DESTINS DE L'ATTACHEMENT A L'ADOLESCENCE - KAIMH

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DESTINS DE L'ATTACHEMENT A L'ADOLESCENCE
   M. BOTBOL1, D. CUPA2, A. BARRIGUETE3, C. MENETRIER4 , M. BRANCO4, H. TABATABAI4

Quelle que soit la façon dont on aborde l'adolescence personne ne conteste que la
question des liens est au centre des problématiques de cette période de la vie.

Cette question est en effet réactivée par ce qui donne toute sa valeur au concept
d'adolescence, c'est à dire le fait qu'elle constitue le deuxième temps du
développement de la sexualité humaine, la fin en quelque sorte de la "prématurité"
caractéristique de l'espèce. Aux origines de l'adolescence, il y a en effet la puberté et
sa version psychique "le pubertaire" pour reprendre le terme proposé par Ph. Gutton
(1991). Au constat d'une différence des sexes fantasmatiquement réversible succède
alors l'éprouvé de la complémentarité des sexes et donc de l'incomplétude foncière du
génital. L'autre s'impose en se sexualisant, tandis que l'impuissance de l'enfance cède
la place aux nouvelles capacités de l'adolescent réactualisant sa problématique
oedipienne en l'associant à une particularité remarquable : pour la première fois le
sujet a les moyens physiques de ses fantasmes. La tentation de l'inceste n'en est que
plus menaçante et donc d'autant plus vive la nécessité de s'en défendre. La séparation
réelle et fantasmatique s'impose donc ; elle s'impose comme une conséquence de ces
mouvements et rend possible voire obligatoire l'investissement de nouveaux objets
extérieurs au cercle familial.

Cette contrainte à la séparation a son pendant du côté de la pression sociale. La
société prescrit à ses adolescents, plus qu'à tout autre groupe, des modèles de conduite
et des modèles d'inconduite (Linton) qui sont, on le sait, beaucoup plus prégnants qu'il
n'y paraît. Dans nos sociétés, ces modèles valorisent avant tout les valeurs
d'autonomie individuelle et d'investissement du champ social au dépens de l'espace du
groupe familial.

Comme la réalité interne, la réalité externe met donc le thème de la séparation, et donc
des liens, au centre de la problématique adolescente. Dans ces conditions,
l'adolescence devient (comme l'écrit Jeammet (1990)) "un puissant révélateur de ce qui
reste de dépendance non résolu aux personnes clés de l'environnement infantile".

Élaborer les effets de cette révélation et le traumatisme qu'elle représente (du point de
vue économique au moins) constitue, on le sait, la tâche psychique majeure de
l'adolescence. Dans la mesure où cette tâche implique une nouvelle distance avec les
objets primaires de l'enfance, il est légitime que nous soyons conduits à nous
interroger sur la place qu'occupe l'Attachement dans ce processus.
Si l'on en revient à la façon dont Bowlby le définit, l'Attachement est en effet
beaucoup plus que ne pourrait le laisser entendre le sens trivial auquel il est trop
souvent réduit (pour y adhérer ou s'y opposer) : l'Attachement est certes d'abord un
système comportemental favorisant la proximité du bébé avec sa principale figure
d'Attachement, la mère, mais c'est un système qui est autorégulé et sous-tendu par un
ensemble de représentations mentales, constituant un"modèle interne opérant" qui
construit un véritable "pattern" psychique dans un domaine qui influence directement
le processus de séparation, dont nous venons de dire l'importance à l'adolescence.

Cette influence est d'autant moins contestable que l'attachement comme système de
proximité est également une notion sexualise (Golse, 1998) se serait-ce que
secondairement.

Comme l'écrit Widlocher (1999), «La relation primaire d’attachement, étayée sur les
besoins d’autoconservation , joue un rôle crucial dans l’expérience primaire et c’est
par le rappel des traces mnésiques que l’enfant transforme un événement réel en un
fantasme sexuel . La sexualité infantile est autoérotique mais ses objets et ses buts
dérivent d’objets et de buts qui ont été associés à des expériences antérieures, destinés
à satisfaire d’autres pulsions instinctuelles comme la faim et d’autres formes
d’attachements dirigés vers autrui, comme le fait de s’aggriper à la mère».

