GAZETTE du MAJE - Avril - MAJE - Master Droit de l'entreprise
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SOMMAIRE Les brèves ....................................................................................................................................4 Droit social L’illicéité d’un moyen de preuve sans incidence sur son versement aux débats dans un contentieux prud’homal...................................................................................................................7 La surveillance de l’activité des salariés................................................................................... 10 Droit des affaires La responsabilité pénale des sociétés absorbantes dans le cadre des opérations de fusion par absorption.................................................................................................................... 13 Financement d’entreprise : le compte courant d’associé.................................................... 16 Vague de défaillances d’entreprises : causes et conséquences d’un trompe-l’oeil économique et juridique............................................................................................................... 19 Point de vue géopolitique Europe de la défense : vers une véritable autonomie stratégique de l’Union ?........... 22 Constats sur la profession d’avocat aujourd’hui La paupérisation du métier d’avocat : quel avenir pour la profession ?........................ 24 Sport L’interdiction des sanctions pécuniaires a-t-elle vraiment un effet dans le monde du sport professionnel ?..................................................................................................................... 27 Actualité du MAJE Retour sur la conférence du 20 janvier ................................................................................. 30 Cinéma Au nom de ma fille....................................................................................................................... 33 The trial of the Chicago 7 ........................................................................................................ 34 Jeux Mots croisés .................................................................................................................................. 35 - 2 -
ÉDITO Vous l’attendiez, ça y est : la gazette de la Team Edito est de retour ! Nous sommes ravis de vous retrouver pour cette nouvelle édition dans un con- texte toujours très particulier. Il y a des constantes qui ne changent malheureusement pas. Heureusement pour nous (et pour vous), l’actualité juridique est toujours aussi forte, rendant la réalisation de cette gazette possible. Rassurez-vous, la crise sanitaire ne sera pas au centre de nos billets. Au pro- gramme, des brèves et des articles variés allant au-delà des spécialités de chacun. En outre, vous disposez en fin de revue d’une nouvelle section « Cinéma », où des œuvres en lien avec le monde juridique vous sont conseillées, et bien entendu d’incontournables mots-croisés. Bonne lecture ! La rédaction - 3 -
BRÈVES LES BRÈVES LES BRÈVES LES LES BRÈVES BRÈVES · Requalification du statut des chauffeurs UBER au Royaume-Uni · · Le BOSS : ça y est ! · Une nouvelle retentissante a récemment frappé le milieu des VTC. Faisant suite à une décision de la Cour Suprême Beaucoup l’attendaient, il est du Royaume-Uni en date du 19 février dernier, UBER a enfin là. Annoncé au début accordé aux 70.000 chauffeurs présents sur le territoire du mois de mars, le Bulletin britannique le statut de « travailleurs », à mi-chemin entre Officiel de la Sécurité le statut de salarié et d’indépendant. Cette décision, une Sociale (BOSS) est désor- première mondiale, est lourde de conséquences puisque mais accessible. Cette base ce statut implique le respect de nombreux droits sociaux documentaire a été mise à commencer par le salaire minimum désormais obliga- en ligne par l’URSSAF et est toire pour tous les chauffeurs ainsi que le droit aux con- opposable depuis le 1er avril gés payés. Cette décision risque de susciter des envies 2021. Le BOSS s’inscrit dans dans d’autres pays européens et notamment en France. Il la démarche de relation de est donc fort à parier que les revendications ne sauraient confiance et de transpa- tarder dans l’Hexagone. rence que l’URSSAF souhaite justement développer avec l’ensemble de ses publics. Il regroupe l’intégralité de la doctrine administrative en matière de cotisations · Karim Benzema : retour devant les tribunaux · et contributions de sécurité sociale. A ce jour, il contient Karim Benzema est de retour, non pas en équipe de France, mais devant des données dans plusieurs le tribunal correctionnel ! En effet, Karim Benzema doit retourner domaines (assiette générale, devant les tribunaux dans le cadre de l’affaire de la sextape l’opposant allègements généraux, à Mathieu Valbuena remontant à 2015. A cette époque, les deux hom- exonérations zonées, avan- mes étaient coéquipiers en équipe de France, Karim Benzema est tages en nature et frais pro- accusé de « tentative de chantage ». Mathieu Valbuena était victime fessionnels, indemnités de d’un maître-chanteur, son coéquipier, aujourd’hui attaquant phare du rupture). Real de Madrid, l’avait poussé à payer son maître-chanteur. Cette Ce nouveau service public affaire avait fait grand bruit, et Karim Benzema est écarté des sélec- a vocation à être régulière- tions nationales depuis cette période. A noter que quatre hommes ment mis à jour afin de sont également renvoyés devant le tribunal correctionnel pour « ten- couvrir ce périmètre. tative de chantage » et « abus de confiance ». Attendons les suites de Notamment, le thème de la cette affaire qui aura marqué une sombre période du football français, protection sociale complé- puisqu’en 2015, Djibril Cissé avait été aussi mis en cause, avant d’être mentaire sera « prochaine- lavé de tout soupçon. ment » disponible. - 4 -
