Les Nouvelles d'AFGHANISTAN - Des Afghans au sommet Exploit - AFRANE
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Trente-et-unième année N°128 Février 2010 Les Nouvelles (1er trimestre) 6 Euros d’AFGHANISTAN Exploit Des Afghans au sommet Reconstruction Reconstruire l’armée de l’air Economie L’organisation économique dans ISSN 0249-0072 les villages
Editorial Les Nouvelles d’Afghanistan La montagne et le chemin SOMMAIRE N°128 L es difficultés continuent de s’accumuler sur l’Afghanistan. Les statisti- ques mesurant le degré de violence en Afghanistan vont toutes dans le même PREMIERE Des Afghans au sommet par Régis LEFÈVRE 3 sens. Que ce soit le nombre des attaques de l’insurrection tâlebân, le nombre PROVINCE des victimes civiles ou celui des soldats, ils sont tous en augmentation sensi- Hérat Automne 2009 : Ombres et lumières ble, si bien qu’on pourrait dire globalement que la violence a augmenté de 50% par Guy CAUSSÉ 6 d’une année sur l’autre. L’évolution politique n’est pas non plus très réconfor- tante. Après des élections surréalistes, la difficulté pour M. Karzaï de former RECONSTRUCTION un gouvernement montre combien son régime a du mal à réunir des soutiens L’histoire des forces aériennes afghanes par le Maj. Gal Mohammad DAWRAN 8 cohérents. Pour autant, la situation n’est pas aussi dramatique que l’on a ten- dance à le penser et le terme de chaos qui est utilisé à satiété ne rend pas La reconstitution de l’armée de l’air bien compte de la réalité. Mais tout le monde sent bien que la confiance n’est par le Brig. Gal GIVHAN 10 plus là, que l’optimisme n’est plus de mise, qu’il faut tout reconsidérer. Un ami m’écrivait ainsi : « des fois je regarde à la télé des images sur mon pays et je SECURITE pleure tout seul. Mon Dieu que nous sommes un peuple malheureux ! » Quelles sont les forces des Tâlebân? La nouvelle tarte à la crème est qu’il faut rechercher une solution politique. entretien avec Gérard CHALLIAND 12 Certes, il le faut, et tout le monde sent que l’action militaire sans limites ne peut mener qu’à une impasse. Mais qu’entend-on par « solution politique » ? Est-ce ECONOMIE une politique de réforme et de redressement de l’Etat afghan, qui ferait que la L’organisation économique dans les villages afghans population reprendrait cœur, croirait à nouveau en la justice, serait prête à se par Elsa PIOU 13 battre – pacifiquement – pour la défense de ses droits élémentaires ? Ou bien s’agit-il de trouver un accord politique avec l’opposition armée, ou du moins RELIGION une partie d’entre elle ? Dans ce dernier cas, le risque serait un abandon ne Un chameau sur le toit : serait-ce que partiel des droits démocratiques (et notamment ceux des fem- Le Soufisme en Afghanistan mes) ? Le fait que l’Arabie saoudite pourrait servir d’entremetteur n’apporte par Nadjib MANALAÏ 18 guère de garantie dans ce domaine. Des voies existent certainement que les diplomates sauront explorer, mais le sentier est étroit. ONG On aurait tort cependant de ne voir que du noir en Afghanistan. On pourra L’action d’AFRANE 21 glaner ici ou là dans ce numéro les signes que tout ne va pas mal. L’agricul- ture a progressé, les revenus de l’Etat semble-t-il aussi, des projets industriels naissent, l’inflation a reculé, l’Etat retrouve peu à peu sa souveraineté (par exemple dans le domaine de l’armée de l’air). DERNIERES NOUVELLES Chronologie, brèves, bibliographie 23 Il est piquant de trouver cité plus loin à deux reprises, sous la plume de deux auteurs qui ne se sont pas concertés, le même proverbe afghan. « Toute mon- tagne, aussi élevée soit elle, possède un chemin sur elle-même ». Ce prover- POESIE be a bien trouvé son application au sens propre quand des alpinistes afghans C’est un pays d’ailleurs ont pu planter l’été dernier le drapeau afghan au-dessus du point culminant par Alain LEBEAU 36 de l’Afghanistan. Le récit qui en est fait dans ce numéro est très touchant et en montre la portée symbolique. Un jeune réfugié afghan utilise ce même pro- verbe pour décrire dans un livre recensé dans ce numéro son errance et son Photo de couverture : Derniers effort vers heureux aboutissement. Souhaitons, qu’avec l’aide de toute la communauté le mont Nochaq. Voir article pp. 2-5. Pho- to Louis Meunier internationale, tous les Afghans puissent voir réalisé ce proverbe dans leur vie quotidienne. Etienne GILLE Adresse E-mail (Le 4 février 2010) afrane.paris@gmail.com Les Nouvelles d’Afghanistan Site internet: www.afrane.asso.fr 16, passage de la Main d’Or -75011 Paris 2 Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
PREMIERE Des Afghans au sommet par Régis LEFEVRE* Le 19 juillet 2009, Malang et Amruddin hissent fièrement le drapeau afghan sur le sommet du Nochaq, point culminant d’Afghanistan. Photo Jean Annequin « Il y a un chemin vers chaque sommet, même le plus haut1 » Proverbe afghan. Le 19 juillet 2009, à 14h30, des Afghans ont atteint pour la première fois le sommet du Nochaq (7 492 mètres), le point culminant d’Afghanistan. Ce projet « Les Afghans au Sommet » a été porté par des Français, amoureux de l’Afgha- nistan. Voici le récit de cette expédition pas ordinaire. La genèse de ce projet commence en 2007 par la rencontre nir guides, le faible développement de l’activité ne leur laisse entre Louis Meunier, organisant alors un trek dans le Wakhan guère d’autre choix que de conserver leur métier. La dimen- et le Pamir Afghan et 4 Wakhis, Gurg Ali, Malang, Afiat Khan sion symbolique de cette aventure demeure donc une de leurs et Amruddin. Vivant entre la vallée encaissée du Wakhan motivations principales. (3000 mètres) et les pâturages d’altitude l’été (jusqu’à 4 000 Ce projet sera mené par Louis Meunier, Jérôme Veyret et Ni- mètres), ces Wakhis sont des montagnards, confrontés aux colas Fasquelle. Interviendront plus tard les guides de mon- difficultés de leur environnement. Ces populations sont