Frank Owen Ghery (28 février 1929) - Université du Temps Libre
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Frank Owen Ghery (28 février 1929) Notes de Michel Reboisson Frank Owen Gehry, de son vrai nom Ephraim Owen Goldberg, est né à Toronto le 28 février 1929. Sa famille est d’origine juive russo-polonaise. Son père est un ancien boxeur qui travaille dans le commerce des machines à sous et des flippers, alors que sa mère est une passionnée de musique. Le grand-père est quincailler et le jeune Ephraim se plait à construire, avec la complicité de sa grand-mère, Leah Kaplan, des châteaux et des villes avec des tombées de bois. Il se souvient également des carpes que sa grand-mère laissait nager, le vendredi soir, dans la baignoire familiale. Cette filiation et ce contexte ont certainement orienté et façonné la sensibilité du jeune garçon. En 1937, les effets de la prohibition sur l’activité paternelle conduisent la famille Goldberg à déménager pour Timmins en Ontario où l’activité économique repose essentiellement sur l’exploitation minière et forestière. Adolescent, Ephraim y poursuit sa scolarité. De cette période, il se souvient que ses camarades de classe l’avaient surnommé «fish», sobriquet qui lui rappelait qu’il était juif et évoquait le gefilte fish (1). En 1947, à la suite d’une attaque cardiaque d’Irving Ephraim Goldberg avec son Le jeune Ephraim étudie l’art et nous père, Irving, et sa mère, Goldberg, la famille décide de s’installer à Los Angeles où montre un dessin d’académie. Thelma à Toronto. le climat est plus favorable. Ephraim a 17 ans. Pour pouvoir poursuive ses études, il occupe plusieurs emplois précaires dont celui de chauffeur de camion. Une conférence de l’architecte et designer finlandais Alvar Aalto lui révèle sa vocation pour l’architecture. Il suit des cours du soir en art. Après une rencontre décisive avec l’architecte Raphaël Soriano (2), il s’inscrit en 1949 à l’école d’architecture de l’Université de Californie du Sud (USC) et opte pour la nationalité américaine. L’influence de Soriano jouera un rôle non négligeable dans la formation d’Ephraim Golberg. La pratique de Soriano est résolument moderne, la maison qu’il conçoit pour son ami, photographe d’architecture, Julius Shulman s’inscrit dans la lignée des ouvrages de Mies van der Rohe et notamment du pavillon de l’Allemagne pour l’exposition internationale de Barcelone de 1929. Mies van der Rohe, pavillon de l’Allemagne, 1929, Barcelone Raphaël Soriano :Julius Shulman House and Studio, 1950, Los Angeles 1
Raphaël Soriano a également su tirer parti des réalisations californiennes de Richard Neutra, un architecte autrichien naturalisé américain, adepte du style international, dont il sera l’assistant. Un des exemples les plus illustrants de cette parenté, nous est donné par la Kaufman Desert House de Richard Neutra. Richard Neutra : Kaufman Desert House (1946) à Palm Spring (Californie). Frank Lloyd Wright : the George D. Sturges Residence, 1939, Los Angeles. Frank Lloyd Wright : the George D. Sturges Residence, 1939, Los Angeles. Frank Lloyd Wright : La maison sur la Cascade, 1939, Mill Run (Pennsylvanie) En ce début des années 1950, à côté du mouvement international, un autre pôle de la culture architecturale émerge : celui du langage plastique et organique de Frank Lloyd Wright. En 1939, Wright termine à Brendwood, un quartier chic de Los Angeles, la Frank Lloyd Wright : La maison sur la Cascade, 1939, détail de l’intérieur. maison de George D. Sturges, ingénieur chez Lockheed. La même année, il réalise la célèbre Maison sur la cascade qui fera la une de tous les magasines et il renouvelle la formulation des bâtiments industriels avec l’étonnante usine Johnson Wax à Racine dont la tour de recherche sera ajoutée en 1943. Depuis, la renommée de Wright n’a cessé de croître car dès1943, il commence les études pour le Solomon R. Guggenheim de New York, un Frank Lloyd Wright : l’usine Johnson Wax à Racine, 1939 (Wisconsin) 2
modèle de lyrisme naturaliste qui sera l’apothéose de sa carrière. Frank Gehry s’intéressera tout particulièrement aux aménagements et à la spatialité intérieure des oeuvres de Wright. En 1952, Ephraim Golberg épouse Anita Snyder, une sténographe qui l’aide à poursuivre ses études. Ils auront deux filles, Brenda et Leslie. Pour éviter à ses enfants d’être Frank Lloyd Wright : l’usine Johnson Wax à Racine, aménagements intérieurs. confrontés à l’antisémitisme, Anita le pousse à changer de nom, ce qu’il regrettera par la suite. « C’est elle qui m’a demandé de changer de nom. Je ne voulais pas. Cela rendait mon père furieux. J’ai finalement cédé, mais seulement après avoir été diplômé. Jusqu’au dernier jour de l’école, je suis resté Goldberg. Je suis devenu Gehry quand j’ai démarré ma carrière professionnelle.” C’est à dire en 1954, année où il obtient son diplôme et où il doit effectuer son service militaire. Il est affecté à la conception de meubles pour les soldats, mais ses dessins sont si bons que ses tables et ses chaises prennent le plus souvent la direction des quartiers des officiers. Cette période lui aura permis d’aborder le design … En 1956, il part avec Anita dans le Massachusetts pour étudier l’urbanisme. à la Graduate School of Design à Harvard (1956-1957) dont le doyen est José Luis Sert, l’ancien collaborateur de Corbusier et architecte de la fondation Maeght à Saint-Paul de Vence. Gehry quittera Harvard déçu après un épisode déplaisant qui va précipiter son départ : il est désigné pour travailler sur l’aile droite d’un palais secret pour le dictateur cubain Fulgencio