Les Nouvelles d'AFGHANISTAN - Des Afghans au sommet Exploit - AFRANE

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Les Nouvelles d'AFGHANISTAN - Des Afghans au sommet Exploit - AFRANE
Trente-et-unième année
                                                        N°128
                                                  Février 2010

                 Les Nouvelles
                                                   (1er trimestre)
                                                           6 Euros

                 d’AFGHANISTAN

                                                   Exploit
                         Des Afghans au sommet
                                        Reconstruction
                    Reconstruire l’armée de l’air
                                             Economie
                 L’organisation économique dans
ISSN 0249-0072

                                     les villages
Editorial                                                                           Les Nouvelles
                                                                                        d’Afghanistan

La montagne et le chemin
                                                                                              SOMMAIRE N°128

L       es difficultés continuent de s’accumuler sur l’Afghanistan. Les statisti-
ques mesurant le degré de violence en Afghanistan vont toutes dans le même
                                                                                         PREMIERE
                                                                                         Des Afghans au sommet
                                                                                         par Régis LEFÈVRE                            3
sens. Que ce soit le nombre des attaques de l’insurrection tâlebân, le nombre            PROVINCE
des victimes civiles ou celui des soldats, ils sont tous en augmentation sensi-          Hérat Automne 2009 : Ombres et lumières
ble, si bien qu’on pourrait dire globalement que la violence a augmenté de 50%           par Guy CAUSSÉ                       6
d’une année sur l’autre. L’évolution politique n’est pas non plus très réconfor-
tante. Après des élections surréalistes, la difficulté pour M. Karzaï de former          RECONSTRUCTION
un gouvernement montre combien son régime a du mal à réunir des soutiens                 L’histoire des forces aériennes afghanes
                                                                                         par le Maj. Gal Mohammad DAWRAN 8
cohérents. Pour autant, la situation n’est pas aussi dramatique que l’on a ten-
dance à le penser et le terme de chaos qui est utilisé à satiété ne rend pas             La reconstitution de l’armée de l’air
bien compte de la réalité. Mais tout le monde sent bien que la confiance n’est           par le Brig. Gal GIVHAN                  10
plus là, que l’optimisme n’est plus de mise, qu’il faut tout reconsidérer. Un ami
m’écrivait ainsi : « des fois je regarde à la télé des images sur mon pays et je         SECURITE
pleure tout seul. Mon Dieu que nous sommes un peuple malheureux ! »                      Quelles sont les forces des Tâlebân?
La nouvelle tarte à la crème est qu’il faut rechercher une solution politique.           entretien avec Gérard CHALLIAND 12
Certes, il le faut, et tout le monde sent que l’action militaire sans limites ne peut
mener qu’à une impasse. Mais qu’entend-on par « solution politique » ? Est-ce            ECONOMIE
une politique de réforme et de redressement de l’Etat afghan, qui ferait que la          L’organisation économique dans les
                                                                                         villages afghans
population reprendrait cœur, croirait à nouveau en la justice, serait prête à se         par Elsa PIOU                            13
battre – pacifiquement – pour la défense de ses droits élémentaires ? Ou bien
s’agit-il de trouver un accord politique avec l’opposition armée, ou du moins            RELIGION
une partie d’entre elle ? Dans ce dernier cas, le risque serait un abandon ne            Un chameau sur le toit :
serait-ce que partiel des droits démocratiques (et notamment ceux des fem-               Le Soufisme en Afghanistan
mes) ? Le fait que l’Arabie saoudite pourrait servir d’entremetteur n’apporte            par Nadjib MANALAÏ                       18
guère de garantie dans ce domaine. Des voies existent certainement que les
diplomates sauront explorer, mais le sentier est étroit.                                 ONG
On aurait tort cependant de ne voir que du noir en Afghanistan. On pourra                L’action d’AFRANE                        21
glaner ici ou là dans ce numéro les signes que tout ne va pas mal. L’agricul-
ture a progressé, les revenus de l’Etat semble-t-il aussi, des projets industriels
naissent, l’inflation a reculé, l’Etat retrouve peu à peu sa souveraineté (par
exemple dans le domaine de l’armée de l’air).                                            DERNIERES NOUVELLES
                                                                                         Chronologie, brèves, bibliographie       23
Il est piquant de trouver cité plus loin à deux reprises, sous la plume de deux
auteurs qui ne se sont pas concertés, le même proverbe afghan. « Toute mon-
tagne, aussi élevée soit elle, possède un chemin sur elle-même ». Ce prover-
                                                                                         POESIE
be a bien trouvé son application au sens propre quand des alpinistes afghans             C’est un pays d’ailleurs
ont pu planter l’été dernier le drapeau afghan au-dessus du point culminant              par Alain LEBEAU                         36
de l’Afghanistan. Le récit qui en est fait dans ce numéro est très touchant et
en montre la portée symbolique. Un jeune réfugié afghan utilise ce même pro-
verbe pour décrire dans un livre recensé dans ce numéro son errance et son               Photo de couverture : Derniers effort vers
heureux aboutissement. Souhaitons, qu’avec l’aide de toute la communauté                 le mont Nochaq. Voir article pp. 2-5. Pho-
                                                                                         to Louis Meunier
internationale, tous les Afghans puissent voir réalisé ce proverbe dans leur vie
quotidienne.
                                                                     Etienne GILLE                      Adresse E-mail
                                                                  (Le 4 février 2010)             afrane.paris@gmail.com

                                                                                         Les Nouvelles d’Afghanistan
                 Site internet: www.afrane.asso.fr                                         16, passage de la Main d’Or -75011 Paris

2                                                                                                Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
PREMIERE

 Des Afghans au sommet
 par Régis LEFEVRE*
Le 19 juillet 2009, Malang et Amruddin hissent fièrement le drapeau afghan sur le sommet du Nochaq, point culminant d’Afghanistan. Photo Jean Annequin

« Il y a un chemin vers chaque sommet, même le plus haut1 »
Proverbe afghan.

