Faut-il isoler les patients porteurs de BMR ? - SRLF

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Réanimation (2016) 25:318-327
DOI 10.1007/s13546-016-1184-5

 MISE AU POINT / UPDATE                                                                                         INFECTIEUX

Faut-il isoler les patients porteurs de BMR ?
Should Contact Precautions for Multidrug Resistant Organism Transmission Be Used?

A. Durand · C. Dupré · L. Robriquet
Reçu le 25 novembre 2015 ; accepté le 5 février 2016
© SRLF et Lavoisier SAS 2016

Résumé Les bactéries multirésistantes (BMR) endémiques,            Abstract There is an increasing incidence on morbidity and
telles que le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline     mortality related to endemic multi-drug resistant organism
(SARM), mais surtout les entérobactéries productrices              (MDRO) like methicillin-resistant Staphylococcus aureus
d’une bêtalactamase à spectre étendu (EBLSE) ont une inci-         (MRSA), or extended spectrum beta-lactamase (ESBL) ente-
dence croissante. Elles sont associées à une augmentation de       robacteria. MDRO originated from multiple roots, either
la morbimortalité des patients de réanimation. Elles sont le       endogenous acquisition with selection of spontaneously
plus souvent d’origine endogène, par sélection de mutants          resistant strains, or exogenous acquisition from skin contact,
résistants, mais aussi exogène, par transmission croisée. La       mostly hand related. The primary acquisition mode for
transmission croisée se fait le plus souvent par manuportage.      patients in intensive care is endogenous. ESBL producing
Il existe plusieurs stratégies pour lutter contre la transmis-     organisms pose challenging infection control issues, and
sion croisée des BMR, organisées de manière graduelle : les        require searching for new interventions. In order to fight
précautions standard sont universelles et s’appliquent pour        cross-transmission, different strategies can be implemented
tous les patients, dans tous les secteurs d’hospitalisation. Les   gradually. Standard precautions apply anywhere and any-
précautions de type contact sont complémentaires et vien-          time. Contact precautions are also widely recommended for
nent s’ajouter aux précautions standard pour les patients          MDRO. However, conflicting data exist regarding their
porteurs de BMR. L’instauration de ces précautions ne fait         effectiveness and potential link to multiple adverse effects.
pas consensus, et leur efficacité n’est pas démontrée dans la      Recommendations do not match for consensus, but they all
littérature. De plus, ces mesures ne sont pas dénuées d’effets     focus on contact precautions relief opposing the tightening
indésirables. Les recommandations concernant l’application         up of standard precautions, decreasing differences between
des mesures de prévention tendent vers un allègement des           both. Multiple targets are necessary to minimize nosocomial
précautions complémentaires de type contact et un renforce-        or community-acquired MDRO colonization or infection.
ment des précautions standard. Ainsi par exemple, l’usage          Hence, latest recommendations lean toward a more respon-
systématique des gants est à proscrire. La lutte contre            sible and rational use of contact isolation, consistent with
l’émergence de BMR doit être multifactorielle et passe par         bacterial virulence or epidemiologic situation. Many strate-
une application systématique des précautions standard, aux-        gies must be restricted, like unconditional glove usage. Fur-
quelles viennent s’ajouter de manière raisonnée des précau-        thermore, antibiotic use must be rationalized and tightly
tions complémentaires, selon la virulence de la bactérie           supervised, in order to better control the spread of MDRO.
considérée et les conditions épidémiologiques. Il est égale-
ment capital de limiter l’utilisation des antibiotiques, notam-    Keywords Contact precautions · Patient isolation ·
ment à large spectre, élément central de l’émergence de ces        Multidrug-resistant organism · Cross transmission
pathogènes.

Mots clés Précautions complémentaires contact · Isolement ·
                                                                   Introduction
Bactéries multirésistantes · Transmission croisée
                                                                   La résistance aux antibiotiques est considérée depuis 2014
A. Durand (*) · C. Dupré · L. Robriquet                            par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme une
Réanimation médicale CHRU de Lille, hôpital Salengro,
                                                                   priorité de santé publique. Les bactéries multirésistantes
centre hospitalier régional universitaire de Lille,
2, avenue Oscar-Lambret, F-59037 Lille cedex, France               (BMR) sont en pleine expansion en France mais aussi dans
e-mail : durand.arthur@gmail.com                                   le monde. Les données du réseau d’alerte, d’investigation et
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de surveillance des infections nosocomiales en réanimation        de dépistage systématique selon le service et/ou l’établisse-
(REA-Raisin) ont montré que 9 % des patients hospitalisés         ment concerné [13]. En réanimation, 34 278 patients (soit
en réanimation étaient porteurs de BMR en 2013, dont le           47 % des lits) ont été recensés [1]. Le taux de BMR était
tiers le devenait lors du séjour en réanimation [1]. Le portage   de 9 %, dont un tiers était acquis au cours du séjour en réa-
et surtout l’infection par des BMR entraînent une augmen-         nimation. Parmi ces 9 % de BMR, un tiers de SARM et deux
tation de la mortalité et de la durée de séjour des patients      tiers de BLSE étaient retrouvés. Les Acinetobacter et Pseu-
hospitalisés en réanimation [2]. Il est primordial de réussir     domonas résistants étaient minoritaires. Il existe en France
à contrôler leur transmission croisée. Les précautions            une diminution progressive du portage et des infections à
complémentaires de type contact sont utilisées depuis de          SARM, avec en 2013 une densité d’incidence de 0,30 pour
nombreuses années pour la limiter. Cependant, ces mesures         1 000 jours d’hospitalisation, soit en réanimation une dimi-
d’isolement des patients ne sont pas dénuées d’effets secon-      nution de 24 % depuis 2009. À l’inverse, on constate une
daires. De plus, les dernières études n’ont pas réussi à          augmentation du portage et des infections à BLSE avec
démontrer l’efficacité des précautions complémentaires de         une augmentation de la densité d’incidence en 2013 de
type contact [3–10]. Il existe donc de nombreux points de         0,55 pour 1 000 jours d’hospitalisation, soit en réanimation
discussion sur l’intérêt de l’isolement contact des patients      une augmentation de 52 % depuis 2009, notamment portée
porteurs de BMR endémiques en réanimation.                        par les Escherichia coli BLSE qui représentent la moitié des
                                                                  souches d’EBLSE isolées [13].