En allant encore au-delà on pourrait sans doute prétendre, dans la lignée de Bowlby et
peut être celle de Balint, que l’Attachement primaire à l’être humain est un besoin
d’autoconservation comme les autres, avec une large zone érogène qui serait la
peau, et l’ouverture aux processus d’étayage classiquement décrits pour les autres
besoins. N’est ce pas ainsi, aussi, que pourrait être comprise l’affirmation de
Winnicott: "un bébé ça n’existe pas tout seul" .

L'Attachement est donc un concept carrefour qui concerne aussi l'adolescence ; en
témoigne d'ailleurs la récente multiplication des travaux sur ce thème.

Nous nous proposons de rendre compte ici des principales données issues de cette
littérature avant de brièvement présenter une recherche en cours sur l'Attachement
dans la psychopathologie de l'adolescent, et les travaux préliminaires auxquels cette
recherche a donné lieu dans le cadre d'un établissement psychiatrique spécialisé dans
le traitement des adolescents et jeunes adultes (la Clinique Dupré à Sceaux) en
association avec la Faculté de Psychologie Paris X-Nanterre.

Attachement et adolescence
Les travaux sur l'Attachement à l'adolescence se multiplient donc. Ils se posent
d'abord la question de la signification de la sécurité ou de l'insécurité d'Attachement à
l'adolescence (Allen & al 1999) :

-une stratégie caractéristique pour traiter les pensées et les sentiments qui se
rapportent à l'Attachement ;

- les souvenirs et représentations spécifiques des interactions précoces avec les figures
d'Attachement et notamment la mère ;

- les relations actuelles avec les figures d'Attachement (Allen & al 1999);

- mais peut-être aussi les effets "structurels" des modèles internes opérants organisés
dans la petite enfance, ce que ceux ci pourraient avoir de stable au travers des
différents moments de la vie et des événements vitaux rencontrés.

Un paradoxe ici : l'idée d'une stabilité des modèles d'Attachement plaide tout autant
pour le génétique, l'inné, que pour le psychodynamique qui, en s'enracinant dans le
passé des relations, exerce ses effets dans leur actualité. C'est en cela d'ailleurs qu'il
n'y a pas de cognitif pur (ni en matière d'Attachement ni dans d'autres domaines
d'ailleurs) mais des processus complexes, processus psychiques toujours affectivés,
marqués par l'histoire du sujet et la fonction subjectivante qu’elle prend toujours.

Il faut donc se méfier des mouvements récents qui, en remettant en cause l'idée
devenue intenable d'une stabilité et prédictivité sans faille des patterns d'attachement
(position soutenue au début par les tenants de l'hypothèse génétique dans la
transmission de l'attachement), prétendent maintenant " qu’il n’y a pas de base
théorique pour comprendre pourquoi une relation longitudinale devrait exister
dans les patterns d'attachement" (Allen & al 1999) de l'enfance à l'âge adulte en
passant par l'adolescence.

Dès lors de tels auteurs ne voient qu'une explication à la stabilité éventuelle de ces
patterns : un effet en miroir des modèles internes opérants des parents actuels, une
imitation de surface sans identification ni intériorisation. Une question alors les
taraude, à quel moment la stratégie d'attachement devient-elle la propriété propre de
l'individu et non le simple reflet de celle de ses parents ? Ceci revient à se poser la
question de la naissance de la subjectivité question qui, selon nous, précède, et de
beaucoup, l'adolescence.

Se pose en tout cas la question de l'origine de ce qui est mesuré à l'adolescence par le
paradigme de l'Adult Attachment Interview :
- les modèles internes opérants de l'enfance

- le modèle interne opérant des parents actuels dont l'adolescent serait le miroir

- les modifications de modèles internes opérants dus à l'adolescence et les
particularités que celle-ci induit dans le rapport à l'autre comme dans le rapport au
langage

- les modifications des modèles internes opérants liés à la situation psychique actuelle
de l'adolescent et donc à sa psychopathologie éventuelle.

Continuité et discontinuité des modèles d’attachement de la petite enfance à
l’adolescence

Concernant le devenir des modèles internes opérants du bébé les choses sont donc
complexes même si des études récentes apportent un certain nombre d'éléments de
réponse.

