Design urbain: approches théoriques - Fondements de l'Urban Design Villes immobilier - copie 2017
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Design urbain: Volume 2 Villes approches théoriques immobilier Fondements de l’Urban Design Sous la direction de Gérard Beaudet DU DÉ VELOPPEMENT URBAIN E T IMMOBILIER
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 2
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 3 Design urbain : approches théoriques Volume 2 Fondements de l’Urban Design Michel Raynaud Pauline Wolff Trames 2012
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 4 L’Observatoire Ivanhoé Cambridge du développement urbain et immobilier L’Observatoire Ivanhoé Cambridge du développement urbain et immobilier a été créé en 2006, grâce à la contribution financière de Ivanhoé Cambridge (www.sitq.com). La mission de l’Observatoire est d’approfondir la compréhension des relations entre l’immobilier et le développement urbain, la gestion urbaine et l’urbanisme. Le comité scientifique est composé des personnes suivantes : Gérard Beaudet, Clément Demers, François Des Rosiers, Paul Lewis, Tiiu Poldma. L’Observatoire est installé à la Faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal. http://observatoire-ivanhoe-cambridge.umontreal.ca http://www.ame.umontreal.ca © Michel Max Raynaud et Pauline Wolff Dépôt légal Bibliothèque nationale du Québec 1e trimestre 2012 ISBN 978-2-9810665-3-4
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 6
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 7 Présentation Quel est le lien entre le design urbain et l’Urban design ? La traduction de l’un par l’autre fait croire qu’il s’agit d’une même chose. Il existe pourtant entre l’Urban design tel qu’il apparaît aux États-Unis au milieu des années 1950 et le design urbain européen, héritier de l’Art urbain classique, plus de différences que de ressemblances. L’Urban design est né de la rencontre de l’Europe d’avant garde et de l’Amérique du Nord. Il est né de la remise en question d’acteurs du Mouvement moderne fuyant le nazisme et d’une Amérique confrontée à une croissance et à une crise identitaire de ses villes. L’Urban design est né d’une nouvelle liberté de repenser les villes, hors Histoire, hors préjugés. Dès la conférence inaugurale d’Harvard en 1956 et à travers les conférences qui suivront, la totalité des thèmes qui questionnent toujours les urbanistes et les designer urbains sont présents. Ils ne varieront que très peu. C’est cette histoire, cette naissance d’une discipline qui, plus de cinquante ans après, cherche toujours sa définition, que ces notes de recherche vont tenter d’éclairer. Nous avons tenu à reproduire ici dans son intégralité la première conférence de la Harvard School of Design comme acte fondateur. Elle reste toujours d’actualité. Ce texte vient compléter un travail amorcé en 2009 sur les approches théoriques du design urbain dont le premier volume avait pour titre Approches historique et conceptuelle. Il est constitué de la traduction de la conférence tenue à Harvard en 1956, son analyse et l’explicitation de son contexte. Michel Max Raynaud Pauline Wolff Références temporaires (de Tocqueville, 1831; Robinson, 1903; Frankl, 1914; Hegemann et Peets, 1922; Le Corbusier, 1923; Des Passos, 1928; Céline, 1932; Corbusier, 1937; Mumford, 1938; Rittich, 1941; Giedion, 1942; Le Corbusier et de Pierrefeu, 1942; Sert, 1942; Kepes, 1944; Levi, 1948; Sartre, 1949; Feiss, 1950; Lavedan, 1952; Tyrwhitt et al., 1952; Lynch, 1953; Feiss, 1956; Francastel, 1956; Goffman, 1956; Giedion, 1958; Lynch et Rodwin, 1958; Mumford, 1961; Tunnard et Pushkarev, 1963; Gutkind, 1964; Nairm, 1964; Choay, 1965; Reps, 1965; Hall, 1966; Braudel, 1967; Smithson, 1968; Benevolo, 1971; Kouwenhoven, 1972; Cohen, 1974; Kopp et al., 1975; Danesi et Patetta, 1977; Manieri-Elia, 1979; Wolfe, 1981; Beltemacchi, 1986; Bedarida, 1987; Lynch, 1990b, a; Bosman, 1992; Ritchot, 1999; Mumford, 2000; Hénault, 2002; Barnett, 2003; Gosling, 2003; Foucault, 2004; Freixa, 2006; Laurence, 2006; Maniaque, 2006; Cuthbert, 2007; Pearlman, 2007; Maumi, 2008; Mumford et Sarkis, 2008; Krieger et Saunders, 2009; Mumford, 2009; Raynaud et Wolff, 2009)
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 8 T ! ABLE DES MATIÈRES Introduction 9 L’Urban design ou « l’oubli » de l’histoire 10 CONTEXTE D’UNE CONFÉRENCE ........................................13 Harvard : April 9-10 1956 13 La ville américaine : histoire comparée ....................................................14 Le rêve jeffersonnien 14 L'autre ville américaine 15 Les malentendus 16 Mieux comprendre les termes d’un malentendu 18 L' Avant-garde européenne, les CIAM et les États-Unis ............................19 Immigrations 19 The Prince Charmings 21 Naissance de l'Urban design ...................................................................22 Les conférences d'Harvard ......................................................................24 Un cycle innovant 24 Urban design vs Civic design 26 La conférence inaugurale 27 Conditions d'une traduction 28 URBAN DESIGN ...............................................................31 Rapport condensé de la conférence sur invitation parrainée par la Faculté et l’Association des anciens élèves de la Graduate School of Design, 31 Harvard University, le 9 et 10 avril 1956. 31 Portée de la conférence ......................................................................................... 32 Attitudes envers le Design urbain............................................................................ 