Diagnostic de schizophrénie: approche catégorielle et dimensionnelle, quelle complémentarité? - Synopsys
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Supplément à Neurone 2016; Vol 21 (N° 2) Diagnostic de schizophrénie: approche catégorielle et dimensionnelle, quelle complémentarité? Marc-André Domken, André Masson, Martin Desseilles, Olivier Pirson, André De Nayer, Benoît Gillain, Laurent Mallet, Benoît Delatte, Vincent Dubois, Edith Stillemans, Johan Detraux Editeur responsable: V. Leclercq • Varenslaan 6, 1950 Kraainem DIV1589F
Table des matières 1. Introduction 3 2. Aspects historiques 3 3. Définitions 3 3.1. Maladie 4 3.2. Symptôme 4 3.3. Syndrome 4 3.4. Maladie selon la médecine somatique et la psychiatrie 4 3.5. Approche catégorielle et dimensionnelle 5 4. Construire une classification nosographique scientifique: quelques réflexions 5 4.1. Fiabilité, validité et utilité 5 4.2. Approches bottom-up (phénoménologiques) et top-down (théoriques) 5 5. Avantages et inconvénients des approches catégorielles et dimensionnelles 5 5.1. L’utilité des catégories 5 5.2. Une comorbidité excessive 6 5.3. Existence d’éléments transdiagnostiques 6 5.4. Le problème des troubles «non spécifiés» 6 5.5. La stigmatisation 6 5.6. Forte hétérogénéité au sein d’une catégorie 7 5.7. Continuum entre normal et pathologique 7 5.8. Risques de diagnostics excessifs et de surmédicalisation 7 6. Conséquences potentielles d’une approche catégorielle ou dimensionnelle 7 6.1. Assurance-maladie 7 6.2. La recherche et la formation 8 6.2.1. Le RDoC 8 6.2.2. Psy Mate et la temporalité du diagnostic 10 6.2.3. EASE 10 6.2.4. La formation des psychiatres 10 7. Changements dans le DSM-5, par rapport au DSM-IV-TR, pour la schizophrénie 11 7.1. Changements catégoriels 11 7.1.1. La schizophrénie 11 7.1.2. Le trouble schizo-affectif 11 7.2. Évaluation dimensionnelle des symptômes et des signes psychotiques dans le DSM-5 13 7.2.1. Clinician-Rated Dimensions of Psychosis Symptom Severity 13 7.2.2. DSM-5 auto-évaluation symptomatique transversale niveau 1 13 8. Conclusions 14
1. Introduction noter, dont la principale réside dans l’intro- critères objectivables («bottom-up») de la duction d’une évaluation dimensionnelle. même manière par tout psychiatre ou psy- «L’opposition théorique et méthodologique C’est pourquoi le manuel parle maintenant chologue, quelle que soit son orientation entre deux approches de la pathologie des troubles du spectre (ou continuum) de théorique. Le DSM-III se différenciait donc mentale – l’une, ‘l’approche catégorielle la schizophrénie. Cette évaluation dimen- des DSM-I et II, fortement empreints des ou discrète’, l’autre, communément appe- sionnelle est venue compléter l’approche conceptions psychanalytiques qui orien- lée ‘approche dimensionnelle ou continue’ catégorielle des versions précédentes, qui taient l’examen clinique («top-down») (3, 7, – apparaît de plus en plus comme l’enjeu s’était révélée insuffisante pour cerner la 10). Le DSM-III représentait également une d’un choix crucial pour la réorganisation complexité des troubles mentaux. réponse aux critiques issues du courant an- du savoir psychiatrique et la rénovation de tipsychiatrique, qui accusait la psychiatrie la classification nosologique» (1). Tandis de confondre la psychopathologie avec les que l’approche catégorielle établit des ca- Le DSM-5 complète les catégories problèmes moraux et sociaux (7, 10). tégories précises aux propriétés clairement néo-kraepeliniennes par une timide définies, visant à établir la présence ou approche dimensionnelle. l’absence d’un certain nombre de symp- Avec le DSM-III, c’est le paradigme tômes, l’approche dimensionnelle essaye néo-kraepelinien qui s’impose, de caractériser ces symptômes par leur Dans cet article, nous nous proposons affirmant l’appartenance de la degré d’intensité (1-3). d’explorer les mérites et limites de ces psychiatrie à la médecine, tout en deux approches dans la construction noso- cherchant à augmenter le carac- Suite à la lenteur des progrès de la re- graphique de la schizophrénie, avec l’ob- tère scientifique objectivable des cherche en psychiatrie, l’approche caté- jectif de souligner leur complémentarité. catégories des troubles mentaux gorielle semble être remise en question. Nous suggérerons l’utilisation conjointe afin de mieux cerner leur enracine- Par exemple, certains auteurs proposent des catégories et des dimensions car, dans ment biologique. un démantèlement de la classification sa pratique, le clinicien a besoin de faire des psychoses, c’est-à-dire une remise en des choix binaires, mais aussi d’apprécier cause de notre nosographie fondée sur les des nuances. On avait une ambition beaucoup plus deux grandes entités discrètes définies par grande avec le DSM-5 qu’avec les DSM Kraepelin. En effet, la schizophrénie et les précédents. Il s’agissait d’établir une classi- troubles bipolaires se superposent partiel- Exprimer simultanément les symp- fication encore plus «scientifique», fondée lement sur le plan génétique et dans leurs tômes des patients de manière di- notamment sur des corrélations avec des traitements médicamenteux (4). Plusieurs mensionnelle et catégorielle pourrait éléments neurobiologiques. Par ailleurs, il autres arguments ont été avancés pour être le plus utile sur le plan clinique. était question d’orienter le DSM vers une remplacer ces catégories diagnostiques par psychiatrie préventive (en y incluant par des dimensions, notamment l’existence exemple le concept de sujets à risque de des troubles schizo-affectifs, qui suggère psychose) et d’y introduire une classifica- un continuum englobant ces deux entités 2. Aspects