La Chronique de la Ligue des droits de l'Homme asbl n 183 - Ligue des Droits Humains
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La Chronique de la Ligue des droits de l’Homme asbl n°183 Éditrice responsable : Olivia Venet 22, rue du Boulet à 1000 Bruxelles | ldh@liguedh.be | www.liguedh.be | Tél. 02.209 62 80 | Fax 02.209 63 80 avril - mai - juin 2018
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! Donnons de la voix ! Destination Communes 2018 et 2019, années électorales ! Le 14 octobre 2018, les citoyen.nes se rendront aux urnes pour les élections communales et provinciales. Moins d’un an plus tard, en mai 2019, les électeurs.trices participeront à un quadruple scrutin : européen, fédéral, régional et communautaire. Dans ce contexte, la LDH vous propose de participer aux activités de sa campagne thématique « Donnons de la voix ! » UNE CAMPAGNE EN DEUX TOURS En 2018, le fil vert thématique de la LDH portera sur les questions, opportunités et enjeux liées à la démocratie locale. Durant ce premier tour, intitulé Destination Communes, la LDH proposera des activités, des actions, des formations, des spectacles et des débats visant à informer les citoyens sur les sujets, en lien avec les droits humains (logement, sécurité, vivre ensemble, crèches…) pour lesquels les communes sont compétentes et vis-à-vis desquels chaque vote comptera. En 2019, le second tour, La fureur d’élire, abordera à travers de nombreuses activités les enjeux politiques des élections législatives en matière de droits fondamentaux mais également un bilan politique (mémorandum) et une analyse de la future déclaration gouvernementale à l’aune des droits humains. En 2018 et 2019, avec la LDH, Donnez de la voix ! Festival des droits humains Du 5 au 7 octobre 2018 Au centre culturel Jacques Franck (CCJF) Chaussée de Waterloo, 94 à 1060 Bruxelles Accès transports en commun (CCJF) Réservations Tram 3, 7, 4 et 51 : Parvis de Saint-Gilles ldh@liguedh.be - 02 209 62 80 Tram 81 : Barrière de Saint-Gilles Métro : Station Porte de Hal Infos et programme Bus 48 : Barrière de Saint-Gilles www.liguedh.be Le centre est accessible #donnonsdelavoix aux personnes à mobilité réduite. NOS PARTENAIRES : 2
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! EDITO Coordination Gommer les marges Helena Almeida Comité de rédaction Le dernier rapport Citoyenneté et pauvreté* du Service David Morelli, Manuel Lambert interfédéral de lutte contre la pauvreté pointe le manque et Claire-Marie Lievens de reconnaissance que connaissent les personnes Ont participé à ce numéro qui vivent en situation de pauvreté. Leur voix s’est Helena Almeida, John Pitseys, exprimée au travers des associations où elles peuvent Olivia Venet, Marie-Sophie se rassembler et le thème de la citoyenneté a donné Devresse, Claire-Marie Lievens, lieu à des échanges éclairants. Manuel Lambert et Camille Van Durme Cette place citoyenne est difficile à prendre en raison de Relecture la manière dont les personnes pauvres sont traitées : David Morelli, Karine Garcia et elles se sentent à la fois nues et transparentes. Nues Stéphanie Walbecq car elles doivent tout montrer, justifier, pour pouvoir Illustrations bénéficier des aides sociales qui leur permettent de Max Tilgenkamp vivre (un peu plus) dignement. Mais aussi invisibles car www.stripmax.com un système complexe de lois, règles et conditions les prive de certains droits. Jugées et contrôlées sans cesse, Mise en page soumises à des contrôles intrusifs et à des violations de Florence Gentet et Helena leur vie privée, elles se retrouvent face à des choix rendus Almeida très difficiles, voire impossibles. De plus, cette exigence de transparence n’est pas appliquée équitablement au La Ligue des droits de l’Homme sein de la société. Au même titre que les autres citoyen. est membre du Mouvement mondial des droits humains nes, les personnes en situation de pauvreté doivent (FIDH), ONG ayant statut pouvoir conserver la propriété et le contrôle de leurs consultatif auprès des Nations données personnelles. Par exemple, la déclaration de Unies de l’Unesco, du Conseil de volontariat à son organisme de paiement se révèle un l’Europe et d’observateur auprès obstacle de taille à la volonté de s’impliquer dans la de la Commission africaine des droits de l’Homme et des société. Où est la place pour la participation là-dedans ? Peuples. Pour pouvoir (re)prendre le contrôle de sa vie et aller de l’avant, chaque personne doit être outillée et recevoir Remerciements la possibilité de partager son vécu et ses idées, de La Ligue des droits de l’Homme s’engager et concrétiser sa citoyenneté. Les initiatives est reconnue en Éducation permanente (FWB) et adhère au citoyennes, collectifs, mouvements qui fleurissent code éthique de l’AERF. régulièrement sont la preuve que le pari d’un nouveau vivre ensemble reste possible. Rien n’est gravé dans le Nous remercions également nos marbre et il appartient à chacun.e d’entre nous de lutter stagiaires et nos bénévoles. contre les injustices qui subsistent. Helena Almeida Coordinatrice de La Chronique LDH * Le neuvième rapport bisannuel a été transmis aux différents gouvernements et parlements du pays. Il est disponible sur www.luttepauvrete.be. 3
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! SOMMAIRE Intro Aux marges des droits John Pitseys . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... p.5 Communales 2018 : de quel genre ? Olivia Venet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.9 Quand le crime finit par payer. L’inquiétant lien entre l’économie et la justice pénale Marie-Sophie Devresse. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.12 La migration et la démocratie locale Claire-Marie Lievens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.15 Des voix dans l’ombre Manuel Lambert. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.18 Jeunes et politique : des « cracs » en devenir Camille Van Durme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p.21 4
