Est-elle malade ? De quoi l'Alsace - CUEJ.info

 
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Est-elle malade ? De quoi l'Alsace - CUEJ.info
Trimestriel - Centre universitaire d’enseignement du journalisme - N˚ ISSN 0996-9624 - 3 €   Décembre 2017 > n° 121

De quoi l’Alsace
est-elle malade ?

          Diabète, obésité, maladie de Lyme…
la région souffre de son alimentation et de son
  environnement, mais innove pour se soigner.
Est-elle malade ? De quoi l'Alsace - CUEJ.info
Maux d’Alsace

A
           h, l’Alsace, sa chou-            chauffage à fond. L’industrie et            donner leur avis sur cette patho-
           croute, son munster              l’agriculture s’y portent bien. Ses         logie complexe.
           et ses knacks. Une ali-          poumons, beaucoup moins.                    L’Alsacien a beaucoup à craindre
           mentation aussi pau-             La topographie, une vallée en-              pour sa santé mais, par chance,
vre en légumes que riche en ca-             tre deux chaînes de montagnes               il est mieux loti que les Fran-
lories. Un régime à faire défaillir         et exempte de vent, aggrave la              çais de l’intérieur. Les médecins
un nutritionniste mais qui, pour            situation : la pollution stagne,            sont nombreux et sa région est
les Alsaciens, rime surtout avec            pénètre dans le corps et engen-             bien équipée en lits d’hôpitaux.
ennuis de santé. La note peut               dre des retombées néfastes sur              Les organismes de santé et des
être salée : obésité et diabète, les        la santé.                                   médecins alsaciens ont pris la
deux fléaux locaux. La génétique            L’Alsacien est maintenant affolé,           mesure des problèmes de santé.
et le manque d’activité sportive            il a besoin de prendre un peu               Applications de télé-médecine
pèsent aussi dans la balance.               l’air en forêt pour se ressourcer.          et programme de sport sur or-
Mais les soucis de l’Alsacien ne            Gare à lui, des tiques porteuses            donnance, nés dans la plaine du
s’arrêtent pas à son assiette. Sa           de la maladie de Lyme l’y atten-            Rhin, ont franchi la frontière des
région est au cœur du trafic rou-           dent. Et à la sortie du bois, il y a        Vosges pour soigner tout l’Hexa-
tier européen. Les hivers y sont            trouvera pléthore de spécialistes           gone.
rudes et lui font pousser son               et pseudo-spécialistes prompts à                             Margaux Tertre

Une infirmière de l’unité neurovasculaire de l’hôpital de Hautepierre | Photo : Sophie Motte/CUEJ

NEWS D'ILL
Centre universitaire          DIRECTRICE DE           RÉDACTRICE EN            RÉALISATION
d’enseignement                LA PUBLICATION          CHEF                     Aurélia Abdelbost, Paul Boulben, Kévin Brancaleoni, Pierre-Olivier Chaput,
du journalisme (CUEJ),        Nicole Gauthier         Margaux Tertre           Baptiste Decharme, Marine Ernoult, Franziska Gromann, Victor Guillaud-
Université de Strasbourg.                             ICONOGRAPHE              Lucet, Pablo Guimbretiere, Timothée Loubière, Tanguy Lyonnet, Anne Mellier,
11 rue du Maréchal-Juin       ENCADREMENT             Baptiste Decharme        Ferdinand Moeck, Sophie Motte, Clément Nicolas, Victor Noiret, Thomas
CS 10068 67046 Strasbourg     Quentin Descamps,       CHEF D’EDITION           Porcheron, Eddie Rabeyrin, Laurent Rigaux, Léa Schneider, Clara Surges,
Tél : 03 68 85 83 00          Nicole Gauthier,        Kévin Brancaleoni        Margaux Tertre
cuej.unistra.fr               Daniel Muller,          INFOGRAPHIE              PHOTO DE UNE
www.cuej.info                 Stéphanie Peurière      Baptiste Decharme        Baptiste Decharme

2 < NEWS   D’ILL n° 121 - DÉCEMBRE 2017
Est-elle malade ? De quoi l'Alsace - CUEJ.info
Patrick Colin souffre des symptômes de la maladie de Lyme depuis 20 ans. Une affection dont le caractère chronique
est sujet à une féroce controverse. | Photo Laurent Rigaux

Carnet de santé                                                                                             14
Régime chirurgical                                                                                             6
L’addition salée du diabète                                                                                    8
« La pandémie devrait se terminer en 2045 »                                                                    9
Les travailleurs sociaux, psy malgré eux                                                                      10
« L’hôpital c’était facile, mais c’était pas la vie »                                                         11
L’arrêt maladie à fond la forme                                                                               12
La thérapie par l’effort                                                                                      13
Le débat des tiques                                                                                         14
Le parasite, le cerf et le loup                                                                               15
Les zones grises de la pollution                                                                              16
A vélo entre les particules                                                                                   17
Parcours de soin, parcours d’obstacles                                                                        18
La naissance comme à la maison                                                                                20
Nos très chères lunettes                                                                                    22
France - Allemagne : système non-complémentaire                                                               24
De la médecine en tablette                                                                                    25
Á la point du combat contre la douleur                                                                        26
Le marathon de la prévention                                                                                  27

                                                                                        NEWS D’ILL n° 121 - DÉCEMBRE 2017 > 3
Est-elle malade ? De quoi l'Alsace - CUEJ.info
Carnet de santé
                       Les pathologies alsaciennes

  22 049 personnes                                              228 hommes
  souffrent de la maladie                                        et 98 femmes
  d'Alzheimer.                                               pour 100 000 pris en
                                                           charge pour un cancer
                                                               du poumon ou de
  766                                                          la trachée en 2014.
                                                                  France : 208 et 87
  personnes par an sont
  mortes d'un AVC en
  moyenne entre 2011
  et 2013.                                                    1 699 femmes
                                                          pour 100 000 sont prises
                                                          en charge pour un cancer
  3 917                                                           du sein en 2014.
  personnes par an                                                    France : 1630
  sont mortes d'une
  maladie cardio-                                               466 hommes
  neurovasculaire,                                             et 298 femmes
  en moyenne entre                                              pour 100 000 sont
  2011 et 2013.                                                pris en charge pour
                                                               un cancer du côlon
                                                                     ou du rectum
                                                                           en 2014.
                                                                 France : 411 et 286
  200 000
  diabétiques en 2016.

  300 000
  personnes en surpoids
  en 2012.
                                                              1 614        hommes
                                                            pour 100 000 sont pris
                                                          en charge pour un cancer
                                                             de la prostate en 2014.
Sources :                                                              France : 1363
Schéma régional de santé 2018-2027 de l’Agence régiona-
le de santé (2017), enquête OpEpi-Roche (2012), Centre
européen d’étude du diabète (2016).