BRÈVES · Danone : une révocation retentissante · Le Président du conseil d’administration de Danone, Emmanuel Faber, a été révoqué par le conseil d’administration de la société le 14 mars dernier après avoir été préalablement éconduit de ses fonctions de directeur général en date du 1er mars. Si les révocations de dirigeants sont monnaie courante dans le monde des grandes entreprises et en particulier au sein du CAC 40, celle-ci a de par- ticulier ses retentissements sur la vision de l’entreprise au 21ème siècle. En effet, sous la direction d’Emmanuel Faber, Danone est devenue la première entreprise à mission du CAC 40 et a fait de la responsabilité sociétale et environnementale un axe majeur de son développement. Toutefois, cette révocation à l’initiative de deux actionnaires pour cause de rentabilité jugée insuffisante n’est pas sans rappeler les vues divergentes que l’on peut observer dans la manière de penser l’entreprise. Quand les uns, comme Emmanuel Faber, la voient comme un objet d’intérêt général avant tout, les autres continuent à la considérer comme la seule propriété de ses actionnaires et un outil pour engranger le plus de profits possibles. Si cette révocation apparaît comme un coup porté à cette première vision, l’avenir nous dira si la nouvelle direction de Danone maintiendra, au moins pour une part, la politique RSE de l’entreprise ou si cela n’était qu’une brève parenthèse dans son existence. · L’œuvre numérique de Beeple adjugée à 69,3 millions d’euros · Le 11 mars 2021, la société Christie’s a vendu aux enchères l’œuvre de l’artiste Beeple « Everydays : the First 5.000 Days » pour la somme de 69,3 millions d’euros. Il s’agit de la troisième plus haute vente d’œuvres du vivant d’un artiste. Sa particu- larité ? Il s’agit d’une œuvre numérique. Jusqu’à présent, les œuvres numériques n’intéressaient pas les investisseurs en raison du risque de copie et de falsification des fichiers numériques. Dorénavant, concomitamment à l’ac- quisition de cet actif, un certificat d’authenticité unique sera délivré et garanti par une nouvelle technologie dénommée « non fungible tokens » ou NFT (jetons non-fongibles) per- mettant d’accorder à une œuvre numérique la qualité d’actif unique. Comme pour les cryptomonnaies, les NFT utilisent la technologie de la blockchain afin de protéger la propriété de l’investisseur. Si, comme le disait Victor Hugo, « en art point de frontière », alors la crypto-art s’intégrera à merveille dans le vaste monde de l’histoire de l’art. - 5 -
BRÈVES · Les effets d’une transaction rédigée en des termes généraux à l’égard d’une clause de non-concurrence · Depuis 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 5 novembre 2014, nº 13-18.984) donne plein effet aux clauses générales par lesquelles les parties à une transaction conclue à l’occasion de la rupture déclarent être remplies de l’ensemble de leurs droits, mettre fin à tout dif- férend et renoncer à tout recours lié à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail. Dès lors qu’elle n’est assortie d’aucune exclusion expresse, une telle stipulation permet de tenir en échec toute demande ultérieure du sa- larié, quel qu’en soit l’objet. Par un arrêt en date du 17 février 2021, la question posée à la Cour de cas- sation était de savoir si un salarié pouvait-il malgré tout réclamer le paiement de la contrepartie financière d’une clause de non-concurrence après avoir signé une telle transaction, en particulier lorsque l’employeur n’a pas pris soin de lever expressément l’interdiction de concurrence lors de la rupture du contrat. La Cour de cassation a répondu par la négative. En effet, la Cour estime que lorsqu’une transaction est conclue entre l’employeur et le salarié à l’occasion de la rupture du contrat de travail, aux termes de laquelle les parties déclarent être remplies de l’ensemble de leurs droits, mettre fin à tout différend né ou à naître et renoncer à tout recours relatif à l’exécution ou à la rupture du contrat de travail, une telle transaction met fin aux obliga- tions liées à la clause de non-concurrence prévue dans le contrat de travail du salarié, même si elle n’y fait pas expressément référence. Par conséquent, l’employeur n’a donc plus à en payer la contrepartie financière et le salarié à la respecter. Avec cette solution, la chambre sociale conforte définitivement sa jurispru- dence initiée en 2014 sur le plein effet des clauses transactionnelles de renonciation générale. - 6 -
DROIT SOCIAL L’illicéité d’un moyen de preuve sans incidence sur son versement aux débats dans un contentieux prud’homal Dans un arrêt du 25 novembre 20201, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans la lignée de sa jurisprudence du 30 septembre 20202, admet la possibilité de produire devant le juge prud’homal un moyen de preuve illicite, por- tant atteinte au droit à la vie personnelle du salarié. Cet arrêt, estampillé « PBRI », renforce l’étendue des pouvoirs de l’employeur en matière de droit à la preuve. En l’espèce, un salarié avait été licencié pour faute grave pour avoir adressé à une entreprise cliente et concur- rente des demandes de renseignements par voie électronique, en usurpant l’identité de sociétés clientes. Grâce à l’exploitation par un expert informatique des fichiers de journalisation conservés sur les serveurs de son employeur, l’adresse IP à partir de laquelle les messages litigieux avaient été envoyés a été identifiée comme étant celle du salarié. Ce