GUY CASSIERS DIPTYQUE SUR LA MIGRATION - le phénix, scène nationale ...

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GUY CASSIERS DIPTYQUE SUR LA MIGRATION - le phénix, scène nationale ...
GUY CASSIERS

DIPTYQUE SUR LA MIGRATION
GUY CASSIERS DIPTYQUE SUR LA MIGRATION - le phénix, scène nationale ...
GUY CASSIERS

                                                  Guy Cassiers (1960) appartient au
                                                  cénacle des plus grands créateurs
                                                  européens de théâtre. Son langage
                                                  théâtral singulier, qui fait s’unir la
                                                  technologie visuelle à la passion
                                                  pour la littérature, est apprécié tant
                                                  dans son propre pays qu’à l’étranger.
                                                  Il a reçu le prix Thersites de la
                                                  critique flamande pour l’ensemble
                                                  de son œuvre (1997), le Prix pour
                                                  les arts de la ville d’Amsterdam et
                                                  le Werkpreis Spielzeiteuropa des
                                                  Berliner Festspiele pour son cycle
                                                  sur Proust (2004), le Prix Europe
                                                  Nouvelles réalités théâtrales (2009)
                                                  et, de pair avec Ivo Van Hove, un
                                                  doctorat Honoris Causa pour mérites
                                                  généraux par l’Université d’Anvers.

                  En 2016, Guy Cassiers met en scène une pièce qui s’articule autour du
                  pouvoir et de l’abus de pouvoir : De welwillenden, d’après le roman
                  éponyme de Jonathan Littell. Pour la saison 2016-2017, il prépare De
                  moed om te doden (La force de tuer) de l’auteur dramatique suédois
                  Lars Norén. À l’occasion de l’inauguration du festival urbain Op.Recht.
                  Mechelen, extraits du spectacle Sang & roses (2011) sont présentés
                  sous forme de lecture concertante. Au Japon, il recrée le spectacle
                  de théâtre musical House of the Sleeping beauties, d’après le roman
                  de Kawabata, qu’il a créé en 2009 avec le compositeur Kris Defoort.
                  Ensuite, Guy Cassiers met en scène à Paris, Trompe-la-mort, d’après
                  Balzac sur une musique de Luca Francesconi. Dans Grensgeval
                  (Borderline) il s’attaque au texte véhément de la lauréate du prix Nobel
                  Elfriede Jelinek. La première de la version néerlandaise de La petite
                  fille de Monsieur Linh (Philippe Claudel) aura lieu en janvier 2018,
                  suivie d’un enchaînement de reprises internationales – en français,
                  anglais, espagnol et allemand. Dans Grensgeval et La petite fille de
                  Monsieur Linh Guy Cassiers se penche sur les implications politiques,
                  émotionnelles et sociales de la venue de l’étranger. Les deux projets
                  traitent de la venue de l’étranger (l’immigrant) en Europe, une donnée
                  qui aura un impact énorme sur l’identité et l’histoire de l’Europe.

                              https://toneelhuis.be/en/profile/guy-cassiers
                                https://vimeo.com/channels/guycassiers

DIPTYQUE SUR LA MIGRATION                            2
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DIPTYQUE SUR LA MIGRATION

GRENSGEVAL (BORDERLINE)         LA PETITE FILLE DE MONSIEUR LINH

       GUY CASSIERS                        GUY CASSIERS
      (METTEUR EN SCÈNE)                  (METTEUR EN SCÈNE)

      ELFRIEDE JELINEK                   PHILIPPE CLAUDEL
            (TEXTE)                              (TEXTE)

      MAUD LE PLADEC                     DIRK ROOFTHOOFT
        (CHORÉGRAPHIE)                         (ACTEUR)

       ABKE HARING                       UN ACTEUR NATIF
           (ACTRICE)                       (NL, EN, FR, ES, DE)

     KATELIJNE DAMEN
          (ACTRICE)

     HAN KERCKHOFFS
           (ACTEUR)

     LUCAS SMOLDERS
           (ACTEUR)

     QUINZE DANSEURS

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Guy Cassiers & l’histoire politique (européenne)

Depuis sa nomination au poste de directeur artistique de la Toneelhuis en 2006, Guy Cassiers
s’est passionné plus explicitement que jamais pour la figure du détenteur du pouvoir. Le Triptyque
du pouvoir (Mefisto for ever, Wolfskers et Atropa. La vengeance de la paix, 2007-2009) se concentre
sur les relations complexes entre l’art, la politique et le pouvoir : un thème que Cassiers fouille
plus avant dans la trilogie L’homme sans qualités, le grand roman de Robert Musil qui se déroule
à la veille de la Première Guerre mondiale (De parallelactie (L’action parallèle, 2010), Het mystieke
huwelijk (Le marriage mystique, 2011) en De misdaad (La crime, 2012). La mise en scène de la
guerre des dieux dans l’Anneau de Wagner (2010-2013) s’inscrit également dans cette démarche.

