GENRES PARENTALITÉS TERRAINS DE LUTTE - RENCONTRES LGBT+ pour une société - SOS homophobie
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RENCONTRES LGBT+ pour une société plus inclusive GENRES PARENTALITÉS TERRAINS DE LUTTE
RENCONTRES LGBT+ pour une société plus inclusive
Éditorial Repenser nos luttes pour une société plus inclusive Comment repenser nos luttes contre toutes les formes de LGBTphobies et de sexisme ? Par quels outils et moyens nouveaux pouvons-nous mieux soutenir les victimes, mieux prévenir les LGBTphobies ? Comment obtenir enfin l’égalité des droits ? Telles sont les questions auxquelles SOS homophobie souhaitait répondre en organisant le 6 octobre 2018 à Paris un des plus grands évènements de ces dernières années qui a réuni l’ensemble du mouvement LGBT français : les Rencontres LGBT+. Onze ateliers thématiques autour du genre, des parentalités et des terrains de lutte LGBT+, plus d’une quarantaine d’intervenant·e·s réuni·e·s dans un lieu exceptionnel, l’Espace Niemeyer. Tous les sujets ont été abordés, des violences LGBTphobes à la diversité des familles, en passant par le sexisme, les transidentités, la situation des personnes intersexes ou encore celle de la PMA et des enfants né·e·s de GPA. C’est l’action parlementaire et la pression associative qui ont permis, durant les deux dernières décennies, de bouleverser le contexte social français : le vote du PACS en 1999 a d’abord donné une base légale aux couples homosexuels, quand l’ouverture du mariage aux couples de même sexe en 2013 leur a donné d’autres droits encore, dont l’adoption. Le paysage des parentalités s’en est trouvé très largement modifié. Parallèlement, les combats féministes et les revendications pour l’égalité ont entraîné des remises en cause des attributs du masculin et du féminin, la fluidité des identités de genre, des revendications transidentitaires et celles des personnes intersexes. Dans ce contexte, les Rencontres LGBT+ ont permis d’échanger et de faire se rencontrer des membres d’associations, des juristes, des sociologues, des responsables d’associations, des témoins et des personnes concernées par les luttes LGBT+. Nous vous proposons dans ces Actes de revivre les débats et les échanges riches qui ont eu lieu lors de cette journée. Un seul objectif a guidé les 300 personnes présentes : construire une société plus ouverte et inclusive dans laquelle les droits de chacune et de chacun sont reconnus, quels que soient son sexe, son genre ou son orientation sexuelle. Joël Deumier, président de SOS homophobie Sylvie Schweitzer, responsable des Rencontres LGBT+
Sommaire Plénière d’ouverture................................................................... 9 Thème 1 : Genres 1.1 �������� Transidentités : état des lieux et perspectives........ 15 1.2 �������� Quels féminismes aujourd’hui ?............................... 21 1.3 �������� L’intersectionnalité : au carrefour des discriminations................... 29 Thème 2 : Parentalités 2.1 �������� Parentalités alternatives et filiation......................... 35 2.2 �������� La PMA : une urgence............................................... 43 2.3 �������� La GPA : quels dispositifs juridiques ?..................... 51 Thème 3 : Terrains de luttes LGBT+ 3.1 �������� Militer dans les médias numériques........................ 59 3.2 �������� Combattre les discriminations dans les lieux d’enseignement....................... 67 3.3 �������� Lutter contre les discriminations au travail............. 75 3.4 �������� Défendre les droits des personnes LGBT+ dans la chaîne pénale...................................... 83 7
Contributions Sasha-Alycia Bavol Me Fabien Joly François Bes Marame Kane Romain Blanchard Olivier Lelarge Flora Bolter Me Caroline Mecary Dominique Boren Alexandra Meynard Sam Bourcier Émilie Morand Romain Burrel Thierry Moulin Éric Chenut Stéphanie Pahud Laurène Chesnel Anne-Laure Pineau Jennyfer Chrétien Delphine Plantive-Pochon Alice Coffin Frédéric Potier Adrián De La Vega Pierrette Pyram Joël Deumier Olive Riccobono-Soulier Gaëlle Dubois Me Clélia Richard Me Émilie Duret Marine Rome Anne-Gaëlle Duvochel Muriel Salle Emil Sylvie Schweitzer Me Jean-Bernard Geoffroy Réjane Senac Véronique Godet Irène Théry Martine Gross Jacques Toubon Me Violaine Henry Sébastien Tüller Me Jérémie Jardonnet Clémence Zamora-Cruz 8
6 octobre 2018 GENRES PARENTALITÉS TERRAINS DE LUTTE Plénière d’ouverture Véronique Godet Vice-présidente de SOS homophobie Joël Deumier Président de SOS homophobie Jacques Toubon Défenseur des droits Frédéric Potier Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT Éric Chenut Vice-président de la MGEN Sylvie Schweitzer Professeure émérite d’histoire contemporaine, Université Lyon 2, Référente du Comité thématique des Rencontres LGBT+ 9