Batista, ce qui est contraire à ses idées sociales. Welton Becket : Santa Monica Civic Auditorium, 1958, Los Angeles. Welton Becket : Dorothy Chandler Pavilion de Los Angeles, De retour à Los Angeles, Frank Gehry travaille successivement pour plusieurs agences d’architecture. D’abord chez Welton Becket and Associates ((1957-1958), une firme habituée aux grandes commandes publiques. En 1958, Welton Becket construit le Santa Monica Civic Auditorium. L’agence Welton Becket propose une architecture consensuelle dans laquelle le style international se conjugue avec le formalisme caractéristique de la fin des années 50 - début des années 60. Ce même langage sera repris par Welton Becket en 1962, pour le Dorothy Chandler Pavilion de Los Angeles. Les mêmes options se rencontrent à New York au Lincoln Center avec le Philarmonic Hall (arch. M. Abramovitz, 1962), le New York State Theater (architecte : Philip Johnson, 1964) et le Metropolitan Opera House (arch. W.K. Harrisson, 1966). 3
New York : le Lincoln Center avec au centre le Metropolitan Opera House, The Melvin David Cabin, 1957-1958, Idyllwild, Le Shōsō-in treasure House de Nara (c. 750) Comparaison entre la Melvin David Cabin et Le Shōsō-in treasure The Melvin David Cabin, 1957-1958, Idyllwild, Adam Throughgood House,1719, Princess Ann County En 1957, il a l’opportunité de construire avec son condisciple Gregory Walsh une villa pour des amis de la famille de son épouse Anita « The Melvin David Cab » Sous une apparente simplicité, ce premier ouvrage associe différentes sources d’inspiration. On peut évoquer le modèle des maisons dites de la prairie de Frank Lloyd Wright, mais aussi une surprenante influence japonaise, celle de la fameuse Shōsō-in treasure House de Nara (c. 750). Enfin, on peut y déceler le souvenir des premières architectures européennes en Amérique du Nord, par exemple : the Adam Throughgood House de 1719 à Princess Ann County (Virginie). Dés cette première oeuvre, Frank O. Gehry se démarque par une démarche personnelle inventive, originale et extrêmement libre. Il Quitte Welton Becket en 1958 pour rejoindre Victor Gruen chez The Melvin David Cabin, 4
qui il restera jusqu’en 1961. Gruen, qui a été l’un de ses professeurs à l’Université de Californie du Sud, s’est spécialisé dans la conception des grands centres commerciaux et les aménagements urbanistiques. A cette époque, il travaille à la requalification de Burdick Street à Kalamazoo dans le Michigan. Il s’agit de rendre attractive une rue commerçante étouffée par la circulation automobile. La différence entre Burdick Street en 1955 et l’aménagement du Mall terminé en 1960 est édifiante. Burdick Street, Kalamazoo (Michigan) en 1955 The Mall de Kalamazoo en 1960 A la fin du chantier, Gehry va trouver à s’employer dans la société Pereira & Luckman de Los Angeles. Une agence qui se distingue par l’audace et l’élégance graphique de réalisations au service des industries de pointe comme en témoigne l’escalier de la réception de Convair Astronautics à San Diego (1958). Pereira & Luckman : escaliers de la Frank O. Gehry : the Edgar & Mary Lou Steeves Residence, 1959, Los Angeles réception de Convair Astronautics,1958, En 1958, Gehry a reçu une nouvelle commande du comptable Edgar Steeves et son épouse Mary Lou. La villa conjugue la modernité tonique de Raphaël Soriano, les effets graphiques de Pereira & Luckman et, plus inattendu, un emprunt palladien du côté de la piscine (anticipation postmoderne ?). Avant de créer sa propre agence Frank Gehry éprouve le besoin de parachever sa formation en Europe. En 1961, il est à Paris chez André Remondet, architecte en chef des Bâtiments civils et palais nationaux qui a succédé à Auguste Perret à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts. André Remondet a travaillé dans notre région où, en collaboration avec Paul Nelson et Pierre Devinoy, il a construit l’Hopital Joseph Imbert d'Arles (1965-1974). De fait, Gehry s’intéresse surtout aux oeuvres de Corbusier et aux églises romanes. Revenu à Los Angeles en 1962, il crée l’agence « Frank O. Gehry and Associates ». Gregory Walsh sera son collaborateur pendant 30 ans. Les débuts sont difficiles, mais l’agence maintient un louable niveau d’exigence dans ses réalisations. En 1951, Calvin Chester Straub, un des professeurs de Gehry à l’université 5
de Californie du sud, construit la maison de Frank McCauley qui sera détruite par un incendie en 1961. En 1964, Gehry la reconstruira pour Melvin Kline. Il respectera dans l’ensemble le modèle de Calvin Straub, en accentuant, toutefois, l’influence de Frank Lloyd Wright. L’hôpital Joseph Imbert, Arles Frank O. Gehry : Kline Residence, 1964, Los Angeles Le Daziger Studio (1964) à Hollywood comporte peu d’ouvertures conformément au cahier des charges lié à son utilisation. Mais le traitement quasi-cubiste et la volumétrie accusée de l’architecture pourraient être un écho du passage de Gehry en France. Aurait--il vu la maison de l’ingénieur Einar Norsen conçue par Mallet-Stevens pour le film L’Inhumaine de Marcel L’Herbier(1924) ? Frank O. Gehry : le Danziger Studio (1964) Robert Mallet-Stevens, détail de la maison de l'ingénieur Einar Norsen (extrait du film de Marcel L’Herbier « L’Inhumaine » (1924) En 1968, avec la grange de Richard & Donna O’Neill, il expérimente des agencements insolites, toit oblique, parois de tôle ondulée et perspective détournée. Est-ce le programme agraire qui lui donne moins de contraintes, plus de liberté et plus d’audace ? Sont-ce les prémices du déconstructivisme ? Son esprit singulier et son goût pour l’innovation le r a p p r o c h e n t naturellement des artistes d’avant-garde de Venice The Richard & Donna O’Neill Hay Barn, 1968, San Juan Capistrano, Californie. et de Santa Monica. Il se l i e r a t o u t particulièrement avec : -Edgar Klienholz : un artiste du pop art qui n’hésite pas à enfreindre The Richard & Donna O’Neill Hay Barn, 1968 les tabous pour dénoncer le mythe de la consommation à tout crin. 6