L’intérêt croissant que porte Guy Cassiers à l’histoire politique européenne ressort également de
projets tels que Bloed & rozen. Het lied van Jeanne en Gilles (Sang et roses. Le chant de Jeanne
et Gilles, 2011), sur l’influence et les manipulations de l’Église, et Cœur ténébreux (d’après Heart
of Darkness de Joseph Conrad, 2011) sur le passé colonial européen. La saison 2013-2014 le voit
mettre par deux fois Shakespeare en scène : le spectacle de théâtre musical MCBTH et Hamlet vs
Hamlet (sur un texte de Tom Lanoye), une fois encore deux réflexions sur le pouvoir et l’usurpation.
In Passions humaines (sur un texte de Erwin Mortier), un spectacle sur la figure du sculpteur du
dix-neuvième siècle Jef Lambeaux, Cassiers se focalise une fois de plus sur la position de l’artiste
dans un contexte politique chaotique.

En 2015-2016, Cassiers descend dans les abysses de l’âme d’un criminel avec deux projets de
théâtre : Caligula (d’après Albert Camus) – qui traite de l’empereur romain qui se livre cruellement
à l’expérience de la liberté et du pouvoir absolus -, et De welwillenden (Les bienveillantes d’après
Jonathan Littell), les confessions d’un officier nazi impliqué dans les génocides de la Seconde
Guerre mondiale.

                                       La figure de « l’étranger »

La saison prochaine, la démarche de Guy Cassiers se concentrera sur une nouvelle figure qui joue
actuellement un rôle crucial dans l’histoire européenne : l’étranger. Cassiers la dissèque en deux
volets: Grensgeval (Borderline d’après Die Schutzbefohlenen d’Elfriede Jelinek) en La petite fille de
monsieur Linh (d’après le roman de Philippe Claudel).

Dans ce diptyque artistique, Guy Cassiers se penche sur les implications politiques, émotionnelles
et sociales de la venue de l’étranger. Les deux projets traitent de la venue de l’étranger (l’immigrant)
en Europe, une donnée qui aura un impact énorme sur l’identité et l’histoire de l’Europe.

Dans Die Schutzbefohlenen, Jelinek traite dans un langage explicite, agressif et politique de la
situation des réfugiés en Europe. Ce spectacle colle de près aux discussions qui font rage dans
les médias (sociaux), discussions suscitées par la venue en Europe de nombreuses centaines de
milliers de réfugiés, fuyant la guerre et la misère économique.

Dans La petite fille de monsieur Linh de Philippe Claudel, le thème de ces exodes est intériorisé et
personnalisé. La clé de voûte n’est plus le groupe, c’est sur l’individu que se braquent les phares.
Et ils n’éclairent plus la violence verbale et la frustration, mais la souffrance indicible : la douleur
et l’impuissance du protagoniste, monsieur Linh, qui a dû quitter son pays dévasté par la guerre et
a tout perdu, se font entendre au travers des silences et des hésitations du langage. En son centre
se situent l’impossibilité et la fragilité du discours intime entre des gens au passé culturel différent
et qui ont vécu des histoires traumatisantes.

DIPTYQUE SUR LA MIGRATION                           4
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Ce qui est en jeu en ce moment dans la société n’est rien de moins que le tissu social lui-même.
Qu’est-ce qui lie une société ? Le tissu social doit-il être lâche ou au contraire, quasi impénétrable?
Ou, pour le formuler autrement : comment nous comportons-nous avec l’étranger qui demande à
faire partie de cette société ? « L’étranger » est une figure qui remet fondamentalement en question
nos schémas de pensées sur la politique et l’éthique, sur l’État-nation et l’identité nationale, sur le
droit (international) et les droits de l’homme ; et notre discours souvent présomptueux continue
à nous inquiéter et à nous hanter. Cette perplexité est au centre des deux projets artistiques que
Guy Cassiers fera se conjuguer dans la période à venir : le cri explicitement politique de Jelinek
et la douleur traumatique, indicible chez Ph. Claudel - deux perspectives par lesquelles Cassiers
approche la confrontation avec l’étranger.