sou- tagne Jean Annequin et Simon Destombes. vent à la limite de la survie : carences et difficultés à effectuer Une expédition de cette nature ne s’improvise pas. Ses hom- la soudure minent leur santé. Bien qu’ayant toujours vécu à mes, si trois d’entre eux ont effectué un premier stage en l’ombre des plus hautes montagnes d’Afghanistan, ils n’ont 2007 grâce à Mountain Wilderness, ne connaissent pas ou jamais pu aborder le monde de la haute montagne et la volon- n’ont pas pratiqué les techniques d’escalade de progression té d’atteindre « leur » sommet les anime. Ils sont tous d’ori- sur neige, glace et rocher qui leur seront indispensables dans gine modeste : l’un est instituteur, les autres éleveur, maçon leur ascension. L’association les fera donc venir en France et cuisinier. Parfois, quand les rares occasions se présentent, un mois au printemps 2009, à Chamonix pour suivre une for- ils guident des treks ou sont embauchés comme porteurs par mation à l’ENSA (Ecole Nationale de Ski et d’Alpinisme). les expéditions comme celle montée en 2003 (expédition Occasion de découvrir un pays dont la richesse agricole sur- Oxus) par Mountain Wilderness. Si certains rêvent de deve- prend ces semi paysans : qualité de l’herbe, richesse de la végétation (le Wakhan est très aride) ; vaches rebondies. Ma- lang s’écrit : « si j’avais une seconde vie, j’aimerais être un arbre et planter mes racines en France ». Leur motivation est * Régis Lefèvre a voyagé dans le Pamir afghan et a publié un récit : « Voyage au Pamir afghan » dans Les Nouvelles d’Afghanistan, n°114. intense et ils font des rapides progrès, encadrés par les guides Les Nouvelles d’Afghanistan n°128 3
PREMIERE mètres), redescente au camp 1, montée et nuit au camp 3 (6700 mètres). Le 12 juillet, l’équipe entière descend du camp 3 au camp de base pour se reposer une journée. Sans être défavorable, le temps n’est pas clément pour la saison : la neige tombe en abondance la nuit et, dès 6000 mètres, des bourrasques de vent s’abattent. Les membres de l’expédition Gurg Ali, 28 ans, quatre enfants. Il est l’instituteur du village de Kret. Il est motivé par la dimension symbo- lique du projet : un Afghan doit arriver au sommet du Nochaq. Malang, 35 ans, quatre enfants, cuisinier. Vit à Qazi Deh, à l’entrée de la vallée du Wakhan. La recherche de la cé- lébrité le motive dans ce projet. Afiat Khan, 28 ans, cinq enfants, maçon, vit à Qazi Le camp de base. Au fond le mont Nochaq. Photo Louis Meunier Deh. Ancien combattant, il a renoncé aux armes et veut, comme son père le fut avant la guerre, devenir guide de montagne. de montagne. Amruddin , 25 ans, deux enfants, éleveur de bétail,vit à D’obstacle en obstacle, l’expédition finit par se monter. Khandud, au milieu de la vallée. Il veut redonner à son L’équipe française les rejoint fin juin (N. Fasquelle ne pourra pays sa fierté. s’y joindre). L’expédition sera composée de huit membres : quatre Afghans et quatre Français (dont les deux guides). Louis Meunier, 30 ans, a vécu en Afghanistan de 2002 D’emblée, elle rencontre un écho dans la vallée : fierté de à 2009. Il a joué au buzkachi dans l’équipe de Kaboul, ces populations ismaéliennes, souvent discriminées, et pau- a traversé l’Afghanistan à cheval et a organisé un trek vres parmi les pauvres, à représenter leur pays. Elle reçoit dans le Pamir en 2007. le soutien des réunions de chura et d’anciens et l’aide des Jérôme Veyret, 29 ans, journaliste, a vécu cinq ans en chefs locaux. Les vieux racontent : « nous avons vu venir tant Afghanistan comme journaliste. d’étrangers planter leur drapeau sur nos montagnes ». Nicolas Fasquelle, 33 ans, a vécu deux ans en Afghanis- Le 2 juillet, l’équipe et ses 67 porteurs s’ébroue direction le tan où il a coordonné des projets de recherche. camp de base. Il faut d’abord passer par des pierriers pour Et les guides de haute montagne : Jean Annequin, 38 éviter les champs de mines, plantées en 2000 pour prémunir ans, et Simon Destombes, 41 ans qui ont organisé de la région de toute incursion des Tâlebân depuis le Pakistan. nombreuses expéditions à l’étranger Le 5 juillet, ils atteignent une moraine, située juste au des- sus du glacier principal. A 4660 mètres, le camp de base s’y Ce projet a reçu l’aide diplomatique, logistique et finan- installe. cier de la fondation de l’Aga Khan et de l’Ambassade de France en Afghanistan. Ont sponsorisé le projet la Guilde Européenne du Raid, les sociétés Direct Medica, SPB et Millet. Risque d’interdiction Pour en savoir plus, le site de l’expédition : Le 6 juillet, une nouvelle s’abat sur l’expédition. En dépit des www.noshaq.com parrainages et des assurances reçus, un ministère a envoyé une lettre enjoignant à la police du Badakhchan de mettre fin De gauche à droite : Amruddin, Afiat Khan, Malang et Gurg Ali. à l’aventure et de ramener l’équipe dans la vallée. Pendant Photo Philippe Gauthier deux jours, l’ambiance est lourde mais l’intervention de M Jean d’Amécourt, Ambassadeur de France en Afghanistan, règle la situation. Que s’est il passé ? Certains ont-ils pu se sentir offensés que des Wakhis, chiites ismaéliens tentent de gravir le sommet du pays ? Complexité afghane, qui compli- que la lecture de tout évènement… La progression reprend. Désormais, l’équipe s’est réduite à huit, les porteurs n’allant pas plus loin. La progression est lente entre crevasses et séracs. Surtout, la neige est tombée en abondance cette année et il faut creuser une trace, tâche épuisante. L’expédition effectue les va et vient nécessaires à l’acclimatation : montée et nuit au camp 1 (5500 mètres), redescente au camp de base, montée et nuit au camp 2 (6030 4 Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