Plénière d’ouverture Véronique Godet souligne que Cette lutte ne sera pas efficace tant que tou·te·s celles et ceux qui sont réuni·e·s l’on ne légifèrera pas pour l’égalité des aujourd’hui partagent un même désir : droits. La PMA est largement souhai- celui de construire une société plus inclu- tée, pour que des milliers de personnes sive, quels que soient le sexe, l’orientation accèdent à la parentalité en toute sécurité sexuelle et l’identité de genre. Une société sanitaire et juridique. Il faut également dans laquelle il ne serait plus nécessaire de protéger les enfants né·e·s de GPA, qui ne lutter contre les LGBTphobies pour obtenir sont toujours pas reconnu·e·s par le droit reconnaissance et droits, dans laquelle français. le taux de suicide des jeunes LGBT+ ne Jacques Toubon se dit très heureux s’élèverait plus à 25%, qui accueillerait d’ouvrir cette rencontre de haut niveau, toutes les parentalités, tou·te·s les enfants dont le programme est de nature à faire et toutes les identités. Une société qui avancer les réflexions sur ces questions cesserait de stigmatiser, de psychiatri- multidisciplinaires. ser, de médicaliser les personnes trans et intersexes. Une société bienveillante, qui Effectivement, les nombreuses avancées vibrerait, vivrait et évoluerait avec celles et législatives concernant les droits des ceux qui la composent. personnes LGBT+ découlent des luttes sociales. Amorcée par les émeutes de Cette journée sera un moment fort de Stonewall aux États-Unis en juin 1969 et réflexion et d’échange, pour contribuer à la constitution, en France, de divers collec- l’élaboration de cette société. La liberté tifs, la lutte pour les droits des personnes doit être la même pour toutes et tous, car LGBT+ s’est traduite dans le droit par la fraternité ne peut exister sans égalité. l’abrogation, au début des années 1980, Cette journée est déclinée en plusieurs de l’article 331 alinéa 2 du Code pénal, temps. Des paroles masculines se feront connu comme la mesure dépénalisant entendre tout d’abord : celles de Jacques l’homosexualité. Elle s’est également tra- Toubon, de Frédéric Potier, d’Éric Chenut duite par l’adoption de la loi sur le PACS en et de Joël Deumier. Cette dominante de 1999 et plus récemment par l’adoption de voix masculines est le signe qu’il demeure la loi ouvrant le mariage civil aux couples urgent d’œuvrer pour une inclusivité effec- de personnes de même sexe. tive, réelle et pérenne. Puis seront ouverts Depuis 50 ans, la mobilisation de la une série de dix ateliers pour réfléchir à société civile a permis le basculement différentes thématiques des luttes LGBT+. d’un système réprimant l’homosexualité Joël Deumier signale que ces rencontres vers un système s’attachant à réprimer et ont pour objectif de rassembler associa- à prévenir l’homophobie. Ce changement tions, militant·e·s, avocat·e·s, sociologues, de paradigme a aussi été favorisé par anthropologues, historien·ne·s, etc. autour l’émergence d’un droit de la non-discrimi- de plusieurs thématiques chères à la nation au début des années 2000, sous communauté LGBT+ : les genres, l’in- l’influence de l’Union Européenne et carac- tersectionnalité, les parentalités et la térisé par l’introduction en droit français lutte contre les LGBTphobies. Ces der- des critères de discrimination en raison de niers mois, les actes homophobes et l’orientation sexuelle (2004), puis en rai- transphobes se sont succédé partout en son de l’identité sexuelle (2012), devenue France, parfois dans le silence des pou- « identité de genre » en 2016. voirs publics. Il faut prendre conscience SOS homophobie a joué un rôle essentiel que l’homophobie et la transphobie ne dans ces avancées. Cette organisation sont pas acceptables. 10
Plénière d’ouverture dispose en effet d’un maillage territorial sur pièces et sur place et possibilités de important, qui lui a permis de faire remon- mise en demeure) et d’action pour ce ter les expériences du terrain et d’alimenter faire (médiation et résolution amiable des son action et elle est par ailleurs la seule différends, transaction, saisine d’un·e pro- à publier un état des lieux annuel des cureur·e de la République ou des autorités LGBTphobies en France. Le partenariat disciplinaires, observations devant les avec cette association doit être poursuivi, juridictions, etc.). Il peut ensuite présenter notamment parce qu’il donne lieu à des ses observations devant les juridictions, réalisations pratiques, comme le Guide comme il l’a fait à 120 reprises l’année pratique contre les LGBTphobies publié en dernière, pour un taux de succès de près 2018. de 75%. Le chemin parcouru est considérable, Ces saisines ne constituent que la par- mais les actes et propos LGBTphobes tie émergée de l’iceberg et sont bien en restent importants. Selon une enquête deçà de la réalité subie par les personnes menée par la DILCRAH et la Fondation LGBT+. Les victimes de discriminations Jean-Jaurès, une personne LGBT+ sur entreprennent rarement des démarches trois a ainsi été discriminée en raison de pour faire valoir leurs droits et invoquent son orientation sexuelle au cours de sa vie souvent l’inutilité d’un éventuel recours, et plus d’une personne LGBT+ sur deux a parce qu’elles ont peur des conséquences déjà fait l’objet d’une forme d’agression à négatives de ces déclarations et manquent caractère homophobe. Cette prévalence parfois de preuves, ce qui constitue une est considérable, en particulier dans le grande difficulté. La méconnaissance des domaine de l’emploi. voies et des acteurs de recours doit aussi être évoquée. Aussi, pour de nombreuses Lorsqu’une personne LGBT+ est rejetée, personnes LGBT+, il semble encore néces- c’est la société dans son ensemble qui saire de faire « profil bas » et de tolérer souffre d’une régression des valeurs fon- certaines remarques et plaisanteries pour damentales autour desquelles elle s’est se faire accepter ou pour éviter des pro- construite. La lutte contre la discrimina- pos et comportements plus violents. tion est de la responsabilité de chacun et notamment du Défenseur des droits. Afin de lutter contre ce taux de non-re- Celui-ci reçoit chaque année environ une cours, le Défenseur des droits effectue des centaine de dossiers pour des faits de actions de promotion de l’égalité et d’ac- discrimination liés à l’orientation sexuelle cès aux droits et s’emploie à faire évoluer ou l’identité de genre, qu’il s’agisse de le droit et la législation. L’identité de genre