Diagnostic de schizophrénie: approche catégorielle et dimensionnelle, quelle complémentarité? - Synopsys

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Supplément à Neurone 2016; Vol 21 (N° 2)

                                                                 Diagnostic de schizophrénie:
                                                                 approche catégorielle et dimensionnelle,
                                                                 quelle complémentarité?
                                                                 Marc-André Domken, André Masson, Martin Desseilles, Olivier Pirson, André De Nayer, Benoît Gillain,
                                                                 Laurent Mallet, Benoît Delatte, Vincent Dubois, Edith Stillemans, Johan Detraux
Editeur responsable: V. Leclercq • Varenslaan 6, 1950 Kraainem
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Table des matières

1. Introduction                                                                              3
2. Aspects historiques                                                                       3
3. Définitions                                                                               3
    3.1. Maladie                                                                             4
    3.2. Symptôme                                                                            4
    3.3. Syndrome                                                                            4
    3.4. Maladie selon la médecine somatique et la psychiatrie                               4
    3.5. Approche catégorielle et dimensionnelle                                             5
4. Construire une classification nosographique scientifique: quelques réflexions             5
    4.1. Fiabilité, validité et utilité                                                      5
    4.2. Approches bottom-up (phénoménologiques) et top-down (théoriques)                    5
5. Avantages et inconvénients des approches catégorielles et dimensionnelles                 5
    5.1. L’utilité des catégories                                                            5
    5.2. Une comorbidité excessive                                                           6
    5.3. Existence d’éléments transdiagnostiques                                             6
    5.4. Le problème des troubles «non spécifiés»                                            6
    5.5. La stigmatisation                                                                   6
    5.6. Forte hétérogénéité au sein d’une catégorie                                         7
    5.7. Continuum entre normal et pathologique                                              7
    5.8. Risques de diagnostics excessifs et de surmédicalisation                            7
6. Conséquences potentielles d’une approche catégorielle ou dimensionnelle                   7
    6.1. Assurance-maladie                                                                   7
    6.2. La recherche et la formation                                                        8
         6.2.1. Le RDoC                                                                      8
         6.2.2. Psy Mate et la temporalité du diagnostic                                    10
         6.2.3. EASE                                                                        10
         6.2.4. La formation des psychiatres                                                10
7. Changements dans le DSM-5, par rapport au DSM-IV-TR, pour la schizophrénie               11
    7.1. Changements catégoriels                                                            11
         7.1.1. La schizophrénie                                                            11
         7.1.2. Le trouble schizo-affectif                                                  11
    7.2. Évaluation dimensionnelle des symptômes et des signes psychotiques dans le DSM-5   13
         7.2.1. Clinician-Rated Dimensions of Psychosis Symptom Severity                    13
         7.2.2. DSM-5 auto-évaluation symptomatique transversale niveau 1                   13
8. Conclusions                                                                              14
1. Introduction                                  noter, dont la principale réside dans l’intro-   critères objectivables («bottom-up») de la
                                                 duction d’une évaluation dimensionnelle.         même manière par tout psychiatre ou psy-
«L’opposition théorique et méthodologique        C’est pourquoi le manuel parle maintenant        chologue, quelle que soit son orientation
entre deux approches de la pathologie            des troubles du spectre (ou continuum) de        théorique. Le DSM-III se différenciait donc
mentale – l’une, ‘l’approche catégorielle        la schizophrénie. Cette évaluation dimen-        des DSM-I et II, fortement empreints des
ou discrète’, l’autre, communément appe-         sionnelle est venue compléter l’approche         conceptions psychanalytiques qui orien-
lée ‘approche dimensionnelle ou continue’        catégorielle des versions précédentes, qui       taient l’examen clinique («top-down») (3, 7,
– apparaît de plus en plus comme l’enjeu         s’était révélée insuffisante pour cerner la      10). Le DSM-III représentait également une
d’un choix crucial pour la réorganisation        complexité des troubles mentaux.                 réponse aux critiques issues du courant an-
du savoir psychiatrique et la rénovation de                                                       tipsychiatrique, qui accusait la psychiatrie
la classification nosologique» (1). Tandis                                                        de confondre la psychopathologie avec les
que l’approche catégorielle établit des ca-         Le DSM-5 complète les catégories              problèmes moraux et sociaux (7, 10).
tégories précises aux propriétés clairement         néo-kraepeliniennes par une timide
définies, visant à établir la présence ou           approche dimensionnelle.
l’absence d’un certain nombre de symp-                                                                Avec le DSM-III, c’est le paradigme
tômes, l’approche dimensionnelle essaye                                                               néo-kraepelinien qui s’impose,
