GENRES PARENTALITÉS TERRAINS DE LUTTE - RENCONTRES LGBT+ pour une société - SOS homophobie

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RENCONTRES LGBT+
       pour une société plus inclusive

GENRES
PARENTALITÉS
TERRAINS DE LUTTE
RENCONTRES LGBT+
    pour une société plus inclusive
Éditorial
 Repenser nos luttes pour une société plus inclusive
Comment repenser nos luttes contre toutes les formes de LGBTphobies
et de sexisme ? Par quels outils et moyens nouveaux pouvons-nous
mieux soutenir les victimes, mieux prévenir les LGBTphobies ? Comment
obtenir enfin l’égalité des droits ? Telles sont les questions auxquelles
SOS homophobie souhaitait répondre en organisant le 6 octobre 2018
à Paris un des plus grands évènements de ces dernières années qui a
réuni l’ensemble du mouvement LGBT français : les Rencontres LGBT+.

Onze ateliers thématiques autour du genre, des parentalités et des
terrains de lutte LGBT+, plus d’une quarantaine d’intervenant·e·s
réuni·e·s dans un lieu exceptionnel, l’Espace Niemeyer. Tous les sujets
ont été abordés, des violences LGBTphobes à la diversité des familles,
en passant par le sexisme, les transidentités, la situation des personnes
intersexes ou encore celle de la PMA et des enfants né·e·s de GPA.

C’est l’action parlementaire et la pression associative qui ont permis,
durant les deux dernières décennies, de bouleverser le contexte social
français : le vote du PACS en 1999 a d’abord donné une base légale aux
couples homosexuels, quand l’ouverture du mariage aux couples de
même sexe en 2013 leur a donné d’autres droits encore, dont l’adoption.
Le paysage des parentalités s’en est trouvé très largement modifié.
Parallèlement, les combats féministes et les revendications pour
l’égalité ont entraîné des remises en cause des attributs du masculin
et du féminin, la fluidité des identités de genre, des revendications
transidentitaires et celles des personnes intersexes. Dans ce contexte,
les Rencontres LGBT+ ont permis d’échanger et de faire se rencontrer
des membres d’associations, des juristes, des sociologues, des
responsables d’associations, des témoins et des personnes concernées
par les luttes LGBT+.

Nous vous proposons dans ces Actes de revivre les débats et les
échanges riches qui ont eu lieu lors de cette journée. Un seul objectif
a guidé les 300 personnes présentes : construire une société plus
ouverte et inclusive dans laquelle les droits de chacune et de chacun
sont reconnus, quels que soient son sexe, son genre ou son orientation
sexuelle.

                          Joël Deumier, président de SOS homophobie
                 Sylvie Schweitzer, responsable des Rencontres LGBT+
Sommaire

Plénière d’ouverture................................................................... 9

Thème 1 : Genres

1.1	�������� Transidentités : état des lieux et perspectives........ 15
1.2	�������� Quels féminismes aujourd’hui ?............................... 21
1.3	�������� L’intersectionnalité :
                    au carrefour des discriminations................... 29

Thème 2 : Parentalités

2.1	�������� Parentalités alternatives et filiation......................... 35
2.2	�������� La PMA : une urgence............................................... 43
2.3	�������� La GPA : quels dispositifs juridiques ?..................... 51

Thème 3 : Terrains de luttes LGBT+

3.1	�������� Militer dans les médias numériques........................ 59
3.2	�������� Combattre les discriminations
                 dans les lieux d’enseignement....................... 67
3.3	�������� Lutter contre les discriminations au travail............. 75
3.4	�������� Défendre les droits des personnes LGBT+
                  dans la chaîne pénale...................................... 83

                                                                                            7
Contributions

       Sasha-Alycia Bavol                    Me Fabien Joly
          François Bes                        Marame Kane
       Romain Blanchard                       Olivier Lelarge
           Flora Bolter                   Me Caroline Mecary
        Dominique Boren                   Alexandra Meynard
         Sam Bourcier                         Émilie Morand
         Romain Burrel                        Thierry Moulin
           Éric Chenut                      Stéphanie Pahud
        Laurène Chesnel                    Anne-Laure Pineau
       Jennyfer Chrétien               Delphine Plantive-Pochon
           Alice Coffin                       Frédéric Potier
       Adrián De La Vega                     Pierrette Pyram
         Joël Deumier                   Olive Riccobono-Soulier
         Gaëlle Dubois                     Me Clélia Richard
        Me Émilie Duret                        Marine Rome
     Anne-Gaëlle Duvochel                      Muriel Salle
               Emil                         Sylvie Schweitzer
    Me Jean-Bernard Geoffroy                  Réjane Senac
        Véronique Godet                         Irène Théry
         Martine Gross                      Jacques Toubon
       Me Violaine Henry                     Sébastien Tüller
     Me Jérémie Jardonnet               Clémence Zamora-Cruz

8
6 octobre 2018

                                              GENRES
                                        PARENTALITÉS
                                    TERRAINS DE LUTTE

                                Plénière
                              d’ouverture

           Véronique Godet
                 Vice-présidente de SOS homophobie

           Joël Deumier
                 Président de SOS homophobie

           Jacques Toubon
                 Défenseur des droits

           Frédéric Potier
                 Délégué interministériel à la lutte contre le racisme,
                 l’antisémitisme et la haine anti-LGBT

           Éric Chenut
                 Vice-président de la MGEN

           Sylvie Schweitzer
                 Professeure émérite d’histoire contemporaine, Université Lyon 2,
                 Référente du Comité thématique des Rencontres LGBT+

