Les quatre piliers du Ciel - JEAN-PIERRE SERGENT
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Les quatre piliers du Ciel JEAN-PIERRE SERGENT AU MUSÉE DES BEAUX-ARTS & D’ARCHÉOLOGIE DE BESANÇON — LES QUATRE PILIERS DU CIEL VOYAGE AU BOUT par Thierry Savatier DU POSSIBLE DE L’HOMME : — LA QUESTION DE L’ÉROTISME ET DE L’EXTASE DANS L’ŒUVRE PEINTE DE LA BEAUTÉ ET CETERA... DE JEAN-PIERRE SERGENT par Jean-Pierre Sergent par Pierre Bongiovanni — — MÉTAPHORE DES LITS D’INITIÉ ET MÉTAMORPHOSE par Nicolas Surlapierre par Marie-Madeleine Varet — — MÉCANIQUES COSMIQUES DE LA JOUISSANCE : DU CARRÉ AU CARRÉ : ÉROS & HILDEGARDE, EXTASES MYSTIQUES LE DÉVELOPPEMENT ORGANIQUE & SEXUELLES DE LA STRUCTURE ET DE LA FORME par Jean-Pierre Sergent DE MES PEINTURES — par Jean-Pierre Sergent LES QUATRE PILIERS DU CIEL — INSTALLATION UNE VOIE OU UNE AUTRE — par Florence Andoka PORTFOLIO — — SHAKTI-YONI BIOGRAPHIE Ecstatic Cosmic Dances | 2016 - 2017 par Jean-Pierre Sergent — 2 EXPOSITIONS PASSÉES 3
PRÉFACE (?) 5000 SIGNES Untinciumet elique sere optiis dunt harunda quias autatus reped quo et excerepudam veliquuntum Fugia voloraestium hillant quibus iderunt audae digendis placcul liquas vera a adi ati offictatem dolori temquasi il in nulpa vellum fugitiur, quae suntia dolecus ciunti remolore pa eum sint omnita ipsaperuptas sitae pa dipicia illabo. Ita conet de denimus, officium rerciur enduntio tem. Pos nonem id quas est, sequiatati oditatiaecto occumqui beatqui ad moluptate minctaquis cum, tem expland icipisi officia dest et dolent quatque nihit ut aborum ius volupta erestiae lam, quis id solorat. ullorrunt. Ugiamentur aligenit omnimil invende venit autem ratiumque maio consenihil ma volupta tibeari Que am que evel iunt et audit planiminihil maximax impora pratis eni omnim am qui delit quae nobis busam, aut veri bernam aut ea sed minvell ecerum fugit quas minciis doluptatur repelestrum enis doluptat et aut aut lam sinverum alitis enis porem sit, simus et, quam faccaborum expe quid minveli ciatemquia quasperum veraturi qui omnis etusam, cum quo et, officil liquod modit Ut aut alibus estios et ut fugita qui nonsequi repudites doluptates apitiunto et velibusciae sit hit odiaerum eati nonseque con consed ut omnis quam quunt est odi di am nimaximint. molore restore hendae pratur? Quist, inciis dicium autempo ressit, to tectur, nis et et re lande niet Ovita doloristotam etur simus doluptist officit iisquasi dolupta dolupta taspelit volores faciis que praecer emoluptatur, sandisto omnis asincipsam que recus eossita speritat. assitatassum sus dolorere natiis anditas iminimolles doluptae nus volupta spelitat idus dolliae. Uga. Cus, optat qui rest es et prem faccatur? Qui aut et fugiatenis atus. Sam nestiorentis exerum rehento dolores cum que soloratur siminve rciendi omniam, ipisquam Tionsequo dolo bla cum, unt, to es porerro te natur, omnis eum resectu reperiore, amet labore etur, sinverro mollaccusae. Nam fugiam, ipsumquatur aligendis aut eum qui as maion nihil eum remqui ulparcid magnist que et voluptatios cone rae eum simporest, ne consed ut vel ex et vent. maiorepeles quam ut volo to volorepe nectoriores eaque pere consed mi, odiant arciaerist molore Ecabo. Iquo vendignis eicipie niscia que nullatis acimil illabor ibusdam inulpa dent est, suntus. officto tor andam, exernatus, quament volupta etur, quam ne nitae volore, quam faccum ratem si Re volorem quis re rerchillupta quia voluptatiae dent eatumet que ea suntiam veleseq uiaepero ipsandipsant lautatem num hil ipsam ipiciaspit, vellecum, unt volupta tquodig endesti ostiosandit quibuscit dolorum que vendem. Uptati beritatus renieNetur, alia sandignata exceseq uamet, eum vel modita apid magnihil moluptate voluptate pe viducit, imoles nos dit, eatur aut occabor consende et et repel ium latet hil et autat rem int, es consendaest ea con re dolorro que nus reped moluptatin necte de si dem ex explant estio. Et qui officipid magnat fugiti undantiatum sendam volore etur, uta ped quam, arum necto ea prestia por aut es est, nonsero es et rehent aut autem atem il inum eos simodit quam quia dio. Ebis consere stiunt quatem nis estrum nobit, qui as as necto il ipis eum exerro blam, ant re, conet adit quiatur si rae quidus, sercienist, officiatis estis dent remquiatest ipid quatet ipsam aceris dolum, tendebis pellabo ritaspero moluptiur maximpo sit que dolupture eossequae nonseque min possimil eium, omnitae pudande ssuntio nectemolore, repellam rem. Facepe eos est fugit abor ad mint eaquia cus volores et quatque es ad quas apis aut volupta eriostis es esequis itaecullanis et aut fuga. Ed quist aut ma voluptat repreium faccus, se volupta tiusam, que voluptatibus idus est ea nem asi tem sit et ipsum atias magnimus eos et veliqui ipsandis as maximaximus maio. Itatur? debis aut utem veliquo odit eat iumqui duntem re perum ipsam fugit eaquas ad ero et aut mos Sed et audios reium electat. dolupta santibusciae conet eles in preperi utatem alicipicia corerspe num con coreri ist labor sint isit Temporestrum hilis erfersp idelend eliquo optatur eribusciae natur? Iciisit ionseditas est et pa perovid entiisitas exerupiendit quo officillam as millupt intiume nosam que re nos aut quam esedi inveliqui ut landesc illore nist quae di offictam natatur, ex etum voluptaquae doluptae sequibus nectatem earuptatiunt pla voluptas debis erionet laborehende aut ilignim id et ma sus. volorem conse quassitatur sincipsam a aut as dolupta tatur, vellam restibus eos aute quat. Acerios vendis eario. Nam nonsequ atectamus, archit, voluptaepe lates dipsunt quam, id et lant. 