historiques tion beaucoup plus complexe par dimen- diagnostiques. sions (cependant, certains concepteurs du Le DSM-III, publié en 1980, a marqué une DSM-5 ont dû limiter leurs ambitions par Actuellement, deux grands systèmes de rupture fondamentale avec la psychiatrie manque de données neuroscientifiques classification sont utilisés pour établir le traditionnelle et les éditions précédentes probantes et par pression des assurances). diagnostic de schizophrénie: le manuel dia- du DSM (I-1952, II-1968), car il établissait gnostique et statistique des troubles men- pour la première fois des listes de critères taux (Diagnostic and Statistical Manual of diagnostiques observables avec un meil- La classification du DSM-5 vise à Mental Disorders, DSM) et la classification leur accord inter-juges. Cela répondait à rendre les diagnostics psychiatriques internationale des maladies, la CIM (Inter- la dérive de la psychiatrie américaine dans plus scientifiques (apport de la neu- national Classification of Diseases, ICD) qui, les années 1970 où le diagnostic était pour robiologie) et à identifier des catégo- elle, contient également les pathologies l’essentiel une affaire subjective (3, 7, 8). ries de patients à hauts risques pour somatiques. Cependant, le DSM s’est pro- Selon Demazeux (2013), «les fréquences certains diagnostics, y compris la gressivement imposé comme la référence des différentes formes de psychose va- schizophrénie. mondiale pour poser un diagnostic psy- riaient de 1 à 7 d’un état américain à chiatrique. En mai 2013, presque 20 ans l’autre. De plus, les psychiatres américains après celle du DSM-IV, la cinquième édi- avaient tendance à diagnostiquer la schi- tion du DSM, le DSM-5, est arrivée (5). Il zophrénie deux fois plus souvent que leurs 3. Définitions était question d’y introduire des approches homologues anglais» (7). radicalement nouvelles pour surmonter la L’approche catégorielle prévaut en méde- dichotomie psychose-trouble de l’humeur La construction du DSM-III a été un choix cine somatique et en médecine classique. et améliorer son utilité clinique. En fait, il stratégique en réponse à la position de Les catégories diagnostiques les plus fré- n’a pas été possible d’opérer la révolution plus en plus fragile de la psychiatrie aux quentes sont les syndromes et les maladies. tant attendue pour diverses raisons (6), no- États-Unis. En effet, la nosographie psy- En psychiatrie, en l’absence d’étiologie tamment le risque d’un refus des assurances chiatrique américaine était en position identifiée, on n’utilise pas le terme de ma- nord-américaines de rembourser certaines de faiblesse à l’intérieur d’une médecine ladie mais ceux de trouble ou de syndrome. formes de psychothérapies dans le cadre de plus en plus centrée sur la recherche Nous proposons quelques définitions avant des psychoses (trouble bipolaire inclus). fondamentale (9). Le DSM-III était un outil d’entrer dans la comparaison des dimen- Néanmoins, certaines nouveautés sont à «athéorique» fondé essentiellement sur des sions et catégories de la psychose. 3 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 2 • 2016
3.1. Maladie trouble dépressif majeur lorsqu’une per- 3.4. M aladie selon la médecine sonne présente au moins 5 symptômes (sur somatique et la psychiatrie Les médecins ont depuis longtemps cher- un ensemble de 9) pour une durée d’au ché à donner une définition de la maladie. moins deux semaines, la plupart du temps, Les Anglo-Saxons possèdent divers termes Cependant, si l’on prend un dictionnaire entraînant un changement dans le mode de pour désigner la maladie. En médecine médical, il est difficile de trouver une dé- fonctionnement habituel, l’humeur dépres- classique, le terme «disease» renvoie à finition satisfaisante (11, 12). Selon le La- sive et/ou l’anhédonie devant être obliga- la connaissance objective des anomalies rousse médical, le mot «maladie» se définit toirement présents. physiques (anatomiques, physiologiques, comme une «altération de la santé com- ou biochimiques) du patient. Les mots portant un ensemble de caractères définis, Comment parvient-on à définir ce syn- «illness» ou «sickness», souvent utilisés notamment une cause, des signes et symp- drome? Une catégorie diagnostique doit comme synonymes de disease, désignent la tômes, une évolution et des modalités thé- avoir un lien avec un phénotype observable maladie telle qu’elle est éprouvée et per- rapeutiques et pronostiques précises» (13). dans la nature, mais dans la nosographie çue par les malades eux-mêmes (subjective psychiatrique, «la carte n’est pas le terri- feeling of «being ill») (3). Dans la langue La définition de la santé et de la maladie par toire» (18). En d’autres mots, les catégo- française et flamande, il n’existe qu’un seul l’OMS (la définition la plus répandue) pré- ries diagnostiques sont des représentations terme, «la maladie», pour caractériser ces sente l’intérêt d’insister sur les différentes approximatives de la réalité psychopatho- divers aspects. dimensions de la santé/de la maladie. En logique produites par des analyses statis- envisageant l’aspect physique, psychique tiques des données cliniques. De même, En psychiatrie, on utilise souvent les et social, elle ne privilégie pas l’aspect pu- des techniques statistiques d’analyse fac- termes «maladies mentales» ou «troubles rement somatique auquel se limite souvent torielle ont été utilisées afin d’étudier les mentaux», ce dernier étant un concept l’approche médicale. Selon cette défini- corrélations entre les différents symptômes spécifique à la psychiatrie. Cependant, la tion, la santé est un «état complet de bien- chez des patients porteurs