Le 19 juillet 2009, à 14h30, des Afghans ont atteint pour la première fois le
sommet du Nochaq (7 492 mètres), le point culminant d’Afghanistan. Ce projet
« Les Afghans au Sommet » a été porté par des Français, amoureux de l’Afgha-
nistan. Voici le récit de cette expédition pas ordinaire.
La genèse de ce projet commence en 2007 par la rencontre                                      nir guides, le faible développement de l’activité ne leur laisse
entre Louis Meunier, organisant alors un trek dans le Wakhan                                  guère d’autre choix que de conserver leur métier. La dimen-
et le Pamir Afghan et 4 Wakhis, Gurg Ali, Malang, Afiat Khan                                  sion symbolique de cette aventure demeure donc une de leurs
et Amruddin. Vivant entre la vallée encaissée du Wakhan                                       motivations principales.
(3000 mètres) et les pâturages d’altitude l’été (jusqu’à 4 000                                Ce projet sera mené par Louis Meunier, Jérôme Veyret et Ni-
mètres), ces Wakhis sont des montagnards, confrontés aux                                      colas Fasquelle. Interviendront plus tard les guides de mon-
difficultés de leur environnement. Ces populations sont sou-                                  tagne Jean Annequin et Simon Destombes.
vent à la limite de la survie : carences et difficultés à effectuer                           Une expédition de cette nature ne s’improvise pas. Ses hom-
la soudure minent leur santé. Bien qu’ayant toujours vécu à                                   mes, si trois d’entre eux ont effectué un premier stage en
l’ombre des plus hautes montagnes d’Afghanistan, ils n’ont                                    2007 grâce à Mountain Wilderness, ne connaissent pas ou
jamais pu aborder le monde de la haute montagne et la volon-                                  n’ont pas pratiqué les techniques d’escalade de progression
té d’atteindre « leur » sommet les anime. Ils sont tous d’ori-                                sur neige, glace et rocher qui leur seront indispensables dans
gine modeste : l’un est instituteur, les autres éleveur, maçon                                leur ascension. L’association les fera donc venir en France
et cuisinier. Parfois, quand les rares occasions se présentent,                               un mois au printemps 2009, à Chamonix pour suivre une for-
ils guident des treks ou sont embauchés comme porteurs par                                    mation à l’ENSA (Ecole Nationale de Ski et d’Alpinisme).
les expéditions comme celle montée en 2003 (expédition                                        Occasion de découvrir un pays dont la richesse agricole sur-
Oxus) par Mountain Wilderness. Si certains rêvent de deve-                                    prend ces semi paysans : qualité de l’herbe, richesse de la
                                                                                              végétation (le Wakhan est très aride) ; vaches rebondies. Ma-
                                                                                              lang s’écrit : « si j’avais une seconde vie, j’aimerais être un
                                                                                              arbre et planter mes racines en France ». Leur motivation est
* Régis Lefèvre a voyagé dans le Pamir afghan et a publié un récit : « Voyage
au Pamir afghan » dans Les Nouvelles d’Afghanistan, n°114.                                    intense et ils font des rapides progrès, encadrés par les guides

Les Nouvelles d’Afghanistan n°128                                                                                                                               3
PREMIERE

                                                                   mètres), redescente au camp 1, montée et nuit au camp 3
                                                                   (6700 mètres). Le 12 juillet, l’équipe entière descend du
                                                                   camp 3 au camp de base pour se reposer une journée. Sans
                                                                   être défavorable, le temps n’est pas clément pour la saison :
                                                                   la neige tombe en abondance la nuit et, dès 6000 mètres, des
                                                                   bourrasques de vent s’abattent.

                                                                    Les membres de l’expédition
                                                                    Gurg Ali, 28 ans, quatre enfants. Il est l’instituteur du
                                                                    village de Kret. Il est motivé par la dimension symbo-
                                                                    lique du projet : un Afghan doit arriver au sommet du
                                                                    Nochaq.
                                                                    Malang, 35 ans, quatre enfants, cuisinier. Vit à Qazi Deh,
                                                                    à l’entrée de la vallée du Wakhan. La recherche de la cé-
                                                                    lébrité le motive dans ce projet.
                                                                    Afiat Khan, 28 ans, cinq enfants, maçon, vit à Qazi
Le camp de base. Au fond le mont Nochaq. Photo Louis Meunier        Deh. Ancien combattant, il a renoncé aux armes et veut,
                                                                    comme son père le fut avant la guerre, devenir guide de
                                                                    montagne.
de montagne.                                                        Amruddin , 25 ans, deux enfants, éleveur de bétail,vit à
D’obstacle en obstacle, l’expédition finit par se monter.
                                                                    Khandud, au milieu de la vallée. Il veut redonner à son
L’équipe française les rejoint fin juin (N. Fasquelle ne pourra
                                                                    pays sa fierté.
s’y joindre). L’expédition sera composée de huit membres
: quatre Afghans et quatre Français (dont les deux guides).         Louis Meunier, 30 ans, a vécu en Afghanistan de 2002
D’emblée, elle rencontre un écho dans la vallée : fierté de         à 2009. Il a joué au buzkachi dans l’équipe de Kaboul,
ces populations ismaéliennes, souvent discriminées, et pau-         a traversé l’Afghanistan à cheval et a organisé un trek
vres parmi les pauvres, à représenter leur pays. Elle reçoit        dans le Pamir en 2007.
le soutien des réunions de chura et d’anciens et l’aide des         Jérôme Veyret, 29 ans, journaliste, a vécu cinq ans en
chefs locaux. Les vieux racontent : « nous avons vu venir tant      Afghanistan comme journaliste.
d’étrangers planter leur drapeau sur nos montagnes ».               Nicolas Fasquelle, 33 ans, a vécu deux ans en Afghanis-
Le 2 juillet, l’équipe et ses 67 porteurs s’ébroue direction le     tan où il a coordonné des projets de recherche.
camp de base. Il faut d’abord passer par des pierriers pour         Et les guides de haute montagne : Jean Annequin, 38
éviter les champs de mines, plantées en 2000 pour prémunir
                                                                    ans, et Simon Destombes, 41 ans qui ont organisé de
la région de toute incursion des Tâlebân depuis le Pakistan.
                                                                    nombreuses expéditions à l’étranger
Le 5 juillet, ils atteignent une moraine, située juste au des-
sus du glacier principal. A 4660 mètres, le camp de base s’y        Ce projet a reçu l’aide diplomatique, logistique et finan-
installe.                                                           cier de la fondation de l’Aga Khan et de l’Ambassade
                                                                    de France en Afghanistan. Ont sponsorisé le projet la
                                                                    Guilde Européenne du Raid, les sociétés Direct Medica,
                                                                    SPB et Millet.
Risque
d’interdiction                                                      Pour en savoir plus, le site de l’expédition :
Le 6 juillet, une nouvelle s’abat sur l’expédition. En dépit des    www.noshaq.com
parrainages et des assurances reçus, un ministère a envoyé
une lettre enjoignant à la police du Badakhchan de mettre fin         De gauche à droite : Amruddin, Afiat Khan, Malang et Gurg Ali.
à l’aventure et de ramener l’équipe dans la vallée. Pendant           Photo Philippe Gauthier
deux jours, l’ambiance est lourde mais l’intervention de M
Jean d’Amécourt, Ambassadeur de France en Afghanistan,
règle la situation. Que s’est il passé ? Certains ont-ils pu se
sentir offensés que des Wakhis, chiites ismaéliens tentent de
gravir le sommet du pays ? Complexité afghane, qui compli-
que la lecture de tout évènement…
La progression reprend. Désormais, l’équipe s’est réduite à
huit, les porteurs n’allant pas plus loin. La progression est
lente entre crevasses et séracs. Surtout, la neige est tombée
en abondance cette année et il faut creuser une trace, tâche
épuisante. L’expédition effectue les va et vient nécessaires
à l’acclimatation : montée et nuit au camp 1 (5500 mètres),
redescente au camp de base, montée et nuit au camp 2 (6030

