LE JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL - NATHALIE CLERK - DalSpace
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REPOR T | RAPPOR T LE JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL NATHALIE CLERK est historienne d’architecture à > N AT H A L I E C L E R K Parcs Canada. Elle a préparé des rapports sur une variété de sujets (paysages culturels, architecture religieuse et domestique, etc.) pour la Commission des lieux et monuments historiques du Canada et pour le Bureau d’examen des édifices fédéraux du patrimoine. E n décembre 2007, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada recommandait que le Jardin bota- nique de Montréal soit désigné lieu histori- que national pour les raisons suivantes : - l’étendue de ses collections et de ses installations, tels ses vingt-deux mille espèces et cultivars de plantes, ses dix grandes serres d’exposition, sa trentaine de jardins thématiques et son vaste arboretum, en fait un des plus importants jardins bota- niques au monde ; - dès la fondation du jardin en 1931, le frère Marie-Victorin, qui a été l’âme de cet ambitieux projet, et Henry Teuscher, l’architecte pay- sagiste qui en a dressé les plans et lui a donné ses grandes orienta- tions, ont voulu en faire un jar- din botanique idéal, ce qu’il est demeuré jusqu’à nos jours en raison de ses grandes qualités esthétiques, de sa vocation scientifique et de ses fonctions éducative et sociale ; - la richesse et la diversité de ses col- lections destinées à la recherche, à la conservation, à la présentation et à l’éducation mettent clairement en évidence la mission qui est particu- lière aux jardins botaniques. Le Jardin botanique de Montréal est un lieu d’exception qui se démarque tout particulièrement par son histoire, par les grandes qualités esthétiques de ses jardins ainsi que par la richesse et la di- versité de ses collections, dévolues à des fins de recherche, de conservation, de ILL. 1. LE JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL. LES JARDINS D’EXPOSITION CRÉÉS DÈS 1938 SELON UN PLAN DE L’ARCHITECTE PAYSAGISTE HENRY TEUSCHER. ON VOIT ICI LE JARDIN DES PLANTES VIVACES, LA PLUS ANCIENNE SECTION DES JARDINS D’EXPOSITION. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009 > 113-139 113
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT ILL. 2. L’EMPLACEMENT DU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL. | COMMUNAUTÉ URBAINE ILL. 3. L’EMPLACEMENT DES PRINCIPAUX JARDINS ET BÂTIMENTS SUR LE SITE DE MONTRÉAL, MAP ART. DU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL. | TIRÉ DE LA BROCHURE PRODUITE PAR LE JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL. présentation et d’éducation. Il a été dé- les réaménagements menés à l’entrée du en face du Parc olympique, présente la signé lieu d’importance historique natio- Jardin soient terminés. forme d’un quadrilatère de soixante-quin- nale en 2008. Le présent article reprend ze hectares (ill. 1 à 4). Avec ses vingt-deux essentiellement le rapport présenté aux DESCRIPTION DU LIEU mille espèces et cultivars3 de plantes, ses membres de la Commission des lieux et dix grandes serres d’exposition, sa trentai- monuments historiques du Canada en Fondé le 9 juin 1931, le Jardin botanique ne de jardins thématiques (dont la rose- vue de l’évaluation du Jardin. On y pro- de Montréal est issu de la collaboration raie, le jardin de Chine, le jardin japonais pose une description du lieu ainsi qu’une entre le frère Marie-Victorin (PHN1, 1987), et le jardin des Premières-Nations) et son analyse de son importance historique et professeur et scientifique de grand renom vaste arboretum4, la propriété constitue de son intégrité. Le Jardin botanique de qui a initié et mené cet ambitieux projet, un impressionnant îlot de verdure au sein Montréal est ensuite comparé à d’autres et Henry Teuscher, horticulteur, botanis- de la ville et l’un des principaux jardins jardins afin de bien faire ressortir ses ca- te et architecte paysagiste qui en est le botaniques au monde. Ses collections do- ractéristiques spécifiques. Mentionnons concepteur et en a dressé les plans 2. Ce cumentées de plantes vivantes servent à que ce rapport a été préparé avant que vaste jardin, situé dans l’est de Montréal des fins de recherche, de conservation, de 114 JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT ILL. 4. UNE VUE AÉRIENNE DATANT DU MILIEU DES ANNÉES 1990, MONTRANT LA PORTION ILL. 5. LE PAVILLON ADMINISTRATIF (1932-1938, LUCIEN KÉROACK, ARCHITECTE) DU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL COMPRISE ENTRE LA RUE SHERBROOKE ET UNE PARTIE DU JARDIN D’ACCUEIL AVEC SES BASSINS (1938). | NATHALIE CLERK, ET LE BOULEVARD PIE IX. | PIERRE LAHOUD. PARCS CANADA, 2006. présentation et d’éducation, témoignant Sherbrooke. Un chemin bordé d’arbres en sur les grands phénomènes associés aux ainsi du mandat scientifique et pédagogi- forme de boucle part des jardins d’accueil plantes et abrite une collection de mono- que propre aux jardins botaniques. et du pavillon administratif et permet de cotylédones (palmiers, bananiers et bam- parcourir le Jardin jusqu’à son extrémité bous). La salle Chlorophylle, destinée aux L’AMÉNAGEMENT GÉNÉRAL nord et de revenir vers l’entrée de la rue enfants, est jointe à cette serre centrale. Sherbrooke. La serre d’accueil est encadrée de part et Ce jardin botanique est constitué d’un d’autre par des serres qui ont chacune ensemble diversifié de jardins – aux sty- Les jardins d’accueil, le pavillon leur spécialité : serre des forêts tropica- les et aux tracés variés, dont le caractère administratif et les serres les humides, serre des plantes tropicales est tant formel que pittoresque – harmo- économiques, serre des orchidées et des nieusement interreliés par un