l’entrave au droit de se marier d’un couple a notamment été inscrite dans la loi, à la franco-marocain, du refus de location place de l’égalité sexuelle, et d’autres posi- opposé à un couple de lesbiennes, de la tions fondamentales ont été prises devant rupture discriminatoire de la période d’es- le Parlement, par exemple pour ouvrir la sai d’un jeune homosexuel ou encore des PMA à toutes et à tous. Dans la loi Binet, difficultés que rencontrent les personnes il a également été proposé qu’une solution transidentitaires dans leurs interactions déclarative soit mise en œuvre s’agissant avec toute une série de services. du changement d’état civil des personnes transidentitaires. L’intervention des juges Le Défenseur des droits entend alors crée en effet une forme d’inégalité. systématiquement rétablir la personne dans ses droits et use de ses larges Le Défenseur des droits s’occupe aussi pouvoirs d’enquête (demandes d’explica- du sujet du don du sang. Fin septembre tions, auditions, convocations, contrôles 2018, devant la Commission des Affaires 11
Plénière d’ouverture sociales, a été adoptée une proposition visibilité. Les Gay Games ont également de loi portant sur l’organisation du don permis de rendre visibles plusieurs ques- du sang. À l’occasion de l’examen de tions. Des dizaines d’années de combat cette proposition, deux amendements ont associatif ont précédé ces actions et il été présentés par le Parti socialiste et la faut leur rendre hommage. France insoumise, consistant à faire sauter Le combat n’est cependant pas terminé la période d’évaluation d’un an pour per- et plusieurs chantiers se profilent, à com- mettre que les personnes homosexuelles mencer par le chantier législatif relatif puissent donner leur sang. Il faut à présent à la PMA, dès le début de l’année 2019, attendre de la part de l’Institut de veille ou celui qui a trait au don du sang, car le sanitaire les études et l’évaluation. Les délai d’un an ne correspond à aucun élé- députés de la majorité ont voté contre ces ment factuel sur le plan de la santé. Une amendements, à la demande de l’adminis- proposition de loi est aussi en cours de tration, qui considère qu’il faut continuer préparation s’agissant des thérapies de l’évaluation et maintenir le délai d’un an. conversion. Or il est extrêmement important que ces amendements aient été votés. La propo- Éric Chenut explique que la MGEN juge sition de loi arrivera en séance publique nécessaire d’accompagner les travaux le 11 octobre 2018. Il faut donc agir pour de SOS homophobie. Ce lien est évident, que tou·te·s les député·e·s approuvent ces car la MGEN est avant tout une société amendements, ce qui aura au moins le réunissant des femmes et des hommes mérite d’accélérer les études en cours. engagé·e·s pour un projet plus juste, laïque, humain. Une société, dans laquelle Il faut agir en décloisonnant les luttes et en tous et toutes peuvent être libres de leurs s’intéressant à l’imbrication des rapports choix et égaux dans leurs droits. Telle est sociaux, notamment de sexe, de classe et l’histoire de la MGEN depuis plus de 70 de race. La lutte contre les LGBTphobies ans, après avoir été créée en 1946 à l’ini- s’est essentiellement centrée autour de tiative de résistant·e·s et de syndicalistes, la figure de l’homme homosexuel, blanc, qui ont porté ce projet d’émancipation par jeune et urbain. Or une approche seg- la culture, la citoyenneté, la santé et la soli- mentée a pour conséquences de tendre darité. C’est dans cette droite ligne que la à une essentialisation et de négliger les MGEN continue d’inscrire son action et situations de cumul de discriminations poursuit ses combats, notamment pour et d’intersectionnalité. Dans ce contexte, les droits des femmes et contre toute je suis ravi qu’un atelier soit consacré à forme de discrimination. repenser et à mieux prendre en considé- ration la réalité de ces expériences, leur Elle prend ainsi des initiatives, comme croisement et les formes de rejet qu’elles cela a été le cas à l’occasion de la révision peuvent provoquer. Il s’agit d’un combat des lois de bioéthique, où elle a contribué global : pour obtenir une société inclusive, à la réflexion collective sur l’intelligence il faut mener un combat inclusif. artificielle, la question de la fin de vie et celle des familles, de la procréation et Frédéric Potier souligne à son tour que de la PMA. Elle mobilise pour ce faire les gens, les temps changent et qu’il est l’ensemble de ses réseaux militants, en possible de transformer les mentalités. faisant en sorte que plus de 70 départe- En 2018, un observatoire LGBT+ a été ments aient organisé des débats sur la lancé, avec la fondation Jean-Jaurès, dont question des familles et des parentalités, les premiers résultats sont très encou- des différents modes de procréation, etc. rageants en termes de recherche et de Il s’agit là aussi de faire bouger les lignes 12