4                                                                                                              Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
PREMIERE

Le 14 juillet, l’assaut final est lancé, l’équipe monte au camp
3 en trois jours. En quelques heures, les aléas de la haute
montagne accablent l’expédition. Gurg Ali et Afiat Khan vo-
missent, se plaignent de maux de tête : il leur faut redescendre
au plus vite pour éviter l’œdème pulmonaire. Le lendemain
une bronchite aigüe contraint Louis à l’abandon. L’ascension
se fera sans eux. Restent Jérôme, Malang, Amruddin ainsi
que les deux guides Jean et Simon. Une bourrasque plus forte
que les autres emporte une tente en cours de démontage. Jé-
rôme devra aussi redescendre, se sacrifiant pour laisser leur
chance aux deux Afghans.

 Symboles…
 Depuis la première ascension de l’Everest et les « premières »
 qui ont suivi, emmenant les hommes sur les plus hauts sommets
 de la planète, les expéditions de montagne, si elles sont restées
 de belles aventures sportives et humaines, ont progressivement
 perdu leur valeur symbolique.                                          « Les pas pèsent, la respiration devient difficile alors que la cordée dépasse les 7000 mètres
 Cette expédition se distingue en ce qu’elle n’a de sens ou de          mais le sommet, insensiblement, se rapproche ». Photo Louis Meunier
 valeur que symboliques. Depuis 1960 et la première expédition
 japonaise à atteindre le sommet du Nochaq, plus d’une trentaine
 de cordées s’étaient succédées à l’assaut de cette montagne
 de 7492 mètres mais aucune n’avait amené un afghan au point
 culminant de l’Afghanistan.                                            L’assaut
 Qu’un homme gravisse le plus haut sommet de son pays présen-           Le 19, les quatre hommes restant partent à l’assaut. Depuis
 te en soi une valeur symbolique forte au niveau national mais          le camp 3 (6700 mètres), ce sont d’abord 200 mètres de déni-
 d’autres lectures de cet évènement peuvent être proposées tant         velé en mauvaise pierre à gravir : elle menace de céder à cha-
 d’un point de vue strictement afghan que des relations entre
                                                                        que instant, ralentissant la progression. Le plateau est atteint,
 l’Afghanistan et le monde extérieur.
 Les facteurs de fierté nationale de l’Afghanistan se rattachent
                                                                        balayé par un vent fort. La température tombe en dessous de
 plus à son histoire qu’à son présent. Qu’on la justifie ou non,        moins 15. Le plateau est atteint mais le sommet est encore
 que les Afghans l’acceptent, l’estiment nécessaire ou non, la          loin. Il reste encore presque 500 mètres à gravir. Les hommes
 présence de forces militaires étrangères indispose les habitants       avancent lentement dans la neige profonde, jusqu’aux cuis-
 d’un pays farouchement attaché à son indépendance. Que dire            ses. Amruddin perd son piolet. Simon lui donne le sien: il de-
 aussi de la tutelle économique du pays ? Dans ce contexte, tout        vra rester en arrière. Restent trois hommes, Malang, Amrud-
 évènement contribuant à conforter la fierté nationale, comme la        din et Jean. Les pas pèsent, la respiration devient difficile
 médaille de Rohullah Nikpai (Taekwondo) aux Jeux Olympiques            alors que la cordée dépasse les 7000 mètres mais le sommet,
 de Pekin, connaît un retentissement important au sein de l’opi-        insensiblement, se rapproche. A 14h30, les trois hommes at-
 nion publique afghane : des Afghans au sommet ; alors que leurs        teignent le sommet. Malang et Amruddin brandissent le dra-
 compatriotes n’avaient été précédemment que les porteurs des           peau afghan.
 expéditions étrangères !. Pour beaucoup aussi, cette fierté se
 double du fait que cet évènement nous présente, pour une fois,         L’équipe devra établir un nouveau camp à 7100 mètres, juste
 l’Afghanistan sous un jour qui ne soit pas négatif.                    au dessus de la barrière rocheuse. Le 20, le camp de base est
 Cette expédition se distingue aussi par l’esprit de ses initiateurs.   rejoint mais la nouvelle s’est déjà répandue. Le camp de base
 Bien souvent, les initiatives de ce type ont pour objet de répon-      est rapidement démonté, le terrain nettoyé, et l’équipe redes-
 dre à des intérêts médiatiques ; l’image difficile de l’Afghanistan    cend avec 47 porteurs, dans une atmosphère de liesse.
 auprès du grand public étant utilisée pour faire valoir les promo-     A Qazi Deh, la population s’est rassemblée pour fêter les
 teurs de ces aventures. Menée par des amoureux de l’Afghanis-
                                                                        héros. Fierté des habitants que des leurs aient marqué l’his-
 tan, le but de l’expédition « Les Afghans au Sommet » était de me-
                                                                        toire du pays. Mais déjà, l’équipe est réclamée à Kaboul.
 ner au sommet des Afghans qu’ils connaissaient. Il est d’ailleurs
 révélateur que la priorité accordée à la réalisation de cet objectif
                                                                        Les réceptions se succèdent : Ambassade de France, Nations
 a fait, qu’au fil des problèmes techniques, aucun des porteurs         unies. Le Président du Comité Olympique Afghan organise
 du projet n’a pu arriver au sommet : l’ascension des Afghans a         une réception en leur honneur au Stade Olympique. Puis les
 été privilégiée. Des étrangers ont, par amour de l’Afghanistan,        radios et les télés afghanes. Les Nations unies les nomment
 contribué à mettre en avant des Afghans et leur pays. C’est aussi      Ambassadeurs de la Paix. Que de chemin pour un cuisinier et
 un message à destination de l’Afghanistan et on ne peut que se         un éleveur du Wakhan !
 réjouir que ce soit des Français qui l’aient porté.
 Enfin, quiconque a pu rencontrer les membres de l’expédition,
 à Chamonix, à Paris ou en Afghanistan a pu se rendre compte à
 quel point Afghans et Français étaient soudés autour de leur ob-
 jectif et surtout à quel point ce groupe constituait un bel exemple
 d’amitié franco afghane.                                               1 - Har tchi beland bâchad, koh sar-e khod râh dârad. Qui peut vouloir
 R. L.                                                                  dire aussi : Aussi haute soit-elle la montagne a un chemin pour la
                                                                        franchir. (NDLR)

