Etudier le non-recours à l'assurance chômage - Sylvie Blasco

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Etudier le non-recours à l’assurance chômage
                 Sylvie Blasco ∗              François Fontaine †

    Une part significative des chômeurs éligibles ne font pas valoir leurs
droits à l’indemnisation chômage. Nous proposons un modèle théorique per-
mettant de rationaliser ce comportement. Quatre motifs de non-recours sont
considérés : les déterminants financiers, une information imparfaite sur les
règles d’éligibilité, les difficultés pratiques pour faire une demande et l’ef-
ficacité de l’agence pour l’emploi comme mode de recherche. Notre modèle
prend en compte la dynamique de la décision de recours et l’endogénéité
de la relation entre recherche d’emploi et inscription. Nous montrons que la
prise en compte du non-recours peut modifier les conclusions des évaluations
théoriques et empiriques de l’assurance chômage.

Analyzing the Non Take-up of the Unemployment In-
surance
    This paper provides a theoretical model for explaining the empirical evi-
dence of unemployment insurance non take-up. Our framework is focused
on four determinants of take-up : the monetary incentives, the imperfect in-
formation about the eligibility rules, the administrative difficulties to make
a claim and the non-monetary incentives such as the effectiveness of the
unemployment agency as a search method. Our model accounts for the dy-
namics of take-up and the endogenous link between job search and benefit
claiming. We show that the existence of non take-up may affect the evalua-
tion of unemployment insurance systems.

   Mots clé : recours à l’assurance chômage ; recherche d’emploi.
   Classification JEL : J64, J65, C41

      Les auteurs remercient Jesper Bagger, Sam Kortum, David Margolis, Dale Mortensen,
le rapporteur anonyme et les participants des congrès ESEM 2008, AFSE 2008, du LMDG
Workshop 2008 et de la conférence finale du RTN Microdata Methods and Practice.
    ∗ ASB, Université d’Aarhus, Department of Economics, Frichshuset Hermodsvej 22,

8230 Aabyhøj, Danemark (CREST-INSEE et EEP au moment de la rédaction). Courriel :
SylvieB@asb.dk.
    † Université de Strasbourg BETA-CNRS, IZA et LMDG, Institut du Travail de Stras-

bourg, Université Robert Schuman, 39 avenue de la Forêt Noire, 6700 Strasbourg, France.
Courriel : francois.fontaine@urs.u-strasbg.fr.

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INTRODUCTION

    Plusieurs études (Currie [2006], Hernanz et al. [2004]) ont montré qu’une
part importante des chômeurs éligibles ne faisaient pas valoir leurs droits à
l’indemnisation. Le taux de recours à l’assurance chômage est estimé aux
États-Unis entre 40% et 70% (Blank et Card [1991], Anderson et Meyer
[1997], McCall [1995]) et entre 60% et 80% en Grande-Bretagne et au Ca-
nada (DWP [2008], Storer et Van Audenrode [1995]) 1 . En France, entre
2003 et 2006, plus d’un tiers des chômeurs éligibles à l’assurance chômage
ne s’inscriraient pas à l’Agence Nationale Pour l’Emploi (Blasco et Fontaine
[2009]).
    Les études théoriques portant sur l’optimalité de l’assurance chômage,
ainsi que la mise en œuvre pratique du système supposent implicitement
que tous les éligibles reçoivent effectivement l’allocation (voir Kroft [2008],
Krueger et Meyer [2002] pour des exceptions). Or, s’il existe une sélection
dans l’entrée à l’assurance chômage, une modification des paramètres du
système modifie le taux de participation et la composition des inscrits, ce
qui a d’importantes conséquences en termes de coûts et d’efficacité. Pour
saisir les effets d’un système d’assurance chômage, il apparaît alors essentiel
de tenir compte du non-recours. Il importe également de décomposer le
processus de recours en vue d’une amélioration des propriétés assurantielles
du système (Heckman et Smith [2004]).
    Nous proposons une modélisation du comportement des demandeurs
d’emploi en termes de recherche d’un emploi mais aussi du recours à l’assuran-
ce chômage. Nous montrons que ces deux dimensions sont affectées par le
montant de l’indemnisation, l’existence de coûts de transaction lors de la
demande d’allocation, l’imperfection d’information sur les règles d’éligibi-
lité et l’aide spécifique apportée aux chômeurs indemnisés par l’agence pour
l’emploi. Un chômeur qui anticipe un retour rapide à l’emploi a peu d’incita-
tions à demander à être indemnisé, surtout si cela prend du temps ou induit
des coûts de transaction élevés. Le cadre que nous proposons prend explici-
tement en compte la possible corrélation entre la participation à l’assurance
chômage, les caractéristiques de ce système et les stratégies de recherche
d’emploi des individus.
    Les modèles statistiques de non-recours existants sont des modèles de
choix statiques (Blank et Card [1991], Anderson et Meyer [1997]). Le chô-
meur est modélisé comme faisant un choix binaire entre avoir ou non-recours
aux allocations. Nous montrons qu’il est essentiel de prendre en compte la
dimension temporelle, c’est-à-dire le temps entre l’entrée au chômage et l’in-
demnisation, pour évaluer l’efficacité de l’assurance chômage. Cette durée
dépend des frictions du processus de demande d’indemnisation et de l’effort
fait par le chômeur pour surmonter ces frictions. Le modèle dynamique que
nous proposons prend en compte ces éléments.
    Nous proposons un modèle théorique de recours à l’assurance chômage
   1. Les évaluations dépendent notamment des sources statistiques (source administra-
tive ou données d’enquêtes), ainsi que de la finesse d’observation des épisodes de chômage
(mois, semaine...).