Le temps est passé, et les bébés des premières situations étranges ont grandi. Les voilà
adolescents, voire jeunes adultes ; c'est sans doute, du point de vue de l'attachement,
une autre raison de s'intéresser à l'adolescence.

Plusieurs travaux longitudinaux ont donc été produits avec cet objectif affirmé
d'étudier le devenir des modèles internes opérants précoces. Ce sont ces travaux que
nous allons brièvement présenter maintenant :

En 1995, Waters et ses collaborateurs (Waters &al 1995) interviewent par l'AAI 50
jeunes adultes de 21 ans ayant été évalués par la situation étrange à l'âge de 12 mois.
Il en ressort les résultats suivants :

- 64 % des sujets sont placés, à l'AAI, dans la catégorie dans laquelle ils avaient été
classés à 12 mois à la situation étrange ;

- si, parmi ces jeunes adultes, on ne considère que ceux qui n'ont pas subi
d'événements de vie traumatiques dans leur histoire (décès d'un des parents, divorce,
maladie grave, maltraitance…) la correspondance sécure vs insécure, entre l'AAI et la
situation étrange, atteint 78 %. Cette correspondance est de 72 % lorsque l'on
considère les trois catégories de la situation étrange par rapport aux trois catégories
correspondantes de l'AAI.
Hamilton et ses collaborateurs trouvent la même année (Hamilton 1995) des résultats
identiques sur un groupe de 30 adolescents de 17 à 19 ans.

Plus récemment Mary Main et ses collaborateurs (cités par Hesse 1999) ont effectué
une analyse analogue en distinguant cette fois la catégorie "désorganisée" à la
situation étrange et à l'AAI. L’étude porta sur 45 sujets de 19 ans ayant eux aussi été
évalués à 12 mois par la situation étrange. Dans ces conditions, ils retrouvent une très
forte prédictibilité sécure versus insécure (80 %) ; aucun des 12 sujets classés
"désorganisés" à la situation étrange ne sont classés "sécures" à l'AAI.

Ces trois études indiquent donc une corrélation forte entre la catégorie évaluée en
situation étrange et la catégorie mesurée par l'Adult Attachment Interview à
l'adolescence.

D'autres études longitudinales ne retrouvent cependant pas ces résultats :

Il en est ainsi par exemple de l'étude de Zimmerman en 1998 : il s'agit d'un travail
portant sur un groupe de jeunes allemands âgés de 16 ans en situation sociale très
difficile. Dans cette étude on ne retrouve aucune correspondance entre les catégories
de l'AAI et celles qui avait été définies lors de l'épreuve de situation étrange passée
dans la petite enfance.

Ces résultats vont dans le sens de ceux qui avaient été trouvés par Weinfield en 1996
(cité par Hesse 1999) sur un échantillon d'adolescents à risque issus d'un milieu
défavorisé. Dans cette étude on trouvait que 39 % d'insécures à la situation étrange
dans la petite enfance, alors que ce taux passait à 68 % à l'adolescence avec 60 % de "
détachés ". Il n'y avait donc pas, là aussi, d'association entre les catégories de la
situation étrange et celle de l'Adult Attachment Interview ; mais il s'agissait d'un
échantillon particulièrement soumis à des événements de vie défavorables, facteurs
connus de discontinuité.

On peut donc dire que la stabilité des catégories d'attachement, entre celles
déterminées par la situation étrange à 12 mois et celles reconstituées à partir de l'Adult
Attachment Interview, paraît probable mais reste discutée.

D'autres études apportent quelques éléments pour alimenter cette discussion.

Ainsi en est-il de l'étude de Lewis en 1997 qui ne trouve aucune correspondance entre
les catégories déterminées a la situation étrange et celles trouvées à l’AAI, mais la
recherche est effectuée sur un groupe dans lequel la situation étrange n'a pas été
passée selon le protocole standardisé par Ainsworth .

La correspondance trans-générationnelle semble pourtant avérée comme le montre par
exemple une étude de Benoît Parker en 1994, qui, sur un groupe de 81 mères
canadiennes comparées à leurs filles adultes retrouve 75 % de correspondance aux
trois catégories de l'AAI.