Les Nouvelles d’Afghanistan n°128                                                                                                                                  5
PROVINCE

                                     Hérat – automne 2009
                                     Ombres et lumières par Guy CAUSSÉ*
Grande mosquée de Hérat. Photo MDM

L’Afghanistan est riche de sa diversité, dit-on. Si on veut connaître le pays, il
ne faut donc pas se limiter à Kaboul. Hérat présente des caractéristiques bien
différentes, notamment grâce à sa proximité de l’Iran. Guy Caussé qui vient de
s’y rendre décrit une ville qui continue de se développer, avec, hélas, aussi de
nombreux problèmes par exemple dans le domaine des addictions.
Kaboul est bien proche d’Herat par la voie des airs. Mais
l’aéroport de Hérat reste provincial, hormis son environne-
ment militarisé par l’ISAF espagnol. L’arrivée vers la ville
est impressionnante, longue route asphaltée bordée de pins
centenaires, hélas clairsemés à présent, et tout au long, ca-
hutes commerciales traditionnelles, hôtels flambants neufs
paraissant désertés, locaux industriels de plus en plus nom-
breux.
La ville est lumineuse, sous la douce lumière des pins para-
sols, avec de grandes avenues modernes et commerçantes.
Les pizzerias, restaurants chinois, maisons kitchs et clin-
quantes, centres commerciaux, tout cela signe une réelle et
riche émancipation commerciale. Les calèches traditionnel-
les, avec leurs chevaux pomponnés, ont disparu au bénéfice
des triporteurs « rickshaw » et des petites motos japonaises
qui envahissent bruyamment la ville.
Les collines entourant Hérat sont à présent boisées, agen-
cées en jardins et parcs d’attraction avec manèges, piscine,
échoppes, cafés, aires de détente où la jeunesse et les familles
peuvent venir fumer le narguilé. Le mémorial à la gloire de
«l’Emir Ismaël Khan » domine ces jardins et signifie son rôle
essentiel dans l’émancipation de cette ville. En contrebas, il
reste quelques tanks et canons détruits et oubliés, cicatrices
des guerres passées.
Face à Kaboul, si meurtrie, la modernité de cette ville paraît
insolente et bénéficie de la proximité de l’Iran et des échan-
ges commerciaux incessants. Hérat est la voie de passage

* Responsable des missions de Médecins du Monde (MDM) en Afghanis-   « La ville est pacifiée, une police nombreuse et procédurière règne en maître sur la ville
tan.                                                                 pour assurer une sécurité efficace ». Photo MDM

6                                                                                                                  Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
PROVINCE

              « Les collines entourant Hérat sont à présent boisées,
            agencées en jardins et parcs d’attraction avec manèges,
             piscine, échoppes, cafés, aires de détente » Photo MDM

essentielle entre l’Orient venant du Pakistan et l’Occident
grâce à son ouverture sur l’Iran.                                                         L’ombre
De nombreuses ONG restent présentes, comme le CICR,                                       de la drogue
World Vision, Handicap international, Humaniterra, et des                                 Cependant, chaque soleil a ses ombres et cette ville floris-
ONG locales ont pris le relais d’autres grandes ONG. Un bâ-                               sante porte aussi son lot de misère humaine :
timent pédiatrique vient d’être construit à l’Hôpital. L’unité                            - Persistance de la pauvreté dans les campagnes.
des grands brûlés mise en place par Humaniterra, exemplaire                               - Insécurité dans les provinces voisines au nord sur Badghis
pour le pays, poursuit son remarquable travail1.                                          et Ghor et au sud au-delà de Chindand.
La ville est pacifiée, une police nombreuse et procédurière                               - Des centaines d’enfants des rues sont impliqués dans des tra-
règne en maître sur la ville pour assurer une sécurité effi-                              fics de drogue et de commerce, avec la proximité de l’Iran.
cace.
                                                                                          Hérat est le lieu de passage pour les milliers de jeunes tra-
« des aires de détente où la jeunesse et les familles peuvent venir fumer le narguilé »   vailleurs clandestins se rendant en Iran. Cette population,
Photo MDM                                                                                 jeune et précarisée, est touchée par la consommation des
                                                                                          drogues. Ils sont 50 000 victimes de la drogue sur la région
                                                                                          de Hérat. Les jeunes travailleurs clandestins sur l’Iran vivent
                                                                                          dans une extrême précarité. Souvent, ils font venir leur fa-
                                                                                          mille avec eux. Fréquemment pris par la police iranienne, ils
                                                                                          sont ramenés à la frontière sur Islam Qala ou Zarandj et là,
                                                                                          abandonnés, livrés à eux-mêmes, sans moyens, sans argent,
                                                                                          sans nouvelles de leur famille restée en Iran.
                                                                                          Ils se rassemblent alors dans les squats et les cimetières de
                                                                                          Herat et continuent à se droguer pour survivre, chassés et bat-
                                                                                          tus par des policiers qui n’hésitent pas à son tour à les faire
                                                                                          travailler à leur profit. Cependant, les ONG afghanes ouvrent
                                                                                          des centres d’accueil de jour et proposent des sevrages radi-
                                                                                          caux, mais sans grand succès.
                                                                                          Dans le cadre du programme de réduction des risques que
                                                                                          MDM met en place à Kaboul avec l’introduction de la mé-
                                                                                          thadone comme alternative de substitution, il sera possible de
                                                                                          les faire bénéficier de cette nouvelle approche thérapeutique
                                                                                          par l’intermédiaire des ONG locales.
                                                                                          La migration clandestine vers l’Iran atteint de 500 000 à un
                                                                                          million de travailleurs fragilisés politiquement et économi-
                                                                                          quement. C’est une grande préoccupation pour les autorités
                                                                                          afghanes et cela devrait l’être aussi pour les ONG humanitai-
                                                                                          res ou défenseurs des droits humains, qui devraient travailler
                                                                                          des deux côtés de la frontière, pour le respect et la dignité de
                                                                                          chacun de ces Afghans.

                                                                                          1 - Voir sur l’action de cette ONG Les Nouvelles d’Afghanistan, n° 122.