34 Forces qui façonnent les villes aujourd'hui ..............................................................37 Problèmes de mise en œuvre .................................................................................. 44 Le design urbain est-il possible aujourd'hui ? ..........................................................46 Les designs urbains aujourd'hui : Pittsburg ............................................................. 48 Les designs urbains aujourd'hui : Philadelphie ........................................................51 Les designs urbains aujourd'hui : Fort Worth..........................................................53 en conclusion......................................................................................................... 55 ACTUALITÉ D'UNE CONFÉRENCE ........................................57 Définir une discipline .............................................................................58 Définir des acteurs : qui sont les Urban designers ? .................................59 Le choix des rôles et la définition des acteurs. .........................................62 Design urbain : quelques grandes lignes 62 Risques et patrimoine : l'Ici et l'Ailleurs, les lectures possibles du DU 63 Pour ne pas conclure ..............................................................................64 BIBLIOGRAPHIE ...............................................................67
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 9 Introduction Le design urbain, lorsqu’il naît en Cette forme de « design régalien » va Europe, n’est pas un acte démocratique. traverser l’Atlantique avec le Major C’est d’abord un acte régalien. Il est la l’Enfant et donner sa forme à Washington marque d’un pouvoir qui prend D.C.. Mais la World’s Columbian Exposition possession de l’espace urbain pour y de Chicago, le mouvement City Beautiful, 1 Pour cette raison, la imposer son ordre et sa logique1. Le les théories du Civic Art ou du Civic Design formule de Françoise design urbain est avant tout l’expression ne touchent que superficiellement Choay «la ville est son spatiale d’une volonté politique forte. Il l’urbanisme étasunien ou canadien. La horizon» (Choay, 1965) conditionne l’espace d’une société par la devrait s’appliquer peut- grande majorité des villes croissent en être autant à la société vertu de sa mise en forme. Pour dehors de toute influence des théories européenne du XVIème paraphraser la formule de Winston esthétiques urbaines que le vieux siècle qu’à celle du Churchill : first we shape our spaces, then XIXème siècle. continent enseigne et utilise. they shape us2. Changer la ville pour que la 2 La formule originale de ville nous change : le but du design urbain Pourtant les États-Unis vont devenir au Churchill est : first we shape our buildings, then n’a jamais été autre. milieu du XXéme siècle, le berceau de they shape us. l’Urban design, qui va à son tour Dans le contexte européen, les profondément modifier l’approche théoricien modernes n’ont fait que européenne du design urbain. De la mise perpétrer cette idée d’un design au service en ordre spatialisée d’un dessein d’un pouvoir d’abord politique. Un texte politique, le design urbain a traversé comme La Charte d’Athènes peut être vue l’Atlantique et, oubliant son dessein comme une traduction de cette idée sous politique, s’est mis au service de nouvelles une forme fonctionnaliste, les auteurs pratiques urbaines. Il est devenu « modernistes » reprennent à leur compte aujourd’hui l’outil privilégié pour les règles des traités classiques améliorer la qualité de vie des habitants généralement dédiés aux princes et aux des villes. Comment et où un tel rois. Faut-il rappeler la dédicace que Le revirement a-t-il été possible ? Le design Corbusier place en tête de la Ville radieuse urbain a-t-il renoncé à son rôle de (1964) : « Cet ouvrage est dédié à contrôle ? l’AUTORITÉ ». L’urbaniste, au service de la puissance publique détient le rôle Pour répondre à ces questions, il faut démiurgique du « modeleur de ville » : revenir sur le contexte de la rencontre entre les théoriciens européens et le milieu « Il [le modeleur de ville] se trouve au d’accueil étasunien. De cette rencontre va centre de la grande ville, ou, plutôt, sur naître une nouvelle discipline : l’Urban l’axe vertical de ce centre, afin de se design. Et s’il faut lui donner un acte de placer à la juste hauteur d’où il pourra naissance officiel, les historien s’accordent modeler sa ville, en symphonie de aujourd’hui sur la date du 9 avril 1956, volumes bâtis et de surfaces vertes date officielle de la première conférence concertant avec les collines et la rivière; organisée par l’architecte José Luis Sert à afin, selon l’expression de Le Corbusier, la Harvard School of Design. Un compte de pouvoir déposer par parachutes ses rendu en sera publié. Il constitue plus vastes cubes et ses plus audacieux désormais aux yeux des historiens comme parallélépipèdes sans toucher à une Eric Mumford (2000), David Gosling herbe du paysage; afin de distribuer (2003) ou Alex Krieger (2006) le texte nettement, par un classement large et fondateur de cette discipline. L’étude de commode, les quatre fonctions ce texte, de son contexte et de son biologiques de la cité : l’habitation, la héritage permettent de mieux comprendre circulation, le travail et la culture du la nature du design urbain tel qu’il naît en corps et de l’esprit. » (Le Corbusier & Amérique du Nord et tel qu’il se pratique de Pierrefeu, 1942, p.196) encore aujourd’hui, le rôle des acteurs et l’origine du débat qui le traverse toujours et lui donne toute sa vitalité.