Plénière d’ouverture et d’alimenter la réflexion collective, en Ceci dit, elle regrette que la préparation posant des enjeux et en rappelant les réa- de cette journée ait mis au jour des dis- lités de vie des uns et des autres. tou·te·s sensions, voire des querelles de chapelle ces militant·e·s engagé·e·s peuvent faire qui ne font qu’affaiblir des luttes déjà vivre ces valeurs. difficiles. Comme historienne, elle sait combien les défaites sociales ont sou- Cet engagement sera poursuivi auprès vent été pavées de divisions absurdes et des institutions politiques, pour obtenir la de luttes intestines stériles. PMA pour toutes les femmes, ainsi que sa prise en charge par la protection sociale. Avec quatre intervenants et deux inter- La MGEN est convaincue qu’une partie venantes, cette séance d’ouverture de la solution viendra aussi de la société reste marquée par les réalités sociales civile. Il faut ainsi toujours témoigner, agir contemporaines, contre lesquelles et ne jamais se résigner. Jean Cocteau SOS homophobie se bat à juste titre, disait « le passé n’est pas si simple, le pour autoriser une société plus inclusive. présent n’est qu’indicatif et le futur sera Cependant, on notera que les femmes toujours conditionnel. » Il faut donc sont majoritaires parmi les intervenant·e·s s’engager et se mobiliser pour créer les des ateliers de la journée, soit 27 femmes conditions d’une société ouverte et inclu- pour 15 hommes. sive. La MGEN sera présente aux côtés de SOS homophobie – dont le travail est essentiel pour la démocratie – pour mener ce combat contre le repli identitaire et la montée des populismes. Sylvie Schweitzer explique que cette journée sera programmatique et a été conçue comme un espace d’échanges et de propositions, autour de plusieurs thèmes qui sont l’ADN de SOS homopho- bie, association généraliste prenant en charge la diversité des discriminations. Certaines discriminations sont anciennes, comme le sexisme, les discriminations intersectionnelles, les modalités de l’adoption, l’égalité des droits en milieu professionnel ou face à la justice, etc. D’autres questionnements sont plus récents, comme la PMA ou le travail mili- tant dans les métiers numériques, etc. Dix ateliers ont été organisés pour que se rencontrent des journalistes, des uni- versitaires, des juristes, des militant·e·s associatif·ve·s et syndicalistes, proches du terrain. Une volonté de diversité a pré- sidé à l’organisation de ces ateliers et les débats n’ont pas vocation à faire émerger un consensus mou. 13
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6 octobre 2018 GENRES Atelier 1.1 PARENTALITÉS TERRAINS DE LUTTE Transidentités : état des lieux et perspectives Sasha-Alycia Bavol Inter-LGBT, déléguée chargée des Droits des Personnes Trans et Intersexes, et Identités de Genre, présidente de l’association Au-delà du Genre « Droits des personnes trans : Quelles avancées ? Quelles urgences ? » Sam Bourcier Maître de conférences, Université de Lille 3 « Les trans entre violence administrative et violence épistémique » Olive Riccobono-Soulier Co-président du centre LGBT+ d’Avignon « Associations, remise en cause de l’hétéronorme et acceptation de l’autodétermination » Anne-Gaëlle Duvochel Vice-présidente de L’Autre Cercle Modératrice 15
Transidentités : état des lieux et perspectives Sasha-Alycia Bavol remarque qu’avant civil pouvant repousser le dossier à sa la loi de novembre 2016, aucune dispo- guise, ce qui engendre de fortes disparités sition n’était prévue pour la procédure de de traitement selon les mairies. La procé- changement d’état civil, mais des jurispru- dure suppose en outre que les personnes dences servaient de point de repère pour trans doivent vivre pendant un certain les tribunaux. Le changement d’état civil temps selon une discordance entre l’état était alors médicalisé et judiciarisé, il fal- civil et le genre revendiqué, ce qui les sou- lait attester d’avoir effectué les opérations met à des situations de discrimination. Ce médicales et d’avoir bénéficié d’un suivi point devrait donc lui aussi être modifié. psychiatrique de longue durée. Ensuite, il Il serait donc bon de déjudiciariser le chan- était nécessaire de soumettre son dossier gement d’état civil, avec une procédure au tribunal. simplifiée, basée sur l’autodétermina- La France avait été condamnée par la Cour tion des personnes trans et ouverte aux européenne des droits de l’Homme et le mineur·e·s. Il faudrait aussi revoir la défi- Conseil de l’Europe pour cette situation, nition de « trouble de l’identité de genre », qui ne respectait pas la dignité des per- dans une catégorie moins stigmatisante, sonnes trans. Elle a donc dû proposer une pour garantir la prise en charge financière nouvelle loi et il est désormais demandé des transitions. aux personnes trans de justifier par des La scolarité des jeunes trans demeure par documents qu’elles sont connues sous le ailleurs lacunaire. Le ministère de l’Édu- prénom du genre revendiqué. Cette procé- cation nationale devrait ainsi prendre des dure s’effectue en mairie. directives pour que les écoles respectent Le changement de sexe à l’état civil le genre et le prénom d’usage des per- est quant à lui simplifié et il n’est plus sonnes. Un travail mérite aussi d’être demandé aux personnes de justifier d’opé- fourni s’agissant du respect de la dignité rations, ni de produire des attestations des personnes trans en prison. médicales. L’article de loi précise ainsi Les questions de l’accès au traitement, du qu’il suffit de mettre en avant des faits langage médiatique autour des personnes suffisants : se présenter publiquement trans, de formation du grand public, des comme appartenant au sexe revendiqué, collectivités publiques, des forces de être connu sous le sexe revendiqué, avoir l’ordre, de précarité et de fragilité des per- obtenu le changement de son prénom sonnes trans, de la parentalité, doivent pour y correspondre. La loi a ainsi permis enfin être traitées. à de nombreuses personnes d’obtenir leur changement d’état civil, sans attester ni Anne-Gaëlle Duvochel ajoute que les prouver les opérations. personnes qui entament des transitions souhaitent parfois que leurs gamètes Cette loi demeure perfectible, car la soient conservés, afin de pouvoir les uti- demande reste soumise à l’appréciation liser dans le futur, ce qui est aujourd’hui des juges, souvent basée sur des stéréo- impossible en France. types de genre. Cette procédure ne permet donc pas à certaines personnes trans – Une intervenante signale qu’elle vient notamment les personnes non binaires de commencer une procédure de conser- – d’accéder au changement d’état civil. vation de gamètes à l’hôpital Jean-Verdier Les données concernant le taux d’accep- de Bondy, où elle a été très bien reçue, tant tation des dossiers par les tribunaux ne par le médecin que par la psychologue. sont également pas suffisantes pour le Dans cet hôpital, jamais un dossier n’a été changement de prénom, l’officier d’état refusé, contrairement à bien des CECOS. 16 GENRES