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LES QUATRE PILIERS DU CIEL L’exposition Les Quatre piliers du ciel, ac- par Thierry Savatier cueillie par le musée des beaux-arts et d’ar- chéologie de Besançon, propose une réunion de 72 sérigraphies sur Plexiglas choisies par Qu’est-ce qu’un artiste ? La question relève du Jean-Pierre Sergent au sein d’une série réali- défi et la définition qu’en donne l’UNESCO1, sée de 2010 à 2015 sous le titre générique de trop vague pour être exploitable, trahit la Suite entropique. Faut-il voir dans Suite entro- difficulté de l’exercice. Tentons cependant pique un jeu de mots fondé sur l’homophonie, d’avancer, en toute conscience d’imperfection qui convoquerait aussi bien l’épithète « an- lexicographique, qu’un artiste serait le point de thropique » (« qualifie tout élément provoqué jonction d’un talent, d’une esthétique (souvent directement ou indirectement par l’action de appelée à évoluer avec le temps), d’un travail l’homme », nous dit le glossaire du site public de tous les instants et d’une réelle démarche « Géorisques ») qu’« entropique » qui évoque intellectuelle qui le conduit tout autant à penser l’idée de désordre d’un système, de chaos ? On son art qu’à penser le monde. ne peut s’empêcher de le penser car l’artiste, en Jean-Pierre Sergent répond clairement à ce observateur de son environnement, a depuis profil. Il suffit de regarder ses œuvres, sur papier longtemps pris conscience des évolutions de ou sur Plexiglas, pour prendre conscience de ce que l’on nomme, même si le terme soulève son talent et de son esthétique sans compromis encore des polémiques, l’anthropocène, évo- qui nous permet de ne jamais confondre ses lutions qui, sans céder le moins du monde aux créations avec celles de ses contemporains. délires millénaristes, mettent en lumière l’émer- Il suffit de le rencontrer pour comprendre gence de déséquilibres dont la multiplication et l’importance que le travail occupe dans sa l’amplitude pourraient aboutir au chaos. vie, même lorsqu’il se trouve hors de son atelier. Il suffit enfin d’échanger avec lui et de Quant au titre de l’exposition, il annonce le lire ses textes pour découvrir une démarche rapport de verticalité que nous pouvons en- intellectuelle originale, solide, structurée, qui tretenir avec une entité supérieure - que nous intègre son œuvre dans le monde l’appelions Cosmos, Dieu ou Grand Architecte - un monde bien plus vaste que n’a guère d’importance - dans le cadre d’une 1 « On entend par artiste toute personne qui crée ou participe par son interpré- celui qui l’entoure directement quête de spiritualité. Mais, dans le même tation à la création ou à la recréation puisqu’il s’étend, horizontalement, temps, il se rapproche trop des « Quatre pi- d’œuvres d’art, qui considère sa création sur les cinq continents et, liers de la sagesse » chers à Confucius et à la artistique comme un élément essentiel verticalement, c’est-à-dire dans cosmogonie chinoise définissant l’harmonie de de sa vie, qui, ainsi, contribue au déve- une perspective historique, jusqu’à l’univers pour ne pas, même indirectement ou loppement de l’art et de la culture, qui l’aube créatrice de l’humanité. Sa inconsciemment, s’y référer. est reconnue ou cherche à être reconnue curiosité de l’Autre, cet « Autre » en tant qu’artiste, qu’elle soit liée ou non pris en tant qu’archétype de Ces 72 panneaux aux dimensions identiques par une relation de travail ou d’associa- l’altérité (ce qui est en-dehors de (1,05 x 1,05 m) occupent les quatre angles du tion quelconque. » (Recommandation re- lative à la condition d’artiste, 27 octobre lui et de sa culture d’origine), est double escalier central du musée, formant une 6 immense. installation monumentale de 80 m2. Nous les 7 1980.)
découvrons au fur et à mesure que nous gra- Nous devrons donc abdiquer notre tentation considéré comme le bien aujourd’hui devien- La Nature, dans les peintures de Jean-Pierre vissons les marches. Ce mouvement ascen- orgueilleuse, voire arrogante, de « penser sa- dra peut-être le mal demain, la réciproque Sergent, n’est ni fantasmée, ni naïvement idéali- dant constitue une première étape de ce que voir », de classer, de nous fier à nos certitudes étant tout aussi probable. sée. L’artiste, depuis longtemps en communion l’on pourrait appeler une exploration - osons premières, ou, pire encore, à nos croyances et étroite avec elle, sait qu’elle peut se montrer ajouter : une initiation, parce qu’aborder ces leur cortège d’irrationalités. L’œuvre nécessite Ce mode de pensée, très éloigné de notre sys- aussi féroce ou indifférente que généreuse, ce œuvres relève d’une véritable expérience, tant de s’appréhender avec un regard neuf. tème de références, nous aidera sans doute à qui explique que les sources culturelles aux- sensorielle que spirituelle. L’effet se renforce mieux comprendre les œuvres de Jean-Pierre quelles il se réfère lui accordent le plus grand dans la mesure où ces panneaux sont plaqués Si toutefois, pour nous aider à interpréter ces Sergent. Car, dans son univers créatif, ces ques- respect. Il s’agit de la terre-mère, de la source à même la pierre austère des murs, sans qu’un panneaux de Plexiglas, nous devions faire ap- tions sont dénuées de sens. Grand chineur de d’énergie primordiale qui dépasse le cadre de quelconque encadrement ne vienne matéria- pel à une source intellectuelle européenne, témoignages ethnographiques, il puise ses nos simples vies, mais sont indispensables à liser des frontières rassurantes. Ce contraste peut-être nous référerions-nous aux Sophistes, références picturales aux racines de la vie, ve- leur accomplissement. entre l’œuvre colorée et la pierre naturelle rap- injustement décriés et méprisés, envers les- nues du fond des âges, puis dispersées sur l’en- pelle l’exposition des toiles de Picasso qui avait quels notre dette reste pourtant considérable, semble