du diagnostic schizophrénie n’a pas reçu à ce jour une être physique, mental et social»; la maladie de schizophrénie afin d’identifier les dif- explication scientifique globale validée. est définie comme «un dysfonctionnement férentes dimensions de ce syndrome. De Il n’existe aucun «marqueur biologique» d’origine psychologique, physique ou/et nombreuses études préconisent le regrou- (tests génétiques, biochimiques ou électro- sociale, qui se manifeste sous différentes pement des symptômes en 5 facteurs ou physiologiques, imagerie cérébrale, etc.) formes» (14-16). dimensions: positive, négative, cognitive/ de la schizophrénie (3). Le diagnostic en désorganisation, dépression/anxiété et ex- psychiatrie est essentiellement clinique, 3.2. Symptôme citation (ou impulsivité). Ceci démontre c’est-à-dire qu’il repose sur des entretiens l’intrication des approches catégorielle et structurés ou semi-structurés. Les examens Le mot «symptôme» est issu du grec an- dimensionnelle dans le syndrome schizo- complémentaires radiologiques ou bio- cien et signifie «accident», «coïncidence». phrénique. logiques ne servent en général que pour Le symptôme est donc, à l’origine, «ce qui exclure des causes somatiques des symp- survient ensemble», ce qui «concourt» ou tômes observés (3). Le diagnostic de mala- «co-incide» avec la maladie, le trouble La science veut qu’un système de die mentale doit être considéré comme un ou sa cause. Un symptôme est un signe classification représente de façon syndrome après l’exclusion des causes so- clinique qui représente une manifestation optimale la structure inhérente du matiques possibles des symptômes (3). partielle d’une maladie ou d’un trouble monde réel. Les classifications scien- mental, telle que ressentie et exprimée par tifiques (par exemple, le tableau un patient et/ou observée par le clinicien. périodique des éléments) visent à re- Le diagnostic psychiatrique est essen- En médecine somatique, les symptômes présenter l’«organisation structurelle tiellement clinique car la recherche peuvent être accompagnés par des signes du monde». Actuellement, en méde- de l’étiologie des maladies mentales objectifs (par exemple, la température, les cine, la majorité des classifications est toujours en cours. Aucun mar- résultats de laboratoire ou des défauts ana- (catégorielles ou dimensionnelles) queur biologique n’est à ce jour dis- tomiques) (17). Un même symptôme peut sont des modélisations construites à ponible. Le terme «maladie mentale» être souvent attribué à différentes maladies partir des observations cliniques tant (ou «trouble mental») n’est donc ou troubles mentaux: on ne peut donc pas quantitatives que qualitatives. pas synonyme de «maladie» selon la conclure qu’un symptôme (par ex. la fièvre définition donnée par la médecine. ou l’hallucination) est dû à une maladie ou un trouble donné (par ex. la grippe ou Chaque version du DSM résulte du travail la schizophrénie, respectivement). En psy- de très nombreux experts, réunis dans plu- Le DSM-5 définit un trouble mental chiatrie, il n’existe pas de symptôme patho- sieurs groupes. Les critères diagnostiques «comme étant un syndrome caractérisé gnomonique. pour les troubles mentaux s’appuient sur par des perturbations cliniquement signi- le jugement clinique des experts du comité ficatives de la cognition, de la régulation 3.3. Syndrome du DSM. Ces jugements sont le résultat du des émotions ou du comportement qui regroupement d’un nombre considérable sont les reflets d’un dysfonctionnement Le terme «syndrome» dérive lui aussi du de données empiriques (revues de la litté- des processus psychologiques, biologiques grec ancien et signifie littéralement «cou- rature, analyses de données cliniques, ré- ou développementaux impliqués dans le rir ensemble». Un syndrome est donc un sultats d’études sur le terrain centrées sur fonctionnement mental». Selon le DSM-5, ensemble de symptômes ou signes cli- des points litigieux de la classification). Le les troubles mentaux sont généralement niques qui, collectivement, caractérisent DSM reste donc centré sur la statistique et associés à une importante détresse ou à un trouble (17). Par exemple, on parle de la concordance des avis entre spécialistes. un handicap dans les activités sociales, 4 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 2 • 2016
rofessionnelles ou de loisir. De plus, le p validité et l’utilité. La fiabilité correspond « rotation» peuvent être utilisées pour trou- trouble mental ne doit pas être simplement à la probabilité que différents cliniciens ver ces facteurs. Chacune porte différentes la réponse attendue et culturellement ad- puissent s’accorder sur la même catégo- hypothèses concernant les données. La ro- mise à un événement particulier (par ex. le rie nosographique. Elle exige que devant tation orthogonale identifie des facteurs qui décès d’un être cher), ni un comportement le même patient, le même cas clinique, ne sont pas corrélés (et donc indépendants socialement déviant (par ex., politique, re- deux cliniciens aient le plus de chances les uns des autres), ce qui rend les facteurs ligieux ou sexuel), ni résultat d’un conflit possibles d’établir le même diagnostic. qu’elle produit plus faciles à interpréter. avec la société (19). La validité concerne la correspondance Cette méthode a été utilisée par la plupart réelle entre le diagnostic et le trouble (pro- des études. Cependant, l’indépendance 3.5. Approche catégorielle cessus pathologique) et exige que le cli- des symptômes des différents «facteurs» est et dimensionnelle nicien puisse, grâce à cette classification, relative, ce qui limite sa représentation de aisément séparer un