                                      Interaction intrinsèque

Qui plus est – et c’est ce qui rend ce projet si exceptionnel – les deux productions engagent un
dialogue intrinsèque avec les lieux où elle se produit : Grensgeval fait appel à un groupe « local » de
danseurs-performeurs pour jouer à l’étranger. Chaque lieu fera donc sa propre transposition de la
version originelle de Grensgeval.

La petite fille de monsieur meneer Linh va même un pas plus loin : l’acteur qui donne la réplique à
l’acteur principal Dirk Roofthooft dans les cinq domaines linguistiques visés sera à chaque fois un
autre acteur, proposé par les partenaires coproducteurs, de sorte qu’il y aura cinq variantes d’une
seule et même production, focalisées sur la langue du pays en question.

Au final, la totalité des projets et encadrée par un double projet participatif :
• La première partie s’adresse directement aux réfugiés dans les villes des partenaires/lieux
   d’accueil et sera initiée par un des artistes en résidence à la Toneelhuis, le créateur de théâtre
   et metteur en scène irakien Mokhallad Rasem. Il est lui-même arrivé en Belgique en tant que
   réfugié et demandeur d’asile en 2005. Il est donc expert par expérience. Ayant fui l’Irak, la guerre
   est un thème récurrent dans son œuvre, mais la façon dont il l’aborde varie considérablement
   à chaque fois. Mokhallad Rasem prendra contact avec les partenaires et des centres locaux de
   réfugiés. Il passera quelques semaines dans le centre de réfugiés et y préparera du matériau
   cinématographique avec les habitants du centre. Ce matériau sera ensuite transposé en
   installation et exposé soit au centre lui-même, soit dans le lieu du partenaire. Le projet générera
   de la sorte une interaction entre le lieu du partenaire, les centres locaux de réfugiés et le public
   du cru.
• La seconde partie du projet participatif se concentrera sur des étudiants en journalisme. La
   Toneelhuis considère le développement et le renforcement de la conscience critique des futurs
   faiseurs d’opinions comme l’une de ses missions importantes. Les journalistes jouent toujours
   un rôle majeur en tant que médiateurs de l’information. Parallèlement à la production de
   Guy Cassiers, De welwillenden (Les Bienveillantes), la Toneelhuis a élaboré le projet Invisible
   Cities qui a consisté à demander à des étudiants en journalisme d’interviewer des personnes
   marginalisées et exclues (au sens large du terme) afin de leur offrir un forum où raconter leur
   histoire avec leurs propres mots. (http://invisible-cities.eu) Avec le projet Civil City, la Toneelhuis
   souhaite poursuivre le développement des expériences d’Invisible Cities : les étudiants en
   journalisme se focaliseront sur toute sorte d’initiatives d’approche ascendante entreprises par
   des citoyens pour aider les réfugiés à trouver leur place dans la société. L’approche descendante
   de la politique nationale d’accueil des réfugiés tend à être beaucoup plus lente et entravée par
   des règles administratives. Les initiatives citoyennes d’approche ascendante sont liées à des
   circonstances spécifiques et peuvent bien plus vite et plus facilement prendre en compte des
   besoins concrets et des demandes particulières. De manière générale, ces initiatives positives
   bénéficient de très peu d’attention, alors que les médias sont quotidiennement obnubilés par
   les aspects problématiques de la crise des réfugiés. Les étudiants effectueront les interviews,
   les transcriront et rendront compte des différentes initiatives sur un site internet.
                                                    5                                DIPTYQUE SUR LA MIGRATION
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GRENSGEVAL
                                                                                                       (BORDERLINE)

                                                                                                                    La lauréate du prix Nobel Elfriede Jelinek écrit
                                                                                                                    Die Schutzbefohlenen en 2013, en réaction à
                                                                                                                    la problématique toujours plus navrante de la
                                                                                                                    situation des réfugiés en Europe. Deux ans avant
                                                                                                                    que la crise des réfugiés n’éclate dans toute son
                                                                                                                    intensité, elle écrit cette pièce qu’elle continue à
                                                                                                                    compléter et à alimenter de commentaires sur
Berlinde De Bruyckere, Sans titre, 1992 © Jan Pauwels

                                                                                                                    son site internet. Pour Jelinek, le réfugié est la
                                                                                                                    figure par excellence permettant de sonder la
                                                                                                                    situation actuelle de l’Europe et de mener la
                                                                                                                    discussion sur les valeurs et normes, la place
                                                                                                                    de la religion, la responsabilité de la politique.