du globe dans des cultures où la relation Devant les panneaux d’un format parfaitement été accueillie en Avignon, au Palais des papes, puisqu’ils inventèrent la rhétorique, firent la à la Nature se fondait sur une quête d’harmonie, carré, notre regard est, au premier abord, hap- de mai à septembre 1970. Nombre de critiques, promotion du doute comme système de pen- non sur un rapport de domination. C’est pour- pé par l’omniprésence des couleurs, franches, déroutés par l’érotisme débridé et solaire d’un sée et introduisirent le relativisme. Ce prin- quoi les emprunts au judéo-christia- vives, contrastées qui ne laissent transparaître vigoureux artiste de 89 ans, avaient qualifiés cipe, suivant lequel il n’y a pas « une vérité », 2 « Dieu dit : « Faisons l’homme à nisme sont absents de ses œuvres, aucune tiédeur mais suggèrent au contraire ses tableaux de « barbouillages obscènes ». Or, parce que celle-ci est contingente, subjective, notre image, selon notre ressem- puisque - relisons Genèse I, 26-31 une rare impression de force. Même le rose lorsqu’il était venu vérifier l’accrochage avant qu’elle change en fonction du lieu, de l’époque blance. Qu’il soit le maître des pois- - la place assignée à l’humain dans perd ici son caractère trop souvent « mignard », l’ouverture au public, le peintre avait fait enle- ou du milieu dans lequel nous grandissons, sons de la mer, des oiseaux du ciel, le Livre repose précisément sur la comme disait Théophile Gautier. des bestiaux, de toutes les bêtes sau- ver tous les cadres, parce qu’il voulait confron- nous laisse une totale liberté d’appréciation, soumission de la Nature2. Surgit en vages, et de toutes les bestioles qui ter ses toiles aux seuls murs bruts. Cette op- renforcée par les sophistes les plus hardis pour vont et viennent sur la terre.» Dieu revanche sur les Plexiglas tout un Nous sommes aussi frappés par l’appropriation position des matières n’avait probablement pas lesquels la vérité n’existe pas et que ne coha- créa l’homme à son image, à l’image monde animal, végétal, minéral, my- totale de l’espace que se réserve l’artiste ; le été étrangère à la réaction effarouchée des bitent et ne se confrontent que des points de de Dieu il le créa, il les créa homme thologique, où la place de l’Homme graphisme occupe toute la surface des pan- journalistes spécialisés dont nous mesurons au- vue. Dès lors, les perspectives qui s’offrent à nous et femme. Dieu les bénit et leur dit : (au sens générique du terme) n’est, neaux, l’envahit, sollicite en permanence notre jourd’hui le caractère profondément erroné... deviennent infinies. «Soyez féconds et multipliez-vous, bien entendu pas oubliée sans tou- œil, ne nous laisse aucun blanc, aucune plage remplissez la terre et soumettez-la. tefois que lui soit l’épicentre du sys- de vide sur laquelle nous pourrions, un ins- Avant d’aborder « Les Quatre piliers du ciel », C’est exactement ce dont nous avons besoin ici ; Soyez les maîtres des poissons de la tème. Les figures qui nous sont pro- tant, nous reposer. La tension est permanente. pour apprivoiser notre regard, nous ferons ajoutons qu’en cela, les Sophistes se rappro- mer, des oiseaux du ciel, et de tous posées appartiennent aux registres Par ailleurs, la répétition de certains motifs les animaux qui vont et viennent sur profit de nous débarrasser des préjugés liés à chaient de leur presque contemporain, Confu- iconographiques précolombiens, (fleurs de lotus ou de cerisier japonais, oiseaux, la terre.» Dieu dit encore : «Je vous une culture occidentale dominée par la double cius, pour lequel l’univers obéissait à une har- donne toute plante qui porte sa se- égyptiens, grecs, indiens, amérin- formes géométriques) nous ouvre les portes influence - l’une renforçant l’autre - de la philo- monie qui devait être préservée. Or, selon le mence sur toute la surface de la terre, diens et japonais. L’artiste a exploré d’une perception quasi-hypnotique ; elle nous sophie platonicienne et du judéo-christianisme. philosophe chinois, parce que cet univers était et tout arbre dont le fruit porte sa ces cultures, en majorité panthéistes semble la traduction picturale de la danse infi- Car l’univers proposé par Jean-Pierre Sergent en perpétuel mouvement, toutes ses compo- semence : telle sera votre nourriture. ou animistes, voire chamaniques ; il nie des derviches tourneurs ou des mantra ré- s’affranchit des appréciations binaires qui nous santes devaient, elles aussi, se déplacer pour Aux bêtes sauvages, aux oiseaux du continue de s’y frotter. On pressent pétés jusqu’à l’épuisement par les bouddhistes sont si familières et sur lesquelles se fondent que l’harmonie demeure. De ce constat, dé- ciel, à tout ce qui va et vient sur la qu’à l’image d’Antonin Artaud visi- et les hindouistes, dont le but est de conduire nos jugements, de l’autochtone et de l’exotique, coule une conséquence qui traduit la vision du terre et qui a souffle de vie, je donne tant les Tarahumaras du Mexique, ceux qui s’y adonnent à une dimension paral- de l’archaïque et du moderne, du bien et du mal, monde dans une partie de l’Asie : il n’existe pas comme nourriture toute herbe verte.» son but est d’y rechercher « une lèle ou supérieure qui aboutit, pour certains Et ce fut ainsi. Et Dieu vit tout ce qu’il de la Vérité et de l’hérésie, du blanc et du noir, de bien ni de mal défini pour l’éternité comme nouvelle idée de l’homme ». L’œuvre privilégiés à la transe, pour beaucoup d’autres 8 de la lumière et des ténèbres. beaucoup le croient en Occident ; ce qui est avait fait : c’était très bon. Il y eut un est à la mesure de l’ambition. à une forme de spiritualité. 9 soir, il y eut un matin : ce fut le si- xième jour. » Genèse I, 26-31.