Définitions et épidémiologie
                                                                  Pathogenèse et mode de transmission
Les BMR endémiques sont définies après effort conjoint de
l’European Society of Clinical Microbiology Infectious            Les modalités d’acquisition d’une BMR sont doubles. Tout
Disease (ESCMID) et des centers for diseases control              d’abord, l’acquisition peut être endogène dite « verticale »,
(CDC) comme des bactéries possédant une résistance à au           par sélection d’un mutant résistant au sein de la flore bacté-
moins trois familles d’antibiotiques auxquelles elles sont        rienne commensale. Cette sélection se fait à la faveur d’un
habituellement sensibles [11]. À noter l’exception de l’enté-     facteur favorisant, principalement les antibiotiques qui sélec-
rocoque résistant aux glycopeptides (ERG) et à moindre            tionnent les souches résistantes au sein de cette flore, de par
degré du Staphylococcus aureus résistant à la méticilline         une pression dite de « sélection ». La seconde modalité d’ac-
(SARM), dont le seul marqueur de résistance de significa-         quisition est dite exogène ou « horizontale », c’est-à-dire par
tion clinique majeure (respectivement aux glycopeptides et à      transmission croisée entre le réservoir et l’hôte soit directe-
la méticilline) les classe en BMR malgré l’absence de résis-      ment, soit par l’intermédiaire d’un vecteur (manuporté,
tance systématique à trois familles d’antibiotiques [12]. Au      aérien…). La notion de réservoir est capitale et dépendante
sein de ces BMR, certaines sont dites « prioritaires ». Elles     du type de pathogène. Le réservoir peut être humain, formé
présentent un haut risque de diffusion et sont endémiques.        de porteurs connus ou méconnus, animal ou environnemen-
Il s’agit des SARM et des entérobactéries sécrétrices de bêta-    tal. Seule la transmission croisée correspondant à la trans-
lactamase (EBLSE). Les bactéries telles que Pseudomo-             mission contact majoritairement manuportée sera abordée
nas aeruginosa multirésistant (PAR) et Acinetobacter bau-         dans cette revue. L’intensité de cette transmission croisée
mannii multirésistant (ABR) sont des bactéries saprophytes        est dépendante de la pression de colonisation (importance
pouvant être responsables d’épidémies de moindre niveau           quantitative du réservoir) chez l’hôte et son environnement,
dans des contextes particuliers. Elles sont définies comme        mais aussi de la durée d’exposition au pathogène, de facteurs
des BMR épidémiques. Les bactéries hautement résistantes          liés à l’hôte, et des efforts et dispositions mis en place pour la
émergentes (BHRe) sont caractérisées par un mécanisme de          diminuer. La pression de sélection croissante et la transmis-
résistance transférable évoluant sur un mode épidémique et        sion croisée sont les principales explications de l’émergence
issues de la flore commensale. Celles-ci ne seront pas abor-      et de la dissémination de ces pathogènes. Concernant la
dées dans cette revue. Ces dernières correspondent en France      transmission croisée, il existe des disparités entre SARM et
aux ERG et aux entérobactéries productrices de carbapénè-         EBLSE, pouvant être une des explications des évolutions
mases (EPC).                                                      épidémiologiques contrastées entre ces deux BMR. La dif-
    Les données épidémiologiques françaises sont fournies         fusion des EBLSE dans l’environnement des patients por-
par le réseau Raisin. En 2013, 1 347 établissements ont           teurs et/ou infectés est en outre plus facile que celle des
été analysés, couvrant 78 % des lits d’hospitalisation. Les       SARM, car elle s’effectue à partir d’un réservoir (le tube
données sont issues de déclarations des cinq centres de           digestif) beaucoup plus important que celui des SARM
coordination et de lutte contre les infections nosocomiales       (peau et muqueuse), notamment en lien avec le péril fécal.
(C-CLIN). Le recueil peut être sous-estimé par l’absence          Elle intéresse à la fois le pathogène, mais également leurs
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gènes de résistance inclus dans des éléments génétiques            gène entre patients et soignants. Il en existe deux types. Les
mobiles (plasmides, transposons…) facilement transférables         précautions standard sont universelles et s’appliquent pour
entre bactéries. Enfin, comme nous le verrons plus tard, la        tout patient et tout le temps. Au sein de ces précautions,
diffusion des EBLSE concerne aujourd’hui en France non             certaines mesures proposées sont différentes selon les don-
seulement les établissements de soins, mais aussi la commu-        nées épidémiologiques du pays, de la région et du centre
nauté où leur contrôle est rendu plus délicat par la néces-        hospitalier concerné. En France, les précautions standard
sité d’agir sur de nombreux facteurs supplémentaires au            ont été harmonisées et redéfinies par la Société française
SARM (lutte contre le péril fécal, rôle de l’alimentation,         d’hygiène hospitalière (SFHH) en 2009 comme des objectifs
des effluents…). Enfin, l’émergence des EBLSE préfigure            globaux visant notamment à une qualité exemplaire de l’hy-