réseau de Après avoir franchi l’entrée sud-ouest du aracées, serre des fougères, serre des chemins et de sentiers. La vaste propriété Jardin, le visiteur parcourt d’abord les jar- bégonias et des gesnériacées, serre des de forme rectangulaire peut être sommai- dins d’accueil (1938) – des jardins formels régions arides, hacienda, jardin céleste et rement découpée en quatre grands sec- aménagés à la française comptant selon grande serre d’exposition. Cette dernière teurs : d’abord les jardins d’accueil mènent les saisons des plantes bulbeuses et des grande serre abrite différentes expositions vers le pavillon administratif et les serres ; annuelles – entrecoupés de trois voies, et activités en fonction des saisons : fête le secteur ouest, qui longe le boulevard dont celle du centre mène au pavillon du printemps, bal des citrouilles, papillons Pie IX, présente des jardins d’apparence administratif (1932-1938) (ill. 5). Ce long en liberté, etc. Adossée au côté ouest du formelle ; la partie centrale entrecoupée bâtiment de brique et de pierre calcaire, pavillon administratif, la cour des sens d’avenues et de petits sentiers où les de styles Beaux-Arts et Art déco, se pro- est un petit jardin destiné aux personnes différents aménagements se succèdent longe à l’arrière par le complexe d’accueil, aveugles. Derrière ces serres, se trouvent de façon plus pittoresque jusqu’à l’arbo- destiné à recevoir les visiteurs. Dix serres les serres de service et les pépinières aux- retum ; enfin, le côté est constitue une d’exposition, dont la construction a été quelles le public n’a pas accès. étroite bande de verdure ponctuée de entreprise en 1956, sont regroupées der- divers jardins longeant le parc Maison- rière le complexe d’accueil (ill. 6). Quelque Le côté ouest du Jardin botanique neuve. Le public a accès au site par trois trente-six mille plantes et arbres exoti- entrées du côté de la rue Sherbrooke. Il ques, répartis en douze mille espèces et Les jardins d’exposition (1938) s’étendent y a aussi une entrée du côté du boule- variétés, en provenance de régions équa- en une étroite bande le long du boule- vard Rosemont. Deux entrées de service toriales ou tropicales, y sont présentés. vard Pie IX, à partir de l’édifice qui abrite sont situées sur Pie IX et une autre sur La serre d’accueil fournit des explications le restaurant (1956) jusqu’aux jardins des- JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009 115
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT ILL. 6. L’UNE DES SERRES D’EXPOSITION, DONT LA CONSTRUCTION A ÉTÉ ENTREPRISE ILL. 8. LES JARDINS AMÉNAGÉS PAR LES JEUNES, DONT LE BUT EST DE LEUR FAIRE EN 1956. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. DÉCOUVRIR L’HORTICULTURE. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 7. UN APERÇU DES JARDINS D’EXPOSITION (1938). | PIERRE LAHOUD 2004 ; NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. tinés aux jeunes. Les jardins d’exposition du monastère, le coin du Québec, les jar- qui servent à produire les fleurs utilisées regroupent une dizaine de différents pe- dins de ville, le jardin des nouveautés, le par la Ville de Montréal. tits jardins, ordonnés de façon rigoureuse jardin des plantes vivaces et le jardin des et formelle, que séparent des murets, des plantes économiques (ill. 7). Des jardins La portion centrale marches ou encore des tonnelles, dont la aménagés par des jeunes se trouvent à du Jardin botanique vocation est à la fois esthétique et pé- l’extrémité nord des jardins d’exposition, dagogique : on trouve ici le jardin des dans un cadre champêtre (ill. 8). À l’ex- Dans la portion centrale du Jardin s’amor- arbustes, le jardin des plantes toxiques, trémité nord, se trouvent aussi les serres ce la visite des grands jardins thémati- le jardin des plantes médicinales, le jardin Louis-Dupire, non accessibles au public, et ques, reliés par un réseau de sentiers 116 JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT ILL. 9. LA ROSERAIE REGROUPE QUELQUE 10 000 ROSIERS, DONT CERTAINES VARIÉTÉS ILL. 10. LE JARDIN AQUATIQUE (1938). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. TRÈS ANCIENNES. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 11. LE JARDIN DE CHINE, LE « JARDIN DU LAC DE RÊVE » (1991). | PIERRE LAHOUD ; NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006 ; GUILLAUME ST-JEAN, 2009. et de petits chemins. Le premier jardin À gauche du Jardin aquatique et de la Au nord du jardin aquatique, le jardin ja- rencontré par le visiteur du côté est de roseraie, le jardin de Chine (1991), nommé ponais (1988) présente un aménagement cette portion du site est l’immense ro- le « jardin du lac de rêve », est inspiré des naturaliste où l’eau et la pierre symbolisent seraie (1976) dont l’entrée est protégée anciens jardins de l’époque Ming : c’est un respectivement le calme et la continuité, la par un imposant lion de pierre, offert par jardin de deux hectares et demi sans pe- longévité et les forces de la nature (ill. 12). la ville de Lyon à l’occasion du trois cent louse, doté de plantes, de plans d’eau et Les plantes ainsi que l’eau et la pierre s’y cinquantième anniversaire de Montréal de sept pavillons traditionnels, jouant sur conjuguent pour exprimer la paix intérieu- (ill. 9). Cette roseraie d’une superficie de les contrastes du yin et du yang (ill. 11). re, une valeur traditionnelle des Japonais. six hectares regroupe quelque dix mille L’accès à ce jardin se fait par la cour d’en- Les plantes ont été choisies pour assurer rosiers, dont neuf cents variétés de roses trée gardée par deux lions de pierre et do- une succession de floraisons et ainsi ex- anciennes. Elle est constituée de plates- tée de nombreux éléments symboliques. primer une vision idéale de la nature. La bandes