Genève et Savoie : une histoire, une frontière
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TOPO Genève et Savoie : une histoire, une frontière La loi suisse et la convention franco-suisse imposent une libre circulation dans une zone de deux mètres autour des bornes. On voit que celles-ci servent parfois à des usages inattendus Cliché © J. P. Wisard – État de Genève. 32 Géomatique Expert - N° 62 - Avril-Mai 2008
Le canton de Genève, « excroissance » su- isse en France, possède plus de 100 km de frontières avec l’Hexagone contre quatre seulement avec le canton de Vaud, unique lien qui le rattache au reste de la Con- fédération. L’Histoire a décidé du sort de la ville et des territoires qui l’environnent, les géomètres l’ont inscrit et l’inscrivent toujo- urs dans le marbre des bornes frontières. Petite promenade entre Gaule et Helvétie, Fac-Similé moderne d’une borne de 1816. Cette date marque la première campagne entre l’ancien et le moderne. d’abornement sérieux entre le canton de Genève et ses riverains (la France et la Savoie). F ranchir pour la première fois Cette autonomie politique gagnée dans le cas du canton de Genève, la frontière entre France au fil du temps se matérialise dans où aucune limite ni orographi- (Haute-Savoie ou Ain) et l’espace géographique par des que ni hydrographique nette ne le canton de Genève, en Suisse, limites que les fortunes de l’his- sert d’appui à la délimitation) ne reste une expérience intimi- toire et les diplomates ont fixées voient souvent de part et d’autre dante pour celui qui n’en a pas – souvent arbitrairement et au qu’une étendue ininterrompue l’habitude, petit ou grand. Une mépris des populations – à son d’un paysage identique. fois passé les formalités parfois étendue. Les traités internationaux vexatoires de la douane, qui transcrivent sur des documents Il faut donc recourir à des pierres persiste malgré les nombreux ces ukases gouvernementales, et, pour sceller aux yeux de tous traités libéralisant les échanges, une fois dûment ratifiés, eux seuls ce que les politiques ont décidé. l’« autre côté » semble identique, possèdent la valeur juridique et Ailleurs, ces pierres vont jusqu’à mais, en même temps, subtilement engagent les nations qui les signent. former des murs qui coupent la décalé. L’automobiliste note en Mais ces frontières d’encres et de vue et entravent les mouvements. premier que la symbologie des papiers ne s’imposent guère aux Entre France et Suisse, dans un fléchages et des panneaux change, riverains qui (particulièrement contexte moins crispé – du moins que les feux arborent un énigma- tique « rouge-orange » avant de passer au vert, que les plaques d’immatriculation portent un GE accompagné d’un écusson ; à la station service, il devra de nouveau payer en francs, monnaie disparue depuis sept ans déjà de du paysage Hexagonal. Plus on se familiarise avec le décor suisse et ses habitants, plus les détails se font jour, mais, simultanément, moins on y accorde d’attention. Il s’en faut de peu pour ne pas se surprendre à penser que Genève pourrait être un petit bout de France qui aurait réussi à arracher son autonomie politique vis-à-vis du pouvoir central, pour la confier La douane de Moellesullaz (notez l’orthographe suisse : Moillesullaz) sépare Gaillard de dans les mains d’une autre capitale Chêne-Bourg. Ces constructions modernes représentent à peu près tout ce que les frontaliers bien moins centralisatrice. connaissent de la limite franco-suisse. Géomatique Expert - N° 62 - Avril-Mai 2008 33