PREMIERE Le 14 juillet, l’assaut final est lancé, l’équipe monte au camp 3 en trois jours. En quelques heures, les aléas de la haute montagne accablent l’expédition. Gurg Ali et Afiat Khan vo- missent, se plaignent de maux de tête : il leur faut redescendre au plus vite pour éviter l’œdème pulmonaire. Le lendemain une bronchite aigüe contraint Louis à l’abandon. L’ascension se fera sans eux. Restent Jérôme, Malang, Amruddin ainsi que les deux guides Jean et Simon. Une bourrasque plus forte que les autres emporte une tente en cours de démontage. Jé- rôme devra aussi redescendre, se sacrifiant pour laisser leur chance aux deux Afghans. Symboles… Depuis la première ascension de l’Everest et les « premières » qui ont suivi, emmenant les hommes sur les plus hauts sommets de la planète, les expéditions de montagne, si elles sont restées de belles aventures sportives et humaines, ont progressivement perdu leur valeur symbolique. « Les pas pèsent, la respiration devient difficile alors que la cordée dépasse les 7000 mètres Cette expédition se distingue en ce qu’elle n’a de sens ou de mais le sommet, insensiblement, se rapproche ». Photo Louis Meunier valeur que symboliques. Depuis 1960 et la première expédition japonaise à atteindre le sommet du Nochaq, plus d’une trentaine de cordées s’étaient succédées à l’assaut de cette montagne de 7492 mètres mais aucune n’avait amené un afghan au point culminant de l’Afghanistan. L’assaut Qu’un homme gravisse le plus haut sommet de son pays présen- Le 19, les quatre hommes restant partent à l’assaut. Depuis te en soi une valeur symbolique forte au niveau national mais le camp 3 (6700 mètres), ce sont d’abord 200 mètres de déni- d’autres lectures de cet évènement peuvent être proposées tant velé en mauvaise pierre à gravir : elle menace de céder à cha- d’un point de vue strictement afghan que des relations entre que instant, ralentissant la progression. Le plateau est atteint, l’Afghanistan et le monde extérieur. Les facteurs de fierté nationale de l’Afghanistan se rattachent balayé par un vent fort. La température tombe en dessous de plus à son histoire qu’à son présent. Qu’on la justifie ou non, moins 15. Le plateau est atteint mais le sommet est encore que les Afghans l’acceptent, l’estiment nécessaire ou non, la loin. Il reste encore presque 500 mètres à gravir. Les hommes présence de forces militaires étrangères indispose les habitants avancent lentement dans la neige profonde, jusqu’aux cuis- d’un pays farouchement attaché à son indépendance. Que dire ses. Amruddin perd son piolet. Simon lui donne le sien: il de- aussi de la tutelle économique du pays ? Dans ce contexte, tout vra rester en arrière. Restent trois hommes, Malang, Amrud- évènement contribuant à conforter la fierté nationale, comme la din et Jean. Les pas pèsent, la respiration devient difficile médaille de Rohullah Nikpai (Taekwondo) aux Jeux Olympiques alors que la cordée dépasse les 7000 mètres mais le sommet, de Pekin, connaît un retentissement important au sein de l’opi- insensiblement, se rapproche. A 14h30, les trois hommes at- nion publique afghane : des Afghans au sommet ; alors que leurs teignent le sommet. Malang et Amruddin brandissent le dra- compatriotes n’avaient été précédemment que les porteurs des peau afghan. expéditions étrangères !. Pour beaucoup aussi, cette fierté se double du fait que cet évènement nous présente, pour une fois, L’équipe devra établir un nouveau camp à 7100 mètres, juste l’Afghanistan sous un jour qui ne soit pas négatif. au dessus de la barrière rocheuse. Le 20, le camp de base est Cette expédition se distingue aussi par l’esprit de ses initiateurs. rejoint mais la nouvelle s’est déjà répandue. Le camp de base Bien souvent, les initiatives de ce type ont pour objet de répon- est rapidement démonté, le terrain nettoyé, et l’équipe redes- dre à des intérêts médiatiques ; l’image difficile de l’Afghanistan cend avec 47 porteurs, dans une atmosphère de liesse. auprès du grand public étant utilisée pour faire valoir les promo- A Qazi Deh, la population s’est rassemblée pour fêter les teurs de ces aventures. Menée par des amoureux de l’Afghanis- héros. Fierté des habitants que des leurs aient marqué l’his- tan, le but de l’expédition « Les Afghans au Sommet » était de me- toire du pays. Mais déjà, l’équipe est réclamée à Kaboul. ner au sommet des Afghans qu’ils connaissaient. Il est d’ailleurs révélateur que la priorité accordée à la réalisation de cet objectif Les réceptions se succèdent : Ambassade de France, Nations a fait, qu’au fil des problèmes techniques, aucun des porteurs unies. Le Président du Comité Olympique Afghan organise du projet n’a pu arriver au sommet : l’ascension des Afghans a une réception en leur honneur au Stade Olympique. Puis les été privilégiée. Des étrangers ont, par amour de l’Afghanistan, radios et les télés afghanes. Les Nations unies les nomment contribué à mettre en avant des Afghans et leur pays. C’est aussi Ambassadeurs de la Paix. Que de chemin pour un cuisinier et un message à destination de l’Afghanistan et on ne peut que se un éleveur du Wakhan ! réjouir que ce soit des Français qui l’aient porté. Enfin, quiconque a pu rencontrer les membres de l’expédition, à Chamonix, à Paris ou en Afghanistan a pu se rendre compte à quel point Afghans et Français étaient soudés autour de leur ob- jectif et surtout à quel point ce groupe constituait un bel exemple d’amitié franco afghane. 1 - Har tchi beland bâchad, koh sar-e khod râh dârad. Qui peut vouloir R. L. dire aussi : Aussi haute soit-elle la montagne a un chemin pour la franchir. (NDLR) Les Nouvelles d’Afghanistan n°128 5
