GAZETTE du MAJE - Avril - MAJE - Master Droit de l'entreprise

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GAZETTE du MAJE - Avril - MAJE - Master Droit de l'entreprise
La gazette
     du MAJE

GAZETTE
 du MAJE

 Avril
                 Mai
     2021
GAZETTE du MAJE - Avril - MAJE - Master Droit de l'entreprise
SOMMAIRE

 Les brèves ....................................................................................................................................4

Droit social
 L’illicéité d’un moyen de preuve sans incidence sur son versement aux débats dans un
contentieux prud’homal...................................................................................................................7
La surveillance de l’activité des salariés................................................................................... 10

Droit des affaires
 La responsabilité pénale des sociétés absorbantes dans le cadre des opérations de
fusion par absorption.................................................................................................................... 13
 Financement d’entreprise : le compte courant d’associé.................................................... 16
Vague de défaillances d’entreprises : causes et conséquences d’un trompe-l’oeil
économique et juridique............................................................................................................... 19

Point de vue géopolitique
Europe de la défense : vers une véritable autonomie stratégique de l’Union ?........... 22

Constats sur la profession d’avocat aujourd’hui
La paupérisation du métier d’avocat : quel avenir pour la profession ?........................ 24

Sport
 L’interdiction des sanctions pécuniaires a-t-elle vraiment un effet dans le monde du
sport professionnel ?..................................................................................................................... 27

Actualité du MAJE
Retour sur la conférence du 20 janvier ................................................................................. 30

Cinéma
Au nom de ma fille....................................................................................................................... 33
The trial of the Chicago 7 ........................................................................................................ 34

Jeux
 Mots croisés .................................................................................................................................. 35

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GAZETTE du MAJE - Avril - MAJE - Master Droit de l'entreprise
ÉDITO

      Vous l’attendiez, ça y est : la gazette de la Team Edito est de retour !

        Nous sommes ravis de vous retrouver pour cette nouvelle édition dans un con-
texte toujours très particulier. Il y a des constantes qui ne changent malheureusement
pas. Heureusement pour nous (et pour vous), l’actualité juridique est toujours aussi
forte, rendant la réalisation de cette gazette possible.

     Rassurez-vous, la crise sanitaire ne sera pas au centre de nos billets. Au pro-
gramme, des brèves et des articles variés allant au-delà des spécialités de chacun.

       En outre, vous disposez en fin de revue d’une nouvelle section « Cinéma », où
des œuvres en lien avec le monde juridique vous sont conseillées, et bien entendu
d’incontournables mots-croisés.

 Bonne lecture !

						           La rédaction

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GAZETTE du MAJE - Avril - MAJE - Master Droit de l'entreprise
BRÈVES
                                        LES BRÈVES
                                        LES BRÈVES
                                        LES
                                        LES BRÈVES
                                            BRÈVES
       · Requalification du statut des chauffeurs UBER au
                          Royaume-Uni ·
                                                                               · Le BOSS : ça y est ! ·
      Une nouvelle retentissante a récemment frappé le milieu
      des VTC. Faisant suite à une décision de la Cour Suprême               Beaucoup l’attendaient, il est
      du Royaume-Uni en date du 19 février dernier, UBER a                   enfin là. Annoncé au début
      accordé aux 70.000 chauffeurs présents sur le territoire               du mois de mars, le Bulletin
      britannique le statut de « travailleurs », à mi-chemin entre           Officiel de la Sécurité
      le statut de salarié et d’indépendant. Cette décision, une             Sociale (BOSS) est désor-
      première mondiale, est lourde de conséquences puisque                  mais accessible. Cette base
      ce statut implique le respect de nombreux droits sociaux               documentaire a été mise
      à commencer par le salaire minimum désormais obliga-                   en ligne par l’URSSAF et est
      toire pour tous les chauffeurs ainsi que le droit aux con-             opposable depuis le 1er avril
      gés payés. Cette décision risque de susciter des envies                2021. Le BOSS s’inscrit dans
      dans d’autres pays européens et notamment en France. Il                la démarche de relation de
      est donc fort à parier que les revendications ne sauraient             confiance et de transpa-
      tarder dans l’Hexagone.                                                rence que l’URSSAF souhaite
                                                                             justement développer avec
                                                                             l’ensemble de ses publics.
                                                                             Il regroupe l’intégralité de
                                                                             la doctrine administrative
                                                                             en matière de cotisations
          · Karim Benzema : retour devant les tribunaux ·                    et contributions de sécurité
                                                                             sociale. A ce jour, il contient
  Karim Benzema est de retour, non pas en équipe de France, mais devant      des données dans plusieurs
  le tribunal correctionnel ! En effet, Karim Benzema doit retourner         domaines (assiette générale,
  devant les tribunaux dans le cadre de l’affaire de la sextape l’opposant   allègements          généraux,
  à Mathieu Valbuena remontant à 2015. A cette époque, les deux hom-         exonérations zonées, avan-
  mes étaient coéquipiers en équipe de France, Karim Benzema est             tages en nature et frais pro-
  accusé de « tentative de chantage ». Mathieu Valbuena était victime        fessionnels, indemnités de
  d’un maître-chanteur, son coéquipier, aujourd’hui attaquant phare du       rupture).
  Real de Madrid, l’avait poussé à payer son maître-chanteur. Cette          Ce nouveau service public
  affaire avait fait grand bruit, et Karim Benzema est écarté des sélec-     a vocation à être régulière-
  tions nationales depuis cette période. A noter que quatre hommes           ment mis à jour afin de
  sont également renvoyés devant le tribunal correctionnel pour « ten-       couvrir     ce      périmètre.
  tative de chantage » et « abus de confiance ». Attendons les suites de     Notamment, le thème de la
  cette affaire qui aura marqué une sombre période du football français,     protection sociale complé-
  puisqu’en 2015, Djibril Cissé avait été aussi mis en cause, avant d’être   mentaire sera « prochaine-
  lavé de tout soupçon.                                                      ment » disponible.