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! John Pitseys, Chercheur au CRISP - Centre de recherche et d’information socio-politiques et membre LDH Aux marges des droits Les droits fondamentaux n’ont pas vocation à changer le monde, mais à garantir à chaque personne le respect de certaines prérogatives minimales liées à sa liberté et à sa subsistance. Ils reposent sur l’idée que nous sommes des êtres humains, pas des animaux ou des pierres. Quels que soient nos vices et nos qualités personnelles, nos capacités, notre niveau d’éducation et de richesse, ces droits sont censés nous être dus. C’est la raison pour laquelle la promotion des droits fondamentaux semble indissociable de la lutte contre les exclusions. Une telle relation est-elle pourtant si évidente ? Le respect des droits fonda- Ils ne garantissent le bonheur de personne, mais sont mentaux est a priori compa- censés garantir que chacun dispose de ses droits civils tible avec le maintien des iné- et politiques, dispose d’un toit, ou ait de quoi se nour- galités. D’une part, il se borne rir tous les jours. Deuxièmement, ils doivent protéger à assurer à chacun le respect l’existence de marges choisies, ne fût-ce que dans une d’une série de prérogatives certaine mesure. Ils doivent permettre aux individus de fondamentales. Il n’a pas pour poser des choix de vie qui les mettent en marge de la 1 I. M. Young, objectif d’assurer le bien-être société sans pour autant que ces choix les privent des Inclusion and Democracy, de tous. D’autre part, le res- conditions nécessaires à une existence digne : il peut Oxford, Oxford University Press, pect du pluralisme politique s’agir de choix religieux, d’opinions politiques, de modes 1990. et social constitue justement de vie collectifs. une de ces prérogatives fon- damentales. Cela signifie L’angle mort de la lutte contre les qu’une société respectueuse discriminations des droits fondamentaux ver- Pour pouvoir lutter contre un phénomène, il faut être ra forcément subsister des capable de le penser. Dans ce cadre, il n’est pas évident désaccords sur ce qu’est une que la rhétorique des droits fondamentaux ait un rôle société juste, sur la nécessité effectif à jouer dans la lutte contre la marginalisation so- de promouvoir ou non davan- ciale. Dans Inclusion and Democracy1, Iris Marion Young tage d’égalité réelle entre les en rappelle les limites intrinsèques. individus, ou sur la manière de contribuer pratiquement à Les droits fondamentaux se fondent sur l’idée que les une société plus égalitaire. êtres humains doivent être tenus pour libres parce qu’ils sont tenus égaux. Les droits fondamentaux n’ont Éviter le pire plutôt que de sens que s’ils sont accordés à tous les êtres humains, garantir le meilleur et ce sans discrimination. Un droit fondamental perd Si les droits fondamentaux une grande part de sa valeur s’il permet, dans une si- apparaissent si importants, tuation donnée, à certains de s’en prévaloir et à d’autres ce n’est pas parce qu’ils pro- non. Toutefois, cette exigence d’égalité politique et de mettent le meilleur, mais non-discrimination doit remplir deux conditions pour parce qu’ils sont censés éviter pouvoir être invoquée. Pour qu’un comportement soit le pire. C’est la raison pour la- jugé discriminatoire, il faut que puisse être identifiée la quelle ils sont souvent pensés base de cette discrimination : on parlera par exemple comme un outil de lutte contre de discrimination religieuse, de discrimination de genre l’exclusion et la marginalisa- ou de discrimination culturelle. Par ailleurs, il faut iden- tion des individus, a fortiori tifier un acte pouvant être jugé discriminatoire : le refus lorsqu’on évoque ce qu’il est arbitraire de laisser entrer quelqu’un dans une boite de convenu de nommer les droits nuit, par exemple, ou d’accéder au logement ou à cer- de 2e génération. Première- taines responsabilités professionnelles. ment, les droits fondamentaux permettraient de lutter contre Or, l’exclusion et la marginalisation sociale ne passent les marginalisations subies. pas forcément par des discriminations. Pour I. M. Young, 5
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! ce n’est pas la discrimina- Young, le fait qu’il y ait très peu d’enseignants univer- tion qui suscite l’exclusion, au sitaires issus de l’immigration maghrébine, que la Bel- contraire ; l’exclusion se carac- gique n’ait jamais connu de femme Premier ministre térise par le fait que nulle dis- ou que la Chambre des représentants ne compte plus crimination n’est nécessaire à guère – à l’exception de Meryame Kitir (Sp.a) - de repré- sa survenance. sentant issu du monde ouvrier ne serait pas discrimina- toire au sens strict. Cela ne signifie pas pour autant que D’une part, une discrimina- cette situation est tolérable ou qu’elle ne résulte pas de tion ne peut être considérée phénomènes de marginalisation. comme telle que si le critère permettant de l’identifier est L’invisibilité des marges considéré comme légitime. Pour I. M. Young, la réflexion sur la justice ne doit pas Pourquoi pénaliser la discrimi- seulement porter sur les conditions de distribution des nation raciale dans une socié- biens sociaux, mais aussi sur les conditions d’oppres- té où l’esclavage est la norme ? sion affectant la redistribution2, à savoir les processus Pourquoi parler de discrimina- empêchant une personne d’utiliser ses compétences et tion sociale si on estime que de mener sa vie comme elle l’entend : pour ne prendre 2 Ibidem, p. les pauvres sont, au moins en que quelques exemples, une personne opprimée n’a 48-63. partie, responsables de leur pas pleinement la possibilité pratique de communi- situation ? La définition de ce quer avec les autres, de développer ses