de Gaulle conditionne
les africains à choisir entre la continuité avec la France au travers de la
Communauté, ce qui signifiait un vote en faveur du «Oui» et la rupture
avec elle, ce qui signifiait un vote en faveur du «Non». Le «Oui» l’emporta
dans toutes les colonies, sauf en Guinée. Ce territoire accédera à son
indépendance, le 2 octobre 1958, sur fond de rupture avec la France.

A partir de 1960, on assiste à une accélération de l’histoire. Le général de
Gaulle est comme contraint de se soumettre au verdict du temps. Il ajuste
sa stratégie à travers la loi constitutionnelle n° 60-525 du 4 juin 1960.
Cette loi ouvre une nouvelle ère, celle de la coopération tous azimuts avec
les nouveaux Etats indépendants d’Afrique francophone.

Loin de ce qu’on pouvait imaginer, la décolonisation n’a pas mis fin aux
interventions françaises dans les affaires internes des jeunes Etats
africains. Sans nul doute que pour de Gaulle, la France devait avoir un
contrôle sur le destin politique de ses anciennes colonies. Cette volonté
trouve son illustration dans la réinstallation du président gabonais Léon
Mba au pouvoir, après qu’il eut été mis à l’écart par un groupe de
militaires, au profil de M. Jean-Hilaire Aubame, son ministre des affaires
étrangères. Paris avait justifié le sauvetage de M. Mba, qui voulait imposer
le parti unique dans son pays, par l’existence d’un accord de défense 7.

Au-delà du Gabon, l’acte posé par de                           Gaulle donnera aux présidents
africains liés à la France par un tel                           accord, un énorme sentiment
d’assurance, en ce qui concerne leur                           pérennité au pouvoir. Philippe
Decraene notait à ce titre en 1969 que «                       (…) le régime gaulliste savait au

6
  Turpin Frédéric, « 1958, la Communauté franco-africaine : un projet de puissance entre héritage de la IVe
République et conceptions gaulliennes ». In: Outre-mers, tome 95, n°358-359, 1er semestre 2008. 1958 et
l'outre-mer français. pp. 45-58.
7
Thomas Lenoir (L'Express), Février 1964: Le retour de M. Mba , 27 février 1964.

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besoin fermer les yeux sur certains désordres ou abus et avait accepté de
voler militairement au secours de certains d’entre eux parmi les plus
sérieusement menacés.»8. Jacques Foccart, l'homme de confiance du
général et patron de la Cellule africaine de l’Elysée, avait la lourde
responsabilité de régler dans le détail, les interventions françaises en
Afrique. Pendant neuf ans, de 1960 à 1969, «Foccart a été reçu par de
Gaulle tous les soirs, pendant une vingtaine de minutes. Au menu, les
dossiers les plus sensibles, notamment les affaires africaines »9. La
politique interventionniste du général de Gaulle a été poursuivie, sous
différentes formes, par tous ses successeurs dans le but ultime de
maintenir le leadership français en Afrique francophone.

2.      Georges Pompidou, le fidèle

Proche collaborateur du général de Gaulle depuis plus d’une vingtaine
d’années, il sera ensuite son premier ministre, avant d’être élu à son tour
président de la République, de 1969 à 1974. Il restera fidèle à la politique
africaine du général malgré quelques tentatives d’ouverture sur l’Afrique
non francophone. Frédéric Turpin décortique la politique africaine de
Pompidou autour de trois axes : l’aide au développement, la protection
militaire et l’allégeance diplomatique. Les deuxième et troisième axes
visent d’une part, à multiplier et à renforcer la coopération militaire avec
le continent, et d’autre part, à se servir de la masse d’Etats africains pour
amplifier la voix de la France dans le monde10.