De son côté, Rosenstein (Rosenstein 1996) retrouve lui 81 % de correspondance aux
trois catégories pour 27 mères et leurs adolescents hospitalisés en psychiatrie. Il tire
de ce constat l'idée que la situation de difficulté actuelle a plutôt tendance à améliorer
la concordance entre générations plutôt qu'à la diminuer.

Citons enfin une étude italienne de Ammaniti (citée par Hesse 1999) menée
récemment, à partir d'une étude de l'AAI sur des échantillons plus jeunes, qui
démontre une très grande stabilité de leurs catégorisations entre 10 ans et 14 ans.

En résumé on peut donc dire qu'il existe de nombreux arguments en faveur de la
continuité du type d'attachement précoce à l'adolescence :

- forte corrélation avec l'attachement de parents ;

- corrélation plus discutée avec l'attachement du bébé qu'était l'adolescent. Cette
corrélation est forte dans plusieurs études où elle oscille entre 65 et 80 %. Elle paraît
dépendante de facteurs sociaux environnementaux ;

- elle paraît plus forte si les adolescents vivent avec leurs parents ou s'ils subissent les
difficultés actuelles particulières ;

- elle paraît moins forte si il s'agit de sujets ayant subi des événements de vie
traumatiques dans leur histoire ;

- elle parait moins forte également si l'AAI est passée en une période proche du début
de l'adolescence ;

- aucune corrélation n'est retrouvée si ces deux derniers facteurs s'associent et
exercent des effets cumulés.

Place des modèles d’attachement dans les déterminants de santé psychique à
l’adolescence :
Qu’en est-il maintenant de la place des modèles internes opérants comme
déterminants de santé psychique à l'adolescence? Existe-t-il à cet âge les mêmes
tendances, qui semblent être constatées dans la première et la deuxième enfance,
corrélant les difficultés de développement avec les catégories "insécures" ?

Quelques éléments de réponse sont donnés par les nombreuses études utilisant l'AAI
sur des groupes cliniques versus des groupes non cliniques. En 1994 Patrick (Patrick
& al 1994) de la Tavistock Clinic compare 12 patients borderline avec 12 patients
dysthymiques : il trouve que les 12 patients borderline et seulement 4 des
dysthymiques se trouvent dans la catégorie «préoccupée».

Fonagy et ses collaborateurs ont fait en 1996 (Fonagy&al 1996) une étude très
complète sur ce thème : 82 patients psychiatriques hospitalisés sont comparés à 85
sujets normaux. 50 des normaux et seulement 9 des psychiatriques sont classés
«sécures» :dans cette étude la catégorie la plus discriminante paraît être la catégorie
désorganisée que l'on retrouve chez 76 % des patients et seulement 7 % des contrôles.

Adam ( Adam 1995) étudie au Canada 133 adolescents de 15 ans environ, 69 d'entre
eux étant suicidant les autres constituant le groupe témoin. Les deux groupes sont
appariés sur l'existence d'événements traumatiques que l'on détermine de façon
analogue dans les deux groupes. La catégorie "désorganisée" est retrouvée dans 73 %
des cas et seulement 44% du groupe témoin. La catégorie "préoccupée" est, elle aussi,
plus fréquemment retrouvée dans le groupe des cas que dans le groupe témoin.
Globalement 77 % des sujets classés à la fois "désorganisés" et "préoccupés" sont
dans le groupe des suicidants.

Le pattern d'attachement pourrait donc être déterminant dans la façon dont vont
s'élaborer les traumatismes. Les préoccupés apparaissent comme particulièrement
sensibles à la désorganisation traumatique.

Encore faut-il que le pattern d'attachement ne soit pas exclusivement lié à la situation
actuelle de détresse. Une étude de Allen (Allen 1996) semble relativiser l’effet de
l’actualité dans ce contexte. Il étudie 66 jeunes adultes de 26 ans hospitalisés 11 ans
avant et les compare, sur les résultats à l'AAI, avec un groupe contrôle non
hospitalisé. Il exclut des cas les sujets présentant des troubles psychotiques et
neurologiques. Son étude retrouve 7,6 % de sécure soit un taux qui n'est pas supérieur
à celui qu'il retrouve chez ceux qui souffre d’une détresse actuelle.