des murs ceints de fils barbelés, en 1536. La ville se proclame alors ici la tâche de borner la frontière république libre et protestante, et revient aux « délégués permanents le restera jusqu’à la Révolution. à l’abornement de la frontière », Les possessions genevoises se divi- c’est-à-dire, en Suisse, aux géomè- sent en cinq morceaux distincts : tres cantonaux territorialement Genève ville, à l’ouest une zone compétents. Satigny-Chancy, Gy-Jussy à l’est, Genthod et Céligny sur la rive nord du lac. En 1754, un premier Genève, histoire traité signé à Turin entre la répu- blique de Genève et la Savoie et paradoxe opère des échanges de terrains destinés à remembrer une situa- L’histoire de Genève remonte à la tion foncière devenue extrême- nuit des temps, mais il faut atten- ment complexe. Environ 40 ans dre les Romains (-120 av. JC) pour après, la France annexe le secteur avoir une trace certaine d’une et fait de Genève le chef-lieu du occupation à l’extrême ouest du lac département du Léman. En 1815, Léman. Une fois l’empire romain avec les traités de Paris puis de effondré, les Burgondes s’installent Vienne qui partagent l’Europe dans la zone, puis, à partir du Haut suite à la défaite de Napoléon, le Les anciennes bornes de 1818 portent Moyen-Âge (1030), la ville tombe canton voit le jour et demande son encore la Fleur de lys pour symboliser la sous l’autorité des évêques du lieu rattachement à la Suisse. La situa- France. Malgré le changement de régime politique, certaines de ces bornes ont (la clef de Saint-Pierre des armoi- tion pose problème : un territoire perduré, aucune volonté politique n’ayant ries municipales évoque cette morcelé, sans connexion avec jugé bon de les remplacer par des pierres période), qui possèdent également le reste de la Suisse. On décide portant des blasons plus modernes. des « mandements », sorte de de créer des bandes de terre territoires annexes, çà et là alen- reliant les différents morceaux actuellement –, des jalons occa- tour. Des terres appartenant aux (sauf Céligny, déjà enclavé dans sionnels suffisent, l’on réserve les comtes de Savoie séparent ces le canton de Vaud). Cependant, contrôles plus sérieux à quelques pièces de territoire sous autorité soucieuse d’assurer son autono- grands axes de communication où épiscopale. mie alimentaire, Genève réclamera transitent les frontaliers pressés et obtiendra plus que ces simples et les camions de livraison. Si les La Réforme (Calvin résidait à « servitudes de passages ». Afin militaires s’occupent souvent de la Genève) marque la fin de la d’assurer la connexité avec le reste construction et de la surveillance période d’administration cléricale de la Suisse, la France, proprié- taire du pays de Gex, cèdera la commune de Versoix, sur la rive nord du lac Léman. Seule la ville de Saint-Julien-en-Genevois, d’abord rattaché au canton, se verra rétrocédée en 1816 au royaume de Piémont-Sardaigne (auquel appartient alors, pour encore quarante ans, la Savoie), ce dernier jugeant stratégique la route reliant le Châblais au Vuache (car praticable toute l’année) qui la traverse. Cette frontière de 1816 ne chan- gera pas par la suite. Du moins grosso modo. Il en résulte un parti- cularisme géographique unique : Genève, petit canton de 283 km², possède 110 km de frontière avec Sur cette carte, figuration au milieu du Léman de la frontière « naturelle » (en rouge), c’est-à-dire le milieu du lac, et de la frontière politique, en bleu, résultant de la définition la France… et quatre seulement d’une polyligne approximant la frontière naturelle. avec son homologue Vaud, quatre 34 Géomatique Expert - N° 62 - Avril-Mai 2008
kilomètres qui l’attachent au reste l’émergence de la frontière franco- de l’Helvétie. Un cas qui rappelle genevoise. Tout au long de son celui de Givet, dans l’Aisne 1. parcours terrestre, la séparation serpente soit le long de cours d’eau (parfois elle passe au milieu Une frontière qui de ceux-ci, parfois, comme dans le cas du Foron entièrement fran- tombe à l’eau çais 2, elle en longe la berge), soit s’aligne sur des parcours géomé- S’il faut parler de frontière, autant triques complexes qui requièrent commencer par la délimitation aux hommes de terrain en charge la plus abstraite, qui ne saurait de sa matérialisation des mesures se matérialiser dans les pierres délicates de distances et d’angles. et les chevilles des géomètres : Cette complexité et l’habileté la frontière lacustre. Genève nécessaire à la reconnaissance du possède en effet quelques kilo- terrain expliquent que ce travail mètres du lac Léman qui jouxtent éminemment