dernier contestait son licenciement en soutenant que les éléments de preuve produits par son employeur étaient illicites en raison de leur non-déclaration préalable auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). La Cour d’appel de Paris, estimant que ces fichiers n’avaient pas pour voca- tion première le contrôle des utilisateurs, a considéré qu’aucune déclaration préalable à la CNIL n’était nécessaire pour ce type de traitement de données. © https://www.notrereveamericain.fr/ tion était la suivante : des fichiers de IP, collectées par un système de • Sur les fichiers litigieux et leur déclaration à la CNIL journalisation contenant des adresses traitement automatisé de données IP (Internet Protocol) doivent-ils être personnelles. La première question à laquelle déclarés à la CNIL ? En l’espèce, devait répondre la Cour de cassa- étaient concernées des adresses 1 Cass. soc., 25 novembre 2020, n°17-19.523 2 Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058 - 7 -
DROIT SOCIAL La Cour de cassation a répondu de Néanmoins, la Cour de cassation trouvait nécessairement sans cause manière positive à cette question. tempère cette illicéité en s’appu- réelle et sérieuse4. En effet, au sens de l’article 2 de la yant sur un autre principe. loi n°78-17 du 6 janvier 1978, dite Cette décision s’inscrit parfai- loi Informatique et Libertés, dans • Sur les conséquences de l’il- tement dans la lignée de l’arrêt sa version antérieure à l’entrée en licéité d’un moyen de preuve rendu le 30 septembre 2020 par vigueur du règlement général sur la la même chambre. Expliqué dans protection des données (RGPD), La Cour de cassation précise que notre précédente gazette, cet les adresses IP, qui permettent l’illicéité d’un moyen de preuve arrêt consacre un véritable droit à d’identifier indirectement une per- au regard de la loi Informatique la preuve pour l’employeur. Il peut sonne physique, sont des données à et Libertés ne doit pas entraîner utiliser des éléments extraits d’un caractère personnel, au sens de l’ar- systématiquement son rejet des compte privé Facebook d’un salarié ticle 2 susvisé. Ce principe avait été débats. Ainsi, la preuve obtenue par pour justifier un licenciement dis- confirmé dans un arrêt de la Cour l’employeur au moyen d’un traite- ciplinaire, dès lors qu’il n’a pas eu de justice de l’Union européenne ment de données qui aurait dû être recours à un stratagème pour les du 24 novembre 20113. C’est pour- déclaré à la CNIL, bien qu’elle soit obtenir. Néanmoins, leur production quoi leur collecte par l’exploitation illicite, demeure opposable dans en justice est possible seulement si du fichier de journalisation cons- certaines circonstances. En effet, elle est indispensable à l’exercice du titue un traitement de données à les juges du fond devront effectuer droit à la preuve et que l’atteinte caractère personnel et doit faire un contrôle de proportionnalité. Il à la vie privée est proportionnée l’objet d’une déclaration préalable s’agira de mettre en balance le droit au but poursuivi. La Cour de cassa- auprès de la CNIL en application de au respect de la vie personnelle du tion avait dû mettre en balance les l’article 23 de la loi précitée. salarié et le droit à la preuve, ce mêmes droits pour parvenir à cette dernier pouvant justifier la produc- décision. Par conséquent, encourt la cassa- tion d’éléments portant atteinte tion l’arrêt qui énonce que ces fich- au premier. Il faudra apprécier si Cet arrêt s’inspire également des iers de journalisation et adresses IP l’utilisation de la preuve peut por- décisions rendues par la Cour ne sont pas soumis à une déclara- ter atteinte au caractère équita- européenne des droits de l’homme tion à la CNIL, ni ne doivent faire ble du procès dans son ensemble. au regard des mêmes articles 6 et l’objet d’une information du sala- La production de cette preuve 8 de la Convention de sauvegarde rié en sa qualité de correspondant doit être indispensable à l’exercice des droits de l’homme et des li- informatique et libertés lorsqu’ils de ce droit et l’atteinte doit être bertés fondamentales. En effet, plu- n’ont pas pour vocation première strictement proportionnée au but sieurs jurisprudences de la Cour de le contrôle des utilisateurs. En ce poursuivi. Strasbourg ont admis, sur le fon- sens, la Cour de cassation affirme Selon la note explicative de cet dement du droit au procès équita- que les éléments de preuve pro- arrêt, il s’agit d’une évolution de la ble et du droit à la preuve qui en duits par l’employeur étaient illicites chambre sociale quant à sa juris- découle, des moyens de preuve et auraient dû faire l’objet d’une prudence relative à l’illicéité d’une obtenus au détriment du droit à déclaration préalable à la CNIL. Les preuve obtenue à l’aide de données la vie privée5. La Cour de cassation dispositions des articles 6 et 8 de qui auraient dû faire l’objet d’une prend donc en compte la jurispru- la Convention de sauvegarde des déclaration auprès de la CNIL. En dence au niveau européen. droits de l’homme et des libertés effet, il avait été précédemment fondamentales, relatives respective- jugé qu’une telle preuve devait dans • Sur l’évolution de la protection ment au droit à un procès équitable tous les cas être rejetée. Ainsi, si des données personnelles et au droit au respect de la vie privée la faute à l’origine du licenciement et familiale, étaient invocables. n’était établie qu’au moyen de cette Une telle décision pourrait preuve illicite, le licenciement se être atténuée à propos de faits postérieurs à l’entrée en vigueur 3 CJUE, 24 novembre 2011, Scarlet Extended, C-70/10 4 Cass. soc., 8 octobre 2014, n°13-14.991 5 « Des données personnelles dont le traitement est illicite peuvent être produites en justice », Liaisons sociales Quotidien – L’actualité, 9 décembre 2020, n°18200 - 8 -