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BRÈVES
                 · Danone : une révocation retentissante ·

  Le Président du conseil d’administration de Danone, Emmanuel Faber, a
  été révoqué par le conseil d’administration de la société le 14 mars dernier
  après avoir été préalablement éconduit de ses fonctions de directeur
  général en date du 1er mars.
  Si les révocations de dirigeants sont monnaie courante dans le monde des
  grandes entreprises et en particulier au sein du CAC 40, celle-ci a de par-
  ticulier ses retentissements sur la vision de l’entreprise au 21ème siècle.
  En effet, sous la direction d’Emmanuel Faber, Danone est devenue la
  première entreprise à mission du CAC 40 et a fait de la responsabilité
  sociétale et environnementale un axe majeur de son développement.
  Toutefois, cette révocation à l’initiative de deux actionnaires pour cause de
  rentabilité jugée insuffisante n’est pas sans rappeler les vues divergentes
  que l’on peut observer dans la manière de penser l’entreprise. Quand les
  uns, comme Emmanuel Faber, la voient comme un objet d’intérêt général
  avant tout, les autres continuent à la considérer comme la seule propriété
  de ses actionnaires et un outil pour engranger le plus de profits possibles.
  Si cette révocation apparaît comme un coup porté à cette première vision,
  l’avenir nous dira si la nouvelle direction de Danone maintiendra, au moins
  pour une part, la politique RSE de l’entreprise ou si cela n’était qu’une brève
  parenthèse dans son existence.

                                              · L’œuvre numérique de Beeple adjugée à 69,3 millions
                                                                   d’euros ·

                                              Le 11 mars 2021, la société Christie’s a vendu aux enchères
                                              l’œuvre de l’artiste Beeple « Everydays : the First 5.000 Days »
                                              pour la somme de 69,3 millions d’euros. Il s’agit de la troisième
                                              plus haute vente d’œuvres du vivant d’un artiste. Sa particu-
                                              larité ? Il s’agit d’une œuvre numérique.
                                              Jusqu’à présent, les œuvres numériques n’intéressaient pas les
                                              investisseurs en raison du risque de copie et de falsification
                                              des fichiers numériques. Dorénavant, concomitamment à l’ac-
                                              quisition de cet actif, un certificat d’authenticité unique sera
                                              délivré et garanti par une nouvelle technologie dénommée
                                              « non fungible tokens » ou NFT (jetons non-fongibles) per-
                                              mettant d’accorder à une œuvre numérique la qualité d’actif
                                              unique. Comme pour les cryptomonnaies, les NFT utilisent la
                                              technologie de la blockchain afin de protéger la propriété de
                                              l’investisseur.
                                              Si, comme le disait Victor Hugo, « en art point de frontière »,
                                              alors la crypto-art s’intégrera à merveille dans le vaste monde
                                              de l’histoire de l’art.

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BRÈVES

           · Les effets d’une transaction rédigée en des termes généraux à
                       l’égard d’une clause de non-concurrence ·

         Depuis 2014, la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 5
         novembre 2014, nº 13-18.984) donne plein effet aux clauses générales par
         lesquelles les parties à une transaction conclue à l’occasion de la rupture
         déclarent être remplies de l’ensemble de leurs droits, mettre fin à tout dif-
         férend et renoncer à tout recours lié à l’exécution ou à la rupture du contrat
         de travail. Dès lors qu’elle n’est assortie d’aucune exclusion expresse, une
         telle stipulation permet de tenir en échec toute demande ultérieure du sa-
         larié, quel qu’en soit l’objet.
         Par un arrêt en date du 17 février 2021, la question posée à la Cour de cas-
         sation était de savoir si un salarié pouvait-il malgré tout réclamer le paiement
         de la contrepartie financière d’une clause de non-concurrence après avoir
         signé une telle transaction, en particulier lorsque l’employeur n’a pas pris
         soin de lever expressément l’interdiction de concurrence lors de la rupture
         du contrat. La Cour de cassation a répondu par la négative. En effet, la Cour
         estime que lorsqu’une transaction est conclue entre l’employeur et le salarié
         à l’occasion de la rupture du contrat de travail, aux termes de laquelle les
         parties déclarent être remplies de l’ensemble de leurs droits, mettre fin à
         tout différend né ou à naître et renoncer à tout recours relatif à l’exécution
         ou à la rupture du contrat de travail, une telle transaction met fin aux obliga-
         tions liées à la clause de non-concurrence prévue dans le contrat de travail
         du salarié, même si elle n’y fait pas expressément référence. Par conséquent,
         l’employeur n’a donc plus à en payer la contrepartie financière et le salarié
         à la respecter.
         Avec cette solution, la chambre sociale conforte définitivement sa jurispru-
         dence initiée en 2014 sur le plein effet des clauses transactionnelles de
         renonciation générale.

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DROIT SOCIAL

                 L’illicéité d’un moyen de preuve
                sans incidence sur son versement
                 aux débats dans un contentieux
                              prud’homal
 Dans un arrêt du 25 novembre 20201, la chambre sociale de la Cour de cassation, dans la lignée de sa jurisprudence
 du 30 septembre 20202, admet la possibilité de produire devant le juge prud’homal un moyen de preuve illicite, por-
 tant atteinte au droit à la vie personnelle du salarié. Cet arrêt, estampillé « PBRI », renforce l’étendue des pouvoirs de
 l’employeur en matière de droit à la preuve.

 En l’espèce, un salarié avait été licencié pour faute grave pour avoir adressé à une entreprise cliente et concur-
 rente des demandes de renseignements par voie électronique, en usurpant l’identité de sociétés clientes. Grâce
 à l’exploitation par un expert informatique des fichiers de journalisation conservés sur les serveurs de son
 employeur, l’adresse IP à partir de laquelle les messages litigieux avaient été envoyés a été identifiée comme étant
 celle du salarié. Ce dernier contestait son licenciement en soutenant que les éléments de preuve produits par
 son employeur étaient illicites en raison de leur non-déclaration préalable auprès de la Commission nationale de
 l’informatique et des libertés (CNIL). La Cour d’appel de Paris, estimant que ces fichiers n’avaient pas pour voca-
 tion première le contrôle des utilisateurs, a considéré qu’aucune déclaration préalable à la CNIL n’était nécessaire
 pour ce type de traitement de données.