Transidentités : état des lieux et perspectives Anne-Gaëlle Duvochel insiste sur les demander le changement de civilité sur difficultés de reconnaissance des per- les diplômes obtenus. Ces violences sonnes trans non-binaires en France, administratives constituent une forme de difficultés qui posent de fait la question de biopouvoir, de pouvoir qui s’exerce sur la la reconnaissance d’un troisième genre. vie. Une intervenante a déjà rencontré des Ce pouvoir s’exerce grâce aux savoirs problèmes avec la police lors de fouilles et aux sciences, qui permettent l’admi- et palpations. La cour d’appel semble ainsi nistration de la vie des minorités. C’est considérer que, pour les trans, les fouilles ce qui arrive aux personnes LGBT+, qui et palpations doivent être effectuées sont gérées comme des « populations ». selon la situation génitale des individus et Ces violences épistémiques consistent ce quel que soit leur état civil, ce qui est à contrôler des sujets de savoir margina- anormal. lisés par le biais de diverses opérations d’exclusion, d’effacement, de régulation, Sam Bourcier explique qu’il travaille à de dépossession et d’appropriation. l’Université de Lille sur les discrimina- Aujourd’hui en France, la grande majorité tions auxquelles les trans doivent faire des savoirs universitaires sur les trans, face à l’université, qu’il s’agisse des les queers et les LGBT+ se font sur leur professeur·e·s, des étudiant·e·s et des per- dos. Les trans et les queers ne peuvent sonnels administratifs. pas réaliser de thèses en trans ni en queer Certaines de ces violences, centrales, sont studies avec les méthodologies qui leur d’ordre administratif. Elles concernent les conviennent, car, si i·elles le font, i·elles changements de prénom, l’état civil et sont accusé·e·s d’être des militant·e·s la civilité sur les diplômes. D’autres vio- et non des scientifiques et sont ainsi de lences, moins connues, mais tout à fait facto exclu·e·s du champ scientifique. lancinantes, sont d’ordre épistémique. Or les paroles transphobes et homophobes Elles découlent de la production des sont toujours proférées depuis une posi- savoirs. tion d’ignorance et non de savoir. Ainsi, Des associations trans sont à l’origine de non seulement les étudiant·e·s et doc- ces demandes en matière de lutte contre torant·e·s trans ne peuvent pas travailler les discriminations, mais les universités en s’appuyant sur des études trans, mais françaises répondent à ces questions par i·elles sont recouvert·e·s par des pseu- obligation, pour répondre aux impératifs do-expert·e·s et enseignant·e·s en études de management de la diversité qu’elles ne de genre, qui n’y connaissent rien. Il arrive connaissent pourtant pas. Les universités même à ces dernier·e·s de se servir des obtempèrent donc sous la pression euro- étudiant·e·s pour réaffirmer leur vision de péenne. Dans ce contexte, les politiques la différence sexuelle. La plupart du temps, mises en œuvre mettent les personnes en les étudiant·e·s connaissent ainsi mieux situation de victimes, ce qui constitue le ces sujets d’étude que les enseignant·e·s. contraire de l’empowerment des minorités Face à ces situations, les étudiant·e·s sexuelles. trans sont contraint·e·s d’abandonner leurs projets et les enseignant·e·s trans Les violences administratives se tra- de se taire. Ces étudiant·e·s sont systéma- duisent notamment par le refus de tiquement exclu·e·s des productions de l’université d’indiquer le prénom d’usage savoir qui les concernent. La faculté fran- sur tous les documents administratifs çaise continue de proscrire la production et pédagogiques, ou de le faire au cas des savoirs minoritaires en général et fait par cas. De même, il est très difficile de GENRES 17
Transidentités : état des lieux et perspectives ainsi preuve de violence. c’est se mettre dans la posture du parent vis-à-vis de son enfant. Il faudrait égale- Pour que les trans soient plus visibles à ment une posture critique vis-à-vis des l’université, moins précaires, moins dépri- expert·e·s qui nourrissent quelques illu- mé·e·s, moins suicidaires, pour qu’i·elles sions sur leur rôle. osent investir cet espace critique et de pensée, des solutions juridiques existent. Les associations, familles, universités, Il faudrait cependant qualifier ces « vio- proches, etc., cheminent avec les per- lences épistémiques » au niveau juridique sonnes transidentitaires mais, de fait, ce et faire en sorte que les luttes contre sont souvent eux qui doivent effectuer un les discriminations soient pérennes. Il parcours de transition pour sortir de leurs faut également intervenir au niveau des représentations. Par exemple, la demande recrutements et de la constitution des de civilité fait encore souvent partie des disciplines, ce qui n’a jamais été le cas. réflexes de chacun, ce qui montre l’am- Il faut aller vers l’affirmation et ne pas se pleur du chemin qui reste à parcourir pour contenter de la lutte négative et protec- se libérer de