politique revienne la rive française. Un document naturellement aux géomètres. confidentiel du gouvernement suisse, daté de 1913, urge les cantons riverains du lac de préci- Taxinomie ser les limites d’État. En effet, si un traité datant du 30 octobre des bornes 1564, conclu entre la Savoie et La borne n° 1-5, en berge de Rhône, marque la France (alors propriétaire de La frontière, objet politique imma- le point le plus occidental de la Suisse. quelques communes sur la rive tériel du bon vouloir ou des nord du lac), indique que la ligne rapports de force entre États, de démarcation passe par le milieu malgré son apparente stabilité, géographique du lac, en revanche, reste potentiellement un objet aucune stipulation n’étend cette mobile. Les bornes, incisées par les définition aux chevauchements tailleurs de pierres, et scrupuleu- Genève/France ou Vaud/France, sement placées par les géomètres ce qui se traduit par des conflits cadastraux (en Suisse, on parle de potentiels en terme de pêche. Le « mensuration officielle ») n’ont contexte politique retardera la rien d’éternel, soit que les États résolution de cette question, qui revoient leurs accords, soit que ne se réglera qu’en 1950 par la les bornes disparaissent naturel- définition d’une courbe polygonale lement (érosion) ou consécuti- de sept segments suivant du mieux vement à l’intervention humaine possible le milieu géographique (travaux, canalisation de cours du lac. Le traité correspondant d’eaux…). On comprendra dès entre en vigueur le 10 septembre lors que ces sentinelles pétrifiées 1957. Aucune bouée ne vient puissent arborer des millésimes matérialiser le tracé précis de différents selon leur position dans cette frontière aquatique, qui n’en l’espace. existe pas moins : illustration de la primauté du droit international sur Généralement, une borne frontière sa matérialisation. arbore quelques signes distinctifs La borne qui trône sur le « pont neuf », marquant l’entrée en Suisse de la R.N. qui la différentient d’une simple 5, porte toujours l’aigle sarde, sur fond Reprenons pied maintenant pierre ordinaire. Tout d’abord, y d’Hexagone. On a cru bon de rajouter le nom à Hermance, bourgade suisse figure un numéro d’ordre, sorte du pays pour ne pas prêter à confusion (le canton de Genève possède également une éponyme du ruisseau qui la borde de carte d’identité. Ses deux faces aigle dans son blason). Cliché © J. P. Wisard à l’est, cours d’eau qui marque portent des symboles renvoyant – État de Genève. 1. On notera une autre similitude entre les deux zones : à Givet, tout comme sur une partie de la frontière Genève-haute-Savoie, on quitte la France en allant vers l'ouest. 2. Le comte de Savoie, qui négocia le tracé de la frontière en 1815 au nom du royaume de Pémont-Sardaigne, alors “propriétaire” de la Savoie, argua que de nombreux moulins savoyards jalonnaient le cours du Foron, et qu'il jugeait nécessaire de garder la maîtrise de son eau. Genève lui accorda. Géomatique Expert - N° 62 - Avril-Mai 2008 35
nimité). Faute d’accord en la matière, quelques bornes portent une fleur de lys, souvenir des temps monarchiques dépourvu désormais de toute revendica- tion politique. D’autres arborent une aigle couronnée, renvoyant au symbole de la monarchie de Piémont-Sardaigne. Pour qui s’in- téresse à l’herméneutique des jalons frontaliers, il convient de se référer au millésime, qui indique clairement quels régimes exis- taient au temps de la pose. Complétude oblige, il faut égale- ment signaler la présence de bornes exotiques, dites indirec- tes, qui ne se situent pas sur la frontière, mais à proximité, et en indiquent le voisinage, par exemple La borne 62A (l’une des plus belles), sur la plate-forme douanière de Bardonnex, à même l’emprise autoroutière. On voit ici le côté suisse portant les armes de Genève. Cliché © J. dans le cas où celle-ci passe au P. Wisard – État de Genève. milieu d’un cours d’eau. Enfin, si la limite a la mauvaise grâce d’empié- au territoire (et non au régime plus ancienne borne en 1750. ter sur la chaussée, ou