                                                                                                         Avec son titre référant à l’œuvre classique Les
                                                                                                         Suppliantes d’Eschyle (Die Schutzflehenden
                                                                                                         en allemand), Jelinek donne une voix aux
                                                                                                         demandeurs d’asile et dénude d’une plume
                                                                                                         trempée dans le vitriol le cynisme et le racisme
                                                        latent de la politique européenne. Son texte peut être qualifié de prophétique : elle évoque avec
                                                        une précision glaçante – des années avant les faits – toutes les images qui se sont entre-temps
                                                        gravées sur notre rétine, et qui vont des petits cadavres d’enfants noyés à celles des lugubres
                                                        cargaisons des camions frigo.

                                                        Le protagoniste des pièces de Jelinek paraît être le langage lui-même. Elle écrit littéralement des
                                                        « bribes de texte » qui sont ensuite attribuées à des acteurs, mais il n’y a pas de personnages au
                                                        sens propre du terme. Jelinek s’intéresse moins au dialogue classique qu’aux textes des chœurs
                                                        et des messagers qu’elle trouve dans la tragédie grecque. Si les réfugiés ont la parole dans la
                                                        majeure partie du texte, cette perspective se déplace parfois vers l’Européen blanc apeuré. Le
                                                        langage souvent agressif fait remonter à la surface l’inconscient de la société, comme si Jelinek
                                                        allongeait la société capitaliste sur le divan du psychanalyste et la laissait parler. Dans le flot de
                                                        paroles, on reconnaît aussi bien des références aux grands textes de la littérature mondiale que
                                                        des clichés et des préjugés populistes.

                                                        Guy Cassiers s’attaque au texte véhément de Jelinek et en fait le volet d’un diptyque sur la
                                                        problématique de la migration. Il place la violence verbale de Grensgeval face au texte touchant
                                                        et poétique, mais non moins poignant La petite fille de Monsieur Linh (Philippe Claudel).

                                                        Guy Cassiers monte le spectacle avec quatre comédiens et des étudiants en danse du Conservatoire
                                                        royal d’Anvers.

                                                          texte Elfriede Jelinek mise en scène Guy Cassiers avec Abke Haring, Katelijne Damen, Han Kerckhoffs, Lucas Smolders,
                                                          étudiants au Conservatoire royal d’Anvers formation danse traduction et dramaturgie Tom Kleijn chorégraphie Maud Le
                                                        Pladec costumes Tim Van Steenbergen conception son Diederik De Cock production Toneelhuis coproduction CCN Orléans
                                                                 (FR), CDN Orléans (FR), Théâtre d’Orléans (FR), Le Phénix Valenciennes (FR); La Filature Mulhouse (FR)

         BORDERLINE                                                                                             6
GUY CASSIERS DIPTYQUE SUR LA MIGRATION - le phénix, scène nationale ...
« Nous vivons. Nous vivons. L’essentiel : nous vivons. Et ce n’est pas bien plus que
        vivre après avoir quitté notre sainte partie. Personne ne regarde notre cortège
        avec bienveillance, mais nous mépriser, ça, ils le font. Nous avons fui, non pas
        condamnés par un tribunal populaire, mais condamnés par tous, là-bas et ici. Ce
        que nous pouvions connaître dans notre vie a disparu, étouffé sous une charge
        d’apparitions, il n’y a plus d’objet de connaissance, il n’y a plus rien du tout. Il
        n’est plus nécessaire non plus de donner quelque sens que ce soit à quoi que
        ce soit. Nous tentons de lire des lois étrangères.