Edgar Klienholz : monument aux Morts portable, installation, 1968, Musée Ludwig, Cologne - Robert Irwin du mouvement Space & Light qui utilise les sources lumineuses pour modifier les formes et leur substituer des compositions géométriques ou florales. - Edward Ruscha qui balance entre l’art conceptuel, le pop art et un minimalisme d’école. Il demandera à Gehry de dessiner sa maison en 1977. Robert Irwin, sans titre, Edward Ruscha : City, Dennis Hopper, c. 1968. Affiche de « Easy Rider » 1969 - Dennis Hopper, peintre, poète, réalisateur et acteur du film « Easy rider », qui obtint le Prix de la première oeuvre à Cannes en 1969. Ronald Davis : Vector, 1968 (Tate Modern) d’une série inspirée du célèbre mazzochio de Paolo Uccello (détail du Déluge, Cloître Vert de Santa Maria Novella), - Ronald Davis qui se réclame de l’abstraction géométrique, illusionniste et lyrique. Ronald Davis chargera Frank Gehry de construire sa maison sur les hauteurs de Malibu. 7
Frank Owen Gehry : the Ronald Davis Studio and Residence, 1968-72, Frank Owen Gehry : the Ronald Davis Studio and Residence, 1968-72, 29715, West Cuthbert Road, in the hills of Malibu CA. 29715, West Cuthbert Road, in the hills of Malibu CA. La Ronald Davis Studio and Residence présente un contraste saisissant entre la sobriété rustique, proche de celle d’un entrepôt, de l’enveloppe extérieure, et la spatialité lumineuse à l’intérieur de la maison. Toujours à Los Angeles, la résidence d’Edwin Janss Jr. And Ann R. Hove (1972) oppose une enveloppe extérieure minimaliste et opaque à un agencement intérieur qui privilégie les perspectives et les effets scénographiques. Frank Owen Gehry : the Ronald Davis Studio and Residence, 1968-72, 29715, West Cuthbert Road, in the hills of Malibu CA. Frank O. Gehry : the Edwin Janss Jr. and Ann R. Howe Residence, 1945 Purdue avenue, West, Los Angeles. Frank O. Gehry : Rouse Company Headquarters and Fire Station, Colombia, Maryland, Frank O. Gehry : Sleep Train Pavilion, Concord, 1975. 8
Certaines commandes demandent un traitement plus traditionnel. C’est le cas pour la Rouse Compagny Headquarters and Fire Station (quartier général et caserne de pompiers) de 1974, à Columbia dans le Maryland ou le Sleep Train Pavilion à Concord (Californie) dont les structures à grande portée s’inspirent du projet de Mies van Der Rohe pour le Convention Hall de Chicago (1954). Easy Edges Side Chair Easy edges body contour rocker Occasional table, Easy Edges Cardboard Rocker Easy Edges Cardboard Wiggle stool, 1973 Grandpa beaver chair (from-experimental-edges-series). Les années 70 vont lui permettent d’opérer une percée remarquée dans le domaine du design où il fait ses premiers pas que l’on peut qualifier d’inventifs et d’audacieux en utilisant des matériaux inattendus. Les chaises et tables (Easy Edges, 1969-73) et Expérimental Edges (1979-1982) vont connaître une grande diffusion. Il avait divorcé d’Anita en 1966 et épousera en 1975 Berta Isabel Aguilera, une panaméenne qui lui donnera deux fils, Alejandro en 1976 et Samuel en 1978. Frank et Berta Gehry au Maison achetée par Frank Gehry en 1977 à Santa Monica Ancienne cabane de pêcheur, désert de Sonora sur la côte de San Carlos MOCA de Montréal En 1977, Frank et Berta Gehry achètent un bungalow de couleur rose de style colonial hollandais construit en 1920 pour accueillir la famille qui s’est agrandie. L’année suivante avec la naissance de Samuel, 9
il entreprend d’hallucinantes extensions, véritable patchwork de matériaux. Frank Gehry souhaite exprimer la réalité d’une architecture authentique à Los Angeles, cette ville à laquelle il est tant attaché. Mais Los Angeles est une ville sans véritable centre, prise dans un maillage de highways, en fait, une ville déconstruite. Les seuls éléments vernaculaires qu’il a pu identifier sont les cabanes de pêcheurs de la côte, composées de matériaux de rebuts, de tôles et de bois. Bruce Goff : the Bachman House, 1947-48, Chicago. Frank O. Gehry : the Frank Gehry residence remodelée en 1978. The Frank Gehry residence remodelée en 1978. Gehry et son fils Alejandro ? The Frank Gehry residence, la cuisine. The Frank Gehry residence, le living room. De nombreux critiques voient dans cette démarche l’acte de naissance du déconstructivisme. Cependant, il ne faut pas oublier les exemples édifiants de Bruce Goff comme la Bachman House (1947-48) à Chicago dans l’Illinois. Cet universitaire d’Oklahoma qui enseignait « l’imagination et la liberté » à ses étudiants et qui illustrait ses propos par des réalisations impensables. Dans l’extension de sa maison, Gehry utilise la tôle, les morceaux de bois, les pans de grillage, pour chemiser le noyau colonial néo-hollandais. Maison poulailler diront certains, architecture démente pour d’autres. Cette réalisation va faire gorges chaudes parmi les chroniqueurs d’architecture, et par là fera connaître Frank Gehry. En 1978, il bâtit Saint Yves Résidence qu’habitera un temps Al Pacino. Une maison ouverte sur l’extérieur, animée de porte-à-faux et d’appendices graphiques. Frank O. Gehry : Saint Ives Residence, 1978, Los Angeles C’est en 1978, après 10