De nombreuses autres études retrouvent un certain nombre de correspondance entre
des manifestations psychopathologiques et les modèles d'attachement. Globalement
ces études concluent que les manifestations symptomatiques internalisées (anxiété,
dépression) sont davantage corrélées à des patterns "préoccupés" alors que les
manifestations externalisées (troubles des conduites, toxicomanie, tentative de
suicide) sont plus volontiers liées à des patterns "détachés".

En ce qui concerne les troubles des conduites alimentaires, Candelori a montré
(Candelori 1998) sur 36 cas âgés de 17 ans que l'anorexie était plus généralement
associée à un pattern "détaché" alors que la boulimie paraissait plus corrélée avec un
pattern " préoccupé ". Une étude analogue, utilisant le "Camir", est actuellement en
cours à Lausanne et à Paris.

Globalement on peut donc dire que l'on retrouve :

- Des différences très significatives entre population clinique et non clinique du point
de vue des patterns d'attachement ;

- Ces différences ne paraissent pas liées à des difficultés actuelles, pas seulement en
tout cas ;

- L'appartenance d'un sujet au groupe des cas cliniques ne paraît pas remettre en cause
de façon significative la corrélation entre les patterns de la mère et ceux du sujet du
point de vue de l'attachement ;

- Certaines pathologies seraient plus manifestement corrélées à certains patterns
d'attachement.

Associés aux données en faveur d’une continuité des patterns d’attachement ces
résultats pourraient conduire à des conceptions fixistes des troubles psychiques à
l’adolescence; autrement dit, si les patterns d’attachement sont déterminants dans la
sante psychique des adolescents et jeunes adultes, si ces patterns sont établis
précocement et montrent une forte tendance a la continuité individuelle et
transgénérationnelle, faudrait il en revenir aux conceptions d’un tout génétique
largement abandonnées actuellement par les spécialistes de l’attachement ? Faudrait il
en conséquence considérer comme inutiles les interventions thérapeutiques ou
préventives, précoces ou plus tardives, malgré les nombreux témoignages de la
cliniques et d’un grand nombre d’études de devenir ?

Certainement non si l’on remet a leur juste place le concept d’attachement et les
données de la littérature le concernant :

- Si les études évoquées témoignent d’une tendance à la continuité des pattern elles
témoignent également de leur sensibilité au contexte et de leur modificabilité. Il faut
par ailleurs se rappeler que cette tendance a la continuité est certes significative mais
loin d’être générale.
- Concernant la transmission transgénérationnelle il existe selon B Pierrehumbert un
biais méthodologique en faveur d’une continuité , l’AAI se construisant en référence
aux patterns définis par la SS avec la présomption de cette continuité .

Enfin et surtout, les travaux ci-dessus évoqués ne font que constater l'influence d'un
des multiples facteurs de risque ou de résilience que l’on est progressivement amenés
a décrire dans un souci croissant de prévenir. En ramenant ces données à ce qu’elles
sont, ceci laisse toute sa place à l’incertitude du devenir et au sens individuel que telle
ou telle de ces configurations peut prendre pour chacun ; ceci ne préjuge pas du
mécanisme de cette influence.

Í Une recherche clinique en cours à la Clinique Dupré

a) Objectifs

Ces données nous ont conduit à entamer un travail de recherches sur ce thème dans le
cadre de la Clinique Dupré, établissement psychiatrique accueillant des adolescents
et jeunes adultes (16 à 25 ans) Pour des projets de prise en charge associant des soins
psychiatriques et des études (la clinique dispose en son sein, en sus d’une équipe
psychiatrique classique, de moyens pédagogiques conséquents avec plus de 30
enseignants de lycée).

Le présupposé théorique de ce travail est un peu différent de celui des travaux
rappelés ci-dessus. Nous partons en effet de l'hypothèse que, en dehors des
pathologies psychotiques qui sont en continuité avec celles de l'enfance, les
manifestations psychopathologiques de l'adolescence ont en commun de venir
marquer un échec, transitoire ou non, dans l'élaboration du processus adolescent.