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qui pourra être estimé. Nous montrons dans ce cadre que l’existence de
barrières à l’entrée induit une sélection importante entre les chômeurs bien
indemnisés, qui ont souvent intérêt à demander l’allocation, et les chômeurs
anticipant un montant faible d’indemnisation. En outre, l’effet d’une plus
grande générosité du système d’assurance chômage est ici ambigu. Après
avoir mis en évidence l’existence de non-recours à l’assurance chômage en
France, nous exposons notre cadre théorique et soulignons enfin ses proprié-
tés les plus marquantes.

ÉVIDENCES EMPIRIQUES POUR LA FRANCE

    Pour prétendre à l’indemnisation chômage en France, un travailleur privé
d’emploi doit satisfaire des critères portant notamment sur son ancienneté
au travail et sa disponibilité à rechercher activement un emploi. Par exemple,
entre 2003 et 2006, un individu de moins de 50 ans doit avoir travaillé au
moins 6 mois dans les 22 derniers mois pour être éligible 1 . Même pour
les individus répondant à ces conditions, le versement de l’allocation n’est
pas systématique : dans l’année suivant la perte de l’emploi, l’individu doit
s’inscrire auprès de l’Agence Nationale Pour l’Emploi (anpe) et déposer
un dossier de demande d’allocations en y joignant les preuves justifiant son
éligibilité. Pour être effectivement indemnisé, un chômeur éligible doit donc
comprendre et entreprendre différentes formalités administratives.
    En exploitant les enquêtes Emploi de l’Insee pour la période 2003-2006,
nous obtenons un échantillon de 1890 demandeurs d’emploi de moins de 50
ans pour lesquels nous pouvons établir l’éligibilité à l’indemnisation. 39%
de ces individus ne s’inscrivent pas à l’anpe au cours de leur épisode de
chômage, s’empêchant ainsi de percevoir l’allocation. Certes, un problème
de sous-déclaration pourrait affecter ce chiffre. Néanmoins, un travail que
nous menons actuellement sur données administratives issues du fh-dads 2
et non sujettes à ce biais, semblent confirmer ce constat (Blasco et Fontaine
[2009]). Il faut cependant noter que le fait de ne considérer que les individus
pour lesquels nous pouvons garantir l’éligiblité opère une sélection sur les
données. Malgré ces réserves, ce non-recours significatif, non spécifique à la
France, indique bien que des coûts sont associés à l’indemnisation (coûts de
transaction, frictions dans le processus de recours) ou que certains chômeurs
se considèrent à tort comme non éligibles.
    Un modèle logit de recours à l’indemnisation (tableau 1) permet de
mettre en lumière une partie des déterminants du choix. La décision de
recourir à l’indemnisation est positivement corrélée avec le salaire passé et
donc le montant potentiel des allocations. Elle est aussi liée positivement
   1. Plus précisément, un individu qui a travaillé 6 mois dans les 22 derniers mois a
droit à 7 mois d’indemnisation, contre 23 mois pour une durée de travail de 14 mois dans
les 24 derniers mois. Ce sont les jours d’affiliation à l’assurance chômage qui sont pris
en compte, et non pas le nombre d’heures, sauf si la condition sur les jours n’est pas
satisfaite. Dans ce dernier cas, nous ne pouvons établir l’éligibilité avec les données dont
nous disposons. Le taux de remplacement est compris entre 57 et 75% selon le salaire.
   2. Appariement du Fichier Historique des demandeurs d’emploi et des Déclarations
Annuelles des Données sociales.