l’exemplarité de sa demeure, que le déconstructivisme de Gehry se développe et se fait connaître. Les maquettes des différents projets qu’il présente se révèlent d’une vraie éloquence. - Projet pour la Wagner Résidence à Malibu, 1978. Frank O. Gehry : The Wagner Residence, Malibu, 1978. Frank O. Gehry : projet d’une résidence familiale, Santa Monica, 1978 - Projet pour une résidence familiale à Santa Monica. Gregory Walsh, le précieux assistant de Gehry, rapporte que le critique Jeffrey Kipnis et Philip Johnson, le facétieux et génial architecte, plébiscitèrent ce projet et le présentèrent comme la parfaite illustration du déconstructivisme lors de l’exposition «deconstructivist architecture » qui s’est tenue au au MOMA en 1988. - Projet pour The Richard and Lois Gunther Residence, 1978, à Malibu. Projet. Le déconstructivisme de Gehry et le postmodernisme ludique de Robert Venturi font bon ménage dans le projet Projet pour The Richard and Lois Gunther Residence, 1978, à Malibu Robert Venturi, Gordon Wu Hall (Princeton) 1983 pour la Richard and Lois Gunther Residence. A partir du début des années 1980, les réalisations s’enchaînent et Frank Gehry peut affirmer et adapter sa vision architecturale aux différents programmes : logement, école, musée. Frank O. Gehry : The Jane M. Frank O. Gehry : Loyola Law School Frank O. Gehry : California Aerospace Museum Spiller Residence 11
- Frank O. Gehry : The Jane M. Spiller Residence, 1978, 39, Venice. - Frank O. Gehry : Loyola Law School (1981-1984) à Los Angeles, California - Frank O. Gehry : California Aerospace Museum, 1983-84, Los Angeles. L’enseigne du musée est le célèbre F104 Starfighter. Barbara Sirmai and Mark Peterson Residence,, 1983-1988, 970 Calle Arroyo, Frank O.Gehry : The William and Lynn Norton House, Bruce Goff : Maison Bavinger, Thousand Oaks, CA Ocean Front Walk, Venice. 1950-1955, Norman, Oklahoma. Le front de la Sirmai-Peterson House offre la vision aimable d’un petit fortin avec ses tours, son pont dormant et son bassin-fossé tout en exprimant un mode de vie : on prend de légères distances tout en s’ouvrant par les grandes baies sur le monde extérieur. Sur Ocean Front Walk, il faut se singulariser et les maisons se succèdent, toutes différentes, comme à la parade. « Ma fierté et ma joie, dira (3) plus tard Gehry, viennent que j’ai dû composer avec un tout petit budget et peu d’espace. William Norton était scénariste et il souhaitait un poste privilégié pour écrire. Dans une conversation, il évoqua ses débuts en tant que sauveteur et comment il aimait s'asseoir dans la tour de surveillance ». Gehry tenait son idée. La solution adoptée éclaire, à nouveau, les affinités avec les oeuvres de Bruce Goff et notamment avec la maison Bavinger (1950-1955, Norman , Oklahoma). La réputation déjà bien établie de Frank Gehry se conforte avec la réalisation de la Winton Guest House de Wayzata. En 1952, Philip Johnson est appelé à bâtir la demeure de Richard S. Davis, conservateur principal au Minneapolis Institute of Arts. La résidence sera rachetée en 1964 par le magnat du bois Mike Winton et son épouse Penny qui chargeront en 1983 Frank Gehry de réaliser une annexe pour leurs petits- enfants à quelques dizaines de mètres de la maison principale. Le bâtiment se distingue par sa géométrie expressive, le choix des matériaux utilisés (métal peint, calcaire local, brique et contreplaqué) et la polychromie. Gehry s’est livré à un jeu de construction basé sur une couronne de formes simples qui entourent une pyramide tronquée. . Philip Johnson : Richard Davis House, 1952, Wayzata. Frank O.Gehry : Winton Guest House de Wayzata, 1983-87 (Minnesota). 12
Expressive et monumentale, énergique par ses aplombs orthogonaux et ses porte à faux, telle se présente la Los Angeles Public Library, Frances Howard Goldwyn Branch, une commande de 1982. Frank O. Gehry : Los Angeles Public Library, Frances Howard Goldwyn Frank O. Gehry : Chiat/Day Building, 340 Main Street, Venice, Los Angeles Branch, 1982. 1984, Frank Gehry crée l’évènement avec Chiat/Day Building (1984-1991) à Venice. Il s’appuie sur Claes Oldenbourg et Coosje van Bruggen pour la sculpture. La petite histoire veut qu’il ait eu, à l'époque, des jumelles sur son bureau. Un jour, alors qu'il travaillait sur la maquette de l'édifice, cherchant à créer un «point d'ancrage» entre les deux bâtiments, il a posé les jumelles sur la maquette pour représenter son idée. Les jumelles sont restées. La commande provenant d’un publicitaire, le symbole devint évident aux yeux de Gehry. L’Institut psychiatrique de Yale à New Haven (1985-89) rejette le bloc et différencie les services et les fonctions par la couleur, les matériaux de revêtement et les formes. Les volumes ainsi dissociés constituent un organisme aux membres géométriques différents qui jouent sur tous les types de reliefs . Frank O. Gehry : institut Psychiatrique de Yale, New Haven Cette maison qui a appartenu à Jennifer Nicholson, célèbre designer de mode et fille de l’acteur Jack Nicholson, date de 1959. En 1985, Frank Gehry est pressenti pour ajouter une chambre. Cet appendice, qui fait songer à un mirador, casse la symétrie, modifie l’angle de vue et introduit la bichromie. In fine, le déconstructivisme de Gehry a totalement détourné la demeure. Frank O. Gehry : Bedroom Addition, Latimer, Santa Monica (1985). Une partie du bâtiment de la Marna and Rockwell Schnabel Residence, qui a eu les honneurs de la presse spécialisée et people, pénètre dans la piscine, comme un archipel qui s’avance dans la mer. La palette judicieuse des matériaux utilisés atténue les contrastes et s’harmonise avec la végétation, aussi, plus que 13