Les Nouvelles d’Afghanistan n°128                                                                                                                                   7
RECONSTRUCTION

                    L’histoire
          des forces aériennes afghanes
                                                  par le Major-General Mohammad DAWRAN*

Les forces aériennes sont un élément essentiel de la souveraineté d’un pays.
La reconstitution de l’armée de l’air afghane a été entreprise de manière très
prudente et lente depuis 2002, sans doute pour éviter de mauvaises surprises. A
l’occasion du colloque organisé par l’armée de l’air française le 1er décembre,
le commandant des forces aériennes afghanes est venu à Paris pour la première
fois. Nous publions ici de larges extraits de son intervention. On pourra y lire
en filigrane quelques critiques discrètes et aussi l’affirmation que les questions
politiques sont primordiales.
La force aérienne afghane a été créée en 1920, juste après
l’indépendance politique de l’Afghanistan1, et le premier vol
a été effectué en 1924, sous le roi Amanollah Khan, avec des
avions français et italiens. Par ailleurs, des pilotes allemands
venaient régulièrement voler en Afghanistan, et des pilotes
afghans partaient s’entraîner en Italie, en Angleterre, ou en-
core en Allemagne. En 1957, la force aérienne afghane a en-
trepris des échanges avec l’Union soviétique, qui lui fournis-
sait des matériels, et après le coup d’État de 1978, la force
aérienne afghane s’est développée rapidement avec la mise
en place de onze régiments et états-majors à Bagram, Ka-
boul, Kandahar, Mazar-e Charif et Chindand. Pendant près
de quinze ans, la force aérienne afghane a perdu plus de 700
avions, et plus de 600 équipages ont perdu la vie. (...)
Après 2001, quand les Tâlebân ont été chassés de Kaboul et                                Kaboul, 1959. Des MIG-15 et II-28 sur l’aéroport. « En 1957 l’Union soviétique fournissait
qu’un gouvernement provisoire a été mis en place (…) , [et                                le matériel ».
alors que] la force aérienne joue un rôle important pour le
soutien des forces au sol, nous ne lui avons pas donné les
moyens nécessaires pour se reconstruire. [Mais] ces deux
                                                                                          dernières années, le général Walter Gihvan, ancien comman-
Un Hawker Hind de l’armée de l’Air afghane de l’entre deux guerres. « La force aérienne
                                                                                          dant allié chargé de la formation des forces aériennes afgha-
afghane a été crée en 1920 »                                                              nes, a beaucoup œuvré pour le développement de l’Afghan
                                                                                          National Army Air Corps.

                                                                                          La situation actuelle
                                                                                          Je voudrais apporter un certain nombre de précisions :
                                                                                          d’abord, la situation en Afghanistan n’est pas si tragique
                                                                                          qu’on pourrait le penser, car l’ennemi n’est pas si fort qu’on
                                                                                          le croit. Pour le moment, nous ne sommes pas encore assez
                                                                                          bien organisés, mais les Tâlebân ou les terroristes ne sont
                                                                                          pas des groupes très puissants. Dans les médias, vous pouvez

                                                                                          * Commandant des forces aériennes afghanes.

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RECONSTRUCTION

                                                                                           Cocarde de l’Armée de l’Air Afghane (ci-dessus).
                                                                                           Un Antonov 32 de l’Armée de l’Air Afghane
                                                                                           (à gauche)

voir que les Tâlebân évitent de combattre face à face avec          sujet avec mes collègues et avec le général Givhan.
les forces afghanes ou étrangères. Ils perpètrent des attentats     Les Afghans sont illettrés, très croyants et ils font confiance
ou des attentats-suicides, mais l’armée de l’air afghane ainsi      aux religieux. C’est pourquoi il faut éviter que les Tâlebân
que les forces de l’OTAN et de la coalition n’ont pas changé        n’utilisent l’ignorance du peuple comme outil de propa-
leur stratégie ni leur tactique. Au niveau militaire, les forces    gande. Ces gens là sont des ennemis, et il nous faut pouvoir
alliées doivent avant tout anticiper les attaques de l’ennemi.      sensibiliser la population afghane en dépit des difficultés de
L’Afghanistan n’a pas besoin d’une grande armée avec beau-          la situation.
coup de soldats, de chars ou autres. En tant que commandant         Nous devons être très prudents, notamment par rapport aux
des forces aériennes afghanes, j’ai soulevé plusieurs fois le       fouilles de maisons et des civils, surtout des femmes. C’est un
fait qu’il fallait plutôt mener nos actions avec des petits grou-   sujet sensible, et il faut régler ces problèmes avec le concours
pes de l’armée de terre qui seraient héliportés par les hélicop-    des forces de police ou de l’armée afghane.
tères de l’armée de l’air. Cette solution nous permettrait de       L’autre point important est la formation de cette armée. Nous
faire notre travail avec une plus grande efficacité et éviterait    travaillons actuellement à ce que, dans quelques années, les
les pertes civiles.                                                 forces terrestres bénéficient d’un soutien plus efficace de l’ar-
                                                                    mée de l’air afghane qui commence à recevoir de nouveaux
                                                                    équipements. Au début, ce sujet n’était malheureusement
La situation est d’abord                                            pas notre priorité, et les Tâlebân se sont reconstruits en étant
                                                                    mieux armés que nous. L’armée afghane n’était pas encore
politique                                                           suffisamment bien armée (elle ne disposait que des simples
Le soutien du peuple est aussi très important. Ces dernières        Kalachnikov vieilles de 20 ou 30 ans et d’[un tout petit nom-
années, la confiance du peuple afghan envers l’armée s’est          bre d’]avions pour combattre les Tâlebân), ce qui a permis à
étiolée. Il y a trois ans, je pouvais voyager avec deux per-        ces derniers de revenir et de mener leurs opérations.
sonnes de Kandahar à Kaboul mais aujourd’hui, nous avons            Aujourd’hui, grâce aux dons américains d’armes légères,
besoin d’un convoi militaire dans la zone de Herat, Farah ou        M-16 et M-14, et de véhicules, l’armée afghane est davan-
d’autres villes. Il faut donc trouver des solutions pour rega-      tage en mesure de combattre les Tâlebân et Al-Qaida. La base
gner la confiance du peuple afghan. Je pense toutefois que          militaire aérienne de Kaboul est équipée d’avions C-27 ita-
cela se situe à un niveau supérieur au simple niveau militaire.     liens et d’hélicoptères Mi-17 et Mi-35, et la base aérienne de
En effet, le problème repose sur le fait qu’il faut forcer les      Kandahar doit pouvoir abriter dans un futur proche un cen-
gens à accepter l’Etat de droit, et par conséquent la solution      tre d’entraînement. Enfin, pour améliorer notre capacité de
ne relève pas du domaine militaire mais plutôt du domaine           déploiement et de soutien à l’armée de terre, d’autres bases
politique.                                                          sont en construction à Chindand, Mazar-e Charif, Gardez et
Au niveau militaire, il faut indubitablement établir une coor-      Djalalabad.
dination et une coopération parfaites et une stratégie commu-       Pour conclure, je rappellerai que la coordination entre les pays
ne entre les forces armées afghanes et les forces de l’OTAN,        de l’OTAN et les forces afghanes est primordiale, de même
car les forces aériennes sont là pour soutenir les forces terres-   que le respect de la culture et de la religion des Afghans.
tres, en toute situation. (…)                                       Parallèlement, le rééquipement de l’armée de l’air afghane
Mais en faisant équipe nous pouvons soutenir les forces             est crucial pour le soutien des forces terrestres, mais le point
afghanes, et je suis persuadé que nous n’aurons pas à déplorer      central demeure cependant la continuation du dialogue avec
des pertes civiles, et que le résultat n’en sera que meilleur.      les insurgés afin de combattre le trafic de drogue pour que les
                                                                    chefs de district, qui sont au service du peuple afghan, soient
                                                                    bien accueillis par la population.
Respecter la culture afghane                                        C’est la prise en compte de ces éléments qui pourra sauver
                                                                    l’Afghanistan.
L’Afghanistan est une société traditionnelle, et c’est pour-
quoi nous devons être particulièrement vigilants à respecter
la culture et les traditions afghanes. J’ai toujours abordé ce      1 - En 1919 (NDLR)..