        On ne nous dit rien, nous n’entendons rien, nous sommes laissés pour compte,
        nous devons comparaître, ici, et puis là, mais alors quel pays, plus aimant que
        celui-ci – et nous ne connaissons pas de tel pays – nous laisse entrer ? Aucun.
        Nous nous tenons là, déconcertés. Nous sommes à nouveau renvoyés. Nous
        nous allongeons sur le sol froid d’une église. Nous nous relevons. Nous ne
        mangeons rien. Il nous faut quand même remanger, ne fût-ce que boire. Nous
        avons arraché des branches pour la paix, des branches de palmier, non, d’olivier,
        et ceci aussi, nous l’avons couvert d’écrits. Nous n’avons rien du reste, à qui
        pouvons-nous s’il vous plaît remettre cette pile. Nous avons noirci deux tonnes
        de papier, on nous a bien sûr aidés à le faire, et suppliant, nous le tenons en l’air,
        le papier, non, nous n’avons pas de papiers, seulement du papier, à qui pouvons-
        nous le donner ? »

        Elfriede Jelinek - traduction libre

04.05 - 13.05.17   Toneelhuis, Antwerp                        22.05.17		      Rotterdamse Schouwburg (NL)
19.05.17		         Stadsschouwburg, Groningen (NL)            20 - 21.09.17   Stadsschouwburg Amsterdam (NL)
24.05.17		         Schouwburg Kortrijk                        27 - 28.09.17   Toneelhuis, Antwerpen (BE)
27.05.17		         Parktheater Eindhoven (NL)                 05 - 07.10.17   Théâtre d’Orléans (FR)
30.05.17		         Stadsschouwburg Utrecht (NL)               12 - 13.10.17   Le Phénix, Valenciennes (FR)
01.06 - 02.06.17   Kaaitheater, Brussels                      18 - 19.10.17   La Filature, Mulhouse (FR)
07.05.17		         Koninklijke Schouwburg Den Haag (NL)