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 10 L’Urban design ou « l’oubli » de l’histoire Dans le chapitre de la première partie « C’est que le passé, dans ces villes qui de ce travail consacré à la « situation du vont vite, qui ne sont pas construites design urbain » (Raynaud & Wolff, 2009), pour vieillir et qui progressent comme nous mettions en parallèle deux les armées modernes, en encerclant des déclarations, La Déclaration de Bruxelles îlots de résistances qu’elles ne peuvent (1980) et Charter of New Urbanism (1996). détruire, ne se manifeste pas, comme On peut constater dans ces deux textes chez nous, par des monuments, mais manifestes une grande convergence de par des résidus. [...] Ils sont là, tout points de vues entre les objectifs de la simplement, parce qu’on a pas pris le « reconstruction de la ville européenne » temps de les démolir : comme une et ceux de la nouvelle pensée urbaine indication de travaux à faire. » (Sartre, étasunienne (Barnett, 2003). La 1949, p.79) comparaison entre les deux manifestes est d'autant plus légitime qu'ils sont toutes Mais cet oubli de l’Histoire est deux nés en réaction contre les CIAM, ils également volontaire chez ceux que Tom proposent une perception radicalement Wolfe caricaturera en White Gods (Wolfe, nouvelle de la ville et se veulent les 1981) : les architectes du Mouvement héritiers « scientifiques » de l'Art urbain moderne européen émigrés, chassés pour pour les typo-morphologistes européens et la plupart par la monté du nazisme et qui du Civic design pour les promoteurs du viennent enseigner aux États-Unis à partir 3. L'Histoire n'est pas New Urbanism. Il existe toutefois une de 1937. Ils avaient, dans les théories totalement absente de différence importante entre ces deux professées au Bauhaus et dans les CIAM, la ville américaine qu'il déclarations : la référence à l'Histoire. Une eux aussi dénoncé et renoncé à l'Histoire. s'agisse de Washington Le Corbusier avait bien montré, depuis D.C. ou des plans de référence qui figure en tête de la Burnham pour Déclaration de Bruxelles et qui est 1933, dans la Ville radieuse qu’il allait Chicago. Mais on totalement absente de la Charte du New tenter, sans succès, de promouvoir aux constatera que ce sont États-Unis, que la modernité était au prix non seulement des Urbanism. Il ne s'agit nullement d'un exceptions, mais des détail. de ce renoncement (Le Corbusier, 1964). copies ou des inspirations plus ou Cet oubli d’une référence à l’Histoire Il serait faux de généraliser que moins heureuses de la conditionne en fait l’émergence même de l'Histoire n'existe pas pour les Étasuniens. ville baroque Elle ne fait pas partie du concept de la européenne. La grille l’Urban design, tel qu'il prend forme à ses américaine est elle hors débuts à la conférence d'Harvard. Un ville. La ville américaine est une ville non histoire : dans l'esprit « oubli » qui continue d’avoir une pas sans Histoire, mais hors Histoire3. La jeffersonnien elle n'a ni ville étasunienne est née moderne. Il faut centre fondé ni influence sur ses multiples avatars récents périphérie, ni début ni comme le New Urbanism, le Smart Growth attendre les écrits de Lewis Mumford, fin. Elle se reconstruit et autres épigones du Post-modernisme. notamment The Culture of Cities (1938), indéfiniment, sans prise The City in History (1961) et les écrits en compte d'un passé Un « oubli de l’Histoire » qui est à la fois ou des traces anciennes volontaire et conjoncturel. Un oubli de d'Erwin Anton Gutkind, dans ses huit (Maumi, 2008). Parfois l’histoire que notera Jean-Paul Sartre volumes d'International History of City même la vieille forme Development qui paraissent à partir de est abandonnée pour lorsqu’il visitera les villes américaines en construire du neuf plus 1946. La ville américaine n’est pas faite 1964, pour que l'histoire de la ville loin. La redécouverte pour vieillir comme les villes européennes. américaine intègre la grande histoire de des centres anciens l'urbanisme mondial. Avant cela, seule historiques (Boston, Pas de monuments qui témoignent — la New Orleans, conservation patrimoniale est très récente l'Europe bénéficiait du culte historique de Philadelphie,...) ne et encore confuse — et le « terrain vague » la ville et de la reconnaissance d'un commencera patrimoine urbain; les premiers artisans véritablement que dans tient encore lieu à cette époque de trace les années 1940, vingt historique d’un bâtiment fraîchement timides de cette reconnaissance de ans après la démoli que, venu en touriste, on a raté, l'Histoire aux États-Unis seront redécouverte et la Christopher Tunnard et Boris Pushkarev valorisation des sites comme on rate un ami à un rendez-vous. historiques : qui consacreront un chapitre - Something Jamestown, Williamsburg, Franklin Court,...
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 11 for the Future : The Preservation of Visible History — de leur ouvrage Man—Made America : Chaos or Control ? (1963). Mais ce ne sont que des écrits encore isolés et qui ne pénètrent pas le monde professionnel des urbanistes (urban planners) ou des architectes. La rencontre de l’Europe et des États- Unis se fait autour de ce « vide d’Histoire ». Et comme dans toute rencontre, il y a un malentendu. On peut déjà deviner que le refus de l’Histoire de l’avant-garde européenne ne ressemble pas tout à fait à l’absence d’Histoire des États- Unis. Mais malgré tout, c’est ce malentendu autour d’un « oubli de l’Histoire » qui permet à une idéologie de s’inscrire dans une autre culture et de la façonner selon une nouvelle approche; cet « oubli » en constitue en quelque sorte son « affinité élective ».