3.      Valéry Giscard d’Estaing, l’affairiste

Il est président de 1974 à 1981. Les relations qu’il entretient avec certains
chefs d’Etat africains sont d’une grande proximité. Ce fut le cas d'Oumar
Bongo et de Jean Bedel Bokassa, respectivement présidents du Gabon et
de Centrafrique. Avec Bongo, les liens sont si forts que ce dernier avait eu
le privilège, en 1975 et en 1979, de choisir les ambassadeurs français
accrédités dans son pays11.
8
  Philippe Decraene (Monde diplomatique), « Les relations franco-africaines pourraient subir une mutation »,
consulté le 15 juillet 2021.
9
  Christophe Boisbouvier (Jeune Afrique), « De Jacques Foccart à Franck Paris, plongée au cœur de la cellule
africaine de l’Élysée », 15 septembre 2017.
10
  Turpin Frédéric, « De Gaulle, Pompidou et l’Afrique (1958-1974), Décoloniser et coopérer », 2010, édition les
Indes savantes.
11
  Daniel Bach, « Politique africaine de Valéry Giscard d’Estaing : contraintes historiques et nouveaux espaces
économiques », 1986, Université de Bordeaux I.

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Sous Giscard, la France est souvent intervenue militairement en Afrique,
notamment au Zaïre, en Mauritanie et au Tchad. En 1979, elle a participé
au renversement de Jean Bedel Bokassa pourtant sacré empereur un an
auparavant, grâce à la bénédiction de Giscard. Bokassa était d’une
générosité extrême avec Giscard. En 1973, alors qu’il était ministre des
finances, Giscard et ses deux cousins germains avaient reçu des mains de
Bokassa, une plaquette de diamants12.

4.          François Mitterrand, le controversé

Homme de gauche et président de 1981 à 1995, il viendra avec l’ambition
de rompre avec la politique condescendante et affairiste de ses
prédécesseurs à l’égard de l’Afrique. Il pose alors deux actes majeurs en
1981. Il se débarrasse de Foccart, jusque-là incontournable dans les
relations franco africaines et nomme Jean-Pierre Cot, ministre de la
coopération.
Le Monde dresse de Cot un portait assez atypique dans le milieu franco-
africain. Rocardien, il « ne prise guère les relations personnelles, quasi
incestueuses, qui ont dominé jusqu’ici la politique franco-africaine. Fils de
Pierre Cot, ancien ministre de Léon Blum, ce juriste de haut vol, à qui tout
semble avoir réussi, préfère la concision à la palabre, les regards dans les
yeux aux caresses dans le dos »13. Le journal poursuit : « S’il ne connaît
guère le continent noir, il sait déjà qu’il veut « décoloniser la coopération
», aérer le pré carré pour l’ouvrir à toutes les Afriques, lusophone,
anglophone comprises. Certes, il consent à maintenir un lien privilégié
avec les Etats de l’ex-empire. Mais cela ne saurait, à ses yeux, être
exclusif d’une diplomatie plus large, mondialiste, moraliste aussi. N’a-t-il
pas annoncé qu’il lirait les rapports d’Amnesty International épinglant les
pays dans lesquels sa fonction le conduirait ?».

A ces premières heures d’euphorie, succède très rapidement le temps de
la réalité. Un an plus tard, en 1982, Mitterrand change de position. Cot
commence à l’agacer, et il s’en débarrasse. Mais avant l’acte officiel, il
laisse son premier ministre, Pierre Mauroy, annoncer indirectement par
téléphone la nouvelle à Cot, alors que celui-ci dînait dans un restaurant
parisien. Mauroy a en fait proposé à Cot d’être ambassadeur de France en
Espagne, loin des réalités africaines.

12
     Le Canard enchaîné, « Les grandes affaires », 10 octobre 1979.

13
     Eric Fottorino, (Le Monde) « Les désillusions de Jean-Pierre Cot », 23 juillet 1997.

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4.1.       Mitterrand dans son pré carré africain

En janvier 1983, Mitterrand prononce au Gabon un discours dans lequel il
vante les mérites du parti unique, tel qu’il existe chez Oumar Bongo. Il
dira à cet égard à Bongo qu’: « En fondant le 12 mars 1968 le parti
démocratique gabonais, parti unique, vous avez souhaité instaurer une
démocratie en s’inspirant de vos valeurs propres. Vous avez voulu
rassembler les gabonaises et les gabonais, forger une unité nationale
d’autant plus indispensable que votre nation se compose de nombreuses
ethnies et de différentes communautés humaines.»14. Mitterrand reprenait
ainsi à son compte, l’argument avancé à l’époque par les autocrates
africains pour empêcher l’émergence de la démocratie en Afrique.