de caractériser ces symptômes par leur           Dans cet article, nous nous proposons                affirmant l’appartenance de la
                                                                                                      ­
­degré d’intensité (1-3).                        d’explorer les mérites et limites de ces             psychiatrie à la médecine, tout en
                                                 deux approches dans la construction noso-            cherchant à augmenter le carac-
Suite à la lenteur des progrès de la re-         graphique de la schizophrénie, avec l’ob-            tère scientifique objectivable des
cherche en psychiatrie, l’approche caté-         jectif de souligner leur complémentarité.            catégories des troubles mentaux
                                                                                                      ­
gorielle semble être remise en question.         Nous suggérerons l’utilisation conjointe             afin de mieux cerner leur enracine-
Par exemple, certains auteurs proposent          des catégories et des dimensions car, dans           ment biologique.
un démantèlement de la classification            sa pratique, le clinicien a besoin de faire
des psychoses, c’est-à-dire une remise en        des choix binaires, mais aussi d’apprécier
cause de notre nosographie fondée sur les        des nuances.                                     On avait une ambition beaucoup plus
deux grandes entités discrètes définies par                                                       grande avec le DSM-5 qu’avec les DSM
Kraepelin. En effet, la schizophrénie et les                                                      précédents. Il s’agissait d’établir une classi-
troubles bipolaires se superposent partiel-         Exprimer simultanément les symp-              fication encore plus «scientifique», fondée
lement sur le plan génétique et dans leurs          tômes des patients de manière di-             notamment sur des corrélations avec des
traitements médicamenteux (4). Plusieurs            mensionnelle et catégorielle pourrait         éléments neurobiologiques. Par ailleurs, il
autres arguments ont été avancés pour               être le plus utile sur le plan clinique.      était question d’orienter le DSM vers une
remplacer ces catégories diagnostiques par                                                        psychiatrie préventive (en y incluant par
des dimensions, notamment l’existence                                                             exemple le concept de sujets à risque de
des troubles schizo-affectifs, qui suggère                                                        psychose) et d’y introduire une classifica-
un continuum englobant ces deux entités          2. Aspects historiques                           tion beaucoup plus complexe par dimen-
diagnostiques.                                                                                    sions (cependant, certains concepteurs du
                                                 Le DSM-III, publié en 1980, a marqué une         DSM-5 ont dû limiter leurs ambitions par
Actuellement, deux grands systèmes de            rupture fondamentale avec la psychiatrie         manque de données neuroscientifiques
classification sont utilisés pour établir le     traditionnelle et les éditions précédentes       probantes et par pression des assurances).
diagnostic de schizophrénie: le manuel dia-      du DSM (I-1952, II-1968), car il établissait
gnostique et statistique des troubles men-       pour la première fois des listes de critères
taux (Diagnostic and Statistical Manual of       diagnostiques observables avec un meil-              La classification du DSM-5 vise à
Mental Disorders, DSM) et la classification      leur accord inter-juges. Cela répondait à            rendre les diagnostics psychiatriques
internationale des maladies, la CIM (Inter-      la dérive de la psychiatrie américaine dans          plus scientifiques (apport de la neu-
national Classification of Diseases, ICD) qui,   les années 1970 où le diagnostic était pour          robiologie) et à identifier des catégo-
elle, contient également les pathologies         l’essentiel une affaire subjective (3, 7, 8).        ries de patients à hauts risques pour
somatiques. Cependant, le DSM s’est pro-         Selon Demazeux (2013), «les fréquences               certains diagnostics, y compris la
gressivement imposé comme la référence           des différentes formes de psychose va-               schizophrénie.
mondiale pour poser un diagnostic psy-           riaient de 1 à 7 d’un état américain à
chiatrique. En mai 2013, presque 20 ans          l’autre. De plus, les psychiatres américains
après celle du DSM-IV, la cinquième édi-         avaient tendance à diagnostiquer la schi-
tion du DSM, le DSM-5, est arrivée (5). Il       zophrénie deux fois plus souvent que leurs       3. Définitions
était question d’y introduire des approches      homologues anglais» (7).
radicalement nouvelles pour surmonter la                                                          L’approche catégorielle prévaut en méde-
dichotomie psychose-trouble de l’humeur          La construction du DSM-III a été un choix        cine somatique et en médecine classique.
et améliorer son utilité clinique. En fait, il   stratégique en réponse à la position de          Les catégories diagnostiques les plus fré-
n’a pas été possible d’opérer la révolution      plus en plus fragile de la psychiatrie aux       quentes sont les syndromes et les maladies.
tant attendue pour diverses raisons (6), no-     États-Unis. En effet, la nosographie psy-        En psychiatrie, en l’absence d’étiologie
tamment le risque d’un refus des assurances      chiatrique américaine était en position          identifiée, on n’utilise pas le terme de ma-
nord-américaines de rembourser certaines         de faiblesse à l’intérieur d’une médecine        ladie mais ceux de trouble ou de syndrome.
formes de psychothérapies dans le cadre          de plus en plus centrée sur la recherche         Nous proposons quelques définitions avant
des psychoses (trouble bipolaire inclus).        fondamentale (9). Le DSM-III était un outil      d’entrer dans la comparaison des dimen-
Néanmoins, certaines nouveautés sont à           «athéorique» fondé essentiellement sur des       sions et catégories de la psychose.