l’hétéronormie et accueillir trice, qui demeure néanmoins nécessaire l’expression du genre. pour combattre les discriminations. La Il faudrait un mouvement de croise- lutte contre les discriminations relève ment des savoirs, des porteurs de également de l’affirmation personnelle et connaissances trans, des associations culturelle des personnes trans. spécialisées, etc., au lieu de rester dans Anne-Gaëlle Duvochel remarque que une vision binaire de la réalité. Il faut pas- les attestations de diplôme peuvent être ser par des alliances associatives, même délivrées au nom du nouveau genre. si l’alliance ne garantit ni l’absence de vol de parole, ni l’absence de hiérarchie. Sam Bourcier signale que la civilité n’a pas valeur d’état civil et ne devrait donc Dans la réalité, les parcours ne corres- pas figurer sur les diplômes, où il suffi- pondent jamais à des lignes droites, rait donc de supprimer ces notions de chacun·e se construit et s’autodétermine « Madame » et de « Monsieur ». Il faudrait au fil de son existence. aussi développer le management de la diversité, à l’exemple des États-Unis. Anne-Gaëlle Duvochel observe que de nombreux humains doivent se battre pour Sasha-Alycia Bavol regrette le manque conserver intacts leurs territoires. Par ail- d’uniformisation des pratiques en matière leurs, les notions genrées, « homme » et de retrait de la civilité des diplômes « femme », constituent des repères fon- universitaires. damentaux chez l’être humain depuis la nuit des temps, en lien prioritaire avec la Une intervenante observe que, dans le reproduction. C’est donc une véritable monde professionnel, seuls des accords révolution anthropologique qu’il nous faut d’entreprise peuvent permettre d’avoir un réaliser. impact. Or ces accords nécessitent de passer par les organisations syndicales, Sasha-Alycia Bavol explique que, qui ne sont pas exemptes de transphobie. comme militante associative, elle essaye de partir des besoins de la personne pour Olive Riccobono-Soulier remarque l’assister, donnant à chacun·e la possi- que ce phénomène d’invisibilisation des bilité de s’exprimer, pour qu’i·elle soit en savoirs trans ne s’observe pas qu’à l’univer- mesure de faire les propositions qui les sité. Prétendre accompagner un parcours, concernent au premier chef. en l’occurrence celui des personnes trans, 18 GENRES
Transidentités : état des lieux et perspectives Une intervenante signale un regrettable neutre permettrait à de nombreuses per- recul en matière des pratiques relatives sonnes de vivre bien mieux. au changement de prénom, dans les mai- Une intervenante considère qu’il faut ries marseillaises, où il est de plus en plus modifier les fondements de la société nécessaire de présenter des attestations sur le genre et réfléchir à une autre forme médicales et psychiatriques. d’organisation. Sasha-Alycia Bavol distingue le chan- Une intervenante observe que les per- gement genré d’état civil et changement sonnes cisgenres ignorent tout de ce de prénom pour lequel l’officier d’état civil qu’est la transidentité. Il faudrait ainsi conserve son pouvoir. développer l’information et repartir à la Emmanuelle Haddou relate un récente découverte de ce qui constitue l’humanité, demande faite par une personne inter- qui se compose d’êtres humains tou·te·s sexe auprès de la Cour de cassation pour différent·e·s. Le genre n’est pas une obtenir un genre neutre, demande qui s’est notion médicale, mais une simple notion soldée par un échec, alors que, pour ces sociologique, la différence sexuelle est personnes intersexes, le genre neutre est une fiction. La transphobie a bien pour ori- la seule solution. L’État entend donc impo- gine un défaut de connaissance de l’autre ser la binarité aux trans et aux personnes et il faudrait développer l’information de intersexes. tou·te·s. Un intervenant signale qu’il souhaite Une intervenante confirme que changer de prénom et que l’adminis- SOS homophobie entend, à long terme, tration exige de sa part des certificats demander l’abolition du marqueur de médicaux. Il rencontre également des genre à l’état civil ; en attendant, il problèmes avec son université dans ce faut donc trouver des compromis domaine. Au-delà de la loi, l’autodétermi- et accompagner les personnes nation semble très importante, avec la trans pour leur éviter les suppression de la mention du sexe sur les discriminations. documents d’identité. Une intervenante estime cependant que l’apparition d’une troisième case réservée au genre neutre à l’état civil constituerait une porte ouverte aux discriminations, car une telle case continuerait d’alimenter une absurde hiérarchie des genres. Il faut donc ôter ces cases réservées, qui ne sont absolument pas nécessaires. Emmanuelle Haddou remarque que le genre revêt cependant une importance lors de l’hospitalisation (où les chambres sont doubles) et l’incarcération, ainsi qu’à l’occasion des palpations effectuées par des policiers. Le refus de l’indication du genre peut ainsi augmenter le nombre de violences, notamment sexuelles, sur les personnes en position de vulnérabi- lité. Elle pense que l’obtention d’un genre GENRES 19
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6 octobre 2018 GENRES Atelier 1.2 PARENTALITÉS TERRAINS DE LUTTE Quels féminismes aujourd’hui ? Stéphanie Pahud Maîtresse de conférences, Université de Lausanne « ‘Tout foutre en l’air !’ … Mais ‘tout’, c’est quoi ? » Marine Rome Co-présidente des Dégommeuses « Les Dégommeuses, une approche féministe par le terrain » Sylvie Schweitzer Professeure émérite, Université Lyon 2 « Diplômes, métiers, maternité : les féministes et leurs alliés » Réjane Senac Directrice de recherches au CNRS, Sciences Po Paris Modératrice 21