l’émergence déjà constatée de souches d’entérobactéries            giène des mains, avec respect des modalités et de la fré-
productrices de carbapénèmase appartenant aux BHRe.                quence de l’utilisation des solutés hydroalcooliques (SHA),
                                                                   la protection de la contamination des soignants lors de soins
                                                                   avec contact du sang ou de liquides biologiques, la bonne
Transmission croisée en réanimation                                gestion des excreta, ainsi qu’un isolement géographique en
                                                                   chambre seule concernant les patients hospitalisés en réani-
La transmission croisée dans l’acquisition des BMR endémi-         mation [19]. Les précautions de type contact sont complé-
ques hospitalières et en réanimation existe bel et bien. Elle      mentaires et peuvent être associées à d’autres mesures telles
est toutefois de façon surprenante plus faible que présuppo-       que le dépistage systématique des BMR, la décontamina-
sée [14]. Kim et al. ont récemment démontré dans une étude         tion sélective ou non des patients porteurs et des mesures
monocentrique son faible impact dans l’acquisition de BMR          d’isolement géographique définies comme le cohorting des
en cas de bonne application des précautions standard [15].         patients. Elles représentent des mesures ajoutées aux précau-
Par des techniques de surveillance du portage et d’identifi-       tions standard pour renforcer la lutte contre la transmission
cation génotypique, ceux-ci évaluent l’impact de l’acquisi-        croisée par l’ajout d’une signalisation, de matériel de protec-
tion exogène à 30 % des acquisitions de BMR dans leur              tion individuelle supplémentaire (surblouses, matériel dédié
unité de réanimation. Harris et al. ont évalué dans une            au patient en chambre) et en général associées à un regrou-
cohorte prospective sur trois ans, selon des critères épidé-       pement géographique des soins. Ces précautions peuvent
miologiques et après analyse des souches bactériennes par          être appliquées chez des patients infectés ou rentrer dans le
électrophorèse en champs pulsé, que la transmission croisée        cadre d’un dépistage ciblé ou systématique de la colonisa-
d’E. coli BLSE était seulement responsable de 13 % des             tion. Il existe actuellement de nombreux points de discussion
acquisitions de BMR [16]. La première cause d’acquisition          concernant les mesures à mettre en œuvre pour lutter contre
de BMR en réanimation est donc a priori une acquisition            les BMR endémiques. Les principaux sont le recours à
endogène par sélection d’un mutant résistant liée à la pres-       une éventuelle stratégie de dépistage systématique ou ciblée,
sion de « sélection » des antibiotiques. Dans deux revues,         la décontamination cutanée ou digestive systématique et
Carlet et al. proposent une alliance pour le « sauvetage des       l’usage de précautions complémentaires contact. Nous abor-
antibiotiques » tentant de diminuer la pression de sélection,      derons ici le débat en exposant les éléments pour et contre
mesure phare de la diminution d’acquisition (endogène) des         l’usage des précautions complémentaires contact chez les
BMR endémiques [17,18]. La France fait partie des plus             patients porteurs de BMR endémiques (SARM et EBLSE).
grands consommateurs européens d’antibiotiques. Environ
75 % des patients sont traités par antibiothérapie au cours
de leur séjour en réanimation. Les auteurs préconisent une         Précautions standard : importance et limites
désescalade précoce, un traitement de plus courte durée et
une prescription sur avis spécialisé pour certains antibio-        La transmission croisée contact est fondée sur la volonté de
tiques. Cependant, ces mesures ne peuvent être efficaces           prévenir l’acquisition d’une BMR chez un patient hôte dont
qu’en cas d’action conjointe entre les différents états euro-      l’origine est l’environnement ou un autre individu. En effet,
péens et mondiaux.                                                 l’environnement est fréquemment le lieu d’une contamina-
                                                                   tion avec un taux de 30–80 % pour le SARM, de 5–10 %
                                                                   pour les EBLSE [20,21]. La notion capitale est la notion de
Mesures barrières                                                  transmission manuportée par le personnel au décours des
                                                                   soins réalisés. Dans ce cas, l’application de règles d’hygiène
Pour contrôler le risque de transmission croisée, il est capital   simples et efficaces constitue la clé de voûte du contrôle de
d’identifier le réservoir, ce qui peut être mis en défaut. Puis    la transmission croisée contact. L’hygiène des mains, via
des mesures dites « barrières » peuvent être associées pour        l’utilisation de SHA, revêt en ce sens une importance consi-
lutter contre le risque de transmission croisée d’agent patho-     dérable. L’application de SHA est réalisée avant et après tout
Réanimation (2016) 25:318-327                                                                                                  321