Les Nouvelles d’Afghanistan n°128                                                                                                             9
RECONSTRUCTION

                                  La reconstitution
                                  de l’armée de l’air
                                        par le Brigadier-General GIVHAN* de l’USAF

La reconstitution de l’armée de l’air afghane a été prise en charge par les
Américains avec l’aide notamment des Tchèques. L’existence d’un personnel
déjà formé (mais sur du matériel russe) a permis de ne pas partir de rien. Mais,
comme cette action a démarré tardivement, beaucoup reste à faire1.
Dans cette présentation, j’emploierai le « nous » pour parler              avions deux priorités : donner aussi vite que possible aux
des Américains, des Afghans et de nos alliés qui composent                 Afghans les moyens de se battre et démarrer l’acquisition
l’équipe de la Combined Air Power Transition Force (For-                   d’avions et le recrutement d’officiers, de sous-officiers et de
ces aériennes de transition). Sans comptabiliser le personnel              techniciens afin d’assurer la croissance et l’avenir de l’armée
afghan, cette équipe compte plus de 400 militaires et cet ef-              de l’air afghane.
fectif grandit en même temps que celui de l’armée de l’air                 Les pilotes et les mécaniciens afghans connaissaient bien les
afghane. La force de transition a pour mission de bâtir une                matériels russes donc nous avons acheté davantage d’héli-
armée de l’air afghane puissante viable et capable d’assurer               coptères Mi-17 et Mi-35, d’avions de transport An-32 (An-
la sécurité du pays. Il ne s’agit pas de copier le modèle de               tonov) afin de leur permettre de conduire des opérations
l’armée de l’air américaine ou celui des autres pays, mais                 immédiatement. Les pilotes américains ont fait un stage
plutôt d’incorporer les meilleurs éléments adaptés à l’Afgha-              d’entraînement sur les avions russes afin de mieux assister
nistan. Nous souhaitons également faire travailler ensemble                nos camarades afghans, qui avaient besoin de retrouver une
l’armée de l’air afghane et l’armée de terre afghane dans un               culture d’entraînement qu’ils avaient perdue pendant les 30
premier temps, puis avec les armées de l’air alliées car nous              années de guerre.
sommes tous partenaires dans cette mission. Il faut établir un
véritable partenariat entre nos forces. Les Afghans nous ont
beaucoup appris et j’espère que nous leur avons appris quel-
que chose. Dès le départ, j’ai toujours conseillé à mon équipe             Le matériel
d’écouter les Afghans. Quant à moi, j’ai eu la chance d’avoir              La première priorité était d’assurer la mobilité qui est une
un bon professeur, qui est à mes côtés, le général Dawran. Je              nécessité absolue pour les forces en Afghanistan en raison
pense toutefois que cette collaboration a commencé un peu                  du terrain, du manque de routes praticables et de la menace
tard. J’ai, en effet, été surpris de découvrir, à mon arrivée,
que l’effort n’a réellement commencé qu’à partir de 2007.
En deux ans, nous avons fait beaucoup de progrès, mais il est              Première livraisaon d’un C27 en septembre 2009.
évident que construire une armée de l’air prend du temps et
qu’il nous reste beaucoup de travail. Le général Dawran vient
de nous raconter l’histoire de l’armée de l’air afghane et je
peux ajouter que, dans les années 80, cette armée était grande
et puissante. En effet, même si après 30 ans de guerre l’armée
de l’air n’avait plus d’avions, des pilotes, des mécaniciens et
d’autres spécialistes étaient toujours prêts à servir. Grâce à
ce vivier humain, il était donc possible de relancer l’armée
de l’air afghane et de lui redonner toute sa puissance. Nous
avons donc la chance d’avoir une armée et un commande-
ment qui a beaucoup d’expérience et qui est encore prêt à se
sacrifier, et le général Dawran est le symbole de cet espoir.
Lors de la mise en place de cette force de transition, nous

* Membre des forces aériennes américaines. Ancien commandant allié char-
gé de la formation des forces aériennes afghanes.

10                                                                                                                     Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
RECONSTRUCTION