PROVINCE Hérat – automne 2009 Ombres et lumières par Guy CAUSSÉ* Grande mosquée de Hérat. Photo MDM L’Afghanistan est riche de sa diversité, dit-on. Si on veut connaître le pays, il ne faut donc pas se limiter à Kaboul. Hérat présente des caractéristiques bien différentes, notamment grâce à sa proximité de l’Iran. Guy Caussé qui vient de s’y rendre décrit une ville qui continue de se développer, avec, hélas, aussi de nombreux problèmes par exemple dans le domaine des addictions. Kaboul est bien proche d’Herat par la voie des airs. Mais l’aéroport de Hérat reste provincial, hormis son environne- ment militarisé par l’ISAF espagnol. L’arrivée vers la ville est impressionnante, longue route asphaltée bordée de pins centenaires, hélas clairsemés à présent, et tout au long, ca- hutes commerciales traditionnelles, hôtels flambants neufs paraissant désertés, locaux industriels de plus en plus nom- breux. La ville est lumineuse, sous la douce lumière des pins para- sols, avec de grandes avenues modernes et commerçantes. Les pizzerias, restaurants chinois, maisons kitchs et clin- quantes, centres commerciaux, tout cela signe une réelle et riche émancipation commerciale. Les calèches traditionnel- les, avec leurs chevaux pomponnés, ont disparu au bénéfice des triporteurs « rickshaw » et des petites motos japonaises qui envahissent bruyamment la ville. Les collines entourant Hérat sont à présent boisées, agen- cées en jardins et parcs d’attraction avec manèges, piscine, échoppes, cafés, aires de détente où la jeunesse et les familles peuvent venir fumer le narguilé. Le mémorial à la gloire de «l’Emir Ismaël Khan » domine ces jardins et signifie son rôle essentiel dans l’émancipation de cette ville. En contrebas, il reste quelques tanks et canons détruits et oubliés, cicatrices des guerres passées. Face à Kaboul, si meurtrie, la modernité de cette ville paraît insolente et bénéficie de la proximité de l’Iran et des échan- ges commerciaux incessants. Hérat est la voie de passage * Responsable des missions de Médecins du Monde (MDM) en Afghanis- « La ville est pacifiée, une police nombreuse et procédurière règne en maître sur la ville tan. pour assurer une sécurité efficace ». Photo MDM 6 Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
PROVINCE « Les collines entourant Hérat sont à présent boisées, agencées en jardins et parcs d’attraction avec manèges, piscine, échoppes, cafés, aires de détente » Photo MDM essentielle entre l’Orient venant du Pakistan et l’Occident grâce à son ouverture sur l’Iran. L’ombre De nombreuses ONG restent présentes, comme le CICR, de la drogue World Vision, Handicap international, Humaniterra, et des Cependant, chaque soleil a ses ombres et cette ville floris- ONG locales ont pris le relais d’autres grandes ONG. Un bâ- sante porte aussi son lot de misère humaine : timent pédiatrique vient d’être construit à l’Hôpital. L’unité - Persistance de la pauvreté dans les campagnes. des grands brûlés mise en place par Humaniterra, exemplaire - Insécurité dans les provinces voisines au nord sur Badghis pour le pays, poursuit son remarquable travail1. et Ghor et au sud au-delà de Chindand. La ville est pacifiée, une police nombreuse et procédurière - Des centaines d’enfants des rues sont impliqués dans des tra- règne en maître sur la ville pour assurer une sécurité effi- fics de drogue et de commerce, avec la proximité de l’Iran. cace. Hérat est le lieu de passage pour les milliers de jeunes tra- « des aires de détente où la jeunesse et les familles peuvent venir fumer le narguilé » vailleurs clandestins se rendant en Iran. Cette population, Photo MDM jeune et précarisée, est touchée par la consommation des drogues. Ils sont 50 000 victimes de la drogue sur la région de Hérat. Les jeunes travailleurs clandestins sur l’Iran vivent dans une extrême précarité. Souvent, ils font venir leur fa- mille avec eux. Fréquemment pris par la police iranienne, ils sont ramenés à la frontière sur Islam Qala ou Zarandj et là, abandonnés, livrés à eux-mêmes, sans moyens, sans argent, sans nouvelles de leur famille restée en Iran. Ils se rassemblent alors dans les squats et les cimetières de Herat et continuent à se droguer pour survivre, chassés et bat- tus par des policiers qui n’hésitent pas à son tour à les faire travailler à leur profit. Cependant, les ONG afghanes ouvrent des centres d’accueil de jour et proposent des sevrages radi- caux, mais sans grand succès. Dans le cadre du programme de réduction des risques que MDM met en place à Kaboul avec l’introduction de la mé- thadone comme alternative de substitution, il sera possible de les faire bénéficier de cette nouvelle approche thérapeutique par l’intermédiaire des ONG locales. La migration clandestine vers l’Iran atteint de 500 000 à un million de travailleurs fragilisés politiquement et économi- quement. C’est une grande préoccupation pour les autorités afghanes et cela devrait l’être aussi pour les ONG humanitai- res ou défenseurs des droits humains, qui devraient travailler des deux côtés de la frontière, pour le respect et la dignité de chacun de ces Afghans. 1 - Voir sur l’action de cette ONG Les Nouvelles d’Afghanistan, n° 122. Les Nouvelles d’Afghanistan n°128 7
RECONSTRUCTION L’histoire des forces aériennes afghanes par le Major-General Mohammad DAWRAN* Les forces aériennes sont un élément essentiel de la souveraineté d’un pays. La reconstitution de l’armée de l’air afghane a été entreprise de manière très prudente et lente depuis 2002, sans doute pour éviter de mauvaises surprises. A l’occasion du colloque organisé par l’armée de l’air française le 1er décembre, le commandant des forces aériennes afghanes est venu à Paris pour la première fois. Nous publions ici de larges extraits de son intervention. On pourra y lire en filigrane quelques critiques discrètes et aussi l’affirmation que les questions politiques sont primordiales. La force aérienne afghane a été créée en 1920, juste après l’indépendance politique de l’Afghanistan1, et le premier vol a été effectué en 1924, sous le roi Amanollah Khan, avec des avions français et italiens. Par ailleurs, des pilotes allemands venaient régulièrement voler en Afghanistan, et des pilotes afghans partaient s’entraîner en Italie, en Angleterre, ou en- core en Allemagne. En 1957, la force aérienne afghane a en- trepris