                                                                                                 © https://www.notrereveamericain.fr/

                                   tion était la suivante : des fichiers de IP, collectées par un système de
 • Sur les fichiers litigieux et leur
 déclaration à la CNIL             journalisation contenant des adresses traitement automatisé de données
                                   IP (Internet Protocol) doivent-ils être personnelles.
 La première question à laquelle déclarés à la CNIL ? En l’espèce,
 devait répondre la Cour de cassa- étaient concernées des adresses

 1       Cass. soc., 25 novembre 2020, n°17-19.523
 2       Cass. soc., 30 septembre 2020, n°19-12.058

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DROIT SOCIAL
 La Cour de cassation a répondu de                       Néanmoins, la Cour de cassation trouvait nécessairement sans cause
 manière positive à cette question.                      tempère cette illicéité en s’appu- réelle et sérieuse4.
 En effet, au sens de l’article 2 de la                  yant sur un autre principe.
 loi n°78-17 du 6 janvier 1978, dite                                                            Cette décision s’inscrit parfai-
 loi Informatique et Libertés, dans                      • Sur les conséquences de l’il- tement dans la lignée de l’arrêt
 sa version antérieure à l’entrée en                     licéité d’un moyen de preuve           rendu le 30 septembre 2020 par
 vigueur du règlement général sur la                                                            la même chambre. Expliqué dans
 protection des données (RGPD),                          La Cour de cassation précise que notre précédente gazette, cet
 les adresses IP, qui permettent                         l’illicéité d’un moyen de preuve arrêt consacre un véritable droit à
 d’identifier indirectement une per-                     au regard de la loi Informatique la preuve pour l’employeur. Il peut
 sonne physique, sont des données à                      et Libertés ne doit pas entraîner utiliser des éléments extraits d’un
 caractère personnel, au sens de l’ar-                   systématiquement son rejet des compte privé Facebook d’un salarié
 ticle 2 susvisé. Ce principe avait été                  débats. Ainsi, la preuve obtenue par pour justifier un licenciement dis-
 confirmé dans un arrêt de la Cour                       l’employeur au moyen d’un traite- ciplinaire, dès lors qu’il n’a pas eu
 de justice de l’Union européenne                        ment de données qui aurait dû être recours à un stratagème pour les
 du 24 novembre 20113. C’est pour-                       déclaré à la CNIL, bien qu’elle soit obtenir. Néanmoins, leur production
 quoi leur collecte par l’exploitation                   illicite, demeure opposable dans en justice est possible seulement si
 du fichier de journalisation cons-                      certaines circonstances. En effet, elle est indispensable à l’exercice du
 titue un traitement de données à                        les juges du fond devront effectuer droit à la preuve et que l’atteinte
 caractère personnel et doit faire                       un contrôle de proportionnalité. Il à la vie privée est proportionnée
 l’objet d’une déclaration préalable                     s’agira de mettre en balance le droit au but poursuivi. La Cour de cassa-
 auprès de la CNIL en application de                     au respect de la vie personnelle du tion avait dû mettre en balance les
 l’article 23 de la loi précitée.                        salarié et le droit à la preuve, ce mêmes droits pour parvenir à cette
                                                         dernier pouvant justifier la produc- décision.
 Par conséquent, encourt la cassa-                       tion d’éléments portant atteinte
 tion l’arrêt qui énonce que ces fich-                   au premier. Il faudra apprécier si Cet arrêt s’inspire également des
 iers de journalisation et adresses IP                   l’utilisation de la preuve peut por- décisions rendues par la Cour
 ne sont pas soumis à une déclara-                       ter atteinte au caractère équita- européenne des droits de l’homme
 tion à la CNIL, ni ne doivent faire                     ble du procès dans son ensemble. au regard des mêmes articles 6 et
 l’objet d’une information du sala-                      La production de cette preuve 8 de la Convention de sauvegarde
 rié en sa qualité de correspondant                      doit être indispensable à l’exercice des droits de l’homme et des li-
 informatique et libertés lorsqu’ils                     de ce droit et l’atteinte doit être bertés fondamentales. En effet, plu-
 n’ont pas pour vocation première                        strictement proportionnée au but sieurs jurisprudences de la Cour de
 le contrôle des utilisateurs. En ce                     poursuivi.                             Strasbourg ont admis, sur le fon-
 sens, la Cour de cassation affirme                      Selon la note explicative de cet dement du droit au procès équita-
 que les éléments de preuve pro-                         arrêt, il s’agit d’une évolution de la ble et du droit à la preuve qui en
 duits par l’employeur étaient illicites                 chambre sociale quant à sa juris- découle, des moyens de preuve
 et auraient dû faire l’objet d’une                      prudence relative à l’illicéité d’une obtenus au détriment du droit à
 déclaration préalable à la CNIL. Les                    preuve obtenue à l’aide de données la vie privée5. La Cour de cassation
 dispositions des articles 6 et 8 de                     qui auraient dû faire l’objet d’une prend donc en compte la jurispru-
 la Convention de sauvegarde des                         déclaration auprès de la CNIL. En dence au niveau européen.
 droits de l’homme et des libertés                       effet, il avait été précédemment
 fondamentales, relatives respective-                    jugé qu’une telle preuve devait dans • Sur l’évolution de la protection
 ment au droit à un procès équitable                     tous les cas être rejetée. Ainsi, si des données personnelles
 et au droit au respect de la vie privée                 la faute à l’origine du licenciement
 et familiale, étaient invocables.                       n’était établie qu’au moyen de cette Une telle décision pourrait
                                                         preuve illicite, le licenciement se être atténuée à propos de faits
                                                                                                postérieurs à l’entrée en vigueur

 3       CJUE, 24 novembre 2011, Scarlet Extended, C-70/10
 4       Cass. soc., 8 octobre 2014, n°13-14.991
 5       « Des données personnelles dont le traitement est illicite peuvent être produites en justice », Liaisons sociales Quotidien – L’actualité, 9 décembre 2020, n°18200