4 < NEWS   D’ILL n° 121 - DÉCEMBRE 2017
Est-elle malade ? De quoi l'Alsace - CUEJ.info
L    es chiffres parlent d’eux-mê-
     mes. Que ce soit à cause de
la nourriture, de la génétique,
                                             Reste à charge pour le patient
de la pollution ou de la précari-
té, en Alsace, on a plus de risque
d’être atteint par une pathologie
grave. Le cancer, les accidents
vasculaires cérébraux, l’obésité
et le diabète touchent plus la ré-
gion que le reste de la France.
Pour autant, les Alsaciens sont        184 € |167 €                  797 € | 856 €                71 € | 55 €
bien pris en charge. La densité       paire de lunettes             prothèse auditive           prothèse dentaire
médicale demeure très bonne,
notamment dans des spécia-                                      Bas-Rhin | France
lités qui, ailleurs, sont moins                                           2014
présentes. C’est au moins le
cas du Bas-Rhin. A contrario,
dans le même département, les
hôpitaux souffrent de la den-
sité de population et offrent un       Nombre de lits pour 100 000 habitants
nombre de lits en-dessous de la
moyenne nationale, ce qui n’est
pas le cas du Haut-Rhin.
               Baptiste Decharme

Sources :                                     158                           151                         164
Mutualité française - Observatoire
Place de la Santé (2017), Ministère
de la Santé (2015)                           France                       Bas-Rhin                   Haut-Rhin

     Densité médicale pour 100 000 habitants
                    Généralistes        Pédiatres         Cardiologues   Ophtalmologues     Dermatologues     Psychiatres

   Bas-Rhin
                       171               82                  13               10                 7               25

 Haut-Rhin
                       140               53                  11                  8               5               17

      France
                       154               65                  10                  9               6               23

                                                                                     NEWS D’ILL n° 121 - DÉCEMBRE 2017 > 5
Régime chirurgical
Les opérations sont de plus en plus plébiscitées,
en dernier recours, pour soigner l’obésité morbide.

J
        e l’ai quand même pas                        possible de maigrir. » Ce soir-
        oubliée ? » Martine Munch                    là, elle accueille une quinzaine
        ne tient pas en place. Elle                  de personnes, presque exclu-
        remue dans son sac des                       sivement des femmes, au res-
dossiers en pagaille. « Ah, elle                     taurant. Elle se lève, salue la
est là ! » D’un grand geste, elle                    gaillarde de plus de 1,80 m qui
sort une photo plastifiée d’une                      vient de rentrer et s’exclame :
femme obèse au regard inquiet.                       « Alors, bientôt le grand jour ? »
C’est elle, en 1998, juste avant                     Laurence Estienne, 39 ans, doit
son opération. Elle pèse alors                       être opérée en décembre. Ce
157 kg. Aujourd’hui, à 58 ans,                       n’est pas la première fois : elle
elle en fait le bilan : « J’ai perdu                 s’est déjà fait poser un anneau
250 kg dans ma vie. »                                gastrique en 2004, mais a dû le
En Alsace, 40 000 personnes ont                      faire retirer trois ans plus tard
une espérance de vie réduite à                       après des complications. Cette
cause de l’obésité. En vingt ans,                    fois, ce sera un bypass, une opé-
le nombre d’obèses a quadruplé                       ration qui consiste à réduire le
dans l’ensemble de                                                volume de l’estomac
l’Hexagone. La faute « J’ai enchaîné une vingtaine et à le court-circui-
à une alimentation de régimes, hyper-protéinés, ter. Contrairement
déséquilibrée et une              hypo-protéinés, hypo-           à l’anneau, le bypass
sédentarité grandis- caloriques, rien n’a marché » n’occasionne aucune
sante. Pire, la maladie                                           gêne et les reprises
tue 55 000 Français chaque an-                       de poids à terme sont faibles.
née, quand elle ne provoque pas                      Aujourd’hui, Laurence Estiennes
diabète, hypertension artérielle,                    pèse 176 kg. « Et encore, il y a
arthrose ou dépression. Dans ce                      quelques mois, j’en faisais vingt de
contexte, la chirurgie de l’obé-                     plus ! », précise-t-elle. Derrière
sité s’est fait une place de choix.                  son attitude joviale et décom-
En 2015, 1 200 personnes ont
choisi de se faire opérer dans la personnes
                                                55 000
                                                     plexée transparaît l’éreintement
                                                     d’une lutte acharnée, cruelle.
région.                               meurent chaque « J’ai enchaîné une vingtaine de
Avec son association Stop (Suivi année en France régimes, hyper-protéinés, hypo-
et techniques contre l’obésité des affections        protéinés, hypo-caloriques, rien
pour la vie), Martine Munch liées à l’obésité.       n’a marché », soupire-t-elle. Son
réunit des personnes ayant subi                      poids lui ronge la santé. Début
une intervention et d’autres qui                     2016, elle fait un AVC et en ré-
désirent y recourir. Elle espère                     chappe de justesse. « L’opération
ainsi convaincre ceux qui n’ont                      est une question de survie », juge-
pas encore franchi le pas : « Le                     t-elle. Selon une étude publiée en
groupe motive, on voit qu’il est                     2006 par le New England Journal