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 12
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 13 CONTEXTE D'UNE CONFÉRENCE CONTEXTE D’UNE CONFÉRENCE Harvard : April 9-10 1956 Le 9 avril 1956 s'ouvre à la Graduate and because of all these factors it has school of Design d'Harvard (GSD) la been less explored than other aspects. première conférence sur l'Urban design. With the new approach to architecture, landscape architecture, road Le texte de la conférence, qui reprend engineering and city planning, accepted l'essentiel des propos tenus par les formulas had to be thrown overboard. It intervenants, est édité le mois d'août is logical that the changes in all these suivant dans la revue Progressive fields have developed independently, Architecture. Il est important de souligner each group trying to establish a new set la rapidité de la diffusion de la conférence, of principles and a new language of de plus dans un numéro spécial, le forms. It now seems equally logical that premier sur un sujet entièrement the progress in the different professions nouveau : l’Urban design qui apparaît en be brought closer together, so that a titre sur une couverture (fig.). Cette synthesis can be achieved in terms of conférence, et la diffusion de son contenu, urban design. » sont désormais considérées par les historiens comme la naissance officielle de Il lance comme mot d'ordre aux cette nouvelle discipline. Le mot est participants : We must be urban minded. nouveau, il veut se démarquer de la Une nouvelle espèce de « penseurs de la tradition historiciste suivie jusqu'ici avec le ville » est née. Des professionnels qui 4. Le Civic Design Civic design ou le Civic Art4. doivent dorénavant, et c’est là leur américain (Hegemann mandat, travailler sur la « forme physique et Peets, American « The sponsors have avoided the term de la ville » de façon « créative », Vitruvius, 1922) Civic Design as having, in the minds of poursuit la tradition du « imaginative » et « artistique ». Dans ce Civic Art diffusé au many, too specialized or too grandiose a « programme », tel que Sert le définit, États-Unis par les écrits connotation. The professions, conscious chaque terme est important et, nous le de Charles Mulford of large scale projects ahead, have been Robinson (Modern Civic verrons, continue de peser dans le débat Art or The City Made doing considerable work in analysis and actuel. Beautiful, 1903). programming of urban development, providing the indispensable basis for the On est en droit de s'interroger sur next stage: the shaping (or reshaping ) l'importance de cette conférence dans 5. Nous reprenons ici of the American urban scene. »5 l'histoire de l'urbanisme en général et du pour les citations le design urbain en particulier. On peut déjà texte original de la L'Urban design, selon les voeux des répondre que l'importance de cette conférence de 1956. organisateurs de la conférence, n'est pas Les lecteurs pourront conférence n'est plus à démontrer. Elle est se reporter à la seulement un nom, mais avant tout un devenue, nous l’avons dit, une référence traduction française. programme. José Luis Sert, Doyen de la pour tout critique et analyste de l'Urban GSD et principal organisateur de cette design. C’est le texte fondateur qui 6. Avec Jaqueline conférence 6 , en donne les grandes inaugure une pratique essentielle de Tyrwitt, nous orientations et en esquisse une définition l'urbanisme aujourd'hui reconnue par reviendrons ensuite sur l’importance de cette dès son discours d'introduction : tous. collaboration. « Urban design is that part of city On est également en droit de se planning which deals with the physical demander la raison de cette conférence, à form of the city. This is the most ce moment — la fin des années 1950 — creative phase of city planning and that dans ce pays — les États-Unis — et à cet in which imagination and artistic endroit — la Graduate School of Design capacities can play a more important d'Harvard. Les réponses à toutes ces part. It may also be in some respects the questions nécessitent de tracer most difficult and controversial phase; historiquement le contexte qui voit naître
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 14 cette discipline. Il n'y a aucun hasard dans le pays, l'époque ou le lieu. Un retour sur les conditions d'émergence de l'Urban design peut permettre de mieux comprendre sa nature, les enjeux et les débats qu'il a développés dès son apparition. L'Urban design est né d'une rencontre entre deux mondes, l’Europe et les États- Unis; entre l’avant-garde de l’une et le libéralisme de l’autre. La ville américaine : histoire comparée Le rêve jeffersonnien Sur le continent européen la ville s'est est avant tout un problème lié à des affirmée très tôt dans l'histoire comme le impératifs extérieurs — rester dans une lieu privilégié de l'expression de l'exercice enceinte protectrice, ne pas pouvoir sortir du pouvoir en mêlant le pouvoir d'une limite imposée — avant d'être un économique et le pouvoir politique. Le choix. D'autre part, la densité sera pouvoir inscrit physiquement son dessein longtemps synonyme de surpopulation, politique dans le dessin de la ville. En de promiscuité, de risque épidémiques. Le mêlant le politique et l'économique, discours hygiénistes qui conduira aux l'image qu'offre la ville doit à la fois en Cités-jardins développera l'idée partagée exprimer grandeur et puissance tout en qu'il n'est pas naturel pour l'Homme de s'efforçant de contenir une forme que le vivre verticalement en milieu minéral. Ce pouvoir puisse contrôler et qui ne lui sont les nécessités sécuritaires, échappe pas. Le design urbain classique économiques ou politiques qui lui européen, que l'on appelle encore l'Art imposent ou justifient cette situation 7. Principalement pour urbain7, va jouer entre ces deux extrêmes : urbaine. le différencier de la la richesse des projets urbains et la rigueur planification urbaine. des règlements. C'est ce qui constitue Contrairement à l'Europe qui s'est Cette appellation est construite avec et grâce à la puissance des notamment employée encore aujourd'hui les bases du design par les architectes. urbain, puisque ce design urbain est un villes, les États Unis d’Amérique dessein d'État contractuellement géré par entretiennent