                                                                          3
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3.1. Maladie                                     trouble dépressif majeur lorsqu’une per-         3.4. M
                                                                                                        aladie selon la médecine
                                                 sonne présente au moins 5 symptômes (sur              somatique et la psychiatrie
Les médecins ont depuis longtemps cher-          un ensemble de 9) pour une durée d’au
ché à donner une définition de la maladie.       moins deux semaines, la plupart du temps,        Les Anglo-Saxons possèdent divers termes
Cependant, si l’on prend un dictionnaire         entraînant un changement dans le mode de         pour désigner la maladie. En médecine
médical, il est difficile de trouver une dé-     fonctionnement habituel, l’humeur dépres-        classique, le terme «disease» renvoie à
finition satisfaisante (11, 12). Selon le La-    sive et/ou l’anhédonie devant être obliga-       la connaissance objective des anomalies
rousse médical, le mot «maladie» se définit      toirement présents.                              physiques (anatomiques, physiologiques,
comme une «altération de la santé com-                                                            ou biochimiques) du patient. Les mots
portant un ensemble de caractères définis,       Comment parvient-on à définir ce syn-            «illness» ou «sickness», souvent utilisés
notamment une cause, des signes et symp-         drome? Une catégorie diagnostique doit           comme synonymes de disease, désignent la
tômes, une évolution et des modalités thé-       avoir un lien avec un phénotype observable       maladie telle qu’elle est éprouvée et per-
rapeutiques et pronostiques précises» (13).      dans la nature, mais dans la nosographie         çue par les malades eux-mêmes (subjective
                                                 psychiatrique, «la carte n’est pas le terri-     feeling of «being ill») (3). Dans la langue
La définition de la santé et de la maladie par   toire» (18). En d’autres mots, les catégo-       française et flamande, il n’existe qu’un seul
l’OMS (la définition la plus répandue) pré-      ries diagnostiques sont des représentations      terme, «la maladie», pour caractériser ces
sente l’intérêt d’insister sur les différentes   approximatives de la réalité psychopatho-        divers aspects.
dimensions de la santé/de la maladie. En         logique produites par des analyses statis-
envisageant l’aspect physique, psychique         tiques des données cliniques. De même,           En psychiatrie, on utilise souvent les
et social, elle ne privilégie pas l’aspect pu-   des techniques statistiques d’analyse fac-       termes «maladies mentales» ou «troubles
rement somatique auquel se limite souvent        torielle ont été utilisées afin d’étudier les    mentaux», ce dernier étant un concept
l’approche médicale. Selon cette défini-         corrélations entre les différents symptômes      spécifique à la psychiatrie. Cependant, la
tion, la santé est un «état complet de bien-     chez des patients porteurs du diagnostic         schizophrénie n’a pas reçu à ce jour une
être physique, mental et social»; la maladie     de schizophrénie afin d’identifier les dif-      explication scientifique globale validée.
est définie comme «un dysfonctionnement          férentes dimensions de ce syndrome. De           Il n’existe aucun «marqueur biologique»
d’origine psychologique, physique ou/et          nombreuses études préconisent le regrou-         (tests génétiques, biochimiques ou électro-
sociale, qui se manifeste sous différentes       pement des symptômes en 5 facteurs ou            physiologiques, imagerie cérébrale, etc.)
formes» (14-16).                                 dimensions: positive, négative, cognitive/       de la schizophrénie (3). Le diagnostic en
                                                 désorganisation, dépression/anxiété et ex-       psychiatrie est essentiellement clinique,
                                                                                                  ­
3.2. Symptôme                                    citation (ou impulsivité). Ceci démontre         c’est-à-dire qu’il repose sur des entretiens
                                                 l’intrication des approches catégorielle et      structurés ou semi-structurés. Les examens
Le mot «symptôme» est issu du grec an-           dimensionnelle dans le syndrome schizo-          complémentaires radiologiques ou bio-
cien et signifie «accident», «coïncidence».      phrénique.                                       logiques ne servent en général que pour
Le symptôme est donc, à l’origine, «ce qui                                                        exclure des causes somatiques des symp-
survient ensemble», ce qui «concourt» ou                                                          tômes observés (3). Le diagnostic de mala-
«co-incide» avec la maladie, le trouble             La science veut qu’un système de              die mentale doit être considéré comme un
ou sa cause. Un symptôme est un signe               classification représente de façon            syndrome après l’exclusion des causes so-
clinique qui représente une manifestation           optimale la structure inhérente du            matiques possibles des symptômes (3).
partielle d’une maladie ou d’un trouble             monde réel. Les classifications scien-
mental, telle que ressentie et exprimée par         tifiques (par exemple, le tableau
un patient et/ou observée par le clinicien.         périodique des éléments) visent à re-            Le diagnostic psychiatrique est essen-
En médecine somatique, les symptômes                présenter l’«organisation structurelle           tiellement clinique car la recherche
peuvent être accompagnés par des signes             du monde». Actuellement, en méde-                de l’étiologie des maladies mentales
objectifs (par exemple, la température, les         cine, la majorité des classifications            est toujours en cours. Aucun mar-
résultats de laboratoire ou des défauts ana-        (catégorielles ou dimensionnelles)               queur biologique n’est à ce jour dis-
tomiques) (17). Un même symptôme peut               sont des modélisations construites à             ponible. Le terme «maladie mentale»
être souvent attribué à différentes maladies        partir des observations cliniques tant           (ou «trouble mental») n’est donc
ou troubles mentaux: on ne peut donc pas            quantitatives que qualitatives.                  pas synonyme de «maladie» selon la
conclure qu’un symptôme (par ex. la fièvre                                                           ­définition donnée par la médecine.
ou l’hallucination) est dû à une maladie
ou un trouble donné (par ex. la grippe ou        Chaque version du DSM résulte du travail
la schizophrénie, respectivement). En psy-       de très nombreux experts, réunis dans plu-       Le DSM-5 définit un trouble mental
chiatrie, il n’existe pas de symptôme patho-     sieurs groupes. Les critères diagnostiques       «comme étant un syndrome caractérisé
gnomonique.                                      pour les troubles mentaux s’appuient sur         par des perturbations cliniquement signi-
                                                 le jugement clinique des experts du comité       ficatives de la cognition, de la régulation
3.3. Syndrome                                    du DSM. Ces jugements sont le résultat du        des émotions ou du comportement qui
                                                 regroupement d’un nombre considérable            sont les reflets d’un dysfonctionnement
Le terme «syndrome» dérive lui aussi du          de données empiriques (revues de la litté-       des processus psychologiques, biologiques
grec ancien et signifie littéralement «cou-      rature, analyses de données cliniques, ré-       ou développementaux impliqués dans le
rir ensemble». Un syndrome est donc un           sultats d’études sur le terrain centrées sur     fonctionnement mental». Selon le DSM-5,
ensemble de symptômes ou signes cli-             des points litigieux de la classification). Le   les troubles mentaux sont généralement
niques qui, collectivement, caractérisent        DSM reste donc centré sur la statistique et      associés à une importante détresse ou à
                                                                                                  ­
un trouble (17). Par exemple, on parle de        la concordance des avis entre spécialistes.      un handicap dans les activités sociales,