                                                                              - 8 -
DROIT SOCIAL
 du RGPD. En effet, ce dernier                         entreprise où le RGPD a vocation
 a été adopté en avril 2016 par                        à s’appliquer devra prouver sa mise
 le Parlement européen puis est                        en conformité immédiate avec
 entré en vigueur le 25 mai 2018.                      ce cadre juridique. L’illicéité d’une
 La loi n°2018-493 du 20 juin 2018                     preuve devrait donc moins fréquem-
 est ensuite venue modifier la loi                     ment découler de sa non-déclara-
 Informatique et Libertés afin de                      tion à la CNIL. Il peut d’ailleurs sem-
 mettre en conformité le droit                         bler souhaitable que l’employeur
 français avec le cadre juridique                      puisse utiliser des preuves issues de
 européen. Elle permet la mise en                      fichiers de journalisation, ces dis-
 œuvre concrète du RGPD. Ce                            positifs de traitement de données
 dernier est placé, en France, sous                    personnelles étant mis en œuvre
 l’autorité de la CNIL.                                principalement pour des raisons de
                                                       sécurité des réseaux informatiques.
 Ce règlement met l’accent sur
 une responsabilisation des acteurs                    Néanmoins, la décision rendue en
 économiques quant à son applica-                      l’espèce par la Cour de cassation
 tion. D’après Cécile Martin6, sous                    demeure justifiée, les faits s’étant
 le régime du RGPD, il n’existe plus                   déroulés antérieurement à l’entrée
 d’obligation de déclaration mais il                   en vigueur du RGPD.
 faut référencer le traitement dans le
 registre des activités de traitement
                                                                        Aude-Aline de CLERMONT
 de données personnelles. L’article
 13 du RGPD relatif à l’informa-
 tion des personnes concernées
 doit également être respecté. Les
 fichiers de journalisation consti-
 tuant des traitements de données
 personnelles, il est nécessaire d’in-
 diquer quels types de données sont
 collectées, pourquoi, comment les
 données sont conservées, pendant
 combien de temps… Il faut égale-
 ment informer le salarié de ses
 droits en la matière (droit d’accès,
 de rectification…). Selon l’utilisation
 de ces données par l’entreprise,
 l’employeur devra s’interroger sur
 la nécessité d’accomplir une éven-
 tuelle analyse d’impact ou de con-
 sulter son CSE.

 Ainsi, les obligations à la charge de
 l’employeur ne sont plus les mêmes.
 Nombre de déclarations préalables
 auprès de la CNIL sont supprimées.
 L’ancien système de contrôle, fondé
 sur l’appréciation a posteriori du
 respect des règles en vigueur, n’a
 plus lieu d’être. Désormais, chaque
 6       MARTIN Cécile, « Un arrêt classique sur les données personnelles et plus souple sur les moyens de preuve », Semaine Sociale Lamy, 7 décembre 2020, n°1932

                                                                           - 9 -
DROIT SOCIAL

                  La surveillance de l’activité
                          des salariés
 L’entreprise internationale Amazon                     tâche à accomplir et proportion-          permettant un contrôle de l’activité
 fait régulièrement l’actualité en rai-                 née au but recherché. Le pouvoir          des salariés5 dans les entreprises de
 son de son système de surveillance                     de surveillance de l’employeur doit       50 salariés et plus.
 des salariés. Nombreux sont les                        en effet se concilier avec le respect     A défaut, si l’employeur omet de
 arrêts qui dénonce les dispositifs                     des libertés individuelles et de la vie   consulter le CSE préalablement à
 mis en place. On peut notamment                        privée des salariés.                      la mise en place d’un dispositif de
 citer l’arrêt de la Grande Chambre                     Aujourd’hui, les entreprises ont de       surveillance, il s’expose à une con-
 de la Cour européenne des droits                       plus en plus recours à différents         damnation pour délit d’entrave6.
 de l’homme du 5 septembre 20171                        procédés de surveillance de leurs
 qui a indiqué que « la surveillance                    salariés. La mise en place de ces dis-L’information des salariés :
 des communications électroniques                                                             Incombe t-il à l’employeur d’in-
                                                        positifs est conditionnée et il importe
 d’un employé emporte violation du                      de répondre à la question de la       former les salariés ? Il résulte du
 droit au respect de la vie privée et                   consultation du Comité Social et      Code du travail, qu’aucune informa-
 de la correspondance prévu par la                      Economique ainsi qu’à l’information   tion concernant personnellement
 Convention européenne des droits                       des salariés. L’employeur détenteur   un salarié ne peut être collectée par
 de l’homme ».				                                      du pouvoir de direction et du pou-    un dispositif qui n’a pas été porté
 				                                                   voir disciplinaire, ne peut recourir àpréalablement à sa connaissance7.
 Par principe, tout employeur, de par                   un procédé de surveillance qu’à la    Cependant, lorsque le salarié est
 son pouvoir de direction et de son                     condition de respecter la conciliationsur le temps et le lieu de travail,
 corollaire, le pouvoir disciplinaire,                  entre ses obligations et la protectionl’information préalable des salariés
 peut contrôler et surveiller l’activité                des données personnelles. Seront      n’est pas requise en cas de contrôle
 des salariés pendant le temps de                       étudiés divers moyens de contrôle.    de l’activité par le supérieur hiérar-
 travail, comme le rappelle régulière-                                                        chique, car cela relève de son pou-
 ment la jurisprudence2. Cependant,                     La consultation du Comité voir de direction8. Au demeurant,
 plusieurs limites sont posées à cette                  Social et Économique :                l’information préalable des salariés
 surveillance. Il s’ensuit que l’em-                    L’employeur doit-il informer le CSE n’est pas non plus requise lorsqu’un
 ployeur ne peut y procéder à l’insu                    avant de mettre en place un dis- service interne à l’entreprise est
 des salariés3, ou en utilisant des                     positif de contrôle de l’activité des chargé de cette mission de contrôle
 stratagèmes destinés à piéger ces                      salariés ? La consultation du CSE de l’activité9.
 derniers4.                                             dépend de l’effectif de l’entreprise.
                                                        En effet, la consultation ou l’infor- Sur le contenu des informations, en
 Au demeurant, quelle que soit la                       mation du CSE n’est pas envisagée application du principe de transpa-
 méthode de surveillance utilisée,                      par le Code du travail dans les rence, l’employeur informe les sala-
 le Code du travail précise dans son                    entreprises de moins de 50 salariés. riés sur10 :
 article L. 1121-1 que celle-ci doit                    Mais elle s’impose en cas de mise - l’identité et les coordonnées du
 être justifiée par la nature de la                     en œuvre de moyens ou techniques responsable du dispositif de contrôle,