avec la ville un rapport à la la puissance publique (Raynaud et Wolff, fois de fascination conflictuelle et de rejet 2009). structurel. Sur le continent nord- américain, la ville s'impose d'abord dans La ville européenne reste dans son sa forme étalée, sans frontière (Maumi, esprit un espace clos, protégé par des 2008). Une fois libérés des contraintes murailles — on parle toujours de intra et politiques anglaises, les Étasuniens extra muros — qui obligent une veulent s'affranchir du modèle urbain densification du sol avant de repousser européen qui a accompagné la ensuite la limite une fois la saturation colonisation. Ni New Amsterdam, ni atteinte; à l'exemple du ghetto de Venise Boston ou même New Orleans ne qui, dans l'impossibilité de sortir de l'île serviront de modèle pour l'urbanisation où les autorités vénitiennes l'ont confiné, du Nouveau monde. La ville traditionnelle va inaugurer la construction en forte est à la fois rejetée et honnie. Elle reste hauteur pour l'époque. La densification l'objet de toutes les méfiances, elle est
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 15 dénoncée dans les écrits bibliques et ne Frank Lloyd Wright reprendra et rappelle que de tristes souvenirs aux développera en 1934 dans on projet de colons échappés des taudis des faubourgs Broadacre City. Et ce modèle reste surpeuplés d'Europe. Mais surtout il faut toujours extrêmement actif et actuel dans voir dans la démocratisation du sol voulue l'esprit des Nord-américains lorsqu'ils par les Pères fondateurs, un rejet d'un type choisissent leur lieu de résidence. C'est en de propriété des sols entre les mains d'un ce sens que la ville étasunienne, à la 9. Comme par exemple petit nombre de grands propriétaires différence d'autres villes nord-américaines9 les villes canadiennes aristocrates. Diviser et rendre chaque de fondations plus traditionnelles et françaises ou bien citoyen propriétaire de son lot devait surtout catholiques, se place dès l'origine encore mexicaines. interdire dans le futur tout risque du hors Histoire. Il ne faut pas négliger cette retour d’un modèle monarchique anglais. situation « hors Histoire » dans le développement et l’image de la ville Le rejet du modèle européen est américaine; elle est la source, même mal d'autant plus profond que la ville, si elle comprise, de sa fascination qu’elle va garde le nom de ville, ne doit plus exercer sur l’Europe. correspondre dans sa forme à aucun modèle connu. Elle n’est ni un village, ni un bourg, mais tout cela en même temps. L'autre ville américaine La ville naît ville une fois pour toute. Car ce qui va déterminer son statut de ville Le libéralisme urbain étasunien, ce que étasunienne ne sera pas sa forme, ni sa certains historiens appellent le « laissez- densité, ni sa situation privilégiée, mais faire » (Manieri-Elia, 1979), a produit un son peuplement et son autonomie8. En autre modèle radicalement différent de ce 8. Rappelons à titre de comparaison les 1831, Alexis de Tocqueville, en voyage modèle idyllique de la « ville verte ». Les hiérarchies des villes aux États-Unis, s'entretient avec Albert pouvoirs — économique et industriel — européennes telles que ont besoin de concentration : Braudel les a mises en Gallatin : évidence : hameau, concentration des richesses, mais aussi village, bourg, ville « Nous n'avons point de villages en concentration de la main d'oeuvre. La moyenne, grande ville, Amérique, c'est-à-dire de lieux peuplés ville, écrit Fernand Braudel « crée etc. et de leurs rapports (Braudel, 1967) par des gens cultivant la terre. Le l'expansion, autant qu'elle est créée par propriétaire vit sur son bien et les elle » (Braudel, 1967); il ne peut exister maisons sont toutes dispersées dans la d'échange commerciaux lointains sans la campagne. Ce que vous prenez pour des ville. Les États-Unis, en devenant une villages mérite plutôt le nom de ville grande, et bientôt la plus grande, nation puisque leur population est composée de industrielle et commerciale, ont besoin de marchands, d'artisans et la ville. Contrairement aux modèles d’avocats. » (Tocqueville, 1831, p.33) européens, la grande ville étasunienne se constitue selon ses propres règles Si nous examinons cette déclaration libérales; pas de pouvoir centralisé pour avec attention, cela signifie deux choses. organiser et gérer le développement de la Tout d'abord la campagne, dans le sens forme urbaine. Il faut rappeler que la ville d'une opposition ville-campagne, n'existe du pouvoir politique est volontairement pas. Pas d'inféodation d'une agriculture à construite ailleurs que dans la ville 10. C’est également un une ville ou de rapport de domination commerciale et productive, à Washington des éléments, rarement d’une ville sur la campagne. Ensuite, et D.C.10 par exemple, et sans lien avec la analysé, qui explique cela est dans la logique de ce qui précède, ville économique; et cela dès l’origine. pourquoi la forme urbaine du City la ville elle-même, dans le sens de la Beautiful a pu s’imposer concentration de pouvoir et d'échange, « Les Américains redoutent tellement la et perdurer dans une n'existe pas non plus. Le pouvoir est entre centralisation et l’influence des capitales capitale politique, mais qu’ils ont presque toujours soin de n’a pas réussi à être les mains de chacun ainsi que l'artisanat et implantée dans une le commerce. Voilà pour le rêve placer le siège des pouvoirs législatifs et capitale économique jeffersionnien de la « ville verte », image de exécutifs loin des capitales. Ainsi le comme Chicago, ou a siège de la législature et le fini par « s’effacer » la démocratie étasunienne. C'est comme dans Circle précisément cette vision usonienne que gouvernement de l’État de New York City (Reps)