 Prévenir l’obésité dès l’enfance
 L   a Prise en charge coordonnée des enfants
     obèses et en surpoids de Strasbourg (Precoss)
 a été étendue en 2016 à toute la ville, après une
                                                            dès le plus jeune âge. Depuis 2014, 360 enfants ont
                                                            été pris en charge. Parmi eux, 80% ont stabilisé ou
                                                            baissé leur courbe de poids. Les quartiers populaires
 expérimentation de deux ans dans les quartiers             concentrent toujours l’attention des autorités. Dans
 populaires. Le dispositif permet de coordonner             le Neuhof-Meinau, à Cronenbourg et à l’Elsau, près
 les professionnels intervenant auprès de l’enfant :        d’un anfant sur trois est en surpoids au CE2. Un
 psychologue, diététicien, généraliste, enseignants, etc.   chiffre deux fois supérieur à celui du centre-ville, de
 Le but : changer les comportements liés au surpoids        l’Orangerie ou de la Robertsau.
of Medicine, la chirurgie bariatri-    À gauche,            rence entre son poids actuel et
que permettrait de baisser le taux     Martine Munch,       son poids idéal est de 60 kg. C’est
de mortalité de 30 à 50%.              fondatrice d’une     le poids excessif. Au mieux, elle
                                       association
Mais ce soir, l’heure est à la dé-     d’aide aux           perdra grâce à la chirurgie deux
tente. « Je prends des frites tant     personnes            tiers de ce poids excessif, donc
que je peux, c’est mon dernier re-     obèses, et           40 kg. Elle pèsera 80 kg.
pas de condamnée », lance Lau-         à droite
                                       Philippe Keller,
rence Estienne, hilare. Les rires      chirgurgien          L'obèse, objet marketing
emplissent le restaurant et font       à Colmar,            Dans la salle, plusieurs femmes
oublier un instant les soucis.         expliquent           ont déjà subi des interventions,
Martine Munch se présente aux          les étapes           dont certaines ont échoué, voire
nouvelles venues, montre son           préalables à         carrément raté et causé de gra-
                                       une éventuelle
anneau gastrique précieusement         opération            ves dommages. Jackie Bissel,
conservé dans un bocal. « Mar-         chirurgicale, lors   résidente de Chatenois, près de
tine, t’exagères, on va manger ! »,    d’une réunion        Sélestat, raconte son calvaire.
lance une des convives.                d’information le     En 2007, son anneau gastrique
                                       23 novembre.
Les conditions pour accéder à la                            se brise. Elle doit être opérée
chirurgie de l’obésité sont stric-     Photo : Thomas
                                                            d’urgence. Pendant l’interven-
tes. L’indice de masse corporelle      Porcheron/CUEJ       tion, une partie de l’anneau se
doit être supérieur à 40, ou à 35                           retrouve dans l’estomac. « Je ne
s’il existe des facteurs de comor-                          sais pas ce qu’il s’est passé, mais
bidité (diabète, maladies cardio-                           je me suis réveillée avec un bras
vasculaires, etc.). Le patient doit                         paralysé », se rappelle-t-elle.
avoir tenté tous les traitements                            Elle a perdu 20% de mobilité et
possibles, à commencer par le                               marche aujourd’hui encore avec
régime. Surtout, il doit être ca-                           une canne. Elle accuse son an-
pable de suivre un programme                                cien chirurgien d’une course au
nutritionnel avant et après                                 profit. « L’obèse est un objet de
l’opération. Au préalable, il doit                          marketing, lâche le Dr Keller. Du
passer une batterie d’examens                               jour au lendemain, beaucoup de
soumis à l’appréciation de la Sé-                           chirurgiens ont relancé leur car-
curité sociale. C’est seulement                             rière. » Pour lutter contre les
après son accord que l’opération                            abus, le ministère de la Santé a
est envisagée.                                              publié neuf recommandations
                                                            de bonnes pratiques de chirurgie
« Maigrir est un effort »                                   bariatrique que tout spécialiste
Lors d’une réunion d’informa-                               se doit d’appliquer.
tion à l’hôpital Pasteur de Col-                            Malgré les abus, les opérations
mar, fin novembre, le docteur                               restent sûres, selon Philippe Kel-
Philippe Keller, chef du service                            ler. « Nous avons beaucoup pro-
de chirurgie digestive, souligne                            gressé en vingt ans. On propose
la nécessité de maigrir avant l’in-                         des techniques complexes qui ne
tervention. Un homme tique :                                représentent quasiment aucun
« Je ne peux pas, c’est bien pour ça                        danger. » Les cas de mortalité
que je viens ! » Le spécialiste sou-                        sont extrêmement rares, de l’or-
rit et rétorque froidement : « Si                           dre de 0,5% environ. À Colmar,
vous n’êtes pas capable de perdre
10 kg par vous-même, je ne vous
                                       Anneau               aucun décès n’a jamais été enre-
                                                            gistré. Mais le chirurgien pointe
opère pas. » Silence dans la salle.    gastrique            les limites : « Si la prévention ne
« Maigrir est un effort. L’opération   Technique de         marche pas, l’obésité continuera
va vous y aider, mais si vous ne       chirurgie, qui       d’avancer. »
                                       consiste à poser
faites rien pour perdre du poids,      un anneau entre      La réunion terminée, Martine
elle ne servira à rien », ajoute le    l’œsophage et        Munch range les chaises. En
praticien.                             l’estomac pour       décembre, elle animera des
Sous l’œil avisé de Martine            restreindre          rencontres en Lorraine. « J’ai
Munch, il poursuit ses mises en        la quantité          envie de donner à ces gens l’ac-
garde : « La chirurgie de l’obésité    d’aliments qui       compagnement que je n’ai pas
n’est pas une chirurgie esthétique.    pénètre dans         eu il y a vingt ans. Ils ont besoin
                                       l’estomac. Elle
On ne vous fera pas de taille de       est de moins en      d’un groupe pour se lancer. » Et
guêpe. » Prenons une femme de          moins utilisée,      également pour atterrir, après
120 kg, dont le poids idéal se         au profit du         l’opération.
situe autour de 60 kg. La diffé-       bypass.                            Thomas Porcheron
Test de glycémie organisé lors de la Quinzaine du diabète à Mulhouse. | Photo : Victor Guillaud-Lucet/CUEJ

L’addition salée du diabète
La pathologie touche 200 000 Alsaciens. Elle pèse sur les finances de
l’Assurance maladie régionale qui met en place des actions de prévention.

E
      n France, le diabète est un sujet prioritaire                                     rard, chargée de mission à la CPAM du Bas-Rhin.
      mais il ne bénéficie pas du statut de priorité de                                 De 5% à 10% des dépenses de l’assurance maladie
      santé publique. Il n’a pas l’image d’une maladie                                  sont liées au diabète, un chiffre qui pourrait passer
grave et donc n’en tire pas les bénéfices », souligne                                   à 16% en 2035. Car c’est une pathologie dont on ne
Michel Pinget, président et directeur exécutif du                                       se débarrasse pas.
Centre européen d’étude du diabète. Pourtant, la                  500 000
maladie a incroyablement progressé ces dernières
décennies, passant de 800 000 cas en 1980 à 4 mil-
                                                                  à 800 000             « Il faut faire le deuil de sa bonne santé »
                                                                                        L’organisme du diabétique est en incapacité d’as-
lions aujourd’hui.                                                diabétiques           similer et de stocker correctement le sucre. Le
                                                                  s’ignorent
Dans le Grand Est, deuxième région la plus tou-                   en France.            taux de glucose dans le sang y est supérieur à la
chée par le diabète, prévenir et limiter les compli-                                    normale, il s’agit de l’hyper-glycémie. Les mala-
cations fait partie des axes territoriaux définis par                                   des sont le plus souvent soumis à des injections
l’Agence régionale de santé (ARS). Pour la Caisse                                       d’insuline à vie, une hormone qui régule le taux
primaire d’assurance maladie (CPAM), cette pa-                                          de glucose dans le sang. « Il faut faire le deuil de sa
thologie représente avant tout « un enjeu économi-                                      bonne santé, c’est aussi dur que si l’on avait perdu
que majeur », comme le fait remarquer Aurélie Gé-                                       quelqu’un », souligne Claudine Weigel, infirmiè-

8 < NEWS   D’ILL n° 121 - DÉCEMBRE 2017
Le professeur Michel Pinget revient notamment sur la particularité génétique des Alsaciens :
« La pandémie devrait se terminer en 2045 »
M     ichel Pinget est président
      et directeur du Centre
européen d’étude du diabète, à
                                                                                             déjà dû repousser cette date, ini-
                                                                                             tialement prévue en 2025.