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Plénière d’ouverture

 Véronique          Godet souligne que             Cette lutte ne sera pas efficace tant que
 tou·te·s celles et ceux qui sont réuni·e·s        l’on ne légifèrera pas pour l’égalité des
 aujourd’hui partagent un même désir :             droits. La PMA est largement souhai-
 celui de construire une société plus inclu-       tée, pour que des milliers de personnes
 sive, quels que soient le sexe, l’orientation     accèdent à la parentalité en toute sécurité
 sexuelle et l’identité de genre. Une société      sanitaire et juridique. Il faut également
 dans laquelle il ne serait plus nécessaire de     protéger les enfants né·e·s de GPA, qui ne
 lutter contre les LGBTphobies pour obtenir        sont toujours pas reconnu·e·s par le droit
 reconnaissance et droits, dans laquelle           français.
 le taux de suicide des jeunes LGBT+ ne
                                                   Jacques Toubon se dit très heureux
 s’élèverait plus à 25%, qui accueillerait
                                                   d’ouvrir cette rencontre de haut niveau,
 toutes les parentalités, tou·te·s les enfants
                                                   dont le programme est de nature à faire
 et toutes les identités. Une société qui
                                                   avancer les réflexions sur ces questions
 cesserait de stigmatiser, de psychiatri-
                                                   multidisciplinaires.
 ser, de médicaliser les personnes trans et
 intersexes. Une société bienveillante, qui        Effectivement, les nombreuses avancées
 vibrerait, vivrait et évoluerait avec celles et   législatives concernant les droits des
 ceux qui la composent.                            personnes LGBT+ découlent des luttes
                                                   sociales. Amorcée par les émeutes de
 Cette journée sera un moment fort de
                                                   Stonewall aux États-Unis en juin 1969 et
 réflexion et d’échange, pour contribuer à
                                                   la constitution, en France, de divers collec-
 l’élaboration de cette société. La liberté
                                                   tifs, la lutte pour les droits des personnes
 doit être la même pour toutes et tous, car
                                                   LGBT+ s’est traduite dans le droit par
 la fraternité ne peut exister sans égalité.
                                                   l’abrogation, au début des années 1980,
 Cette journée est déclinée en plusieurs           de l’article 331 alinéa 2 du Code pénal,
 temps. Des paroles masculines se feront           connu comme la mesure dépénalisant
 entendre tout d’abord : celles de Jacques         l’homosexualité. Elle s’est également tra-
 Toubon, de Frédéric Potier, d’Éric Chenut         duite par l’adoption de la loi sur le PACS en
 et de Joël Deumier. Cette dominante de            1999 et plus récemment par l’adoption de
 voix masculines est le signe qu’il demeure        la loi ouvrant le mariage civil aux couples
 urgent d’œuvrer pour une inclusivité effec-       de personnes de même sexe.
 tive, réelle et pérenne. Puis seront ouverts
                                                   Depuis 50 ans, la mobilisation de la
 une série de dix ateliers pour réfléchir à
                                                   société civile a permis le basculement
 différentes thématiques des luttes LGBT+.
                                                   d’un système réprimant l’homosexualité
 Joël Deumier signale que ces rencontres           vers un système s’attachant à réprimer et
 ont pour objectif de rassembler associa-          à prévenir l’homophobie. Ce changement
 tions, militant·e·s, avocat·e·s, sociologues,     de paradigme a aussi été favorisé par
 anthropologues, historien·ne·s, etc. autour       l’émergence d’un droit de la non-discrimi-
 de plusieurs thématiques chères à la              nation au début des années 2000, sous
 communauté LGBT+ : les genres, l’in-              l’influence de l’Union Européenne et carac-
 tersectionnalité, les parentalités et la          térisé par l’introduction en droit français
 lutte contre les LGBTphobies. Ces der-            des critères de discrimination en raison de
 niers mois, les actes homophobes et               l’orientation sexuelle (2004), puis en rai-
 transphobes se sont succédé partout en            son de l’identité sexuelle (2012), devenue
 France, parfois dans le silence des pou-          « identité de genre » en 2016.
 voirs publics. Il faut prendre conscience
                                                   SOS homophobie a joué un rôle essentiel
 que l’homophobie et la transphobie ne
                                                   dans ces avancées. Cette organisation
 sont pas acceptables.

10
Plénière d’ouverture

dispose en effet d’un maillage territorial      sur pièces et sur place et possibilités de
important, qui lui a permis de faire remon-     mise en demeure) et d’action pour ce
ter les expériences du terrain et d’alimenter   faire (médiation et résolution amiable des
son action et elle est par ailleurs la seule    différends, transaction, saisine d’un·e pro-
à publier un état des lieux annuel des          cureur·e de la République ou des autorités
LGBTphobies en France. Le partenariat           disciplinaires, observations devant les
avec cette association doit être poursuivi,     juridictions, etc.). Il peut ensuite présenter
notamment parce qu’il donne lieu à des          ses observations devant les juridictions,
réalisations pratiques, comme le Guide          comme il l’a fait à 120 reprises l’année
pratique contre les LGBTphobies publié en       dernière, pour un taux de succès de près
2018.                                           de 75%.
Le chemin parcouru est considérable,            Ces saisines ne constituent que la par-
mais les actes et propos LGBTphobes             tie émergée de l’iceberg et sont bien en
restent importants. Selon une enquête           deçà de la réalité subie par les personnes
menée par la DILCRAH et la Fondation            LGBT+. Les victimes de discriminations
Jean-Jaurès, une personne LGBT+ sur             entreprennent rarement des démarches
trois a ainsi été discriminée en raison de      pour faire valoir leurs droits et invoquent
son orientation sexuelle au cours de sa vie     souvent l’inutilité d’un éventuel recours,
et plus d’une personne LGBT+ sur deux a         parce qu’elles ont peur des conséquences
déjà fait l’objet d’une forme d’agression à     négatives de ces déclarations et manquent
caractère homophobe. Cette prévalence           parfois de preuves, ce qui constitue une
est considérable, en particulier dans le        grande difficulté. La méconnaissance des
domaine de l’emploi.                            voies et des acteurs de recours doit aussi
                                                être évoquée. Aussi, pour de nombreuses
Lorsqu’une personne LGBT+ est rejetée,
                                                personnes LGBT+, il semble encore néces-
c’est la société dans son ensemble qui
                                                saire de faire « profil bas » et de tolérer
souffre d’une régression des valeurs fon-
                                                certaines remarques et plaisanteries pour
damentales autour desquelles elle s’est
                                                se faire accepter ou pour éviter des pro-
construite. La lutte contre la discrimina-
                                                pos et comportements plus violents.
tion est de la responsabilité de chacun
et notamment du Défenseur des droits.           Afin de lutter contre ce taux de non-re-
Celui-ci reçoit chaque année environ une        cours, le Défenseur des droits effectue des
centaine de dossiers pour des faits de          actions de promotion de l’égalité et d’ac-
discrimination liés à l’orientation sexuelle    cès aux droits et s’emploie à faire évoluer
ou l’identité de genre, qu’il s’agisse de       le droit et la législation. L’identité de genre
l’entrave au droit de se marier d’un couple     a notamment été inscrite dans la loi, à la
franco-marocain, du refus de location           place de l’égalité sexuelle, et d’autres posi-
opposé à un couple de lesbiennes, de la         tions fondamentales ont été prises devant
rupture discriminatoire de la période d’es-     le Parlement, par exemple pour ouvrir la
sai d’un jeune homosexuel ou encore des         PMA à toutes et à tous. Dans la loi Binet,
difficultés que rencontrent les personnes       il a également été proposé qu’une solution
transidentitaires dans leurs interactions       déclarative soit mise en œuvre s’agissant
avec toute une série de services.               du changement d’état civil des personnes
                                                transidentitaires. L’intervention des juges
Le Défenseur des droits entend alors
                                                crée en effet une forme d’inégalité.
systématiquement rétablir la personne
dans ses droits et use de ses larges            Le Défenseur des droits s’occupe aussi
pouvoirs d’enquête (demandes d’explica-         du sujet du don du sang. Fin septembre
tions, auditions, convocations, contrôles       2018, devant la Commission des Affaires

