Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune
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Document sur la fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune Déclaration commune de Sa Sainteté le Pape François et du Grand Imam d’Al-Azhar Ahmed Al Tayeb - Abou Dhabi, le 4 février 2019 Avant-propos La foi amène le croyant à voir dans l’autre un frère à soutenir et à aimer. De la foi en Dieu, qui a créé l’univers, les créatures et tous les êtres humains – égaux par Sa Miséricorde –, le croyant est appelé à exprimer cette fraternité humaine, en sauvegardant la création et tout l’univers et en soutenant chaque personne, spécialement celles qui sont le plus dans le besoin et les plus pauvres. Partant de cette valeur transcendante, en diverses rencontres dans une atmosphère de fraternité et d’amitié, nous avons partagé les joies, les tristesses et les problèmes du monde contemporain, au niveau du progrès scientifique et technique, des conquêtes thérapeutiques, de l’époque digitale, des mass media, des communications ; au niveau de la pauvreté, des guerres et des malheurs de nombreux frères et sœurs en diverses parties du monde, à cause de la course aux armements, des injustices sociales, de la corruption, des inégalités, de la dégradation morale, du terrorisme, de la discrimination, de l’extrémisme et de tant d’autres motifs. De ces échanges fraternels et sincères, que nous avons eus, et de la rencontre pleine d’espérance en un avenir lumineux pour tous les êtres humains, est née l’idée de ce « Document sur la Fraternité humaine ». Un document raisonné avec sincérité et sérieux pour être une déclaration commune de bonne et loyale volonté, destinée à inviter toutes les personnes qui portent dans le cœur la foi en Dieu et la foi dans la fraternité humaine, à s’unir et à travailler ensemble, afin que ce Document devienne un guide pour les nouvelles générations envers la culture du respect réciproque, dans la compréhension de la grande grâce divine qui rend frères tous les êtres humains.
Document Au nom de Dieu qui a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux, pour peupler la terre et y répandre les valeurs du bien, de la charité et de la paix. Au nom de l’âme humaine innocente que Dieu a interdit de tuer, affirmant que quiconque tue une personne est comme s’il avait tué toute l’humanité et que quiconque en sauve une est comme s’il avait sauvé l’humanité entière. Au nom des pauvres, des personnes dans la misère, dans le besoin et des exclus que Dieu a commandé de secourir comme un devoir demandé à tous les hommes et, d’une manière particulière, à tout homme fortuné et aisé. Au nom des orphelins, des veuves, des réfugiés et des exilés de leurs foyers et de leurs pays ; de toutes les victimes des guerres, des persécutions et des injustices ; des faibles, de ceux qui vivent dans la peur, des prisonniers de guerre et des torturés en toute partie du monde, sans aucune distinction. Au nom des peuples qui ont perdu la sécurité, la paix et la coexistence commune, devenant victimes des destructions, des ruines et des guerres. Au nom de la « fraternité humaine » qui embrasse tous les hommes, les unit et les rend égaux. Au nom de cette fraternité déchirée par les politiques d’intégrisme et de division, et par les systèmes de profit effréné et par les tendances idéologiques haineuses, qui manipulent les actions et les destins des hommes. Au nom de la liberté, que Dieu a donnée à tous les êtres humains, les créant libres et les distinguant par elle. Au nom de la justice et de la miséricorde, fondements de la prospérité et pivots de la foi. Au nom de toutes les personnes de bonne volonté, présentes dans toutes les régions de la terre. Au nom de Dieu et de tout cela, Al-Azhar al-Sharif – avec les musulmans d’Orient et d’Occident –, conjointement avec l’Eglise catholique – avec les catholiques d’Orient et d’Occident –, déclarent adopter la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite ; la connaissance réciproque comme méthode et critère. Nous – croyants en Dieu, dans la rencontre finale avec Lui et dans Son Jugement –, partant de notre responsabilité religieuse et morale, et par ce Document, nous demandons à nous mêmes et aux Leaders du monde, aux
artisans de la politique internationale et de l’économie mondiale, de s’engager sérieusement pour répandre la culture de la tolérance, de la coexistence et de la paix ; d’intervenir, dès que possible, pour arrêter l’effusion de sang innocent, et de mettre fin aux guerres, aux conflits, à la dégradation environnementale et au déclin culturel et moral que le monde vit actuellement. Nous nous adressons aux intellectuels, aux philosophes, aux hommes de religion, aux artistes, aux opérateurs des médias et aux hommes de culture en toute partie du monde, afin qu’ils retrouvent les valeurs de la paix, de la justice, du bien, de la beauté, de la fraternité humaine et de la coexistence commune, pour confirmer l’importance de ces valeurs comme ancre de salut pour tous et chercher à les répandre partout. Cette Déclaration, partant d’une réflexion profonde sur notre réalité contemporaine, appréciant ses réussites et partageant ses souffrances, ses malheurs et ses calamités, croit fermement que parmi les causes les plus importantes de la crise du monde moderne se trouvent une conscience humaine anesthésiée et l’éloignement des valeurs religieuses, ainsi que la