Strasbourg.                                                                                  Pourquoi les personnes
                                                                                             précaires sont plus touchées ?
Pourquoi l’Alsace est-elle plus                                                              La population vieillit, le poids des
touchée par le diabète ?                                                                     personnes augmente, on mange
Dans les régions les plus tou-                                                               moins bien, on est plus sédentaire
chées, comme dans le Nord-Pas-                                                               et l’urbanisation favorise le stress.
de-Calais ou en Alsace, les plats                                                            Autant de facteurs qui amènent à
sont riches en sel, en charcuterie                                                           l’obésité et donc au diabète. Mais,

                                                                       DR
et en fromage. Alors que dans le                                                             partout dans le monde, c’est la ma-
Sud-Ouest, l’alimentation à base     emmagasinent de la nourriture                           ladie de la précarité et non pas de
de poisson est moins salée. Cela     et mangent plus que nécessaire.                         l’abondance. Les précaires man-
s’explique aussi par l’histoire de   On remarque qu’il y a plus de                           gent moins bien, c’est vrai, mais
France. Le diabète est la ma-
ladie de ceux qui souffrent ou
                                     pratiques religieuses festives en
                                     Alsace qu’ailleurs, en réaction        1/4              c’est à relativiser. Les personnes
                                                                                             touchées par le diabète ne sont
ont souffert. Suédois, Polonais,     à la souffrance qui a été traver-      des personnes    pas « coupables de mal-bouffe »,
Allemands, l’Alsace est passée       sée, même si elle est de moins en      de plus          ce n’est pas intentionnel. Et le
                                                                            de 75 ans ont
d’une invasion à une autre. Pour     moins présente.                        le diabète.      changement de mode de vie a été
limiter les dépenses d’énergie et                                                            plus brutal pour les précaires que
stocker plus facilement lors de      Le nombre de diabétiques va-                            pour les personnes d’un niveau
grandes famines, l’organisme         t-il continuer d’augmenter ?                            social élevé. En outre, les précai-
s’adapte. Ce qui fait que des an-    Tout doucement, nos gènes vont                          res consultent aussi beaucoup
nées plus tard, alors même que       se réadapter et seront plus en har-                     moins le médecin. Comme pour
nous vivons dans l’abondance et      monie avec notre environnement                          le cancer du sein, ils se soumet-
de façon sédentaire, l’organisme     actuel. Le nombre de diabétiques                        tent moins au dépistage, ce qui fait
stocke beaucoup plus. Un der-        devrait donc finir par diminuer.                        qu’ils sont plus gravement atteints
nier facteur est le comportement     La pandémie de diabète, qui a                           et souffrent de complications.
social de sortie de crise. Les       commencé en 1975, devrait se                                                  Recueilli par
personnes habituées à la survie      terminer en 2045, même si on a                                         Aurélia Abdelbost

re et coordinatrice du Réseau sud santé Alsace. flambée des coûts liés au diabète, l’accent est mis
Daniel Rémy, président de l’association des dia- sur la prévention.
bétiques du Haut-Rhin, en convient : « Les gens L’Assurance maladie, associée à l’ARS, a pour
qui viennent me voir sont perdus. C’est un coup de projet de lancer le programme « Dire non au dia-
massue pour certaines personnes. »                      bète », dans le Bas-Rhin, en Seine-Saint-Denis et
Si la glycémie n’est pas régulée par des traite- à la Réunion, à la fin du premier trimestre 2018.
ments, les nerfs et les vaisseaux                                      Cette expérimentation, prévue sur
sanguins peuvent être endommagés             « Il faut sortir de       cinq années, a pour « objectif de
et cela peut engendrer des compli- l’image du malade rassembler un échantillon de 3 200
cations. Le diabète est la première              coupable »            personnes pré-diabétiques qui ont
                                                                                                                 90%
                                                                                                                 des diabétiques
cause d’amputation, hors accidents,                                    entre 45 et 70 ans et de leur proposer    sont atteints
et de cécité chez l’adulte. Toutefois, comme le un suivi afin de changer leurs habitudes de vie, pour            de diabète
met en avant Daniel Rémy, tant que les compli- voir s’il est possible d’éviter qu’elles développent la           de type 2,
cations n’apparaissent pas, « le diabète est une maladie », indique Aurélie Gérard. L’idée est éga-              principalement
maladie silencieuse ».                                  lement d’inclure les médecins traitants et de les        lié à une
                                                        sensibiliser.                                            mauvaise
                                                                                                                 alimentation.
Anticiper la maladie et proposer un suivi               Même si les actions de prévention se multiplient, le
Il est donc important de sensibiliser le grand pu- nombre de diabétiques continue d’augmenter. « Il faut
blic, comme lors de la Quinzaine du diabète, à sortir de l’image du malade coupable ou responsable,
Mulhouse, organisée en novembre. Car un dia- un effort d’information est encore nécessaire », déplore
bétique peut attendre jusqu’à une décennie avant le professeur Pinget, qui insiste sur la difficulté de
d’être diagnostiqué : il est souvent trop tard. « Les trouver un représentant pour défendre la cause des
hospitalisations représentent le premier poste de diabétiques.
dépenses », note Aurélie Gérard. Afin d’éviter la                                                       A.A.

                                                                                      NEWS D’ILL n° 121 - DÉCEMBRE 2017 > 9
Les travailleurs sociaux,
psy malgré eux
Dans les hôpitaux psychiatriques, on ferme des lits. De la prise en charge des
malades à la formation du personnel médico-social, tout reste à construire.