                                                                                              11
Plénière d’ouverture

 sociales, a été adoptée une proposition          visibilité. Les Gay Games ont également
 de loi portant sur l’organisation du don         permis de rendre visibles plusieurs ques-
 du sang. À l’occasion de l’examen de             tions. Des dizaines d’années de combat
 cette proposition, deux amendements ont          associatif ont précédé ces actions et il
 été présentés par le Parti socialiste et la      faut leur rendre hommage.
 France insoumise, consistant à faire sauter
                                                  Le combat n’est cependant pas terminé
 la période d’évaluation d’un an pour per-
                                                  et plusieurs chantiers se profilent, à com-
 mettre que les personnes homosexuelles
                                                  mencer par le chantier législatif relatif
 puissent donner leur sang. Il faut à présent
                                                  à la PMA, dès le début de l’année 2019,
 attendre de la part de l’Institut de veille
                                                  ou celui qui a trait au don du sang, car le
 sanitaire les études et l’évaluation. Les
                                                  délai d’un an ne correspond à aucun élé-
 députés de la majorité ont voté contre ces
                                                  ment factuel sur le plan de la santé. Une
 amendements, à la demande de l’adminis-
                                                  proposition de loi est aussi en cours de
 tration, qui considère qu’il faut continuer
                                                  préparation s’agissant des thérapies de
 l’évaluation et maintenir le délai d’un an.
                                                  conversion.
 Or il est extrêmement important que ces
 amendements aient été votés. La propo-           Éric Chenut explique que la MGEN juge
 sition de loi arrivera en séance publique        nécessaire d’accompagner les travaux
 le 11 octobre 2018. Il faut donc agir pour       de SOS homophobie. Ce lien est évident,
 que tou·te·s les député·e·s approuvent ces       car la MGEN est avant tout une société
 amendements, ce qui aura au moins le             réunissant des femmes et des hommes
 mérite d’accélérer les études en cours.          engagé·e·s pour un projet plus juste,
                                                  laïque, humain. Une société, dans laquelle
 Il faut agir en décloisonnant les luttes et en
                                                  tous et toutes peuvent être libres de leurs
 s’intéressant à l’imbrication des rapports
                                                  choix et égaux dans leurs droits. Telle est
 sociaux, notamment de sexe, de classe et
                                                  l’histoire de la MGEN depuis plus de 70
 de race. La lutte contre les LGBTphobies
                                                  ans, après avoir été créée en 1946 à l’ini-
 s’est essentiellement centrée autour de
                                                  tiative de résistant·e·s et de syndicalistes,
 la figure de l’homme homosexuel, blanc,
                                                  qui ont porté ce projet d’émancipation par
 jeune et urbain. Or une approche seg-
                                                  la culture, la citoyenneté, la santé et la soli-
 mentée a pour conséquences de tendre
                                                  darité. C’est dans cette droite ligne que la
 à une essentialisation et de négliger les
                                                  MGEN continue d’inscrire son action et
 situations de cumul de discriminations
                                                  poursuit ses combats, notamment pour
 et d’intersectionnalité. Dans ce contexte,
                                                  les droits des femmes et contre toute
 je suis ravi qu’un atelier soit consacré à
                                                  forme de discrimination.
 repenser et à mieux prendre en considé-
 ration la réalité de ces expériences, leur       Elle prend ainsi des initiatives, comme
 croisement et les formes de rejet qu’elles       cela a été le cas à l’occasion de la révision
 peuvent provoquer. Il s’agit d’un combat         des lois de bioéthique, où elle a contribué
 global : pour obtenir une société inclusive,     à la réflexion collective sur l’intelligence
 il faut mener un combat inclusif.                artificielle, la question de la fin de vie et
                                                  celle des familles, de la procréation et
 Frédéric Potier souligne à son tour que
                                                  de la PMA. Elle mobilise pour ce faire
 les gens, les temps changent et qu’il est
                                                  l’ensemble de ses réseaux militants, en
 possible de transformer les mentalités.
                                                  faisant en sorte que plus de 70 départe-
 En 2018, un observatoire LGBT+ a été
                                                  ments aient organisé des débats sur la
 lancé, avec la fondation Jean-Jaurès, dont
                                                  question des familles et des parentalités,
 les premiers résultats sont très encou-
                                                  des différents modes de procréation, etc.
 rageants en termes de recherche et de
                                                  Il s’agit là aussi de faire bouger les lignes