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avec la durée de l’emploi passé et donc la durée potentielle de l’indemnisa-
tion.
    De manière plus fine, la corrélation entre l’ancienneté au travail et la
décision d’inscription révèle un possible effet d’incertitude sur les règles
d’éligibilité. Les individus qui ont travaillé plus de 2 ans avant l’entrée au
chômage ont significativement plus de chance de s’inscrire à l’agence pour
l’emploi que ceux qui n’accumulent qu’entre 14 et 23 mois de travail passé,
alors qu’ils peuvent espérer la même durée d’indemnisation. Bien entendu,
en l’absence de contrôle supplémentaire, il est difficile de conclure.

  Tableau 1. Probabilité de recours à l’indemnisation pour les chômeurs
                                 éligibles
                                                         estimations    écarts types
 Constante                                                −3, 06∗∗∗        (0,87)
 log(salaire passé)a                                       0, 53∗∗∗        (0,13)
 Durée d’emploi passée (réf. : entre 6 et 13 mois)
   entre 14 et 23 mois                                      0,20∗          (0,11)
   24 mois ou plus                                         0, 78∗∗∗        (0,14)
 Femme                                                      -0,05          (0,10)
 Age (réf. :
MODÈLE THÉORIQUE

    Nous proposons un modèle théorique permettant de rationaliser ces faits
stylisés, en particulier le lien existant entre générosité espérée des allocations
et taux de recours, et le fait que certains chômeurs restent plusieurs mois
au chômage sans être inscrits, révélant l’existence de frictions dans les de-
mandes d’indemnisation.

Cadre général

    Nous considérons un modèle de recherche d’emploi en équilibre partiel
et temps discret avec agents à horizon de vie infini. Le système d’assurance
chômage considéré présente des caractéristiques semblables à celles de la
plupart des systèmes des pays de l’ocde 1 : les allocations chômage sont
constantes au cours du temps et la durée d’indemnisation est limitée. En
outre, l’éligibilité dépend de la durée d’emploi passée. Pour tenir compte de
l’interdépendance entre recherche d’emploi et demande d’allocation, nous
distinguons trois types de chômage selon la situation du demandeur d’em-
ploi face au système d’assurance chômage : lorsqu’il perd son emploi, l’in-
dividu entre dans le premier état de chômage, noté N. Simultanément à
sa recherche d’emploi, il peut s’investir dans le processus de demande des
allocations chômage, auquel cas il doit faire un effort pour comprendre le
processus administratif, rassembler les pièces et remplir le dossier. Cet effort
de demande dépend de ces coûts de transaction mais aussi de sa perception
de son éligibilité et des gains associés à l’indemnisation (gains monétaires
et aides de l’agence pour l’emploi). Si la demande est acceptée avant qu’il
ne retrouve un emploi, l’individu entre en chômage indemnisé, noté P. En-
fin, s’il n’a pas retrouvé d’emploi à l’issue de sa période d’indemnisation, le
demandeur d’emploi entre dans le dernier état de chômage possible, noté L.
    Dans chacun de ces trois états de chômage, l’individu choisit ses efforts
de recherche et salaires de réservation. Les taux d’arrivée des offres d’emploi
et les coûts des efforts de recherche sont spécifiques aux états N, P et L.
En effet, contrairement à un chômeur non inscrit, un individu en P peut
être conseillé dans sa recherche par un agent de l’agence pour l’emploi. Il
doit également satisfaire des contraintes administratives ce qui affecte sa
« technologie »de recherche d’emploi. Le contrôle peut notamment amener
le demandeur d’emploi à délaisser les méthodes de recherches informelles,
non observables par l’agence pour l’emploi, au profit de modes de recherches
observables qui peuvent avoir des rendements et coûts différents (van der
Berg et van der Klaauw [2006]). De même, un chômeur qui a épuisé ses
droits a pu, par l’expérience acquise en N et P, modifier ses méthodes de
recherche d’emploi et il ne reçoit pas la même attention qu’un chômeur
indemisé, de sorte que les technologies et coûts de recherche en L peuvent
être encore différents. Ainsi dans l’état j ={N,P,L}, le chômeur choisit un
effort ej de recherche d’emploi à un coût cj (ej ) (cj (ej )0 > 0 et c00j (ej ) > 0).
   1. Le modèle peut cependant être étendu pour prendre en compte les spécificités
institutionelles des différents systèmes en vigueur.