E
        xternaliser, le mot est                              lier est un vœu pieux. On met la     Aux yeux de Magali de Haas et
        fort mais c’est bien l’al-                           charrue avant les bœufs », dénon-    Patrizia Gubiani-Banholzer, le
        ternative proposée à la                              ce Fabrice Durain, syndicaliste      monde de la santé mentale est
        psychiatrie pour qu’elle                             CGT à l’hôpital de jour d’Erstein.   « imperméable » pour l’une, « un
remplisse sa mission médicale.                               Soumis à des impératifs de ren-      maquis », s’alarme l’autre, qui
Externaliser, en sortant les ma-                             tabilité, les HP raccourcissent les  craint de « jouer aux apprentis
lades mentaux des asiles et en les                           temps d’hospitalisation. Les ma-     sorciers ».
renvoyant vers d’autres structu-                             lades se retrouvent, selon le syn-   Face à ces difficultés, des asso-
res pour se concentrer sur les                               dicaliste, « dans la rue, pas encore ciations défrichent le terrain et
cas les plus graves. En vingt ans,
50 000 lits d’hospitalisation ont         18%                stabilisés, sans savoir où aller. Ils
                                                             décompensent(1) à nouveau et sont
                                                                                                  tentent de coordonner l’ensem-
                                                                                                  ble des acteurs gravitant autour
été fermés en France.                     des lits seront    renvoyés à l’hôpital. »              des maladies psychiatriques,
L’Alsace est particulièrement ap-         supprimés                                               à l’image de Croix-Marine à
                                          d’ici à 2019
pliquée dans cette réduction de           à l’hôpital        « Isolement, précarité,              Mulhouse. Pour sa directrice,
voilure, avec un nombre de lits           de Rouffach.       vieillissement »                     Françoise Martinez, tout reste
inférieur à la moyenne nationale.                            Dans ce contexte, d’autres orga- une question de personne : « Ça
Le personnel médical des hôpi-                               nismes sont amenés, malgré eux, fonctionne très bien quand les
taux psychiatriques (HP) alsa-                               à prendre en charge des person- gens se connaissent sur le terrain.
ciens reconnaît l’effet néfaste et                           nes non stabilisées ou hors des Si les équipes changent, tout s’ef-
désocialisant de la mise à l’écart                           radars psychiatriques. Tels les fondre. » Progressivement, des
des patients. « C’est un trauma-                             centres médico-sociaux (CMS). partenariats se mettent en place
tisme qu’il vaut mieux éviter »,                             Que ce soit à Strasbourg ou et apportent un appui technique
observe Véronique Gwinner,                                   Mulhouse, les tra-                                  aux travailleurs
cadre à l’hôpital de Rouffach, où                            vailleurs sociaux « Le développement sociaux. Les CMS
60 lits sur 331 doivent être sup-                            ont le sentiment de l’extra-hospitalier mulhousiens tra-
primés d’ici à 2019.                                         d’être de plus en         est un vœu pieux »        vaillent avec des
                                                             plus confrontés                                     psychologues de
Les CMP surchargés                                           à des usagers souffrant de trou- Rouffach. À Strasbourg, des in-
Ce mouvement, s’il tend à dés-                               bles psychiatriques. Ils « sont en firmiers psy de l’HP de Brumath
tigmatiser la maladie mentale et                             première ligne et manquent de interviennent dans les CMS de
à réinscrire les malades dans la                             recul. Ils n’ont pas les outils pour Cronenbourg et Port du Rhin.
vie sociale, a ses effets pervers.                           faire face », souligne Patrizia Gu- « Une première, vante Pierre Buc-
La fermeture de lits n’est pas tou-                          biani-Banholzer, cheffe de ser- kel, coordonnateur du Conseil
jours compensée par l’ouverture
de structures extra-hospitalières
                                          85 000             vice au CMS Mulhouse Est. Tel local de santé mentale de l’Euro-
                                                             usager est spécial, tel autre n’est métropole. La psychiatrie doit
                                           patients suivis
pour accueillir les malades au            en affection       pas clair ou particulier, Magali être au cœur des quartiers et ne
quotidien. Centres médicaux-              longue durée       de Haas, responsable du CMS de pas rester cloisonnée. »
psychologiques (CMP) et hô-               en 2015 dans       Cronenbourg, entend réguliè- Fluidifier les relations entre psy-
pitaux de jour sont surchargés.           le Grand-Est.      rement ces expressions dans la chiatrie et médico-social, c’est
Quentin, 25 ans, souffre de trou-                            bouche d’assistantes sociales dé- l’un des enjeux de la loi du 26
bles de l’identité et d’instabilité                          semparées. « Isolement, précarité, janvier 2016 de modernisation du
affective. Il confie : « J’ai pris ren-                      vieillissement », de nombreux système de santé. Le texte prévoit
dez-vous avec un psychiatre au                               facteurs peuvent, d’après elle, ex- l’adoption d’un projet territorial
CMP de la Robertsau. Il n’y a pas                            pliquer la survenance d’affections de santé mentale d’ici à 2020, afin
de place avant janvier. »                                    mentales. Les CMS « ne doivent de remettre à plat l’organisation
Ce manque d’investissement dans                              pas aller trop vite en besogne et des soins psychiatriques.
les structures censées prendre le                            mettre une étiquette psychiatrique                   Marine Ernoult
relais des HP crée des ruptures de                           sur tous les problèmes sociaux »,
soins pour certains malades. « Le                            met en garde Thierry Russel, 1 Dégradation souvent brutale de
développement de l’extra-hospita-                            psychiatre libéral à Mulhouse. l’état d’un malade psychiatrique.

10 < N E W S   D’ILL n° 121 - DÉCEMBRE 2017
par la loi sur le handicap de 2005,
                                                                                                       déconstruisent le rapport d’auto-
                                                                                                       rité souvent mal vécu par les per-
                                                                                                       sonnes souffrant de troubles psy-
                                                                                                       chiatriques. Ici, pas de médecin ni
                                                                                                       de personnel soignant. Ce sont les
                                                                                                       adhérents qui gèrent la structure.
                                                                                                       Au GEM « Aube », président, tré-
                                                                                                       sorier et secrétaire souffrent tous
                                                                                                       d’affections mentales.

                                                                                                       Un outil complémentaire
                                                                                                       Une manière d’assumer de nou-
                                                                                                       veau le quotidien, de retrouver
                                                                                                       une autonomie. « À l’hôpital,
                                                                                                       c’était douillet, facile, mais ce n’était
                                                                                                       pas la vie. J’étais intégralement pris
                                                                                                       en charge, et je n’avais plus aucune
                                                                                                       décision à prendre, reconnaît Oli-
                                                                                                       vier. Ici, j’ai des responsabilités, ça
                                                                                                       m’oblige à m’ouvrir aux gens. »
                                                                                                       En douze ans, ces groupes ont
                                                                                                       gagné leur place dans le paysage
                                                                                                       de la psychiatrie. À Strasbourg,
                                                                                                       « Aube » a signé des conventions
« À l’hôpital, c’était facile                                                                          avec tous les hôpitaux de l’euro-
                                                                                                       métropole. « Il y a dix ans, aucun

mais c’était pas la vie »                                                                              médecin ne m’a parlé d’un GEM,
                                                                                                       observe Jean-Louis. Maintenant,
                                                                                                       les infirmiers conduisent les pa-
À leur sortie, les malades mentaux sont accompagnés                                                    tients ici pendant leur hospitalisa-
                                                                                                       tion, pour leur faire connaître les
au sein des Groupes d’entraide mutuelle. Une manière                                                   lieux avant leur sortie. Ça donne
pour eux de reprendre pied, en marge des institutions.                                                 quelques points de repère. »
                                                                                                       Les hôpitaux y trouvent aussi leur