12
Plénière d’ouverture

et d’alimenter la réflexion collective, en       Ceci dit, elle regrette que la préparation
posant des enjeux et en rappelant les réa-       de cette journée ait mis au jour des dis-
lités de vie des uns et des autres. tou·te·s     sensions, voire des querelles de chapelle
ces militant·e·s engagé·e·s peuvent faire        qui ne font qu’affaiblir des luttes déjà
vivre ces valeurs.                               difficiles. Comme historienne, elle sait
                                                 combien les défaites sociales ont sou-
Cet engagement sera poursuivi auprès
                                                 vent été pavées de divisions absurdes et
des institutions politiques, pour obtenir la
                                                 de luttes intestines stériles.
PMA pour toutes les femmes, ainsi que sa
prise en charge par la protection sociale.       Avec quatre intervenants et deux inter-
La MGEN est convaincue qu’une partie             venantes, cette séance d’ouverture
de la solution viendra aussi de la société       reste marquée par les réalités sociales
civile. Il faut ainsi toujours témoigner, agir   contemporaines,        contre     lesquelles
et ne jamais se résigner. Jean Cocteau           SOS homophobie se bat à juste titre,
disait « le passé n’est pas si simple, le        pour autoriser une société plus inclusive.
présent n’est qu’indicatif et le futur sera      Cependant, on notera que les femmes
toujours conditionnel. » Il faut donc            sont majoritaires parmi les intervenant·e·s
s’engager et se mobiliser pour créer les         des ateliers de la journée, soit 27 femmes
conditions d’une société ouverte et inclu-       pour 15 hommes.
sive. La MGEN sera présente aux côtés
de SOS homophobie – dont le travail
est essentiel pour la démocratie – pour
mener ce combat contre le repli identitaire
et la montée des populismes.
Sylvie Schweitzer explique que cette
journée sera programmatique et a été
conçue comme un espace d’échanges
et de propositions, autour de plusieurs
thèmes qui sont l’ADN de SOS homopho-
bie, association généraliste prenant en
charge la diversité des discriminations.
Certaines discriminations sont anciennes,
comme le sexisme, les discriminations
intersectionnelles, les modalités de
l’adoption, l’égalité des droits en milieu
professionnel ou face à la justice, etc.
D’autres questionnements sont plus
récents, comme la PMA ou le travail mili-
tant dans les métiers numériques, etc.
Dix ateliers ont été organisés pour que
se rencontrent des journalistes, des uni-
versitaires, des juristes, des militant·e·s
associatif·ve·s et syndicalistes, proches
du terrain. Une volonté de diversité a pré-
sidé à l’organisation de ces ateliers et les
débats n’ont pas vocation à faire émerger
un consensus mou.

                                                                                            13
14
6 octobre 2018

                                             GENRES
Atelier 1.1

                                       PARENTALITÉS
                                   TERRAINS DE LUTTE

                     Transidentités :
                      état des lieux
                     et perspectives

           Sasha-Alycia Bavol
                 Inter-LGBT, déléguée chargée des Droits des Personnes Trans et Intersexes, et
                 Identités de Genre, présidente de l’association Au-delà du Genre
                         « Droits des personnes trans : Quelles avancées ? Quelles urgences ? »

           Sam Bourcier
                 Maître de conférences, Université de Lille 3
                         « Les trans entre violence administrative et violence épistémique »

           Olive Riccobono-Soulier
                 Co-président du centre LGBT+ d’Avignon
                         « Associations, remise en cause de l’hétéronorme
                         et acceptation de l’autodétermination »

           Anne-Gaëlle Duvochel
                 Vice-présidente de L’Autre Cercle
                 Modératrice

                                                                                                  15
Transidentités : état des lieux et perspectives

 Sasha-Alycia Bavol remarque qu’avant             civil pouvant repousser le dossier à sa
 la loi de novembre 2016, aucune dispo-           guise, ce qui engendre de fortes disparités
 sition n’était prévue pour la procédure de       de traitement selon les mairies. La procé-
 changement d’état civil, mais des jurispru-      dure suppose en outre que les personnes
 dences servaient de point de repère pour         trans doivent vivre pendant un certain
 les tribunaux. Le changement d’état civil        temps selon une discordance entre l’état
 était alors médicalisé et judiciarisé, il fal-   civil et le genre revendiqué, ce qui les sou-
 lait attester d’avoir effectué les opérations    met à des situations de discrimination. Ce
 médicales et d’avoir bénéficié d’un suivi        point devrait donc lui aussi être modifié.
 psychiatrique de longue durée. Ensuite, il
                                                  Il serait donc bon de déjudiciariser le chan-
 était nécessaire de soumettre son dossier
                                                  gement d’état civil, avec une procédure
 au tribunal.
                                                  simplifiée, basée sur l’autodétermina-
 La France avait été condamnée par la Cour        tion des personnes trans et ouverte aux
 européenne des droits de l’Homme et le           mineur·e·s. Il faudrait aussi revoir la défi-
 Conseil de l’Europe pour cette situation,        nition de « trouble de l’identité de genre »,
 qui ne respectait pas la dignité des per-        dans une catégorie moins stigmatisante,
 sonnes trans. Elle a donc dû proposer une        pour garantir la prise en charge financière
 nouvelle loi et il est désormais demandé         des transitions.
 aux personnes trans de justifier par des
                                                  La scolarité des jeunes trans demeure par
 documents qu’elles sont connues sous le
                                                  ailleurs lacunaire. Le ministère de l’Édu-
 prénom du genre revendiqué. Cette procé-
                                                  cation nationale devrait ainsi prendre des
 dure s’effectue en mairie.
                                                  directives pour que les écoles respectent
 Le changement de sexe à l’état civil             le genre et le prénom d’usage des per-
 est quant à lui simplifié et il n’est plus       sonnes. Un travail mérite aussi d’être
 demandé aux personnes de justifier d’opé-        fourni s’agissant du respect de la dignité
 rations, ni de produire des attestations         des personnes trans en prison.
 médicales. L’article de loi précise ainsi
                                                  Les questions de l’accès au traitement, du
 qu’il suffit de mettre en avant des faits
                                                  langage médiatique autour des personnes
 suffisants : se présenter publiquement
                                                  trans, de formation du grand public, des
 comme appartenant au sexe revendiqué,
                                                  collectivités publiques, des forces de
 être connu sous le sexe revendiqué, avoir
                                                  l’ordre, de précarité et de fragilité des per-
 obtenu le changement de son prénom
                                                  sonnes trans, de la parentalité, doivent
 pour y correspondre. La loi a ainsi permis
                                                  enfin être traitées.
 à de nombreuses personnes d’obtenir leur
 changement d’état civil, sans attester ni        Anne-Gaëlle Duvochel ajoute que les
 prouver les opérations.                          personnes qui entament des transitions
                                                  souhaitent parfois que leurs gamètes
 Cette loi demeure perfectible, car la
                                                  soient conservés, afin de pouvoir les uti-
 demande reste soumise à l’appréciation
                                                  liser dans le futur, ce qui est aujourd’hui
 des juges, souvent basée sur des stéréo-
                                                  impossible en France.
 types de genre. Cette procédure ne permet
 donc pas à certaines personnes trans –           Une intervenante signale qu’elle vient
 notamment les personnes non binaires             de commencer une procédure de conser-
 – d’accéder au changement d’état civil.          vation de gamètes à l’hôpital Jean-Verdier
 Les données concernant le taux d’accep-          de Bondy, où elle a été très bien reçue, tant
 tation des dossiers par les tribunaux ne         par le médecin que par la psychologue.
 sont également pas suffisantes pour le           Dans cet hôpital, jamais un dossier n’a été
 changement de prénom, l’officier d’état          refusé, contrairement à bien des CECOS.