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 16 sont à Albany. Le siège du « Lundi matin, lorsque le paquebot gouvernement de la Pennsylvanie est à Normandie s'arrêta à la Quarantaine, Harrisburg, petite ville à l’intérieur des j'ai vu surgir dans les brumes une cité terres et non à [à] Philadelphie. Celui fantastique, presque mystique. «Voilà le du Maryland à Annapolis et non à temple du nouveau monde!». Mais le Baltimore. » (Tocqueville, 1831, p. bateau avance et l'apparition s'est 236). transformée en une image d'une brutalité et d'une sauvagerie inouïes. Notons que cette séparation C'est certainement ici la manifestation systématiques entre les villes comme lieux la plus apparente de la puissance des des pouvoirs politiques et les villes comme temps modernes. Cette brutalité et cette lieux des pouvoirs économiques et sauvagerie ne sont pas pour me industriels reste un phénomène propre déplaire. » (Le Corbusier, 1937, p.49) aussi bien aux villes des États-Unis que du Canada. « New-York est une ville debout, sous le signe des temps nouveaux », déclare-t-il Les capitales économiques loin de la un peu plus loin (p.51) dans sa ville « politique », peuvent alors se description de Manhattan. Mais, le développer selon leurs propres règles, premier émoi passé, Le Corbusier peine à c’est-à-dire sans règles. En la quasi vendre sa Ville radieuse aux décideurs 11. Aucune tentative de absence de toute régulation 11 , les américains et à l'incompréhension cède réglementation n’a architectures, chacune sur sa propriété, résisté aux poussées rapidement une critique acerbe dans un s'expriment en toute liberté de densité, de économiques des villes. style polémique qu’il affectionne : On prendra comme forme et de hauteur et constituent un exemple la Zoning décor urbain aussi vertical que fascinant; « Les gratte-ciels de New York sont trop Resolution de 1916 à autant pour les yeux américains : New York petits. [...] Le gratte-ciel n'est ici que (Kouwenhoven, 1953). négatif : il tue la rue et la ville, il a « ... l'acier, le verre, la brique, le béton détruit la circulation. Mais de plus il est seront des matériaux des gratte-ciel. aussi anthropophage : il suce autour de Entassés dans l'île étroite, les édifices lui la vie des quartiers entiers; il les vide aux mille fenêtres se dresseront et il les ruine. » (p.274-278) étincelants, pyramides sur pyramides, sommets de nuages blancs au-dessus des orages. » (John Dos Passos, 1928) Les malentendus Qu'européens : Cet épisode étasunien dans la carrière prosélyte de Le Corbusier mérite d’être « Figurez vous qu’elle était debout leur approfondi. Il illustre parfaitement la ville, absolument droite. New York c’est difficulté de la perception de l’espace une ville debout. On en avait déjà vu urbain de l’autre, même si il lui semble nous des villes bien sûr, et des belles proche et apparemment familier. Il est encore, et des ports et des fameux important de rappeler que la ville même. Mais chez nous, n’est-ce pas, étasunienne naît étalée et illimitée. Les elles sont couchées les villes, au bord de centres d'affaires (CBD - Central Business la mer ou sur les fleuves, elles District) qui ne renferment qu'une partie s’allongent sur le paysage, elles des fonctions des centres des villes 12. C’est pour cette attendent le voyageur, tandis que celle- raison qu’il est d'Europe — le commerce et l'échange impossible par exemple là l’Américaine, elle ne se pâmait pas, — viennent pousser comme des de s’inspirer des non, elle se tenait bien raide, là, pas concrétions sur le territoire dans la grille modèles traditionnels baisante du tout, raide à faire d’analyse de la urbaine préexistante. Cela explique croissance urbaine mis peur. » (Louis-Ferdinand Céline, 1932) pourquoi pour un Européen, même un au point en Europe urbaniste averti comme Le Corbusier, ne pour expliquer la ville C'est la même vision qui saisit Le comprend pas la réalité de la ville étasunienne ou Corbusier en 1935, à sa première visite : canadienne. Seule la américaine et son rapport aux centres géographie structurale denses et compacts. La ville américaine ne peut offrir une approche cohérente et adaptée (Ritchot, 1999)
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 17 se densifie que localement et après possession aristocratique des terres en coup12. Il n'y voit que d'un coté un Angleterre. étalement de « cités-jardins désarticulées » L'autre aspect et non le moindre est la (p.255) et de l’autre des entassements confusion de sens au sujet du libéralisme. 13. Ce sera ce que fera inhumains de gratte-ciels. Il ne rêve que Michel Foucault nous rappelle que le : par exemple Ludwig de remplacer les CBD par l'urbanisme de Hilberseimer dans ses la société machiniste qu'il développe et propositions pour « libéralisme américain, au moment Chicago (Beltemacchi, promeut depuis 192213. même où il s'est historiquement formé, 1986). c'est-à-dire très tôt, au XVIIIe siècle, ne « Faites le [le gratte-ciel] plus grand, s'est pas présenté comme en France, à vrai et utile : il restituera un sol titre de principe modérateur par immense, il paiera les propriétés rapport à la raison d'État préexistante, ruinées, il donnera la verdure dans le puisque ce sont, précisément, au ville et la circulation impeccable : tout le contraire, des revendications de type sol aux piétons dans les parcs et les libéral, revendications essentiellement autos, en l'air, sur des passerelles, de économiques d'ailleurs, qui ont été le rares passerelles à sens unique et point de départ historique de la encaissant du 150 kilomètres à l'heure formation de l'indépendance des États- et allant... tout simplement d'un gratte- Unis. [...] Ce n'est pas l'État qui ciel à l'autre. Pour cela il faut des s'autolimite par le libéralisme, c'est mesures synthétiques ; pas de salut sans l'exigence du libéralisme qui devient elles ! Il faudra qu'on y pense un jour, fondateur d'État. » (Foucault, 1994, p. par l'organisation de coopératives ou de 223) syndicats fonciers, ou par mesure administrative, forte ou paternelle. » (p. Le libéralisme américain est 278-279) généralement synonyme pour les Européens, nous l’avons noté, de « laissez- Volontairement ou non — sa faire » ; cette « manière d'être et de maladresse calculée est aussi légendaire penser » échappe totalement à Le que son lyrisme — Le Corbusier met le Corbusier qui entérine là le malentendu doigt sur les deux réalités fondamentales suprême qui le fâche définitivement avec du monde urbain étasunien en totale les Américains. Il ne comprend pas que ce contradiction avec le paradigme corbuséen n'est pas aux pays à s'adapter à la pensée de la ville : la propriété foncière et le des CIAM, mais aux penseurs des CIAM à libéralisme économique. entendre les particularités de chaque La propriété foncière est absente dès contexte. Pourtant Le