DROIT SOCIAL du RGPD. En effet, ce dernier entreprise où le RGPD a vocation a été adopté en avril 2016 par à s’appliquer devra prouver sa mise le Parlement européen puis est en conformité immédiate avec entré en vigueur le 25 mai 2018. ce cadre juridique. L’illicéité d’une La loi n°2018-493 du 20 juin 2018 preuve devrait donc moins fréquem- est ensuite venue modifier la loi ment découler de sa non-déclara- Informatique et Libertés afin de tion à la CNIL. Il peut d’ailleurs sem- mettre en conformité le droit bler souhaitable que l’employeur français avec le cadre juridique puisse utiliser des preuves issues de européen. Elle permet la mise en fichiers de journalisation, ces dis- œuvre concrète du RGPD. Ce positifs de traitement de données dernier est placé, en France, sous personnelles étant mis en œuvre l’autorité de la CNIL. principalement pour des raisons de sécurité des réseaux informatiques. Ce règlement met l’accent sur une responsabilisation des acteurs Néanmoins, la décision rendue en économiques quant à son applica- l’espèce par la Cour de cassation tion. D’après Cécile Martin6, sous demeure justifiée, les faits s’étant le régime du RGPD, il n’existe plus déroulés antérieurement à l’entrée d’obligation de déclaration mais il en vigueur du RGPD. faut référencer le traitement dans le registre des activités de traitement Aude-Aline de CLERMONT de données personnelles. L’article 13 du RGPD relatif à l’informa- tion des personnes concernées doit également être respecté. Les fichiers de journalisation consti- tuant des traitements de données personnelles, il est nécessaire d’in- diquer quels types de données sont collectées, pourquoi, comment les données sont conservées, pendant combien de temps… Il faut égale- ment informer le salarié de ses droits en la matière (droit d’accès, de rectification…). Selon l’utilisation de ces données par l’entreprise, l’employeur devra s’interroger sur la nécessité d’accomplir une éven- tuelle analyse d’impact ou de con- sulter son CSE. Ainsi, les obligations à la charge de l’employeur ne sont plus les mêmes. Nombre de déclarations préalables auprès de la CNIL sont supprimées. L’ancien système de contrôle, fondé sur l’appréciation a posteriori du respect des règles en vigueur, n’a plus lieu d’être. Désormais, chaque 6 MARTIN Cécile, « Un arrêt classique sur les données personnelles et plus souple sur les moyens de preuve », Semaine Sociale Lamy, 7 décembre 2020, n°1932 - 9 -
DROIT SOCIAL La surveillance de l’activité des salariés L’entreprise internationale Amazon tâche à accomplir et proportion- permettant un contrôle de l’activité fait régulièrement l’actualité en rai- née au but recherché. Le pouvoir des salariés5 dans les entreprises de son de son système de surveillance de surveillance de l’employeur doit 50 salariés et plus. des salariés. Nombreux sont les en effet se concilier avec le respect A défaut, si l’employeur omet de arrêts qui dénonce les dispositifs des libertés individuelles et de la vie consulter le CSE préalablement à mis en place. On peut notamment privée des salariés. la mise en place d’un dispositif de citer l’arrêt de la Grande Chambre Aujourd’hui, les entreprises ont de surveillance, il s’expose à une con- de la Cour européenne des droits plus en plus recours à différents damnation pour délit d’entrave6. de l’homme du 5 septembre 20171 procédés de surveillance de leurs qui a indiqué que « la surveillance salariés. La mise en place de ces dis-L’information des salariés : des communications électroniques Incombe t-il à l’employeur d’in- positifs est conditionnée et il importe d’un employé emporte violation du de répondre à la question de la former les salariés ? Il résulte du droit au respect de la vie privée et consultation du Comité Social et Code du travail, qu’aucune informa- de la correspondance prévu par la Economique ainsi qu’à l’information tion concernant personnellement Convention européenne des droits des salariés. L’employeur détenteur un salarié ne peut être collectée par de l’homme ». du pouvoir de direction et du pou- un dispositif qui n’a pas été porté voir disciplinaire, ne peut recourir àpréalablement à sa connaissance7. Par principe, tout employeur, de par un procédé de surveillance qu’à la Cependant, lorsque le salarié est son pouvoir de direction et de son condition de respecter la conciliationsur le temps et le lieu de travail, corollaire, le pouvoir disciplinaire, entre ses obligations et la protectionl’information préalable des salariés peut contrôler et surveiller l’activité des données personnelles. Seront n’est pas requise en cas de contrôle des salariés pendant le temps de étudiés divers moyens de contrôle. de l’activité par le supérieur hiérar- travail, comme le rappelle régulière- chique, car cela relève de son pou- ment la jurisprudence2. Cependant, La consultation du Comité voir de direction8. Au demeurant, plusieurs limites sont posées à cette Social et Économique : l’information préalable des salariés surveillance. Il s’ensuit que l’em- L’employeur doit-il informer le CSE n’est pas non plus requise lorsqu’un ployeur ne peut y procéder à l’insu avant de mettre en place un dis- service interne à l’entreprise est des salariés3, ou en utilisant des positif de contrôle de l’activité des chargé de cette mission de contrôle stratagèmes destinés à piéger ces salariés ? La consultation du CSE de l’activité9. derniers4. dépend de l’effectif de l’entreprise. En effet, la consultation ou l’infor- Sur le contenu des informations, en Au demeurant, quelle que soit la mation