16                                                                                      GENRES
Transidentités : état des lieux et perspectives

Anne-Gaëlle Duvochel insiste sur les            demander le changement de civilité sur
difficultés de reconnaissance des per-          les diplômes obtenus. Ces violences
sonnes trans non-binaires en France,            administratives constituent une forme de
difficultés qui posent de fait la question de   biopouvoir, de pouvoir qui s’exerce sur la
la reconnaissance d’un troisième genre.         vie.
Une intervenante a déjà rencontré des           Ce pouvoir s’exerce grâce aux savoirs
problèmes avec la police lors de fouilles       et aux sciences, qui permettent l’admi-
et palpations. La cour d’appel semble ainsi     nistration de la vie des minorités. C’est
considérer que, pour les trans, les fouilles    ce qui arrive aux personnes LGBT+, qui
et palpations doivent être effectuées           sont gérées comme des « populations ».
selon la situation génitale des individus et    Ces violences épistémiques consistent
ce quel que soit leur état civil, ce qui est    à contrôler des sujets de savoir margina-
anormal.                                        lisés par le biais de diverses opérations
                                                d’exclusion, d’effacement, de régulation,
Sam Bourcier explique qu’il travaille à         de dépossession et d’appropriation.
l’Université de Lille sur les discrimina-       Aujourd’hui en France, la grande majorité
tions auxquelles les trans doivent faire        des savoirs universitaires sur les trans,
face à l’université, qu’il s’agisse des         les queers et les LGBT+ se font sur leur
professeur·e·s, des étudiant·e·s et des per-    dos. Les trans et les queers ne peuvent
sonnels administratifs.                         pas réaliser de thèses en trans ni en queer
Certaines de ces violences, centrales, sont     studies avec les méthodologies qui leur
d’ordre administratif. Elles concernent les     conviennent, car, si i·elles le font, i·elles
changements de prénom, l’état civil et          sont accusé·e·s d’être des militant·e·s
la civilité sur les diplômes. D’autres vio-     et non des scientifiques et sont ainsi de
lences, moins connues, mais tout à fait         facto exclu·e·s du champ scientifique.
lancinantes, sont d’ordre épistémique.          Or les paroles transphobes et homophobes
Elles découlent de la production des            sont toujours proférées depuis une posi-
savoirs.                                        tion d’ignorance et non de savoir. Ainsi,
Des associations trans sont à l’origine de      non seulement les étudiant·e·s et doc-
ces demandes en matière de lutte contre         torant·e·s trans ne peuvent pas travailler
les discriminations, mais les universités       en s’appuyant sur des études trans, mais
françaises répondent à ces questions par        i·elles sont recouvert·e·s par des pseu-
obligation, pour répondre aux impératifs        do-expert·e·s et enseignant·e·s en études
de management de la diversité qu’elles ne       de genre, qui n’y connaissent rien. Il arrive
connaissent pourtant pas. Les universités       même à ces dernier·e·s de se servir des
obtempèrent donc sous la pression euro-         étudiant·e·s pour réaffirmer leur vision de
péenne. Dans ce contexte, les politiques        la différence sexuelle. La plupart du temps,
mises en œuvre mettent les personnes en         les étudiant·e·s connaissent ainsi mieux
situation de victimes, ce qui constitue le      ces sujets d’étude que les enseignant·e·s.
contraire de l’empowerment des minorités        Face à ces situations, les étudiant·e·s
sexuelles.                                      trans sont contraint·e·s d’abandonner
                                                leurs projets et les enseignant·e·s trans
Les violences administratives se tra-           de se taire. Ces étudiant·e·s sont systéma-
duisent notamment par le refus de               tiquement exclu·e·s des productions de
l’université d’indiquer le prénom d’usage       savoir qui les concernent. La faculté fran-
sur tous les documents administratifs           çaise continue de proscrire la production
et pédagogiques, ou de le faire au cas          des savoirs minoritaires en général et fait
par cas. De même, il est très difficile de

GENRES                                                                                         17
Transidentités : état des lieux et perspectives