prépondérance de l’individualisme et des philosophies matérialistes qui divinisent l’homme et mettent les valeurs mondaines et matérielles à la place des principes suprêmes et transcendants. Nous, reconnaissant aussi les pas positifs que notre civilisation moderne a accomplis dans les domaines de la science, de la technologie, de la médecine, de l’industrie et du bien-être, en particulier dans les pays développés, nous soulignons que, avec ces progrès historiques, grands et appréciés, se vérifient une détérioration de l’éthique, qui conditionne l’agir international, et un affaiblissement des valeurs spirituelles et du sens de la responsabilité. Tout cela contribue à répandre un sentiment général de frustration, de solitude et de désespoir, conduisant beaucoup à tomber dans le tourbillon de l’extrémisme athée et agnostique, ou bien dans l’intégrisme religieux, dans l’extrémisme et dans le fondamentalisme aveugle, poussant ainsi d’autres personnes à céder à des formes de dépendance et d’autodestruction individuelle et collective. L’histoire affirme que l’extrémisme religieux et national, ainsi que l’intolérance, ont produit dans le monde, aussi bien en Occident qu’en Orient, ce que l’on pourrait appeler les signaux d’une « troisième guerre mondiale par morceaux », signaux qui, en diverses parties du monde et en diverses conditions tragiques, ont commencé à montrer leur visage cruel ; situations dont on ne connaît pas avec précision combien de victimes, de veuves et d’orphelins elles ont générés. En outre, il y a d’autres régions qui se préparent à devenir le théâtre de nouveaux conflits, où naissent des foyers de tension et s’accumulent des armes
et des munitions, dans une situation mondiale dominée par l’incertitude, par la déception et par la peur de l’avenir et contrôlée par des intérêts économiques aveugles. Nous affirmons aussi que les fortes crises politiques, l’injustice et l’absence d’une distribution équitable des ressources naturelles – dont bénéficie seulement une minorité de riches, au détriment de la majorité des peuples de la terre – ont provoqué, et continuent à le faire, d’énormes quantité de malades, de personnes dans le besoin et de morts, causant des crises létales dont sont victimes divers pays, malgré les richesses naturelles et les ressources des jeunes générations qui les caractérisent. A l’égard de ces crises qui laissent mourir de faim des millions d’enfants, déjà réduits à des squelettes humains – en raison de la pauvreté et de la faim –, règne un silence international inacceptable. Il apparaît clairement à ce propos combien la famille est essentielle, en tant que noyau fondamental de la société et de l’humanité, pour donner le jour à des enfants, les élever, les éduquer, leur fournir une solide morale et la protection familiale. Attaquer l’institution familiale, en la méprisant ou en doutant de l’importance de son rôle, représente l’un des maux les plus dangereux de notre époque. Nous témoignons aussi de l’importance du réveil du sens religieux et de la nécessité de le raviver dans les cœurs des nouvelles générations, par l’éducation saine et l’adhésion aux valeurs morales et aux justes enseignements religieux, pour faire face aux tendances individualistes, égoïstes, conflictuelles, au radicalisme et à l’extrémisme aveugle sous toutes ses formes et ses manifestations. Le premier et le plus important objectif des religions est celui de croire en Dieu, de l’honorer et d’appeler tous les hommes à croire que cet univers dépend d’un Dieu qui le gouverne, qu’il est le Créateur qui nous a modelés avec Sa Sagesse divine et nous a accordé le don de la vie pour le préserver. Un don que personne n’a le droit d’enlever, de menacer ou de manipuler à son gré ; au contraire, tous doivent préserver ce don de la vie depuis son commencement jusqu’à sa mort naturelle. C’est pourquoi nous condamnons toutes les pratiques qui menacent la vie comme les génocides, les actes terroristes, les déplacements forcés, le trafic d’organes humains, l’avortement et l’euthanasie et les politiques qui soutiennent tout cela. De même nous déclarons – fermement – que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de
la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes pour les conduire à accomplir ce qui n’a rien à voir avec la vérité de la religion, à des fins politiques et économiques mondaines et aveugles. C’est pourquoi nous demandons à tous de cesser d’instrumentaliser les religions pour inciter à la haine, à la violence, à l’extrémisme et au fanatisme aveugle et de cesser d’utiliser le nom de Dieu pour justifier des actes d’homicide, d’exil, de terrorisme et d’oppression. Nous le demandons par notre foi commune en Dieu, qui n’a pas créé les hommes pour être tués ou pour s’affronter entre eux et ni non plus pour être torturés ou humiliés dans leurs vies et dans leurs existences. En effet, Dieu, le Tout-Puissant, n’a besoin d’être défendu par personne et ne veut pas que Son nom soit utilisé pour terroriser les gens. Ce Document, en accord avec les précédents Documents Internationaux qui ont souligné l’importance du rôle des religions dans la construction de la paix mondiale, certifie ce qui suit : • La forte conviction que les vrais enseignements des religions invitent à demeurer ancrés dans les valeurs de la paix ; à soutenir les valeurs de la connaissance réciproque, de la fraternité humaine et de la coexistence commune ; à rétablir la sagesse, la justice et la charité et à réveiller le sens de la religiosité chez les jeunes, pour défendre les nouvelles générations de la domination de la pensée matérialiste, du danger des politiques de l’avidité du profit effréné et de l’indifférence, basée sur la loi de la force et non sur la force de la loi. • La liberté est un droit de toute personne : chacune jouit de la liberté de croyance, de pensée, d’expression et d’action. Le pluralisme et les diversités de religion, de couleur, de sexe, de race et de langue sont une sage volonté divine, par laquelle Dieu a créé les êtres humains. Cette Sagesse divine est l’origine dont découle le droit à la liberté de croyance et à la liberté d’être différents. C’est pourquoi on condamne le fait de contraindre les gens à adhérer à une certaine religion ou à une certaine culture, comme aussi le fait d’imposer un style de civilisation que les autres n’acceptent pas. • La justice basée sur la miséricorde est le chemin à parcourir pour atteindre une vie décente à laquelle a droit tout être humain. • Le dialogue, la compréhension, la diffusion de la culture de la tolérance, de l’acceptation de l’autre et de la coexistence entre les êtres humains contribueraient notablement à réduire de nombreux problèmes économiques,
sociaux, politiques et environnementaux qui assaillent une grande partie du genre humain. • Le dialogue entre les croyants consiste à se rencontrer dans l’énorme espace des valeurs spirituelles, humaines et sociales communes, et à investir cela dans la diffusion des plus hautes vertus morales, réclamées par les religions ; il consiste aussi à éviter les discussions inutiles. • La protection des lieux de culte – temples, églises et mosquées – est un devoir garanti par les religions, par les valeurs humaines, par les lois et par les conventions internationales. Toute tentative d’attaquer les lieux de culte ou de les menacer par des attentats, des explosions ou des démolitions est une déviation des enseignements des religions, ainsi qu’une claire violation du droit international. • Le terrorisme détestable qui menace la sécurité des personnes, aussi bien en Orient qu’en Occident, au Nord ou au Sud, répandant panique, terreur ou pessimisme n’est pas dû à la religion – même si les terroristes l’instrumentalisent – mais est dû à l’accumulation d’interprétations erronées des textes religieux, aux politiques de faim, de pauvreté, d’injustice, d’oppression, d’arrogance ; pour cela, il est nécessaire d’interrompre le soutien aux mouvements terroristes par la fourniture d’argent, d’armes, de plans ou de justifications, ainsi que par la couverture médiatique, et de considérer tout cela comme des crimes internationaux qui menacent la sécurité et la paix mondiale. Il faut condamner ce terrorisme sous toutes ses formes et ses manifestations. • Le concept de citoyenneté se base sur l’égalité des droits et des devoirs à l’ombre de laquelle tous jouissent de la justice. C’est pourquoi il est nécessaire de s’engager à établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment d’isolement et de l’infériorité ; il prépare le terrain aux hostilités et à la discorde et prive certains citoyens des conquêtes et des droits religieux et civils, en les discriminant. • La relation entre Occident et Orient est une indiscutable et réciproque nécessité, qui ne peut pas être substituée ni non plus délaissée, afin que tous les deux puissent s’enrichir réciproquement de la civilisation de l’autre, par l’échange et le dialogue des cultures. L’Occident pourrait trouver dans la civilisation de l’Orient des remèdes pour certaines de ses maladies spirituelles et religieuses causées par la domination du matérialisme. Et l’Orient pourrait trouver dans la civilisation de l’Occident beaucoup d’éléments qui pourraient l’aider à se sauver de la faiblesse, de la division, du conflit et du déclin scientifique, technique et culturel. Il est important de prêter attention aux
différences religieuses, culturelles et historiques qui sont une composante essentielle dans la formation de la personnalité, de la culture et de la civilisation orientale ; et il est important de consolider les droits humains généraux et communs, pour contribuer à garantir une vie digne pour tous les hommes en Orient et en Occident, en évitant l’usage de la politique de la double mesure. • C’est une nécessité indispensable de reconnaître le droit de la femme à l’instruction, au travail, à l’exercice de ses droits politiques. En outre, on doit travailler à la libérer des pressions historiques et sociales contraires aux principes de sa foi et de sa dignité. Il est aussi nécessaire de la protéger de l’exploitation sexuelle et du fait de la traiter comme une marchandise ou un moyen de plaisir ou de profit économique. Pour cela, on doit cesser toutes les pratiques inhumaines et les coutumes courantes qui humilient la dignité de la femme et travailler à modifier les lois qui empêchent les femmes de jouir pleinement de leurs droits. • La défense des droits fondamentaux des enfants à grandir dans un milieu familial, à l’alimentation, à l’éducation et à l’assistance est un devoir de la famille et de la société. Ces droits doivent être garantis et préservés, afin qu’ils ne manquent pas ni ne soient refusés à aucun enfant, en aucun endroit du monde. Il faut condamner toute pratique qui viole la dignité des enfants et leurs