du CSE n’est pas envisagée application du principe de transpa- méthode de surveillance utilisée, par le Code du travail dans les rence, l’employeur informe les sala- le Code du travail précise dans son entreprises de moins de 50 salariés. riés sur10 : article L. 1121-1 que celle-ci doit Mais elle s’impose en cas de mise - l’identité et les coordonnées du être justifiée par la nature de la en œuvre de moyens ou techniques responsable du dispositif de contrôle, 1 Requête n°61496/08 2 Cass. soc., 14 mars 2000, no 98-42.090 ; Cass. soc., 4 juillet 2012, no 11-30.266 3 Cass. soc., 10 janvier 2012, no 10-23.482 ; Cass. soc., 18 octobre 2017, no 16-16.462) 4 Cass. soc., 4 juillet 2012, no 11-30.266 5 C. trav., art. L. 2312-37 et L. 2312-38 6 C. trav., art. L. 2317-1 7 C. trav., art L. 1222-4 8 Cass. soc., 26 avril 2006, no 04-43.582 9 Cass. soc., 5 novembre 2014, no 13-18.427 10 Règl. UE no 2016/679, 27 avril 2016, art. 13 et 14 - 10 -
DROIT SOCIAL Photo by Tobias Tullius on Unsplash et le cas échéant, du délégué à la bonne communication et se trouve dans une logique de responsabili- protection des données ; donc indispensable. sation de l’employeur en tant que - les finalités du dispositif de con- responsable du traitement. Il doit trôle installé et la base juridique qui Par ailleurs, la Cour Européenne ainsi veiller à ce que les dispositifs le justifie ; des Droits de l’Homme a admis de surveillance qu’il met en place - le ou les destinataires des don- que des circonstances particulières respectent les règles définies par le nées recueillies ; pouvaient permettre de mettre en RGPD. Tout dispositif de contrôle, - la durée de conservation des don- place un dispositif de surveillance notamment sur le traitement des nées recueillies par le biais de ce sans information préalable des sala- données à caractère personnel doit dispositif ; riés. Par circonstances particulières, respecter les six principes posés par - le droit de demander l’accès aux on entend l’existence de soupçons le règlement13. données, leur rectification, leur de « graves irrégularités et d’am- effacement ou la limitation du trai- pleur importante qui sont com- La violation de ces règles expose tement, le droit de s’opposer au mises dans l’entreprise12. » évidemment l’employeur à une traitement ; intervention de la Cnil qui, dans un - le droit d’introduire une récla- La conciliation entre les droits premier temps, sensibilisera le con- mation auprès de la Commission et obligations de l’employeur et trevenant en l’invitant à prendre des nationale de l’informatique et des la protection des données per- mesures correctives, puis, à défaut, libertés (CNIL). sonnelles : pourra se montrer plus coerci- Si la Loi Informatique et Libertés du tive par une mise en demeure, ou A défaut d’information préalable 6 janvier 1978, a longtemps imposé injonction de mise en conformité d’un salarié sur l’existence et les une déclaration voire une autorisa- sous astreinte, voire par le pro- modalités d’un dispositif de sur- tion des dispositifs de surveillance noncé d’amendes administratives14. veillance, les preuves recueillies auprès de la Commission Nationale Des sanctions pénales sont égale- ne pourront être alléguées à son de l’Informatique et des Libertés ment encourues. encontre11. (CNIL), l’entrée en vigueur du règle- ment de l’Union Européenne n° Les différents moyens de sur- Cependant, le Code du travail ne 2016/679, relatif à la protection des veillance : précise pas comment procéder à personnes physiques à l’égard du Compte tenu de la multitude de cette information, mais il résulte traitement des données à caractère moyens de contrôles, seront traités qu’une remise en main propre personnel et à la libre circulation de le contrôle par badge, la vidéosur- contre décharge ou un envoi par ces données, autrement appelé le veillance et la surveillance de l’utili- courrier recommandé avec accusé RGPD, a profondément remanié les sation de l’ordinateur professionnel. de réception permet de prouver la règles en la matière. La protection L’employeur peut également user des données s’inscrit désormais d’autres dispositifs, encadrés eux 11 Cass. soc., 10 janvier 2012, no 10-23.482 12 CEDH, grande chambre, 17 octobre 2019, aff. 1874/13 : en l’espèce, soupçons de vol réalisés par les caissières d’un supermarché, a ainsi été jugée comme légiti- mant la possibilité de mettre en place un dispositif de vidéosurveillance clandestin. 13 Règl. UE no 2016/679, 27 avril 2016, art. 5 ; L. no 78-17, 6 janvier 1978 14 L. no 78-17, 6 janvier 1978, art. 20 - 11 -
DROIT SOCIAL aussi, comme la surveillance de la importe que soient respectés la - La surveillance de l’ordinateur messagerie professionnelle15 ainsi légitimité et le caractère propor- professionnel : que la géolocalisation16. tionné du dispositif au but recher- Il en est de même pour les mails - Le contrôle par badges : ché19. La CNIL refuse que des sa- transitant par la messagerie profes- Ce dispositif est notamment utilisé lariés soient filmés en continu sur sionnelle, l’employeur peut accéder pour contrôler les entrées et sor- leurs lieux de travail sauf circons- relativement librement aux fichiers ties du personnel, mais également tances particulières20. Autrement informatiques stockés sur l’ordina- les horaires de travail. Comme tout dit, le système de vidéosurveillance teur professionnel du salarié. Les dispositif de surveillance, il convient ne doit pas être clandestin. dossiers et fichiers créés par un sa- d’en contrôler l’usage. L’emploi de La mise en place de ce dispositif larié grâce à l’outil informatique mis badges n’est pas interdit, notamment est très encadrée. En effet, selon à sa disposition par