                                                                          4
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­ rofessionnelles ou de loisir. De plus, le
p                                                  validité et l’utilité. La fiabilité correspond   «­ rotation» peuvent être utilisées pour trou-
trouble mental ne doit pas être simplement         à la probabilité que différents cliniciens        ver ces facteurs. Chacune porte différentes
la réponse attendue et culturellement ad-          puissent s’accorder sur la même catégo-           hypothèses concernant les données. La ro-
mise à un événement particulier (par ex. le        rie nosographique. Elle exige que devant          tation orthogonale identifie des facteurs qui
décès d’un être cher), ni un comportement          le même patient, le même cas clinique,            ne sont pas corrélés (et donc indépendants
socialement déviant (par ex., politique, re-       deux cliniciens aient le plus de chances          les uns des autres), ce qui rend les facteurs
ligieux ou sexuel), ni résultat d’un conflit       possibles d’établir le même diagnostic.           qu’elle produit plus faciles à interpréter.
avec la société (19).                              La validité concerne la correspondance            Cette méthode a été utilisée par la plupart
                                                   réelle entre le diagnostic et le trouble (pro-    des études. Cependant, l’indépendance
3.5. Approche catégorielle                        cessus pathologique) et exige que le cli-         des symptômes des différents «facteurs» est
      et dimensionnelle                            nicien puisse, grâce à cette classification,      relative, ce qui limite sa représentation de
                                                   aisément séparer un trouble d’un autre, un        la réalité clinique. La rotation oblique, qui
Par «catégoriel» nous entendons qu’un              cas d’un autre. Bien que la fiabilité des dia-    permet l’analyse du niveau de corrélation
état psychopathologique est considéré              gnostics se soit améliorée avec les éditions      entre les facteurs, est conceptuellement
comme présent chez une personne quand              successives du DSM (10), la validité est res-     plus appropriée parce qu’elle correspond
la combinaison et le nombre de critères            tée insuffisante. Enfin, l’utilité du diagnos-    mieux à cette réalité. Elle permet de mieux
spécifiques sont remplis. Un diagnostic            tic est nécessaire, afin que les praticiens de    analyser la fluctuation au cours du temps
catégoriel a seulement deux valeurs pos-           la clinique ou de la recherche, ainsi que         des interrelations entre les différentes di-
sibles: présent ou absent. Bien que chaque         les acteurs de la santé mentale (assurance-­      mensions. Outre le problème de rotation,
personne présente un profil symptoma-              maladie, mutuelles, administrations sani-         il n’existe pas de méthode consensuelle
tique ayant différentes variations quanti-         taires) et les usagers puissent le considérer     pour définir le nombre optimal de facteurs
tatives (le nombre de critères présents) et        comme un instrument pertinent dans leur           à extraire (valeurs propres > 1, pourcen-
une gradation distincte allant du normal au        domaine respectif. Donc, contrairement à          tage de variance expliquée, détermination
pathologique (la sévérité des symptômes),          la validité, qui est un critère universel, le     a priori, etc.). Par exemple, un choix basé
on utilise des cut-offs artificiels et donc        degré d’utilité dépend de l’utilisateur (3).      sur le pourcentage de variance expliquée
une méthode binaire ou qualitative. En             Selon van Os, les catégories diagnostiques        favorise le choix de dimensions constituées
soi, la plupart des symptômes sont dimen-          actuelles des troubles psychotiques ne            de nombreux symptômes au détriment de
sionnels. Mais, finalement, toute approche         répondent pas aux critères classiques de          dimensions moins représentées mais néan-
dimensionnelle peut devenir catégorielle à         validation, notamment en termes de spé-           moins cliniquement pertinentes, comme la
la suite de la définition d’un cut-off particu-    cificité. Selon lui, il n’existe aucune preuve    conscience morbide. De plus, les modèles
lier. L’approche catégorielle suppose que          consistante de la spécificité – en termes         comportant davantage de dimensions sont
tous les membres d’une catégorie soient            de symptomatologie, d’étiologie, de trai-         généralement mieux ajustés aux données
homogènes, que les limites entre classes           tement et de pronostic – des différentes          cliniques (2).
soient précises et qu’un individu ne puisse        ­catégories diagnostiques (20, 21).
pas appartenir à deux catégories distinctes                                                         Les analyses factorielles ont montré que les
(mutuellement exclusives).                         4.2. Approches bottom-up                        symptômes de la schizophrénie peuvent se
                                                         (phénoménologiques) et                     regrouper en 5 dimensions: positive, néga-
L’approche «dimensionnelle» implique                     top-down (théoriques)                      tive, cognitive/désorganisation, dépression/
l’existence de différences quantitatives au                                                         anxiété et excitation (ou impulsivité) (22).
sein d’un continuum. Elle caractérise des          Une classification nosologique se fonde          Bien que plusieurs études aient confirmé
symptômes par leur degré d’intensité (par          sur une approche bottom-up, émergeant            cette structure factorielle (22-28), d’autres
ex. la dimension psychotique ou dépres-            des expériences et symptômes des patients,       modèles [les modèles en 2 (29), 3 (30-32),
sive) (3).                                         et/ou sur une approche top-down, où elle         6 (22), 8 (2) ou 9 (19) dimensions] ont été
                                                   est générée par des modèles explicatifs ou       proposés pour regrouper les symptômes et
                                                   postulants.                                      rendre compte de l’hétérogénéité clinique
    L’approche catégorielle propose une                                                             du trouble. De plus, il semble que la struc-
    démarche binaire ou qualitative: elle          Dans l’approche bottom-up, sur le plan           ture factorielle puisse varier en fonction de
    vise à établir l’appartenance ou non           statistique, les études d’analyse factorielle    la phase de la maladie, de sa sévérité et
    d’un individu à une catégorie dia-             suggèrent que des groupes spécifiques de         du type de trouble psychotique considéré
    gnostique. L’approche dimension-               symptômes tendent à s’agglomérer ou à            (28, 33).
    nelle est une démarche quantitative            coexister chez les patients (2).
    en «plus ou moins»: il s’agit d’éva-                                                            5. Avantages et inconvénients
    luer l’intensité de différents symp-           L’analyse factorielle est une méthode de             des approches catégorielles
    tômes chez un individu.                        réduction d’un grand nombre de variables             et dimensionnelles
                                                   (symptômes) en un petit nombre de «fac-          5.1. L’utilité des catégories
                                                   teurs» sous-jacents. Le choix des facteurs
4. Construire une classification                  est influencé par la méthodologie employée       Les catégories du DSM sont facilement
    nosographique scientifique:                    (par exemple, instrument d’évaluation de         identifiables grâce aux critères opéra-
    quelques réflexions                            la symptomatologie schizophrénique), par         tionnels descriptifs qui les caractérisent.
4.1. Fiabilité, validité et utilité                la sélection de populations spécifiques,         Moyennant le respect des règles crité-
                                                   ainsi que par la capacité de s’affranchir de     riologiques, d’exclusion et de la pré-
Une classification des troubles mentaux            ses propres convictions sur l’étiopathogé-       sence d’impact fonctionnel significatif
doit répondre à trois critères: la fiabilité, la   nie du trouble. Différentes méthodes de          des symptômes, tout sujet est identifié