Dans cette optique il s'agit pour nous de rechercher si certains types d'attachement, et
certains des modèles internes opérants établis précocement chez chaque individu,
constituent ou non des déterminants essentiels de la façon dont le processus
adolescent va s'installer et s'élaborer chez chacun. Ce qui nous intéresserait donc le
plus, ce serait la connaissance des modèles internes opérants antérieurs aux troubles et
même antérieurs à l'adolescence, avec l'idée sous-jacente que certains de ces types
seraient des facteurs de vulnérabilité et d'autres des facteurs de résilience face au
stress voire au traumatisme que constitue l'adolescence en elle-même.

b) Méthodologie :

Globalement il s'agira de comparer les types d'attachement et modèles internes
opérants d'adolescents ayant présenté une désorganisation psychique à l'adolescence à
ceux d'adolescents dont l'adolescence ne s'est pas accompagnée de ses ruptures
développementales.

La catégorisation du type d'attachement se fera par l'utilisation de la CAMIR.(Pierre
Humbert 1996)

Le CAMIR est un autoquestionnaire "Q sort" qui décrit des modèles individuels de
relations et permet, par un traitement approprié, une comparaison implicite à des
prototypes, à partir d'unités signifiantes caractérisant ces prototypes.

Les résultats sont dimensionnels et peuvent être améliorés au niveau du traitement si
l'on augmente le nombre ou la précision des prototypes.

Encore faut-il préciser qu’on n’évaluera là que le type d'attachement actuel déterminé
chez l'adolescent quelle que soit sa situation clinique. L'objectif étant de rechercher
des corrélations avec les modèles internes opérants précoces, nous tenterons
d'approcher cette donnée par l'application de ces mêmes instruments aux mères dont
on sait que leur modèle interne opérant est stable dans le temps et fortement corrélé à
la situation étrange des bébés qu'étaient ces adolescents.

Sachant que certains événements vitaux peuvent réduire cette stabilité, il conviendra
que les mères et les adolescents cas et ceux du groupe témoin soit appariés sur ces
paramètres.

Afin d’étudier spécifiquement l’hypothèse évoquée, on s'attachera également à
exclure des cas ceux des adolescents dont la psychopathologie s'inscrit en continuité
avec une pathologie de l'enfance en procédant a un examen anamnestique rétrospectif
recherchant les critères descriptifs proposés par le DSM4 notamment dans le chapitre
où il traite des troubles globaux du développement.

c) Une étude préliminaire

Afin de vérifier la faisabilité d'un tel projet et de repérer les obstacles qu'il pourrait
rencontrer, une étude préliminaire a été réalisée avec trois hypothèses de travail :

1 – Par rapport à un groupe normal contrôle, les adolescents hospitalisés à la Clinique
présenteraient préférentiellement certains types de pattern d'attachement.

2 – Dans le groupe des cas on constaterait une différence de pattern d'attachement
préférentiel entre les sujets ayant déjà fait au moins une TS et ceux qui n'en ont jamais
fait.
3 – Les patterns d'attachement préférentiels seraient différents en fonction de la
pathologie psychiatrique présentée par les sujets (DSMIV).

- Pour étudier ces hypothèses de travail, trois groupes ont été constitués :

- un groupe normal contrôle de 12 adolescents et jeunes adultes de 18 à 26 ans.

- un groupe de cas de 30 adolescents et jeunes adultes tous hospitalisés à la Clinique
Dupré. Ce groupe était composé de deux sous-groupes grossièrement appariés pour
l'âge et le sexe, entre eux et avec le groupe contrôle.

- Les cas comme les contrôles ont été soumis au CAMIR dont le dépouillement s'est
fait en ne retenant que celui des prototypes d'attachement de base (sécure, préoccupé,
détaché) qui apparaît comme préférentiel chez chaque sujet.

Cette étude a permis de dégager les résultats suivants :

¶ Il existe une nette différence entre le groupe normal contrôle où l'on retrouve 100 %
de sécure et le groupe des cas où l'on retrouve 50 % de sécures, 30 % de préoccupés et
20 % de détachés.