son employeur si l’employeur justifie d’impératifs la CNIL, les caméras peuvent être pour l’exécution de son travail sont de sécurité17. En revanche, ce dis- installées au niveau des entrées et présumés avoir un caractère pro- positif ne peut pas servir à contrôler sorties des bâtiments, des issues de fessionnel, de sorte que l’employ- les déplacements à l’intérieur des secours et des voies de circulation, eur peut y avoir accès, même hors locaux. mais elles ne doivent pas filmer les la présence du salarié22. Par ailleurs, si le contrôle par badges zones de pause, de repos des sa- En revanche, une limite est posée utilise des données biométriques18, lariés ou encore les toilettes. Par : l’employeur ne peut consulter les il s’agit de données sensibles, et le ailleurs, les caméras ne doivent pas fichiers clairement identifiés comme recours à ce genre de mécanisme filmer les locaux syndicaux ou des personnels que si l’intéressé est doit ainsi être justifié par des représentants du personnel. Seules présent ou a été dûment appelé, impératifs de sécurité auxquels les personnes habilitées peuvent ou en cas de risque ou d’événe- ne pourraient pas répondre visionner les images enregistrées, ment particulier justifiant l’atteinte d’autres dispositifs d’identifica- ces personnes devant être parti- portée à la vie privée23. Concernant tion ou d’autres mesures organi- culièrement formées et sensibilisées la distinction entre un fichier per- sationnelles. Le dispositif doit aux règles de mise en œuvre d’un sonnel et un fichier professionnel, prévoir un accès limité aux don- système de vidéosurveillance. Les la jurisprudence n’admet guère nées biométriques et aux données images captées et enregistrées au d’autre signe d’identification que la personnelles recueillies. Il doit être moyen du dispositif de vidéosur- mention « personnel » ou éven- encadré par des mesures de sécu- veillance doivent être suffisamment tuellement « perso »24. rité élevées. Concernant la conser- protégées contre des accès par des La CNIL affirme que l’employeur vation, les données relatives aux tiers non autorisés21. Concernant est libre de fixer les conditions et accès doivent être supprimées trois la conservation des images, elle ne limites de l’utilisation d’internet par mois après leur enregistrement, doit pas excéder un mois. En prin- les salariés. Par conséquent, il peut tandis que les celles utilisées pour cipe, conserver les images quelques mettre en place des dispositifs de le suivi du temps de travail peuvent jours suffit à effectuer les vérifica- filtrage de sites non autorisés25. être conservées pendant cinq ans. tions nécessaires en cas d’incident, - La vidéosurveillance : et permet d’enclencher d’éventu- Eva DUTRON La mise en place d’un système de elles procédures disciplinaires ou vidéosurveillance dans l’entreprise, pénales. 15 Dispositif mis en oeuvre par les entreprises qui souhaitent mettre en place des outils de contrôle de la messagerie au nom d’exigences de sécurité, de prévention ou de contrôle de l’encombrement du réseau. 16 Par ce dispositif, les salariés peuvent être géolocalisés notamment par leurs téléphones portables et par les GPS de leurs véhicules. 17 Par exemple, l’employeur peut sécuriser l’accès à l’entrée des bâtiments, ou encore à des locaux faisant l’objet de restrictions de circulation. 18 Par exemple : empreinte digitale, iris, voix, visage… 19 A été jugé disproportionné un dispositif de vidéosurveillance mis en place par un centre commercial en raison de son ampleur : 240 caméras filmant même les accès aux toilettes, salle de pause, vestiaires et cabinet médical, mettant ainsi les salariés sous une surveillance permanente à leur poste de travail. Le système était, en outre, détourné de sa finalité puisque les données étaient également utilisées pour contrôler les horaires de travail des salariés (Délib. Cnil n° 2013-029, 12 juillet 2013 ; Délib. Cnil n° 2013-217, 17 juillet 2013). 20 Par exemple, les personnes exposées à un risque d’une particulière gravité. 21 Délibération Cnil n° 2010-112, 22 avril 2010 22 Cass. soc., 10 mai 2012, no 11-13.884 23 Cass. soc., 17 juin 2009, no 08-40.274 24 Cass. soc., 17 mai 2005, no 03-40.017 25 Cass. soc., 10 mai 2012, no 10-28.585 : En l’espèce, est justifié le licenciement disciplinaire du salarié qui a consulté des sites à connotation sexuelle. - 12 -
DROIT DES AFFAIRES La responsabilité pénale des sociétés absorbantes dans le cadre des opérations de fusion par absorption Dans un arrêt important du 25 novembre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation opère un revire- ment de jurisprudence en matière de responsabilité pénale des personnes morales dans le cadre d’une opération de fusion-absorption. Désormais, des faits antérieurs commis par la société absorbée peuvent engendrer la condamnation pénale de la société absorbante. duquel l’action publique prend fin disparaître totalement, n’étant pas Pour rappel, la fusion est l’opéra- au décès du prévenu. Bien que ce liquidée4. tion par laquelle une ou plusieurs dernier fasse référence aux per- sociétés transmettent leur patri- sonnes physiques, les juges n’hési- En outre, la Chambre criminelle fais- moine à une société existante ou taient pas, dans le silence des tex- ait cavalier seul depuis un moment, à une société nouvelle qu’elles con- tes, à transposer la solution aux le temps était peut-être venu de stituent, moyennant l’attribution personnes morales et à considérer s’aligner aux autres juridictions. Au aux associés des sociétés qui trans- que l’action publique était éteinte niveau national, sa position différait mettent leur patrimoine, de parts à la suite de la dissolution de la de