Quels féminismes aujourd’hui ? Réjane Senac indique qu’il s’agit dans l’enseignement dispensé dans les lycées cet atelier d’interroger les enjeux d’au- publics et passer le baccalauréat, pre- jourd’hui sur les féminismes. Si la politique mier diplôme de l’enseignement supérieur, d’inclusion, évoquée dans la plénière, fait contrairement aux filles, qui ne pourront nécessairement suite à une exclusion, accéder à cet examen qu’en 1924, soit 120 une inclusion à égalité, et au-delà de toute ans plus tard. Les motifs avancés pour assignation aux singularités, représente empêcher les filles de passer ces diplômes un défi complexe. importants sont toujours ancrées dans le biologique : elles seraient trop faibles, trop Sylvie Schweitzer confirme qu’effec- émotives, pas assez armées intellectuelle- tivement le thème de l’égalité entre les ment pour passer cet examen. Et il faudra hommes et les femmes est passé de l’ex- attendre encore un demi-siècle, 1974, pour clusion à l’inclusion. Femmes et hommes que toutes les formations scolaires et uni- sont récemment parvenus à une égalité versitaires deviennent mixtes et donc que juridique formelle indéniable, égalité qui les filles puissent confronter leurs résul- ne présume pas d’autres formes de discri- tats scolaires (et leurs ambitions) à leurs minations et de hiérarchies sociales. frères, leurs cousins, leurs amis, bref, aux De fait, les revendications égalitaires entre garçons. Ne vient qu’alors la déconstruc- les femmes et les hommes sont anciennes tion des stéréotypes de genre qui tendent et remontent même à la Révolution fran- à confiner les unes et les autres dans la çaise, puisque la Déclaration des Droits sexuation du marché du travail. de l’Homme disposait bien que « tous L’accès des femmes à la décision poli- les hommes naissent libres et égaux en tique, économique, sociale et scientifique droits ». Reste qu’après bien des débats, a été un long chemin. Ces droits ont été les femmes ont été considérées comme obtenus avec l’aide d’alliés – notamment des « Hommes » moins égaux que les des pères et des conjoints – et un lobbying autres, notamment au vu de leurs diffé- constant. Pour ne donner qu’un exemple, rences anatomiques qui justifiaient des Blanche Edwards-Pillet, pour se faire différences de statut et notamment l’ac- ouvrir l’internat de médecine avait fait, cès à la citoyenneté. dans les années 1880, plus de 300 visites Les arguments de la domination par les à des ministres, députés et sénateurs. Elle dominant·e·s s’ancrent toujours dans la fut la première femme très diplômée à différence biologique qui légitime de facto exercer, quand la première avocate a prêté la discrimination et donc la hiérarchie serment en 1900, la première magistrate sociale. Par ailleurs, pour les dominé·e·s a été nommée en 1947, la première com- et quel·le·s qu’i·elles soient, la voie vers missaire de police en 1977, quand nous l’égalité s’organise toujours dans une poli- attendons toujours la première présidente tique des tout petits pas, les dominant·e·s de la République. résistant autant que faire se peut. L’accès à la libre maternité doit être pensé Néanmoins, les luttes égalitaires qui abou- comme la condition sine qua non de l’éga- tissent sont toujours inscrites dans une lité entre les hommes et les femmes, alliance entre les concerné·e·s et leurs comme le souligne Françoise Héritier, et allié·e·s, dont on n’aura garde de sous-esti- c’est un très long combat que de désa- mer la présence et l’efficacité. morcer l’idée que les femmes portent et élèvent les enfants pendant que les Quelques exemples : en 1808, vingt hommes se chargent du reste des déci- ans après la Déclaration des Droits de sions sociétales. En 1920, au lendemain l’Homme, les garçons peuvent suivre 22 GENRES
Quels féminismes aujourd’hui ? de la Première Guerre mondiale, des lois Pour ce qui est du corps, les féministes souvent dites « scélérates » ont interdit contemporaines accordent une large la publicité et l’accès à la contraception place à ses représentations mais surtout et il a fallu attendre 1967 pour que la loi à ses réappropriations. Comme la langue, Neuwirth l’autorise dans une alliance de le corps est un lieu d’intelligibilité et de député·e·s gaullistes, socialistes et com- négociation politique du monde. munistes, quand le Parlement ne comptait La question de la transmission - de la mise même pas 3% de femmes. La loi Veil a elle en conversation sociale - constitue un aussi, et comme on le sait, été portée au point crucial des militantismes, à laquelle Parlement par des alliés masculins. l’univers numérique permet de réfléchir : Globalement, le sexisme est intéressant caractérisant le féminisme de quatrième à observer comme matrice de l’ensemble génération, ce dernier est présenté comme des discriminations qui se ressemblent un lieu d’innovations féministes et un outil puis s’assemblent, qu’il s’agisse du sexe d’empowerment. biologique, comme de la différence de En ce qui concerne le dialogue avec les couleur de peau ou du refus de la binarité. antiféminismes et la LGBTphobie, la Stéphanie Pahud fait entendre Virginie presse traite davantage au quotidien les Despentes, le « féminisme est une révo- questions « féministes », qui ne sont plus lution, pas un réaménagement des réservées à la journée du 8 mars. Mais il consignes marketing. Le féminisme est conviendrait de veiller davantage à la mise une aventure collective, pour les femmes, en discours des luttes pour cerner les biais pour les hommes et pour les autres. Une qu’induisent les termes utilisés. Il