sur quelque politique) qu’elle délimite, de sorte Genève fut république puis canton endroit escarpé, on préfère la que ces symboles regardent vers suisse, sa voisine fut piémontaise, cheville, plus discrète, sur laquelle le « pays » qu’ils désignent. Son française, piémontaise de nouveau on peut marcher ou rouler, à la sommet, plat, reçoit normalement avant de redevenir française jusqu’à borne, plus encombrante 3. deux lignes, qui pointent chacune présent. Autant de régimes, autant dans la direction de la borne de pays, autant de symboles. Les précédente et suivante. Enfin, bornes les plus austères n’arbo- Échanges telle une bouteille de vin, un ou rent qu’une simple lettre, F, S ou plusieurs millésimes indiquent G sur chacune de leurs faces. Si Si le tracé de la démarcation l’année de pose initiale, et celle F pour France et G pour Genève franco-suisse n’a globalement pas des éventuelles rénovations ou ne posent aucun problème, S peut évolué depuis 1816, un examen révisions. indifféremment signifier Suisse plus minutieux montre au contraire ou Savoie (ou Sardaigne ?), donc que cette ligne politique n’a pas figurer soit côté français, soit côté cessé de bouger ; il ne s’agit plus helvète. Exceptionnellement, une de mouvements macroscopiques, borne porte les mentions RF et mais d’une sorte d’agitation brow- CS, en violation des usages admis. nienne essentiellement causée par Plus courant, le remplacement des l’activité humaine. Des aménage- lettres par des symboles graphi- ments, de l’urbanisme inattendu, ques ou hiéraldiques. Si l’écusson la canalisation d’un cours d’eau, du canton de Genève figure sur et voici les anciens repères effacés tous les documents officiels (aigle ou déplacés. Mais comme il s’agit sablée sur champ d’or à sénestre, de traités internationaux, ce que clef d’or sur champ de gueule le terrassier fait, le politique met La cheville en laiton remplace la borne là à destre, couronnée d’or aux souvent longtemps à l’entériner. où cette dernière gênerait la circulation : sur la chaussée, par exemple. Cliché © J. P. initiales grecques de Jésus : ΙΗΣ), Wisard – État de Genève. la République française manque La première rectification d’impor- quant à elle de véritable symbole tance que l’on pourrait évoquer Dans le cas qui nous intéresse, universellement reconnu (ou concerne l’aéroport de Genève, leg de l’Histoire, les symboles plutôt, elle en possède plusieurs, Cointrin. La piste originelle, foisonnent, depuis la pose de la mais aucun ne fait vraiment l’una- construite pendant l’Entre-deux- 3. Dans les zones montagneuses, on utilise également la peinture sur rocher. 36 Géomatique Expert - N° 62 - Avril-Mai 2008
guerres au gabarit des aéroplanes de l’époque, se révéla vite trop exiguë pour les avions moder- nes qui apparaissent dans les années 1950. Il faut alors songer à l’agrandir ; cependant, celle-ci bute déjà sur la frontière : la prolonger signifierait mordre sur les terres de Ferney qui, tous les amateurs de Voltaire le savent, se trouvent en France. Il n’y a pas d’autre solution que de procéder à un échange : l’Hexagone va concéder à la Suisse ces quelques arpents nécessaires à la modernité aéronautique, en vertu de quoi l’Helvétie rendra une surface strictement égale – selon l’usage du droit international, aucun État ne saurait perdre ou gagner en Plan d’ensemble de la rectification de frontière opérée afin de prolonger la piste de l’aéroport superficie lors d’un simple échange de Genève. Comme on le voit, l’ancienne piste se finissait précisément à la frontière. L’extension a donc exigé la cession par la France de la partie grisée en bas, la Suisse rendant amiable – quelques centaines de les deux parties grisées en haut. Au passage, le projet a régularisé le tracé dans deux autres mètres plus loin. Après des discus- zones annexes. Le hameau de la Limite, non figuré, a disparu suite à cet échange. sions au milieu des années 1950, l’accord se signe le 25 avril 1956 daire. Cependant, à partir des et entre en vigueur le 4 septem- années 1975, Genève et la France bre 