Ces panneaux nous proposent une expérience La « forêt de symboles » (le mot est de Baude- avec la figure emblématique de Baubo - deux En puisant ses sources dans ces cultures mé- optique exactement opposée à celle que nous laire évoquant la Nature que, cependant, ce représentations symboliques du Féminin qui connues ou oubliées, Jean-Pierre Sergent pourrions vivre, par exemple, devant les Nym- dandy urbain ne goûtait guère) dans laquelle rappellent furieusement L’Origine du monde les fait connaître et les ravive. « Tant qu’on en phéas de Claude Monet conservés au musée nous pénétrons traduit par sa densité toutes de Gustave Courbet. parle, elles ne disparaissent pas », écrit-il. Voilà de l’Orangerie. Placés à très courte distance des les préoccupations de l’Homme depuis qu’il qui rappelle l’un des ressorts narratifs que Jean Nymphéas, nous percevons une peinture abs- prit conscience de son existence et s’interro- Que l’on ne s’y trompe pas, chez Jean-Pierre Ray avait introduit dans son roman Malpertuis : traite composée de touches de couleur et ce gea sur la place qu’il occupait dans l’univers : Sergent, l’érotisation ne se confond pas avec les dieux de l’Olympe sont appelés à s’estom- n’est qu’en nous éloignant doucement que, pro- fertilité, beauté, plaisir, cycles de vie, souf- le libertinage ; elle fait appel à des énergies vi- per jusqu’à la transparence dès lors que l’on ne gressivement, le sujet figuratif apparaît. Ici, vue france, peur de l’inconnu, finitude (donc mort), tales qui se situent sur un plan très éloigné de parle plus d’eux... L’œuvre du peintre, par sa de loin, l’image semble relever d’une abstraction nécessité, tentation ou illusion du ciel. Sans ce degré zéro du corps que serait l’obscénité. dimension métaphysique, invite à la contem- basée sur la densité picturale et c’est en nous oublier tous les rituels qui y sont attachés et Sexualité et spiritualités ont toujours été liées plation, à la méditation. Mais elle propose aussi rapprochant que nous découvrons des formes agissent comme des rites de passage, lesquels dans les sociétés anciennes, comme le corps au au regardeur une forme inattendue de fusion bien concrètes. Encore nous faut-il faire travailler se transmettent de générations en généra- cosmos, le plus souvent au rythme des saisons, avec elle-même, dans la mesure où le support notre regard pour comprendre ce que les diffé- tions. Le profane et le sacré, ici, voisinent ; ils jusqu’à ce que le courant de pensée orienté de Plexiglas permet au spectateur de voir son rentes couches superposées par l’artiste recèlent se complètent au lieu de s’opposer. vers l’idéal ascétique (religions abrahamiques, reflet inclus dans les méandres graphiques, dans leur infinie variété. platonicisme) ne viennent les opposer, ré- comme si l’ultime strate de la composition dé- Jean-Pierre Sergent travaille ses compositions Bien difficile, pour ceux qui ne se sont pas duisant la spiritualité au respect de quelques pendait de lui. par strates successives - sa technique, la sérigra- affranchis de leur schéma habituel, de leurs dogmes et tabous. La « moraline » que dénon- phie, lui permet toutes les libertés à cet égard. Il échelles de valeurs arbitraires, d’accepter que çait Nietzsche, cette morale doloriste située Déesse indienne Lajja Gauri devient alors évident que nous ne pouvons pas profane et sacré cohabitent au sein de ces pan- en dehors de l’éthique et que Paul Valéry dé- nous fier aux apparences, que, comme dans ces neaux en dehors du rapport hiérarchique clas- finissait comme l’obligation de faire ce qui est villes du Levant, dont les archéologues nous ont sique, le premier étant supposé vil et le second désagréable et l’interdiction de faire ce qui montré qu’elles avaient été construites les unes noble. Que des symboles sacrés se superpo- est agréable, a rompu ce lien entre sexualité sur les autres au fil des siècles, une forme en dis- sent à des scènes d’un érotisme puissant re- et spiritualité que l’artiste s’emploie avec brio à simule (et, finalement, en révèle) toujours une ou haussé de textes crus (l’art échappe à la notion retisser. Travail de Titan bien plus que de den- plusieurs autres dans un foisonnement inattendu. moralisatrice de pornographie) issus de Hantai telière ! Mais il est ici dans son rôle légitime, car Cette exploration ne se limite pas à nous réserver japonais, voilà qui choque l’esprit conservateur l’art échappe au droit commun. Promoteur de des surprises, elle constitue une réelle initiation, sans doute, mais aussi celui supposé progres- la liberté de création et de l’autonomisation de un parcours destiné à nous rapprocher du peintre siste que Philippe Muray nommait homo festi- l’art, Baudelaire, en préparant sa défense lors en tant que passeur, à tutoyer les mystères de sa vus, ouvert à tout divertissement proposé, of- du procès des Fleurs du Mal, l’avait écrit à son création, à partager des pans de son univers. ficiellement libre, mais en réalité très encadré avocat dans une formule restée célèbre : « Il La confrontation, le télescopage - ou bien plu- par une bien-pensance rapidement pudibonde. y a plusieurs morales. Il y a la morale positive tôt le dialogue - d’éléments symboliques issus et pratique à laquelle tout le monde doit obéir. de cultures différentes, réalisés à des périodes Pourtant, en organisant cette cohabitation, Mais il y a la morale des arts. Celle-ci est tout parfois fort éloignées l’une de l’autre, surprend Jean-Pierre Sergent ne fait que se rappro- autre, et, depuis le commencement du monde, notre œil fort peu habitué à une telle diversité. cher des rituels de fécondité omniprésents les arts l’ont bien prouvé. Il y a aussi plusieurs Il nous faut faire un effort pour que se tissent dans les cultures premières, mais aussi dans sortes de libertés. Il y a la liberté pour le génie des liens dont la logique ne s’impose pas spon- l’hindouisme, à travers la déesse de la ferti- et il y a une liberté très restreinte pour les po- tanément à nous, mais qui aboutissent pourtant lité Lajja Gauri qui, cuisses écartées, expose lissons. » Lorsqu’ils créent, les artistes ne sont 10 à une réelle cohérence. un sexe largement ouvert, et la Grèce antique pas des polissons... 11