pittoresque, la demeure devient naturelle. A l’irrégularité extérieure répond l’unité intérieure donnée par la profondeur des perspectives et la luminosité. Frank O. Gehry : the Marna and Rockwell Schnabel Residence, 1986-89, Los Angeles Le talent de Frank Owen Gehry est unanimement reconnu : il est nommé professeur d’architecture à l’université de Yale où il succède à des architectes célèbres comme Philip Johnson, Louis Kahn, Paul Rudolf ou Robert Venturi … Et revanche du destin à l’université d’Harvard … Le temps est venu où s’ouvre à lui la grande commande internationale. Frank O. Gehry : le Fish dance du Frank O. Gehry : le Poisson de verre du Frank O. Gehry : le Peix de Barcelone, 1992. restaurant de Kobé, Japon (1986-1989) Walter Art Center de Minneapolis, 1986. Le Fish Dance-Restaurant de Kobé (1986-1989) va lui donner l’occasion de d’évoquer « les carpes de sa grand-mère Leah ». Ce souvenir n’est certainement pas étranger à son attrait pour les représentations de poissons. Il poursuivra avec le poisson de verre du Walter Art Center de Minneapolis et le célèbre « Peix » de Barcelone pour les Jeux Olympiques de 1992. Dans les années 1980, il crée une série de fish-lamps dans le cadre d’un concours de design parrainé par la société Formica. - Frank O.Gehry : Low White Fish Lamp, 1984, Fred Hoffman Fine Art. - Frank O.Gehry : Fish Lamp, 1984. Collection Jasper Johns. - Frank O.Gehry : lampe-poissons (petits poissons) Exposition de Fish-Lamps de Frank Gehry, Jewish Museum, New York, 2010. 14
Frank O. Gehry : Low White Fish Lamp, 1984 Frank O. Gehry : Fish Lamp, 1984. Frank O.Gehry : lampe-poissons (petits poissons) Et il dessine une ligne de bijoux pour Tiffany & co. en 2006 Frank O. Gehry : Fish Boucles d’oreilles Frank O. Gehry : Fish boutons de manchettes Frank O. Gehry : Fish pendentif En 1988, il est lauréat au concours pour le Disney Concert Hall de Los Angeles. Mais la réalisation sera retardée par de multiples problèmes et l’inauguration aura finalement lieu en octobre 2003, après la mort de la commanditaire Lilian Disney (1899-1997). Le déconstructivisme de Frank Gehry devient baroque. On retrouve dans la salle de concert l’influence de la Philharmonie de Berlin de Hans Sharun (1963). Remarquez le jaillissement du grand orgue … du Gehry à l’extrême. Frank O. Gehry : le Disney Concert Hall de Los Angelès, 1988-2003 Il reçoit (1989) le prix Pritzker qui est considéré comme le Prix Nobel d’architecture. Il est sollicité en 1989 par l’université d’Iowa pour le Laboratoire des Technologies Avancées. La résolution (1989-1992) consiste en un empilement pyramidal déconstruit où les formes simples sont contrariées par des dissonances linéaires qui créent la surprise et l’animation. 15
Frank O. Gehry : le grand orgue du Disney Frank O. Gehry : Laboratoire des Technologies Avancées de l’Université d’Iowa (1989-1992), Iowa City Concert Hall de Los Angelès, Les années 1980 ont été marquées par un assouplissement progressif du langage de Gehry. Ainsi en est-il du Musée Vitra de Weil-am-Rhein (1987-1989) en Allemagne. Le lyrisme des courbes s’est peu à peu substitué aux angles droits et aux trapèzes. Bruce Goff (encore lui !) avait abordé ce même registre. Frank O. Gehry : Musée Vitra de Weil-am-Rhein (1987-1989) Bruce Goff : W.C. Gryder House, 1960, Ocean Springs (Mississippi), 1991, Frank Gehry déclenche un nouvel électrochoc dans le monde de l’architecture avec la création qui va l’imposer comme l’architecte annonciateur du XXIe siècle : Le musée Guggenheim de Bilbao réalisé de 1991 à 1997 sur le rio Nervion. Pour ce spectaculaire édifice aux géométries variables et complexes, Frank Gehry a dû utiliser un logiciel ultra-sophistiqué de l’industrie aérospatiale. Frank 0. Gehry : Le musée Guggenheim de Bilbao sur le rio Nervion (rio de Bilbao), 1991-1997. 16
La référence à l’arbre dont la parure se déploie sur les hauteurs correspond bien aux lignes et aux volumes de la Eli and Edythe Broad House, 1992. Le développement judicieux de la partie supérieure autorise l’étonnante spatialité intérieure. Aux murs, Rétrospective, 1963, de Robert Rauschenberg à droite et Flag de Jasper Johns, 1983, à gauche. Frank 0. Gehry : The Eli and Edythe Broad House, 1992, Brentwood area, Los Angeles CA Le Frederick Weisman Art Museum est caparaçonné comme un cuirassé. Le chaos extérieur encore une fois ne transparaît pas dans les salles d’expositions. Le Frederick Weisman Art Museum, 1993, Minneapolis, Minnesota. Les bureaux de la Nationale-Nederlanden (1994-96) se situent à Prague sur les bords de la Moldau (Vltava). Un endroit sensible au niveau de l’environnement mais aussi parce que Václav Havel a vécu dans l'immeuble voisin, propriété de sa famille. Après avoir fait scandale, la Maison dite à présent « Dansante » , est devenu emblématique. Gehry s’est inspiré d’une scène de danse de Ginger Rogers et Fred Astaire (je pense au film The Story of Vernon and Irene Castle de 1939, une comédie musicale de H.C. Potter). Les courbes ondées qui parcourent l’édifice évoquent le cours du fleuve. Frank O. Gehry : la National-Nederlanden (la maison dansante), 1994-1996), Fred Astaire et Gingers Rogers The Story of Vernon and Irene Castle (1939) 17