L’espoir de changement de la politique africaine venait ainsi d’être enterré.
Les vieilles habitudes reviennent en force, notamment avec l’arrivée de
Jean Christophe Mitterrand, fils du président, à la tête de la Cellule
africaine de l’Elysée. Les relations avec l’Afrique étaient devenues une
affaire quasi familiale, gérées depuis l’Elysée. Comme ses prédécesseurs
qu’il critiquait tant, la politique de Mitterrand fut aussi critiquée,
notamment au Rwanda. Mitterrand avait en effet apporté un soutien
indéfectible au régime génocidaire de Juvénal Habyarimana, président du
Rwanda, ancienne colonie belge, de 1973 à 1994.

Toutefois, c’est sous le président Giscard d’Estaing qu’un Accord particulier
d’assistance militaire fut signé entre le Rwanda et la France, le 18 juillet
1975. Cet Accord permettait à la France de mettre à la disposition de la
gendarmerie rwandaise des personnels militaires français dont elle avait
besoin dans le cadre de son organisation et de son instruction. Au terme
de l’article 3 de l’Accord, ces personnels militaires français «ne peuvent en
aucun cas être associés à la préparation et à l’exécution des opérations de
guerre, de maintien ou de rétablissement de l’ordre et de la légalité »15.

Avec l’arrivée de Mitterrand aux affaires en 1981, la coopération militaire
s’approfondit avec le Rwanda. Le 20 avril 1983, un Avenant à l’Accord
particulier d’assistance militaire du 18 juillet 1975 est signé entre les deux
parties. Cet Avenant autorise désormais, ce qui était une évolution
majeure, les personnels militaires français qui servent au Rwanda de
14
     Allocution le 17 janvier 1983 de M. François Mitterrand au Gabon.
15
     Assemblée nationale, accords de coopération avec le Rwanda.

                                                                                 14
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porter l’uniforme de cette armée et de prendre part à la préparation et à
l’exécution des opérations de guerre. Un autre Avenant, celui du 26 août
1992 à l’Accord particulier d’assistance militaire, viendra élargir les
bénéficiaires de l’assistance militaire française aux forces armées
rwandaises.

En effet, l’Avenant de 1992 était en réalité un moyen de régularisation
juridique de la participation des personnels de l’assistance militaire
française dans la préparation et l’exécution des opérations militaires
contre le Front patriotique rwandais (FPR), qui avait commencé en 1990, à
s’en prendre militairement au régime de Juvénal Habyarimana.

Les raisons de l’engagement français au Rwanda sont expliquées par
Hubert Védrine, alors secrétaire général de l’Elysée, devant une mission
d’information parlementaire.     Il déclarait qu’il «avait toujours vu le
président François Mitterrand aborder fréquemment les questions
africaines et se comporter en continuateur d’une politique ancienne
menée depuis les indépendances. (…). Le président François Mitterrand
estimait que la France devait assumer un engagement global de sécurité,
(…), d’une part, parce que cette politique permettait aux pays africains de
se contenter de budgets militaires très faibles et donc de consacrer plus
de ressources à leur développement, d’autre part, parce que, dans ces
régions toujours menacées par l’instabilité, il considérait que laisser, où
que ce soit, un seul de ces régimes être renversé par une faction, surtout
si celle-ci était minoritaire et appuyée par l’armée d’un pays voisin,
suffirait à créer une réaction en chaîne qui compromettrait la sécurité de
l’ensemble des pays liés à la France et décrédibiliserait la garantie
française.»16.

Malgré tout, une certaine évolution est constatée dans la politique
africaine de la France à partir du discours de La Baule en 1990. François
Mitterrand lie désormais l’aide économique française aux progrès
démocratiques enregistrés dans les pays africains. Juvénal Habyarimana
donnera quelques signes d’adaptation à ce discours en acceptant de signer
les accords d’Arusha, le 4 août 1993. Ces accords censés mettre fin à la
crise politique rwandaise consacraient notamment le partage du pouvoir,
l’ouverture de l’espace politique et le retour des exilés tutsis. Pour les
extrémistes hutus, ces accords sonnaient le glas de leur suprématie. Ils
étaient donc loin de les convenir 17. Quelques mois plus tard, le 6 avril
1994, l’avion qui ramenait Habyarimana et le président burundais de Dar
16
     France, Assemblée nationale, Mission d’information sur le Rwanda, Rapport n° 1271.
17
     Mehdi Ba, «20e anniversaire des accords d’Arusha : quand la paix mène au génocide », 5 août 2013.