DE LA BEAUTÉ ET CETERA... Je vous laisse découvrir le Night Navaro song : par Jean-Pierre Sergent Dans la beauté, je marche Digressions sur les harmonies et les dissonances, Avec la beauté devant moi, je marche ou une brève réflexion sur le concept de la Avec la beauté derrière moi, je marche beauté au travers de l’image dans l’histoire Avec la beauté au-dessus de moi, je marche La beauté, quelle horreur ! Quel concept stu- Avec la beauté au-dessous de moi, je marche pide ! Quel pis-aller ou ersatz utopique et rin- Avec la beauté tout autour de moi, je marche gard ! Pourquoi ne pas parler plus simplement Tout est fini dans la plénitude de la violence et de la laideur du monde actuel, Tout est fini dans la plénitude. du fun et du Like...? Il me semble cependant que ce concept habite On peut vraiment rêver de vivre dans une so- l’esprit humain depuis les premiers tatouages, ciété aussi évoluée intellectuellement et spiri- les premiers vêtements, les premiers outils, les tuellement (il n’est pas facile de prendre une premiers dessins magico-cosmiques d’animaux, décision aussi irrévocable que celle-là) et si depuis que la pensée humaine émerveillée s’est on cherche un peu au cours de l’histoire hu- ouverte au monde et s’est tournée vers le beau, le maine, on se rend compte que bien souvent sensuel, l’universel, le transcendant, l’immanent ! ces périodes un peu paradisiaques avec le fleurissement de tous les arts : musique, pein- BEAUTÉ - VIVANTE ture, sculpture, poésie, etc. ont été possibles Pour certains peuples comme lorsque les gens vivaient en assez petites com- les Navajos, il semble que le munautés et qu’il n’y avait pas de problèmes concept de beauté ait été particuliers, ni de guerres, ni de périodes de important, essentiel même, famines extrêmes, ni de volonté trop forte comme l’est pour nos contem- d’expansion. C’est en fait comme une espèce porains la volonté de vivre d’âge d’or paradisiaque, aux temps cycliques dans la richesse ou pour les et immuables, rempli de paix, de bonheur et moines bouddhistes de vivre de sensualité. Aurais-je pu invoquer Gauguin dans la pauvreté ! C’est donc et Manaò Tupapaū ? une décision collective et in- telligente qui a été prise de — manière collégiale et empi- BEAUTÉ - VARIABLE rique au cours de l’histoire de On peut aussi se rendre compte que ce qui leur tribu. Décider de s’entou- est beau à une certaine époque et en un cer- Couverture Navajo, rer de beauté dans les parures, tain lieu, sera sans doute, sauf pour quelques 1860-1870 les chevelures, les bijoux, les danses, les gestes esprits ouverts, avertis et éclairés, ressenti The Michael C. Rocke- d’amour, les adobes et lors de leurs cérémo- comme étant d’une laideur extrême et pourra feller Memorial Collec- nies rituelles pour les naissances, les mariages provoquer même la répulsion et la violence tion, Bequest of Nelson A. Rockefeller, 1979 ; et les enterrements, est une décision sensée, destructrice de celui qui regarde cet objet. 12 forte et pertinente ! Comment ici ne pas évoquer l’exemple criant 13 New York Metropolitan Museum
de la destruction de tous les artefacts mexi- de presque toutes les cultures traditionnelles. su se montrer curieux et bienveillants et ils ont de sang, hérissé, tel qu’une cosse de châtaigne, cains lors de la conquête du Mexique par les Pourtant, les œuvres d’art premier ont pour su accueillir des objets et des idées, si ceux-ci par les échardes des verges restées dans les célébrissimes conquistadores qui ont détruit moi, artiste, une importance esthétique capi- leur présentaient un intérêt quelconque. Il faut trous des plaies ; au bout des bras, démesuré- par le feu pratiquement la totalité des codici tale et elles montrent une cohérence philo- rappeler que derrière chaque œuvre d’art ou ment longs, les mains s’agitent convulsives et mayas ou aztèques ? sophique parfois non atteinte en Occident. de réalisation humaine, il y a non seulement griffent l’air ; les boulets des genoux rapprochés Malheureusement, les pensées de l’époque l’artiste avec son vécu et sa culture, mais éga- cagnent, et les pieds, rivés l’un sur l’autre par un n’ont pas permis de reconnaître l’altérité de lement toute sa famille, sa société avec l’his- clou, ne sont plus qu’un amas confus de muscles nos semblables et de respecter l’autre dans toire de la culture commune au groupe : phi- sur lequel les chairs qui tournent et les ongles sa diversité humaine et culturelle. À l’opposé losophique, technologique, religieuse ou athée devenus bleus pourrissent ; quant à la tête, cer- de cela, les cultures premières, animistes et (mais finalement l’athéisme semble n’être qu’un clée d’une couronne gigantesque d’épines, elle polythéistes, semblent toujours avoir été ico- monothéisme inversé) dans lesquelles l’artiste s’affaisse sur la poitrine qui fait sac et bombe, nophiles et avoir compris que l’image précé- ou le groupe d’artistes évolue. Par exemple, rayée par le gril des côtes. Ce Crucifié serait dait le verbe et véhiculait aussi des concepts peut-on être encore ému aujourd’hui devant une fidèle réplique de celui de Carlsruhe si l’ex- plus complexes, plus puissants et plus subtils toutes ces scènes de crucifixions du Christ pression du visage n’était autre. Jésus n’a plus, que l’écriture et la parole ne le permettaient. trônant comme des trophées de chasse dans en effet, ici, l’épouvantable rictus du tétanos ; la Je citerai en exemple ces quelques phrases de tous les musées d’Europe en étant athée, au- mâchoire ne se tord pas, elle pend, décollée, et Leonard Shlain, qui analyse dans son livre les trement qu’en partageant avec compassion la les lèvres bavent.» conflits historiques entre l’image et le texte et douleur de l’homme Christ assassiné et laissé Trois Églises et Trois Primitifs, ses implications induites en rapport à l’image pour compte injustement ? Joris Karl Huysmans en général et à celle du corps de la femme en particulier : Il faut lire attentivement la su- Cette peinture d’un réalisme cru, presque perbe description de La Cruci- obscène, transcende son époque tout en ex- Codex Fejervary-Mayer (codex aztèque) «The sexual orientation of the alphabet can be fixion de Matthias Grünewald primant le réalisme d’une souffrance indicible unmasked by studying the myths of the peoples par Huysmans : face à la cruauté d’un monde