Avec le Port de Média à Düsseldorf (1997-1999) en Allemagne, Ghery aborde l’urbanisme. On note,le souci de l’espacement, des immeubles différents de formes, différents de matériaux, différents de couleurs, et la diversité de l’animation des façades, tantôt courbes, tantôt plissées, tantôt tronquées en biseau Frank O. Gehry : le port de Media de Düsseldorf, 1997-1999, Toujours en Allemagne, mais à Berlin, nous retrouvons Gehry confronté à un lieu historique. Placé à côté de la porte de Brandebourg et au début de l’avenue Unter den Linden, l’immeuble de la DZ Bank building, 1998-2000 présente un chaînage régulier des horizontales et des verticales, la seule animation réside dans l’évasement des garde-corps des deux derniers niveaux. Le dialogue entre les façades de la DZ banque de Gehry et celle de l’ambassade de France de Christian de Portzamparc (1997-2003) qui lui fait face est d’une grande subtilité. A l’abri dans la cour intérieure de la banque réaménagée pour accueillir les salles de réunions et des différents services, c’est le choc: là se déploie un univers fantasmagorique : opercule géant, corps de saurien antédiluvien, tourbillon de métal et de verre. Le lyrisme de Gehry confine au fantastique. Frank Gehry : DZ Bank, 3 Pariser Platz Berlin, 1998-2000. Frank O. Gehry : Biomuseo, Panama City, 1999, Panama. 18
Ambiance différente à Panama-City pour le Biomuseo, (1999). Une ambiance latino-américaine pour un amoncellement débridé et coloré de toitures. A l’intérieur, la profusion des nervures et des supports de bois accuse encore plus cette impression de volubilité (celle de la biodiversité ?). Cleveland, ville économiquement sinistrée, a la volonté de redevenir attirante grâce à l’architecture en prenant exemple sur Bilbao. Il y a déjà eu un précédent à Cleveland avec le Musée du Rock and Roll Hall of Fame de Ieoh Ming Pei (1995) qui se décline à partir de la forme d’une guitare électrique. Le Peter B. Lewis Building at Case Western Reserve University que construit Gehry en 2002, a l’aspect d’un bison (?) qui peut effectivement être le symbole de cette école consacrée à la gestion des territoires. Mais l’idée pourrait bien venir encore une fois des expériences d’architecture organique et narrative de Bruce Goff et d’Herbert Ronald Greeberg dans l’Oklahoma. Frank O. Gehry : Peter B. Lewis Building at Case Western Reserve University, Herbert Ronald Greene : The Prairie Chicken House, 1961, Oklahoma. 2002, Cleveland, Ohio. Le Fisher Center for the Performing Arts at Bard College, 2003, Annandale-on-Hudson, état de New York. La dynamique du bâtiment vient de la poussée d’un enchevêtrement de lourdes parois d’acier contre une feuille de métal qui avant de s’envoler sert, judicieusement, d’auvent à l’accueil ! Frank O. Gehry : Fisher Center for the Performing Arts de Bart Collège, Frank 0. Gehry : le Music Project, 2000, Seattle Annandale-on-Hudson, 2003, état de New York. Le Music Project, de Seattle (2000), financé par le milliardaire américain Paul Allen (cofondateur de Microsoft). Les volumes sont recouverts de grandes nappes de métal qui semblent animées par le vent. Gehry réussit à faire du détournement improbable des propriétés naturelles des matériaux un argument esthétique. A Hanovre, la Gehry tower, 2001, est animée par un mouvement tournant. L’immeuble est vrillé. Gehry ouvre ici la voie à d’autres expériences qui mettront en torsion des gratte-ciel: Santiago Calatrava 19
avec la Turning Turso Tower à Malmö (190 m; 2005) et la Cayan Tower de Dubai (307 m; 2006-2013) par l’agence américaine S.O.M (Skidmore, Owings & Merrill) et jusqu’au projet de 2006, non encore édifié, de Zaha Hadid « Les Tours dansantes » Frank O. Gehry : Gehry Tower, 2001, Santiago Calatrava : Turning S.O.M : Cayan Tower, Dubai, Zaha Hadid Tours dansantes, projet, 2006, Dubai Hanovre, Allemagne. Turso Tower, 2005, Malmö En 2003, Frank Gehry construit le Maggie’s Dundee, un pavillon pour les cancéreux au Ninewells Hospital. De face, une tour ronde comme un phare sur un fond de toitures en chevrons qui dessinent un profil montagneux ou plutôt de bens écossais. De côté, comme une succession de coques de navires. Gehry à voulu réaliser un bâtiment simple, calme et serein qui participe de la nature et des éléments. Frank O. Gehry : Maggie’s Dundee au Ninewells Hospital, 2003, Ecosse. Frank O. Gehry : le Musée MARTa (maison du meuble) 2005, Herford, Allemagne. Le Musée MARTa, communément surnommé la « maison du meuble », que Gehry a entrepris en 2003. Elles suscitent émotions et images : on peut penser à des toupies qui virevoltent et s’entrechoquent, un ballet de modules géométriques ou bien une représentation de derviches tourneurs. La passerelle BP enjambe Colombus Drive et , serpentant comme un rivière, conduit au Millenium parc où se dresse la pavilion Ptitzkker. Le pavilion Pritzker Frank O. Gehry : la passerelle BP (2004), Chicago. tient à la fois du casque de Samourai et d’une scène baroque empanachée. Il s’inscrit dans une série qui a commencé avec le Concord Pavillon (1975) et s’est poursuivie avec le Pavillon de musique de Château 20
Lacoste (2008) près du Puy-Sainte-Réparade qui compense sa taille par un spectaculaire ébouriffement de pieus. Frank O. Gehry : Le Pavillon Pritzker, 2004, Chicago Frank O. Gehry : Le Pavillon Pritzker, 2004, Chicago Frank O. Gehry : Concord Pavilion, 1975, Californie Frank O. Gehry : Pavillon de musique, Château Lacoste, 2008, Le Puy- Sainte-Réparade. A Harvard, Frank Gehry s’adresse à la jeunesse et délivre une cure de jouvence à la vénérable institution. Le contraste est plus que saisissant entre les doctes collèges du XIXe siècle et les logements enjoués et ludiques de la cité universitaire du Ray et Maria Stata Center (2004). Frank O Gehry : The Ray et Maria Stata Center, 2004, Harvard, Cambridge, Massachusetts. 21 Frank O Gehry : l’hôtel Marqués de Riscal (2006) à Vineyard à Elciego , Espagne.