activités écono- qu’est une discrimination est miques, de participer à la vie sociale et politique. elle-même une question de ju- gement qui suppose la recon- L’oppression est souvent identifiée à l’exploitation, à sa- naissance d’un problème po- voir l’idée que, même dans une société formellement litique, facteur d’injustice. Or libre, certaines personnes doivent vendre leur force de les dynamiques de margina- travail à d’autres afin d’assurer leur subsistance. À l’in- lisation sociale se traduisent verse, l’exploitation permet à certaines personnes de précisément par le fait que disposer de ressources qui ne devraient pas être à leur le traitement inégal que su- disposition, dont elles tirent profit, et ce au détriment bissent les groupes concernés d’autres personnes qui sont dépendantes d’elles. Les n’est pas jugé problématique, capacités et ressources des travailleurs sont ainsi trans- et qu’il ne constitue donc pas férées aux détenteurs de capitaux ; celles des femmes une discrimination. aux hommes, qu’il s’agisse du marché du travail ou de la sphère familiale ; et celles du Sud au Nord. En tant que D’autre part, une discrimina- tel, il est parfaitement possible de respecter les droits tion ne peut être commise que fondamentaux dans une société où existent des rela- si les personnes potentielle- tions d’exploitation, qu’il s’agisse des droits civils et poli- ment concernées parviennent tiques ou des droits économiques, sociaux et culturels. à être en situation d’être discri- minées. On ne peut parler de Toutefois, l’oppression peut aussi prendre une autre discrimination à l’embauche forme : la marginalisation, à savoir la mise à l’écart des que si les personnes sont en lieux de socialisation, de participation et de production situation de postuler pour de la société. La personne ou la population marginali- l’emploi concerné. On ne peut sée n’a pas d’existence sociale et économique et subit parler de « plafond de verre » souvent les conséquences matérielles de cette situa- dans certaines institutions que tion, même si celles-ci sont parfois en partie compen- si les femmes victimes de ce sées par les mécanismes d’assistance sociale mis en plafond de verre avaient été, place par l’État ou par des acteurs privés, collectifs ou dans des circonstances plus individuels. Elle est également exclue de l’exercice de la équitables, à même d’exercer citoyenneté. Cette exclusion est parfois directe, comme d’importantes responsabilités l’enfermement asilaire ou pénitentiaire. Elle est souvent au sein de ces institutions. À plus indirecte, mais tout aussi effective. Le marginal su- suivre le raisonnement d’I. M. bit le mépris social. Il est à la fois affublé de stéréotypes 6
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! et invisible. Il n’est pas tou- libération se fait alors entre des personnes qui ne sont jours en position de connaître pas concernées par ces problématiques, et qui n’ont ou d’exercer les droits dont il pas d’intérêt direct à ce que les marges reviennent dans bénéficie malgré tout. le jeu. L’oppression des sans-pouvoir exhume ce faisant la division du travail qui se trouve à la base de toutes les La marginalisation entraîne sociétés industrielles : la division sociale entre ceux qui souvent des situations de mi- décident et ceux qui exécutent. sère et de privation, mais pas forcément. On peut avoir un Que faire des droits fondamentaux ? toit et de la nourriture tout en Les droits fondamentaux peuvent être conçus comme étant marginalisé. Comme le un ensemble de prérogatives naturelles attachées à relève I. M. Young, « de nom- l’individu ou comme un ensemble de valeurs censées breuses personnes âgées (...) former le socle civique d’une société. Dans ce cas, ils disposent de moyens suffisants constituent peut-être un outil utile pour lutter contre pour vivre confortablement la misère ou pour prévenir les risques d’une dictature, mais restent opprimées vu leur mais certainement pas pour combattre l’exploitation, statut marginal. (...) les injustices voire l’oppression. Pour ne parler que d’elle, la mar- liées à la marginalité subsiste- ginalisation désigne par définition des catégories de 3 Ibid. raient sous la forme d’un senti- personnes à qui ces droits fondamentaux ne sont pas ment d’inutilité sociale, d’ennui, pleinement reconnus, ou dont l’application est ineffec- de manque de respect de soi »3. tive : les sans domicile fixe, les aliénés, les sans-papiers, Il est possible d’être exploité les prisonniers, les personnes prostituées. Les marges sans être marginalisé : sans questionnent par définition le contenu des droits fon- mettre un terme à l’exploi- damentaux. tation de tous les salariés, le mouvement ouvrier organisé Si on considère que l’exploitation et la marginalisation a pesé largement sur la so- sociale doivent être combattues, deux options sont en- ciété et la politique. Il est pos- visageables. Soit on estime que les droits fondamentaux sible d’être marginalisé sans n’apportent pas de réponse politique et philosophique être exploité : tel est le cas des suffisante à cet égard, et qu’une société respectant les personnes exclues du marché droits fondamentaux n’est pas forcément une société du travail et des mécanismes juste. Cette critique conduira à compléter la réflexion d’assurance sociale. sur les droits fondamentaux, ou à en contester de front la pertinence. Dans ce cadre, la marginalisa- tion se traduit aussi par la pri- Soit on considère que les droits fondamentaux ne sont vation de tout pouvoir social pas une table de lois civiques gravée dans le marbre, ou politique. Qu’il s’agisse de mais un terrain de lutte politique. On l’évoquait plus la prison, de l’asile, de l’espace haut, les droits fondamentaux permettent de protéger médiatique ou du monde éco- les marges quand elles sont choisies. Même calcifié, nomique, une personne