U     n an en placement d’office, à
      l’hôpital psychiatrique d’Ers-
tein, contraint et forcé », se confie
                                        les mêmes mots reviennent dans
                                        la bouche des différents acteurs
                                        du monde médical. « Assurer la
                                                                                Dominique,
                                                                                Ursula et Jean-
                                                                                Louis sont trois
                                                                                                       compte. Maurice Quattrocchi, in-
                                                                                                       firmier psychiatrique à Rouffach,
                                                                                                       intervient aux « Ailes de l’espoir »,
                                                                                membres actifs
pudiquement Jean-Louis. « Com-          continuité du parcours de soin est      du GEM Aube.           un GEM à Mulhouse : « Ces lieux
ment voulez-vous faire confiance        essentiel », explique Fabrice Du-                              aident réellement les patients, c’est
aux psychiatres sous la contrain-       rain, infirmier psychiatrique à         Photo : Victor         une évidence. Mais il ne faut pas
te ? » poursuit le sexagénaire, hé-     l’hôpital de jour d’Erstein. Mais       Guillaud-Lucet/CUEJ    se leurrer, il y a aussi des raisons
sitant. Quand on lui demande de         si les mots sont assurés et le vo-                             budgétaires pour que les hôpitaux
parler de cette période, il élude la    cabulaire choisi, ils ne règlent en                            les y dirigent : une hospitalisation
question.                               aucun cas les difficiles situations                            coûte près de 400 euros par jour.
C’était il y a neuf ans. « On me        de certains. Olivier souffre d’une                             Grâce à ces structures, la Sécurité
disait que j’étais schizophrène,        psychose dépressive depuis 2007.                               sociale fait des économies. »
aujourd’hui, on me dit que je suis      À chaque sortie de l’hôpital psy-                              Fort d’un noyau dur d’une cen-
bipolaire », lance avec humour          chiatrique, la même angoisse l’as-                             taine d’adhérents, le GEM Aube
cet ancien informaticien, pas-          saillait. « Sans logement, incapable                           les fait échanger, se réunir autour
sionné de photographie et de            de travailler, j’errais dans les rues                          d’un repas ou participer aux
cuisine. Les diagnostics chan-          de Strasbourg, et je ne prenais pas                            nombreuses activités proposées.
gent, mais un problème demeu-           mon traitement », se souvient                                  Ce lieu ne convient pas à tout
re : que deviennent les patients à
la sortie des hôpitaux psychiatri-
                                        le trentenaire. Jusqu’au jour où
                                        son assistante sociale lui parle        2005                   le monde, reconnaissent d’eux-
                                                                                                       mêmes les membres. Mais pour
ques ? « La plupart des malades         du Groupe d’entraide mutuelle           La loi sur le          la dizaine de personnes réunies
ne travaillent pas. Ils s’emmerdent     (GEM) strasbourgeois. Après une         handicap               ce matin, il représente un autre
alors ils dorment, bouffent et re-      dispute avec sa sœur qui l’héber-       crée les GEM,          aspect du parcours de soin, en
                                                                                dispositif pour
gardent la télévision », reconnaît      ge, c’est le déclic. Il ose franchir    les personnes          marge des institutions sanitaires,
Jean-Louis désabusé.                    la porte du groupe. Dix ans plus        atteintes              où l’entraide et la parole prennent
« Préparer la sortie du patient »,      tard, il en assure la présidence.       de troubles            le pas sur les ordonnances.
sa « réinsertion dans la société »,     Ces structures, institutionnalisées     psychiatriques.                     Victor Guillaud-Lucet

                                                                                           N E W S D ’ I L L n ° 1 2 1 - D É C E M B R E 2 0 1 7 > 11
L’arrêt maladie
à fond la forme
Le nombre d’arrêts de travail a plus                                         Entre autres
                                                                             avantages du
                                                                                                   alsacien : « Il n’y a pas de délai de
                                                                                                   carence de trois jours comme c’est
augmenté en Alsace que dans le reste de                                      droit local,
                                                                             les trois jours
                                                                                                   la norme ailleurs : le salarié a
                                                                                                   droit au maintien de son salaire
la France. Une situation liée au droit local                                 de carence
                                                                             n’existent pas        dès le premier jour d’absence. »
et à la forte densité médicale.                                              en Alsace.            Mais ces arrêts plus fréquents ne
                                                                                                   sont pas problématiques pour

C
           ’est l’annonce choc de Alsace était expliqué par la den-          Photo : Victor
                                                                             Guillaud-Lucet/CUEJ
                                                                                                   tout le monde. « Le fait qu’il y
           l’assureur santé national sité médicale : plus il y a d’offre,                          ait plus d’arrêts de travail n’est
           début novembre : l’Alsa- plus il y a de demande.                                        pas forcément une mauvaise
           ce a tendance à prescrire Là où la différence se fait sen-                              chose, réagit le docteur Claude
davantage d’arrêts maladie que tir, c’est au niveau des contrôles.                                 Bronner, médecin généraliste
le reste de la France (1,7 point Ceux effectués par l’État le sont                                 exerçant à Montagne-Verte. C’est
de plus que la hausse moyenne dans une proportion équivalente                                      peut-être ailleurs qu’il n’y en a pas
nationale), et en particulier dans aux habitudes de contrôle natio-
dix zones, non révélées, où cette nales. Mais ceux réalisés par des          5,6 %
                                                                             L’augmentation
                                                                                                   assez : en Alsace, on est bien pris
                                                                                                   en charge. »
évolution est plus forte qu’ailleurs entreprises privées sur demande         du nombre
(jusqu’à 44,5%), sans lien avec de l’employeur de l’arrêté ne                d’arrêts maladie      « Un marqueur social »
un changement démographi- sont pas valides. « Le droit local                 en Alsace au          Les récents chiffres de la CPAM
que. Pendant cinq semaines, d’Alsace-Moselle ne reconnaît                    premier semestre      du Bas-Rhin, qui font état d’une
                                                                             2017 (3,9 % dans
la caisse d’assurance a multiplié pas légalement la contre-visite            le reste de la        hausse de 11 % du nombre de
les contrôles au domicile des médicale, comme le rappellent                  France).              personnes ayant eu au moins
assurés et auprès des médecins régulièrement des arrêts de la                                      un arrêt de travail au cours de
désignés comme « gros pres- Cour de cassation », analyse                                           leur carrière, ont participé à
cripteurs ».                           Caroline Noailly, la directrice de                          l’intensification des contrôles.
Les résultats de cette opération Médicat Partner, une société de                                   « Notre pays fait la chasse aux
n’ont pas encore été dévoilés contrôle médical au service des                                      arrêts de travail, mais quand la
mais la méthode                                       employeurs. Le                               situation sociale se dégrade, il est
passe mal. « Ces              « Le droit local        dernier, daté du                             normal d’enregistrer une hausse
contrôles sont très
inqui siteurs »,
                            d’Alsace-Moselle
                           ne reconnaît pas la
                                                      21 mai 2014, a
                                                      validé une déci-       915 000
                                                                             arrêts maladie
                                                                                                   des arrêts maladie. Ils sont un
                                                                                                   marqueur social. Les médecins
explique le doc-              contre-visite »         sion du conseil        ont été prescrits     conseil de la CPAM devraient
te u r Je an - Ma -                                   des prud’hom-          en Alsace en          faire un vrai travail de contrôle
rie Letzelter, président du mes qui avait écarté les conclu-                 2016.                 au cas par cas au lieu de se li-
c ons e i l d é p ar te ment a l de sions d’une contre-visite pour                                 vrer à une simple analyse statis-
l’ordre des médecins du Bas- condamner l’employeur. « Une                                          tique. »
Rhin. « De plus, ils s’effectuent sur société strasbourgeoise nous a ré-                           Agnès Buzyn, ministre de
la base d’une moyenne statistique cemment contactés pour savoir ce                                 la Santé, a prévu d’intensi-
nationale. » Donc sans prendre qu’il était possible de faire en ma-                                fier les efforts de contrôle des
en compte insiste-t-il, les parti- tière de contrôle par l’employeur.                              caisses d’assurance maladie pour
cularités locales qui pourraient Nous avons dû lui expliquer                                       économiser 165 millions d’euros
expliquer ces disparités.              pourquoi notre activité n’était pas
                                       très développée dans la région »,
                                                                             58 826
                                                                             convocations de
                                                                                                   en 2018. Nul doute que l’Alsace
                                                                                                   sera mise à contribution puisque
Le droit local en cause                conclut-elle.                         patients auprès       la campagne ciblée des derniers
En 2011, l’Institut de recherche Pour la juriste de l’Institut du            de médecins           mois sera reconduite l’année
et de documentation en écono- travail de Strasbourg Fabienne                 conseil, en plus      prochaine, mais dans des zones
mie de la santé (Irdes) publiait Muller, la non-prise en compte de           d’une centaine        différentes, qui resteront là aussi
                                                                             de visites à
une étude où le nombre élevé la contre-visite s’ajoute à d’autres            domicile en 2016      non-identifiées.
d’arrêts de travail prescrits en avantages dévolus à l’assuré                en Alsace.                            Clément Nicolas