De loin, l’hôtel Marques de Riscal à Elciego évoque un entrelacement de chutes de rubans de Bolduc colorés aux couleur du flamenco. Mais au plus près, le vent s’est levé et menace de les emporter vers les vignobles … Une dramaturgie multicolore pour ne pas ignorer cet hôtel dans le paysage ! La difficulté pour Gehry d’être reconnu par New York, ville d’affaires où les « excentricités » sont mal perçues en raison du coût du m2, va le conduire à pacifier sa pratique. Gehry s’adapte et la réussite du IAC Building inauguré en 2007, un iceberg qui, voile au vent, suit le cours de l’Hudson et dont la blancheur givrée répond à l’empilement de containers noirs d’obsidienne du proche Jacob K. Javits Convention Center de Ieoh Ming Pei (1986), va enfin lui concilier les faveurs de la Big Apple à 78 ans. Frank O. Gehry : IAC Building, New York, 2007. C’est tout un symbole que l’extension en 2008 de l’Art Gallery de l’Ontario à Toronto, sa ville natale où il n’avait pas travaillé jusqu’alors. A l’instar de Ieoh Ming Pei qui en a donné d’éclatants exemples : au Musée du Louvre à Paris (1989) ou au Musée de l’histoire allemande à Berlin(2003), Frank Gehry considère que le programme de l’escalier est un exercice de style et un point d’ancrage à l’extérieur comme à l’intérieur du bâtiment. Bâle, un écrin de la modernité architecturale de la Suisse, fief de la célèbre agence Herzog et De Meuron, fait appel à Gehry en 2009 pour le Novartis Campus. Le bâtiment Frank O Gehry : Extensions de l’Art de Frank Gehry illustre les valeurs de la recherche : transparence, innovation et Gallery of Ontario (escalier de la Walker court), 2008, Toronto, Canada. scénographie de l’activité des différents services. Une architecture transparente, innovatrice et qui présente une scénographie vivante de la recherche, voilà le credo qu’exprime Frank Gehry au service du puissant groupe helvétique. Une architecture d’alvéoles, à la fois différentes et complémentaires, sources de vie. Frank O Gehry : Novartis Campus, 2009, Bâle, Suisse. 22
Comment imaginez que la vocation du Lou Ruvo Center for Brain Health, bâtiment tordu, vrillé, compressé, démantelé par la tourmente, est d’oeuvrer pour la santé mentale ? Voilà l’expression ultime de l’excentricité paradoxale de Las Vegas et un casse-tête pour les ingénieurs structure… Frank O Gehry : Lou Ruvo Center for Brain Health, 2010, Las Vegas. Le succès du IAC Building (2007) vaut à Gehry une prestigieuse commande qui va lui permettre de jouer sa partition dans le ciel new yorkais. La Beekman Tower (actuellement 8 Spruce Street) n’est pas sans rappeler le magnifique projet d’Eliel Saarinen pour le Chicago Tribune (1921-22). Une architecture conçue comme un paysage. Gehry anime la structure de plissements telluriques qui ont la légèreté du tulle et semble s’animer sous l’effet de la brise. Eliel Saarinen : projet pour la Frank O. Gehry : esquisse pour la Beekman Tower et réalisation, Frank O. Gehry : 8 Spruce Street (ex Beekman Tower ) détail. tour du Chicago Tribune, 1922 2011, New York. New York encore, mais pour un programme plus modeste, une salle de spectacle : Pershing Square Signature Center (2012). Dans une palette qui privilégie les feux de la rampe, l’agencement désordonné des réflecteurs acoustiques et des gardes-corps du balcon apporte l’animation et « la touche Gehry ». Frank O. Gehry : Pershing Square Signature Center, 2012, New York. 23
En 2000, stimulée par le succès de Bilbao, la Fondation R. Guggenheim sollicite Gehry pour un nouveau musée Guggenheim sur les rives de l’East River pour insuffler un élan culturel au Lower Mahattan. C’est l’occasion qu’attendait Gehry pour être présent à New York et non pas seulement pour un décor de magasin (4). Le magnifique projet qu’il présente exprimait une architecture nuageuse en formation comme la brume qui se dégage du fleuve. En 2002, l’opération est suspendue sine die. Heureusement, c’est à Paris que Frank Gehry va reprendre ce concept. Dès 2006, il fait des esquisses pour la future Fondation Louis Vuitton qui sera inaugurée en 2014. Ici, les cumulus fractus sont poussés par un vent annonciateur du beau temps. Si l’on s’élève pour une vue du ciel, les nuées laissent place à un nid de chrysalides diaphanes. A la Fondation Vuitton, la complexité devient poésie… Frank O. Gehry : maquette du Guggenheim East River, 2000. Frank O. Gehry : première esquisse de la fondation Vuitton (2006) Frank O. Gehry : la Fondation Louis Vuitton, 2014, Paris Arles à son tour vient de se doter d’une signature de Frank Gehry avec La Maja Hoffmann’s LuMa Foundation (2014). Comme un puy du Velay aux facettes micacées, la tour de LuMa constitue un nouveau pôle attractif pour Arles. Mais ceci dit entre-nous, ne pensez-vous pas que Gehry a bien observé la Tour Magne ? La tour Magne (IIIe - Ier siècle av. J.C.), Nîmes. Frank O. Gehry : maquette de la fondation LuMa d’Arles, 2014 24