 ainsi preuve de violence.                        c’est se mettre dans la posture du parent
                                                  vis-à-vis de son enfant. Il faudrait égale-
 Pour que les trans soient plus visibles à
                                                  ment une posture critique vis-à-vis des
 l’université, moins précaires, moins dépri-
                                                  expert·e·s qui nourrissent quelques illu-
 mé·e·s, moins suicidaires, pour qu’i·elles
                                                  sions sur leur rôle.
 osent investir cet espace critique et de
 pensée, des solutions juridiques existent.       Les associations, familles, universités,
 Il faudrait cependant qualifier ces « vio-       proches, etc., cheminent avec les per-
 lences épistémiques » au niveau juridique        sonnes transidentitaires mais, de fait, ce
 et faire en sorte que les luttes contre          sont souvent eux qui doivent effectuer un
 les discriminations soient pérennes. Il          parcours de transition pour sortir de leurs
 faut également intervenir au niveau des          représentations. Par exemple, la demande
 recrutements et de la constitution des           de civilité fait encore souvent partie des
 disciplines, ce qui n’a jamais été le cas.       réflexes de chacun, ce qui montre l’am-
 Il faut aller vers l’affirmation et ne pas se    pleur du chemin qui reste à parcourir pour
 contenter de la lutte négative et protec-        se libérer de l’hétéronormie et accueillir
 trice, qui demeure néanmoins nécessaire          l’expression du genre.
 pour combattre les discriminations. La
                                                  Il faudrait un mouvement de croise-
 lutte contre les discriminations relève
                                                  ment des savoirs, des porteurs de
 également de l’affirmation personnelle et
                                                  connaissances trans, des associations
 culturelle des personnes trans.
                                                  spécialisées, etc., au lieu de rester dans
 Anne-Gaëlle Duvochel remarque que                une vision binaire de la réalité. Il faut pas-
 les attestations de diplôme peuvent être         ser par des alliances associatives, même
 délivrées au nom du nouveau genre.               si l’alliance ne garantit ni l’absence de vol
                                                  de parole, ni l’absence de hiérarchie.
 Sam Bourcier signale que la civilité n’a
 pas valeur d’état civil et ne devrait donc       Dans la réalité, les parcours ne corres-
 pas figurer sur les diplômes, où il suffi-       pondent jamais à des lignes droites,
 rait donc de supprimer ces notions de            chacun·e se construit et s’autodétermine
 « Madame » et de « Monsieur ». Il faudrait       au fil de son existence.
 aussi développer le management de la
 diversité, à l’exemple des États-Unis.
                                                  Anne-Gaëlle Duvochel observe que de
                                                  nombreux humains doivent se battre pour
 Sasha-Alycia Bavol regrette le manque            conserver intacts leurs territoires. Par ail-
 d’uniformisation des pratiques en matière        leurs, les notions genrées, « homme » et
 de retrait de la civilité des diplômes           « femme », constituent des repères fon-
 universitaires.                                  damentaux chez l’être humain depuis la
                                                  nuit des temps, en lien prioritaire avec la
 Une intervenante observe que, dans le            reproduction. C’est donc une véritable
 monde professionnel, seuls des accords
                                                  révolution anthropologique qu’il nous faut
 d’entreprise peuvent permettre d’avoir un
                                                  réaliser.
 impact. Or ces accords nécessitent de
 passer par les organisations syndicales,         Sasha-Alycia Bavol explique que,
 qui ne sont pas exemptes de transphobie.         comme militante associative, elle essaye
                                                  de partir des besoins de la personne pour
 Olive     Riccobono-Soulier remarque             l’assister, donnant à chacun·e la possi-
 que ce phénomène d’invisibilisation des
                                                  bilité de s’exprimer, pour qu’i·elle soit en
 savoirs trans ne s’observe pas qu’à l’univer-
                                                  mesure de faire les propositions qui les
 sité. Prétendre accompagner un parcours,
                                                  concernent au premier chef.
 en l’occurrence celui des personnes trans,

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Transidentités : état des lieux et perspectives

Une intervenante signale un regrettable         neutre permettrait à de nombreuses per-
recul en matière des pratiques relatives        sonnes de vivre bien mieux.
au changement de prénom, dans les mai-
                                                Une intervenante considère qu’il faut
ries marseillaises, où il est de plus en plus
                                                modifier les fondements de la société
nécessaire de présenter des attestations
                                                sur le genre et réfléchir à une autre forme
médicales et psychiatriques.
                                                d’organisation.
Sasha-Alycia Bavol distingue le chan-           Une intervenante observe que les per-
gement genré d’état civil et changement
                                                sonnes cisgenres ignorent tout de ce
de prénom pour lequel l’officier d’état civil
                                                qu’est la transidentité. Il faudrait ainsi
conserve son pouvoir.
                                                développer l’information et repartir à la
Emmanuelle Haddou relate un récente             découverte de ce qui constitue l’humanité,
demande faite par une personne inter-           qui se compose d’êtres humains tou·te·s
sexe auprès de la Cour de cassation pour        différent·e·s. Le genre n’est pas une
obtenir un genre neutre, demande qui s’est      notion médicale, mais une simple notion
soldée par un échec, alors que, pour ces        sociologique, la différence sexuelle est
personnes intersexes, le genre neutre est       une fiction. La transphobie a bien pour ori-
la seule solution. L’État entend donc impo-     gine un défaut de connaissance de l’autre
ser la binarité aux trans et aux personnes      et il faudrait développer l’information de
intersexes.                                     tou·te·s.
Un intervenant signale qu’il souhaite           Une     intervenante confirme que
changer de prénom et que l’adminis-             SOS homophobie entend, à long terme,
tration exige de sa part des certificats        demander l’abolition du marqueur de
médicaux. Il rencontre également des            genre à l’état civil ; en attendant, il
problèmes avec son université dans ce           faut donc trouver des compromis
domaine. Au-delà de la loi, l’autodétermi-      et accompagner les personnes
nation semble très importante, avec la          trans pour leur éviter les
suppression de la mention du sexe sur les       discriminations.
documents d’identité.
Une intervenante estime cependant que
l’apparition d’une troisième case réservée
au genre neutre à l’état civil constituerait
une porte ouverte aux discriminations,
car une telle case continuerait d’alimenter
une absurde hiérarchie des genres. Il faut
donc ôter ces cases réservées, qui ne sont
absolument pas nécessaires.
Emmanuelle Haddou remarque que le
genre revêt cependant une importance
lors de l’hospitalisation (où les chambres
sont doubles) et l’incarcération, ainsi qu’à
l’occasion des palpations effectuées par
des policiers. Le refus de l’indication du
genre peut ainsi augmenter le nombre
de violences, notamment sexuelles, sur
les personnes en position de vulnérabi-
lité. Elle pense que l’obtention d’un genre

GENRES                                                                                         19
20
6 octobre 2018

                                             GENRES
Atelier 1.2

                                       PARENTALITÉS
                                   TERRAINS DE LUTTE

             Quels féminismes
               aujourd’hui ?