mar- l’horizon utopique de ces droits ne peut assurer sa fonc- ginalisée n’a rien à dire. L’op- tion idéologique de légitimation des institutions que si pression se boucle dès lors sur ces institutions affectent de le prendre au sérieux. Qu’il le silence – voire sur l’assenti- s’agisse de la lutte pour les droits civiques aux États- ment – des intéressés. S’il n’y Unis ou de la conquête progressive du suffrage univer- a pas de personne de couleur sel, c’est en faisant comme si ces droits les concernaient pour parler du racisme dans au départ que certaines populations marginalisées ont l’entreprise et pas d’ouvrier progressivement conquis une visibilité politique. Toute- pour négocier la réforme des fois, cet usage instrumental est d’autant plus friable qu’il pensions, la marginalisation s’appuie sur une mythologie en laquelle ses artisans de ces groupes risque de ne peuvent ne plus croire, ou qu’il laisse penser qu’elle suf- plus être considérée comme fit à définir une société juste. une question politique. La dé- 7
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! Olivia Venet, Avocate et Présidente LDH Communales 2018 : de quel genre ? En octobre 2018, nous voterons aux élections communales. Nos pouvoirs locaux se dotent d’instruments légaux visant à assurer une représentation plus équitable des deux sexes parmi nos élus. L’instauration de quotas continue à faire polémique. Ils sont pourtant temporairement une nécessité, pour garantir que nos visions du pouvoir évoluent et que nous soyons capables dans une démocratie égalitaire de ne plus voter en fonction du sexe mais bien des compétences et des valeurs des candidats et candidates. La représentation au sein Ses conclusions sont éloquentes1 : on vote toujours es- de nos collèges et conseils sentiellement pour des hommes et 80 % des têtes de communaux est-elle égali- listes restent masculines. Son analyse va plus loin et il taire entre les hommes et les constate en particulier que les femmes votent encore femmes ? Manifestement pas. majoritairement exclusivement pour des hommes. A Les femmes restent sous-re- contrario, les hommes sont à peine 20 % à voter pour présentées au sein des or- des femmes. http://urlz. ganes de pouvoir. Elles restent 1 – en dehors de toute question Egalité des sexes et démocratie : des femmes fr/77Tr 2 V. HELGESEN, de compétence ou de valeurs libres et visibles Secrétaire général d’Idea défendues – moins porteuses « L’égalité des sexes ne fait pas la démocratie. Et la démo- International, Démocratie de voix que leurs homologues cratie ne fait pas l’égalité des sexes. Mais lorsque les prin- et égalité des masculins. Si certaines excep- cipes de contrôle par le peuple d’égalité entre les citoyens sexes : le rôle de l’ONU, Docu- tions notables peuvent être sont véritablement appliqués, il devient alors possible de ment directif, septembre relevées, elles ne parviennent faire grandir la démocratie et l’égalité des sexes »2. 2013, dispo- pas – même en tête de liste – à nible sur www. idea.int/sites/ décrocher des meilleurs résul- Les hommes et les femmes ont une égale morale dans default/files/ tats. la société et donc un droit égal à être considérés comme publications/de- mocratie-et-ega- tels - c’est cela l’égalité démocratique. Il ne s’agit nulle- lite-des-sexes-le- Élues, on leur attribue sou- ment de les considérer comme des êtres identiques ou role-de-ONU.pdf, p.17. vent des compétences jugées non différenciés mais simplement de rendre leur valeur 3 http://urlz. fr/77TV moins prestigieuses comme morale égale. l’égalité des chances, les fa- milles, la petite enfance, alors D’une meilleure représentation découlera nécessai- que les postes tels que le bud- rement une meilleure égalité. Cette représentation get, l’économie, l’état civil ou plus équitable est aussi indispensable pour la prise en l’urbanisme restent réservés compte de manière effective des besoins de tous les in- aux hommes. dividus. Le constat d’une moins grande Pourtant, fermez les yeux. Quelles images évoquent présence des femmes dans dans votre esprit le mot politique ? Combien de ces les pouvoirs communaux ne images comportent des femmes ? Tant qu’il n’y aura s’explique ni par le fait que les pas plus de femmes dans la politique et tant que ce ne femmes s’investiraient moins seront pas elles qui apparaitront quand nous ferme- en politique, ni par des com- rons les yeux, nous ne pourrons pas parler d’égalité des pétences différenciées. sexes en démocratie. Benoit Rihoux, professeur de Le Professeur Rihoux3 le constate : c’est une question sciences politiques à l’UCL, de visibilité, les hommes restant davantage visibles lors a réalisé une étude qui s’est des campagnes électorales. C’est aussi une question de intéressée à la question du notoriété : les hommes sont aussi plus présents dans vote déterminé par le sexe. les medias. Lorsque les femmes deviendront plus vi- 9
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! sibles, elles occuperont éga- membres représentent au minimum 1/3 de membres lement plus de place dans les du même sexe. La Région de Bruxelles-Capitale a sui- medias et cela favorisera une vi en adoptant le 1er mars 2018 une ordonnance mo- meilleure égalité des sexes difiant la nouvelle loi communale afin d’assurer « une dans la démocratie : une fois présence équilibrée de femmes et d’hommes au sein des que les femmes auront passé collèges communaux ». Cette ordonnance impose une un certain taux de présence parfaite parité, en prévoyant toutefois de nombreuses dans les assemblées, le vote exceptions. pour elles se fera ensuite plus naturellement. Il conviendra de vérifier en pratique et à l’usage com- ment ces nouvelles règles seront appliquées et res- Il y a un donc un changement pectées, afin d’évaluer l’impact réel qu’elles auront sur de culture à opérer et nous une représentation plus équitable des femmes et des avons besoin d’incitants obli- hommes au sein des pouvoirs communaux. gatoires, à titre de mesure temporaire, pour garantir que De l’autre côté du miroir l’évolution se poursuive vers Voilà pour les bonnes nouvelles. De l’autre côté du miroir 4 Démocratie et une meilleure représentation (du côté obscur sans le moindre doute), il faut suppor- égalité des sexes, en termes de genre. ter d’entendre le dirigeant du parti ISLAM se permettre Ibidem. 