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El Salam (Tanzanie) est attaqué par un tir de missile à Kigali. Les deux
présidents y perdent la vie. Le lendemain, 7 avril, commence alors le
génocide des tutsis par les hutus, qui ne prendra fin qu’en juillet, faisant
près d’un million de morts.

4.2.       Rôle de la France dans le génocide Rwandais

La très grande proximité de vues entre les présidents Mitterrand et
Habyarimana sur la menace tutsie et le risque de basculement du Rwanda
dans le camp anglo-saxon, expliquent en grande partie le soutien accordé
par Paris au gouvernement hutu de Kigali, avant pendant et après le
génocide.

Après avoir obtenu en juin 2020 du Conseil d’Etat français 18 le droit
d’accès aux archives de François Mitterrand à l’Élysée concernant sa
politique au Rwanda, Raphaël Doridant et François Graner, expliquent
dans un ouvrage collectif19 comment la France s’était rendue complice du
génocide des tutsis. Les auteurs excluent tout aveuglement ou erreur de
la part des autorités françaises. Ils estiment que «le choix politique
délibéré d’une poignée de responsables civils et militaires a été de
maintenir le Rwanda dans la zone d’influence française, même au prix
du soutien discrètement accordé à un régime ami en train de commettre
un génocide». Depuis 2014, François Graner, chercheur au CNRS
chargeait déjà la France20. Selon lui, la France avait épousé en toute
connaissance de cause, les thèses racistes développées par les hutus à
l’égard des tutsis, assimilés à des « cafards ». Il accuse ouvertement la
France d’avoir pris, de 1990 à 1994, fait et cause pour l’armée rwandaise
en conflit avec le FPR. Il soutient que la France n’a pas cessé d’aider les
responsables du génocide en leur fournissant des armes et en les
exfiltrant après le génocide vers le Zaïre à travers l’opération Turquoise.
Selon Graner, Mitterrand partageait la même idée que les hutus sur le
FRP, perçu comme parti de rebelles tutsis, venant de l’Ouganda et ayant
pour but d’étendre l’influence anglo-saxonne sur le Rwanda francophone.
Pour la France, la victoire du FPR sur les forces gouvernementales
rwandaises, signifierait la perte de son influence au Rwanda.

4.3.       Rapport Duclert

18
     Conseil d'État, 12 juin 2020, Archives du président Mitterrand sur le Rwanda.
19
  François Graner et Raphaël Doridant, « L’État français et le génocide des Tutsis au Rwanda », février2020,
éd. Agone-Survie.
20
     François Graner « Le sabre et la machette », 20 mars 2014, éd. Tribord.

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Un dernier rapport, celui de la Commission de recherche sur les archives
françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis (1990-1994) a
été remis au Président Emmanuel Macron le 26 mars 2021. Dans ses
conclusions, le rapport Duclert, à la différence des conclusions de François
Graner, dénie toute complicité des autorités françaises de l’époque dans
le génocide. «Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise
génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer»
déclare le rapport Duclert 21. Il accuse cependant la France d’avoir des
responsabilités accablantes dans le génocide. Il déclare à ce titre que «La
France s’est néanmoins longuement investie au côté d’un régime qui
encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à la
préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce
régime. Elle a adopté un schéma binaire opposant d’une part l’ami hutu
incarné par le président Habyarimana, et de l’autre l’ennemi qualifié d’«
Ougando-tutsi » pour désigner le FPR. Au moment du génocide, elle a
tardé à rompre avec le gouvernement intérimaire qui le réalisait et a
continué à placer la menace du FPR au sommet de ses préoccupations.
Elle a réagi tardivement avec l’opération Turquoise qui a permis de sauver
de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsis
du Rwanda exterminés dès les premières semaines du génocide. La
recherche établit donc un ensemble de responsabilités, lourdes et
accablantes». Ce rapport montre que Mitterrand, pour des raisons
géostratégiques, a fermé les yeux sur ce qui arrivait aux tutsis.