                                                                            5
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comme présentant ou non le diagnostic           5.3. Existence d’éléments                       qui ne satisfaisaient pas à tous les critères
concerné (1, 3). Cette démarche binaire               transdiagnostiques                         définissant certains troubles spécifiques.
est bien connue des médecins (3). Le taux                                                        Cependant, pour diverses catégories du
d’accord inter-juges est bon, ce qui en fait    Des études récentes (40-44) ont d    ­ émontré   DSM, les catégories NOS sont les plus fré-
une classification fiable. Nous verrons,        l’existence      d’éléments      transdiagnos-   quemment utilisées. Un recours fréquent à
cependant, que la validité des catégories       tiques. Ils comprennent des caractéris-          ces catégories indique une inadéquation
pose question. Certains auteurs ont pro-        tiques ­ cliniques (par ex. hallucinations,      de la classification aux réalités cliniques.
posé de décrire la structure de la patho-       délire, symptômes dépressifs, impulsivité,       En conséquence, le nombre des étiquettes
logie comme un réseau de composantes            troubles cognitifs, conscience morbide,          diagnostiques n’a cessé d’augmenter à
exerçant une interaction dynamique et           etc.) ou étiologiques probables (par ex.         travers les éditions successives du DSM,
non linéaire. À cause d’une connectivi-         neurobiologique, génétique, traumatique,         sans que l’on soit parvenu à identifier des
té accrue, l’individu peut développer un        environnementale, etc.). En fait, il apparaît    groupes cliniques stables, homogènes, co-
agglomérat des symptômes cliniques ap-          qu’un grand nombre de diagnostics consi-         hérents, susceptibles d’être représentés par
partenant à différentes catégories diagnos-     dérés comme distincts sont sous-tendus par       des catégories spécifiques bien délimitées.
tiques (34-39).                                 des facteurs étiologiques communs (par           Dans le DSM-5, ces catégories ont été
                                                exemple, stress, trauma, drogues), et donc       supprimées et remplacées par les sous-ca-
                                                que les manifestations psychopathologiques       tégories «troubles autrement spécifiés» et
   Les avantages d’une approche caté-           ne sont pas adéquatement représentées par        «troubles non spécifiés» (ne regroupe que
   gorielle sont multiples. En tant que         des catégories distinctes. Ces éléments          les phénomènes pour lesquels des informa-
   clinicien, les concepts catégoriels          transdiagnostiques sont des cibles poten-        tions manquent pour établir un diagnostic
   nous sont familiers. Ils rassemblent         tielles pour des interventions thérapeutiques    plus précis).
   beaucoup d’informations en peu de            qui pourront s’avérer efficaces dans les dif-
   mots et ont une valeur pronostique.          férents diagnostics où ils sont présents (45).   5.5. La stigmatisation
   Ce sont par ailleurs des concepts            Dès lors, une approche dimensionnelle cen-
   aisément communicables, qui per-             trée sur ces signes cliniques ou phénomènes      Certains auteurs mettent en garde que
   mettent de prendre rapidement des            psychologiques plutôt que sur les catégories     l’approche catégorielle favoriserait la stig-
   décisions thérapeutiques (18).               psychiatriques présente de nombreux avan-        matisation. Le diagnostic, tel un label ac-
                                                tages, dont l’étude approfondie de phéno-        croché à un individu, influence souvent
                                                mènes qui s’observent à des degrés d’inten-      le regard et les attitudes des autres à son
5.2. Une comorbidité excessive                  sité divers dans les populations générales et    égard. De plus, il détermine la manière
                                                cliniques. Selon van Os, quelles que soient      dont lui-même se perçoit et réagit. Il faut
L’un des problèmes majeurs dans l’ap-           les entités diagnostiques psychiatriques         faire particulièrement attention quand on
proche catégorielle est le fait qu’en psy-      auxquelles ils sont associés, les symptômes      pose un diagnostic chez un sujet jeune,
chiatrie les catégories diagnostiques           psychotiques subcliniques sont apparus           parce que, même s’il s’avère faux, ce juge-
coexistent fréquemment: il n’est pas rare       d’importance pronostique (50).                   ment risque de rester attaché à la personne
qu’un même patient puisse être classé dans                                                       toute sa vie. Un diagnostic posé peut aussi
plusieurs catégories diagnostiques, ce qui      L’hallucination, également peu spécifique        influencer la prise en charge ultérieure à
met en doute la validité de ces catégories      d’un diagnostic donné, s’envisage davan-         long terme, y compris l’accès général aux
et limite leur utilité clinique. Le DSM s’est   tage actuellement comme une dimension            soins. Une personne étiquetée «schizo-
complexifié avec le temps, ajoutant sans        clinique transnosographique. Les hallu-          phrène» par son entourage ou par le clini-
cesse de nouveaux diagnostics possibles,        cinations peuvent apparaître au décours          cien ne peut donc pas facilement échapper
mais malgré cela, de n  ­ ombreuses données     d’une multitude de pathologies psychia-          à cette identification. En fait, il suffit de lire
montrent que la comorbidité constitue la        triques (troubles de l’humeur, état de stress    l’introduction du DSM pour constater que
règle plutôt que l’exception en psycho-         post-traumatique, spectre schizophré-            les auteurs ont mis en garde contre la pra-
pathologie. Une telle comorbidité peut          nique, troubles de la personnalité), ainsi       tique d’enfermer des personnes dans des
signifier que l’outillage conceptuel des        que dans la population générale ou non           catégories. Pour cette raison, les auteurs du
symptômes cliniques n’est pas assez spé-        clinique* (46-49). Pour cela, les hallucina-     DSM parlent par exemple «d’un individu
cifique et discriminant ou qu’au contraire,     tions sont de plus en plus considérées dans      avec une perturbation de type schizophré-
certains diagnostics devraient être regrou-     une perspective dimensionnelle et transno-       nique» au lieu «d’un schizophrène». En
pés en une entité plus grande. La forte         sographique.                                     conséquence, certains cliniciens évitent de
comorbidité observée pour les troubles
­                                                                                                poser un diagnostic trop précis en utilisant
psychiatriques c­     ontinue d’apparaître      Encore selon van Os, les grands systèmes         la catégorie «non spécifiée», ce qui pose
comme l’indice d’une tare inhérente à la        de classification en psychiatrie bénéficie-      d’autres difficultés.
taxonomie actuelle.                             raient d’un système de dimensions cli-
                                                niques transnosographiques, y compris            Jim van Os a proposé de remplacer le
                                                une dimension transnosographique de la           diagnostic de schizophrénie par celui de
   En psychiatrie, la co-occurrence de          psychose (50).                                   syndrome de saillance (SDS). Il postule
   plusieurs troubles chez un même                                                               qu’un SDS sera moins stigmatisant qu’un
   individu est la règle plutôt que             5.4. Le problème des                            diagnostic de schizophrénie et aura plus de
   l’exception. Cela peut être une des                troubles «non spécifiés»                   validité cliniquement (il sera plus proche
   conséquences d’une approche caté-                                                             du vécu des patients). Le SDS est formé
   gorielle, comme celle du DSM.                Les catégories NOS (Not Otherwise Speci-         de 6 dimensions ayant tendance à surve-
                                                fied) visaient à regrouper les quelques cas      nir conjointement (symptômes positifs,