des échanges avec l’Union soviétique, qui lui fournis- sait des matériels, et après le coup d’État de 1978, la force aérienne afghane s’est développée rapidement avec la mise en place de onze régiments et états-majors à Bagram, Ka- boul, Kandahar, Mazar-e Charif et Chindand. Pendant près de quinze ans, la force aérienne afghane a perdu plus de 700 avions, et plus de 600 équipages ont perdu la vie. (...) Après 2001, quand les Tâlebân ont été chassés de Kaboul et Kaboul, 1959. Des MIG-15 et II-28 sur l’aéroport. « En 1957 l’Union soviétique fournissait qu’un gouvernement provisoire a été mis en place (…) , [et le matériel ». alors que] la force aérienne joue un rôle important pour le soutien des forces au sol, nous ne lui avons pas donné les moyens nécessaires pour se reconstruire. [Mais] ces deux dernières années, le général Walter Gihvan, ancien comman- Un Hawker Hind de l’armée de l’Air afghane de l’entre deux guerres. « La force aérienne dant allié chargé de la formation des forces aériennes afgha- afghane a été crée en 1920 » nes, a beaucoup œuvré pour le développement de l’Afghan National Army Air Corps. La situation actuelle Je voudrais apporter un certain nombre de précisions : d’abord, la situation en Afghanistan n’est pas si tragique qu’on pourrait le penser, car l’ennemi n’est pas si fort qu’on le croit. Pour le moment, nous ne sommes pas encore assez bien organisés, mais les Tâlebân ou les terroristes ne sont pas des groupes très puissants. Dans les médias, vous pouvez * Commandant des forces aériennes afghanes. 8 Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
RECONSTRUCTION Cocarde de l’Armée de l’Air Afghane (ci-dessus). Un Antonov 32 de l’Armée de l’Air Afghane (à gauche) voir que les Tâlebân évitent de combattre face à face avec sujet avec mes collègues et avec le général Givhan. les forces afghanes ou étrangères. Ils perpètrent des attentats Les Afghans sont illettrés, très croyants et ils font confiance ou des attentats-suicides, mais l’armée de l’air afghane ainsi aux religieux. C’est pourquoi il faut éviter que les Tâlebân que les forces de l’OTAN et de la coalition n’ont pas changé n’utilisent l’ignorance du peuple comme outil de propa- leur stratégie ni leur tactique. Au niveau militaire, les forces gande. Ces gens là sont des ennemis, et il nous faut pouvoir alliées doivent avant tout anticiper les attaques de l’ennemi. sensibiliser la population afghane en dépit des difficultés de L’Afghanistan n’a pas besoin d’une grande armée avec beau- la situation. coup de soldats, de chars ou autres. En tant que commandant Nous devons être très prudents, notamment par rapport aux des forces aériennes afghanes, j’ai soulevé plusieurs fois le fouilles de maisons et des civils, surtout des femmes. C’est un fait qu’il fallait plutôt mener nos actions avec des petits grou- sujet sensible, et il faut régler ces problèmes avec le concours pes de l’armée de terre qui seraient héliportés par les hélicop- des forces de police ou de l’armée afghane. tères de l’armée de l’air. Cette solution nous permettrait de L’autre point important est la formation de cette armée. Nous faire notre travail avec une plus grande efficacité et éviterait travaillons actuellement à ce que, dans quelques années, les les pertes civiles. forces terrestres bénéficient d’un soutien plus efficace de l’ar- mée de l’air afghane qui commence à recevoir de nouveaux équipements. Au début, ce sujet n’était malheureusement La situation est d’abord pas notre priorité, et les Tâlebân se sont reconstruits en étant mieux armés que nous. L’armée afghane n’était pas encore politique suffisamment bien armée (elle ne disposait que des simples Le soutien du peuple est aussi très important. Ces dernières Kalachnikov vieilles de 20 ou 30 ans et d’[un tout petit nom- années, la confiance du peuple afghan envers l’armée s’est bre d’]avions pour combattre les Tâlebân), ce qui a permis à étiolée. Il y a trois ans, je pouvais voyager avec deux per- ces derniers de revenir et de mener leurs opérations. sonnes de Kandahar à Kaboul mais aujourd’hui, nous avons Aujourd’hui, grâce aux dons américains d’armes légères, besoin d’un convoi militaire dans la zone de Herat, Farah ou M-16 et M-14, et de véhicules, l’armée afghane est davan- d’autres villes. Il faut donc trouver des solutions pour rega- tage en mesure de combattre les Tâlebân et Al-Qaida. La base gner la confiance du peuple afghan. Je pense toutefois que militaire aérienne de Kaboul est équipée d’avions C-27 ita- cela se situe à un niveau supérieur au simple niveau militaire. liens et d’hélicoptères Mi-17 et Mi-35, et la base aérienne de En effet, le problème repose sur le fait qu’il faut forcer les Kandahar doit pouvoir abriter dans un futur proche un cen- gens à accepter l’Etat de droit, et par conséquent la solution tre d’entraînement. Enfin, pour améliorer notre capacité de ne relève pas du domaine militaire mais plutôt du domaine déploiement et de soutien à l’armée de terre, d’autres bases politique. sont en construction à Chindand, Mazar-e Charif, Gardez et Au niveau militaire, il faut indubitablement établir une coor- Djalalabad. dination et une coopération parfaites et une stratégie commu- Pour conclure, je rappellerai que la coordination entre les pays ne entre les forces armées afghanes et les forces de l’OTAN, de l’OTAN et les forces afghanes est primordiale, de même car les forces aériennes sont là pour soutenir les forces terres- que le respect de la culture et de la religion des Afghans. tres, en toute situation. (…) Parallèlement, le rééquipement de l’armée de l’air afghane Mais en faisant équipe nous pouvons soutenir les forces est crucial pour le soutien des forces terrestres, mais le point afghanes, et je suis persuadé que nous n’aurons pas à déplorer central demeure cependant la continuation du dialogue avec des pertes civiles, et que le résultat n’en sera que meilleur. les insurgés afin de combattre le trafic de drogue pour que les chefs de district, qui sont au service du peuple afghan, soient bien accueillis par la population. Respecter la culture afghane C’est la prise en compte de ces éléments qui pourra sauver l’Afghanistan. L’Afghanistan est une société traditionnelle, et c’est pour- quoi nous devons être particulièrement vigilants à respecter la culture et les traditions afghanes. J’ai toujours abordé ce 1 - En 1919 (NDLR).. Les Nouvelles d’Afghanistan n°128 9