5.         Chirac et Sarkozy, du paternalisme à l’arrogance

Le premier était chaleureux avec les chefs d’Etat africains, alors que le
second, était un peu plus distant et intéressé par les affaires, avec une
attitude arrogante envers les africains. A Sarkozy qui a dit dans son
discours controversé de Dakar que «Le drame de l’Afrique, c’est que
l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire »22, Chirac rétorque
que «L’homme africain est entré dans l’Histoire. Il y est même entré le
premier. On ne peut avoir à son égard que du respect, le respect que l’on
a pour un ancêtre commun.» 23. Malgré la différence de perception entre
21
  C’est le 5 avril 2019 que le Président E. Macron, à l’occasion de la commémoration du 25émé anniversaire du
génocide des tutsis a demandé à Vincent Duclert, historien, de prendre la direction d’une commission chargée
de « consulter l’ensemble des fonds d’archives françaises relatifs à la période pré-génocidaire et celle du
génocide lui-même », « de rédiger un rapport qui permettra » de jeter un regard critique sur le génocide des
tutsi. Deux ans plus tard, en mars 2021, ce rapport a été remis à Emmanuel Macron sous le titre suivant : « La
France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994).
22
     Le Monde, « Le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy », 7 avril 2009.
23
     Philippe Goulliaud (Figaro), « Chirac à contre-pied de Sarkozy sur l'homme africain », 12 juin 2009.

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les deux, ils ont perpétué à l’égard du continent, bien au-delà des mots, la
même politique paternaliste héritée du général de Gaulle.

Etant maire de Paris, Chirac déclarait en 1990 que le « multipartisme est
une sorte de luxe que les pays en voie de développement, qui doivent
concentrer leurs efforts sur leur expansion économique, n’ont pas les
moyens de s’offrir. »24. Tout au long de sa présidence, de 1995 à 2007, il
était l’ami de certains présidents (Paul Biya au Cameroun, Denis Sassou-
Nguesso au Congo Brazzaville…) qui continuent encore à diriger leurs pays
d’une main de fer. En réalité, la démocratisation des régimes n’était pas le
point fort de sa politique africaine.

Après Chirac, est venu Nicolas Sarkozy, de 2007 à 2012, avec la forte
ambition de nettoyer les relations franco-africaines de ses réseaux
officieux. Pour lui, il fallait débarrasser ces relations «des émissaires
officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent. Le
fonctionnement normal des institutions politiques et diplomatiques doit
prévaloir sur les circuits officieux qui ont fait tant de mal par le passé. Il
faut définitivement tourner la page des complaisances, des secrets et des
ambiguïtés »25. Même s’il avait fait disparaître la cellule africaine de
l’Élysée, cela n’a pas empêché les réseaux officieux de reprendre le dessus
sur les circuits officiels.

Ainsi, l’intervention militaire française en Libye et en Côte d’Ivoire trahit la
posture de non-ingérence prônée par Sarkozy et traduit au plus haut
point, la mise en avant de ses préoccupations personnelles dans les
relations franco-africaines. L’intervention de Sarkozy dans les crises
politiques africaines fut un désastre pour la paix et la sécurité dans le
continent. Il s’est lourdement planté en Côte d’Ivoire et en Libye, pays
dans lesquels il prétendait faussement apporter, comme un messie, la
démocratie et la liberté. Espérant en finir avec Laurent Gbagbo, gauchiste
et anti français selon lui, il a pesé de tout son poids dans l’arrestation de
ce dernier et l’élection d’Alassane Ouattara à la présidence, son ami, et
protecteur à son avis, des intérêts français en Côte d’Ivoire.