contact avec le patient ou son environnement immédiat.             inférieure à la quantité théorique nécessaire par jour et par
Depuis les années 2000, l’utilisation de plus en plus répan-       patient [30]. L’efficacité des précautions standard fondées
due de ces solutés est en grande partie responsable de la          principalement sur l’hygiène des mains semble démontrée.
diminution drastique de l’incidence du taux de SARM. Dans          Cependant, elles sont en règle générale insuffisamment res-
une méta-analyse, Tschudin-Sutter et al. ont démontré une          pectées, de compliance variable au cours du nycthémère et
corrélation linéaire entre le pourcentage de consommation          dépendent de l’évaluation du niveau d’observance ainsi que
des SHA et la prévalence du SARM en réanimation [22].              de l’implication pour la formation du personnel soignant.
Une autre étude semble observer les mêmes effets sur les           Ainsi, il semble logique en cas de portage de BMR d’asso-
EBLSE, permettant une réduction du taux d’acquisition              cier des précautions complémentaires contact. Mais celles-ci
après une meilleure observance de l’hygiène des mains              sont-elles réellement efficaces ? Quelles en sont les limites ?
[23]. L’effet semble moins marqué que pour le SARM, en
lien avec le réservoir (digestif) plus important pour les
EBLSE. D’autres mesures inhérentes aux précautions stan-           Précautions complémentaires contact, analyse
dard ont également démontré leur effet dans la littérature         de la littérature, efficacité et limites
médicale. Ainsi, l’utilisation de chambre seule est associée
à une diminution significative de transmission de BMR              L’adjonction de mesures barrières supplémentaires paraît
(SARM, Pseudomonas) ou encore de Candida [24].                     rationnelle pour limiter le risque de transmission croisée,
   Toutefois, de nombreuses études ont montré que l’adhé-          surtout lorsque celui-ci reste insuffisamment contrôlé par
rence des soignants aux gestes d’hygiène des mains reste           les précautions standard peu respectées. Nous allons voir
insuffisante. Su et al. ont montré que dans cinq services de       que son efficacité reste débattue, ainsi que son usage com-
réanimation chinois elle n’était que de 51 % à l’état de base      porte de nombreuses limites et potentiels effets indésirables.
[25]. Après une période de formation intensive de trois mois,      Un des intérêts démontrés des précautions complémentaires
l’adhérence augmentait à 67 %, soit seulement deux tiers           contact réside dans l’amélioration de la qualité et du respect
d’observance. De plus, l’observance semble très variable           des précautions standard. Dans une étude observationnelle,
en fonction de la période de travail, avec une diminution          Almaguer et al. ont démontré que l’observance aux gestes
significative la nuit, et ce chez tous les intervenants (méde-     d’hygiène des mains était améliorée lors de l’utilisation des
cins et infirmières) [26]. Les études concernant le recueil de     précautions complémentaires, et qu’elle pouvait dépasser
l’adhérence des soignants à l’hygiène des mains sont fon-          90 % lors de la présence d’un isolement contact, contre seu-
dées sur des données collectées par un observateur externe         lement 68,9 % en son absence [31]. Par contre, l’usage sys-
présent dans l’unité de soin. Il peut exister alors un biais       tématique de gants n’est pas associé à une diminution du
potentiel d’adhérence augmentée lors des évaluations,              taux d’acquisition de BMR, mais à l’effet inverse, puisqu’il
appelé effet Hawthorne comme dans l’étude princeps où              a été démontré dans plusieurs travaux que l’utilisation systé-
l’adhérence passe de 29 à 45 % lorsque le soignant se sait         matique de gants était associée à une diminution de l’obser-
observé [27]. Pour diminuer ces biais d’observation, de nou-       vance de l’hygiène des mains et d’application des SHA
velles modalités d’évaluation émergent comme l’utilisation         [32,33]. Leur utilisation doit être limitée à des actes à haut
de vidéos, de capteurs électroniques ou l’évaluation de la         risque, notamment lors de contact avec des liquides biolo-
consommation totale de SHA au sein d’un service hospita-           giques et ne doit pas limiter le respect des précautions stan-
lier [28]. Dans une étude allemande, Scheithauer et al. ont        dard. Le Tableau 1 regroupe les études dont la méthodologie
montré une différence significative lorsqu’une mesure objec-       de réalisation semble la plus robuste, concernant l’efficacité
tive, comme la quantité de SHA réellement consommée,               des précautions complémentaires contact sur la prévention
était utilisée comparativement à la quantité de SHA prédite        de la transmission croisée des BMR, notamment endémi-
en fonction du nombre de lavages de mains [29]. En effet,          ques [3–10]. Qu’elles soient en faveur ou en défaveur des
l’observation externe laissait supposer 73 % d’adhérence,          mesures de précautions complémentaires contact, les résul-
alors que le calcul de la consommation de SHA objectivait          tats sont parfois contradictoires, ce qui peut être expliqué par
22 % d’adhérence des soignants à l’hygiène des mains. Des          un certain nombre de biais et limites. Pour la plupart, elles
calculs empiriques en réanimation évaluent en fonction du          sont de faible qualité méthodologique et posent la même
nombre de contacts moyen par jour et par patient la nécessité      question dans des contextes épidémiologiques très diffé-
d’une consommation entre 450 et 500 ml de SHA par jour et          rents. Elles ont souvent été réalisées au cours d’hyperendé-
par patient. La consommation mensuelle de SHA est pour les         mies avec une forte prévalence de SARM par exemple. Ces
services d’hygiène hospitalière un critère indirect du respect     données épidémiologiques ne sont pas comparables avec les
des précautions standard, et elle est corrélée à l’incidence des   données françaises actuelles, notamment en ce qui concerne
BMR, avec en France en 2010 une consommation en réani-             la pression de colonisation. Le recueil de l’usage d’antibio-
mation s’élevant à environ 108 ml par journée-patient, bien        tique (pression de sélection) n’est que rarement rapporté. De
322