trouble d’un autre, un la réalité clinique. La rotation oblique, qui Par «catégoriel» nous entendons qu’un cas d’un autre. Bien que la fiabilité des dia- permet l’analyse du niveau de corrélation état psychopathologique est considéré gnostics se soit améliorée avec les éditions entre les facteurs, est conceptuellement comme présent chez une personne quand successives du DSM (10), la validité est res- plus appropriée parce qu’elle correspond la combinaison et le nombre de critères tée insuffisante. Enfin, l’utilité du diagnos- mieux à cette réalité. Elle permet de mieux spécifiques sont remplis. Un diagnostic tic est nécessaire, afin que les praticiens de analyser la fluctuation au cours du temps catégoriel a seulement deux valeurs pos- la clinique ou de la recherche, ainsi que des interrelations entre les différentes di- sibles: présent ou absent. Bien que chaque les acteurs de la santé mentale (assurance- mensions. Outre le problème de rotation, personne présente un profil symptoma- maladie, mutuelles, administrations sani- il n’existe pas de méthode consensuelle tique ayant différentes variations quanti- taires) et les usagers puissent le considérer pour définir le nombre optimal de facteurs tatives (le nombre de critères présents) et comme un instrument pertinent dans leur à extraire (valeurs propres > 1, pourcen- une gradation distincte allant du normal au domaine respectif. Donc, contrairement à tage de variance expliquée, détermination pathologique (la sévérité des symptômes), la validité, qui est un critère universel, le a priori, etc.). Par exemple, un choix basé on utilise des cut-offs artificiels et donc degré d’utilité dépend de l’utilisateur (3). sur le pourcentage de variance expliquée une méthode binaire ou qualitative. En Selon van Os, les catégories diagnostiques favorise le choix de dimensions constituées soi, la plupart des symptômes sont dimen- actuelles des troubles psychotiques ne de nombreux symptômes au détriment de sionnels. Mais, finalement, toute approche répondent pas aux critères classiques de dimensions moins représentées mais néan- dimensionnelle peut devenir catégorielle à validation, notamment en termes de spé- moins cliniquement pertinentes, comme la la suite de la définition d’un cut-off particu- cificité. Selon lui, il n’existe aucune preuve conscience morbide. De plus, les modèles lier. L’approche catégorielle suppose que consistante de la spécificité – en termes comportant davantage de dimensions sont tous les membres d’une catégorie soient de symptomatologie, d’étiologie, de trai- généralement mieux ajustés aux données homogènes, que les limites entre classes tement et de pronostic – des différentes cliniques (2). soient précises et qu’un individu ne puisse catégories diagnostiques (20, 21). pas appartenir à deux catégories distinctes Les analyses factorielles ont montré que les (mutuellement exclusives). 4.2. Approches bottom-up symptômes de la schizophrénie peuvent se (phénoménologiques) et regrouper en 5 dimensions: positive, néga- L’approche «dimensionnelle» implique top-down (théoriques) tive, cognitive/désorganisation, dépression/ l’existence de différences quantitatives au anxiété et excitation (ou impulsivité) (22). sein d’un continuum. Elle caractérise des Une classification nosologique se fonde Bien que plusieurs études aient confirmé symptômes par leur degré d’intensité (par sur une approche bottom-up, émergeant cette structure factorielle (22-28), d’autres ex. la dimension psychotique ou dépres- des expériences et symptômes des patients, modèles [les modèles en 2 (29), 3 (30-32), sive) (3). et/ou sur une approche top-down, où elle 6 (22), 8 (2) ou 9 (19) dimensions] ont été est générée par des modèles explicatifs ou proposés pour regrouper les symptômes et postulants. rendre compte de l’hétérogénéité clinique L’approche catégorielle propose une du trouble. De plus, il semble que la struc- démarche binaire ou qualitative: elle Dans l’approche bottom-up, sur le plan ture factorielle puisse varier en fonction de vise à établir l’appartenance ou non statistique, les études d’analyse factorielle la phase de la maladie, de sa sévérité et d’un individu à une catégorie dia- suggèrent que des groupes spécifiques de du type de trouble psychotique considéré gnostique. L’approche dimension- symptômes tendent à s’agglomérer ou à (28, 33). nelle est une démarche quantitative coexister chez les patients (2). en «plus ou moins»: il s’agit d’éva- 5. Avantages et inconvénients luer l’intensité de différents symp- L’analyse factorielle est une méthode de des approches catégorielles tômes chez un individu. réduction d’un grand nombre de variables et dimensionnelles (symptômes) en un petit nombre de «fac- 5.1. L’utilité des catégories teurs» sous-jacents. Le choix des facteurs 4. Construire une classification est influencé par la méthodologie employée Les catégories du DSM sont facilement nosographique scientifique: (par exemple, instrument d’évaluation de identifiables grâce aux critères opéra- quelques réflexions la symptomatologie schizophrénique), par tionnels descriptifs qui les caractérisent. 4.1. Fiabilité, validité et utilité la sélection de populations spécifiques, Moyennant le respect des règles crité- ainsi que par la capacité de s’affranchir de riologiques, d’exclusion et de la pré- Une classification des troubles mentaux ses propres convictions sur l’étiopathogé- sence d’impact fonctionnel significatif doit répondre à trois critères: la fiabilité, la nie du trouble. Différentes méthodes de des symptômes, tout sujet est identifié 5 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 2 • 2016