Corbusier, avant de l'origine de la pensée urbaine corbuséenne. quitter les États Unis, persiste et signe Il établit ses principes urbanistiques sur un dans une déclaration à la T.S.F. de Radio 14. Rappelons juste sol étatisé et social où le pouvoir politique City : que Le Corbusier de forme autoritaire14 remplace le pouvoir n’hésitera pas à des princes qui l'ont précédé. Un pouvoir « J'ai le sentiment intime que les idées proposer ses services se substitue à un autre et doit faire régner que j'apporte avec moi ici et que je aux différents états présente sous le vocable de « VILLE totalitaires qui l'ordre. La ville de Le Corbusier est une apparaissent : France machine régulée15, décidée par un pouvoir RADIEUSE », trouveront dans ce pays leur occupée, Allemagne, fort et bâtie sur les plans de l'architecte- terrain naturel. En venant exposer cette Russie, Italie. première doctrine d'équipement de la démiurge, le « modeleur de ville », dont il 15. « Dans le monde civilisation machiniste, ces thèses rêvé de Le Corbusier, la incarne le prototype. C'est à l'évidence joie et la propreté sont vouloir méconnaître l'importance du rôle constructives, optimistes et actives, obligatoires – sans de la propriété individuelle telle qu'elle s'est hardies peut-être, mais pleines de foi en parler du reste. Est-ce la puissance des temps modernes, je suis que Le Corbusier se constituée aux États-Unis et cela dès la rend compte qu’on Déclaration de l'indépendance; certain de rencontrer l'adhésion de ceux entrait à Buchenwald notamment, comme il faut le rappeler, en que leur expérience et leur jugement au son des violons ? » personnel ont conduit aux mêmes Pierre Francastel réaction à la forme traditionnelle de (1956) Art et technique, espoirs. » (p.50) Gonthier, Paris, p.34
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 18 Mieux comprendre les termes d’un malentendu En fait Le Corbusier n’a pas totalement l’assertion maculin-non-féminin et la tort. Il serait injuste de penser qu’il s’agit femme dans celle fémin-non-masculin. de sa part d'un simple opportunisme Mais il est aussi possible de faire lorsqu'il évoque un « terrain naturel » pour apparaître de nouvelles catégories dans son projet de Ville radieuse. En analyste des relations de contrariété : professionnel du cadre environnemental, l’hermaphrodite comme catégorie Le Corbusier a vu que ce qui existe dans appartenant à la fois au masculin et au l’esprit des Étasuniens entre la ville et la féminin et l’ange comme appartenant à la nature est proche de celui qu’il développe fois au non-masculin et au non-féminin. dans ses théories de la « ville radieuse ». Il ne lui a pas échappé que la « ville verte » Il est possible selon la même logique n’était pas une banlieue et ne pouvait en de classer les concepts ville-campagne : aucun cas lui être comparée. Si le malentendu est toujours lié au langage, c’est grâce au langage qu’il est possible de comparer sémantiquement la « ville verte » jeffersonienne avec la « ville radieuse ». Nous aurons recours au carré sémiotique de A. J. Greimas (Hénault, 2002). D’un usage courant en linguistique, nous pouvons ici en éprouver la pertinence dans un domaine Fig. Carré sémiotique « ville-campagne » apparemment pas si éloigné : l’urbanisme. Rappelons que dans un carré Il est incontestable que la ville est une sémiotique (ou rectangle sémantique) tel non-campagne et que la campagne est une que Greimas l’a développé, les concepts non-ville (selon le principe d’assertion), de sont classés selon un ordre particulier et la même façon que ville et non-ville, que par paires opposées. L’exemple classique campagne et non-campagne sont dans des est celui du masculin-féminin qui se classe rapports de contradiction. de la façon suivante : Maintenant, si nous allons plus loin, comme nous l’avons fait dans l’exemple précédent, il apparaît que la relation de contrariété produit de nouveaux concepts. De la même façon qu’il est possible de dire que ce qui est à la fois homme et femme porte le nom d’hermaphrodite et, toujours dans notre culture, ce qui est à la fois non-homme et non-femme s’appelle un ange; de la même façon ce qui est à la fois non-ville et non-campagne désigne en toute logique la banlieue. C’est même sa définition. Symétriquement, en reprenant les définitions de la ville étasunienne, la «ville verte» vient logiquement se définir comme à la fois ville et campagne. Une Fig. Carré sémiotique de Greimas définition qui correspond également à celle de la « ville radieuse » de Le La démonstration de Greimas permet Corbusier. de situer par exemple l’homme dans
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 19 Fig. Les deux « non-banlieues » La différence entre la «ville verte» et la C’est à ce niveau d’interprétations « ville radieuse » n’est pas une différence croisées que nouent les relations de nature. Cela Le Corbusier l’a vu, ou du complexes entre les avant-gardes moins il l’a pressenti. La différence est immigrants et leur pays d’accueil. C’est d’ordre plus idéologique. Comme nous autour de ce malentendu que va se l’avons évoqué, Ce sont les questions de construire la discipline de l’Urban design. la liberté et de la propriété qui sont en jeu. L' Avant-garde européenne, les CIAM et les États-Unis Immigrations donne a son ouvrage, Voyage au pays des timides, montre qu’il en en garde un L'intérêt de Le Corbusier, tardif si on le ressentiment profond16. 16. Son second voyage en 1946-1947 à compare aux liens qu'il noue avec l'URSS l'occasion de la et l'Allemagne notamment, pour les États- Il faut examiner maintenant pourquoi commande du siège de Unis n'est pas un hasard. Il ne vient pas l'avant garde européenne, jusqu'ici l'ONU se soldera à tournée essentiellement sur l'Union nouveau par un échec. en Amérique : On retrouvera du reste soviétique née de la Révolution d'octobre les mêmes critiques de « pour s'émerveiller devant les symboles et l'Allemagne de la République de sa part (Raynaud & de l'âge des machines [...]. Il venait Weimar (1918-1930) s'intéresse Guerrier, 1987). chercher commande. En 1935, son plus soudainement aux États-Unis. Jusqu’ici grand espoir est de convaincre un l’Amérique n’avait pas suscité qu’un décideur de lui confier la réalisation intérêt limité; autant de la part de la d'une Ville radieuse, après des tentatives communauté professionnelle de qui l'ont mené, vainement, en Union l’architecture et de l’urbanisme que de soviétique, en Afrique du Nord, en Italie celle des avant-gardes. Ils n’y percevaient 17. Le phénomène et ailleurs. » (Bédarida, 1987, p.445) pas de souffle intellectuel stimulant17. restait même inverse, si L’image de la wilderness restait toujours l’on considère la C'est pour lui la (presque) conclusion présente, même en urbanisme. Le fascination des d'un long périple de promotion de la architectes américains Corbusier voit surtout les silos à blé des pour l’enseignement pensée des CIAM. Son ouvrage, Quand les États-Unis et du Canada (Le Corbusier, des Beaux-Arts de Paris cathédrales étaient blanches, en témoignera : 1923) et il faudra attendre la publication où ils venaient se sa visite est un échec. Le sous-titre qu’il former. (Levi, 1948). des écrit de Siegfried Giedion comme