                                                                         6
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s­ymptômes négatifs, symptômes dépres-          logie. Elle permet de réaliser des analyses     il y a fort à parier que 8 jeunes sujets ainsi
 sifs, symptômes maniaques, altérations         plus fines des caractéristiques de chaque       labellisés sur 10 ne le deviendront jamais.
 cognitives développementales et désor-         individu et d’orienter le clinicien vers des    Le résultat serait une inflation aberrante
 ganisation), le long desquelles les sujets     interventions plus spécifiques. Cependant,      du diagnostic et des traitements donnés
 peuvent passer du risque de transition à la    il est nécessaire au préalable de déterminer    à tort à des sujets jeunes, avec des effets
 nécessité de prise en charge s’ils dépassent   quelle est la dimension pathologique ayant      secondaires graves.» À la suite d’un débat
 le seuil pour une ou plusieurs dimensions,     l’impact clinique prédominant.                  houleux au sein de l’American Psychiatric
 ce qui conduit à une sous-catégorisation:                                                      Association, le diagnostic de risque de psy-
 avec expression affective, avec expression     5.7. Continuum entre                           chose («syndrome de psychose atténuée»)
 développementale et non spécifié (20, 21).           normal et pathologique                    a finalement été écarté du DSM-5 et inclus
                                                                                                dans une liste de syndromes «exigeant des
Au Japon, le nom de la schizophrénie a          L’approche catégorielle détermine un seuil      études complémentaires» (56).
été modifié en 2002 dans le but de ré-          qualitatif entre normal et pathologique;
duire la stigmatisation. Au lieu de ­«Seishin   par contre, l’approche dimensionnelle est       Cependant, selon Paris, le surtraitement
Bunretsu Byo» («esprit divisé»), on dit         quantitative et présuppose l’existence d’un     pourrait aussi découler d’une approche
maintenant qu’une personne est atteinte         continuum entre normal et pathologique          dimensionnelle, car la continuité entre le
de «Togo-shitcho sho» («trouble de l’inté-      (52). Cette dernière permet plus facilement     normal et le pathologique laisse le clini-
gration»). Après 7 mois, ce changement a        de faire varier le seuil de passage du nor-     cien sans repère à partir duquel un traite-
déjà entraîné une intégration du nouveau        mal au pathologique et ainsi de s’adapter       ment est indiqué. En effet, dans cette ap-
nom dans 78% des dossiers (n = 17.108).         aux variations liées aux spécificités contex-   proche, le signe clinique ou la dimension
Selon une autre étude, effectuée 11 mois        tuelles, culturelles ou individuelles (53),     n’est pas qualitativement différent(e) de
après ce changement, 86% de psychiatres         en présence d’autres symptômes possibles        l’état normal, mais une variation quantita-
trouvaient le nouveau terme plus adapté         (52). Cependant, les systèmes dimension-        tive d’un processus normal (3).
pour informer le patient de son diagnostic      nels impliquent une lourdeur de com-
et pour expliquer la conception moderne         munication puisqu’il faut citer toutes les
de ce trouble (51).                             dimensions présentes chez un sujet ainsi           On a assisté à l’explosion du nombre
                                                que leur intensité, qui est variable dans le       de catégories en 33 ans: de 228
                                                temps. Il existe moins de recherche, entre         (dans le DSM-III) à 541 (DSM-5) (8).
   Le diagnostic psychiatrique peut             autres, sur les interactions dynamiques des        Cependant, l’approche dimension-
   avoir un effet stigmatisant, en par-         dimensions entre elles, et les médecins            nelle n’offre de solution ni au risque
   ticulier chez les jeunes. Le diagnos-        sont moins familiers avec leur utilisation.        d’inflation diagnostique, ni à celui
   tic peut changer à la fois la manière                                                           de surmédicalisation.
   dont l’individu se voit et la manière        5.8. Risques de diagnostics excessifs
   dont la société le voit (3).                       et de surmédicalisation
                                                                                                6. Conséquences potentielles
                                                Il y a une inflation du nombre de troubles          d’une approche catégorielle
5.6. Forte hétérogénéité                       mentaux répertoriés. En 50 ans, le nombre           ou dimensionnelle
      au sein d’une catégorie                   de troubles mentaux a été multiplié par 4.      6.1. Assurance-maladie
                                                On est passé d’une centaine de troubles
Il existe une très grande hétérogénéité des     dans le DSM-I (le DSM-I, édité en 1952,         L’utilisation du DSM aux États-Unis est
patients recevant un même diagnostic. L’ap-     comprenait 106 diagnostics différents,          largement répandue. Depuis sa troisième
proche catégorielle ne tient pas compte         principalement issus de la littérature          publication, le DSM a servi aux États-Unis
de cette hétérogénéité et ne permet pas de      psych­analytique d’où il puisait également      de document de référence pour toute la
quantifier la sévérité des symptômes pré-       sa validité) à plus de 400 dans le DSM-5        pratique psychiatrique, que ce soit la re-
sents. L’approche catégorielle en psychopa-     (le DSM IV-TR comprenait 294 diagnostics        cherche, l’exercice clinique (voir plus
thologie se heurte également au problème        différents, exclusivement organisés en ca-      loin), mais aussi le domaine médico-légal
dit des symptomatologies sous-syndro-           tégories). De plus, les nouveaux critères du    (10). L’une des principales conséquences
miques (ou symptomatologies «sous-seuil»),      DSM-5 rabaissent les seuils nécessaires au      de cette évolution concerne l’assurance-­
c’est-à-dire les cas où un diagnostic ne peut   diagnostic de trouble mental. Le psychiatre     maladie: l’ouvrage sert de référence aux
pas être posé car les critères nécessaires ne   américain Allen Frances s’alarme de ce fait     compagnies d’assurance pour rembourser
sont pas présents. Ce phénomène est d’au-       dans son récent ouvrage (54).                   les soins psychiatriques.
tant plus problématique que les syndromes
«partiels» (subliminal, sous-syndromique)       Concernant les troubles du spectre de la        Les sociétés d’assurance ont besoin d’une
sont fréquemment associés à une plainte         schizophrénie, apparaît, dans les annexes,      nomenclature aux limites clairement défi-
concrète et à une souffrance psychologique      le «syndrome de psychose atténué», qui          nies, notamment pour faire face à toutes les
significative et un dysfonctionnement ob-       décrit des expériences fréquentes dans          contestations judiciaires. Le système amé-
jectivable, et qu’ils ont parfois une valeur    la population générale. Il a été proposé        ricain est très contraignant, car le médecin
pronostique importante. L’approche di-          comme diagnostic sous le nom de «syn-           doit poser un diagnostic (10) dès la pre-
mensionnelle présente un meilleur pou-          drome de risque de psychose» («attenuated       mière visite si le patient veut faire interve-
voir descriptif, dans la mesure où elle per-    psychosis syndrome» ou «ultra-high risk in-     nir l’assurance. C’est une source d’erreurs
met de mieux couvrir l’hétérogénéité du         dividuals») (55). Selon le Dr Frances, «nous    et d’inflation des diagnostics. Une enquête
dysfonctionnement et de mieux décrire le        n’avons en réalité aucun moyen de prédire       auprès de psychiatres américains a montré
continuum des phénomènes/psychopatho-           vraiment qui développera une psychose et        que les impératifs des diverses assurances