aux formes sinueuses, entre les- La porte en forme de lune mène vers le cour du pavillon japonais abrite des bon- quelles sont intercalés arbres et arbustes pavillon de l’amitié, puis à la cour du prin- saïs et un jardin zen. Des petits ponts, des ornementaux. Suit le jardin aquatique temps où se trouvent des penjings (arbres carpes Koï – considérées comme des fleurs (1938) dont les bassins surélevés abritent miniatures) et au pavillon des lotus avec vivantes –, une lanterne kukimi-gata ou des plantes aquatiques et des plantes de son plan d’eau où poussent des centaines lanterne de neige – plus haute que les milieux humides du Québec et de régions de lotus. Une petite montagne de pierre autres pour dépasser de la neige en hi- tropicales (ill. 10). s’élève au pied du lac de rêve. ver – complètent ce paysage. JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009 117
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT ILL. 12. LA COUR DU PAVILLON DU JARDIN JAPONAIS AVEC SES BONSAÏS (1988). | NATHALIE ILL. 13. LE JARDIN ALPIN (1937, COMPLÉTÉ EN 1962). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 14. LE JARDIN DES LILAS (ANNÉES 1930). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 15. LE RUISSEAU FLEURI (1976). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 16. LE SECTEUR DES ÉTANGS (AMORCÉ EN 1936). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 17. LE JARDIN DES PREMIÈRES-NATIONS (2001). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. 118 JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT ILL. 18. L’ARBORETUM AMORCÉ DANS LES ANNÉES 1940 ET DÉVELOPPÉ VERS LE NORD ILL. 19. LA FORÊT DES MONTRÉAL DE FRANCE (1992). | GUILLAUME ST-JEAN, 2009. À COMPTER DES ANNÉES 1960. | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. Le jardin alpin (1937, complété en 1962), de l’arboretum et protégé par des conifè- d’évaluation de l’importance historique situé à côté du jardin de Chine, présente res, le jardin Leslie-Hancock (1976) com- nationale de la Commission des lieux et la flore qui est particulière à onze régions prend une impressionnante collection monuments historiques du Canada, afin montagneuses du globe (ill. 13). Ce jardin d’éricacées (rhododendrons, bruyères, d’évaluer si ce lieu « illustre une réalisa- se développe autour d’un grand massif azalées, etc.). tion exceptionnelle par sa conception et rocheux et d’une chute d’eau et toutes les son élaboration, sa technologie ou son plantes qui y sont présentées peuvent vi- Le côté est du Jardin botanique aménagement, ou représente une pério- vre à plus de mille mètres d’altitude. Sui- de importante de l’évolution du Canada », vent les pittoresques secteurs du jardin Le long du parc Maisonneuve, le visiteur et selon le critère 1 c) afin de déterminer des lilas (années 1930) (ill. 14) et du ruis- découvre d’abord la forêt des Montréal de s’il « est surtout associé d’une manière évi- seau fleuri (1976) (ill. 15), puis la section France (1992), un petit boisé constitué de dente et importante à une ou plusieurs plus romantique des étangs (années 1930) vingt-trois espèces d’arbres, provenant de personnes considérées d’importance his- (ill. 16). Non loin des étangs, le jardin six villes françaises qui s’appellent « Mon- torique nationale ». des Premières-Nations (2001) reproduit tréal », et qui ont été données à l’occasion les trois grands écosystèmes des Premiè- du trois cent cinquantième anniversaire La Commission adoptait en 1994 des li- res Nations (forêt de conifères, forêt de de Montréal (ill. 19). La visite se poursuit gnes directrices pour évaluer l’importan- feuillus et zone nordique) et présente par le jardin du Sous-bois (1960) avec ses ce nationale des parcs et des jardins. Le certaines des connaissances et des acti- plantes (petits prêcheurs, sanguinaires, Jardin botanique de Montréal sera donc vités particulières aux Amérindiens et aux astilbes, géraniums vivaces, hostas) qui évalué plus spécifiquement en raison : Inuits, telles que la cueillette des plantes nécessitent peu de lumière (ill. 20). Enfin, alimentaires et médicinales, la culture des à l’extrémité nord-est du Jardin botani- - de l’excellence de ses qualités esthé- plantes alimentaires et l’utilisation du que se dresse la maison de l’arbre (1996), tiques (ligne directrice 1) ; bois et des arbres (ill. 17). L’arboretum un centre d’interprétation de l’arbre et du (amorcé dans les années 1940 ; développé bois qui comporte aussi une collection de - du caractère remarquable ou unique à compter de la fin des années 1960) oc- bonsaïs nord-américains (ill. 21). de son type et de ses styles qui cupe la moitié de la portion centrale du témoignent ainsi d’une période Jardin botanique. Environ neuf mille cinq ANALYSE DE L’IMPORTANCE importante de l’histoire du Canada ou cents spécimens d’arbres appartenant à HISTORIQUE DU LIEU de l’horticulture (ligne directrice 2) ; trois mille espèces y sont regroupés. Cha- que arbre est identifié et regroupé selon Le Jardin botanique de Montréal sera - de l’importance de l’influence qu’il sa famille et son genre (ill. 18). Au centre examiné selon le critère 1 a) des critères a exercée dans le temps ou sur un JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009 119