 1       Requête n°61496/08
 2       Cass. soc., 14 mars 2000, no 98-42.090 ; Cass. soc., 4 juillet 2012, no 11-30.266
 3       Cass. soc., 10 janvier 2012, no 10-23.482 ; Cass. soc., 18 octobre 2017, no 16-16.462)
 4       Cass. soc., 4 juillet 2012, no 11-30.266
 5       C. trav., art. L. 2312-37 et L. 2312-38
 6       C. trav., art. L. 2317-1
 7       C. trav., art L. 1222-4
 8       Cass. soc., 26 avril 2006, no 04-43.582
 9       Cass. soc., 5 novembre 2014, no 13-18.427
 10      Règl. UE no 2016/679, 27 avril 2016, art. 13 et 14

                                                                            - 10 -
DROIT SOCIAL

                                                                                                                             Photo by Tobias Tullius on Unsplash

 et le cas échéant, du délégué à la                         bonne communication et se trouve dans une logique de responsabili-
 protection des données ;                                   donc indispensable.                    sation de l’employeur en tant que
 - les finalités du dispositif de con-                                                             responsable du traitement. Il doit
 trôle installé et la base juridique qui                    Par ailleurs, la Cour Européenne ainsi veiller à ce que les dispositifs
 le justifie ;                                              des Droits de l’Homme a admis de surveillance qu’il met en place
 - le ou les destinataires des don-                         que des circonstances particulières respectent les règles définies par le
 nées recueillies ;                                         pouvaient permettre de mettre en RGPD. Tout dispositif de contrôle,
 - la durée de conservation des don-                        place un dispositif de surveillance notamment sur le traitement des
 nées recueillies par le biais de ce                        sans information préalable des sala- données à caractère personnel doit
 dispositif ;                                               riés. Par circonstances particulières, respecter les six principes posés par
 - le droit de demander l’accès aux                         on entend l’existence de soupçons le règlement13.
 données, leur rectification, leur                          de « graves irrégularités et d’am-
 effacement ou la limitation du trai-                       pleur importante qui sont com- La violation de ces règles expose
 tement, le droit de s’opposer au                           mises dans l’entreprise12. »           évidemment l’employeur à une
 traitement ;                                                                                      intervention de la Cnil qui, dans un
 - le droit d’introduire une récla-                         La conciliation entre les droits premier temps, sensibilisera le con-
 mation auprès de la Commission                             et obligations de l’employeur et trevenant en l’invitant à prendre des
 nationale de l’informatique et des                         la protection des données per- mesures correctives, puis, à défaut,
 libertés (CNIL).                                           sonnelles :                            pourra se montrer plus coerci-
                                                            Si la Loi Informatique et Libertés du tive par une mise en demeure, ou
 A défaut d’information préalable                           6 janvier 1978, a longtemps imposé injonction de mise en conformité
 d’un salarié sur l’existence et les                        une déclaration voire une autorisa- sous astreinte, voire par le pro-
 modalités d’un dispositif de sur-                          tion des dispositifs de surveillance noncé d’amendes administratives14.
 veillance, les preuves recueillies                         auprès de la Commission Nationale Des sanctions pénales sont égale-
 ne pourront être alléguées à son                           de l’Informatique et des Libertés ment encourues.
 encontre11.                                                (CNIL), l’entrée en vigueur du règle-
                                                            ment de l’Union Européenne n° Les différents moyens de sur-
 Cependant, le Code du travail ne                           2016/679, relatif à la protection des veillance :
 précise pas comment procéder à                             personnes physiques à l’égard du Compte tenu de la multitude de
 cette information, mais il résulte                         traitement des données à caractère moyens de contrôles, seront traités
 qu’une remise en main propre                               personnel et à la libre circulation de le contrôle par badge, la vidéosur-
 contre décharge ou un envoi par                            ces données, autrement appelé le veillance et la surveillance de l’utili-
 courrier recommandé avec accusé                            RGPD, a profondément remanié les sation de l’ordinateur professionnel.
 de réception permet de prouver la                          règles en la matière. La protection L’employeur peut également user
                                                            des données s’inscrit désormais d’autres dispositifs, encadrés eux

 11         Cass. soc., 10 janvier 2012, no 10-23.482
 12         CEDH, grande chambre, 17 octobre 2019, aff. 1874/13 : en l’espèce, soupçons de vol réalisés par les caissières d’un supermarché, a ainsi été jugée comme légiti-
 mant la possibilité de mettre en place un dispositif de vidéosurveillance clandestin.
 13         Règl. UE no 2016/679, 27 avril 2016, art. 5 ; L. no 78-17, 6 janvier 1978
 14         L. no 78-17, 6 janvier 1978, art. 20