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A chaque période, la probabilité de recevoir une offre est alors λj ej , où λj
représente l’efficacité de la technologie de recherche associée à l’état j. Le
salaire associé à une offre d’emploi a une fonction de répartition, notée F,
définie sur [winf , wsup ].
    La fonction d’utilité instantanée spécifique à l’état j = {N,P,L}, notée
u(aj + bj w), dépend du loisir ou de la production domestique, aj , et du
salaire passé w. Lorsque le chômeur est indemnisé, ses allocations dépendent
du salaire passé. Plus géneralement, l’épargne en emploi (non modélisée ici)
et l’utilisation de cette épargne de précaution une fois au chômage explique
ce lien avec le salaire passé, que l’individu soit en N, P ou L (mais les ratio
bj sont différents selon le type de chômage).
    Les transitions possibles entre les états sont mutuellement exclusives de
sorte qu’un seul évènement peut survenir à chaque période. Nous supposons
de plus que les coûts d’effort sont suffisamment élevés pour que la probabilité
d’avoir au moins une transition reste strictement inférieure à un 1 .

Les fonctions valeur

    Pour percevoir l’allocation, un demandeur d’emploi dans l’état N doit
déposer une demande. Il effectue ces démarches avec un effort δ au coût
cγ (δ) (cγ (δ)0 ≥ 0, cγ (0)0 = 0 et c00γ (δ) > 0). Sa probabilité à chaque période
de recevoir l’allocation et donc de basculer dans l’état P est égale à γδ. Le
paramètre d’efficacité des efforts de demande, γ, peut représenter la plus
ou moins grande difficulté pour un individu à comprendre comment remplir
une demande, ou le temps de traîtement du dossier par l’administration. Ici
nous relâchons l’hypothèse d’information parfaite et autorisons le deman-
deur d’emploi à n’avoir qu’une connaissance imparfaite de son éligibilité à
l’assurance chômage. S’il ne connaît pas exactement les règles d’éligibilité,
il sait qu’elles dépendent de sa durée passée en emploi. Formellement nous
supposons qu’il estime que son éligibilité dépend du nombre de périodes
de travail consécutives, notées t, avant son entrée au chômage. Sachant t,
il pense être éligible avec une probabilité P(t) ∈ [0, 1] avec P0 (t) > 0 et
P(0) = 0. Ainsi sa probabilité subjective de recevoir l’allocation à chaque
période est P(t)γδ. Cet effort de demande, choisi de façon optimale, peut
être nul si l’individu n’a pas d’incitations suffisantes pour demander l’alloca-
tion. Compte tenu de ces hypothèses, l’utilité intertemporelle dans l’état N,
notée VN (t, w) pour un travailleur qui a travaillé t périodes avant d’entrer
au chômage et dont le dernier salaire fut w, satisfait :
(1 − β)VN (t, w) = u(aN + bN w) − cN (eN ) − cγ (δ)
             Z wsup
   + βλN eN         max{J(0, x) − VN (t, w), 0}dF(x)
                 winf
   + βγδ max{P(t)(VP (w) − VN (t, w)) + (1 − P(t))(VN (0, w) − VN (t, w)), 0}
   1. Il s’agit d’exclure la possibilité de situations qui ne seraient que l’artefact de la
modélisation en temps discret. Un cadre en temps continu avec des taux d’arrivée qui
suivent des processus de Poisson pouvait supprimer ce problème d’évènements concur-
rents. La discrétisation du temps est cependant rendue nécessaire du fait des techniques
utilisées pour une résolution et estimation éventuelle (itérations sur les fonctions valeur).