5 L’obligation Les quotas : une mesure de soutenir ouvertement une inégalité des sexes et des de placer un homme en tête temporaire nécessaire propositions discriminantes à l’égard des femmes5. de liste, des pour changer les places différen- ciées dans les mentalités Ce sont, bien entendu, des propos polémiques expri- transports en L’adoption de quotas qui per- més à dessein afin d’attirer l’attention médiatique sur commun pour ne citer que deux mettent de garantir une repré- cet infâme parti. Ses représentants ont l’aplomb de pré- exemples. 6 Article 14 : La sentation des femmes au sein senter leurs mesures comme protectrices des femmes. jouissance des droits et libertés des organes décisionnaires est reconnus dans une nécessité temporaire. Que les choses soient dites clairement : aucune femme la présente n’a besoin d’un homme qui la considère comme infé- Convention doit être assurée, C’est d’ailleurs la première re- rieure pour être protégée. sans distinction aucune, fondée commandation des Nations notamment Unies en vue de promouvoir Rappelons-leur que l’article 14 de la Convention euro- sur le sexe, la race, la couleur, l’égalité des sexes au sein de péenne des droits de l’Homme consacre l’égalité entre la langue, la la démocratie4. Ces quotas hommes et femmes et l’interdiction des discrimination religion, les opinions poli- ne font pas toujours l’una- basées sur le sexe6. Si la même Convention consacre la tiques ou toutes nimité mais ils sont et res- liberté d’expression et d’association, elle prévoit aussi, autres opinions, l’origine natio- teront nécessaires tant que en son article 17, qu’aucun des droits qu’elle consacre nale ou sociale, nos représentations mentales ne peut être interprété comme impliquant pour « un l’appartenance à une minorité nous pousseront à voter en- groupement ou un individu un droit quelconque de se livrer nationale, la fortune, la nais- core massivement pour des à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction sance ou toute hommes. des droits ou libertés reconnus dans la présente Conven- autre situation. 7 F. KRENC, La tion ». liberté d’ex- pression vaut En ce sens, il faut saluer les pour les propos décisions adoptées en Région Sur cette base, la Cour européenne des droits de qui « heurtent, Wallonne et en Région de l’Homme a eu l’occasion de souligner que la liberté choquent ou inquiètent ». Mais Bruxelles-Capitale. En effet, la d’expression ne pouvait permettre des discriminations encore ?, Rev. Trim. Dr. H., Région Wallonne a adopté le fondées sur l’orientation sexuelle notamment et que la 2016, p. 331. 7 septembre 2017 un décret répression à l’égard de propos attaquant ou dénigrant qui impose une représenta- un groupe entier sur la base de l’orientation sexuelle, tion plus égalitaire en terme était justifiée7. de genre : tant au conseil qu’au collège, il faudra que les La LDH ne laissera personne porter atteinte à nos droits et nos libertés et elle agira comme chien de garde à 10
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! l’égard de tous ceux qui vou- dront mettre notre démocra- Élections : il leur faut du « girl power » tie et ses valeurs en danger. Une société et une représentation en adéquation Sans une pleine participation des femmes aux processus décisionnels et aux débats sur les priorités des choix po- litiques, les questions qui les concernent risquent d’être né- gligées ou insuffisamment trai- tées et leur point de vue sur la gestion de la vie publique dans Lire l’article son ensemble ne sera pas pris en considération. Incubateur politique Il s’agit d’être vigilant.es à maintenir cette représentation conforme à l’égalité des sexes. Polin est un incubateur visant à aider les femmes Les hommes et les femmes de toutes couleurs politiques à entrer et/ou à sont les acteurs de la société progresser en politique. C’est le premier réseau qui change, en vue d’un meil- belge de networking et de formation pour les femmes leur équilibre. élues ou potentielles candidates aux élections, pour les femmes intéressées par la Une représentation conforme politique et pour toutes celles qui à la société doit donc in- veulent enrichir leur networking clure tant les femmes que les ou développer leur leadership. hommes. Le système de quo- Découvrir le projet tas mis en place ne cherche pas à « favoriser » les femmes ni à leur conférer une supé- riorité quelconque sur les Présence des femmes au sein des collèges hommes : il doit permettre de communaux changer nos représentations pour permettre un vote qui Dès 2018, chaque commune devra compter au moins soit précisément déchargé des un tiers des membres de même sexe dans le collège notions de genre. communal. Aujourd’hui, les citoyens et ci- Faire le test via une carte interactive toyennes votent encore majo- ritairement pour des hommes – au-delà de leurs compé- tences ou leurs qualifications – parce que c’est le vote qui correspond à l’image du pou- voir. Lorsque cette image et le pouvoir aura changé, l’équi- libre deviendra naturel. 11