                                                                                - 11 -
DROIT SOCIAL
 aussi, comme la surveillance de la                            importe que soient respectés la                               - La surveillance de l’ordinateur
 messagerie professionnelle15 ainsi                            légitimité et le caractère propor-                            professionnel :
 que la géolocalisation16.                                     tionné du dispositif au but recher-                           Il en est de même pour les mails
 - Le contrôle par badges :                                    ché19. La CNIL refuse que des sa-                             transitant par la messagerie profes-
 Ce dispositif est notamment utilisé                           lariés soient filmés en continu sur                           sionnelle, l’employeur peut accéder
 pour contrôler les entrées et sor-                            leurs lieux de travail sauf circons-                          relativement librement aux fichiers
 ties du personnel, mais également                             tances particulières20. Autrement                             informatiques stockés sur l’ordina-
 les horaires de travail. Comme tout                           dit, le système de vidéosurveillance                          teur professionnel du salarié. Les
 dispositif de surveillance, il convient                       ne doit pas être clandestin.                                  dossiers et fichiers créés par un sa-
 d’en contrôler l’usage. L’emploi de                           La mise en place de ce dispositif                             larié grâce à l’outil informatique mis
 badges n’est pas interdit, notamment                          est très encadrée. En effet, selon                            à sa disposition par son employeur
 si l’employeur justifie d’impératifs                          la CNIL, les caméras peuvent être                             pour l’exécution de son travail sont
 de sécurité17. En revanche, ce dis-                           installées au niveau des entrées et                           présumés avoir un caractère pro-
 positif ne peut pas servir à contrôler                        sorties des bâtiments, des issues de                          fessionnel, de sorte que l’employ-
 les déplacements à l’intérieur des                            secours et des voies de circulation,                          eur peut y avoir accès, même hors
 locaux.                                                       mais elles ne doivent pas filmer les                          la présence du salarié22.
 Par ailleurs, si le contrôle par badges                       zones de pause, de repos des sa-                              En revanche, une limite est posée
 utilise des données biométriques18,                           lariés ou encore les toilettes. Par                           : l’employeur ne peut consulter les
 il s’agit de données sensibles, et le                         ailleurs, les caméras ne doivent pas                          fichiers clairement identifiés comme
 recours à ce genre de mécanisme                               filmer les locaux syndicaux ou des                            personnels que si l’intéressé est
 doit ainsi être justifié par des                              représentants du personnel. Seules                            présent ou a été dûment appelé,
 impératifs de sécurité auxquels                               les personnes habilitées peuvent                              ou en cas de risque ou d’événe-
 ne pourraient pas répondre                                    visionner les images enregistrées,                            ment particulier justifiant l’atteinte
 d’autres dispositifs d’identifica-                            ces personnes devant être parti-                              portée à la vie privée23. Concernant
 tion ou d’autres mesures organi-                              culièrement formées et sensibilisées                          la distinction entre un fichier per-
 sationnelles. Le dispositif doit                              aux règles de mise en œuvre d’un                              sonnel et un fichier professionnel,
 prévoir un accès limité aux don-                              système de vidéosurveillance. Les                             la jurisprudence n’admet guère
 nées biométriques et aux données                              images captées et enregistrées au                             d’autre signe d’identification que la
 personnelles recueillies. Il doit être                        moyen du dispositif de vidéosur-                              mention « personnel » ou éven-
 encadré par des mesures de sécu-                              veillance doivent être suffisamment                           tuellement « perso »24.
 rité élevées. Concernant la conser-                           protégées contre des accès par des                            La CNIL affirme que l’employeur
 vation, les données relatives aux                             tiers non autorisés21. Concernant                             est libre de fixer les conditions et
 accès doivent être supprimées trois                           la conservation des images, elle ne                           limites de l’utilisation d’internet par
 mois après leur enregistrement,                               doit pas excéder un mois. En prin-                            les salariés. Par conséquent, il peut
 tandis que les celles utilisées pour                          cipe, conserver les images quelques                           mettre en place des dispositifs de
 le suivi du temps de travail peuvent                          jours suffit à effectuer les vérifica-                        filtrage de sites non autorisés25.
 être conservées pendant cinq ans.                             tions nécessaires en cas d’incident,
 - La vidéosurveillance :                                      et permet d’enclencher d’éventu-                                                                    Eva DUTRON
 La mise en place d’un système de                              elles procédures disciplinaires ou
 vidéosurveillance dans l’entreprise,                          pénales.

 15          Dispositif mis en oeuvre par les entreprises qui souhaitent mettre en place des outils de contrôle de la messagerie au nom d’exigences de sécurité, de prévention ou
 de contrôle de l’encombrement du réseau.
 16          Par ce dispositif, les salariés peuvent être géolocalisés notamment par leurs téléphones portables et par les GPS de leurs véhicules.
 17          Par exemple, l’employeur peut sécuriser l’accès à l’entrée des bâtiments, ou encore à des locaux faisant l’objet de restrictions de circulation.
 18          Par exemple : empreinte digitale, iris, voix, visage…
 19          A été jugé disproportionné un dispositif de vidéosurveillance mis en place par un centre commercial en raison de son ampleur : 240 caméras filmant même les
 accès aux toilettes, salle de pause, vestiaires et cabinet médical, mettant ainsi les salariés sous une surveillance permanente à leur poste de travail. Le système était, en outre,
 détourné de sa finalité puisque les données étaient également utilisées pour contrôler les horaires de travail des salariés (Délib. Cnil n° 2013-029, 12 juillet 2013 ; Délib. Cnil n°
 2013-217, 17 juillet 2013).
 20          Par exemple, les personnes exposées à un risque d’une particulière gravité.
 21          Délibération Cnil n° 2010-112, 22 avril 2010
 22          Cass. soc., 10 mai 2012, no 11-13.884
 23          Cass. soc., 17 juin 2009, no 08-40.274
 24          Cass. soc., 17 mai 2005, no 03-40.017
 25          Cass. soc., 10 mai 2012, no 10-28.585 : En l’espèce, est justifié le licenciement disciplinaire du salarié qui a consulté des sites à connotation sexuelle.

                                                                                    - 12 -
DROIT DES AFFAIRES

                            La responsabilité pénale des
                                sociétés absorbantes
                            dans le cadre des opérations
                              de fusion par absorption
 Dans un arrêt important du 25 novembre 2020, la Chambre criminelle de la Cour de cassation opère un revire-
 ment de jurisprudence en matière de responsabilité pénale des personnes morales dans le cadre d’une opération de
 fusion-absorption. Désormais, des faits antérieurs commis par la société absorbée peuvent engendrer la condamnation
 pénale de la société absorbante.
                                          duquel l’action publique prend fin disparaître totalement, n’étant pas
 Pour rappel, la fusion est l’opéra- au décès du prévenu. Bien que ce liquidée4.
 tion par laquelle une ou plusieurs dernier fasse référence aux per-
 sociétés transmettent leur patri- sonnes physiques, les juges n’hési- En outre, la Chambre criminelle fais-
 moine à une société existante ou taient pas, dans le silence des tex- ait cavalier seul depuis un moment,
 à une société nouvelle qu’elles con- tes, à transposer la solution aux le temps était peut-être venu de
 stituent, moyennant l’attribution personnes morales et à considérer s’aligner aux autres juridictions. Au
 aux associés des sociétés qui trans- que l’action publique était éteinte niveau national, sa position différait
 mettent leur patrimoine, de parts à la suite de la dissolution de la de celle des autres juges, le trans-
 ou d’actions de la ou des sociétés société absorbée et de la perte de fert des sanctions étant largement
 bénéficiaires1.                          sa personnalité juridique du fait de admis en matière civile et admi-
                                          l’opération de fusion3 .               nistrative. La Chambre commer-
 I. Le transfert de responsabilité                                               ciale conçoit en effet depuis 2006
 pénale auparavant empêché par II. Une position conservée mal- que des amendes civiles soient pro-
 l’opération de fusion-absorption gré les divergences avec les noncées à l’encontre de la société
                                          autres juridictions                    absorbante pour des manquements
 La Chambre criminelle était jusqu’à                                             de la société absorbée au droit
 présent hostile à reconnaître, dans Cette analyse a suscité quelques de la concurrence, antérieurs à
 le cadre d’une fusion-absorption, la réserves. Le raisonnement visant à l’opération de fusion5, position qui a
 culpabilité d’une société absorbante assimiler le décès d’une personne d’ailleurs été validée par le Conseil
 pour des faits commis antérieure- physique à la dissolution d’une constitutionnel6. En matière de fis-
 ment par la société absorbée.            personne morale n’était plus vrai- calité7 et de régulation des marchés
                                          ment pertinent dans le cadre d’une financiers8, le Conseil d’État partage
 La jurisprudence constante se fon- opération de fusion-absorption. En également le raisonnement de la
 dait notamment sur le principe de effet, cela ne tenait pas compte de Chambre commerciale.
 personnalité de la peine2. Les juges la spécificité de la personne morale
 de la Haute juridiction se basaient qui, par l’effet de la transmission Par ailleurs, la Cour de cassation
 également sur l’article 6 du Code universelle de son patrimoine, peut conservait cette position9 malgré
 de procédure pénale aux termes changer de forme sans pour autant l’avis contraire énoncé par la Cour