comme présentant ou non le diagnostic 5.3. Existence d’éléments qui ne satisfaisaient pas à tous les critères concerné (1, 3). Cette démarche binaire transdiagnostiques définissant certains troubles spécifiques. est bien connue des médecins (3). Le taux Cependant, pour diverses catégories du d’accord inter-juges est bon, ce qui en fait Des études récentes (40-44) ont d émontré DSM, les catégories NOS sont les plus fré- une classification fiable. Nous verrons, l’existence d’éléments transdiagnos- quemment utilisées. Un recours fréquent à cependant, que la validité des catégories tiques. Ils comprennent des caractéris- ces catégories indique une inadéquation pose question. Certains auteurs ont pro- tiques cliniques (par ex. hallucinations, de la classification aux réalités cliniques. posé de décrire la structure de la patho- délire, symptômes dépressifs, impulsivité, En conséquence, le nombre des étiquettes logie comme un réseau de composantes troubles cognitifs, conscience morbide, diagnostiques n’a cessé d’augmenter à exerçant une interaction dynamique et etc.) ou étiologiques probables (par ex. travers les éditions successives du DSM, non linéaire. À cause d’une connectivi- neurobiologique, génétique, traumatique, sans que l’on soit parvenu à identifier des té accrue, l’individu peut développer un environnementale, etc.). En fait, il apparaît groupes cliniques stables, homogènes, co- agglomérat des symptômes cliniques ap- qu’un grand nombre de diagnostics consi- hérents, susceptibles d’être représentés par partenant à différentes catégories diagnos- dérés comme distincts sont sous-tendus par des catégories spécifiques bien délimitées. tiques (34-39). des facteurs étiologiques communs (par Dans le DSM-5, ces catégories ont été exemple, stress, trauma, drogues), et donc supprimées et remplacées par les sous-ca- que les manifestations psychopathologiques tégories «troubles autrement spécifiés» et Les avantages d’une approche caté- ne sont pas adéquatement représentées par «troubles non spécifiés» (ne regroupe que gorielle sont multiples. En tant que des catégories distinctes. Ces éléments les phénomènes pour lesquels des informa- clinicien, les concepts catégoriels transdiagnostiques sont des cibles poten- tions manquent pour établir un diagnostic nous sont familiers. Ils rassemblent tielles pour des interventions thérapeutiques plus précis). beaucoup d’informations en peu de qui pourront s’avérer efficaces dans les dif- mots et ont une valeur pronostique. férents diagnostics où ils sont présents (45). 5.5. La stigmatisation Ce sont par ailleurs des concepts Dès lors, une approche dimensionnelle cen- aisément communicables, qui per- trée sur ces signes cliniques ou phénomènes Certains auteurs mettent en garde que mettent de prendre rapidement des psychologiques plutôt que sur les catégories l’approche catégorielle favoriserait la stig- décisions thérapeutiques (18). psychiatriques présente de nombreux avan- matisation. Le diagnostic, tel un label ac- tages, dont l’étude approfondie de phéno- croché à un individu, influence souvent mènes qui s’observent à des degrés d’inten- le regard et les attitudes des autres à son 5.2. Une comorbidité excessive sité divers dans les populations générales et égard. De plus, il détermine la manière cliniques. Selon van Os, quelles que soient dont lui-même se perçoit et réagit. Il faut L’un des problèmes majeurs dans l’ap- les entités diagnostiques psychiatriques faire particulièrement attention quand on proche catégorielle est le fait qu’en psy- auxquelles ils sont associés, les symptômes pose un diagnostic chez un sujet jeune, chiatrie les catégories diagnostiques psychotiques subcliniques sont apparus parce que, même s’il s’avère faux, ce juge- coexistent fréquemment: il n’est pas rare d’importance pronostique (50). ment risque de rester attaché à la personne qu’un même patient puisse être classé dans toute sa vie. Un diagnostic posé peut aussi plusieurs catégories diagnostiques, ce qui L’hallucination, également peu spécifique influencer la prise en charge ultérieure à met en doute la validité de ces catégories d’un diagnostic donné, s’envisage davan- long terme, y compris l’accès général aux et limite leur utilité clinique. Le DSM s’est tage actuellement comme une dimension soins. Une personne étiquetée «schizo- complexifié avec le temps, ajoutant sans clinique transnosographique. Les hallu- phrène» par son entourage ou par le clini- cesse de nouveaux diagnostics possibles, cinations peuvent apparaître au décours cien ne peut donc pas facilement échapper mais malgré cela, de n ombreuses données d’une multitude de pathologies psychia- à cette identification. En fait, il suffit de lire montrent que la comorbidité constitue la triques (troubles de l’humeur, état de stress l’introduction du DSM pour constater que règle plutôt que l’exception en psycho- post-traumatique, spectre schizophré- les auteurs ont mis en garde contre la pra- pathologie. Une telle comorbidité peut nique, troubles de la personnalité), ainsi tique d’enfermer des personnes dans des signifier que l’outillage conceptuel des que dans la population générale ou non catégories. Pour cette raison, les auteurs du symptômes cliniques n’est pas assez spé- clinique* (46-49). Pour cela, les hallucina- DSM parlent par exemple «d’un individu cifique et discriminant ou qu’au contraire, tions sont de plus en plus considérées dans avec une perturbation de type schizophré- certains diagnostics devraient être regrou- une perspective dimensionnelle et transno- nique» au lieu «d’un schizophrène». En pés en une entité plus grande. La forte sographique. conséquence, certains cliniciens évitent de comorbidité observée