déchiré par la who used it. Upon learning the alphabet, both misère et les guerres de religion, les dogmes women ad men turned away from the worship «Au milieu du tableau, un Christ moraux stupides qui réprimaient la jouissance Il faut lire à ce sujet Diego de Landa qui, après of idols and animal totems that represented the géant, disproportionné, si on du corps dans sa dimension jubilatoire pour im- que lui-même ait détruit des centaines et peut- images of nature, and began paying homage to le compare à la stature des poser une vision uniquement salvatrice par un être même des milliers de codici et de statues the abstract logos. A God with no face replaces personnages qui l’entourent, mimétisme dans la douleur et la mort du Christ. sacrées dans le Yucatan, écrivit malgré tout the sacred images that had hitherto transfixed est cloué sur un arbre mal dé- Pour ma part je préfère, et de loin, non les le seul témoignage à propos des rites et tra- the faithful. The alphabet-people’s god be- cortiqué, laissant entrevoir par peintures, ni les sculptures des musées, mais ditions des mayas. Les croyances religieuses came indisputably male and he would became places la blondeur fraîche du tous ces objets et ces images se référant à des monothéistes et iconoclastes ont toujours disconnected from the things of the earth. He bois, et la branche transver- actes de création, de fertilisation, de régéné- été assassines envers le concept de la beauté was abstract, nowhere, and yet everywhere at sale, tirée par les mains, plie ration du monde et du vivant lors des rituels universelle et transcendante. Leurs pensées once.» et dessine, ainsi que dans le de passages dans les cérémonies tribales, ainsi monolithiques alliées au besoin d’expansion The alphabet versus the Goddess, Crucifiement de Carlsruhe, que les incarnations divines comme les images géographique et à la spoliation systématique Leonard Shlain la courbe bandée de l’arc ; le du couple des dieux créateurs des aztèques des richesses indigènes, sont responsables, corps est semblable dans les Huitzilopochtli et Coatlicue ou également Kali par des a priori négatifs, prétentieux et stu- Ces peuples préhistoriques, prébibliques ou deux œuvres ; il est livide et la déesse indienne, la dévoreuse d’hommes, 14 pides, de la destruction et de la disparition pré-alphabétisés, ont pour la plupart toujours vernissé, ponctué de points maîtresse de la vie et de la mort ! 15 Monolithe de Coatlicue Musée National d’Anthropologie et d’Histoire de Mexico
«Assise sur un lotus blanc qui sort des eaux, forte contre l’ordre moral et les codes esthé- clin d’œil, aux images de corps de femmes Pour apaiser un peu ces propos, lisons attenti- elle emplit l’Univers de sa splendeur. Dans ses tiques. Je citerai comme exemples Les Demoi- nues issues de l’imagerie érotique «populaire» vement et calmement ce petit passage du livre mains elle tient des ciseaux, une épée, une tête selles d’Avignon de Picasso, mais également contemporaine qui sont en corrélation avec les d’Alain Daniélou qui illustre exactement mes de mort, un lotus bleu ; ses ornements sont des son Guernica, qui calquent exactement la vio- sujets «élitistes» de ces peintures «vulgaires». idées : serpents qu’elle porte comme ceinture, boucles lence ressentie par tous les hommes d’Europe Car Il faut aussi bien entendu évoquer ici le chef- d’oreilles, colliers, brassards, bracelets et an- à ce moment précis et qui revient comme un d’œuvre qu’est l’Origine du Monde de Gustave L’Aurore neaux de chevilles. Elle a trois yeux rouges, boomerang aux yeux du public ! C’est l’image Courbet, dépictant dans ses détails un sexe, un «Dans le Rig Veda, l’Aurore, Uchas, apparaît d’effrayantes tresses fauves, une magnifique miroir de la guerre qui est la plus grande et la ventre et des seins de femme. Cette peinture comme une fille qui découvre ses seins pour ceinture, des dents terrifiantes. Elle porte au- plus ultime des transgressions humaines, re- a été exposée à nouveau à l’été 2014 au Musée être admirée. Toujours jeune, elle repousse tour des reins la peau d’une panthère. Son dia- tournée vers le spectateur, mais sublimée par Courbet d’Ornans et a sans aucun doute susci- l’obscurité et éveille tous les êtres vivants. Elle dème est fait d’ossements blanchis. Telle est l’art et le génie de l’artiste. té encore une fois, à cette occasion, des défer- se meut sur un char splendide, Sœur de la Nuit pour nos méditations la forme de Târâ*, mère lements de cris d’orfraie éructant au scandale ! elle est l’épouse ou la maîtresse du Soleil, la des trois mondes, assise sur le cœur d’un mort, fille du ciel.» Alain Daniélou, op. cit. son visage resplendissant de la puissance de Et moi de m’exclamer en criant et hurlant dans l’Incorruptible.» mes cauchemars nocturnes : « Mais stupides Ses seins magnifiques exposés ici m’ont fait abrutis, êtres malheureux, incultes et malveil- aussi fortement penser à la très belle chanson * Târâ l’Étoile, la puissance de la faim et de la lants ! N’êtes-vous pas également sortis un jour Le gaz, de Jacques Brel : nuit-de-colère, est un autre aspect de la déesse — du sexe de votre mère, la vagina dentata ? Avez- Kâlî. Elle est la puissance de l’embryon-d’or, la BEAUTÉ - DÉSIR vous si honte de votre corps qu›il faudrait qu’on «Tu as des seins comme des soleils première localisation cosmique à partir de la- «LA BEAUTÉ SERA vous l’amputât ? Pensez-vous être des gens si Comme des fruits, comme des r´posoirs quelle le monde se développe. Elle représente CONVULSIVE OU évolués que le corps ne vous concerne plus ? » Tu as des seins comme des miroirs la puissance transcendante de l’espace, corol- NE SERA PAS.» Comme des fruits, comme du miel laire de la puissance transcendante du temps.» Nadja, André Breton Et pour encore et à nouveau abonder dans Tu les recouvres, tout devient noir Mythes et dieux de l'Inde, ce sens : Tu les découvres et je deviens Pégase Alain Daniélou Peut-on être ému autrement que par le désir Lelio Orsi, Tu as des seins comme des trottoirs brutal, convulsif, sexuel et violent devant les Léda et le cygne «Imbéciles mortels ! Vous croyez être maîtres Et moi et moi et moi musée des beaux-arts chairs voluptueuses de Rubens, comme dans d’éteindre les passions que la nature a mises Je viens