           Stéphanie Pahud
                 Maîtresse de conférences, Université de Lausanne
                        « ‘Tout foutre en l’air !’ … Mais ‘tout’, c’est quoi ? »

           Marine Rome
                 Co-présidente des Dégommeuses
                        « Les Dégommeuses, une approche féministe par le terrain »

           Sylvie Schweitzer
                 Professeure émérite, Université Lyon 2
                        « Diplômes, métiers, maternité : les féministes et leurs alliés »

           Réjane Senac
                 Directrice de recherches au CNRS, Sciences Po Paris
                 Modératrice

                                                                                            21
Quels féminismes aujourd’hui ?

 Réjane Senac indique qu’il s’agit dans          l’enseignement dispensé dans les lycées
 cet atelier d’interroger les enjeux d’au-       publics et passer le baccalauréat, pre-
 jourd’hui sur les féminismes. Si la politique   mier diplôme de l’enseignement supérieur,
 d’inclusion, évoquée dans la plénière, fait     contrairement aux filles, qui ne pourront
 nécessairement suite à une exclusion,           accéder à cet examen qu’en 1924, soit 120
 une inclusion à égalité, et au-delà de toute    ans plus tard. Les motifs avancés pour
 assignation aux singularités, représente        empêcher les filles de passer ces diplômes
 un défi complexe.                               importants sont toujours ancrées dans le
                                                 biologique : elles seraient trop faibles, trop
 Sylvie Schweitzer confirme qu’effec-            émotives, pas assez armées intellectuelle-
 tivement le thème de l’égalité entre les        ment pour passer cet examen. Et il faudra
 hommes et les femmes est passé de l’ex-         attendre encore un demi-siècle, 1974, pour
 clusion à l’inclusion. Femmes et hommes         que toutes les formations scolaires et uni-
 sont récemment parvenus à une égalité           versitaires deviennent mixtes et donc que
 juridique formelle indéniable, égalité qui      les filles puissent confronter leurs résul-
 ne présume pas d’autres formes de discri-       tats scolaires (et leurs ambitions) à leurs
 minations et de hiérarchies sociales.           frères, leurs cousins, leurs amis, bref, aux
 De fait, les revendications égalitaires entre   garçons. Ne vient qu’alors la déconstruc-
 les femmes et les hommes sont anciennes         tion des stéréotypes de genre qui tendent
 et remontent même à la Révolution fran-         à confiner les unes et les autres dans la
 çaise, puisque la Déclaration des Droits        sexuation du marché du travail.
 de l’Homme disposait bien que « tous            L’accès des femmes à la décision poli-
 les hommes naissent libres et égaux en          tique, économique, sociale et scientifique
 droits ». Reste qu’après bien des débats,       a été un long chemin. Ces droits ont été
 les femmes ont été considérées comme            obtenus avec l’aide d’alliés – notamment
 des « Hommes » moins égaux que les              des pères et des conjoints – et un lobbying
 autres, notamment au vu de leurs diffé-         constant. Pour ne donner qu’un exemple,
 rences anatomiques qui justifiaient des         Blanche Edwards-Pillet, pour se faire
 différences de statut et notamment l’ac-        ouvrir l’internat de médecine avait fait,
 cès à la citoyenneté.                           dans les années 1880, plus de 300 visites
 Les arguments de la domination par les          à des ministres, députés et sénateurs. Elle
 dominant·e·s s’ancrent toujours dans la         fut la première femme très diplômée à
 différence biologique qui légitime de facto     exercer, quand la première avocate a prêté
 la discrimination et donc la hiérarchie         serment en 1900, la première magistrate
 sociale. Par ailleurs, pour les dominé·e·s      a été nommée en 1947, la première com-
 et quel·le·s qu’i·elles soient, la voie vers    missaire de police en 1977, quand nous
 l’égalité s’organise toujours dans une poli-    attendons toujours la première présidente
 tique des tout petits pas, les dominant·e·s     de la République.
 résistant autant que faire se peut.             L’accès à la libre maternité doit être pensé
 Néanmoins, les luttes égalitaires qui abou-     comme la condition sine qua non de l’éga-
 tissent sont toujours inscrites dans une        lité entre les hommes et les femmes,
 alliance entre les concerné·e·s et leurs        comme le souligne Françoise Héritier, et
 allié·e·s, dont on n’aura garde de sous-esti-   c’est un très long combat que de désa-
 mer la présence et l’efficacité.                morcer l’idée que les femmes portent
                                                 et élèvent les enfants pendant que les
 Quelques exemples : en 1808, vingt              hommes se chargent du reste des déci-
 ans après la Déclaration des Droits de          sions sociétales. En 1920, au lendemain
 l’Homme, les garçons peuvent suivre

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Quels féminismes aujourd’hui ?