droits. Il est aussi important de veiller aux dangers auxquels ils sont exposés – spécialement dans le domaine digital – et de considérer comme un crime le trafic de leur innocence et toute violation de leur enfance. • La protection des droits des personnes âgées, des faibles, des handicapés et des opprimés est une exigence religieuse et sociale qui doit être garantie et protégée par des législations rigoureuses et l’application des conventions internationales à cet égard. A cette fin, l’Église catholique et Al-Azhar, par leur coopération commune, déclarent et promettent de porter ce Document aux Autorités, aux Leaders influents, aux hommes de religion du monde entier, aux organisations régionales et internationales compétentes, aux organisations de la société civile, aux institutions religieuses et aux Leaders de la pensée ; et de s’engager à la diffusion des principes de cette Déclaration à tous les niveaux régionaux et internationaux, en préconisant de les traduire en politiques, en décisions, en textes législatifs, en programmes d’étude et matériaux de communication. Al-Azhar et l’Église Catholique demandent que ce Document devienne objet de recherche et de réflexion dans toutes les écoles, dans les universités et dans les instituts d’éducation et de formation, afin de contribuer à créer de nouvelles
générations qui portent le bien et la paix et défendent partout le droit des opprimés et des derniers. En conclusion nous souhaitons que : cette Déclaration soit une invitation à la réconciliation et à la fraternité entre tous les croyants, ainsi qu’entre les croyants et les non croyants, et entre toutes les personnes de bonne volonté ; soit un appel à toute conscience vivante qui rejette la violence aberrante et l’extrémisme aveugle ; appel à qui aime les valeurs de tolérance et de fraternité, promues et encouragées par les religions ; soit un témoignage de la grandeur de la foi en Dieu qui unit les cœurs divisés et élève l’esprit humain ; soit un symbole de l’accolade entre Orient et Occident, entre Nord et Sud, et entre tous ceux qui croient que Dieu nous a créés pour nous connaître, pour coopérer entre nous et pour vivre comme des frères qui s’aiment. Ceci est ce que nous espérons et cherchons à réaliser, dans le but d’atteindre une paix universelle dont puissent jouir tous les hommes en cette vie. Sa Sainteté Pape François Grand Imam d’Al-Azhar Ahmed Al Tayeb (Texte original : Italien et arabe)
Comme des frères qui s’aiment Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les professionnels de l’information , La Croix du 11/02/2019 Le voyage de François aux Émirats arabes unis fut l’occasion d’une célébration de plus de 100 000 personnes, semblable à celles des précédents voyages pontificaux. Pour autant, l’enjeu de la venue de François à Abu Dhabi se trouve bien davantage dans sa rencontre avec le docteur Ahmed Al Tayeb, grand imam d’Al-Azhar, et dans la signature d’une déclaration commune dont la portée historique ne semble pas suffisamment perçue. Gageons que le texte même signé par les deux hommes n’a pas encore été découvert, lu et étudié sur le fond. Si les autorités religieuses et les personnalités politiques prennent leurs responsabilités en vue du service du bien de leur société et des leurs fidèles, ils ne pourront se priver de la richesse de ce document commun. Les souffrances de tant d’innocents dans le monde ont atteint un tel niveau qu’il n’est plus possible de rester passif. L’humanité s’autodétruit lorsque sa relation à Dieu se pervertit. Cette perversion a deux causes : soit l’oubli de Dieu qui engendre l’individualisme et l’indifférence, soit la corruption de l’idée même de Dieu, devenant une idole dont la défense justifierait toutes les violences. Ainsi, ils écrivent : « Nous déclarons fermement que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes pour les conduire à accomplir ce qui n’a rien à voir avec la vérité de la religion, à des fins politiques et économiques mondaines et aveugles. C’est pourquoi nous demandons à tous de cesser d’instrumentaliser les religions pour inciter à la haine, à la violence, à l’extrémisme et au fanatisme aveugle et de cesser d’utiliser le nom de Dieu pour justifier des actes d’homicide, d’exil, de terrorisme et d’oppression. » Partant de là, trois aspects justifient la qualification d’« historique » de cette rencontre.
– À l’heure où les sociétés européennes sont gagnées par la tentation sordide de céder au rapport de force et à la confrontation des religions, ensemble, les deux responsables religieux, le pape et l’imam d’Al-Azhar, donnent le signe diamétralement opposé à cette représentation. Les religions sont faites pour se parler, les divergences de doctrines sont assumées dans le respect des croyants reconnus comme des frères et des sœurs. Ils affirment ainsi que le bien n’est pas quelque chose à faire, mais quelqu’un à aimer, comme le disait Maurice Zundel. – Ensemble, à l’heure où l’islam dans le monde est très gravement menacé par la prolifération du fondamentalisme d’un islam radical, le pape François vient s’approcher de ce « frère croyant » pour « l’aider et l’aimer ». Ce faisant, il met en œuvre sa conscience de la mission de l’Église « hôpital de campagne », allant « aux périphéries » pour offrir les soins qu’il sait devoir apporter pour le bien de l’humanité dans son ensemble. L’islam wahhabite ou salafiste est l’expression d’une double spirale