pour le gaz.» et d’archéologie sa provocante Léda et le Cygne de 1598. Cette de Besançon dans vous. Elles sont l’ouvrage de Dieu. Vous œuvre représente vraiment littéralement une ©Chipault & Soligny voulez les détruire, ces passions, les res- scène sexuelle orgiaque univoque de bestia- treindre à de certaines bornes. Hommes in- Racontons maintenant la très belle histoire lité. Parfois la mythologie grecque a bon dos sensés ! Vous prétendez donc être de seconds mythologique de la Déesse égyptienne Nout. — et même si le divin Ovide est un grand poète, créateurs plus puissants que le premier ? Celle qui le soir avale le soleil ou le sexe BEAUTÉ - TRANSGRESSION cette peinture est quand même une gageure Ne verrez-vous jamais que tout est ce qu’il doit d’Amon-Rê (par un acte de fellation), qui la Dans des sociétés contemporaines très com- envers la morale bourgeoise de l'époque ! être, et que tout est bien ; que tout est de Dieu, nuit copule avec Geb (le dieu de la Terre) et plexes et «non-harmoniques», où il existe beau- Sous un autre angle, on peut citer la peinture rien de vous, et qu’il est aussi difficile de créer digère le soleil pour ; le matin, le recracher coup de tensions sociales provoquées par de Balthus, La jeune fille à la chemise blanche, une pensée que de créer un bras ou un œil ?» et en accoucher de son ventre au-travers de l’énormité des systèmes étatiques et les iné- qui montre une adolescente exposant ses son sexe de femme fertile... Ses corps, amants galités financières qui uniformisent de force la seins nus, et qui aujourd’hui encore fait l’ob- Thérèse Philosophe, Boyer d’Argens millénaires en action, et ses actes symbo- pensée individuelle, la beauté et l’art peuvent jet de controverse lors de ses présentations lisent ici les portes matricielles du Monde, la 16 avoir une valeur échappatoire et transgressive au public. Je pense également ici, comme un «palingénésie» cosmique des cycles répétitifs 17
diurnes et nocturnes et donc par-là même la cette aspiration à la beauté, d’amour et d’attention. Ainsi n’a-t-on pas en- — création du Temps et de l’Éternité régénérés n’impliquent pas seulement vie de prendre tendrement dans ses bras les BEAUTÉ - ÉROS et soutenus quotidiennement et en perma- d’être beau ou belle sociale- femmes, nues, d’Amedeo Modigliani ? Mais «Ici l’arbre lui apparaît comme un Être vivant, nence par les coïts nocturnes incessants de ment et bourgeoisement par- cette poésie du désir peut aussi se retourner debout, la tête en bas, enfouie dans la cheve- ces dieux égyptiens démiurges et coquins... lant comme on peut l’être au- en violence, en destruction massive, comme lure de ses racines, dressant des jambes en l’air, jourd’hui, mais plutôt d’être en dans les peintures de De Kooning ou encore, les écartant, puis se subdivisant en de nouvelles Pourquoi toutes les cultures antiques, tribales, harmonie, depuis l’intérieur du comme dans le célèbre film japonais L’Empire cuisses qui s’ouvrent, à leur tour, deviennent archaïques, premières ou préindustrielles corps (le microcosmos) jusqu’à des sens, avec cette femme ivre de désir fou, de plus en plus petites, à mesure qu’elles avaient su garder une poésie en rapport à l’in- la dernière étoile de l’Univers qui ne veut plus donner la vie, mais commettre s’éloignent du tronc ; là, entre ces jambes, une tégrité et à la totalité du corps : pieds, jambes, (le macrocosmos) ! Ce serait un crime passionnel, tuer son amant en l’étran- autre branche est enfoncée, en une immo- cuisses, sexe, anus, ventre, intestins, nombril, peut-être juste une question glant pour le faire jouir et le castrer ensuite bile fornication qui se répète et diminue, de seins, bras, mains, épaules, tête, bouche, yeux, de le vouloir férocement et de Pendeloque phallique pour partir avec son sexe dans son sac à main. rameaux en rameaux, jusqu’à la cime ; là encore, oreilles, cheveux, muscles, os, squelettes, etc. l’espérer à nouveau collective- coll. du MBAA Car au fin fond des cycles du désir et de la vie, le fût lui semble être un phallus qui monte et et la totalité de ses fonctions : manger, danser, ment, comme l’ont fait en leur il y a bien sûr la mort, et le cycle de la vie conti- disparaît sous une jupe de feuilles ou bien, il déféquer, pisser, parler, écouter, voir, baiser, temps les indiens Navajos et nuera ainsi éternellement, avec une naissance sort au contraire, d’une toison verte et plonge enfanter, se masturber, vomir, jouer, mourir, etc. tellement d’autres peuples nouvelle dans un autre corps de femme. Ainsi dans le ventre velouté du sol.» Alors que les sociétés occidentales, ainsi que dans l’histoire ! va la Vie ! Là -bas, Joris Karl Huysmans la plupart des sociétés sous l’emprise des pen- sées monothéistes, permettent uniquement Comme le montre ici très bien Huysmans, de montrer et d’évoquer quelques parties et l’Éros est toujours ce qui déborde, ce qui n’a fonctions choisies de ce corps ? Pourquoi im- — pas de limites, pas de frontières, pas de ban- posent-elles de toujours devoir le représen- BEAUTÉ - FEMMES nières, pas de morale, pas de justification, pas ter habillé, caché, mutilé, castré, souffrant et On pourrait écrire des volumes de religion : c’est juste l’impulsion de la libido asexué ? Est-ce afin d’inculquer au peuple la entiers sur la beauté féminine puissance X ! La force vitale dans son intégri- honte et les manières de soustraire tous les dé- et remplir des rayonnages de Lampe à huile té brute, violente, insubmissive, qui ne laisse coll. du MBAA sirs et les trésors du corps et de ses fonctions bibliothèques et ce dans le aucune place, ni aux sentiments, ni à l’amour, si normalement et si naturellement offerts à monde entier et parmi toutes ni à la raison. C’est comme un navire qui nous toute la sensualité du Monde ? Où sont passés les cultures, ce qui est déjà largement le cas emmène sur l’océan des désirs et dont nous ne toutes les métaphores joyeuses, tous les liens, et serait donc totalement inutile... De la beau- sommes absolument pas capitaine, ni même toutes les connections qui nous unissaient har- té des cariatides grecques soutenant le toit copilote ! Enchaînés au désir comme Ulysse, à moniquement au Monde, à la Terre, à la Mer du Parthénon d’Athènes, avec leurs corps de entendre le chant de ces