 1            Art. L.236-1 Code de commerce
 2            Art. 121-1 du Code pénal : « nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. »
 3            Cass. Crim. 20 juin 2000, n° 99-86.742
 4            Olivier BURETH, Responsabilité pénale des personnes morales et fusion-absorption : le grand chambardement ou comment créer une hydre!, Les petites Affiches 7
 janv. 2021, n° 158g9, p. 5
 5            Com., 28 février 2006, n° 05-12.138, Bull. 2006, IV, no 49
 6            Cons. const., 18 mai 2016, n° 2016-542 QPC : BJS oct. 2016, n° 115q3, p. 611
 7            CE, avis, 4 déc. 2009, n° 329173, Sté Rueil Sport
 8            CE, 17 déc. 2008, n° 316000, Sté Oddo et Cie : BJB févr. 2009, n° 8, p. 50
 9            Cass. Crim, 25 oct. 2016, n° 16-80.366

                                                                               - 13 -
DROIT DES AFFAIRES
 de justice de l’Union Européenne                      appel, la société absorbante forma                        poser une limite temporelle dans
 en 2015. Pour la CJUE, la procédure                   un pourvoi en cassation.                                  un souci de prévisibilité juridique.
 de fusion ne constitue pas un obsta-                                                                            Cette décision n’a pas d’effet rétro-
 cle à la transmission de l’obligation
                                   Dans cet arrêt, la Chambre cri-                                               actif, elle n’a donc vocation à s’ap-
 de payer une amende infligée aprèsminelle vient s’approprier le rai-                                            pliquer qu’aux opérations de fusion
 la fusion pour des infractions réa-
                                   sonnement de la CJUE pour jus-                                                postérieures au 25 novembre 2020.
 lisées ex-ante par la société absor-
                                   tifier sa décision. Elle modifie en                                           Troisièmement, la Chambre cri-
 bée10. Ainsi, notre jurisprudence ne
                                   conséquence son interprétation                                                minelle vient strictement borner
 pouvait qu’évoluer sous l’influence
                                   de l’article 121-1 du Code pénal                                              les peines encourues par la société
 du droit communautaire. Une autre et permet au principe de transmis-                                            absorbante à deux sanctions : la
 décision rendue cette fois par la sion universelle de patrimoine de                                             confiscation et l’amende.
 Cour européenne des droits de     reprendre tout son sens. La trans-
 l’homme a largement contribué     mission universelle du patrimoine                                             L’arrêt pose une exception à ces
 à motiver le revirement. Dans cet implique le transfert de la totalité                                          limites en cas de fraude à la loi. Dès
 arrêt, la CEDH énonce que n’est   du patrimoine de la société absor-                                            lors que l’opération a pour unique
 pas contraire au principe de per- bée, sans distinction entre l’actif et                                        but de faire échapper à une con-
 sonnalité de la peine, une amende le passif. Il en résulte donc que la                                          damnation pénale, alors la société
 civile infligée à une société absor-
                                   personne morale absorbante, étant                                             absorbante risque de voir sa
 bante sur le fondement de la con- la continuité de la personne morale                                           responsabilité engagée, qu’importe
 tinuité économique11.             absorbée, peut se voir sanctionnée,                                           la forme sociale de la société ou la
                                   mais également se prévaloir de tous                                           date de l’opération de fusion.
 III. Le transfert de responsabil- les moyens de défense qui auraient
 ité pénale finalement admis       été invoqués par cette dernière13.                                            V. Les conséquences de cette
                                                                                                                 solution nouvelle
 Finalement, la Chambre crimi-                         IV. Une solution nouvelle au
 nelle décide de mettre un terme                       champ d’application circonscrit                           Cette décision semble révéler une
 à sa position antérieure avec un                                                                                volonté de la Cour de cassation de
 revirement de jurisprudence en                        Malgré l’ampleur de ce revirement,
 date du 25 novembre 202012. Elle                      son application n’est pas sans limite.
 admet désormais le transfert de la                    Premièrement, la décision n’a
 responsabilité pénale de la société                   vocation à concerner qu’une
 absorbée à la société absorbante.                     catégorie de sociétés. Elle
 Il était question dans cette affaire                  ne s’applique qu’aux
 d’un incendie intervenu dans les                      opérations de fusion
 entrepôts de stockage d’une société.                  entrant dans le
 En 2017, à la suite de l’enquête sur                  champ d’applica-
 l’incendie, la société avait été con-                 tion de la directive
 voquée à une audience du Tribunal                     européenne        du
 correctionnel        pour    destruc-                 9 octobre 1978
 tion involontaire du bien d’aut-                      78/855/CEE, autre-
 rui. Cette même année, la société                     ment dit seulement
 avait fait l’objet d’une opération de                 aux fusions des
 fusion-absorption. La société absor-                  sociétés anonymes,
 bante se retrouva devant le Tribunal                  mais également des
 correctionnel qui la sanctionna                       sociétés par actions
 pour les faits relatifs à l’incendie.                 simplifiées et aux sociétés
 Cette décision étant confirmée en                     en commandite par actions.
                                                       Deuxièmement, l’arrêt vient
 10      CJUE, 5 mars 2015, n° C-343/13
 11      CEDH, décision du 24 octobre 2019, Carrefour France c. France, n°37858/14
 12      Arrêt 25 novembre 2020 n° 18-86.955 FS-PBI, Sté Iron mountain France
 13      Note explicative relative à l’arrêt n°2333 du 25 novembre 2020 (18-86.955) - Chambre criminelle (arrêt “Fusion-absorption”)