pour les troubles poser un diagnostic trop précis en utilisant psychiatriques c ontinue d’apparaître Encore selon van Os, les grands systèmes la catégorie «non spécifiée», ce qui pose comme l’indice d’une tare inhérente à la de classification en psychiatrie bénéficie- d’autres difficultés. taxonomie actuelle. raient d’un système de dimensions cli- niques transnosographiques, y compris Jim van Os a proposé de remplacer le une dimension transnosographique de la diagnostic de schizophrénie par celui de En psychiatrie, la co-occurrence de psychose (50). syndrome de saillance (SDS). Il postule plusieurs troubles chez un même qu’un SDS sera moins stigmatisant qu’un individu est la règle plutôt que 5.4. Le problème des diagnostic de schizophrénie et aura plus de l’exception. Cela peut être une des troubles «non spécifiés» validité cliniquement (il sera plus proche conséquences d’une approche caté- du vécu des patients). Le SDS est formé gorielle, comme celle du DSM. Les catégories NOS (Not Otherwise Speci- de 6 dimensions ayant tendance à surve- fied) visaient à regrouper les quelques cas nir conjointement (symptômes positifs, 6 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 2 • 2016
symptômes négatifs, symptômes dépres- logie. Elle permet de réaliser des analyses il y a fort à parier que 8 jeunes sujets ainsi sifs, symptômes maniaques, altérations plus fines des caractéristiques de chaque labellisés sur 10 ne le deviendront jamais. cognitives développementales et désor- individu et d’orienter le clinicien vers des Le résultat serait une inflation aberrante ganisation), le long desquelles les sujets interventions plus spécifiques. Cependant, du diagnostic et des traitements donnés peuvent passer du risque de transition à la il est nécessaire au préalable de déterminer à tort à des sujets jeunes, avec des effets nécessité de prise en charge s’ils dépassent quelle est la dimension pathologique ayant secondaires graves.» À la suite d’un débat le seuil pour une ou plusieurs dimensions, l’impact clinique prédominant. houleux au sein de l’American Psychiatric ce qui conduit à une sous-catégorisation: Association, le diagnostic de risque de psy- avec expression affective, avec expression 5.7. Continuum entre chose («syndrome de psychose atténuée») développementale et non spécifié (20, 21). normal et pathologique a finalement été écarté du DSM-5 et inclus dans une liste de syndromes «exigeant des Au Japon, le nom de la schizophrénie a L’approche catégorielle détermine un seuil études complémentaires» (56). été modifié en 2002 dans le but de ré- qualitatif entre normal et pathologique; duire la stigmatisation. Au lieu de «Seishin par contre, l’approche dimensionnelle est Cependant, selon Paris, le surtraitement Bunretsu Byo» («esprit divisé»), on dit quantitative et présuppose l’existence d’un pourrait aussi découler d’une approche maintenant qu’une personne est atteinte continuum entre normal et pathologique dimensionnelle, car la continuité entre le de «Togo-shitcho sho» («trouble de l’inté- (52). Cette dernière permet plus facilement normal et le pathologique laisse le clini- gration»). Après 7 mois, ce changement a de faire varier le seuil de passage du nor- cien sans repère à partir duquel un traite- déjà entraîné une intégration du nouveau mal au pathologique et ainsi de s’adapter ment est indiqué. En effet, dans cette ap- nom dans 78% des dossiers (n = 17.108). aux variations liées aux spécificités contex- proche, le signe clinique ou la dimension Selon une autre étude, effectuée 11 mois tuelles, culturelles ou individuelles (53), n’est pas qualitativement différent(e) de après ce changement, 86% de psychiatres en présence d’autres symptômes possibles l’état normal, mais une variation quantita- trouvaient le nouveau terme plus adapté (52). Cependant, les systèmes dimension- tive d’un processus normal (3). pour informer le patient de son diagnostic nels impliquent une lourdeur de com- et pour expliquer la conception moderne munication puisqu’il faut citer toutes les de ce trouble (51). dimensions présentes chez un sujet ainsi On a assisté à l’explosion du nombre que leur intensité, qui est variable dans le de catégories en 33 ans: de 228 temps. Il existe moins de recherche, entre (dans le DSM-III) à 541 (DSM-5) (8). Le diagnostic psychiatrique peut autres, sur les interactions dynamiques des Cependant, l’approche dimension- avoir un effet stigmatisant, en par- dimensions entre elles, et les médecins nelle n’offre de solution ni au risque ticulier chez les jeunes. Le diagnos- sont moins familiers avec leur utilisation. d’inflation diagnostique, ni à celui tic peut changer à la fois la manière de surmédicalisation. dont l’individu se voit et la manière 5.8. Risques de diagnostics excessifs dont la société le voit (3). et de surmédicalisation 6. Conséquences potentielles Il y a une inflation du nombre de troubles d’une approche catégorielle 5.6. Forte hétérogénéité mentaux répertoriés. En 50 ans, le nombre ou dimensionnelle au sein d’une catégorie de troubles mentaux a été multiplié par 4. 