celle des autres juges, le trans- ou d’actions de la ou des sociétés société absorbée et de la perte de fert des sanctions étant largement bénéficiaires1. sa personnalité juridique du fait de admis en matière civile et admi- l’opération de fusion3 . nistrative. La Chambre commer- I. Le transfert de responsabilité ciale conçoit en effet depuis 2006 pénale auparavant empêché par II. Une position conservée mal- que des amendes civiles soient pro- l’opération de fusion-absorption gré les divergences avec les noncées à l’encontre de la société autres juridictions absorbante pour des manquements La Chambre criminelle était jusqu’à de la société absorbée au droit présent hostile à reconnaître, dans Cette analyse a suscité quelques de la concurrence, antérieurs à le cadre d’une fusion-absorption, la réserves. Le raisonnement visant à l’opération de fusion5, position qui a culpabilité d’une société absorbante assimiler le décès d’une personne d’ailleurs été validée par le Conseil pour des faits commis antérieure- physique à la dissolution d’une constitutionnel6. En matière de fis- ment par la société absorbée. personne morale n’était plus vrai- calité7 et de régulation des marchés ment pertinent dans le cadre d’une financiers8, le Conseil d’État partage La jurisprudence constante se fon- opération de fusion-absorption. En également le raisonnement de la dait notamment sur le principe de effet, cela ne tenait pas compte de Chambre commerciale. personnalité de la peine2. Les juges la spécificité de la personne morale de la Haute juridiction se basaient qui, par l’effet de la transmission Par ailleurs, la Cour de cassation également sur l’article 6 du Code universelle de son patrimoine, peut conservait cette position9 malgré de procédure pénale aux termes changer de forme sans pour autant l’avis contraire énoncé par la Cour 1 Art. L.236-1 Code de commerce 2 Art. 121-1 du Code pénal : « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » 3 Cass. Crim. 20 juin 2000, n° 99-86.742 4 Olivier BURETH, Responsabilité pénale des personnes morales et fusion-absorption : le grand chambardement ou comment créer une hydre!, Les petites Affiches 7 janv. 2021, n° 158g9, p. 5 5 Com., 28 février 2006, n° 05-12.138, Bull. 2006, IV, no 49 6 Cons. const., 18 mai 2016, n° 2016-542 QPC : BJS oct. 2016, n° 115q3, p. 611 7 CE, avis, 4 déc. 2009, n° 329173, Sté Rueil Sport 8 CE, 17 déc. 2008, n° 316000, Sté Oddo et Cie : BJB févr. 2009, n° 8, p. 50 9 Cass. Crim, 25 oct. 2016, n° 16-80.366 - 13 -
DROIT DES AFFAIRES de justice de l’Union Européenne appel, la société absorbante forma poser une limite temporelle dans en 2015. Pour la CJUE, la procédure un pourvoi en cassation. un souci de prévisibilité juridique. de fusion ne constitue pas un obsta- Cette décision n’a pas d’effet rétro- cle à la transmission de l’obligation Dans cet arrêt, la Chambre cri- actif, elle n’a donc vocation à s’ap- de payer une amende infligée aprèsminelle vient s’approprier le rai- pliquer qu’aux opérations de fusion la fusion pour des infractions réa- sonnement de la CJUE pour jus- postérieures au 25 novembre 2020. lisées ex-ante par la société absor- tifier sa décision. Elle modifie en Troisièmement, la Chambre cri- bée10. Ainsi, notre jurisprudence ne conséquence son interprétation minelle vient strictement borner pouvait qu’évoluer sous l’influence de l’article 121-1 du Code pénal les peines encourues par la société du droit communautaire. Une autre et permet au principe de transmis- absorbante à deux sanctions : la décision rendue cette fois par la sion universelle de patrimoine de confiscation et l’amende. Cour européenne des droits de reprendre tout son sens. La trans- l’homme a largement contribué mission universelle du patrimoine L’arrêt pose une exception à ces à motiver le revirement. Dans cet implique le transfert de la totalité limites en cas de fraude à la loi. Dès arrêt, la CEDH énonce que n’est du patrimoine de la société absor- lors que l’opération a pour unique pas contraire au principe de per- bée, sans distinction entre l’actif et but de faire échapper à une con- sonnalité de la peine, une amende le passif. Il en résulte donc que la damnation pénale, alors la société civile infligée à une société absor- personne morale absorbante, étant absorbante risque de voir sa bante sur le fondement de la con- la continuité de la personne morale responsabilité engagée, qu’importe tinuité économique11. absorbée, peut se voir sanctionnée, la forme sociale de la société ou la mais également se prévaloir de tous date de l’opération de fusion. III. Le transfert de responsabil- les moyens de défense qui auraient ité pénale finalement admis été invoqués par cette dernière13. V. Les conséquences de cette solution nouvelle Finalement, la Chambre crimi- IV. Une solution nouvelle au nelle décide de mettre un terme champ d’application circonscrit Cette décision semble révéler une à sa position antérieure avec un volonté de la Cour de cassation de revirement de jurisprudence en Malgré l’ampleur de ce revirement, date du 25 novembre 202012. Elle son application n’est pas sans limite. admet désormais le transfert de la Premièrement, la décision n’a responsabilité pénale de la société vocation à concerner qu’une absorbée à la société absorbante. catégorie de sociétés. Elle Il était question dans cette affaire ne s’applique qu’aux d’un incendie intervenu dans les opérations de fusion entrepôts de stockage d’une société. entrant dans le En 2017, à la suite de l’enquête sur champ d’applica- l’incendie, la société avait été con- tion de la directive voquée à une audience du Tribunal européenne du correctionnel pour destruc- 9 octobre 1978 tion involontaire du bien d’aut- 78/855/CEE, autre- rui. Cette même année, la société ment dit seulement avait fait l’objet d’une opération de aux fusions des fusion-absorption. La société absor- sociétés anonymes, bante se retrouva devant le Tribunal mais également des correctionnel qui la sanctionna sociétés par actions pour les faits relatifs à l’incendie. simplifiées et aux sociétés Cette décision étant confirmée en en commandite par actions. Deuxièmement, l’arrêt vient 10 CJUE, 5 mars 2015, n° C-343/13 11 CEDH, décision du 24 octobre 2019, Carrefour France c. France, n°37858/14 12 Arrêt 25 novembre 2020 n° 18-86.955 FS-PBI, Sté Iron mountain France 13 Note explicative relative à l’arrêt n°2333 du 25 novembre 2020 (18-86.955) - Chambre criminelle (arrêt “Fusion-absorption”) - 14 -