                                                                         7
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maladies privées influencent considérable-      Administration (FDA) et, pour cela, effec-       ­ ’encourager les chercheurs dans cette voie
                                                                                                 d
ment leurs décisions diagnostiques (10).        tuer des études en utilisant principalement      (59, 63). Selon le site du NIMH, «jusqu’à ce
                                                les catégories du DSM. Comme une large           jour, il y a eu un consensus général selon
En Belgique, les données médicales en-          part de la recherche clinique est financée       lequel les données scientifiques ne seraient
registrées servent de base de calcul pour       par l’industrie pharmaceutique, les catégo-      pas assez développées pour permettre une
une partie du financement des hôpitaux.         ries du DSM servent de base à une grande         classification fondée sur les neurosciences.
Celles-ci englobent, pour chaque hospi-         partie des connaissances cliniques (3). Les      Cependant, à un moment donné, il faut déci-
talisation, les données relatives à la pa-      journaux scientifiques ont tendance à pré-       der de mettre en œuvre de telles approches
thologie et aux traitements dispensés au        férer les diagnostics du DSM et ils évitent      si on veut que la psychiatrie soit un jour ca-
patient: le diagnostic principal, les éven-     de publier des articles avec d’autres ap-        pable d’atteindre le point où les avancées
tuels diagnostics secondaires et les inter-     proches diagnostiques (3); par conséquent,       en génomique, en pathophysiologie et en
ventions et examens pratiqués. On utilise       les définitions du DSM exercent une in-          sciences du comportement pourront contri-
le système de classification CIM-9 pour         fluence restrictive sur les recherches me-       buer de façon significative au diagnostic. Le
grouper tous les diagnostics et traitements     nées en biologie, dans l’étiopathogénie et       programme RDoC représente le début d’un
dans quelque 350 groupes de diagnos-            dans le traitement des troubles mentaux.         tel projet à long terme» (61).
tic différents ou APR-DRG (All Patients
­Refined Diagnose Related Groups) et dans       Le DSM-III a été en partie conçu pour facili-    Les RDoC suivront 3 principes directeurs,
 4 niveaux de sévérité.                         ter la recherche de marqueurs biologiques.       qui divergent tous des approches diagnos-
                                                Trente-cinq ans plus tard, le bilan est assez    tiques actuelles:
En 2013, le ministre de la Santé publique       négatif. L’Institut national de la santé men-    1.    les RDoC sont conçus comme un
a programmé l’élaboration d’une feuille         tale (NIMH), qui finance aux États-Unis                système dimensionnel (reflétant, par
de route en vue du passage à un système         l’essentiel de la recherche publique en                exemple, des mesures au niveau des
de financement hospitalier forfaitaire pros-    neurosciences, a annoncé qu’il ne soutien-             circuits neuronaux, de l’activité com-
pectif, basé sur les pathologies. En d’autres   drait plus le DSM-5 (8). Quelques semaines             portementale, etc.) qui s’étend du
termes, des démarches seront entreprises        avant la publication du DSM-5, le directeur            normal à l’anormal;
en vue de passer à un «financement sur          du NIMH a déclaré que le manuel souffrait        2.    les RDoC sont «agnostiques» au sujet
base des pathologies», également appe-          «d’un manque de validité scientifique» (58,            des catégories actuelles de troubles
lé «financement all-in». Le «financement        59). L’objectif prioritaire de son institution         mentaux, un peu comme le DSM-III
all-in» est un système de financement qui       est de réorganiser la recherche en psychia-            se voulait «athéorique» par rapport
prévoit un montant fixe par type de patho-      trie pour qu’elle se concentre sur la biolo-           aux conceptions psychodynamiques
logie. Dans ce système, on ne tient plus        gie, la génétique et les neurosciences, de             régnant avant sa publication. Plutôt
compte des actes posés dans le cadre d’un       sorte que les scientifiques définissent les            que de commencer avec une défini-
épisode de maladie, mais on procède à           troubles mentaux par leurs causes et non               tion de maladie et de rechercher en-
une estimation de l’effort moyen (justifié).    plus par leurs catégories diagnostiques.               suite ses substrats neurobiologiques,
Quelques risques d’un financement all-in        «Tant que la communauté de chercheurs                  les RDoC commencent par chercher
(exclusif) sont: perte de qualité liée à une    prendra le DSM pour une bible, nous ne fe-             à comprendre les relations entre le
diminution des prestations fournies ou à        rons aucun progrès, disait le directeur, en            cerveau, la neurobiologie et le com-
un renvoi prématuré des patients chez eux,      ajoutant que les gens pensent que tout doit            portement, et ensuite les relient aux
dans une tentative de comprimer les coûts.      correspondre aux critères du DSM, mais                 phénomènes cliniques;
De plus, une sélection des patients pré-        vous savez quoi? La biologie n’a jamais lu       3.    les RDoC utiliseront plusieurs uni-
sentant le moindre niveau de sévérité au        ce manuel…» (59). Selon le Dr Hyman,                   tés d’analyse différentes pour définir
sein de chaque groupe de diagnostic risque      ancien directeur du NIMH, «les inventeurs              les entités à étudier (par ex. image-
d’apparaître (57).                              du DSM ont choisi un modèle dans lequel                rie, activité physiologique, compor-
                                                tous les troubles mentaux étaient agencés              tement, description subjective de
                                                comme des catégories différentes du nor-               symptômes, etc.).
   Aux États-Unis, les remboursements           mal, ce qui est totalement faux». Selon lui,
   et avantages sociaux sont fondés sur         le DSM ne reflète pas la complexité de la        Concrètement, le cadre de recherche pro-
   les diagnostics DSM, ce qui pourrait         plupart des troubles et la façon de catégo-      posé s’organise autour d’une matrice qui
   entraîner une inflation diagnostique         riser les maladies mentales ne devrait pas       croise 5 domaines ou «constructs» relevant
   pour que les patients bénéficient des        guider la recherche. Pour lui et d’autres        des systèmes de valences positives (par
   prises en charge par leur assurance.         experts, la recherche doit être orientée à la    ex. plaisir, récompense) et négatives (par
   En Belgique, le système de santé             manière de celle du cancer, qui a bifurqué       ex. peur, réponse aversive), des systèmes
   évolue vers le système américain: on         d’une classification des tumeurs en fonction     cognitifs, des systèmes relatifs aux pro-
   parle de plus en plus de financer les        de leur localisation dans le corps à une ca-     cessus sociaux, des systèmes d’éveil et de
   hôpitaux par diagnostic selon un ta-         ractérisation de leurs signatures proprement     régulation, avec 7 unités d’analyse (gènes,
   rif moyen et non plus suivant le coût        génétiques et moléculaires.                      molécules, cellules, circuits neuronaux,
   réel des prestations fournies.                                                                physiologie, comportement, vécu subjec-
                                                6.2.1. Le RDoC                                   tif), auxquelles s’ajoute une 8e colonne qui
                                                Pour ces raisons, le NIMH a lancé en 2010        tente de tenir compte du fait que tous ces
6.2. La recherche et la formation               déjà le projet Research Domain Criteria          domaines sont étudiés dans le cadre de
                                                (RDoC) (60-62). Le NIMH indique que              paradigmes scientifiques spécifiques qu’il
L’industrie pharmaceutique doit se confor-      ses motivations n’étaient pas de dénigrer        faut intégrer au dispositif (Tableau 1).
mer aux directives de la Food and Drug          le DSM en tant qu’outil clinique, mais