6.1. Assurance-maladie On est passé d’une centaine de troubles Il existe une très grande hétérogénéité des dans le DSM-I (le DSM-I, édité en 1952, L’utilisation du DSM aux États-Unis est patients recevant un même diagnostic. L’ap- comprenait 106 diagnostics différents, largement répandue. Depuis sa troisième proche catégorielle ne tient pas compte principalement issus de la littérature publication, le DSM a servi aux États-Unis de cette hétérogénéité et ne permet pas de psychanalytique d’où il puisait également de document de référence pour toute la quantifier la sévérité des symptômes pré- sa validité) à plus de 400 dans le DSM-5 pratique psychiatrique, que ce soit la re- sents. L’approche catégorielle en psychopa- (le DSM IV-TR comprenait 294 diagnostics cherche, l’exercice clinique (voir plus thologie se heurte également au problème différents, exclusivement organisés en ca- loin), mais aussi le domaine médico-légal dit des symptomatologies sous-syndro- tégories). De plus, les nouveaux critères du (10). L’une des principales conséquences miques (ou symptomatologies «sous-seuil»), DSM-5 rabaissent les seuils nécessaires au de cette évolution concerne l’assurance- c’est-à-dire les cas où un diagnostic ne peut diagnostic de trouble mental. Le psychiatre maladie: l’ouvrage sert de référence aux pas être posé car les critères nécessaires ne américain Allen Frances s’alarme de ce fait compagnies d’assurance pour rembourser sont pas présents. Ce phénomène est d’au- dans son récent ouvrage (54). les soins psychiatriques. tant plus problématique que les syndromes «partiels» (subliminal, sous-syndromique) Concernant les troubles du spectre de la Les sociétés d’assurance ont besoin d’une sont fréquemment associés à une plainte schizophrénie, apparaît, dans les annexes, nomenclature aux limites clairement défi- concrète et à une souffrance psychologique le «syndrome de psychose atténué», qui nies, notamment pour faire face à toutes les significative et un dysfonctionnement ob- décrit des expériences fréquentes dans contestations judiciaires. Le système amé- jectivable, et qu’ils ont parfois une valeur la population générale. Il a été proposé ricain est très contraignant, car le médecin pronostique importante. L’approche di- comme diagnostic sous le nom de «syn- doit poser un diagnostic (10) dès la pre- mensionnelle présente un meilleur pou- drome de risque de psychose» («attenuated mière visite si le patient veut faire interve- voir descriptif, dans la mesure où elle per- psychosis syndrome» ou «ultra-high risk in- nir l’assurance. C’est une source d’erreurs met de mieux couvrir l’hétérogénéité du dividuals») (55). Selon le Dr Frances, «nous et d’inflation des diagnostics. Une enquête dysfonctionnement et de mieux décrire le n’avons en réalité aucun moyen de prédire auprès de psychiatres américains a montré continuum des phénomènes/psychopatho- vraiment qui développera une psychose et que les impératifs des diverses assurances 7 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 2 • 2016
maladies privées influencent considérable- Administration (FDA) et, pour cela, effec- ’encourager les chercheurs dans cette voie d ment leurs décisions diagnostiques (10). tuer des études en utilisant principalement (59, 63). Selon le site du NIMH, «jusqu’à ce les catégories du DSM. Comme une large jour, il y a eu un consensus général selon En Belgique, les données médicales en- part de la recherche clinique est financée lequel les données scientifiques ne seraient registrées servent de base de calcul pour par l’industrie pharmaceutique, les catégo- pas assez développées pour permettre une une partie du financement des hôpitaux. ries du DSM servent de base à une grande classification fondée sur les neurosciences. Celles-ci englobent, pour chaque hospi- partie des connaissances cliniques (3). Les Cependant, à un moment donné, il faut déci- talisation, les données relatives à la pa- journaux scientifiques ont tendance à pré- der de mettre en œuvre de telles approches thologie et aux traitements dispensés au férer les diagnostics du DSM et ils évitent si on veut que la psychiatrie soit un jour ca- patient: le diagnostic principal, les éven- de publier des articles avec d’autres ap- pable d’atteindre le point où les avancées tuels diagnostics secondaires et les inter- proches diagnostiques (3); par conséquent, en génomique, en pathophysiologie et en ventions et examens pratiqués. On utilise les définitions du DSM exercent une in- sciences du comportement pourront contri- le système de classification CIM-9 pour fluence restrictive sur les recherches me- buer de façon significative au diagnostic. Le grouper tous les diagnostics et traitements nées en biologie, dans l’étiopathogénie et programme RDoC représente le début d’un dans quelque 350 groupes de diagnos- dans le traitement des troubles mentaux. tel projet à long terme» (61). tic différents ou APR-DRG (All Patients Refined Diagnose Related Groups) et dans Le DSM-III a été en partie conçu pour facili- Les RDoC suivront 3 principes directeurs, 4 niveaux de sévérité. ter la recherche de marqueurs biologiques. qui divergent tous des approches diagnos- Trente-cinq ans plus tard, le bilan est assez tiques actuelles: En 2013, le ministre de la Santé publique négatif. L’Institut national de la santé men- 1. les RDoC sont conçus comme un a programmé l’élaboration d’une feuille tale (NIMH), qui finance aux États-Unis système dimensionnel (reflétant, par de route en vue du passage à un système l’essentiel de la recherche publique en exemple, des mesures au niveau des de financement hospitalier forfaitaire pros- neurosciences, a annoncé qu’il ne soutien- circuits neuronaux, de l’activité com- pectif, basé sur les pathologies. En d’autres drait plus le DSM-5 (8). Quelques semaines portementale, etc.) qui s’étend du termes, des démarches seront entreprises avant la publication du DSM-5, le directeur normal à l’anormal; en vue de passer à un «financement sur du NIMH a déclaré que le manuel souffrait 2. les RDoC sont «agnostiques» au sujet base des pathologies», également appe- «d’un manque de validité scientifique» (58, des catégories actuelles de troubles lé «financement all-in». Le «financement 59). L’objectif prioritaire de son institution