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avec VP (w) la valeur espérée du chômage indemnisé définie ci-dessous et
J(0, x) la valeur intertemporelle espérée d’un nouvel emploi rémunéré au
salaire x. Le premier argument de J correspond à la durée passée en emploi.
Nous faisons l’hypothèse que lorsqu’un chômeur retrouve un emploi, les
périodes travaillées auparavant ne sont plus prises en compte : il recommence
à accumuler des journées travaillées avec t = 0. Rappelons que le travailleur
pense ne pas être éligible avec une probabilité 1 − P(t). Ne pas être éligible
est équivalent à avoir une durée d’emploi nulle.
    En P, le demandeur d’emploi est indemnisé. L’indemnisation étant limi-
tée dans sa durée, nous supposons qu’à chaque période l’individu épuise ses
droits avec une probabilité constante exogène µ 1 . Il bascule alors de l’état
P à l’état L. Dans ce dernier état, il n’est plus indemnisé et peut toujours
rechercher un emploi. Ainsi pour un individu qui a travaillé t périodes ré-
munérées au salaire w avant d’entrer au chômage, les utilités espérées en cas
d’indemnisation et une fois les droits épuisés, notées respectivement VP (w)
et VL (w), satisfont :

   (1 − β)VP (w)       = u(aP + bP w) − cP (eP ) + βµ(VL (w) − VP (w))
                                    Z wsup
                         + βλP eP          max{J(0, x) − VP (w), 0}dF(x)
                                            winf

   (1 − β)VL (w)       = u(aL + bL w) − cL (eL )
                                    Z wsup
                         + βλL eL          max{J(0, w) − VL (w), 0}dF(x)
                                           winf

     Une particularité de notre modèle est que l’éligibilité de l’individu à
l’assurance chômage dépend de sa durée en emploi. De plus, chaque nouvelle
période travaillée change sa perception de son éligibilité. Nous définissons
donc enfin la valeur d’être en emploi. Un travailleur employé peut changer
d’emploi avec une probabilité λJ ou perdre son emploi avec une probabilité
q 2 . L’utilité intertemporelle d’un travailleur avec une ancienneté en emploi
t et un salaire w, notée J(t, w), est donc :
                                          Z   wsup
   (1 − β)J(t, w)     =    u(w) + βλJ                (J(t + 1, x) − J(t + 1, w))dF(x)
                                            w
                           + βq(VN (t + 1, w) − J(t + 1, w))

Les efforts optimaux

    Le travailleur choisit ses niveaux d’effort de sorte à ce que le coût margi-
nal égalise le gain marginal. Les conditions du premier ordre pour les efforts
   1. Dans les faits, la durée d’indemnisation n’est pas le résultat d’un processus stochas-
tique. Nous posons cette hypothèse de sorte à avoir des stratégies de recherche optimales
constantes dans l’état P. De plus, nous intègrons ainsi de l’incertitude du point de vue
de l’individu sur la durée d’indemnisation à laquelle il a droit.
   2. Pour simplifier, les deux probabilités sont supposées exogènes.

                                              7
de recherche et de demande d’allocation satisfont donc :
                         Z wsup
                ∗
     c0j (ej (.) ) = βλj        (J(0, w) − Vj (.))dF(w) avec j = {N,P,L}     (1)
                        Rj (.)

            ∗
  c0γ (δ(t, w) ) = βγ max{P(t)(VP (w) − VN (t, w))
                                 + (1 − P(t))(VN (0, w) − VN (t, w)), 0}     (2)

avec Rj le salaire de réserve en j, soit le salaire pour lequel l’individu est
indifférent entre rester au chômage et accepter l’offre.

EFFETS DU SYSTÈME D’ASSURANCE CHÔMAGE
SUR LE TAUX DE RECOURS ET LA SORTIE DU
CHÔMAGE

    Dans notre modèle, les effets d’un changement du montant des alloca-
tions ou de la durée d’indemnisation ne sont pas standards. Une plus grande
rigueur du système visant à limiter son impact désincitatif peut diminuer
les taux de sortie du chômage de certains individus. En outre, en baissant le
taux de recours à l’assurance chômage, elle affaiblit ses effets assurantiels au
niveau agrégé. Par ailleurs, nous montrons que la simplicité du processus
d’inscription affecte à la fois le taux de recours mais aussi les comporte-
ments de recherche d’emploi. L’évaluation des systèmes existants devrait
donc prendre en compte ces éléments.

Impacts d’une plus grande rigueur du système

   Nous considérons ici les effets d’une baisse du montant de l’allocation
(dbP < 0) et d’un raccourcissement de la durée d’indemnisation (dµ > 0).
On suppose pour simplifier que cv (x) = cv x2 , pour v = {N, P, L, γ}. Nous
présentons, dans un premier temps, deux cas limites qui permettent de
mettre en lumière les méchanismes à l’œuvre.