Tableau 1 Tableau récapitulatif des principales études prospectives sur l’utilisation des précautions complémentaires contacts (PCC) chez les patients porteurs de BMR endémi-
ques à l’hôpital

Étude           Design                 Intervention                       Critère jugement      Chronologie           Résultats principaux              Observance
                                                                                                                                                        HM
Cepeda et al.  Étude prospective    – Surblouse et gants                  Taux de colonisation Période 1 : 3 mois     Taux acquisition SARM             21 % d’observance
2005 [3]       bicentrique (3 unités systématiques, chambre seule         ou d’infection       Période 2 : 6 mois     identique entre les 3 périodes    d’hygiène des mains
               de réanimation)        (périodes 1 et 3)                   acquise à SARM       Période 3 : 3 mois
                                    – Surblouse et gants
                                      systématiques sans isolement
                                      en chambre seule (période 2)
Huang et al.   Étude rétrospective – Amélioration de l’asepsie lors       Taux de bactériémie Période 1 : 1 an        Seul le dépistage systématique 40 % d’observance
2006           de modèle de séries    de la mise en place de voies        acquise à SARM      Période 2 : 2 ans       et PCC permet de diminuer      augmentée à 80 %
[4]            chronologiques         veineuses centrales (période 1)                         Période 3 : 1 an        la densité d’incidence         après la phase 2
               interrompues         – SHA et campagne d’hygiène                                                       de bactériémie acquise
               (8 unités              des mains (période 2)                                                           à SARM de 67 % (p = 0,02)
               de réanimation)      – Dépistage hebdomadaire portage
                                      nasal et PCC chez patients
                                      colonisés (période 3)
Bearman et al. Étude                Période 1 : PCC                       Prévalence            Période 1 : 3 mois    Pas de modification du taux       Observance de 57 %
2007 [5]       monocentrique,       Période 2 : utilisation               et incidence          Période 2 : 3 mois    d’acquisition de SARM (5,7 vs     en période 1 et 52 %
               prospective,         systématique de gants                 de colonisation                             5 % ; p = 0,92) ou d’ERG          en période 2
               contrôlée                                                  ou d’infection                              (14 vs 18 % ; p = 0,19)
                                                                          à SARM et ERG                               au cours des 2 phases
Robicsek et     Étude prospective      Période 1 : période contrôle       Taux d’infections     Période 1 : 1 an      Diminution significative          Absence de données
al.2008         observationnelle       Dépistage systématique (PCR),      nosocomiales          Période 2 : 1 an      du taux d’infections acquises     recueillies
[6]             dans 3 centres         PCC et décolonisation patients     acquises à SARM       Période 3 : 1 an      à SARM hormis bactériémies
                                       admis en réanimation (période 2)                                               uniquement significative
                                       ou admis à l’hôpital (période 3)                                               en période 3, diminution
                                                                                                                      de 69,6 % (IC 95 % : 19,6–
                                                                                                                      89,2 %), p = 0,03
Gbaguidi-       Centre académique      Périodes 1 et 3 : PCC              Taux de colonisation Période 1 : 3 ans      L’implémentation des mesures      Absence de données
Haore et al.    monocentrique          Période 2 : absence de PCC         ou d’infection       Période 2 : 3 ans      de PCC était associée             disponibles
2008 [7]                                                                  nosocomiale à        Période 3 : 2 ans      à une diminution
                                                                          A. baumannii                                de la colonisation à
                                                                                                                      A. baumannii
                                                                                                                      RR : 0,5 ; IC 95 % : 0,4–0,64 ;
                                                                                                                      p < 0,001
                                                                                                                                                         (Suite page suivante)
                                                                                                                                                                                 Réanimation (2016) 25:318-327
Tableau 1 (suite)
                                                                                                                                                                                  Réanimation (2016) 25:318-327

Étude            Design                 Intervention                     Critère jugement      Chronologie             Résultats principaux               Observance
                                                                                                                                                          HM
Cheng et al.     Étude               Période 1 : cohorting               Tendance ou densité Période 1 : 27 mois Absence de changement                    Observance passant
2010 [8]         monocentrique       Période 2 : PCC et isolement        d’incidence          Période 2 : 27 mois de densité d’incidence                  de 29 à 63 % en fin
                 centre universitaireen chambre seule                    d’infection acquises Période 3 : 35 mois d’infection acquise à SARM              de période 3
                 Hong Kong           Période 3 : isolement en chambre    en réanimation                           ou EBLSE
                                     seule et campagne d’hygiène         à SARM ou EBLSE
                                     des mains
Jain et al.      Étude prospective   Bundle de prévention : dépistage    Taux d’infections     3 ans                   Diminution de la transmission      Absence de données
2011 [9]         multicentrique      nasal à l’admission et sortie       nosocomiales                                  liée aux soins et du nombre        recueillies
                 service de médecine de l’hôpital, PCC chez patients     acquises à SARM                               d’infections acquises à SARM
                 et de réanimation   colonisés à SARM, amélioration                                                    (diminution de 62 % ;
                                     hygiène des mains                                                                 p < 0,001 du taux d’infections
                                                                                                                       à SARM)
Huskins et al.   Étude prospective      Randomisation en 3 stratégies :  Taux d’infections     Contrôle : 8 mois       Supériorité de la décolonisation   22 % d’observance
2011 [10]        randomisée             1) Dépistage systématique et PCC nosocomiales          Randomisation           universelle sur le risque          d’hygiène des mains
                 en cluster,            préemptives                      acquises à SARM       et implémentation :     d’infection à SARM                 sans feed-back
                 en réanimation         2) Dépistage systématique PCC                          3 mois                  par rapport aux périodes 1 ou 2    aux équipes
                 43 hôpitaux            préemptives et décolonisation                          Intervention : 6 mois                                      soignantes
                 74 unités              sélective                                                                                                         Utilisation
                 de réanimation         3) Décolonisation non sélective                                                                                   systématique de gants
                                        de tous les patients

SARM : Staphylocoque aureus résistant à la méthicilline ; ERG : entérocoque résistant aux glycopeptides ; PCC : précautions complémentaires contact ; PCR : polymerase chain
reaction ; HM : hygiène des mains ; SHA : solution hydroalcoolique.
                                                                                                                                                                                  323
324                                                                                                  Réanimation (2016) 25:318-327