de violence : violence d’un enfermement dans une radicalisation qui ne connaît pas de fin, et violence d’une ambition hégémonique cherchant à imposer à tous sa propre aliénation. De même que personne ne peut s’extraire seul d’une ornière, cet islam ne pourra se réformer tout seul, il a besoin d’être aidé par d’autres croyants, et cette aide consiste à s’approcher de lui et à venir lui parler de Dieu. Luttant déjà contre les dérives fondamentalistes, l’imam Ahmed Al Tayeb se laisse rejoindre par le pape François, et accepte son amitié. Les religions signifient ainsi que leur dialogue réciproque, basé sur l’estime due à un autre croyant, est le vaccin contre les gènes de la pathologie de la toute- puissance qui menacent constamment l’inclination religieuse. – Ce faisant, le pape François exerce son apostolat en actes, et non seulement en paroles, en faisant de la relation à l’autre l’expression visible de sa propre vérité doctrinale qui inspire sa foi catholique. Loin de taire ce qui fait le cœur de la foi au Christ, il en donne le témoignage mondial en faisant primer la communion sur la division, la fraternité humaine sur la concurrence doctrinale. Rien ne témoigne davantage du christianisme que la relation à l’autre, conformément au Dieu un et trine, Trois Personnes divines, Père Fils et Saint-Esprit, dont les relations les personnalisent comme telles. François sait que Dieu se donne à connaître dans la vérité de son être dans les relations humaines, germe divin portant le dynamisme
et la promesse d’un de soi à l’autre. Le pape François ne rejoue pas l’histoire, mais comme saint François d’Assise avant lui, il se fait le témoin providentiel en ce XXIe siècle, des conditions de possibilité d’un avenir pacifié. Par ce triple engagement commun, cette rencontre est déjà historique et prophétique pour « vivre comme des frères qui s’aiment ». « L’humanité doit vivre comme une seule famille si elle veut survivre » disait le jésuite Pierre Teilhard de Chardin. La déclaration d’Abu Dhabi sur « la fraternité humaine » devra maintenant être diffusée, commentée et patiemment étudiée sur le fond, afin que l’humanité forme une fraternité gardienne de la maison commune. Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du Service pour les professionnels de l’information Le voyage du pape à Abu Dhabi met les religions au service de la paix. Lorsqu’ils voyagent, les papes sont souvent des explorateurs. Paul VI a ouvert la voie. Jean-Paul II a ensuite parcouru la planète entière. Mais des pays lui sont restés interdits. En particulier ceux de la péninsule arabique. C’est tout le prix de la brève visite effectuée par le pape François à Abu Dhabi. Pour la première fois, un pape a foulé la terre où a été fondé l’islam et y a célébré la messe dans un lieu public – un stade – devant une foule très importante. À Abu Dhabi, le pape François a aussi signé avec le grand imam d’Al-Azhar, principale autorité doctrinale de l’islam sunnite, une déclaration commune sur la « fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune ». Un texte marquant qui demande « de cesser d’utiliser le nom de Dieu pour justifier des actes d’homicide, d’exil, de terrorisme et d’oppression » et qui « condamne le fait de contraindre les gens à adhérer à une certaine religion ». Cette déclaration a certes ses limites. Elle n’utilise pas l’expression « liberté de conscience » mais celle de « liberté de croyance, de pensée, d’expression et d’action ». Elle ne mentionne pas le droit de changer de religion. Il n’empêche. Dans un monde déchiré par une violence souvent exercée en invoquant Dieu, une
autre voie a été proposée, celle du dialogue et du respect mutuel. Il faut s’en réjouir. Frère Jean Druel : « Le but du pape n’est pas de changer les musulmans » Recueilli par Gauthier Vaillant , La Croix du 05/02/2019 Quelle valeur accorder à la déclaration commune du pape et de l’imam d’Al Azhar ? Le point de vue de Frère Jean Druel, dominicain, directeur de l’Institut dominicain d’études orientales (Ideo) au Caire (Égypte). « Il faut d’abord souligner la force symbolique de ce texte, qui est évidente. Ce sont des bornes sur le chemin, c’est extrêmement positif, sans aucun doute. Je n’ai pas l’impression que les mots puissent recouvrir des conceptions très différentes entre le pape François et Ahmed Al Tayeb. Le texte utilise un vocabulaire contemporain, avec des termes comme « liberté de croyance » ou « droit » qui ne me semblent pas ambigus. La différence qui me frappe davantage, c’est le statut des institutions. Si le pape engage toute l’Église, dans l’islam sunnite, tout est très personnel. Cette déclaration commune ne manifeste donc que les opinions d’Ahmed Al Tayeb. Il parle au nom d’Al-Azhar parce qu’il ne peut pas faire autrement, mais en réalité ce texte n’engage pas vraiment Al-Azhar. Si demain, son successeur a un avis différent, il n’est pas tenu de reprendre à son compte les déclarations de ses prédécesseurs. Et à l’extérieur, les fidèles musulmans ne sont évidemment pas soumis à son autorité. Il y a une opinion théologique que je trouve intéressante dans le texte, c’est celle selon laquelle Dieu « n’a besoin d’être défendu par personne ». Ce qui signifie qu’il n’y a pas à prendre les armes au nom de Dieu. C’est un argument qui n’est pas nouveau, qui existe dans la tradition musulmane, mais il est intéressant qu’il ait été redit. Car le texte, par ailleurs, est un peu court dans sa dénonciation de « l’instrumentalisation des religions ». C’est une expression déjà mille fois