Sur la Libye en 2011, Sarkozy avait réussi à mobiliser la communauté
internationale contre Mouammar Kadhafi26 malgré les doutes de l’Union
24
     Cyril Bensimon (Le Monde) « Jacques Chirac et l’Afrique, une amitié particulière », 26 septembre 2019.
25
     Loïc Kuti (Survie) « Dossier Françafrique. La relève Sarkozy : rupture ou continuité ? », 1er juin 2007.
26
  Après son élimination physique, les proches de Kadhafi ont largement fait état de largesses du régime libyen
lors de la campagne électorale de Sarkozy en 2007. Près de dix ans après, la justice française a finalement mis
en examen le 12 octobre 2020, Sarkozy pour « association de malfaiteurs » dans le dossier des soupçons de
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africaine et les réticences de Barack Obama. Selon un rapport d’enquête
de la commission des affaires étrangères du parlement anglais, le
processus décisionnel mis en avant pour justifier la chute de Kadhafi était
complètement erroné. Le rapport indique que « Le gouvernement
britannique n’a pas pu vérifier la menace réelle que le régime de Kadhafi
faisait peser sur les civils ; il a pris au pied de la lettre, de manière
sélective, certains éléments de la rhétorique de Mouammar Kadhafi ; et il
a échoué à identifier les factions islamistes radicales au sein de la
rébellion.»27.

Selon les propos de Sidney Blumenthal, conseiller de Mme Clinton, les
objectifs du président français, en faisant tomber Kadhafi, étaient au
nombre de cinq: « Le souhait d’obtenir une plus grande part de la
production de pétrole libyenne » ; celui d’« accroître l’influence française
en Afrique du Nord » ; de « permettre aux armées françaises de
réaffirmer leur position dans le monde » ; de « répondre aux (…) projets
de Kadhafi de supplanter la France en Afrique francophone » et, enfin, la
volonté d' « améliorer sa situation politique en France.».

En définitive, on peut raisonnablement conclure que la position de Sarkozy
sur Laurent Gbagbo et Kadhafi était biaisée. Il a usé et abusé du statut de
puissance de son pays et de son influence dans le monde pour créer en
Libye et en Côte d’Ivoire un épouvantable désordre.

6.      Virage sécuritaire de François Hollande

Il hérite du fiasco de la politique africaine de Sarkozy, notamment en
Libye et en Côte d’Ivoire. Connaissant peu l’Afrique, il n’échappe pas, lui
aussi, au début de son quinquennat (2012-2017), à la règle qui consiste
pour chaque nouveau président français, à promettre la fin des réseaux
parallèles qui dominent depuis les années « 60 », en toute opacité, les
relations franco africaines.

6.1 Engagement militaire en Centrafrique et au Mali

Sous Hollande, cet engagement s’explique principalement par le risque de
partition du Mali et la crainte de voir se produire en Centrafrique un
génocide. En 2012, le président de Centrafrique, François Bozizé demande
urgemment à Hollande d’agir pour contrer la rébellion Séléka, composée
essentiellement de musulmans, qui était sur le point de s’emparer de

financements libyens de sa campagne de 2007.
27
   Le Monde, « Royaume-Uni : des parlementaires mettent en cause la décision de Londres d’intervenir en
Libye»,14 septembre 2016.
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Bangui, la capitale. Bozizé est ensuite renversé et Michel Djotodia,
musulman, est installé comme président. Cette situation fera révolter les
milices d’autodéfense chrétiennes, les « anti-balakas », qui engageront
contre la rébellion Séléka, un combat meurtrier. Le combat est d’ordre
politique et confessionnel, avec un risque accru de génocide dans le pays.
Avec le feu vert de l’ONU, la France lance l’opération Sangaris, de 2013 à
2016, en vue de pacifier et de stabiliser le pays.

En Centrafrique, les raisons de l’intervention française sont apparemment
plus humanitaires qu’économiques. «Bien que Paris y soit le premier
investisseur, les intérêts économiques français en Centrafrique sont
désormais peu importants. Les échanges commerciaux s'élèvent à à peine
50 millions d’euros. A part France Télécom qui s’est installé à Bangui en
2007 et l’inévitable Bolloré (qui gère le terminal porte-conteneurs du port
de Bangui), les grands groupes français ne s’intéressent plus guère à ce
pays. Aréva, qui avait signé en 2008 un accord pour l’exploitation d’une
mine d’uranium dans l’Est du pays, y a renoncé, après la catastrophe de
Fukushima » 28. Il y a aussi entre la France et la République Centrafricaine
un partenariat de défense signé à Bangui le 8 avril 2010 qui couvre divers
domaines de coopération29. Parmi les domaines retenus par l’article 4, il y
a la « Mise en œuvre de toute autre activité convenue d'un commun
accord entre les Parties en fonction de leurs intérêts communs ». Cette
disposition offre aux deux gouvernements, une importante marge de
manœuvre dans la détermination de tout autre domaine de coopération.
Rédigée de manière astucieuse, cette disposition n’interdit pas d’inclure
dans la coopération, l’assistance à un gouvernement menacé de
renversement.