L’effet de substitution

    Etudions le cas d’un individu qui est en N (au chômage mais non indem-
nisé) et qui est éligible ou qui pense l’être (P(t) > 0). Supposons dans un
premier temps qu’il estime que, s’il retrouve un emploi, celui-ci ne pourra
pas être détruit (q = 0). Sachant (1), (2) et les fonctions valeurs, on obtient :
                    ∗       ∗
                  ∂δN     ∂δN        ∂e∗N     ∂e∗N
                      >0,     < 0 et      0
                  ∂bP      ∂µ        ∂bP       ∂µ

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En outre, on montre aisément que ∂RN /∂bP > 0 et ∂RN /∂µ < 0. Dès lors
que le travailleur pense qu’il ne perdra pas son emploi après sa sortie du
chômage, une baisse du ratio de remplacement ou de la durée d’indemnisa-
tion n’affecte pas la valeur anticipée d’être en emploi. On a alors une hausse
du taux de sortie du chômage du fait de la baisse de l’utilité au chômage.
En outre, le demandeur d’emploi limite ses efforts de demande d’allocations
et le taux de recours diminue. Ces effets sont proches des effets classiques
d’une baisse des allocations chômage. Cependant, la baisse du taux de re-
cours invite à considérer avec prudence ces effets sur le bien-être.

L’« effet éligibilité »

    La générosité du système d’assurance affecte la valeur de l’emploi des
individus éligibles. Cet effet est essentiel pour comprendre les conséquences
d’un changement des paramètres du sytème sur les taux de sortie du chô-
mage. On se replace dans un cadre où q > 0. Quels sont maintenant les
effets d’une baisse de bP ou d’une hausse de µ sur un demandeur d’emploi
qui estime ne pas être actuellement éligible (P(t) = P(0) = 0) ou qui a
épuisé ses droits ? Les conditions d’optimalité impliquent :
∂eN (0, w)∗     ∂eN (0, w)∗                    ∂RN (0, w)∗     ∂RN (0, w)∗
            >0,             0,
sont principalement dues à la baisse de la valeur des emplois, les épisodes
de chômage futurs devenant plus douloureux. La rigueur du système d’assu-
rance chômage peut alors à la fois diminuer le taux de sortie du chômage et
diminuer le taux de recours. Si le demandeur d’emploi estime avoir une forte
probabilité d’être éligible, un montant d’allocation plus faible, ou une durée
d’indemnisation plus courte, augmentent le taux de sortie du chômage en N
car ils affectent fortement la valeur de l’épisode actuel de chômage. Cepen-
dant ils diminuent le recours à l’assurance chômage. Au niveau agrégé, l’effet
sur les taux de sortie et sur le bien-être dépendra donc de la composition
des demandeurs d’emploi et des risques sur le marché du travail.

Impact des barrières administratives

    Que se passe-t-il enfin si le processus de demande d’allocation devient
plus lent ou complexe (dγ < 0) ? Dans ce cas, l’utilité intertemporelle dans
l’état N diminue. Le rendement de l’effort de recours à l’assurance étant
plus faible, les individus font un effort plus faible (puisque ∂δ/∂γ > 0).
Par contre, pour les mêmes raisons que précédemment, l’effet sur le taux
de sortie du chômage est ambigu. En effet, si le chômeur estime avoir une
faible chance d’être éligible, il n’est directement que peu affecté. Par contre,
les difficultés pratiques pour bénéficier de l’assurance chômage diminuent la
valeur des emplois car tout épisode de chômage futur devient plus coûteux,
le système d’assurance chômage étant moins effectif.

CONCLUSION

    Le recours à l’assurance chômage et les comportements de recherche
d’emploi sont intimement liés. Il est nécessaire de le prendre en compte pour
comprendre le non-recours à l’assurance chômage et les effets d’une modi-
fication des systèmes existants. Notre modèle saisit à la fois le lien entre
recherche d’emploi et non-recours et la manière dont les coûts de transac-
tion, l’imperfection de l’information et les incitations financières affectent
les comportements. En cela, il peut constituer une base pour une estimation
structurelle du non-recours à l’assurance chômage et l’étude de l’optimalité
des systèmes d’indemnisation existants (Blasco et Fontaine [2009]).

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