sirènes lancinantes, et au Cosmos ? Pourquoi aujourd›hui encore vestales gardant virginalement l’entrée de sensuelles, dansantes comme Kali, érotico-sub- et toujours traiter les artistes et les poètes temple-matrice que l’on a si envie de péné- versives et lascives en attendant un plaisir de fous et de déséquilibrés mentaux et avoir trer. Cette beauté féminine grecque émut sexuel inassouvissable... Intemporellement les interné Artaud ? Ne pourrait-on pas intégrer fortement l’Occident, depuis la Renaissance, hommes ont témoigné, au travers de toute leur complètement et intelligemment la notion de grâce à sa beauté classique, mais également iconographie, des plaisirs qu’ils avaient à satis- la beauté et du plaisir dans notre manière glo- grâce à sa sensualité fière et spirituelle au faire ces pulsions sexuelles avec une diversité bale de penser la Vie et serait-ce un but si inat- corps de marbre. La beauté féminine est bien Félix Vallotton, Baigneuse assise sur un rocher, 1910 imaginative infinie et joyeuse. Il faut regarder teignable ? Ne soyons donc plus si orphelins sûr multiple, avec tous les grains de peau, musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon ces images du célèbre Manuscrit de Turin ! La 18 du Monde et de la Beauté, car cette notion, tous les sourires du monde, tous les gestes ©Chipault & Soligny première fois que j’en ai vu une reproduction 19
au Musée de Vienne, j’ai été ébloui par l’éro- — malgré soi ? Ces prêtres entrés en extase mys- démonte et le reconstruit dans son rêve, éclai- tisme et la liberté d’exécution de son conte- BEAUTÉ - EXTASE tico-cosmique, incarnateurs des dieux, régéné- rant ce monde intérieur de sa propre lumière. nu. Les sculptures à l’extérieur du temple de «L’extase, c’est coopérer à la divine rateurs du monde, après avoir arraché le cœur Il n’y a là ni chars, ni jougs, ni chemins, mais il Khajurâho, en Inde sont aussi tellement sen- création du monde.» de leur victime et d’en avoir bu le sang et re- fait jaillir de lui-même des chars, des jougs, des suelles et incitatives à l’amour qu’il est difficile L’infini turbulent, vêtu la peau ! Et qui aujourd’hui n’est pas fasci- chemins. Il n’y a pas là de joies, de bonheurs, de rester de marbre devant ces chefs-d’œuvre Henri Michaux né par toutes ces images pornographiques de de plaisirs, mais il fait jaillir de lui-même des de l’art érotique ! De même que devant les femmes saisies sur le vif dans un état de climax joies, des bonheurs, des plaisirs. Il n’y a pas là forces à la fois positives et négatives émanant «For the (Takuno) Indian the hallucinatory ex- sexuel orgasmique et recevant sur leur visage, de lacs, d’étangs, de lotus, de rivières, mais il de Kali : vie-mort, construction-destruction ! perience is essentially a sexual one. To make les seins, les sexes des giclées de sperme vis- fait jaillir de lui-même des lacs, des étangs, Et la femme grecque qui s’enfonce des grands it sublime, to pass from the erotic, the sensual, queux et océanique en continu, tout en éjacu- des lotus et des rivières, car il en est le créa- et longs sexes dans son vagin et son anus de to a mystical union with the mythic era, the in- lant à leur tour de leurs sexes béants comme teur.» Upanishad, Daniélou, op. cit. bacchante, tentant l’orgasme sur ce vase peint tra-uterine state, is the ultimate goal, attained des grottes, des flots de pisse spasmés par les par Épictète il y a plus de vingt-cinq siècles... by a mere handful but coveted by all.» tempi musculaires des orifices déchaînés ? Le désir est comme la mort, il n’arrête jamais The strong eye of shamanism, — sa course et ce qui nous caractérise, nous les Robert E. Ryan BEAUTÉ - GÉOMÉTRIE humains, c’est d’avoir pu apprivoiser cette ré- — vélation-force au travers de l’art. Montrer au travers d’une œuvre d’art un corps BEAUTÉ - RÊVE en extase, qu’elle soit spirituelle ou sexuelle, ou “Pourquoi peindre les choses, quand elles ap- les deux à la fois, peut avoir une valeur éduca- paraissent tellement plus belles en rêve ?” tive transcendante forte. Qui n’est pas fasciné par la scène chamanique de l’homme oiseau Un moine peintre du Moyen Âge, médiocre, ithyphallique du puits de Lascaux ? Qui n’est impuissant et désespéré devant sa triste ré- pas impressionné non plus par le corps et le alisation picturale, vit en rêve la nuit suivante visage de sainte Thérèse d’Avila, déformés par la scène qu’il essayait de peindre désespéré- ce qu’elle appelle la révélation ou la pénétra- ment. C’était tellement plus vivant, lumineux, tion de l’amour divin ? Qui n’est pas également harmonieux et sublime qu’il dit cette très belle fasciné par la violence et également la vérité phrase dans le film du Décameron de Pasolini. Il Mosaïque (détail), musée des beaux-arts et d’archéologie crue, vitale et essentielle des scènes de sacri- est vrai que le pouvoir onirique des rêves crée de Besançon ©Caroline Dreux fices humains mexicains, et cela pourtant bien parfois une beauté surréelle, où tout se mé- lange, fusionne, s›entrecroise, s›interpénètre, En toutes cultures, en tout temps et en tous dans une espèce de chant vibratoire lyrique, lieux, la géométrie a été un des supports pre- une ode à la vie, à l›amour et à la joie... Ces miers de l’architecture et de l’image, donc de rêves liant l›inconscient individuel et collectif, la beauté. On peut citer les canons permettant sont des portails vers d›autres mondes ima- de réaliser des dessins préparatoires pour les ginaires, dans cette Mâyâ hindoue où toutes peintures murales et les sculptures dans l’anti- Sculptures murales d’inspiration tantrique sur les réalités fusionnent, où tout est possible : quité grecque et égyptienne ou même indienne les murs du temple Kandarîya Mahadeveda à Khajuraho (Inde) / ©Jean-Pierre Dalbéra et méso-américaine, mais également le nombre «L’homme qui rêve en réalité recrée le monde. d’or qui semble être le nombre secret du déve- [...] Quand l’homme s’endort, il emporte avec lui loppement de toutes les formes organiques du 20 la matière de ce monde qui contient tout. Il le vivant ! La géométrie peut également exister 21 Luc Breton, La bienheureuse Ludovica Albertoni, musée des beaux-arts et d’archéologie de Besançon ©Chipault & Soligny
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