Le Dr Chak Wing Building for the UTS Business School de Sydney (2014) semble dénoter parmi les récents ouvrages de Frank Gehry. Il peut apparaître moins convulsif, plus timoré … mais à y regarder de plus près ! Frank O. Gehry : the Dr Chau Chak Wing Building for the UTS Business Scholl, 2014, University of Technology, Sidney, Australie Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, annonce en 2012 son projet de création d'une ville nouvelle pour son personnel à Menlo. Ce gigantesque ouvrage, véritable phalanstère écologique, conçu pour renforcer l’esprit d’entreprise, est confié à Frank Gehry. Le résultat est impressionnant : un campus entouré d'une cité-jardin sur 80 hectares, une avancée vers un nouvel urbanisme. Frank O. Gehry : Facebook West Campus, 2015, Menlo Park, dans la baie de San Francisco en Californie. L'Académie Daniel Barenboim- Edward Said Academy est située dans l'ancien dépôt de décors du Staatsoper Unter den Linden reconstruit après sa destruction pendant la Seconde Guerre mondiale entre 1951 et 1955 par l'architecte Richard Paulick. La salle Pierre Boulez où intervient Frank Gehry en 2017 développe une remarquable scénographie de cercles ondulants superposés. L’expression « sous les feux des projecteurs » trouve ici une parfaite illustration. Richard Paulick : Daniel Barenboim- Edward Said Academy,, 1955, Berlin Frank O Gehry : salle Pierre Boulez de l’Académie Daniel Barenboim- Edward Said à Berlin, 2017. 25
Les travaux du Guggenheim-Abu Dhabi sur l’île de Saadiyat (île du bonheur) devaient commencer en 2018. Mais, comme c’est souvent le cas avec la fondation Guggenheim, des problèmes ont surgi arrêtant le processus (5). La synthèse chaotique qu’envisageait Gehry n’a toujours pas vu le jour alors que non loin de là, triomphe le Louvre Abu Dabi de Jean Nouvel depuis 2017. Frank O. Gehry : maquette du musée Guggenheim Abu Dhabi (on aperçoit sur la Frank O. Gehry : maquette du musée Guggenheim Abu Dhabi. droite la coupole du Musée du Louvre Abu Dhabi. Le mercredi 30 octobre 2019 a eu lieu l’inauguration de la Louis Vuitton Maison à Séoul, une des dernières réalisations de Frank Gehry. A cette occasion, il déclara à propos de l’alchimie de son inspiration : « Il y avait plusieurs images sur mon moodboard (sa planche d’humeur !) : la forteresse de Hwaseong (forteresse brillante) , construite au XVIIIe siècle, les costumes immaculés des danseurs exécutant la dongnae hakchum (danse de la grue). J'ai toujours été fasciné par les danses d'Asie comme le gagaku au Japon, j'ai même rejoint dans ma jeunesse l'orchestre de gagaku de l'université UCLA. J'aime exprimer le mouvement. J'aurais pu être danseur ! » Frank O. Gehry : la Louis Vuitton Maison, 2019, Séoul, Corée du Sud. La forteresse de Hwaseong (1794-1796) à Suwon près de Séoul Frank O. Gehry : la Louis Vuitton Maison, 2019, Séoul, La danse dongnae hakchum Corée du Sud. 26
Le vendredi 28 février 2020, Frank Owen Gehry a eu 91 ans … "Je ne vais pas prendre ma retraite", a déclaré Gehry au magazine People, "je vais continuer comme ça ». On pourrait ajouter « à surprendre et à confondre tous les observateurs » comme avec sa nouvelle maison (2017) de Los Angeles : une affiche post-moderne, un XVIIIe siècle néoclassique revisité … en titane. La nouvelle maison de Frank Gehry à Los Angeles (2017) Sophie Calle et Frank O. Gehry : le Téléphone-fleur sur le pont Garigliano, Paris. Je terminerai par une question restée sans réponse jusqu’à présent : où est passé le téléphone-fleur ? Le Téléphone-Fleur est une œuvre d'art dont le concept a été imaginé en 2006 par l'artiste française Sophie Calle et la conception par Frank Gehry, dans le cadre d'une commande publique destinée à accompagner l'implantation du Tramway des Maréchaux Sud à Paris. M.R (1) Le gefilte fish, plat traditionnel juif constitué le plus souvent d’une carpe farcie. (2) Raphaël Soriano : architecte pionnier de l'utilisation des préfabriqués modulaires en acier et aluminium, (3) En 1986 dans une publication du « Rizzoli and the Walker Art Centre « lors de l’exposition « The Architecture of Frank Gehry ». (4) Frank O. Gehry décore en 2001 le magasin de mode japonais Issey Miyake dans le quartier de Tribeca. (5) L’ouverture du Musée Guggenheim Abu Dhabi est annoncée pour 1922 ( à suivre ?). 27
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