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT ILL. 20. LE JARDIN DU SOUS-BOIS (1960). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. ILL. 21. LA MAISON DE L’ARBRE (1996). | NATHALIE CLERK, PARCS CANADA, 2006. territoire donné, du fait de son ment celui-ci se situe en regard des lignes De même, dans l’Agenda international ancienneté, de son type, de son directrices de la Commission. pour la conservation dans les jardins bo- style (ligne directrice 4) ; taniques, l’organisme Botanic Gardens Définition des jardins botaniques Conservation International en fournit la - de la présence de spécimens horti- définition suivante : « un jardin botanique coles d’une rareté ou d’une valeur La majorité des spécialistes s’entendent est une institution possédant des collec- exceptionnelle (ligne directrice 5) ; pour dire que les véritables jardins bo- tions documentées de plantes cultivées taniques modernes desservent quatre pour la recherche scientifique, la conser- - des liens qui existent entre lui et grandes fonctions, à savoir la recher- vation, l’exposition et l’éducation »6. des personnages ou des événements che, la conservation, l’enseignement et historiques d’intérêt national (ligne l’information. Voici en quels termes le Ces jardins se démarquent des parcs et directrice 7) ; professeur Warren T. Byrd, directeur du des jardins d’exposition par la présence Département d’architecture du paysage à de collections de plantes ligneuses (des - de l’importance des architectes, des l’Université de Virginie à Charlottesville, arbres) ou herbacées servant à des fins dessinateurs ou des horticulteurs décrit ce type de jardin : de recherche et d’éducation7. Les plantes qui en ont conçu les plans (ligne vivantes présentées y sont documentées, directrice 8). The principal components of all botanic organisées et exposées en tenant compte gardens and arboreta are their living plant de certains critères tels que leur histoire, Dans cette section du rapport, nous dé- collections, which are arranged according to leur origine géographique, leurs diffé- finirons d’abord brièvement ce qu’est un some accepted system of classification with rentes utilités et leur évolution. Le jardin jardin botanique et verrons quelles sont appropriate labeling and documentation of botanique possède aussi habituellement les origines de ce type de paysage. Nous each plant’s history and origin. Historically un herbier et une bibliothèque spécialisée décrirons ensuite le contexte historique these collections are augmented by two dans les domaines de la botanique et de qui a favorisé la fondation d’un jardin bo- other primary facilities: a herbarium of dried l’horticulture. Les jardins botaniques sont tanique à Montréal dans les années 1930, labeled and curated plant specimens, and a classés en fonction du nombre, de la va- ainsi que les moments marquants qui ont library devoted to botanical and horticultural riété et de la diversité de leurs collections modelé son histoire et son évolution. Nous science. Added elements and functions may et de leurs plantations 8. Non seulement verrons brièvement de quelle façon ce jar- include greenhouses, propagation houses, les jardins botaniques exercent des fonc- din botanique se voulait un « jardin idéal » laboratories, conservatories, nurseries, tions d’ordre scientifique, social, éducatif, et comment il s’acquitte de ses différentes plants breeding quarters, specialty gardens, récréatif et culturel, mais, depuis les dix missions. Enfin, nous examinerons com- publication center and other ancillary places5. dernières années, ils sont aussi devenus 120 JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT des centres importants pour la conserva- Le premier jardin botanique canadien on en compterait une trentaine, la ma- tion de la biodiversité, en intégrant les vo- aurait été créé en 1836 dans les Jardins jorité d’entre eux étant associés à une lets développement et conservation9. On publics d’Halifax par la Halifax Horticul- université ou à des services municipaux y pratique toujours la botanique systéma- tural Society11. Ce jardin comprenait des ou gouvernementaux15. tique traditionnelle, c’est-à-dire la classifi- plates-bandes, des arbres, un ruisseau, cation et l’identification des plantes, mais des serres, une grange, une cour pour le L’histoire du Jardin botanique les préoccupations contemporaines pour tir à l’arc et une grotte. Acheté par la ville de Montréal l’environnement y ont favorisé la mise en d’Halifax en 1875 et combiné à un autre place d’études à caractère écologique, no- jardin, il deviendra plutôt un grand parc L’idée de créer un jardin botanique à tamment sur des espèces rares ou sur des d’esprit victorien : les Jardins botaniques Montréal est proposée à quelques repri- plantes en voie de disparition. royaux à Halifax (LHN12, 1983). Un premier ses au cours du dix-neuvième siècle, mais jardin botanique associé à une institution ne parvient à se concrétiser que dans les L’origine des jardins botaniques d’éducation est aménagé en 1861 par années 1930. Ainsi, en 1863 et en 1870, sir George Lawson de l’École de médecine du John William Dawson (PHN, 1943), géolo- Le Jardin botanique de Montréal s’inscrit Queen’s College (aujourd’hui l’Université gue et recteur de l’Université McGill, es- dans une longue et ancienne tradition. En Queen’s) à Kingston en Ontario, mais son saie en vain d’encourager cette institution effet, on peut faire remonter l’origine des existence est de courte durée puisqu’il à soutenir l’aménagement d’un jardin bo- jardins botaniques aux premiers jardins cesse d’exister dans les années 1870. tanique sur ses terrains ; ce jardin aurait d’herbes médicinales qu’aménageaient par ailleurs été associé à la Faculté des les médecins et les étudiants en méde- En 1886, l’adoption de la Loi sur les sta- sciences naturelles16. Un projet de jardin cine qui souhaitaient avoir accès à des tions agronomiques du ministère fédéral botanique et d’arboretum près du mont plantes dotées de propriétés médicinales de l’Agriculture entraîne la mise sur pied Royal est aussi mis de l’avant en 1873 par ou pharmaceutiques10. Par la suite, des d’un réseau de fermes expérimentales et la Montreal Horticultural Society, mais il jardins plus spécialisés sont créés à Pise de stations de recherche13. C’est