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! Marie-Sophie Devresse, Professeure à l’Ecole de criminologie de l’UCL et membre LDH Quand le crime finit par payer. L’inquiétant lien entre l’économie et la justice pénale Il n’est pas si évident, dans un dossier dédié aux droits économiques et sociaux, de consacrer un article à la justice criminelle. À moins que l’on se penche sur son coût pour les justiciables et, dès lors, sur l’organisation de l’aide juridique, la question économique ne représente pas le point d’entrée majeur de la critique du système pénal en termes de droits humains. Pourtant, dans une perspective plus générale, les interrogations sur la relation qu’il entretient avec l’économie sont loin d’être neuves. Dès les débuts du 20e siècle, mise. Outre le fait que cette association trahit l’oubli des chercheurs d’inspiration des transgressions qui demeurent impunies ainsi que 1 G. RUSCHE et marxiste ont développé une les peines autres que la prison, une telle assimilation O. KIRCHHEIMER, véritable théorie économique revient, plus fondamentalement, à ignorer la distinction Peine et structure sociale. Histoire et de la pénalité mettant en lu- existant entre ces deux phénomènes sociaux très diffé- ’théorie critique’ mière les liens étroits entre rents que sont la criminalité (c’est-à-dire la commission du régime pénal, texte présenté et la manière dont la société est d’actes illégaux) et la pénalité (c’est-à-dire l’application établi par R. Lévy économiquement structurée de sanctions à ceux et celles qui commettent ces actes). & H. Zander, Paris, Cerf, 1994, et les pratiques de répression Ces deux phénomènes ont des fondements distincts coll. Passages. soutenues par l’État. Un peu et leurs mécanismes sont soumis à des influences so- laissée de côté dans les an- ciales qui leur sont propres. Ils répondent chacun à des nées 1980 au profit d’études enjeux spécifiques et renvoient à des circonstances et plus microsociales, cette théo- des acteurs qui ne se confondent pas. Ainsi, la présence rie générale va être redécou- d’un grand nombre de personnes d’origine étrangère verte au début du 21e siècle, en prison ne nous renseigne en rien sur leur propen- en réaction au développement sion à commettre des faits délinquants : elle nous per- de ce nouveau phénomène met seulement de comprendre que la répression les qu’est l’incursion du secteur atteint prioritairement. Bien d’autres phénomènes que privé dans la sphère judicaire la criminalité expliquent donc la variabilité de l’intensité et pénale. Nous proposons et des formes que prend la pénalité dans une société dès lors, dans les lignes qui donnée. suivent, d’examiner briève- ment cette intéressante théo- Sensibles à cette nuance, les politologues allemands G. rie et les prolongements qui RUSCHE et O. KIRCHHEIMER, se sont, dès 1939, penchés lui sont aujourd’hui apportés. sur les relations qui unissent en permanence l’écono- mie et la sanction pénale1. Leur publication a constitué Liens entre sanction un jalon important de la critique politique de la justice à pénale et marché du travail travers l’analyse économique. Elle a d’ailleurs été suivie par divers travaux qui ont mis en évidence à leur tour Le taux d’incarcération est que les variations de la pénalité ne sont pas corrélées souvent assimilé à tort au taux statistiquement de manière significative à la criminalité de criminalité. L’on pense que enregistrée mais que son ampleur et ses modes spéci- la peine de prison est reliée fiques entretiennent plutôt des liens forts avec des in- directement au crime et que dicateurs de type économique. Au début du 20e siècle, le nombre de personnes dé- l’on se réfèrera au prix du blé ou de la houille, tandis tenues dans un pays donne que les données contemporaines renverront de préfé- un aperçu de l’importance de rence à des indices comme le taux de chômage ou le la délinquance qui y est com- niveau de revenu par habitant. Mais quoi qu’il en soit de 12
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! ces nuances, le lien se vérifie pective apparait en effet très large et très abstraite et toujours. L’hypothèse que ces il demeure incontestablement plus aisé d’envisager la travaux confirment est que le relation entre la justice et l’économie à travers des no- régime des sanctions remplit tions plus restreintes telles la non-discrimination, l’accès une fonction différente se- universel à la justice, l’égalité etc. Ces notions appellent lon la rareté ou l’abondance d’ailleurs des solutions ciblées situées du côté du droit de la main d’œuvre et que la plutôt que de l’impossible refonte des systèmes écono- configuration et le volume des mique et pénal, au nom de leur fâcheuse relation. peines est à mettre en relation directe avec la situation éco- Mais l’inflation punitive et la place occupée par le sec- nomique de cette même main teur privé dans la justice criminelle depuis une trentaine d’œuvre. d’années nous conduisent aujourd’hui à reconvoquer cette manière de voir. La consolidation progressive du Pour la Belgique, Ch. lien existant entre secteur public et privé, de même que VANNESTE a vérifié statistique- son étroitesse croissante ont de quoi nous interroger. ment cette hypothèse sur une Le criminologue norvégien Nils CHRISTIE met ainsi en période d’un siècle et demi2. lumière l’importance des intérêts économiques dans Elle montre par exemple que l’expansion du système pénal que nous connaissons 2 Ch. VANNESTE, dans l’entre-deux guerres, l’in- depuis 40 ans. Le titre de son ouvrage est sans équi- Les chiffres des dexation salariale, dans notre voque : « Crime control as industry » (1993)3. D’après prisons. Des logiques écono- pays, est parfaitement corrélée lui, la répression ne serait pas limitée par le manque de miques à leur à une diminution de la popula- moyens du secteur public - dont se plaignent réguliè- traduction pénale, Paris, L’Har- tion carcérale, alors que la dé- rement les professionnels - mais pourrait au contraire mattan, 2001, linquance enregistrée ne dimi- être favorisée par les besoins du secteur privé dans le coll. Déviance et Société ; Ch. nue pas. Ce que nous apprend cadre d’un véritable « marché de la punition ». Cette vi- VANNESTE, « L’évolution de donc cette