entendue, qui est symptomatique d’un refus de rechercher les causes religieuses de la violence. Dans l’islam, l’idée reste largement répandue que la religion est innocente, en particulier innocente des lectures que l’on peut en faire. On décrète donc que la réponse au terrorisme doit être laïque, civile, militaire, et qu’il n’y a pas de réponse spécifiquement religieuse à y apporter. C’est trop léger, on ne peut plus dire cela aujourd’hui. Il faut désamorcer le potentiel de violence qui existe dans la religion. Tout comme, dans l’Église, on a fait après la Seconde Guerre mondiale un travail pour rechercher et désamorcer les racines scripturaires de l’antisémitisme, ou, plus récemment, du sexisme. C’est pour cela que le fait de réaffirmer que Dieu n’a pas besoin qu’on le défende, peut être le début d’une réflexion pour désamorcer la violence. Ce n’est pas grand-chose, mais c’est un début, une petite ouverture. Mais c’est de toute façon un travail que l’islam doit mener en interne. Le pape, lui, est là pour montrer que nous ne sommes pas en guerre avec l’islam, ce que beaucoup de chrétiens croient encore. Son but n’est pas de faire changer les musulmans, et il ne peut pas se permettre de désigner lui-même ce qu’il juge problématique dans leur religion. Mais il peut contribuer à créer l’espace dans lequel cette prise de conscience peut arriver. » Nayla Tabbara : « La fraternité est une notion commune à l’islam et au christianisme » Recueilli par Pierre Sautreuil , La Croix du 05/02/2019 à 17h20 • Quelle valeur accorder à la déclaration commune du pape et de l’imam d’Al Azhar ? Le point de vue de Nayla Tabbara, théologienne libanaise, vice- présidente de la fondation Adyan pour les études interreligieuses et la solidarité spirituelle (1)
C’est un document historique, il n’y a aucun doute. C’est la première fois qu’un texte est cosigné par le pape et le recteur d’Al-Azhar. La fraternité humaine mise en avant dans le texte est une notion commune à l’islam et au christianisme. On la trouve très clairement exprimée dans certains des haddiths les mieux connus, qui appellent à traiter son frère comme on souhaiterait être traité. Il y est question de fraternité dans l’humanité, et non dans la croyance. Mais ce texte ne s’arrête pas à la notion de fraternité. Il parle aussi de questions relatives à la citoyenneté et à l’égalité. Ce ne sont pas des concepts étrangers à Al- Azhar, car ils sont présents dans plusieurs documents promulgués ces dernières années, de même que la notion de protection des lieux de culte. Certaines formules employées, sur la liberté « de croyance, de pensée, d’expression et d’action » se retrouvent par ailleurs dans des textes précédemment promulgués par Al-Azhar. Ici figurent les concepts et les valeurs sur lesquels le pape François et le cheikh al- Tayeb se sont accordés. On remarque à ce titre que la liberté de conscience n’est pas évoquée, bien qu’elle ait été mentionnée par le pape. Cette idée, la liberté de ne pas croire, a encore besoin de temps et de travail en interne pour être acceptée et prise en considération. « Établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté » La Croix , le 05/02/2019 à 6h00 Extrait de la déclaration commune du pape François et du cheikh Ahmed Al Tayeb, grand imam d’Al-Azhar, lundi 4 février à Abu Dhabi « Le concept de citoyenneté se base sur l’égalité des droits et des devoirs, à l’ombre de laquelle tous jouissent de la justice. C’est pourquoi il est nécessaire de s’engager à établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment d’isolement et de l’infériorité ; il prépare le terrain aux
hostilités et à la discorde et prive certains citoyens des conquêtes et des droits religieux et civils, en les discriminant. » À Abu Dhabi, le pape promeut le dialogue contre la guerre Nicolas Senèze, envoyé spécial à Abu Dhabi La Croix du 04/02/2019 Lors d’une rencontre interreligieuse, lundi 4 février à Abu Dhabi (Émirats arabes unis), le pape François a appelé à rendre le mot guerre « à sa misérable cruauté ».Plaidant une nouvelle fois pour le dialogue entre les religions, il a rappelé qu’« il n’existe pas de violence qui puisse être justifiée religieusement ». ZOOM Le pape François et le cheikh Ahmed Al Tayeb, grand imam d’Al Azhar, à Abu Dhabi, lundi 4 février. / Vincenzo Pinto/AFP « La fraternité humaine exige de nous, représentants des religions, le devoir de bannir toute nuance d’approbation du mot guerre. Rendons-le à sa misérable cruauté. » En quelques mots, lundi 4 février à Abu Dhabi, le pape François a résumé le but de son voyage aux Émirats arabes unis : promouvoir l’alliance des religions contre toute forme de violence. « Le temps est arrivé où les religions doivent se dépenser plus activement, avec courage et audace, sans artifice, pour aider la famille humaine à mûrir la capacité de réconciliation, la vision d’espérance et les itinéraires concrets de paix », a expliqué le pape. « Il n’y a pas d’alternative : ou bien nous construirons ensemble