ainsi que ne se réalise pas. Puis, en 1885, la Mon- (1543) et à Padoue (1545) en Italie pour la Ferme expérimentale centrale d’Ot- treal Botanical Garden Association lance permettre l’étude des particularités horti- tawa (LHN, 1997) voit le jour en 1886. l’idée d’un jardin botanique de soixante- coles et économiques des plantes. D’autres Dès 1887, on y aménage un arboretum quinze acres sur le mont Royal ; ce projet sont ensuite mis sur pied à Leipzig en Al- et semble-t-il un jardin botanique. Des ne voit cependant pas le jour en raison lemagne (1580), à Leyden en Hollande centres de recherche agricole sont par du manque d’appui politique. (1587) et à Montpellier en France (1593). la suite créés dans d’autres régions du Au cours des dix-septième et dix-huitième pays, mais surtout dans l’Ouest, afin Il faut attendre les années 1920-1930 pour siècles, plusieurs jardins sont ouverts pour de partager la recherche et de diffuser que le climat social et politique soit favo- permettre l’observation scientifique des auprès des fermiers et des jardiniers de rable à la création d’un jardin botanique nouvelles plantes rapportées en Europe nouvelles connaissances14. à Montréal. Il faut savoir qu’au Québec par des voyageurs. À titre d’exemple, on ces années sont marquées par un vérita- sait que le Royal Botanic Garden à Kew en Après celui de Kingston en 1861, un ble réveil scientifique initié en partie par Angleterre (1759) a été le premier jardin deuxième jardin botanique associé à une la Faculté des sciences de l’Université de botanique à cultiver le caoutchouc, la ba- université est créé en 1916 à l’Université Montréal17, où gravite le frère Marie-Vic- nane, le thé, l’ananas, le café et le cacao. de la Colombie-Britannique par le bota- torin (PHN, 1987) qui est alors en charge Les diverses possibilités que pouvait of- niste John Davidson. Le Jardin botanique de la Chaire de botanique de l’institution frir la culture de ces plantes intéressaient de Montréal est créé en 1931 et son amé- (ill. 22a). Celui-ci est d’ailleurs considéré particulièrement les gouvernements qui y nagement entrepris au cours des années comme « l’incarnation du mouvement voyaient certains avantages économiques. 1930. Les Jardins botaniques royaux (LHN, scientifique »18 qui est en voie de s’im- C’est ainsi que progressivement les jardins 1993) à Hamilton sont fondés à la fin des planter car, par ses travaux, ses écrits et botaniques ont été amenés à jouer un rôle années 1920, mais ne sont véritablement ses conférences, il va contribuer à donner important dans l’introduction de nouvel- aménagés qu’à compter de 1941. Plusieurs une plus grande visibilité et importance à les plantes, ainsi que dans l’expérimenta- jardins botaniques sont fondés après la ce qu’on appelle alors « les petites scien- tion et dans l’enseignement. Seconde Guerre mondiale. De nos jours, ces ». Le frère Marie-Victorin dénonce JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009 121
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT ILL. 22A. LE FRÈRE MARIE-VICTORIN (1885-1944). | JBM : QUATRE-TEMPS, VOL. 22, N o 2, 1998, P. 9. ILL. 22B. HENRY TEUSCHER (1891-1984). | JBM : QUATRE-TEMPS, VOL. 30, Nos 2-3, 2006, P. 20. l’inexistence d’une tradition scientifique comme Léon Trépanier et Camilien Hou- sont interrompus en 1933 en raison de la au Québec, la pénurie d’éducation et de22, faisant valoir que plusieurs grandes crise économique. de recherches scientifiques et l’absence villes du monde possèdent un tel jardin. Il d’une d’élite scientifique19. En 1923, il souligne les nombreux mérites que pour- Entre-temps, en 1932, sur la recomman- crée l’Institut botanique, qui regroupe rait présenter un jardin botanique pour dation du directeur du Jardin botanique des botanistes et dont la vocation est la Montréal, en particulier celui « de placer de New York, le frère Marie-Victorin a recherche, la constitution de collections et Montréal sur la carte des villes que l’on déjà choisi celui qui fera l’aménagement d’herbiers ainsi que la diffusion20. Cet Ins- peut visiter, où il y a quelque chose pour du Jardin de Montréal : il s’agit de Henry titut donnera naissance à la Société cana- l’œil et pour l’esprit »23. Il décrit les mérites Teuscher, biologiste, horticulteur et archi- dienne d’histoire naturelle, qui facilitera des jardins botaniques modernes, dont la tecte paysagiste expérimenté qui rêve de la fondation du Jardin botanique. mission est à la fois utilitaire, esthétique, créer un jardin botanique idéal (ill. 22b). scientifique et philanthropique. Dans une Ce dernier a étudié l’horticulture et l’ar- Le frère Marie-Victorin lance l’idée d’éta- entrevue accordée au Devoir, il affirme : chitecture de paysage en Allemagne et blir un jardin botanique à Montréal pour « Je reviens pénétré de la nécessité, pour travaille alors comme dendrologue (spé- une première fois en 1925 21, puis une une ville comme la nôtre et pour une uni- cialiste des arbres) au Jardin botanique de deuxième fois en 1929, après avoir par- versité comme celle de Montréal, d’avoir New York. À l’époque où Henry Teuscher ticipé au Congrès international de bota- un grand jardin botanique scientifique- étudie en Allemagne, il existe dans ce pays nique à Cape Town en Afrique du Sud. ment organisé24. » Et il en propose déjà un grand intérêt pour les parcs populai- Il a alors l’occasion de visiter différents l’emplacement : le côté nord-ouest du res à vocation utilitaire et pédagogique. jardins botaniques (notamment le Jardin grand parc Maisonneuve. Ce terrain offre On s’intéresse aussi à la création de nou- des Plantes à Paris, les jardins botaniques une grande variété de sols convenant à veaux jardins aménagés de manière plus de Kew, de Prague et de Cologne ainsi différents types de