théorie, c’est que la sion n’est pas isolée et rejoint celle de l’icône activiste la population pé- sanction pénale peut être vue Angela DAVIS pour qui le combat contre le « complexe nitentiaire belge de 1830 à nos comme un élément régulateur industriel carcéral » représente depuis longtemps l’un jours : comment des inégalités sociales, inégali- des enjeux majeurs des luttes politiques des noirs amé- et pourquoi ? Des logiques so- tés issues de la configuration ricains. L’analyse s’affine donc au regard des évolutions cio-économiques variable du marché du travail. sociales : d’un système pénal sous influence du marché à leur traduction pénale », Revue Les peines de prison pronon- du travail nous évoluons vers un système en voie de de droit pénal et de criminologie, cées par les cours et tribunaux privatisation qui, s’il n’est pas totalement absorbé par 2001, n°6, pp. semblent dès lors représenter l’économie, en devient l’une des composantes fonda- 689-723 ; Ch. VANNESTE, « Des un redoutable outil de gestion mentales. logiques so- de « l’armée de réserve » que cio-économiques constituent les travailleurs Les opportunités financières de la criminalité à leur retra- duction pénale. inemployables en temps de Car outre le champ de la prévention, investi depuis long- L’exemple de la Belgique de 1830 crise économique. temps par le secteur privé, le crime s’ouvre aujourd’hui à nos jours », Sociétés & Repré- à bien des opportunités commerciales. Non seulement, L’intrusion du la justice fait usage de quantité de nouvelles techniques sentations, 2002, vol. 2, n° 14, pp. secteur privé dans 213-227. l’administration de la mais elle fait de plus en plus souvent l’objet d’un dé- N. CHRISTIE, 3 L’industrie de la justice pénale marchage offensif de la part de ce secteur cherchant, punition. Prison et selon le vocabulaire d’usage, « à y placer de nouveaux politique pénale Si ces hypothèses sont inspi- en Occident, produits » aux potentialités infinies. Ce démarchage est Paris, Autre- rantes et nous font voir l’exer- particulièrement efficace et les exemples d’outillage ment, 2003, coll. cice de la justice sous un jour « Frontières ». technologique de la justice sont nombreux, qu’il s’agisse, nouveau, il faut bien recon- de la comparution par visioconférence dans le cadre du naitre que la théorie écono- procès pénal (dont la généralisation est attendue par mique de la pénalité n’a pas les instances européennes) ou de l’intérêt croissant ap- connu, chez les militants, un porté aux logiciels prédictifs (de nombreux tests sont franc succès au-delà d’une en cours), ou encore, des portiques de sécurisation des sphère d’initiés. Cette pers- palais de justice etc. Pour la Belgique, on retiendra plus 13
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! particulièrement les contrats de convaincre un maximum d’États d’abandonner la passés avec des firmes privées gestion de leurs prisons au profit du secteur privé, cela pour la surveillance électro- d’autant plus que certains établissements sont là-bas to- nique des prévenus ou des talement privatisés. Et comme tout propriétaire, ces en- condamnés (le fameux bra- treprises cherchent à se garantir la présence de « bons » celet, doté ou non d’un GPS) locataires ce qui fait qu’il n’est pas rare que les contrats ou encore, les récents appels de gestion prévoient des clauses d’obligation d’occupa- d’offre « BDFM »4 de l’admi- tion conduisant à des pénalités financières à charge de nistration pénitentiaire pour l’État s’il ne fournit pas suffisamment de pensionnaires la construction et la gestion (et cela, à nouveau, indépendamment des variations du des nouvelles prisons, dont taux de criminalité)7. notamment le projet contro- versé de Haren. Ces deux der- Nous voici donc face à une situation interpellante. La niers exemples sont d’autant pénalité et l’économie s’entremêlent aujourd’hui struc- plus intéressants qu’ils ne ren- turellement de façon si profonde qu’il devient presque voient pas seulement à des impossible d’imaginer que l’action politique puisse à elle achats de matériel ou d’équi- seule en maîtriser la tendance. La marchandisation de 4 Build, Design, pement, mais concernent de la sanction représente un double problème, éthique et Finance, Main- véritables partenariats dans politique : non seulement elle pervertit le sens de l’in- tain. 5 Voir les lesquels les acteurs privés tervention de la justice, mais elle réduit le pouvoir des statistiques du sont impliqués dans l’adminis- dirigeants et constitue de facto l’un des freins majeurs à Bureau of Justice Statistics, (www. tration même de la sanction la déflation punitive et au rétablissement d’une certaine bjs.gov/index. et peuvent y jouer un rôle ac- justice sociale face à la sanction. Devant un tel mouve- cfm?ty=pbde- tail&iid=6187 tif (comme par exemple pour ment de fond, la référence aux droits humains semble (consulté le 16 avril 2018). l’organisation du travail pé- quasiment inopérante. Le défi qui se pose donc à nous, 6 M. COHEN, nitentiaire). Dans cette pers- si nous ne voulons pas que notre liberté soit monétisée, “How for-profit prisons have be- pective, certains aspects de la est d’imaginer de nouvelles formes de luttes sociales qui come the biggest politique pénale deviennent prennent en compte cette dimension économique et de lobby no one is talking about”, l’objet d’une contractualisa- concevoir de nouveaux modèles politiques capables de Washington Post, tion public-privé, empêchant maintenir des soucis démocratiques dans ce domaine si 28 avril 2015. 