                                                                           - 14 -
DROIT DES AFFAIRES
 protéger les tiers à l’opération et
 de lutter contre l’instrumentalisa-
 tion de la procédure de fusion-ab-
 sorption. Le but étant d’empêcher
 que des sociétés aient recours à
 la procédure de fusion-absorption
 pour détourner la loi et a fortiori
 faire échec aux poursuites pénales.

 Quant à l’impact de cette décision
 sur le recours aux opérations de
 fusion-absorption, il est encore trop
 tôt pour le mesurer bien qu’il soit
 fort probable que les sociétés absor-
 bantes se montrent plus réticentes
 à recourir à ce type d’opération, à
 moins d’avoir une solide connais-
 sance du passé de la société cible
 permettant ainsi d’appréhender
 tout risque de contentieux.

 Cet arrêt fait d’ailleurs écho à un
 fait divers assez récent, survenu le
 15 octobre 2016 à Angers au cours
 duquel trois balcons d’un immeuble
 s’étaient effondrés provoquant la
 mort de quatre personnes. Depuis
 l’accident, la société constructrice
 des balcons a fait l’objet d’une
 opération de fusion par absorption.
 La fusion ayant eu lieu avant le 25
 novembre 2020, le seul moyen de
 condamner pénalement la société
 absorbante, à la place de la société
 absorbée ayant échappé aux pour-
 suites, consiste à démontrer l’in-
 tention frauduleuse à l’origine de
 l’opération14. Cette affaire sera
 donc l’occasion d’apprécier l’appli-
 cation de cette jurisprudence dans
 le temps.

                       Léa DELHOMMEAU

 14      Cyprien MERCIER, Angers. Drame des balcons : l’entreprise de gros œuvre finalement inquiétée ? Le Courrier de l’Ouest, le 26/11/2020

                                                                           - 15 -
DROIT DES AFFAIRES

                  Financement d’entreprise :
                le compte courant d’associé
 Les sociétés ont parfois besoin de                      ment interne qui présente plus de            tifs de chaque associé au sein de la
 trouver des moyens de finance-                          sécurité pour les associés, il s’agit        société, en permettant de dissocier
 ment pour mener à bien leurs                            du compte courant1 d’associés.               l’importance des fonds mis à la dis-
 activités. Il existe différents modes                   Malgré l’incertitude de son régime           position de la société par ses asso-
 de financement qu’on peut regrou-                       juridique, voire fiscal, il séduit par sa    ciés de leurs poids respectifs dans
 per dans deux grandes catégories,                       souplesse d’utilisation et par la plu-       les décisions collectives.
 le financement interne et le                            ralité de fonctions qu’il est suscep-
 financement externe par exemple                         tible de remplir. Il est assurément          La convention de compte courant
 le financement accordé par une                          l’un des outils les plus précieux            d’associé n’est soumise à aucune
 banque. L’emprunt bancaire est la                       parmi les divers modes de finance-           condition de forme particulière.
 source de financement externe la                        ment internes d’une entreprise ou            Elle peut être conclue sur sim-
 plus utilisée. Le problème est qu’il                    même dans les petites et moyennes            ple accord des parties sans qu’un
 alourdit le passif du bilan. Si l’entre-                entreprises.                                 écrit soit établi. Cependant un
 prise ne réalise pas de bons résul-                                                                  écrit est nécessaire pour fixer les
 tats, il y aura un risque de cessa-                     Une société peut recevoir de la              modalités de remboursement et
 tion des paiements. Un autre mode                       part de ses associés ou actionnaires         de rémunération du compte cou-
 de financement externe consiste                         des sommes d’argent qui ne sont              rant d’associé. La loi PACTE du 22
 pour une société d’ouvrir son ca-                       pas des apports au sens juridique.           mai 2019 offre la possibilité à tout
 pital social à un fonds d’investisse-                   La mise à disposition de fonds par           associé de consentir une avance en
 ment. Il faut noter que les associés                    un associé permet en effet à la              compte courant à la société même
 risquent de perdre le contrôle de                       société de pallier l’insuffisance de         s’il détient moins de 5 % du capital
 la société puisque le fonds d’inves-                    ses fonds propres, de remédier à             social, ce qui n’était jusque-là pas
 tissement devient associé. Parmi                        un défaut de trésorerie ou encore            possible. Le compte courant peut
 les modes de financement interne,                       de garantir un financement ban-              prendre la forme d’un versement
 il y a l’augmentation du capital                        caire, tout en évitant le processus          effectif de somme d’argent de l’as-
 social par des apports en nature                        coûteux et incertain de l’obtention          socié à la société. Il peut aussi pren-
 ou numéraire faites par les associés.                   d’un prêt bancaire ou les rigidités          dre la forme d’une renonciation
 Ce mode de financement présente                         qu’entraîne une modification du              temporaire de l’associé à percevoir
 plus de sécurité mais sa contrepar-                     capital de la société. Mode original         une somme à laquelle il a normale-
 tie est l’augmentation des droits des                   de financement, le compte courant            ment droit notamment les divi-
 associés dans la société. Par ailleurs,                 d’associé est également un outil             dendes et les salaires. C’est un délai
 il existe un autre mode de finance-                     de redistribution des rôles respec-
 1       Précis Dalloz, droit bancaire, 2019, page 409

                                                                                                     Photo by Ibrahim Rifath on Unsplash

                                                                       - 16 -
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