culture25. L’Association rigoureuse et ordonnée, selon des préoc- que l’Arnold Arboretum à Boston), de du Jardin botanique de Montréal est créée cupations d’ordre social et hygiénique27. rencontrer des botanistes de renom et de sous l’égide du frère Marie-Victorin et de Les mêmes idées circulent aux États-Unis découvrir la flore étrangère. À son retour, la Société canadienne d’histoire naturelle et influencent le projet de Jardin botani- il relance l’idée d’un jardin botanique, qui le 27 janvier 1930. Le maire de Montréal que de Montréal. Même si jusqu’en 1936 pourrait être comparable à celui de New Camilien Houde soutient le projet et l’em- le projet est à plusieurs fois menacé, le York, de Paris ou d’Édimbourg, et cette placement proposé au parc Maisonneuve frère Marie-Victorin et Henry Teuscher fois-ci le projet reçoit l’aval de la Société est accepté en 1931. Le 4 mars 1932, des lui donnent forme et élaborent l’aména- canadienne d’histoire naturelle. Dans un fonds sont octroyés pour entreprendre le gement des terrains dans un échange de discours, que reprend intégralement Le projet. Des travaux de canalisation et de correspondance assidu. Lorsque le projet Devoir, le frère Marie-Victorin cherche nivellement de même que la construction reprend finalement vie en 1936, le comité non seulement l’appui de ses concitoyens, d’une serre, d’une chaufferie et d’un petit exécutif de la Ville constitue la Commis- mais aussi celui de journalistes, tel Louis pavillon de pierre (Lucien F. Kéroack, ar- sion du Jardin botanique de Montréal et Dupire du Devoir, et d’hommes politiques chitecte) sont entrepris26. Mais les travaux nomme le frère Marie-Victorin directeur 122 JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT ILL. 23. UNE VUE AÉRIENNE DU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL EN 1938. | JARDIN BOTANIQUE ILL. 24. UNE VUE AÉRIENNE DU JARDIN BOTANIQUE DE MONTRÉAL EN 1948. | JBM : QUATRE- DE MONTRÉAL. TEMPS, VOL. 30, Nos 2-3, 2006, P. 13. scientifique et Henry Teuscher surinten- sont entrepris, comme l’aménagement l’avenir du Jardin botanique est encore dant et chef horticulteur. En 1937-1938, ce du jardin alpin, du jardin aquatique, de une fois menacé et des discussions avec le dernier prépare un plan qui précise dans l’entrée principale avec sa fontaine et ses gouvernement provincial et le ministère le détail le tracé des chemins et l’empla- cascades d’eau, des premiers jardins pour de la Défense, qui entend réquisitionner cement des jardins et des bâtiments (ill. 3 les écoliers et du terrain de jeux. le terrain, se poursuivent au cours de ces et 23). C’est ce plan, remis à jour en 1939, années. Au printemps 1942, la Ville de qui garantira la pérennité du Jardin, tout Même si les travaux sont loin d’être ter- Montréal en devient l’unique proprié- en lui permettant de se renouveler. minés, certaines sections du Jardin sont taire. À ce moment, dix des vingt-trois semble-t-il accessibles au public dès sections sont complétées (ill. 24). Plusieurs résolutions sont adoptées par 1936 29. Le personnel de l’Institut bota- la Ville pour permettre la réalisation du nique de l’Université de Montréal em- Le décès tragique du frère Marie-Victorin, Jardin botanique et le projet reçoit aussi ménage dans les nouveaux bureaux du à la suite d’un accident d’automobile sur- l’appui du premier ministre Maurice Du- pavillon administratif en 1939. Au même venu en 1944 alors qu’il revenait d’une ex- plessis. Bénéficiant du programme d’aide moment, la collection horticole du Jardin cursion d’herborisation, fait en sorte que aux chômeurs mis sur pied par le gouver- est vraiment entreprise et un programme le Jardin botanique connaît une période nement du Québec, Teuscher peut enga- d’activités éducatives est mis en place où, selon André Bouchard, « une grande ger deux mille hommes pour effectuer (grâce notamment à l’École d’apprentis- partie de son œuvre s’effrita. Plusieurs une grande partie des travaux manuels sage horticole qui forme des jardiniers des groupes et sociétés associés au Jardin dans le Jardin. Entre 1936 et 1939, on professionnels, aux jardinets d’écoliers et qui donnaient tout son dynamisme à peut ainsi mettre en place une pépinière et à l’École de l’éveil)30. Au moment où l’institution disparurent. Le Jardin botani- et des serres de service ; on aménage cer- éclate la Seconde Guerre mondiale, une que, parc d’expositions botaniques et hor- tains des jardins d’exposition et on pose grande partie du Jardin a déjà été aména- ticoles, a survécu grâce à la force du plan les clôtures28 ; on creuse aussi les étangs et gée au coût de onze millions de dollars31. de Teuscher, mais ne demeura pas le lieu on utilise la terre ainsi obtenue pour créer Le Jardin botanique ouvre véritablement de stimulation intellectuelle qu’il avait le remblai du côté du boulevard Pie IX. ses portes en 1939 et connaît très tôt un été33. » Les cercles des jeunes naturalistes Les mille plants d’arbres et d’arbustes grand succès : une première exposition et les jardinets d’écoliers, qui avaient été donnés par le Boyce Thompson Arbore- sur les chrysanthèmes attire plus de dix initiés par le frère Marie-Victorin, sont tum de New York sont enfin mis en terre. mille visiteurs en 1940. À cette époque, toutefois maintenus. Henry Teuscher est Une partie du pavillon administratif est on y reçoit parfois de quinze à vingt mille alors nommé conservateur et demeure complétée, les fondations des serres d’ex- visiteurs le dimanche et les écoliers y vont au Jardin jusqu’au moment de sa retraite position sont coulées et d’autres travaux la semaine32. Malgré cela, de 1939 à 1942, en 1962. Jacques Rousseau, botaniste et JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009 123