de la Première Guerre mondiale, des lois        Pour ce qui est du corps, les féministes
souvent dites « scélérates » ont interdit       contemporaines accordent une large
la publicité et l’accès à la contraception      place à ses représentations mais surtout
et il a fallu attendre 1967 pour que la loi     à ses réappropriations. Comme la langue,
Neuwirth l’autorise dans une alliance de        le corps est un lieu d’intelligibilité et de
député·e·s gaullistes, socialistes et com-      négociation politique du monde.
munistes, quand le Parlement ne comptait
                                                La question de la transmission - de la mise
même pas 3% de femmes. La loi Veil a elle
                                                en conversation sociale - constitue un
aussi, et comme on le sait, été portée au
                                                point crucial des militantismes, à laquelle
Parlement par des alliés masculins.
                                                l’univers numérique permet de réfléchir :
Globalement, le sexisme est intéressant         caractérisant le féminisme de quatrième
à observer comme matrice de l’ensemble          génération, ce dernier est présenté comme
des discriminations qui se ressemblent          un lieu d’innovations féministes et un outil
puis s’assemblent, qu’il s’agisse du sexe       d’empowerment.
biologique, comme de la différence de
                                                En ce qui concerne le dialogue avec les
couleur de peau ou du refus de la binarité.
                                                antiféminismes et la LGBTphobie, la
Stéphanie Pahud fait entendre Virginie          presse traite davantage au quotidien les
Despentes, le « féminisme est une révo-         questions « féministes », qui ne sont plus
lution, pas un réaménagement des                réservées à la journée du 8 mars. Mais il
consignes marketing. Le féminisme est           conviendrait de veiller davantage à la mise
une aventure collective, pour les femmes,       en discours des luttes pour cerner les biais
pour les hommes et pour les autres. Une         qu’induisent les termes utilisés. Il faudrait
révolution bien en marche. Une vision du        à cet égard sortir le féminisme des pola-
monde. Un choix. Il ne s’agit pas d’oppo-       risations de surface qui engendrent ce
ser les petits avantages des femmes aux         que Gracq dénonçait en 1950 concernant
petits acquis des hommes, mais bien de          la littérature, à savoir une « électoralisa-
tout foutre en l’air ». Cet appel peut être     tion » : « un geste fiévreux d’adhésion ou
perçu de façon stimulante, mais aussi de        de non-adhésion, une sympathie ou une
façon angoissante.                              antipathie pures ».
Le féminisme s’incarne actuellement dans        La réflexivité, c’est d’abord observer les
une multitude croissante de tendances,          objets de recherche et de lutte avec des
dont les interprétations sont souvent           « lunettes genrées », pour combattre les
perturbées par les biais idéologiques de        cécités. La question LGBT+, les recon-
leurs contextes d’émergence. Des rendus         naissances des minorités racialisées
médiatiques, souvent confusionnels, en          reconfigurent le féminisme, dont le sujet
viennent à troubler les modalités mêmes         n’est plus seulement la défense des
d’expression des féminismes.                    femmes. Mais la question de la réflexivité
                                                problématise aussi l’intégration des posi-
Sont évoqués les quatre terrains actuels
                                                tions subjectives des chercheuses ou des
des luttes féministes : le quotidien, la
                                                militantes, l’alliance de leurs compétences
politique, l’université et l’internet. Quatre
                                                et de leurs expériences. La réflexivité per-
axes des nouveaux féminismes (la qua-
                                                met globalement d’insister sur le fait que
trième vague des féminismes remonte au
                                                le féminisme est un état à incorporer
début des années 2010) sont à prendre en
                                                et à (re)négocier, pas un costume prêt à
compte : le corps, l’univers du numérique,
                                                passer.
le dialogue avec les antiféminismes / la
LGBTphobie et la réflexivité.

GENRES                                                                                      23
Quels féminismes aujourd’hui ?

 Enfin, les discours féministes étant             hommes trans qui auraient peur d’être dis-
 sous-tendus par une visée pragmatique,           criminé·e·s en raison de leur orientation
 il semble primordial d’analyser les moda-        sexuelle ou identité de genre. Le football
 lités selon lesquelles ils tentent d’agir        a la force de mélanger les personnes, les
 sur leur·s cible·s. À ce titre, on peut leur     classes sociales, autour d’une passion
 prêter le même double rôle qu’attribue le        commune.
 sociologue Loïc Wacquant aux sciences
                                                  Les Dégommeuses entendent égale-
 sociales, un double rôle « de dissolvant
                                                  ment porter un message politique pour
 et de phare » : il leur revient aussi bien de
                                                  faire avancer les luttes et porter une voix
 casser de (fausses) évidences que d’éclai-
                                                  dans l’espace public. Elles organisent
 rer les transformations contemporaines.
                                                  des matchs, ce qui leur permet de partir
 La circulation de la parole est un autre         à la rencontre des jeunes, dans les gym-
 aspect pragmatique important des nou-            nases et les terrains de sport en région
 veaux féminismes. Tout individu doit se          parisienne. L’association organise réguliè-
 sentir autorisé à parler pour être reconnu       rement des événements pour sensibiliser
 comme sujet et agir dans sa propre vie           le grand public à des enjeux de société.
 avec le plus de liberté possible.                Foot For Freedom, en 2016, a été une
                                                  semaine d’actions portant sur les condi-
 Toutes ces réflexions liées et conjointes,
                                                  tions de vie des migrant·e·s LGBT+. Cet
 appellent une réflexion de fond sur la
                                                  événement ponctuel a été suivi par une
 notion de respect : il est indispensable de
                                                  « tournée » pendant laquelle plusieurs
 briser le cercle vicieux de la justification
                                                  Dégommeuses sont retournées dans
 des attitudes pour permettre l’émergence
                                                  leurs villages d’origine. Aujourd’hui mili-
 d’espaces de reconnaissance mutuelle
                                                  tantes actives et visibles dans le milieu
 des positions subjectives.
                                                  LGBT+ parisien, elles ont eu envie de ce
 Marine      Rome indique que les                 « retour aux sources » pour parler du sens
 Dégommeuses sont une équipe de foot-             de leur engagement à leurs ami·e·s, leurs
 ball sportive et militante, majoritairement      familles, aux pouvoirs politiques locaux.
 composée de lesbiennes et de per-                Et aussi faire en sorte que leurs pair·e·s
 sonnes trans. Cette association utilise le       LGBT+ resté·e·s sur place (notamment
 football comme un outil de lutte contre          parmi les plus jeunes) se sentent moins
 les discriminations et a été fondée par          seul·e·s. L’association s’est ainsi rendue
 Cécile Chartrain, frustrée de n’avoir pu         en Auvergne et dans le Calvados, où elle
 jouer au football dans sa jeunesse. Les          organise des tournois de football avec
 Dégommeuses ont envie de briser les              les clubs locaux et les CADA (centres
 résistances pour que les femmes s’épa-           d’accueil des demandeur·se·s d’asile).
 nouissent dans le football et de faire de ce     Les Dégommeuses sont en outre très
 sport un outil militant.                         présentes dans les médias et les réseaux
                                                  sociaux, pour faire essaimer leur message
 Le football est un milieu assez sexiste et       et essayer de susciter des vocations ou
 homophobe, tant dans le foot féminin que         inciter au développement des solidarités.
 masculin. Par ailleurs, pour des raisons
 administratives, il est de plus très difficile   Les Dégommeuses sont parmi les rares
 pour une personne trans de souscrire une         footballeuses « out » en France, puisqu’au-
 licence de football, tout comme pour les         cune footballeuse en activité n’a encore
 personnes réfugiées et sans-papier. Les          fait son coming-out en France, ce qui
 Dégommeuses proposent donc un espace             dit le poids des représentations. C’est
 inclusif et « safe » à toutes les femmes et      regrettable, car des modèles divers sont

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