Au Mali et dans toute la bande Sahélo saharienne, le contexte sécuritaire
s’emballe avec la forte pression militaire des djihadistes qui ne reculent
devant rien. La présence du terrorisme islamique dans cette partie de
l’Afrique menace les intérêts français. Le laisser faire est donc exclu et la
France sous Hollande se voit dans l’obligation d’agir pour éliminer le mal à
la source. En 2013, Hollande lance l’opération « Serval » pour sauver le
Mali d’une partition. Les djihadistes avaient déjà réussi un exploit, en
mettant sous leur contrôle, le nord du pays. L’extension du contrôle
djihadiste sur l’ensemble du territoire malien et sur les pays voisins, est

28
  Vincent Jauvert(Le Nouvel Observateur), « Centrafrique. Pourquoi la France a intérêt à intervenir », 2
décembre 2013.
29
  Legifrance., Décret n° 2011-1109 du 16 septembre 2011 portant publication de l'accord entre le
Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République centrafricaine instituant un
partenariat de défense (ensemble une annexe), signé à Bangui le 8 avril 2010.
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particulièrement redoutée. En réponse, l’opération « Barkhane » est
lancée en 2014 par Hollande. Elle remplace Serval. Dans l’espace Sahélo
saharien, Barkhane vise à lutter contre le terrorisme avec l’appui de cinq
Etats de la zone : le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie, et le
Niger, tous membres du G5 du sahel.

Selon le ministère français des armées, « La stratégie sahélienne de la
France vise à ce que les États partenaires acquièrent la capacité d’assurer
leur sécurité de façon autonome. Elle repose sur une approche globale
(politique, sécuritaire et de développement) dont le volet militaire est
porté par l’opération Barkhane, conduite par les armées françaises. »30. Le
G5 Sahel est institué sur la base d’un accord interétatique conclu le 19
décembre 2014 entre ses cinq Etats membres. C’est une organisation qui
dans ses objectifs fait le lien entre la sécurité (lutte contre le terrorisme et
le crime organisé), le développement et la démocratie. Le G5 Sahel
semble pleinement prendre conscience, que sans l’amélioration du niveau
de vie des populations et la promotion des droits humains, il serait diificle
de lutter efficacement contre le terrorisme et le crime organisé.

En ce qui concerne le Mali en revanche, la principale raison de
l’intervention française, du moins d’un point de vue militaire, est le risque
de transposition en France et dans toute l’Europe, du djihadisme islamique
présent dans ce pays et dans l’espace sahélo saharien. Selon la revue
stratégique de défense et de sécurité nationale (2017) « la contraction de
l’espace géopolitique, résultat de l’accroissement des interdépendances,
facilite la propagation rapide des effets des crises, mêmes lointaines,
jusque sur le continent européen »31. En ce qui concerne l’espace sahélo
saharien, poursuit la revue, il est « porteur d’enjeux prioritaires pour la
France en matière de lutte contre le terrorisme ». Car cette zone
« connaît un risque d’enracinement durable des mouvances djihadistes ».
Ce qui s’y passe représente une menace réelle pour la sécurité de la
France et de l’Europe.

Après la suspension le 3 juin 2021 de sa coopération militaire avec le Mali,
à la suite du deuxième coup d’Etat du colonel Assimi Goïta, la France, par
réalisme, n’avait pas d' autre choix que de reprendre cette coopération.
Ce qui fut fait le 2 juillet de la même année pour des raisons sécuritaires.
Selon un communiqué du ministère français des armées, la « France a
décidé la reprise des opérations militaires conjointes ainsi que des
missions nationales de conseil, qui étaient suspendues depuis le 3 juin
30
     Ministère des armées, « Opération Barkhane ».
31
     République française (Vie publique), « Revue stratégique de défense et de sécurité nationale », 2017.

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