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT ethnologue réputé, en devient le direc- On accroît alors la superficie de certains qu’il considère avant tout comme « une teur de 1944 à 1956 et il contribue à son jardins et le nombre de spécimens aug- institution d’éducation », ainsi que la nou- rayonnement par ses publications et ses mente36. Certaines serres d’exposition et velle vocation sociale du jardin moderne, recherches34. Les premières serres d’expo- de service sont réaménagées, d’autres qui contraste avec celle des anciens jar- sition qui avaient été démantelées au dé- construites. Une grande serre d’exposi- dins, qui étaient plutôt réservés aux scien- but des années 1940 commencent à être tion est ainsi bâtie à l’extrémité ouest des tifiques. Pour lui, le jardin botanique doit reconstruites et certaines sont inaugurées serres d’exposition. Le complexe d’accueil évidemment être un centre de recherche, en 1956. Les années 1960 sont marquées est érigé pour recevoir des présentations mais il doit aussi aider « le citadin déraciné par un certain déclin dans les activités et sur les volets éducatif et scientifique du à retrouver ou à conserver le lien salutaire les projets. De grandes expositions flo- jardin. Le bâtiment administratif est ré- avec la nature dont, après tout, il fait par- rales y sont cependant montées dans la nové et on lui ajoute une annexe pour tie »39. Il recommande deux types d’aména- serre centrale. C’est même à cette époque accueillir les laboratoires de l’Institut de gement pour rapprocher le grand public qu’est agrandi l’arboretum ; on utilise à recherche en biologie végétale. Le Jardin de la nature et l’intéresser aux sciences : cet effet l’ancienne carrière au nord du s’implique également dans de nombreux le jardin où se trouvent la flore indigène site, ce qui permet de prolonger le Jardin projets comme la promotion en 1977 du ainsi que quelques types de végétation jusqu’au boulevard Rosemont. parc écologique de Saraguay (une forêt si- exotique et les jardins floraux (regroupant tuée au nord de Montréal) et les Floralies notamment des plantes vivaces, annuelles Il faut attendre les années 1970 marquées internationales de 1980, qui marquent une et aquatiques, une rocaille, un arboretum, par une conjoncture économique favo- ouverture sur le monde. C’est aussi au cours un jardin médicinal avec des plantes mé- rable et l’apparition des préoccupations de ces années qu’apparaissent de nouveaux dicinales utilisées par les Amérindiens et environnementales pour que le Jardin aménagements : le ruisseau fleuri (1976), la un jardin économique 40). Comme autres botanique de Montréal s’épanouisse à roseraie (1976), les jardins du Japon (1988) possibilités de jardins, il propose un jardin nouveau, tout en demeurant dans la et de Chine (1991). Même après le départ de rhododendrons et d’azalées, un jardin continuité de la vision mise de l’avant par de Pierre Bourque en 1993, cette tendance oriental et un jardin anglais ; tous ces amé- ses fondateurs. Avec l’arrivée de Pierre se poursuit avec la maison de l’arbre (1996), nagements verront le jour au cours des Bourque à titre de responsable des jardins la cour des sens (1999) et le jardin des Pre- années 1970 à 1990. Pour Henry Teuscher, extérieures dans les années 1970 et de di- mières-Nations (2001). Tous ces nouveaux les possibilités offertes par les différents recteur en 1980, les activités scientifiques projets et ces installations permettent au types de jardins sont nombreuses et il est et culturelles reprennent, redonnant tout Jardin botanique de Montréal d’avoir un important de savoir se renouveler. Il pré- son dynamisme à l’institution : travaux de plus grand rayonnement et d’acquérir une voit aussi une section destinée aux jardins recherches dont les résultats sont publiés, réputation internationale. des enfants, comme on en trouve alors constitution de collections et d’inventai- au jardin de Brooklyn ; mais, selon lui, ces res, activités de vulgarisation, fondation Le Jardin botanique de Montréal : jardins doivent être assez à l’écart pour de la Société d’animation du Jardin et de un jardin botanique « idéal » ne pas déranger les autres activités qui se l’Institut botanique – qui permet à ses déroulent sur le site. Dans ce texte, il s’in- membres d’approfondir leurs connais- Le frère Marie-Victorin a dès l’origine une téresse aussi à l’aménagement physique sances en botanique et en horticulture vision précise de ce qui définit un jardin des lieux : présence d’avenues bordées notamment par la publication d’une re- botanique moderne, lequel doit se distin- d’arbres, d’un restaurant, de terrains de vue de vulgarisation scientifique –, créa- guer des jardins ordinaires par sa beauté, jeux et d’aires de pique-nique. Il prépare tion de la nouvelle école d’horticulture son organisation et son utilité37. Il perçoit un premier plan très détaillé du Jardin bo- Louis-Riel, en collaboration avec la Ville le côté esthétique particulier à ce type tanique de Montréal dès 1937-1938. À cet et la Commission des écoles catholiques de jardin comme une façon de piquer la égard, le Jardin botanique de Montréal de Montréal, et fondation de l’Institut de curiosité du public et de susciter l’intérêt serait l’un des seuls à avoir été entrepris recherche en biologie végétale. En outre, pour les sciences. Henry Teuscher partage dès le départ avec un tel plan41. une plus grande coopération se dévelop- la même vision. Déjà en 1933, celui-ci ré- pe avec l’Université de Montréal et on as- dige un texte intitulé « Programme d’un Cette vision orientée par des considé- siste à la mise sur pied d’un programme jardin botanique idéal »38, où il souligne rations d’ordres social, pédagogique et de formation et de diverses sociétés35. l’importance pédagogique d’un tel lieu, scientifique se poursuit avec Jacques Rous- 124 JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009