mentaux, un peu comme le DSM-III all-in» est un système de financement qui est de réorganiser la recherche en psychia- se voulait «athéorique» par rapport prévoit un montant fixe par type de patho- trie pour qu’elle se concentre sur la biolo- aux conceptions psychodynamiques logie. Dans ce système, on ne tient plus gie, la génétique et les neurosciences, de régnant avant sa publication. Plutôt compte des actes posés dans le cadre d’un sorte que les scientifiques définissent les que de commencer avec une défini- épisode de maladie, mais on procède à troubles mentaux par leurs causes et non tion de maladie et de rechercher en- une estimation de l’effort moyen (justifié). plus par leurs catégories diagnostiques. suite ses substrats neurobiologiques, Quelques risques d’un financement all-in «Tant que la communauté de chercheurs les RDoC commencent par chercher (exclusif) sont: perte de qualité liée à une prendra le DSM pour une bible, nous ne fe- à comprendre les relations entre le diminution des prestations fournies ou à rons aucun progrès, disait le directeur, en cerveau, la neurobiologie et le com- un renvoi prématuré des patients chez eux, ajoutant que les gens pensent que tout doit portement, et ensuite les relient aux dans une tentative de comprimer les coûts. correspondre aux critères du DSM, mais phénomènes cliniques; De plus, une sélection des patients pré- vous savez quoi? La biologie n’a jamais lu 3. les RDoC utiliseront plusieurs uni- sentant le moindre niveau de sévérité au ce manuel…» (59). Selon le Dr Hyman, tés d’analyse différentes pour définir sein de chaque groupe de diagnostic risque ancien directeur du NIMH, «les inventeurs les entités à étudier (par ex. image- d’apparaître (57). du DSM ont choisi un modèle dans lequel rie, activité physiologique, compor- tous les troubles mentaux étaient agencés tement, description subjective de comme des catégories différentes du nor- symptômes, etc.). Aux États-Unis, les remboursements mal, ce qui est totalement faux». Selon lui, et avantages sociaux sont fondés sur le DSM ne reflète pas la complexité de la Concrètement, le cadre de recherche pro- les diagnostics DSM, ce qui pourrait plupart des troubles et la façon de catégo- posé s’organise autour d’une matrice qui entraîner une inflation diagnostique riser les maladies mentales ne devrait pas croise 5 domaines ou «constructs» relevant pour que les patients bénéficient des guider la recherche. Pour lui et d’autres des systèmes de valences positives (par prises en charge par leur assurance. experts, la recherche doit être orientée à la ex. plaisir, récompense) et négatives (par En Belgique, le système de santé manière de celle du cancer, qui a bifurqué ex. peur, réponse aversive), des systèmes évolue vers le système américain: on d’une classification des tumeurs en fonction cognitifs, des systèmes relatifs aux pro- parle de plus en plus de financer les de leur localisation dans le corps à une ca- cessus sociaux, des systèmes d’éveil et de hôpitaux par diagnostic selon un ta- ractérisation de leurs signatures proprement régulation, avec 7 unités d’analyse (gènes, rif moyen et non plus suivant le coût génétiques et moléculaires. molécules, cellules, circuits neuronaux, réel des prestations fournies. physiologie, comportement, vécu subjec- 6.2.1. Le RDoC tif), auxquelles s’ajoute une 8e colonne qui Pour ces raisons, le NIMH a lancé en 2010 tente de tenir compte du fait que tous ces 6.2. La recherche et la formation déjà le projet Research Domain Criteria domaines sont étudiés dans le cadre de (RDoC) (60-62). Le NIMH indique que paradigmes scientifiques spécifiques qu’il L’industrie pharmaceutique doit se confor- ses motivations n’étaient pas de dénigrer faut intégrer au dispositif (Tableau 1). mer aux directives de la Food and Drug le DSM en tant qu’outil clinique, mais 8 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 2 • 2016
Tableau 1: Matrice du projet Research Domain Criteria (2015) (61)**. Unités d’analyse DOMAINES/CONSTRUCTS GÈNES MOLÉCULES CELLULES CIRCUITS PHYSIOLOGIE COMPORTEMENT VÉCU SUBJECTIF PARADIGMES SYSTÈMES DE VALENCES NÉGATIVES Menace aiguë («peur») Menace potentielle («anxiété») Menace prolongée Perte Frustration consécutive à la non-récompense SYSTÈMES DE VALENCES POSITIVES Motivation d’approche Valorisation de la récompense Valorisation de l’effort Attente et erreur de prédiction de la récompense Choix d’action et de décision basé sur la préférence Réponse initiale à la récompense Réponse soutenue à la récompense Apprentissage de la récompense Habitude SYSTÈMES COGNITIFS Attention Perception Perception visuelle Perception auditive Perception olfactive, somato-sensorielle ou multimodale Mémoire déclarative Comportement langagier Contrôle cognitif (avec effort) Sélection du but; mise à jour, représentation et maintenance Sélection de la réponse; suppression, inhibition Monitoring de la performance Mémoire de travail Maintenance active Mise à jour flexible Capacité limitée Contrôle d’interférence SYSTÈMES RELATIFS AUX PROCESSUS SOCIAUX Communication sociale Affiliation/attachement Réception de la communication faciale Production Réception de la communication non faciale Production Perception et compréhension de soi Conscience d’être acteur (agency) Connaissance de soi Perception et compréhension des autres Perception de l’animéité Perception de l’action Compréhension des états mentaux SYSTÈMES D’ÉVEIL ET DE RÉGULATION Excitation Rythmes biologiques (circadiens) Veille-sommeil **traduction non validée effectuée par l’auteur 9 Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 2 • 2016
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