DROIT DES AFFAIRES protéger les tiers à l’opération et de lutter contre l’instrumentalisa- tion de la procédure de fusion-ab- sorption. Le but étant d’empêcher que des sociétés aient recours à la procédure de fusion-absorption pour détourner la loi et a fortiori faire échec aux poursuites pénales. Quant à l’impact de cette décision sur le recours aux opérations de fusion-absorption, il est encore trop tôt pour le mesurer bien qu’il soit fort probable que les sociétés absor- bantes se montrent plus réticentes à recourir à ce type d’opération, à moins d’avoir une solide connais- sance du passé de la société cible permettant ainsi d’appréhender tout risque de contentieux. Cet arrêt fait d’ailleurs écho à un fait divers assez récent, survenu le 15 octobre 2016 à Angers au cours duquel trois balcons d’un immeuble s’étaient effondrés provoquant la mort de quatre personnes. Depuis l’accident, la société constructrice des balcons a fait l’objet d’une opération de fusion par absorption. La fusion ayant eu lieu avant le 25 novembre 2020, le seul moyen de condamner pénalement la société absorbante, à la place de la société absorbée ayant échappé aux pour- suites, consiste à démontrer l’in- tention frauduleuse à l’origine de l’opération14. Cette affaire sera donc l’occasion d’apprécier l’appli- cation de cette jurisprudence dans le temps. Léa DELHOMMEAU 14 Cyprien MERCIER, Angers. Drame des balcons : l’entreprise de gros œuvre finalement inquiétée ? Le Courrier de l’Ouest, le 26/11/2020 - 15 -
DROIT DES AFFAIRES Financement d’entreprise : le compte courant d’associé Les sociétés ont parfois besoin de ment interne qui présente plus de tifs de chaque associé au sein de la trouver des moyens de finance- sécurité pour les associés, il s’agit société, en permettant de dissocier ment pour mener à bien leurs du compte courant1 d’associés. l’importance des fonds mis à la dis- activités. Il existe différents modes Malgré l’incertitude de son régime position de la société par ses asso- de financement qu’on peut regrou- juridique, voire fiscal, il séduit par sa ciés de leurs poids respectifs dans per dans deux grandes catégories, souplesse d’utilisation et par la plu- les décisions collectives. le financement interne et le ralité de fonctions qu’il est suscep- financement externe par exemple tible de remplir. Il est assurément La convention de compte courant le financement accordé par une l’un des outils les plus précieux d’associé n’est soumise à aucune banque. L’emprunt bancaire est la parmi les divers modes de finance- condition de forme particulière. source de financement externe la ment internes d’une entreprise ou Elle peut être conclue sur sim- plus utilisée. Le problème est qu’il même dans les petites et moyennes ple accord des parties sans qu’un alourdit le passif du bilan. Si l’entre- entreprises. écrit soit établi. Cependant un prise ne réalise pas de bons résul- écrit est nécessaire pour fixer les tats, il y aura un risque de cessa- Une société peut recevoir de la modalités de remboursement et tion des paiements. Un autre mode part de ses associés ou actionnaires de rémunération du compte cou- de financement externe consiste des sommes d’argent qui ne sont rant d’associé. La loi PACTE du 22 pour une société d’ouvrir son ca- pas des apports au sens juridique. mai 2019 offre la possibilité à tout pital social à un fonds d’investisse- La mise à disposition de fonds par associé de consentir une avance en ment. Il faut noter que les associés un associé permet en effet à la compte courant à la société même risquent de perdre le contrôle de société de pallier l’insuffisance de s’il détient moins de 5 % du capital la société puisque le fonds d’inves- ses fonds propres, de remédier à social, ce qui n’était jusque-là pas tissement devient associé. Parmi un défaut de trésorerie ou encore possible. Le compte courant peut les modes de financement interne, de garantir un financement ban- prendre la forme d’un versement il y a l’augmentation du capital caire, tout en évitant le processus effectif de somme d’argent de l’as- social par des apports en nature coûteux et incertain de l’obtention socié à la société. Il peut aussi pren- ou numéraire faites par les associés. d’un prêt bancaire ou les rigidités dre la forme d’une renonciation Ce mode de financement présente qu’entraîne une modification du temporaire de l’associé à percevoir plus de sécurité mais sa contrepar- capital de la société. Mode original une somme à laquelle il a normale- tie est l’augmentation des droits des de financement, le compte courant ment droit notamment les divi- associés dans la société. Par ailleurs, d’associé est également un outil dendes et les salaires. C’est un délai il existe un autre mode de finance- de redistribution des rôles respec- 1 Précis Dalloz, droit bancaire, 2019, page 409 Photo by Ibrahim Rifath on Unsplash - 16 -
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