NATHALIE CLERK > REPORT | RAPPORT seau qui prend la relève à la suite du décès delà de neuf cent mille spécimens repré- que, une oasis de beauté et de fraîcheur, du frère Marie-Victorin. Par ailleurs, avec sentant quatre-vingt-dix-neuf pour-cent mais surtout d’éducation pour le peuple l’arrivée de Pierre Bourque dans les années de la flore du Québec. Les collections du et pour l’enfant » 48 . Dès 1938, il fonde 1970, les activités à caractère pédagogi- Jardin sont toujours enrichies par les ré- l’École d’apprentissage horticole et ré- que, tout en s’inscrivant dans la continui- coltes effectuées par les botanistes lors serve une section du Jardin à des jardinets té des idées mises de l’avant par Henry d’expéditions de recherche et grâce aux destinés aux jeunes écoliers. Puis, en 1939, Teuscher, sont renforcées, en favorisant la échanges avec d’autres institutions. On y il y installe l’École de l’éveil, fondée par sa création de jardins qui mettent en vedette trouve actuellement plus de vingt-deux collègue Marcelle Gauvreau, dans le but un type de plantes (comme la roseraie) ou mille espèces et cultivars de plantes prove- de permettre aux jeunes citadins de dé- des jardins thématiques (comme le jardin nant de différentes régions du monde. couvrir la nature. En 1943, peu de temps de Chine ou le jardin japonais que men- avant sa mort, il entreprend un projet tionnait déjà Teuscher en 1933). Tout ce patrimoine végétal est essentiel d’association entre le Jardin et l’Institut à la recherche menée par l’Institut de botanique de l’Université de Montréal. Le jardin botanique de Montréal : recherche en biologie végétale, orga- ses missions42 nisme affilié à la Ville de Montréal et à Cette vocation pédagogique se perpétue l’Université de Montréal45. La recherche de nos jours par des programmes destinés Nous verrons ici brièvement comment ce se fait sous l’égide de cet Institut qui re- au grand public, dont diverses activités Jardin botanique s’acquitte de ses gran- groupe des professeurs du Département de vulgarisation scientifique et d’anima- des missions, soit la recherche scientifique des sciences biologiques de l’Université tion dans les domaines de l’horticulture, et la conservation, l’exposition et l’éduca- de Montréal et des botanistes du jardin. de la botanique et des sciences naturel- tion, lesquelles ont orienté le développe- Créé en 1990, cet Institut origine en fait les : visites guidées, ventes de plantes, ment de ce lieu depuis ses tout débuts et de l’Institut botanique qui avait été fondé expositions thématiques et didactiques, lui ont donné ses caractéristiques actuel- en 1923 par le frère Marie-Victorin ; l’as- événements spéciaux pour faire décou- les, tout en contribuant à son essor et à sociation avec l’Université de Montréal vrir de nouvelles cultures aux visiteurs, en faire un grand jardin botanique. remonte également au tout début de la renseignements horticoles, ateliers et création du Jardin. L’Institut de recherche cours d’horticulture, publications de vul- La recherche scientifique en biologie végétale se consacre surtout garisation, dont la revue Quatre-Temps, et la conservation à la biologie moléculaire, à la biodiversité et l’accès à une bibliothèque spécialisée. et à l’écologie46. Il a acquis une réputation Il existe aussi toute une gamme d’activi- Depuis sa fondation en 1931, le Jardin de chef de file mondial dans la recherche tés destinées spécifiquement aux jeunes : botanique de Montréal joue un rôle sur la diversité de la vie végétale 47. Les camps de jour, jardins-jeunes, visites pour dans l’avancement de la recherche en chercheurs de l’Université de Montréal la clientèle scolaire, site Internet, etc. Une botanique et est un important centre de mènent surtout des recherches dans des salle adjacente aux serres leur est même référence en horticulture tant à l’échelle disciplines comme la génétique, la biochi- réservée, la salle Chlorophylle. Dans le nationale qu’internationale 43. Les collec- mie des plantes ou la biologie molécu- Jardin même, des panneaux informatifs tions commencent très tôt à y être orga- laire. Ceux du Jardin orientent davantage renseignent le visiteur sur l’histoire, l’évo- nisées. Des dons de semences arrivent dès leurs recherches vers les besoins du Jar- lution et les qualités horticoles de chaque 1936 de Chine, des États-Unis, d’Écosse, de din ; ils assurent la gestion des collections jardin. Les plantes et les arbres y sont aussi France, etc. ; à cette même époque Henry de végétaux et sont responsables des in- identifiés. Les espèces rares ou menacées Teuscher et le frère Marie-Victorin entre- ventaires et des répertoires. y sont signalées. Une simple promenade prennent des excursions d’herborisation dans ce Jardin est donc une occasion de au Québec et au Nouveau-Brunswick. En L’exposition et l’éducation dépaysement, mais aussi de multiples 1937, le registre du jardin compte déjà découvertes, occasionnées tant par la douze mille lots de plants 44 . Présente- Dès le début, le frère Marie-Victorin ac- présence de la flore du Québec et du Ca- ment, le Jardin compte une collection de corde une grande importance à la voca- nada que par celle de régions exotiques semences classifiées selon les normes des tion éducative du Jardin, qu’il considère et lointaines. Par ailleurs, de nombreuses grands instituts botaniques. Il abrite aussi comme essentielle. Il écrit en 1937 dans Le sociétés, fondations ou écoles s’intéres- l’Herbier Marie-Victorin qui compte au- Devoir qu’il est « une institution scientifi- sant à l’horticulture, à la botanique ou JSSAC | JSÉAC 34 > N o 2 > 2009 125
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