RECONSTRUCTION La reconstitution de l’armée de l’air par le Brigadier-General GIVHAN* de l’USAF La reconstitution de l’armée de l’air afghane a été prise en charge par les Américains avec l’aide notamment des Tchèques. L’existence d’un personnel déjà formé (mais sur du matériel russe) a permis de ne pas partir de rien. Mais, comme cette action a démarré tardivement, beaucoup reste à faire1. Dans cette présentation, j’emploierai le « nous » pour parler avions deux priorités : donner aussi vite que possible aux des Américains, des Afghans et de nos alliés qui composent Afghans les moyens de se battre et démarrer l’acquisition l’équipe de la Combined Air Power Transition Force (For- d’avions et le recrutement d’officiers, de sous-officiers et de ces aériennes de transition). Sans comptabiliser le personnel techniciens afin d’assurer la croissance et l’avenir de l’armée afghan, cette équipe compte plus de 400 militaires et cet ef- de l’air afghane. fectif grandit en même temps que celui de l’armée de l’air Les pilotes et les mécaniciens afghans connaissaient bien les afghane. La force de transition a pour mission de bâtir une matériels russes donc nous avons acheté davantage d’héli- armée de l’air afghane puissante viable et capable d’assurer coptères Mi-17 et Mi-35, d’avions de transport An-32 (An- la sécurité du pays. Il ne s’agit pas de copier le modèle de tonov) afin de leur permettre de conduire des opérations l’armée de l’air américaine ou celui des autres pays, mais immédiatement. Les pilotes américains ont fait un stage plutôt d’incorporer les meilleurs éléments adaptés à l’Afgha- d’entraînement sur les avions russes afin de mieux assister nistan. Nous souhaitons également faire travailler ensemble nos camarades afghans, qui avaient besoin de retrouver une l’armée de l’air afghane et l’armée de terre afghane dans un culture d’entraînement qu’ils avaient perdue pendant les 30 premier temps, puis avec les armées de l’air alliées car nous années de guerre. sommes tous partenaires dans cette mission. Il faut établir un véritable partenariat entre nos forces. Les Afghans nous ont beaucoup appris et j’espère que nous leur avons appris quel- que chose. Dès le départ, j’ai toujours conseillé à mon équipe Le matériel d’écouter les Afghans. Quant à moi, j’ai eu la chance d’avoir La première priorité était d’assurer la mobilité qui est une un bon professeur, qui est à mes côtés, le général Dawran. Je nécessité absolue pour les forces en Afghanistan en raison pense toutefois que cette collaboration a commencé un peu du terrain, du manque de routes praticables et de la menace tard. J’ai, en effet, été surpris de découvrir, à mon arrivée, que l’effort n’a réellement commencé qu’à partir de 2007. En deux ans, nous avons fait beaucoup de progrès, mais il est Première livraisaon d’un C27 en septembre 2009. évident que construire une armée de l’air prend du temps et qu’il nous reste beaucoup de travail. Le général Dawran vient de nous raconter l’histoire de l’armée de l’air afghane et je peux ajouter que, dans les années 80, cette armée était grande et puissante. En effet, même si après 30 ans de guerre l’armée de l’air n’avait plus d’avions, des pilotes, des mécaniciens et d’autres spécialistes étaient toujours prêts à servir. Grâce à ce vivier humain, il était donc possible de relancer l’armée de l’air afghane et de lui redonner toute sa puissance. Nous avons donc la chance d’avoir une armée et un commande- ment qui a beaucoup d’expérience et qui est encore prêt à se sacrifier, et le général Dawran est le symbole de cet espoir. Lors de la mise en place de cette force de transition, nous * Membre des forces aériennes américaines. Ancien commandant allié char- gé de la formation des forces aériennes afghanes. 10 Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
RECONSTRUCTION Aéroport de Kandahar. Un sergent américain forme le personnel de l’Armée de l’Air afgha- ne. Photo US Airforce/Isaf Un soldat afghan de l’Armée de l’Air de retour d’un vol sur l’aéroport de Kandahâr. « L’année dernière nous avons augmenté la présence des forces aériennes à Kaboul et à Kandahar ». Photo US Airforce/Isaf confiées. L’année dernière, nous avons augmenté la présence des forces aériennes à Kaboul ainsi qu’à Kandahar et nous des engins explosifs improvisés. Parallèlement, nous avons avons mené des missions à partir de Hérat avec deux hélicop- travaillé avec les Afghans sur la planification pour l’armée tères. Nous avons aussi commencé à établir une base d’en- du futur, en particulier sur le système de commandement et traînement à Chindand et la formation des élèves-pilotes va de contrôle, sur la construction de bases aériennes, la for- commencer dans deux ans. Dans cette optique, trois escadres mation des forces et l’acquisition de nouveaux avions. (...) seront basées à Kaboul, à Kandahar et à Chindand, et ces uni- Comme toutes les armées de l’air, la puissance de feu et la tés seront dotées d’avions et d’hélicoptères. Parallèlement, grande mobilité des avions de combat permettent de limiter nous envisageons de créer des escadrons d’hélicoptères à les effectifs engagés sur ce vaste pays tout en assurant l’effet Mazar-e Charif, Djalalabad et Gardez, où un certain nombre militaire demandé. d’Afghans sont déjà affectés sans qu’il y ait encore d’avions D’autre part, l’armée de l’air afghane