                                                                                         Aéroport de Kandahar. Un sergent américain forme le personnel de l’Armée de l’Air afgha-
                                                                                         ne. Photo US Airforce/Isaf
Un soldat afghan de l’Armée de l’Air de retour d’un vol sur l’aéroport de Kandahâr.
« L’année dernière nous avons augmenté la présence des forces aériennes à Kaboul et à
Kandahar ». Photo US Airforce/Isaf
                                                                                         confiées. L’année dernière, nous avons augmenté la présence
                                                                                         des forces aériennes à Kaboul ainsi qu’à Kandahar et nous
des engins explosifs improvisés. Parallèlement, nous avons
                                                                                         avons mené des missions à partir de Hérat avec deux hélicop-
travaillé avec les Afghans sur la planification pour l’armée
                                                                                         tères. Nous avons aussi commencé à établir une base d’en-
du futur, en particulier sur le système de commandement et
                                                                                         traînement à Chindand et la formation des élèves-pilotes va
de contrôle, sur la construction de bases aériennes, la for-
                                                                                         commencer dans deux ans. Dans cette optique, trois escadres
mation des forces et l’acquisition de nouveaux avions. (...)
                                                                                         seront basées à Kaboul, à Kandahar et à Chindand, et ces uni-
Comme toutes les armées de l’air, la puissance de feu et la
                                                                                         tés seront dotées d’avions et d’hélicoptères. Parallèlement,
grande mobilité des avions de combat permettent de limiter
                                                                                         nous envisageons de créer des escadrons d’hélicoptères à
les effectifs engagés sur ce vaste pays tout en assurant l’effet
                                                                                         Mazar-e Charif, Djalalabad et Gardez, où un certain nombre
militaire demandé.
                                                                                         d’Afghans sont déjà affectés sans qu’il y ait encore d’avions
D’autre part, l’armée de l’air afghane a également la capa-
                                                                                         ou de conseillers américains.
cité, aujourd’hui, de garantir l’appui feu rapproché avec le
Mi-35, grâce à nos amis tchèques qui nous ont aidé par le
don de ces hélicoptères et d’une équipe d’instructeurs. Nous
sommes aussi en train d’acquérir des avions pour mener cette
                                                                                         La lutte contre les insurgés
mission importante, dans l’objectif qu’ils puissent effectuer                            Enfin, l’armée de l’air afghane a une autre compétence tout
des missions de présence et de surveillance.                                             à fait primordiale, qui est la lutte contre les insurgés. À ce
En ce qui concerne le transport, les Afghans viennent de re-                             titre, l’armée de l’air afghane est un symbole du gouverne-
cevoir le premier C-27, que nous avons acheté à 20 exem-                                 ment afghan et elle effectue des missions pour le bien de
plaires pour remplacer l’An-32 (Antonov). À l’avenir, nous                               son pays et de son peuple. J’ai remarqué, à cet effet, que la
aurons aussi des avions d’entraînement, que nous sommes en                               population afghane était fière de son armée de l’air, car elle
train d’acquérir. Pour le moment, les élèves-pilotes s’entraî-                           accomplit des missions humanitaires et est sollicitée lors des
nent dans d’autres pays.                                                                 catastrophes naturelles pour secourir les populations en dif-
En ce qui concerne les bases aériennes, nous avons envi-                                 ficulté. Par exemple, lors des inondations de l’été 2009 dans
sagé de créer un réseau de bases qui permette à l’armée de                               le nord du pays, l’armée de l’air afghane est venue en aide à
l’air afghane de réaliser l’ensemble des missions qui lui sont                           la population en secourant 1 500 personnes et de nombreux
                                                                                         animaux.
Un ingénieur afghan de l’Armée de l’Air au courd d’un vol test d’un hélicoptère MI-17.   Cette armée est actuellement composée d’environ 2 800 per-
Photo US Airforce/Isaf                                                                   sonnes et 45 aéronefs, et selon nos projets, il est envisagé
                                                                                         qu’elle compte 8 500 militaires et 154 aéronefs en 2016.
                                                                                         Pour résumer, nous avons fait beaucoup de progrès dans no-
                                                                                         tre collaboration avec l’armée de l’air afghane, mais il nous
                                                                                         reste encore d’importantes tâches à accomplir et son intégra-
                                                                                         tion avec les autres armées alliées reste un défi. Il va nous fal-
                                                                                         loir poursuivre cette démarche et continuer cet essor dès lors
                                                                                         que nous en aurons l’occasion, la volonté et les ressources
                                                                                         nécessaires. Il est profondément dans l’intérêt de nos pays
                                                                                         et de nos armées de l’air d’avoir une armée de l’air afghane
                                                                                         puissante, capable et viable dont tout le monde puisse tirer
                                                                                         avantage.

                                                                                         1 - Nous remercions les organisateurs du Colloque de l’armée de l’air du
                                                                                         1er décembre, et notamment le Colonel Erschens de nous avoir autorisés à
                                                                                         publier ces deux interventions. (NDLR).

Les Nouvelles d’Afghanistan n°128                                                                                                                                             11
SECURITÉ

                                    Quelles sont les forces
                                       des Tâlebân ?
                                                           Entretien avec Gérard CHALIAND*

A combien peut-on évaluer les forces des Tâlebân                                              le mollah Baradar et le responsable militaire Abdullah Zakir.
afghans?                                                                                      Je ne pense pas qu’il y ait coordination entre les Tâlebân, le
Il semble qu’une estimation entre 20 et 30 000 Tâlebân (et                                    réseau Haqani et le Hezb-e Islami, mais ils poursuivent un
autres insurgés) soit raisonnable, à condition d’ajouter que les                              but commun : mettre à bas le régime afghan actuel.
capacités de remplacement sont quasiment illimitées compte                                    Combien de districts contrôlent-ils effectivement ?
tenu du nombre de Pachtouns au Pakistan. Ils n’ont cessé                                      En gros, les Tâlebân contrôlent le sud du pays, le réseau Ha-
d’être en progression au cours des trois dernières années.                                    qani, les provinces de Paktia et le Paktika. Le Hezb-e Islami
Leur chiffre approximatif se situait en 2005 au-dessous de                                    est quant à lui particulièrement bien implanté au Kunar, au
10000, et sans doute moins.                                                                   Nouristan et dans la province de Kunduz.
D’où viennent leurs armes ? Et leurs fonds ?                                                  Est-il vrai qu’ils ont le vent en poupe. Ont-ils subi des
Les armes viennent du Pakistan, selon toute probabilité, et                                   revers ? Connaissent-ils des dissensions ?
sont, sans doute, données par les services pakistanais. Les                                   Oui. Les Tâlebân, depuis 2005, ont progressé de façon très
fonds viennent certainement au premier chef du Golfe et                                       sensible. Ils n’ont subi que des revers très ponctuels. Il est
d’Arabie Saoudite.                                                                            difficile de dire qu’ils connaissent des dissensions. Je n’ai
A-t-on une idée de leurs pertes ? Y a-t-il beaucoup de                                        pas de renseignement à ce sujet. Je suppose que comme dans
prisonniers ?                                                                                 tout mouvement insurrectionnel, il y a les convaincus et ceux
Leurs pertes sont probablement exagérées dans les bilans an-                                  qui suivent. Les convaincus dirigent. D’une façon générale,
nuels. En fait, ils emportent leurs morts (et leurs blessés) cha-                             sur le plan idéologique, il est indiscutable que ce sont les
que fois que c’est possible. Il n’y a guère de prisonniers.                                   insurgés qui sont les plus motivés.
Où est basé l’Etat-major des Tâlebân ? Quel est le degré                                      Aucun effort pour modifier le rapport de force ne peut donner
d’entente et de coordination entre les Tâlebân, le réseau                                     de résultat décisif si le régime de Kaboul n’est pas perçu par
Haquani et le Hezb-e Islami ?                                                                 la population, l’armée et la police comme respectable.
L’Etat-major est basé au Baloutchistan dans la région de                                      * Géopolitologue, spécialiste des conflits armés et des guérillas.
Quetta : c’est là que se trouvent le mollah Omar, son adjoint
                                      2006           2007             2008             2009
     Nombre total de morts            4000           6500          6340 (AP)
     Victimes civiles                  899       2026 (ANSO)          2118          2412 (+ 14%)    L’évolution de la violence
     du fait des Tâlebân               482           946              1160             1630         depuis 2006
     du fait de la coalition           230           539               459              596
     Pertes militaires étrangères      191           232               295              522         Comme nous l’avions fait au début de 2009, nous publions ici
     dont Américains                   87            110               155              317         quelques données permettant de se faire une idée de l’évolution
     dont Canadiens                    36             30               32               32
                                                                                                    de la violence en Afghanistan. Le nombre d’attaques de l’opposi-
                                                                                                    tion a été à nouveau en augmentation d’environ 40%. Le nombre
     dont Britanniques                 39             41               51               108
                                                                                                    de victimes au sein des forces internationales augmente de 33
     dont Français                      6             3                11               11          %. Ce sont les Américains et les Britanniques qui font les frais
     Pertes chez les Tâlebân            -         4500 (AP)        3800 (AP)             -          de cette augmentation. Quant au nombre de victimes civiles, il
     Pertes gouvernementales            -          925 (AP)         870 (AP)             -          augmente notablement, mais surtout du fait des actions souvent
     Nombre d’attaques des            2335           3450             5244             7474         aveugles des Tâlebân. Pourtant la population ressent de plus en
     forces d’opposition (ANSO)                                                                     plus mal les pertes civiles provenant d’actions de la coalition.
     Nombre d’attaques-suicide         141           137          121 (ANSO)             -          Lesz provinces les plus touchées sont dans l’ordre : la Kounar,
     Victimes de ces attaques         1166       1730 dont 300   373 morts civils        -          Kandahar, Helmand, Khost, Ghazni, Wardak et Paktika, qui voient
     (morts et blessés)                           morts civils      (ANSO)                          au moins une attaque par jour, et totalisent 62 % des actions vio-
     Membres d’ONG tués             24 (dont 0    15 (dont 4       31 (dont 6        19 (dont 0     lentes. A l’inverse, huit provinces situées dans le nord ou le centre
     (ANSO)                         étranger)     étrangers)       étrangers)        étranger)      totalisent moins d’une attaque par semaine.