DESIGN URBAIN : APPROCHES THÉORIQUES — Vol.2 20 Mechanization Takes Command en 1947 (1928) et Espace, temps, architecture avant que la perception ne commence à (1941), place Gropius et Le Corbusier en 18. Cette perception changer, et encore avec difficulté18. haut du Panthéon de l'architecture perdurera du reste bien D’autre part la Dépression de 1929 qui a mondiale. La réalité de l’époque est bien après la Seconde ravagé les États-Unis puis déferlé sur différente. Guerre mondiale. On trouve encore en 1952 l’Europe n’a pas favorisé la diffusion d’une La fermeture définitive, par les Nazis, chez Lavedan dans son vision positive du Nouveau monde. Histoire de l’urbanisme, à le 19 juillet 1933, du Bauhaus de Berlin L’intérêt de l’avant-garde européenne pour propos des villes que dirige Mies Van der Rohe, et son exil américaines : «la plus l’Amérique est né d’abord du aux États-Unis est le dernier chapitre grande abondance de renoncement à l’Europe qui se villes créées, les plus d'une vague d’émigration des architectes transformait radicalement. nombreux exemples de de l'avant garde européenne et quadrillages. Il est rare À la fin des années 1930, le socialisme particulièrement allemande, chassés par le qu’on trouve ici des affirmations de théories de la République de Weimar défaite par fascisme. Qu'il s'agisse d'un exil forcé par ou des recherches l'arrivée d'Hitler au pouvoir, et le la menace nazie ou de la déception face à d’esthétique [nous communisme soviétique, ont montré leurs un socialisme qui s'enferme dans la soulignons].» (Lavedan, 1952). Cet auteur limites. L’Allemagne et l’URSS renoncent dictature et la mégalomanie, le seul et néglige du reste toutes brutalement à toute ouverture à dernier horizon possible, promesse d’une les expériences des l'innovation et à la modernité. Le liberté pour l'avant-garde européenne reste company towns étasuniennes et nationalisme exacerbé de ces pays coupe l'Amérique. Une Amérique aussi idéalisée canadiennes. court à l'internationalisme qui constituait que méconnue par ces immigrants. la base même de la pensée d'avant-garde. 19. Le seul régime Notons d'abord l'arrivée en 1937 des Le nazisme va prôner un retour à des européen politique qui premiers avant-gardes immigrants : Walter valorise encore valeurs traditionnelles (Rittich, 1941); Gropius, Marcel Breuer, Lazlo Moholy- l’esthétique moderne quant au communisme, sans renoncer à dans d’importantes Nagy; puis celle de 1938 : Mies van der son rôle d'avant-garde de l'idéologie commandes d’état reste Rohe, Ludwig Hilberseimer, Martin l’Italie de Mussolini. Ce politique, il se replie avec Staline dans un Wagner. Enfin José Luis Sert qui s'installe qui ne sera pas sans réalisme esthétique conservateur (Kopp & poser de problèmes à la définitivement aux USA en 1939. fin de la guerre (Danesi all., 1975). Aux deux mégalomanies, nazie & Patetta, 1977). et stalinienne, qui se tournent Il faut aussi rappeler à la même époque volontairement vers une monumentalité les tentatives d'implanter les CIAM aux 20. Les commandes se néo-classique populiste (Borsi, 1986), États-Unis avec Hélène de Mandrot21 qui limitent pour l’essentiel image d'un pouvoir politique fort, rend visite à Gropius en 1937 pour lui à une riche clientèle privée et à quelques s'oppose une monumentalité nord- demander d'en devenir le promoteur. commandes publiques américaine art-déco, image libérale d'un L'opinion de Gropius est que c'est aux comme par exemple les pouvoir financier illimité. Américains qu'il revient de prendre cette Siedlungs construits en Allemagne par Oud ou initiative. C'est ensuite au tour de L'avant-garde européenne a May. (Benevolo, 1971) Giedion, invité à enseigner à Harvard par expérimenté ses théories et ses Gropius à partir de 1938. Giedion va 21. (1867 -1948) découvertes à travers quelques réalisations tenter de rallier Richard Neutra, qui vit Mécène, elle a été la marquantes mais très limitées19; et sans châtelaine de La Sarraz. aux USA depuis 1923, ainsi que Paul pour autant arriver à convaincre Elle crée en 1922, la Rudolph. Cela prend forme en 1944 "Maison des artistes" totalement. Rappelons que cette avant- quand est créé le CIAM Chapter for Relief qui voit naître le garde n’a eu que peu de commande et premier congrès des and Postwar Planning à New York peine à faire reconnaître le bien fondé de CIAM en 1928. (Bosman, 1992). On y trouve un grand ses théories et de son esthétique20. nombre de personnalités dont certaines 22. C'est grâce à L'histoire de l'architecture et de l'influence de ces sont impliquées dans l'enseignement de l'urbanisme réécrite notamment par "CIAM américains" que l'architecture comme Joseph Hudnut Le Corbusier sera Siegfried Giedion alors secrétaire des (Mumford) qui sera plus tard Doyen à contacté pour la CIAM et proche de Le Corbusier a pu réalisation du siège de Harvard et fera venir Sert. Les « Nouveaux faire croire à un mouvement moderne l'ONU à New York. CIAM » comme on les appelle, s’ils n’ont Même si cette nouvelle influent en lui donnant une place bien qu’un impact limité aux États-Unis, tentative se soldera par plus importante qu'il n'en a eu vraiment le «départ» de Le deviennent une source importante au départ. Giedion, avec la diffusion de Corbusier qui ne participera finalement ses ouvrages comme Construire en France pas au projet (Guerrier & Raynaud)
Vous pouvez aussi lire