· Le groupe des cas ayant fait une TS se différencie du groupe des cas n'en ayant pas
fait, quant à la répartition des différents patterns d'attachement retenus.

                       sécure           détaché         préoccupé
Groupe avec TS :                         43 %              36 %
14
                       21 %
Groupe sans TS :                         0%                25 %
16
                       75 %

¸ Le nombre de sujets évalués ne permet pas d'étudier les différences de répartition des
patterns préférentiels en fonction des diagnostics, le nombre correspondant à chaque
catégorie se révélant presque toujours trop réduit.

A noter cependant que dans le groupe des schizophrènes (11 cas), la répartition des
patterns est la suivante :
sécure détaché préoccupé

82 % 0 % 18 %

résultats surprenants dont il n'a pas été retrouvé d'équivalent dans la littérature.

Tous ces résultats doivent donc être considérés avec la plus grande prudence :

- s'agissant d'une étude préliminaire de faisabilité, ce travail n'a pas fait l'objet d'une
méthodologie rigoureuse et d'un traitement statistique approprié. Ainsi n'y a-t-il eu
aucune vérification de la significativité statistique de ces données.

- se dégage néanmoins des tendances qui vont dans le sens de ce qui était attendu :
plus grande proportion d'insécure dans le groupe des cas et, à l'intérieur de ce groupe,
dans le sous groupe avec TS.

- sont, par contre, beaucoup plus surprenants les résultats trouvés chez les
schizophrènes avec 82 % de sécure, dont nous avons dit n'avoir pas retrouvé
d'équivalent dans la littérature.

Ceci nous a conduit à remettre en cause la méthode de traitement des données issues
du CAMIR. Dans la population des schizophrènes, les résultats du CAMIR font
souvent apparaître pour le même patient plusieurs patterns préférentiels
différents dont nous n'avons retenu que celui dont le score était le plus élevé. Il est
probable que la prise en compte de cette hétérogénéité aurait permis le dégagement
d'autres tendances. C'est en tout cas un mode de traitement permettant cette prise en
compte qui sera dorénavant utilisé.

Devront être également reconsidérées de plus près les conditions de passation du
questionnaire, celles-ci pouvant présenter des caractères spécifiques dans certains
groupes de patients et pour certaines pathologies.

Nous le répétons, tout ceci témoigne en tous cas de la prudence avec laquelle il faut
considérer ces résultats partiels et préliminaires qui ont surtout témoigné de la
nécessité d'améliorer les conditions de passation et de traitement du questionnaire
retenu.

CONCLUSION

Susceptible d’être repris dans des perspectives étiopathogèniques très diverses, le
concept d’attachement n’est certes pas sans poser d’importantes questions théoriques
à chacune des approches qui s’en sont saisi. Cette ambiguïté théorique n’est peut être
pas étrangère à son succès, considérable actuellement, succès qui s’appuie, nous
l’avons dit, sur des instruments standardisés susceptibles d'apprécier l'attachement de
façon plus ou moins rigoureuse. Nous avons vu a quel point cette diffusion récente a
eu surtout pour effet de redonner toute sa vigueur a la notion de représentation, y
compris dans des travaux manifestement entamés avec d’autres présupposés.

Ces découvertes ont eu des applications incontestables dans le domaine de la petite
enfance ; dans le présent travail nous nous sommes interrogés sur la possibilité d’en
étendre la portée à l’adolescence et à la psychopathologie caractéristique de cette
période de la vie.

Dans une visée de prévention primaire et secondaire, il s’agit en somme de savoir si
le concept d’attachement peut permettre d’en savoir plus sur les déterminants de santé
mentale à l’adolescence, en recherchant ce qui pourrait lui être rattaché dans ce que
l’on attribue habituellement au tempérament, au caractère, voire aux interactions
pathogènes.

Au-delà, il s’agira surtout de déterminer si certains modèles d’attachement peuvent
constituer, dès la petite enfance, des facteurs de vulnérabilité à l’adolescence ; ces
facteurs seraient alors susceptibles de faire l’objet d’actions préventives précoces et
focalisées, puisqu’il est en tous cas clair maintenant que, quelque soit leur poids dans
le développement, les patterns d’attachement restent toujours évolutifs et modifiables.
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