l’avenir ou bien il n’y aura pas de futur. Les religions, en particulier, ne peuvent renoncer à la tâche urgente de construire des ponts entre les peuples et les cultures », a-t-il insisté, retrouvant les accents de son discours à l’université Al- Azhar du Caire, en avril 2017. François s’exprimait cette fois-ci devant 400 représentants de toutes les religions réunis à Abu Dhabi pour une « rencontre de la fraternité » organisée dans le cadre du Mémorial du fondateur, qui rappelle le cheikh Zayed, créateur des Émirats arabes unis (EAU), transformé, l’espace d’un après-midi, en centre international du dialogue interreligieux. « La rencontre d’Assise, côté musulman » « C’est un peu la rencontre d’Assise, mais côté musulman », se réjouit le père Vincent Feroldi, directeur du Service national pour les relations avec les musulmans de l’Église de France. Ayant participé aux différentes rencontres, ce dernier retrouve dans ce pays à la croisée de l’Arabie saoudite, du Qatar et de l’Iran, des responsables de toutes les traditions, y compris orientales. Rappelant à tous la rencontre entre saint François d’Assise et le sultan, il y a 800 ans cette année, le pape a souligné combien tous ont « besoin d’entrer ensemble, comme une unique famille, dans une arche qui puisse sillonner les mers en tempête du monde : l’arche de la fraternité ». Cette fraternité, François la fonde d’abord sur l’« égale dignité » et « la sacralité de toute personne humaine et de toute vie humaine ». Elle permet de condamner « sans hésitation toute forme de violence, parce que c’est une grave profanation du Nom de Dieu de l’utiliser pour justifier la haine et la violence contre le frère ». « Il n’existe pas de violence qui puisse être justifiée religieusement », a-t-il répété devant le monument illuminé dans la nuit d’Abu Dhabi. Le pape s’est alors attaché à détailler les « ennemis de la fraternité ». À commencer par « l’individualisme, qui se traduit dans la volonté de s’affirmer soi-même et son propre groupe au-dessus des autres ». Une manière pour lui de défendre aussi « la pluralité religieuse », qui
n’est, a-t-il expliqué « ni l’uniformité forcée, ni le syncrétisme conciliant » mais implique l’engagement « pour l’égale dignité de tous ». « Éducation et violence sont inversement proportionnelles » « Il est important pour l’avenir de former des identités ouvertes, capables de vaincre la tentation de se replier sur soi et de se raidir », a aussi souligné le pape. Il a défendu, comme dans son discours du Caire, le « courage de l’altérité », qui passe par la liberté religieuse, la prière en commun – « chacun selon sa propre tradition » – et la valeur de l’éducation. « La liberté est un droit de chaque personne. Chacun jouit de la liberté de croire, de pensée, d’expression et d’action. Le pluralisme et la diversité de religion, de couleur, de sexe, de race et de langues sont une sage volonté divine avec laquelle Dieu a créé l’être humain. Cette sagesse divine est l’origine de laquelle dérive le droit à la liberté de croire et la liberté d’être différents », a-t-il répété. « Investir dans la culture favorise une diminution de la haine et une croissance de la civilisation et de la prospérité. Éducation et violence sont inversement proportionnelles », a relevé François, rappelant le travail des écoles catholiques en terre musulmane pour promouvoir « cette éducation à la paix et à la connaissance réciproque pour prévenir la violence ». « Les jeunes, souvent entourés de messages négatifs et de fake news, ont besoin d’apprendre à ne pas céder aux séductions du matérialisme, de la haine et des préjugés, d’apprendre à réagir à l’injustice et aussi aux douloureuses expériences du passé, d’apprendre à défendre les droits des autres avec la même vigueur avec laquelle ils défendent leurs propres droits », a-t-il résumé, appelant à vaincre « le cancer de l’injustice ». « Paix et justice sont inséparables !, a-t-il insisté. La paix meurt quand elle divorce de la justice, mais la justice se trouve fausse si elle n’est pas universelle. Une justice adressée seulement aux membres de la famille, aux compatriotes, aux croyants de la même foi est une justice boiteuse, c’est une injustice masquée ! » Enfin, dans ce pays en plein boom économique aux opulents gratte-ciel de verre, François a plaidé pour « un développement intégral (qui) a de la cohésion(et) prépare un avenir digne de l’homme ». Et de mettre en garde
contre « un développement purement utilitariste » qui « ne donne pas de progrès réel et durable » et génère « l’indifférence ». Celle-ci, a-t-il souligné, « empêche de voir la communauté humaine au-delà du profit et le frère au-delà du travail qu’il accomplit. L’indifférence, en effet, ne regarde pas vers demain ; elle ne fait pas attention à l’avenir de la création, elle n’a pas soin de la dignité de l’étranger et de l’avenir des enfants ». « Démilitariser le coeur de l’homme » « Une cohabitation fraternelle, fondée sur l’éducation et sur la justice, un développement humain, édifié sur l’inclusion accueillante et sur les droits de tous : ce sont là des semences de paix, que les religions sont appelées à faire germer », a résumé le pape qui a terminé en appelant à « démilitariser le cœur de l’homme » : « la course aux armements, l’extension des propres zones d’influence, les politiques agressives au détriment des autres n’apporteront jamais la stabilité ». « La guerre ne sait pas créer autre chose que la misère, les armes rien d’autre que la mort ! », a-t-il insisté. Mentionnant les pays en guerre de la région, il a osé citer le Yémen, alors que les Émirats arabes unis y sont un des acteurs les plus actifs de la coalition à l’œuvre contre les rebelles houthistes