a également la capa- ou de conseillers américains. cité, aujourd’hui, de garantir l’appui feu rapproché avec le Mi-35, grâce à nos amis tchèques qui nous ont aidé par le don de ces hélicoptères et d’une équipe d’instructeurs. Nous sommes aussi en train d’acquérir des avions pour mener cette La lutte contre les insurgés mission importante, dans l’objectif qu’ils puissent effectuer Enfin, l’armée de l’air afghane a une autre compétence tout des missions de présence et de surveillance. à fait primordiale, qui est la lutte contre les insurgés. À ce En ce qui concerne le transport, les Afghans viennent de re- titre, l’armée de l’air afghane est un symbole du gouverne- cevoir le premier C-27, que nous avons acheté à 20 exem- ment afghan et elle effectue des missions pour le bien de plaires pour remplacer l’An-32 (Antonov). À l’avenir, nous son pays et de son peuple. J’ai remarqué, à cet effet, que la aurons aussi des avions d’entraînement, que nous sommes en population afghane était fière de son armée de l’air, car elle train d’acquérir. Pour le moment, les élèves-pilotes s’entraî- accomplit des missions humanitaires et est sollicitée lors des nent dans d’autres pays. catastrophes naturelles pour secourir les populations en dif- En ce qui concerne les bases aériennes, nous avons envi- ficulté. Par exemple, lors des inondations de l’été 2009 dans sagé de créer un réseau de bases qui permette à l’armée de le nord du pays, l’armée de l’air afghane est venue en aide à l’air afghane de réaliser l’ensemble des missions qui lui sont la population en secourant 1 500 personnes et de nombreux animaux. Un ingénieur afghan de l’Armée de l’Air au courd d’un vol test d’un hélicoptère MI-17. Cette armée est actuellement composée d’environ 2 800 per- Photo US Airforce/Isaf sonnes et 45 aéronefs, et selon nos projets, il est envisagé qu’elle compte 8 500 militaires et 154 aéronefs en 2016. Pour résumer, nous avons fait beaucoup de progrès dans no- tre collaboration avec l’armée de l’air afghane, mais il nous reste encore d’importantes tâches à accomplir et son intégra- tion avec les autres armées alliées reste un défi. Il va nous fal- loir poursuivre cette démarche et continuer cet essor dès lors que nous en aurons l’occasion, la volonté et les ressources nécessaires. Il est profondément dans l’intérêt de nos pays et de nos armées de l’air d’avoir une armée de l’air afghane puissante, capable et viable dont tout le monde puisse tirer avantage. 1 - Nous remercions les organisateurs du Colloque de l’armée de l’air du 1er décembre, et notamment le Colonel Erschens de nous avoir autorisés à publier ces deux interventions. (NDLR). Les Nouvelles d’Afghanistan n°128 11
SECURITÉ Quelles sont les forces des Tâlebân ? Entretien avec Gérard CHALIAND* A combien peut-on évaluer les forces des Tâlebân le mollah Baradar et le responsable militaire Abdullah Zakir. afghans? Je ne pense pas qu’il y ait coordination entre les Tâlebân, le Il semble qu’une estimation entre 20 et 30 000 Tâlebân (et réseau Haqani et le Hezb-e Islami, mais ils poursuivent un autres insurgés) soit raisonnable, à condition d’ajouter que les but commun : mettre à bas le régime afghan actuel. capacités de remplacement sont quasiment illimitées compte Combien de districts contrôlent-ils effectivement ? tenu du nombre de Pachtouns au Pakistan. Ils n’ont cessé En gros, les Tâlebân contrôlent le sud du pays, le réseau Ha- d’être en progression au cours des trois dernières années. qani, les provinces de Paktia et le Paktika. Le Hezb-e Islami Leur chiffre approximatif se situait en 2005 au-dessous de est quant à lui particulièrement bien implanté au Kunar, au 10000, et sans doute moins. Nouristan et dans la province de Kunduz. D’où viennent leurs armes ? Et leurs fonds ? Est-il vrai qu’ils ont le vent en poupe. Ont-ils subi des Les armes viennent du Pakistan, selon toute probabilité, et revers ? Connaissent-ils des dissensions ? sont, sans doute, données par les services pakistanais. Les Oui. Les Tâlebân, depuis 2005, ont progressé de façon très fonds viennent certainement au premier chef du Golfe et sensible. Ils n’ont subi que des revers très ponctuels. Il est d’Arabie Saoudite. difficile de dire qu’ils connaissent des dissensions. Je n’ai A-t-on une idée de leurs pertes ? Y a-t-il beaucoup de pas de renseignement à ce sujet. Je suppose que comme dans prisonniers ? tout mouvement insurrectionnel, il y a les convaincus et ceux Leurs pertes sont probablement exagérées dans les bilans an- qui suivent. Les convaincus dirigent. D’une façon générale, nuels. En fait, ils emportent leurs morts (et leurs blessés) cha- sur le plan idéologique, il est indiscutable que ce sont les que fois que c’est possible. Il n’y a guère de prisonniers. insurgés qui sont les plus motivés. Où est basé l’Etat-major des Tâlebân ? Quel est le degré Aucun effort pour modifier le rapport de force ne peut donner d’entente et de coordination entre les Tâlebân, le réseau de résultat décisif si le régime de Kaboul n’est pas perçu par Haquani et le Hezb-e Islami ? la population, l’armée et la police comme respectable. L’Etat-major est basé au Baloutchistan dans la région de * Géopolitologue, spécialiste des conflits armés et des guérillas. Quetta : c’est là que se trouvent le mollah Omar, son adjoint 2006 2007 2008 2009 Nombre total de morts 4000 6500 6340 (AP) Victimes civiles 899 2026 (ANSO) 2118 2412 (+ 14%) L’évolution de la violence du fait des Tâlebân 482 946 1160 1630 depuis 2006 du fait de la coalition 230 539 459 596 Pertes militaires étrangères 191 232 295 522 Comme nous l’avions fait au début de 2009, nous publions ici dont Américains 87 110 155 317 quelques données permettant de se faire une idée de l’évolution dont Canadiens 36 30 32 32 de la violence en Afghanistan. Le nombre d’attaques de l’opposi- tion a été à nouveau en augmentation d’environ 40%. Le nombre dont Britanniques 