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GUY CASSIERS DIPTYQUE SUR LA MIGRATION - le phénix, scène nationale ...
ELFRIEDE JELINEK                              sans que cela ne suscite de forte contestation, le
                       (TEXTE)                              jury fait l’éloge « du flot de voix et de contre-voix
                                                            dans ses romans et ses drames qui dévoilent avec
                                                            une exceptionnelle passion langagière l’absurdité
L’écrivaine autrichienne Elfriede Jelinek (° 1946)          et le pouvoir autoritaire des clichés sociaux ».
est connue en tant que lauréate du Prix Nobel de
Littérature 2004 – prix très contesté à l’époque.                     TIME VAN STEENBERGEN
Outre des romans et des textes de théâtre, elle écrit                   (SCÉNOGRAPHIE ET COSTUMES)
aussi des essais, de la poésie, des audiodrames
et des livrets. Dès le début de sa carrière, elle
compte parmi les auteurs germanophones les
                                                            Tim Van Steenbergen (1977) a terminé ses études
plus importants de sa génération et comme
                                                            de mode à l’Académie Royales des Beaux-Arts
l’enfant terrible de la littérature autrichienne.
                                                            d’Anvers avec la mention « grande distinction ».
                                                            Après avoir été l’assistant d’Olivier Theyskens
Elle est aussi connue de ses romans La Pianiste
                                                            il lance sa première propre collection à Paris en
(1983, adapté au cinéma par Michael Haneke en
                                                            2002. À ce jour, la marque Tim Van Steenbergen
2001) et Lust (1989). Ses romans et ses pièces
                                                            se vend dans de nombreuses boutiques triées sur
de théâtre choquent par leur attaque frontale
                                                            le volet dans le monde entier.
de bon nombre de tabous, comme le rôle de
                                                            Son style combine la pureté raffinée, l’élégance
l’Autriche dans la Seconde Guerre mondiale,
                                                            féminine et le confort. Son installation Stills a été
l’abus de pouvoir (sexuel) dans la sphère familiale
                                                            sélectionnée pour la Biennale de Venise en 2003.
et la violence du capitalisme sur les marchés
                                                            En 2009, il reçoit le Elle Style Award du Meilleur
financiers. Son écriture se caractérise par un style
                                                            Designer belge.
sarcastique et provocateur que ses détracteurs
en Autriche considèrent comme du dénigrement :
                                                            En 2004, Tim Van Steenbergen se lance dans
« blasphématoire, vulgaire, haineux ». C’est ainsi
                                                            le monde du théâtre en créant les costumes de
que ce club définit son œuvre.
                                                            l’opéra Hanjo, dans une mise en scène d’Anne
                                                            Teresa De Keersmaeker. En 2006, c’est le tour
En même temps, Jelinek est célébrée comme
                                                            des costumes pour Un soir d’un jour pour Rosas/
une virtuose du langage. Outre sa nature
                                                            De Munt et il travailla avec Guy Cassiers à
provocatrice, sa littérature est satirique : elle
                                                            Hersenschimmen (2006) du Ro theater. Il a
exprime son message critique par des jeux de
                                                            également signé les costumes de Triptiek van de
mots subtils, des métaphores surprenantes,
                                                            macht (Tryptique du pouvoir, 2006-2008), House
et des persiflages désopilants. Ses phrases
                                                            of the Sleeping Beauties (2009) et Bloed & rozen.
merveilleusement formulées contrastent souvent
                                                            Het lied van Jeanne en Gilles (Sang & roses. Le
avec la thématique obscène, agressive et
                                                            chant de Jeanne et Gilles, 2011), MCBTH (2013)
politique. Ses textes oscillent sans cesse entre
                                                            en Hamlet vs Hamlet (2014).. De 2010 à 2013, il
prose et poésie, incantation et invective, hymne et
                                                            a aussi dessiné les costumes du cycle opératique
manifeste, scène de théâtre et séquence de film.
                                                            en quatre volets L’Anneau du Nibelung au Teatro
Ce ne sont pas tant les individus qui prennent
                                                            alla Scala à Milan et au Staatsoper de Berlin. En
la parole dans son œuvre, mais il semble plutôt
                                                            2014-2015, il crée non seulement les costumes,
que c’est la société elle-même qui parle, ses
                                                            mais également les décors de Passions humaines
idéologies et préjugés politiques et économiques,
                                                            et Het vertrek van de mier, et en 2015-2016, ceux
mi-conscients, mi-articulés.
                                                            de Caligula, trois spectacles de Guy Cassiers. En
                                                            2016, Tim Van Steenbergen assure les costumes
Les textes de Jelinek sont des sismographes
                                                            et le décor du spectacle De welwillenden (Les
du bourdonnement toujours plus intense de la
                                                            bienveillantes) dans lequel Guy Cassiers aborde
mondialisation, du tumulte des discours (racistes,
                                                            le côté le plus obscur du comportement humain
sexistes, nationalistes…) portés et promus en
                                                            : l’idéologie nazie et l’extermination de Juifs
dernière instance par le capital. Jelinek s’inscrit
                                                            d’Europe. En 2016-2017, il réalise les costumes
dans la longue tradition autrichienne de la critique
                                                            de Grensgeval, un spectacle inspiré de la pièce
sociale sophistiquée sur le plan verbal, ce qui la
                                                            Die Schutzbefohlenen d’Elfriede Jelinek et de
relie à des écrivains comme Karl Kraus, Elias
                                                            l’opéra Trompe-la-mort, une commande de l’Opéra
Canetti et Thomas Bernhard. Lorsque Jelinek
                                                            national de Paris à Guy Cassiers.
obtient le Prix Nobel de Littérature en 2004, non
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GUY CASSIERS DIPTYQUE SUR LA MIGRATION - le phénix, scène nationale ...
MAUD LE PLADEC                          créé Professor, pièce chorégraphique pour trois
                  (CHORÉGRAPHIE)
                                                      interprètes sur la musique de Fausto Romitelli.
                                                      Professor obtient le prix de la Révélation
                                                      Chorégraphique 2010 par le Syndicat de la
                                                      Critique Française. En Novembre 2011, elle crée
Maud Le Pladec se forme à la danse contemporaine
                                                      Poetry, pièce qui forme avec Professor un diptyque
en 1999, en intégrant la formation ex.e.r.ce au
                                                      autour de l’œuvre de Fausto Romitelli. Ominous
Centre Chorégraphique National de Montpellier
                                                      Funk et Demo, créées pour les Subsistances à
dirigé par Mathilde Monnier in 1999. Elle travaille
                                                      Lyon en 2012 et 2013, seront le point de départ
ensuite à l’étranger omme interprète dans les
                                                      d’un projet au long cours (2012-2015) autour du
projets des chorégraphes Takiko Iwabuchi
                                                      collectif de musique contemporaine new yorkais
(JP), Guillermo Bothello (CH), Patricia Kuypers
                                                      Bang on a can. En 2013, elle crée DEMOCRACY,
(BE), Bojana Mladenovic et Dusan Muric (RS).
                                                      pièce pour cinq danseurs et quatre batteries
Maud Le Pladec entame son premier projet, qui
                                                      (Ensemble TaCtuS) et en 2015 CONCRETE projet
marquera aussi l’amorce d’un désir : celui de
                                                      d’envergure conçu pour cinq danseurs et neuf
collaborer et de mettre en place un cadre propice
                                                      musiciens de l’Ensemble ICTUS (Bruxelles).
à la recherche chorégraphique. A l’initiative des
                                                      En octobre 2015, Maud Le Pladec est invitée
danseurs Mickaël Phelippeau, Typhaine Heissat,
                                                      par l’Opéra de Lille à collaborer à la création
Virginie Thomas et Maeva Cunci naîtra le collectif
                                                      de l’Opéra Xerse, mise en scène Guy Cassiers.
Leclubdes5.
                                                      Cette même année, elle co-crée Hunted. Elle
                                                      travaille actuellement sur sa prochaine création
Parallèlement, Maud Le Pladec poursuit son
                                                      MOTO-CROSS (2017). En juin 2016 elle a été
parcours d’interprète et participe aux créations
                                                      nommée comme nouvelle directrice du Centre
d’Emmanuelle Vo-Dinh, de Boris Charmatz et
                                                      Chorégraphique National d’Orléans.
Herman Diephuis. En 2010, Maud Le Pladec