12 < N E W S   D’ILL n° 121 - DÉCEMBRE 2017
La thérapie par l’effort
Lancé il y a cinq ans à Strasbourg, « Sport santé sur ordonnance » a convaincu la
quasi-totalité du monde médical. Aujourd’hui,1800 patients en profitent.

L
     ’idée a germé dans l’es-
     prit du docteur Alexandre
     Feltz, adjoint au maire de
Strasbourg chargé de la santé.
Pour aider les patients atteints de
maladies chroniques à prati-
quer un sport, les médecins
généralistes peuvent, depuis
novembre 2012, utiliser le dis-
positif de « Sport santé sur
ordonnance » (SSSO). Vélo,
marche, gymnastique… « On
propose des activités douces
en général », explique Claude
Arnold, médecin généraliste
et du sport à Strasbourg. Le
patient a ensuite rendez-vous avec
un éducateur sportif de la ville. Il
bénéficie de deux activités sporti-
ves et d’un abonnement Vel’Hop.
Le dispositif est sur trois ans.
La première année, tout est pris
en charge. Les deux autres repo-                        affirme Élie Botbol, médecin                 Des patientes           « Mais je continuerai à faire du
sent sur le principe de la tarifi-                      généraliste et du sport à Stras-             pratiquent la           sport », assure-t-elle.
cation solidaire : le patient par-                      bourg. « Ce n’est pas une mesure             marche nordique         Ce n’est pas le cas de tous. « Le
                                                                                                     dans le parc de
ticipe à hauteur de 20, 50 ou 100                       gadget, c’est très important »,              l’Orangerie             pari est que les personnes soient
euros par an, selon son quotient                        renchérit le Dr Claude Arnold.               à Strasbourg.           autonomes au bout de trois ans, »
familial.                                               Même son de cloche du côté des                                       explique François Jouan, chef du
                                                        malades. « Avant, je n’aimais pas            Photo : Timothée        service Promotion de la santé de
                                                                                                     Loubière/CUEJ
« Pas une mesure gadget »                               le sport, maintenant je ne peux                                      la personne à l’Eurométropole.
Du côté des médecins, les effets                        plus m’en passer », témoigne                                         « Mais il est vrai que la transition
sont probants. « C’est très efficace                    C at her ine Fressy, 59 ans,                                         entre la fin du programme et la
pour les gens qui le font sérieuse-                     touchée par un cancer et qui                                         suite constitue la faiblesse du dis-
ment. C’est excellent pour la santé
et ça permet de baisser les doses
                                                        pratique la marche nordique
                                                        avec Athlé santé nature 67.                  14
                                                                                                     associations
                                                                                                                             positif. » « Un crève-cœur » pour
                                                                                                                             Alexandre Feltz, qui souhaite la
de médicaments. En théorie,                             « De plus, vous sortez, vous                 sont partenaires        mise en place de structures plus
on peut envisager une disparition                       voyez des gens, ça fait du bien. »           de la ville pour        pérennes.
des médicaments mais, en réali-                         Elle ne fera plus partie du dis-             l’opération
té, c’est plutôt une diminution »,                      positif dès le mois de mars.                 « Sport santé sur       Un réseau national
                                                                                                     ordonnance »,
                                                                                                     dont Athlé santé        Preuve de son succès, le SSSO a
 De nouveaux horizons pour le « sport santé »                                                        nature 67.              dépassé les frontières strasbour-
                                                                                                                             geoises. Et depuis le 1 er mars,

 A     c t u e l l e m e n t, l e d i s p o s i t i f
       couvre plusieurs pathologies :
 l’obésité, le diabète de type 2, les
                                                        peuvent avoir pour effet secondaire la
                                                        prise de poids).
                                                        Autre nouveauté prévue : le projet de
                                                                                                                             tous les médecins généralistes
                                                                                                                             de France peuvent prescrire
                                                                                                                             du sport sur ordonnance. Mais
 maladies cardiovasculaires stabilisées,                maison sport-santé récemment lancé.                                  le programme n’est pas pris en
 l’hypertension artérielle stable, le
 cancer du sein et du colon en rémission
                                                        Elle devrait s’installer sur 1800 m2 dans
                                                        l’aile médicale des Bains municipaux
                                                                                                     62
                                                                                                     villes font
                                                                                                                             charge financièrement. Or, « si
                                                                                                                             l’on veut que cela fonctionne, il
 depuis six mois et le VIH. Les séniors                 de Strasbourg et constituera « une           aujourd’hui             faut un système organisé et fi-
 fragilisés en bénéficient également.                   véritable plateforme de santé                partie du réseau        nancé », avance Alexandre Feltz.
 Alexandre Feltz souhaite l’ouvrir à                    publique », selon Alexandre Feltz. La        national « sport        « À l’échelle nationale, c’est un
 deux autres, en 2018 : les bronchites                  maison pourrait ouvrir ses portes à          santé », et une         coup d’épée dans l’eau », abon-
                                                                                                     quarantaine ont
 chroniques et asthmes ainsi que la                     l’horizon 2020-2021.                         mis en place            dent le Dr Élie Botbol et les ac-
 santé mentale (les neuroleptiques                                                           T. L.   un dispositif           teurs locaux interrogés.
                                                                                                     similaire.                           Timothée Loubière

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Lyme : le débat des tiques
La maladie, surreprésentée en Alsace, suscite des controverses.