plus, elles consistent pour la majorité en l’application d’un     à l’admission de 13 %), et de bonne application des précau-
bundle de prévention alliant plusieurs stratégies de lutte        tions standard, il n’y avait pas de bénéfice en termes d’ac-
contre l’expansion des BMR. Au sein de toutes ces straté-         quisition des BMR endémiques à l’application d’une poli-
gies (dépistage, cohorting, décontamination, précautions          tique de dépistage systématique et d’isolement des patients
complémentaires), la place des précautions complémen-             porteurs de BMR. Il est également important d’insister sur le
taires de type contact seule reste à confirmer. Enfin, dans       fait que le contrôle consistait en une pratique « courante »
ces études, de nombreuses données ne sont pas maîtrisées,         avec choix de la politique de dépistage et de mise en place
notamment la pression de sélection (gestion de l’antibiothé-      des précautions complémentaires, cette étude n’atteste en
rapie), la pression de colonisation (données épidémiolo-          rien de l’inefficacité de celles-ci. Par ailleurs, elle souligne
giques) ou les taux d’observance et de respect des précau-        une nouvelle fois la nécessité d’une observance de l’hygiène
tions standard. L’étude MOSAR-ICU répond actuellement             des mains qui doit être supérieure à 80 %.
le mieux à la question de la place des précautions complé-           Cepedant, les précautions complémentaires contact ne
mentaires contact, grâce à une méthodologie robuste ainsi         sont pas dénuées d’effets indésirables. Ceux-ci ont été colli-
que des données épidémiologiques semblables à celles ren-         gés dans deux revues de la littérature médicale publiées en
contrées dans notre pratique quotidienne, et comprend à la        2009 et 2010 [35,36]. Les principales conséquences indivi-
fois l’évaluation du SARM et des EBLSE [34]. Les chiffres         duelles retrouvées étaient que :
recensés au cours de la phase d’observation chez les patients
dépistés étaient une prévalence de portage à l’admission de       •   les patients isolés sont moins surveillés par le personnel
                                                                      soignant (durée et nombre de visites), et ce quel que soit le
12,9 % de BMR avec 7,4 % d’EBLSE, 4,9 % de SARM et
                                                                      statut du soignant (paramédical ou médical). Ce constat
3,8 % d’ERG. Les données ont été collectées de façon pros-
                                                                      amène à évoquer un biais potentiel dans l’interprétation
pective entre 2009 et 2011 dans 13 unités de réanimation en
                                                                      des données, puisque le risque de transmission croisée
Europe. Cette étude séquentielle se déroulait en trois pério-
                                                                      est dépendant de la durée cumulée d’exposition au risque.
des. La première d’une durée de six mois était la période
                                                                      Il peut donc en résulter une diminution de la transmission
témoin, avec recueil des données de base. La première
                                                                      croisée dans le groupe de patients isolés [37] ;
période d’intervention (phase 2), durant six mois, consistait
en l’association d’un programme d’amélioration de l’obser-        •   la question de la qualité des soins prodigués se pose
                                                                      aussi. En effet, il a été retrouvé une augmentation signi-
vance des précautions standard et surtout de l’hygiène des
                                                                      ficative d’effets indésirables évitables chez les patients
mains, avec audit et rétro-information aux équipes soignan-
                                                                      soumis aux précautions complémentaires contact. Ces
tes, associé à une politique de décontamination cutanée quo-
                                                                      données ont été confirmées plus récemment par une
tidienne par toilette à la chlorhexidine appliquée à tous les
                                                                      étude française issue de la base de données OUTCO-
malades. Pendant les phases 1 et 2, les précautions complé-
                                                                      MEREA [38]. Il a été mis en évidence par un modèle
mentaires contact étaient mises en place selon les stratégies
                                                                      de risque compétitif une augmentation du risque de dys-
habituelles des services concernés avec ou sans dépistage de
                                                                      glycémie, de développement de pneumopathies acquises
colonisation. La deuxième période d’intervention (phase 3)
                                                                      sous ventilation mécanique (à germes résistants) et d’er-
durait 12 mois. En plus des premières mesures, on appli-
                                                                      reurs de prescriptions d’anticoagulants chez les patients
quait également un dépistage systématique des BMR et pré-
                                                                      isolés ;
cautions complémentaires contact (comportant signalisa-
tion, isolement en chambre seule si possible, cohorting,          •   une augmentation de la durée totale de prise en charge
                                                                      hospitalière en médecine ainsi qu’en réanimation a été
surblouse et usage systématique de gants avant contact
                                                                      constatée. Ces données peuvent à la fois s’expliquer par
avec le patient ou son environnement) chez les patients
                                                                      une gravité éventuelle plus importante des patients por-
porteurs de BMR. Les principaux résultats étaient une
                                                                      teurs de BMR, mais également par des difficultés de trans-
réduction significative du taux d’acquisition de toutes les
                                                                      fert de ces patients vers d’autres services [39] ;
BMR, surtout le SARM à partir de la première période
d’intervention (phase 2) après amélioration de l’observance       •   l’isolement contact est également responsable de consé-
                                                                      quences psychologiques chez les patients hospitalisés pour
des précautions standard et toilette à la chlorhexidine (obser-
                                                                      une durée prolongée. Ceux-ci présentent des symptômes
vance de l’hygiène des mains passant de 52 % en phase 1 à
                                                                      plus importants d’anxiété ou de dépression. Par ailleurs,
69 % en phase 2, puis 77 % en phase 3), mais l’absence de
                                                                      ils l’expriment en formulant plus de plaintes concernant
diminution significative du taux d’acquisition de BMR
                                                                      leur prise en charge au décours de leur hospitalisation [35].
après dépistage et isolement des patients porteurs. L’appli-
cation des mesures de précautions complémentaires contact           Croft et al. ont publié en 2015 deux études de meilleure
passait de 6,7 à 13,7 % des patients entre les deux pério-        qualité méthodologique venant nuancer ces données [40,41].
des d’intervention. L’étude démontre qu’en cas de préva-          Dans une cohorte appariée, les auteurs retrouvent une dimi-
lence « moyenne » de BMR endémiques (taux de portage              nution du nombre d’effets indésirables non infectieux
Réanimation (2016) 25:318-327                                                                                                 325