12                                                                                                                                    Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
ÉCONOMIE

               L’organisation économique
                dans les villages afghans1
                                                                    par Elsa PIOU *

Comme nous l’avons déjà souligné, la société rurale afghane est loin d’être
immobile. En bien et en mal, elle bouge, sous l’influence de l’aide internatio-
nale et de l’évolution économique générale. Cela transforme en profondeur les
relations sociales. Adieu les relations basées sur le don et la solidarité. Bonjour
à la monétarisation et à l’individualisme. C’est ce qu’explique Elsa Piou, avec
finesse et avec une bonne connaissance du terrain acquise grâce à Madéra.
Les conflits, les migrations, les sécheresses, les interven-                     .« Avant on était autonomes, on faisait tout par nous-mêmes,
tions extérieures, etc. jouent sur l’organisation économique                     sauf le sel qu’on allait chercher à l’extérieur. Maintenant, on
Afghane. L’ouverture et la multiplication des échanges, la                       peut tout faire venir avec de l’argent ».
monétarisation croissante de l’économie, l’évolution vers un                     Dans les vallées, les villageois utilisaient traditionnellement
système contractuel, contribuent à faire évoluer le lien social                  peu l’argent. Les achats sont réalisés en nature souvent après
et les représentations locales.                                                  la récolte. La proximité sociale joue sur les échanges et sur
Les forces de la coalition travaillent à accroître l’accessibilité               le « prix » d’un bien. La structure de l’échange « don-con-
des vallées du Kounar, du Laghman et du Nouristan. Depuis                        tre don » se repère facilement. Une dette symbolique circule
2001, des axes de communication se sont multipliés. Ils favo-                    continuellement, la relation est toujours en cours. Dans le
risent les échanges et les migrations, l’intervention d’acteurs                  Nouristan, chèvres et fromages, porteurs d’une dimension
extérieurs, l’arrivée de produits manufacturés dans les villa-                   symbolique, jouent un rôle central dans les échanges. L’ac-
ges, mais aussi l’évolution des xxreprésentations des habi-                      cumulation de chèvres ne constitue pas une fin en soi mais un
tants. Les « returnees » occupent des positions de leadership,                   moyen. Elle ne prend sens que dans le cas où elle est dépen-
importent des pratiques et représentations, innovent.                            sée en festins, invitations, dons, et se transforme en prestige.
                                                                                 Pour se marier, un homme doit offrir de nombreuses chèvres
                                                                                 et fromages à sa belle famille. Schuyler Jones a observé que
Ouverture et monétarisation                                                      les Kom produisaient bien plus qu’ils n’étaient en mesure de
                                                                                 consommer. « En induire que les excédents alimentaires sont
des échanges                                                                     destinés à être vendus ou échangés contre d’autres biens se-
La monétarisation des échanges joue sur la « valeur » du blé,                    rait erroné. Cette accumulation ne trouve sa justification que
qui était un bien central dans le système d’échange. Il de-                      dans le don. Les biens excédentaires ont une fonction sociale
vient difficile pour les propriétaires terriens de trouver une                   bien plus qu’économique »3.
main d’œuvre acceptant de travailler selon les conditions qui                    Progressivement, les chèvres sont remplacées par l’argent
préexistaient. En ville, un ouvrier non qualifié touchait en                     dans les échanges : « On demandait douze chèvres en échan-
2008 un salaire journalier de 150 afghanis, ce qui dépassait                     ge de la construction d’une pièce, maintenant c’est 14 000
ce qu’un métayer pourrait obtenir d’une récolte.                                 afghanis ». « Cela coûtait une chèvre de faire descendre des
« Avant, chacun cherchait à avoir assez de terres pour la fa-                    poutres de la forêt, maintenant c’est 800 afghanis ».
mille. Avec l’arrivée du bazar, les coulées de boue, on a chan-                  Certaines denrées, comme les jujubes (onâb) ou le fromage
gé. On considère moins les terres. Le blé, on peut l’acheter ».2                 dans le Nouristân, ne faisaient traditionnellement pas partie
                                                                                 du circuit commercial. Leur commerce est devenu possible
                                                                                 ces dernières années. Tandis que la vente à un proche était im-
                                                                                 pensable, elle devient envisageable. En ville, les prix devien-
* Après avoir fait une mission dans le cadre de MADERA, Elsa Piou vient
                                                                                 nent moins flexibles, ils sont affichés dans quelques magasins
de soutenir en juin 2009 une thèse de doctorat sur Impact et appropriation
d’un programme de développement dans des districts ruraux afghans. L’ar-
                                                                                 de Djalâlâbâd. Les programmes de développement supposent
ticulation entre projets de développement et sociétés locales. Elle a déjà pu-   la réalisation de plusieurs cotations avant tout achat. Dans
blié dans Les Nouvelles d’Afghanistan un article sur ce même sujet (numéro       une certaine mesure, la valeur des choses est en cours d’auto-
123).                                                                            nomisation par rapport à celle des personnes, ce qui corres-

Les Nouvelles d’Afghanistan n°128                                                                                                              13
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