dans une guerre dont le pape a, à plusieurs reprises, dénoncé les terribles effets sur les populations civiles. « Ensemble, frères dans l’unique famille humaine voulue par Dieu, a conclu François, engageons-nous contre la logique de la puissance armée, contre la monétisation des relations, l’armement des frontières, l’édification de murs, le bâillonnement des pauvres : à tout cela opposons la douce force de la prière et l’engagement quotidien dans le dialogue. » Ce discours sans détour, qui rappelle les fondements du dialogue tel que le conçoit François, doit se traduire, ce mardi 5 février, par la messe qu’il va présider dans un stade d’Abu Dhabi. Rassemblant 135 000 fidèles, elle débordera autour de l’enceinte sportive : une première dans un pays du Golfe où la manifestation publique d’un culte autre que l’islam n’est pas habituellement permise. -------------------------- « Établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté »
Extrait de la déclaration commune du pape François et du cheikh Ahmed Al Tayeb, grand imam d’Al-Azhar, lundi 4 février à Abu Dhabi « Le concept de citoyenneté se base sur l’égalité des droits et des devoirs, à l’ombre de laquelle tous jouissent de la justice. C’est pourquoi il est nécessaire de s’engager à établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment d’isolement et de l’infériorité ; il prépare le terrain aux hostilités et à la discorde et prive certains citoyens des conquêtes et des droits religieux et civils, en les discriminant. » ---------------------- « Le courage de l’altérité » Extrait du discours du pape François, lundi 4 février à Abu Dhabi, lors de la rencontre interreligieuse sur la fraternité humaine « Si nous croyons en l’existence de la famille humaine, il en découle qu’elle doit être protégée en tant que telle. Comme en toute famille, cela arrive d’abord par un dialogue quotidien et effectif. Il suppose sa propre identité, qu’il ne faut pas abdiquer pour plaire à l’autre. Mais en même temps demande le courage de l’altérité, qui comporte la pleine reconnaissance de l’autre et de sa liberté, et par conséquent l’engagement à m’employer pour que ses droits fondamentaux soient toujours affirmés, partout et par quiconque. Parce que sans liberté, il n’y a plus d’enfants de la famille humaine, mais des esclaves. Parmi les libertés, je voudrais souligner la liberté religieuse. Elle ne se limite pas à la seule liberté de culte, mais elle voit dans l’autre vraiment un frère, un fils de ma même humanité que Dieu laisse libre et que par conséquent aucune institution humaine ne peut forcer, pas même en son nom. »
Le programme du pape Lundi 4 février. Le matin, après une cérémonie officielle d’accueil au palais présidentiel, le pape François a rencontré en privé le prince héritier d’Abu Dhabi, Mohammed Ben Zayed. L’après-midi, le pape a rencontré, à la grande mosquée Cheikh-Zayed, le Conseil musulman des anciens, institué en juillet 2014 pour promouvoir la paix dans les communautés musulmanes. Puis il a participé à la rencontre interreligieuse Fraternité humaine. Mardi 5 février. François visite en privé la cathédrale Saint-Joseph d’Abu Dhabi, avant de présider la messe au Zayed Sports City Stadium, où 135 000 fidèles sont attendus. Il reprendra ensuite l’avion pour Rome. Nicolas Senèze, envoyé spécial à Abu Dhabi Le pape et l’imam d’Al-Azhar signent un document commun sur la fraternité La Croix , le 04/02/2019 à 19h31 DOCUMENT Le pape François et l’imam d’Al Azhar Ahmed al Tayeb ont signé, lundi 4 février, une déclaration commune sur la fraternité, insistant sur le dialogue et l’égalité des droits. ZOOM Le pape François et l’imam d’Al Azhar Ahmed al Tayeb, le 4 février 2019 à Abu Dhabi. / Andrew Medichini/AP À l’issue de son discours à la rencontre Fraternité humaine, lundi soir 4 février, le pape François a signé avec l’imam d’Al Azhar Ahmed al Tayeb, plus haute autorité
morale de l’islam sunnite, une déclaration commune qui souligne notamment que « La liberté est un droit de toute personne : chacune jouit de la liberté de croyance, de pensée, d’expression et d’action ». Le texte, qui condamne une nouvelle fois toute forme de violence religieuse » affirme aussi « le concept de citoyenneté se base sur l’égalité des droits et des devoirs à l’ombre de laquelle tous jouissent de la justice ». « Courageux et prophétique » « Il est nécessaire de s’engager à établir dans nos sociétés le concept de la pleine citoyenneté et à renoncer à l’usage discriminatoire du terme minorités, qui porte avec lui les germes du sentiment d’isolement et de l’infériorité ; il prépare le terrain aux hostilités et à la discorde et prive certains citoyens des conquêtes et des droits religieux et civils, en les discriminant », insiste le texte. Ce document « constitue une étape de la plus grande importance dans le dialogue entre chrétiens et musulmans, un signe puissant de paix et d’espérance pour l’avenir de l’humanité », a souligné le directeur de la Salle de presse du Saint- Siège, selon qui ce texte, « courageux et prophétique », « aborde, en les appelant par leur nom, les thèmes les plus urgents de notre temps au sujet desquels ceux qui croient en Dieu sont exhortés à interroger leur conscience et à assumer avec confiance et détermination leur propre responsabilité pour construire un monde plus juste et solidaire ». –––––––––––––-
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