(risque relatif [RR] = 0,7 ; intervalle de confiance 95 % [IC       Recommandations en 2016
95 %] = [0,51–0,95] ; p = 0,02) secondaires à l’application
des précautions complémentaires. Les résultats n’étant pas          L’ESCMID a publié en janvier 2014 des recommandations
significatifs concernant les effets indésirables sévères ou pré-    sur les EBLSE. Elle recommandait, en période endémique
visibles [41]. À noter que l’étude est monocentrique et n’est       comme épidémique, de mettre en œuvre des précautions
pas réalisée en milieu de réanimation.                              complémentaires de type contact pour les patients porteurs
    L’application des précautions complémentaires contact           d’EBLSE, d’Acinetobacter et de Pseudomonas résistants
comporte des limites propres aux mesures appliquées                 [47]. Ces recommandations portaient également sur l’im-
comme par exemple le port systématique de gants, mais éga-          portance d’éduquer les soignants sur les gestes d’hygiène
lement des limites dépendant de l’épidémiologie propre des          des mains et d’en analyser l’observance régulièrement. De
BMR, dont l’expansion communautaire, ainsi que des moda-            manière surprenante, le port des gants était préconisé pour
lités de détection et de dépistage. Pour rationaliser leur utili-   tout contact avec le patient porteur d’EBLSE. Le Haut
sation, la mise en place de précautions complémentaires             Conseil de la santé publique a établi des recommandations
contact nécessite le dépistage de la colonisation à BMR ciblé       françaises en 2010, en préconisant d’instaurer des précau-
ou systématique. Cette politique de dépistage comporte de           tions contact pour tous les patients infectés ou colonisés à
nombreux écueils. Le dépistage n’est pas une technique              EBLSE [48]. Il insistait également sur l’importance de la
infaillible et sous-évalue de façon importante le taux de por-      gestion des excreta des patients porteurs d’EBLSE, ainsi
teurs de BMR (≈ 30 % d’écouvillons rectaux faussement               que sur l’hygiène des mains. La SFHH a recommandé, en
négatifs). Cette sous-évaluation est tout d’abord en lien avec      avril 2009 [19], d’instaurer des précautions complémen-
des facteurs liés à l’hôte, dont le portage peut être intermit-     taires type contact pour le SARM, l’Acinetobacter résistant,
tent, par ailleurs, en lien avec des facteurs liés aux BMR,         les entérobactéries BLSE et le Pseudomonas résistant. La
dont leur éventuelle absence sur des sites de dépistage pré-        SFHH confirmait le retrait du port de gants systématique
férentiel. Enfin, des facteurs liés aux techniques de dépistage     dans le cadre des précautions contact. Elle précisait que
elles-mêmes, avec des seuils de charge bactérienne mini-            l’isolement devait être maintenu après le séjour en réanima-
maux pour être mis en évidence par culture ou PCR [42].             tion, dans les services de médecine, de chirurgie et de soins
La fréquence du portage de BMR endémiques est en pleine             de suite et de réadaptation. Enfin, le conseil scientifique
augmentation avec de nombreuses espèces de BMR présen-              SFHH a publié une revue importante à lire, qui reprend les
tes dans l’environnement extrahospitalier [43]. En effet,           principaux éléments et mesures pour lutter contre la trans-
conséquence d’une pression de sélection importante en               mission croisée, ainsi qu’une analyse de risque des diffé-
médecine humaine, animale et industrielle, la résistance bac-       rents éléments à considérer (microbiologiques, épidémiolo-
térienne s’est étendue à de nombreux domaines extrahospi-           giques, situation locale et éléments de santé publique)
taliers, avec un impact différent selon le pays concerné. Dans      [49]. Cette revue propose également des critères d’instaura-
une étude suédoise, 262 voyageurs à but touristique étaient         tion d’une politique de maîtrise du risque de transmission
dépistés avant et après le retour d’un pays étranger. Le taux       croisée. Les précautions complémentaires contact sont
de colonisation à BMR au retour d’un voyage touristique             indiquées dans les situations où l’hygiène des mains est
était de 2,3 à 30 % en moyenne, pouvant atteindre 80 % dans         moyenne, en cas d’épidémie récente ou de cas sporadique,
certains pays à risque comme l’Inde et jusqu’à 30 % pour            pour des BMR commensales.
certains pays européens comme le Portugal [44]. L’expan-
sion communautaire des BMR endémiques est également
aggravée par un portage pouvant être prolongé chez le               Conclusion
patient sortant de réanimation avec possible transmission à
l’entourage responsable d’une transmission interhumaine             Le portage des BMR est un problème fréquent en réanima-
communautaire importante et prouvée [45,46]. La littérature         tion et croissant en milieu extrahospitalier. L’acquisition
médicale ne permet pas à ce jour de prouver l’efficacité            de BMR par transmission croisée manuportée n’est pas
d’une politique stricte de dépistage et d’utilisation des pré-      le mode d’acquisition majoritaire à l’hôpital et surtout en
cautions complémentaires contact concernant les BMR                 réanimation. Comparativement aux germes sensibles, les
endémiques. Elles améliorent l’observance des précautions           infections à germes résistants occasionnent une surmorta-
standard, mais comportent également de nombreuses limites           lité, une augmentation des durées de séjour en réanima-
et potentiels effets indésirables. Le contexte de modification      tion et à l’hôpital, ainsi qu’une probable augmentation des
épidémiologique avec expansion communautaire des BMR                coûts. Les précautions complémentaires contact ont du mal
endémiques pose la question du rapport bénéfice/risque et de        à faire preuve de leur efficacité dans la littérature avec des
la rationalisation de la prescription des précautions complé-       résultats divergents et une littérature très hétérogène. Elles
mentaires contact.                                                  ont également des effets délétères sur la qualité de prise en
326                                                                                                            Réanimation (2016) 25:318-327