1962. Les travaux, entamés envisagent de réaliser un échan- peu après, condamneront le petit geur autoroutier connectant la hameau français dit « la Limite » rocade genevoise avec l’autoroute avec son auberge du « Capucin A.40 à hauteur de la commune gourmand », que le bruit des de Bardonnex. Le tracé proposé, avions – déjà en 1950 – avait déjà qui nécessite la réalisation d’une rendu inhabitable 4. Surface totale nouvelle plate-forme douanière, affectée : 0, 8734 km², à rapporter sort de Suisse à hauteur de cette aux 283 km² totaux du canton. dernière avant d’y revenir briè- vement, un viaduc traversant La nécessité économique avait une sorte de pseudopode suisse rendu cet échange indispensable quelques dizaines de mètres au et urgent. Il n’en va pas de même sud de la future douane. Situation pour le second qui eut lieu il y a peu claire, on propose de rendre quelques années. Le village suisse à la France cette excroissance de Soral, à la frontière avec Saint- incongrue. Occasion rêvée de Julien-en-Genevois, souffrait d’un réaliser enfin l’échange de terrains tracé frontalier complexe « qui si attendu. serpentait dans les jardins et laissait à la France deux chemins Dès 1981, la commune de Soral de dévestiture utilisés essentielle- présente ses doléances ; il faudra ment par les habitants du village », deux ans pour que l’ensemble selon un document du cadastre de ses propriétaires fonciers Extrait d’un entrefilet de la Tribune de genevois. Ce dernier planche se mettent d’accord et approu- Genève commentant le projet d’échange à Cointrin. sur un réaménagement du tracé vent un nouveau tracé ; illusions dans cette zone dans les années déçues, car la commission mixte autoroutier, c’est-à-dire 1992. 50, jusqu’en 1969. En vain : le franco-suisse chargée de la muta- Entre-temps, coup de théâtre Conseil d’État, autorité exécutive tion décide d’ajourner les échan- côté français, le sous-préfet de du Canton, juge le dossier secon- ges à la mise en service du nœud Saint-Julien-en-Genevois, coordi- 4. La zone aéroportuaire genevoise, du fait de cet échange, comporte quelques particularités. Tout d'abord, la douane franco-suisse se trouve intégralement en territoire français ; en outre, une route neutre, hors douane, relie Ferney au secteur “français” de l'aéroport. On peut ainsi atterrir à Genève mais sortir en France sans voir un douanier suisse, situation réciproque de l'aéroport de Bâle-Mulhouse. Géomatique Expert - N° 62 - Avril-Mai 2008 37
cantonaux et départementaux effectuent des relevés sur les zones à échanger. Enfin, le 18 septembre 1996, les plénipotentiaires signent la convention d’échange définitive. Mais il faut attendre le 31 janvier 2000 pour l’échange final des « instruments de ratification », preuve de l’acceptation de la convention par chacune des deux parties. Le traité entre en vigueur un mois plus tard. Une fois les traités ratifiés, les géomètres se mettent de nouveau à l’ouvrage. Il ne s’agit plus mainte- nant de métrer rigoureusement les surfaces troquées, mais d’intégrer les parcelles qui changent de natio- nalité dans les registres cadastraux respectifs ! Les travaux d’aborne- L’échange de Bardonnex suite à la construction de l’autoroute entre Saint-Julien-en-Genevois ment cadastraux commencent en et l’aéroport Cointrin. Initialement, le projet routier quittait la France au niveau de la zone bleue, puis rerentrait en France avant de passer définitivement en Suisse. Cette situation septembre 2000, il se finissent à la ubuesque a donné lieu à une rectification. La Suisse a cédé la zone en bleu, en échange de fin de l’année et toutes les pièces la zone orangée. Comme on le voit, à l’extrême ouest de celle-ci, deux maisons du village intègrent le registre foncier au de Soral se trouvaient en France ! Surface échangée : 81 400 m². début de juillet 2001. Il aura fallu nateur français, jette l’éponge, les Il faut cinq années supplémentaires pas moins de cinquante ans à Soral communes de Saint-Julien et de de négociations pour aboutir à pour se trouver désenclavée, Viry s’opposant sur la superficie un consensus. En juin 1991, les grâce au passage providentiel d’un des terrains à céder à la Suisse en affaires étrangères suisses rédigent tronçon d’autoroute française en compensation de la parcelle de un projet de convention. Deux ans territoire suisse. 