faudrait révolution bien en marche. Une vision du à cet égard sortir le féminisme des pola- monde. Un choix. Il ne s’agit pas d’oppo- risations de surface qui engendrent ce ser les petits avantages des femmes aux que Gracq dénonçait en 1950 concernant petits acquis des hommes, mais bien de la littérature, à savoir une « électoralisa- tout foutre en l’air ». Cet appel peut être tion » : « un geste fiévreux d’adhésion ou perçu de façon stimulante, mais aussi de de non-adhésion, une sympathie ou une façon angoissante. antipathie pures ». Le féminisme s’incarne actuellement dans La réflexivité, c’est d’abord observer les une multitude croissante de tendances, objets de recherche et de lutte avec des dont les interprétations sont souvent « lunettes genrées », pour combattre les perturbées par les biais idéologiques de cécités. La question LGBT+, les recon- leurs contextes d’émergence. Des rendus naissances des minorités racialisées médiatiques, souvent confusionnels, en reconfigurent le féminisme, dont le sujet viennent à troubler les modalités mêmes n’est plus seulement la défense des d’expression des féminismes. femmes. Mais la question de la réflexivité problématise aussi l’intégration des posi- Sont évoqués les quatre terrains actuels tions subjectives des chercheuses ou des des luttes féministes : le quotidien, la militantes, l’alliance de leurs compétences politique, l’université et l’internet. Quatre et de leurs expériences. La réflexivité per- axes des nouveaux féminismes (la qua- met globalement d’insister sur le fait que trième vague des féminismes remonte au le féminisme est un état à incorporer début des années 2010) sont à prendre en et à (re)négocier, pas un costume prêt à compte : le corps, l’univers du numérique, passer. le dialogue avec les antiféminismes / la LGBTphobie et la réflexivité. GENRES 23
Quels féminismes aujourd’hui ? Enfin, les discours féministes étant hommes trans qui auraient peur d’être dis- sous-tendus par une visée pragmatique, criminé·e·s en raison de leur orientation il semble primordial d’analyser les moda- sexuelle ou identité de genre. Le football lités selon lesquelles ils tentent d’agir a la force de mélanger les personnes, les sur leur·s cible·s. À ce titre, on peut leur classes sociales, autour d’une passion prêter le même double rôle qu’attribue le commune. sociologue Loïc Wacquant aux sciences Les Dégommeuses entendent égale- sociales, un double rôle « de dissolvant ment porter un message politique pour et de phare » : il leur revient aussi bien de faire avancer les luttes et porter une voix casser de (fausses) évidences que d’éclai- dans l’espace public. Elles organisent rer les transformations contemporaines. des matchs, ce qui leur permet de partir La circulation de la parole est un autre à la rencontre des jeunes, dans les gym- aspect pragmatique important des nou- nases et les terrains de sport en région veaux féminismes. Tout individu doit se parisienne. L’association organise réguliè- sentir autorisé à parler pour être reconnu rement des événements pour sensibiliser comme sujet et agir dans sa propre vie le grand public à des enjeux de société. avec le plus de liberté possible. Foot For Freedom, en 2016, a été une semaine d’actions portant sur les condi- Toutes ces réflexions liées et conjointes, tions de vie des migrant·e·s LGBT+. Cet appellent une réflexion de fond sur la événement ponctuel a été suivi par une notion de respect : il est indispensable de « tournée » pendant laquelle plusieurs briser le cercle vicieux de la justification Dégommeuses sont retournées dans des attitudes pour permettre l’émergence leurs villages d’origine. Aujourd’hui mili- d’espaces de reconnaissance mutuelle tantes actives et visibles dans le milieu des positions subjectives. LGBT+ parisien, elles ont eu envie de ce Marine Rome indique que les « retour aux sources » pour parler du sens Dégommeuses sont une équipe de foot- de leur engagement à leurs ami·e·s, leurs ball sportive et militante, majoritairement familles, aux pouvoirs politiques locaux. composée de lesbiennes et de per- Et aussi faire en sorte que leurs pair·e·s sonnes trans. Cette association utilise le LGBT+ resté·e·s sur place (notamment football comme un outil de lutte contre parmi les plus jeunes) se sentent moins les discriminations et a été fondée par seul·e·s. L’association s’est ainsi rendue Cécile Chartrain, frustrée de n’avoir pu en Auvergne et dans le Calvados, où elle jouer au football dans sa jeunesse. Les organise des tournois de football avec Dégommeuses ont envie de briser les les clubs locaux et les CADA (centres résistances pour que les femmes s’épa- d’accueil des demandeur·se·s d’asile). nouissent dans le football et de faire de ce Les Dégommeuses sont en outre très sport un outil militant. présentes dans les médias et les réseaux sociaux, pour faire essaimer leur message Le football est un milieu assez sexiste et et essayer de susciter des vocations ou homophobe, tant dans le foot féminin que inciter au développement des solidarités. masculin. Par ailleurs, pour des raisons administratives, il est de plus très difficile Les Dégommeuses sont parmi les rares pour une personne trans de souscrire une footballeuses « out » en France, puisqu’au- licence de football, tout comme pour les cune footballeuse en activité n’a encore personnes réfugiées et sans-papier. Les fait son coming-out en France, ce qui Dégommeuses proposent donc un espace dit le poids des représentations. C’est inclusif et « safe » à toutes les femmes et regrettable, car des modèles divers sont 24 GENRES
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