P
        atrick Colin a mal depuis vingt ans. Maux                                   Le 24 novembre, quelques dizaines de manifestants
        de tête, douleurs articulaires, « c’est comme                               de l’association Le droit de guérir se réunissent de-
        une grippe en permanence », confie l’ancien                                 vant le Centre national de référence (CNR) sur la
ouvrier forestier. Tout débute en 1997, quand on                                    borréliose de Lyme, à Strasbourg. Chacun a son
lui diagnostique une borréliose de Lyme. Un trai-                                   histoire, son diagnostic et son idée des solutions.
tement antibiotique traite l’infection, mais ne l’éra-                                Laurence, trentenaire venue de Nantes, a « souffert
dique pas : « Ça fait le yo-yo. » Les tests annuels de                                    la mort ». Après trois semaines d’antibiotiques,
Patrick Colin sont tantôt positifs - son médecin                                            on lui a dit : « Si les symptômes persistent,
lui prescrit des antibiotiques - , tantôt néga-                                              c’est que c’est dans la tête. » Matthias Lacoste,
tifs - il n’a droit à rien sinon à des antidé-                                               président de l’association, serait « infecté
presseurs et des antalgiques.                                                                depuis sa naissance », la maladie lui aurait
                                                                                            été transmise par sa mère. « Le CNR bloque
« C’est une saloperie »                                                                   toutes les recherches », affirme-t-il.
La maladie de Lyme est découverte                                                    Le Centre national de référence est chargé d’étudier
en 1975. Deux tests, dont la fiabilité est                                          la maladie pour le compte des autorités de santé.
contestée, permettent de la diagnostiquer.                                          Nathalie Boulanger , directrice de l’équipe de re-
L’infection évolue par stades, provoque une rougeur                                 cherche, a peu de contacts avec les associations, « le
autour de la piqûre puis des douleurs articulaires et        Lyme n’est             dialogue est parfois difficile avec ces personnes un
complications neurologiques. Elle guérit générale-           qu’une des             peu extrémistes ». La chercheuse rejette l’idée d’une
ment après un traitement antibiotique de quelques            nombreuses             persistance de la maladie, « il faut que les malades
                                                             maladies
semaines. Certains malades ont pourtant des dou-             transmises             acceptent qu’ils n’ont peut-être pas Lyme ». Le pro-
leurs des années après avoir été traités. « C’est une         par la tique.         fesseur Christian Perronne, lui, attaque le CNR, qui
saloperie, je vis avec », confie Patrick Colin en regar-                            nierait « toutes les publications sérieuses sur le sujet ».
dant la masse de lettres et d’analyses qu’il accumule        Photo Léa Schneider/   Il vante sa participation à des colloques aux Etats-
                                                             CUEJ
dans son dossier cartonné.                                                          Unis. Nathalie Boulanger riposte : « Il n’a aucune
L’idée d’une maladie chronique est de plus en plus                                  expérience dans ce domaine, c’est un gourou. »
défendue par certains médecins et par des associa-
tions de malades, à l’image de Lyme sans frontière                                  Calmer la polémique
(LSF), créée en 2012 et basée à Strasbourg. Marie-                                  La principale agence américaine en matière de san-
Claude Perrin, présidente de LSF, dénonce un « déni                                 té publique est sur la même ligne que les autorités
des autorités ». Un avis partagé par le professeur                                  médicales françaises. Elle met les malades en garde
Christian Perronne, chef de service en infectiologie                                contre les traitements antibiotiques prolongés. Se-
à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches. « Ça fait                                  lon elle, les symptômes « post-Lyme » seraient dus
vingt ans que je traite le Lyme chronique », affirme                                à des dommages survenus pendant l’infection et
le médecin, à la tête du combat pour faire recon-                                   non à sa persistance.
naître cette forme de la maladie. Sur tous les fronts
médiatiques, il rabâche sa vision d’un « scandale »,         30 000                 Les chercheurs du CNR, les associations et ceux que
                                                                                    l’Académie appelle « Lyme doctors » se retrouvent
qui toucherait des millions de personnes en Europe,          nouveaux cas           pourtant plusieurs fois par an. Créé fin 2016 par
alors que le chiffre officiel en France est de 30 000        de la maladie de       Marisol Touraine, alors ministre de la Santé, le plan
                                                             Lyme en France
nouveaux cas annuels. Sur Internet, des dizaines de          chaque année           national de lutte contre les maladies transmissibles
sites bien répertoriés s’alarment d’une « pandémie ».        selon les chiffres     par les tiques réunit les différents acteurs sous l’égide
Les tests seraient volontairement mal calibrés. La           officiels.             de la Haute autorité de santé. Le but ? Calmer la
maladie provoquerait schizophrénie, perte de libido,                                psychose en mettant à jour le consensus médical
dépression, sclérose en plaques, etc. Selon Marie-                                  établi en 2006, qui fixe le protocole actuel de test et
Claude Perrin, la bactérie résisterait aux traitements                              de soins. Aux dires des protagonistes, il semblerait
« en se cachant ».                                                                  qu’on en soit loin.
L’Académie de médecine rejette en bloc cette vision.                                Patrick Colin, quant à lui, fera à nouveau sa sérolo-
Dans un communiqué du 26 octobre, l’institution ac-                                 gie annuelle en décembre, sans espoir : « De toute
cuse les « Lyme doctors auto-proclamés, dont certains                               façon les médecins, ils ne croient pas à ce qu’on dit. »
sont soumis à des liens d’intérêts », d’entretenir « l’in-                          Le dernier traitement qu’on lui a suggéré, « des trucs
quiétude chez de nombreux malades en errance dia-                                   naturels », lui brûle l’estomac. Une errance théra-
gnostique ». La maladie de Lyme chronique serait une                                peutique que ne nie pas Nathalie Boulanger, qui
invention. Une position qui fait bondir Marie-Claude                                suggère, outre une plus grande écoute des malades,
Perrin, qui regrette un « dogme » de la part de « cen-                              une meilleure communication des autorités pour
seurs ». Elle renvoie l’accusation de conflits d’intérêts                           calmer la polémique.
vers l’Académie : « La médecine est gangrénée. »                                                                           Laurent Rigaux

14 < N E W S   D’ILL n° 121 - DÉCEMBRE 2017
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