                                                                         8
                                                        Suppl. Neurone • Vol 21 • N° 2 • 2016
Tableau 1: Matrice du projet Research Domain Criteria (2015) (61)**.

                                                                   Unités d’analyse
 DOMAINES/CONSTRUCTS                              GÈNES   MOLÉCULES     CELLULES      CIRCUITS       PHYSIOLOGIE   COMPORTEMENT     VÉCU SUBJECTIF    PARADIGMES

 SYSTÈMES DE VALENCES NÉGATIVES
 Menace aiguë («peur»)
 Menace potentielle («anxiété»)
 Menace prolongée
 Perte
 Frustration consécutive à la non-récompense

 SYSTÈMES DE VALENCES POSITIVES
 Motivation d’approche
 Valorisation de la récompense
 Valorisation de l’effort
 Attente et erreur de prédiction
 de la récompense
 Choix d’action et de décision basé
 sur la préférence
 Réponse initiale à la récompense
 Réponse soutenue à la récompense
 Apprentissage de la récompense
 Habitude

 SYSTÈMES COGNITIFS
 Attention
  Perception
  Perception visuelle
  Perception auditive
  Perception olfactive, somato-sensorielle ou
  multimodale
  Mémoire déclarative
  Comportement langagier
 Contrôle cognitif (avec effort)
  Sélection du but; mise à jour, représentation
  et maintenance
  Sélection de la réponse; suppression,
  inhibition
  Monitoring de la performance
 Mémoire de travail
  Maintenance active
  Mise à jour flexible
  Capacité limitée
  Contrôle d’interférence

 SYSTÈMES RELATIFS AUX PROCESSUS SOCIAUX
 Communication sociale
   Affiliation/attachement
   Réception de la communication faciale
   Production
   Réception de la communication non faciale
   Production
 Perception et compréhension de soi
   Conscience d’être acteur (agency)
   Connaissance de soi
 Perception et compréhension des autres
   Perception de l’animéité
   Perception de l’action
   Compréhension des états mentaux

 SYSTÈMES D’ÉVEIL ET DE RÉGULATION
 Excitation
 Rythmes biologiques (circadiens)
 Veille-sommeil

                                                                                                                       **traduction non validée effectuée par l’auteur

                                                                              9
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