7 Voir la vignette parfois l’État, pour des raisons périlleux qu’est celui de la pénalité. du journaliste J. GOETZ « À liées au taux de profit des en- qui profite la treprises, d’adopter de nou- taule ? » #Data- gueule n° 47 sur velles politiques carcérales. La Youtube. justice pénale, soumise à des Le Guide du Prisonnier en Belgique objectifs de croissance comme Sous la direction de Marie-Aude Beernaert, Philippe Mary n’importe quelle entreprise, y et Marc Neve perd au passage une autono- mie dans l’exercice de l’une de Qui aujourd’hui serait capable d’expliquer précisé- ses fonctions régaliennes. ment le fonctionnement de nos prisons, la vie qui s’y déroule, les droits et devoirs de tous ceux qui, à un Les dangers de la titre ou un autre, y séjournent ? privatisation des prisons Aux États-Unis, avec près d’1% Si ce guide s’adresse en priorité aux détenus, il de la population sous écrou5, s’adresse aussi à leurs proches et à tous ceux qui ont à faire avec le milieu de ce sont plusieurs milliards de l’ombre : avocats, travailleurs sociaux, dollars par an que génère la médecins, aumôniers, conseillers mo- privatisation des prisons pour raux, visiteurs, sans oublier les directeurs, ce nouveau secteur où les agents pénitentiaires et fonctionnaires de dépenses consacrées au lob- l’administration. bying sont très importantes6. Une énergie et des moyens Commander l’ouvrage énormes sont déployés afin 14
DOS S I E R E N M AR GE ( DE L A DÉ M OC R AT I E ) ! Claire-Marie Lievens, Conseillère juridique LDH La migration et la démocratie locale La participation politique des personnes étrangères au niveau local permet de partager la gestion d’un espace commun et de donner une voix à chaque citoyenne et citoyen. Jusqu’en l’an 2000, les non- ment social et économique doivent être en effet le fonde- Belges ne pouvaient pas par- ment d’une participation politique. En donnant voix égale ticiper aux élections locales aux Belges et aux non-Belges, l’étranger résidant dans la en Belgique. Mais la loi du 27 commune n’est plus un citoyen sans voix politique, mais un janvier 19991 change la situa- alter ego, qui participe comme lui à la gestion d’un espace tion. Se conformant au Trai- communal qu’il partage. »3 té de Maastricht2, l’État belge donne ainsi le droit aux res- Du droit de vote sortissants de pays européens Ainsi, pour voter aux élections communales d’octobre résidant en Belgique de voter 2018, il faut d’abord avoir 18 ans au plus tard à la date aux élections communales. des élections. Les personnes d’origine étrangère qui 1 Modifiant la loi viennent d’un état membre ou non-membre de l’Union du 19 octobre La loi du 19 mars 2004 fait européenne doivent quant à elles s’inscrire sur les listes 1921 organique des élections un pas supplémentaire en ar- électorales (à l’administration communale). Il faut aussi provinciales, rêtant les conditions et mo- être inscrit au registre de la population ou au registre la nouvelle loi communale et dalités de participation des des étrangers de la commune belge de résidence. Les la loi électorale communale. étrangers non-européens aux personnes qui viennent d’un État non-membre de 2 Et transposant élections locales belges. Tout.e l’Union européenne doivent résider en Belgique, à titre la Directive européenne en ressortissant.e d’un État hors principal, depuis 5 ans au moins. Ces personnes doivent la matière : Di- Union européenne, résidant disposer d’un titre de séjour légal en Belgique prouvant rective 94/80/CE du Conseil du 19 légalement depuis au moins soit un droit d’établissement, soit une autorisation de décembre 1994, cinq années en Belgique, peut séjourner dans le royaume pour une durée indétermi- fixant les moda- lités de l’exercice désormais voter, à condition née ou déterminée et être inscrites au registre de la po- du droit de vote et d’éligibilité de respecter les conditions pulation ou au registre des étrangers4. aux élections liées à la capacité d’électeur municipales pour les citoyens de et de s’être préalablement ins- Si un ressortissant étranger a déjà effectué cette dé- l’Union résidant crit.e comme votant dans sa marche d’inscription sur les listes d’électeurs lors d’un dans un État membre dont commune. Les étrangers non précédent scrutin, son inscription reste valable et il ne ils n’ont pas la européens doivent également doit pas se rendre à nouveau à la commune. Par contre, nationalité 3 CP du Vice-Pre- signer une déclaration dans la- ce droit de vote devient alors une obligation légale5 et mier Ministre, du Ministre de l’Inté- quelle ils s’engagent à respec- expose ceux qui l’utilisent aux mêmes sanctions que les rieur et de l’éga- ter la Constitution, les lois du citoyen.nes belges6. Les sanctions prévues ne sont que lité des chances, in http:// peuple belge et la Convention très rarement appliquées mais légalement, la personne urlz.fr/79pO, de sauvegarde des Droits de qui n’a pas voté peut se faire interpeller par le juge de Bruxelles, le 31 mai 2012. l’Homme et des Libertés fon- paix qui décidera de poursuivre ou pas. S’il poursuit, 4 Beaucoup damentales. Cette déclaration l’électeur sera convoqué devant le tribunal de police qui de sites web donnent ces figure dans le formulaire d’ins- prendra une décision (sans appel possible). Une pre- informations de manière dé- cription aux élections. mière absence non justifiée est punie d’une réprimande taillée, les sites ou d’une amende de 40 à 80 euros (en cas de récidive, communaux mais aussi les Pour le gouvernement de l’amende peut être de 80 à 200 euros)7. sites web d’as- l’époque, « L’objectif est de fa- sociations, no- tamment : www. voriser ainsi l’intégration, l’impli- Les personnes venant d’un État membre de l’Union eu- jeminforme. cation et la participation de ces ropéenne ou hors Union européenne peuvent donc ma- be/droits-ci- toyennete/ citoyens étrangers. La volonté nifester leur volonté d’être inscrit.es sur la liste des élec- elections-com- munales/qui- de participation à la vie de la teurs. Par conséquent, même si depuis 2006, tous les peut-voter communauté locale, l’engage- étrangers résidents en Belgique depuis plus de cinq ans 15
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