81 000 m² concédée par Genève. plus tard, les services cadastraux Le plus récent échange a eu lieu en des points disparates pour des raisons diverses. Par exemple, le nant de l’Ecra(z), qui sert de support à la frontière du côté du CERN, avait changé de cours suite au terrassement de la route D. 984 qui la borde côté français. Prenant acte de ce changement au bénéfice de la France, il a fallu procéder à une remise de terrain compensatoire en 2003 5. Rôle du géomètre cantonal : l’entretien Le rôle du géomètre dans les Document officiel de ratification de la convention d’échange de 2002. Par photocopie et photo interposées, l’ancien Président de la République vous salue ! Pour ceux que le texte intéresse, ajustements frontaliers, on l’a son intégralité se trouve sur les sites Internet de l’Assemblée nationale et du Sénat. vu, concerne toute l’élaboration 5. Seuls les changements artificiels nécessitent des échanges. Les transformations naturelles, dues à l'érosion, par exemple, ne donnent pas lieu à rectification, donc se font au détriment de l'un ou l'autre pays (principe dit de “frontière à l'instant de l'observation”. 38 Géomatique Expert - N° 62 - Avril-Mai 2008
des projets : négociation avec mais les tailleurs de pierre deviennent les communes et les propriétai- rares. Quelques bornes mesurent plus res, métrage et cartographie ; de deux mètres de haut : difficiles à il effectue également les opéra- déplacer en cas de besoin. Parfois, tions nécessitées par le mouve- les bornes endommagées se trouvent ment après coup : délimitation de en plein champ. Il faut alors négocier nouvelles parcelles, intégration avec les propriétaires un accès pour au registre foncier des terrains des engins lourds, attendre des condi- entrants, radiation des terrains tions météo propices pour intervenir sortants. Seule la phase déci- sans embourber les véhicules ; puis sionnaire lui échappe. Pour ainsi vient l’obstacle de la pose elle-même : La borne frontière n°65 millésime 2000 dire, le géomètre propose, les la pierre bouge, bascule, tourne sur matérialise le nouveau tracé au niveau de la parcelle cédée par la Suisse. On aperçoit en États disposent, le géomètre son socle, si bien que les lignes de fond la plate-forme douanière de Bardonnex. transpose. visée pointent dans le vide, etc., etc. Cliché © J. P. Wisard – État de Genève. Ces difficultés de terrain expliquent compte-rendu annuel, une commis- Ces échanges, quoiqu’assez que, dans les traités, « sont réservées sion mixte se réunissant tous les deux fréquents, ne donnent cependant les modifications de peu d’importance ans (la dernière a eu lieu à Genève en pas lieu à une intense efferves- qui peuvent résulter de l’aborne- 2006). La zone de fauche de quatre cence. Le quotidien de la frontière ment », c’est-à-dire les décalages mètres n’existe pas, certaines bornes demeure une tâche d’entretien. À inévitables de quelques centimètres. se repèrent difficilement. Problème ce sujet, une convention bipartite Au total, une intervention de ce de ressources, bien sûr, problème de de 1965 fixe les modalités d’entre- type se monte à environ 2000 CHF droit aussi, puisqu’il faudrait solliciter tien et d’abornement de la fron- minimum, soit 1300 euros environ. tous les propriétaires frontaliers ou tière. Elle nomme, pour chaque les exproprier de la bande corres- pays, un délégué permanent à Puis vient le problème des lais. La pondante. » l’abornement ; en Suisse, le statut convention prévoit explicitement confédéral impose un délégué l’entretien et le débroussaillement par canton. À Genève, la tâche d’une zone de deux mètres de part et Base de données échet au directeur du Service de d’autre de la limite. Cette disposition la mensuration officielle, actuelle- avait pour but de faciliter le chemine- et