39 41 51 108 de victimes au sein des forces internationales augmente de 33 dont Français 6 3 11 11 %. Ce sont les Américains et les Britanniques qui font les frais Pertes chez les Tâlebân - 4500 (AP) 3800 (AP) - de cette augmentation. Quant au nombre de victimes civiles, il Pertes gouvernementales - 925 (AP) 870 (AP) - augmente notablement, mais surtout du fait des actions souvent Nombre d’attaques des 2335 3450 5244 7474 aveugles des Tâlebân. Pourtant la population ressent de plus en forces d’opposition (ANSO) plus mal les pertes civiles provenant d’actions de la coalition. Nombre d’attaques-suicide 141 137 121 (ANSO) - Lesz provinces les plus touchées sont dans l’ordre : la Kounar, Victimes de ces attaques 1166 1730 dont 300 373 morts civils - Kandahar, Helmand, Khost, Ghazni, Wardak et Paktika, qui voient (morts et blessés) morts civils (ANSO) au moins une attaque par jour, et totalisent 62 % des actions vio- Membres d’ONG tués 24 (dont 0 15 (dont 4 31 (dont 6 19 (dont 0 lentes. A l’inverse, huit provinces situées dans le nord ou le centre (ANSO) étranger) étrangers) étrangers) étranger) totalisent moins d’une attaque par semaine. 12 Les Nouvelles d’Afghanistan n°128
ÉCONOMIE L’organisation économique dans les villages afghans1 par Elsa PIOU * Comme nous l’avons déjà souligné, la société rurale afghane est loin d’être immobile. En bien et en mal, elle bouge, sous l’influence de l’aide internatio- nale et de l’évolution économique générale. Cela transforme en profondeur les relations sociales. Adieu les relations basées sur le don et la solidarité. Bonjour à la monétarisation et à l’individualisme. C’est ce qu’explique Elsa Piou, avec finesse et avec une bonne connaissance du terrain acquise grâce à Madéra. Les conflits, les migrations, les sécheresses, les interven- .« Avant on était autonomes, on faisait tout par nous-mêmes, tions extérieures, etc. jouent sur l’organisation économique sauf le sel qu’on allait chercher à l’extérieur. Maintenant, on Afghane. L’ouverture et la multiplication des échanges, la peut tout faire venir avec de l’argent ». monétarisation croissante de l’économie, l’évolution vers un Dans les vallées, les villageois utilisaient traditionnellement système contractuel, contribuent à faire évoluer le lien social peu l’argent. Les achats sont réalisés en nature souvent après et les représentations locales. la récolte. La proximité sociale joue sur les échanges et sur Les forces de la coalition travaillent à accroître l’accessibilité le « prix » d’un bien. La structure de l’échange « don-con- des vallées du Kounar, du Laghman et du Nouristan. Depuis tre don » se repère facilement. Une dette symbolique circule 2001, des axes de communication se sont multipliés. Ils favo- continuellement, la relation est toujours en cours. Dans le risent les échanges et les migrations, l’intervention d’acteurs Nouristan, chèvres et fromages, porteurs d’une dimension extérieurs, l’arrivée de produits manufacturés dans les villa- symbolique, jouent un rôle central dans les échanges. L’ac- ges, mais aussi l’évolution des xxreprésentations des habi- cumulation de chèvres ne constitue pas une fin en soi mais un tants. Les « returnees » occupent des positions de leadership, moyen. Elle ne prend sens que dans le cas où elle est dépen- importent des pratiques et représentations, innovent. sée en festins, invitations, dons, et se transforme en prestige. Pour se marier, un homme doit offrir de nombreuses chèvres et fromages à sa belle famille. Schuyler Jones a observé que Ouverture et monétarisation les Kom produisaient bien plus qu’ils n’étaient en mesure de consommer. « En induire que les excédents alimentaires sont des échanges destinés à être vendus ou échangés contre d’autres biens se- La monétarisation des échanges joue sur la « valeur » du blé, rait erroné. Cette accumulation ne trouve sa justification que qui était un bien central dans le système d’échange. Il de- dans le don. Les biens excédentaires ont une fonction sociale vient difficile pour les propriétaires terriens de trouver une bien plus qu’économique »3. main d’œuvre acceptant de travailler selon les conditions qui Progressivement, les chèvres sont remplacées par l’argent préexistaient. En ville, un ouvrier non qualifié touchait en dans les échanges : « On demandait douze chèvres en échan- 2008 un salaire journalier de 150 afghanis, ce qui dépassait ge de la construction d’une pièce, maintenant c’est 14 000 ce qu’un métayer pourrait obtenir d’une récolte. afghanis ». « Cela coûtait une chèvre de faire descendre des « Avant, chacun cherchait à avoir assez de terres pour la fa- poutres de la forêt, maintenant c’est 800 afghanis ». mille. Avec l’arrivée du bazar, les coulées de boue, on a chan- Certaines denrées, comme les jujubes (onâb) ou le fromage gé. On considère moins les terres. Le blé, on peut l’acheter ».2 dans le Nouristân, ne faisaient traditionnellement pas partie du circuit commercial. Leur commerce est devenu possible ces dernières années. Tandis que la vente à un proche était im- pensable, elle devient envisageable. En ville, les prix devien- * Après avoir fait une mission dans le cadre de MADERA, Elsa Piou vient nent moins flexibles, ils sont affichés dans quelques magasins de soutenir en juin 2009 une thèse de doctorat sur Impact et appropriation d’un programme de développement dans des districts ruraux afghans. L’ar- de Djalâlâbâd. Les programmes de développement supposent ticulation entre projets de développement et sociétés locales. Elle a déjà pu- la réalisation de plusieurs cotations avant tout achat. Dans blié dans Les Nouvelles d’Afghanistan un article sur ce même sujet (numéro une certaine mesure, la valeur des choses est en cours d’auto- 123). nomisation par rapport à celle des personnes, ce qui corres- Les Nouvelles d’Afghanistan n°128 13
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