charge des patients et pourraient entraîner des conséquen-               Références
ces psychologiques chez ceux-ci. Les différentes sociétés
savantes continuent de proposer l’isolement de type contact               1. Surveillance des infections nosocomiales en réanimation adulte.
pour éviter la transmission croisée des germes résistants.                   Réseau REA-Raisin, France, Résultats 2013. http://www.invs.
Par ailleurs, elles ont renforcé les précautions standard et                 sante.fr/fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/Maladies-
                                                                             infectieuses/2015/Surveillance-des-infections-nosocomiales-en-
lissé les différences avec les précautions complémentaires                   reanimation-adulte
contact. Les précautions standard sont fondées sur la bonne               2. Antimicrobial resistance: global report on surveillance 2014.
réalisation des gestes d’hygiène des mains, notamment                        World Health Organisation. http://www.who.int/drugresistance/
avec l’usage rigoureux de SHA. Si l’adhésion à ces gestes                    documents/surveillancereport/en/
                                                                          3. Cepeda JA, Whitehouse T, Cooper B, et al (2005) Isolation of
d’hygiène des mains était supérieure à 80 % ou la consom-                    patients in single rooms or cohorts to reduce spread of MRSA in
mation quotidienne de SHA supérieure à 500 ml par jour                       intensive-care units: prospective two-centre study. Lancet 365:
et par patient, il se pourrait que l’on puisse se passer de                  295–304
précautions complémentaires contact. Or, l’adhésion aux                   4. Huang SS, Yokoe DS, Hinrichsen VL, et al (2006) Impact of
                                                                             routine intensive care unit surveillance cultures and resultant bar-
gestes d’hygiène des mains est souvent insuffisante, mais                    rier precautions on hospital-wide methicillin-resistant Staphylo-
semble être renforcée par les mesures complémentaires de                     coccus aureus bacteremia. Clin Infect Dis 43:971–8
type contact. À l’inverse, le port de gants diminue forte-                5. Bearman GML, Marra AR, Sessler CN, et al (2007) A controlled
ment l’adhésion aux gestes d’hygiène des mains. Le port                      trial of universal gloving versus contact precautions for preven-
                                                                             ting the transmission of multidrug-resistant organisms. Am J
de gants systématique n’est d’ailleurs plus recommandé,                      Infect Control 35:650–5
en dehors de soins souillants ou de présence de lésions                   6. Robicsek A, Beaumont JL, Paule SM, et al (2008) Universal sur-
cutanées. De plus, l’existence d’un portage prolongé et                      veillance for methicillin-resistant Staphylococcus aureus in 3 affi-
d’une contamination communautaire interhumaine, envi-                        liated hospitals. Ann Intern Med 148:409–18
                                                                          7. Gbaguidi-Haore H, Legast S, Thouverez M, et al (2008) Ecologi-
ronnementale ou alimentaire très fréquente pose aussi la
                                                                             cal study of the effectiveness of isolation precautions in the mana-
question des modalités de lutte extrahospitalière contre                     gement of hospitalized patients colonized or infected with Acineto-
l’émergence des BMR endémiques. La lutte contre la trans-                    bacter baumannii. Infect Control Hosp Epidemiol 29:1118–23
mission croisée fait partie des actions à mener pour endi-                8. Cohen CC, Cohen B, Shang J (2015) Effectiveness of contact
                                                                             precautions against multidrug-resistant organism transmission in
guer l’émergence des BMR, mais n’est pas l’unique axe de
                                                                             acute care: a systematic review of the literature. J Hosp Infect
travail. Rappelons pour conclure le rôle central de la ges-                  90:275–84
tion de nos prescriptions antibiotiques et la nécessité d’une             9. Jain R, Kralovic SM, Evans ME, et al (2011) Veterans Affairs
action conjointe multinationale.                                             initiative to prevent methicillin-resistant infections. N Engl J
                                                                             Med 364:1419–30
                                                                         10. Huskins WC, Huckabee CM, O’Grady NP, et al (2011) Interven-
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien                tion to reduce transmission of resistant bacteria in intensive care.
                                                                             N Engl J Med 364:1407–18
d’intérêt.
                                                                         11. European Centre for Disease Prevention and Control/European
                                                                             Medicines Agency. ECDC/EMEA joint technical report: the
                                                                             bacterial challenge: time to react. European Centre for Disease
                                                                             Prevention and Control & European Medicines Agency, Stock-
                                                                             holm, Sweden & London, United Kingdom, 2009. http://ecdc.
 Messages clés                                                               europa.eu/en/publications/Publications/0909_TER_The_Bacterial_
                                                                             Challenge_Time_to_React.pdf
 • Le port de gant systématique est à bannir : il diminue l’ob-          12. Magiorakos AP, Srinivasan A, Carey RB, et al (2012) Multidrug-
                                                                             resistant, extensively drug-resistant and pandrug-resistant bacte-
      servance aux gestes d’hygiène des mains. Il reste cependant
                                                                             ria: an international expert proposal for interim standard defini-
      indiqué lors de tout contact avec le sang ou liquide
                                                                             tions for acquired resistance. Clin Microbiol Infect 18:268–81
      biologique ;                                                       13. Surveillance des bactéries multirésistantes dans les établissements
 •    il est nécessaire de former en continu le personnel médical et         de santé en France. Réseau BMR-Raisin — Résultats 2013. http://
                                                                             www.invs.sante.fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/
      paramédical sur les gestes d’hygiène des mains pour obtenir
                                                                             Maladies-infectieuses/2015/Surveillance-des-bacteries-multi
      une observance supérieure à 80 % ;
                                                                             resistantes-dans-les-etablissements-de-sante-en-France
 •    dans ce contexte, il semble capital de recourir à une évalua-      14. Tschudin-Sutter S, Frei R, Dangel M, et al (2012) Rate of trans-
      tion régulière du taux d’observance des précautions standard,          mission of extended-spectrum beta-lactamase-producing Entero-
      dont l’hygiène des mains ;                                             bacteriaceae without contact isolation. Clin Infect Dis 55:1505–11

 •    les précautions standard ont été renforcées ;                      15. Kim J, Lee JY, Kim SI, et al (2014) Rates of fecal transmission
                                                                             of extended-spectrum β-lactamase-producing and carbapenem-
 •    les précautions complémentaires contact sont encore recom-             resistant Enterobacteriaceae among patients in intensive care
      mandées en 2016, mais ne sont pas dénuées d’effets indésira-           units in Korea. Ann Lab Med 34:20–5
      bles, et les données dans la littérature sont contradictoires en   16. Harris AD, Kotetishvili M, Shurland S, et al (2007) How impor-
      ce qui concerne leur efficacité.                                       tant is patient-to-patient transmission in extended-spectrum beta-
                                                                             lactamase Escherichia coli acquisition 35:97–101
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