GPS ment Laurent Niggeler. « Ce travail, ment des douaniers qui assuraient la désormais assuré par une petite surveillance – et souvent également L’état des lieux dressé par le équipe, se révèle parfois plus ardu l’entretien régulier. Aujourd’hui, l’on service de la mensuration officielle qu’il n’y paraît. Il nous faut remplacer se borne – pour ainsi dire – à un du canton, ainsi que les mesures de certaines bornes en mauvais état, état des lieux qui donne lieu à un terrain et les abornements consé- Différentes fiches calques recensant les principales caractéristiques des bornes ainsi que leur position dans le système géodésique suisse. Géomatique Expert - N° 62 - Avril-Mai 2008 39
1919, lorsque le canton a décidé de procéder au relevé intégral de son cadastre. À la frontière, les appareils « modernes » de l’épo- que permirent d’atteindre environ 5 centimètres de précision. Pour compléter ce recensement des bornes, Jean-Paul Wisard, ancien délégué permanent à l’abor- nement, a procédé à une campa- gne photographique exhaustive de toutes les pierres, actuelles et anciennes. Avec parfois des surprises ou des trouvailles. Le tout a pris place dans une base de données qui recense donc à la fois les informations textuelles et les images. Faut-il remplacer la borne 62 dont le « S » Usage insolite de vielles bornes : elles servent pour Savoie semble avoir subi une inversion maintenant de linteaux à cette fenêtre ! (in ?)volontaire ? Cliché © J. P. Wisard – État Tout cela devrait évoluer. Dans le Cliché © J. P. Wisard – État de Genève. de Genève. cadre du projet Eurogeographics, cutifs aux rectifications donnent un relevé général de toutes les ETRS 89. Nous ne possédons pas lieu à un procès-verbal auquel frontières européennes devrait l’intégralité des coordonnées des on annexe des fiches descriptives s’effectuer, pour recenser toutes cinq cents bornes frontière dans le des bornes : aspect, mesures, les bornes dans un système unique système WGS 84, car seule une millésime, matériau, description de coordonnées, l’ETRS 89, qui centaine a fait l’objet d’un relevé du lieu et de la frontière à cet remplacera donc sur les docu- par GPS-RTK. endroit et, enfin, coordonnées ments officiels les doubles indi- dans les deux systèmes nationaux. cations nationales. « Plutôt que de En mars 2007, nous avons effectué En pratique, seules les coordon- procéder à nouveau à une campa- des mesures en commun avec l’IGN nées suisses apparaissent, car la gne intégrale de relevé, explique pour nous assurer de la cohérence France n’a pas procédé aux relevés Laurent Niggeler, nous nous base- des systèmes géodésiques respectifs. correspondants. Côté genevois, rons sur les coordonnées du système Le bilan de ces mesures, qui ont il s’agit de mesures effectuées en suisse et nous les transformerons en concerné trente bornes et quelques points fixes, nous satisfait ample- ment, puisque nous avons relevé une erreur moyenne inférieure à deux centimètres. » Si la frontière n’évolue plus guère, il restera cependant toujours du travail à accomplir. Dernière en date, une nouvelle convention d’échange se prépare pour forma- liser des changements de cours de la rivière Hermance, canalisée, que les deux pays souhaitent remettre à l’air libre, et du Foron, autre ruis- seau frontalier, dont la fâcheuse tendance à déborder a nécessité force travaux de régularisation. Ces travaux maintenant achevés, la berge stabilisée, la parole revient La maison d’Irène Gubier, dont l’entrée se situe en France mais les volets arrières donnent aux géomètres pour mesurer en Suisse, vit, pendant la deuxième guerre mondiale, de nombreux résistants fuir l’Hexagone, l’importance des mutations et avec l’aide de sa propriétaire. Surnommée « Passage des Ambassadeurs », sa propriétaire fut arrêté à la fin de la guerre et déportée. Une plaque commémorative témoigne du passé proposer une modalité compen- secret de la construction et du courage de son habitante. satoire. 40 Géomatique Expert - N° 62 - Avril-Mai 2008
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