                    RÉPÉTITIONS BORDERLINE

   9                                                                                          BORDERLINE
GUY CASSIERS DIPTYQUE SUR LA MIGRATION - le phénix, scène nationale ...
ABKE HARING                                           KATELIJNE DAMEN
                    (ACTRICE)                                                (ACTRICE)

Abke Haring (1978) (°1978) écrit des textes de           Katelijne Damen (1960) est une actrice qui se
théâtre, les met en scène et les interprète. Elle        produit au théâtre, au cinéma et à la télévision.
joue également dans des productions d’autres             Au théâtre, elle a travaillé, entre autres, avec
metteurs en scène.                                       Luk Perceval, Erik De Volder, Ivo van Hove
                                                         et Guy Cassiers. Pour le petit écran, elle a
Elle a joué dans les productions Het kouwe kind          joué sous la direction, entre autres, de Guido
(2003) et Turista (2005) de Luk Perceval, Beats          Henderickx, Frank Van Passel et Jan Mathys.
(2006) de Josse De Pauw, Gerucht (2007) de               Elle est régulièrement à l’affiche de films.
Lotte van den Berg, Mefisto for ever (2006) et
Atropa. De wraak van de vrede (2008) de Guy              En 1990, elle a remporté une Theo d’or pour son
Cassiers. Elle interprète l’un des deux rôles            rôle dans la pièce de théâtre Strange Interlude.
principaux dans Bloed & rozen. Het lied van              En 1996, elle obtient le prix Mary Dresselhuys
Jeanne en Gilles, dans une mise en scène de Guy          pour « son engagement total pour le théâtre
Cassiers. En 2014 Abke Haring a interprété le            et pour l’ensemble de sa carrière ». En 2006,
rôle principal dans Hamlet vs Hamlet, une mise           elle est sélectionnée pour une Columbina pour
en scène de Guy Cassiers sur un texte de Tom             son rôle dans Hersenschimmen (Chimères). À
Lanoye. Cette performance lui a valu le Theo             la Toneelhuis, elle a joué dans De geruchten
d’Or de la meilleure comédienne de l’année.              d’Olympique Dramatique et Guy Cassiers, et
En 2016, elle joue dans De welwillenden (Les             dans Mefisto for ever, Atropa. De wraak van
bienveillantes), d’après le roman de Jonathan            de vrede, Onder de vulkaan, De man zonder
Littell, dans une mise en scène de Guy Cassiers.         eigenschappen I and II et Bloed & rozen. Het lied
Pendant la saison 2016-2017, on pourra la voir           van Jeanne en Gilles (Guy Cassiers). En 2013,
dans de De dingen die voorbijgaan (Les choses            Guy Cassiers et elle créent Orlando, d’après
qui passent), d’après un roman de l’écrivain             Virginia Woolf. On a pu la voir dans MCBTH
hollandais Louis Couperus, dans une mise en              (Guy Cassiers et Dominique Pauwels), Hamlet
scène d’Ivo Van Hove, et dans Grensgeval.                vs Hamlet (Guy Cassiers et Tom Lanoye), Maria
                                                         Stuart (Ivo van Hove), Passions humaines,
                                                         Caligula et De welwillenden (Les bienveillantes),
                                                         trois mises en scènes par Guy Cassiers. Pendant
                                                         la saison 2016-2017, on pourra la voir dans
                                                         De dingen die voorbijgaan, d’après le roman
                                                         de l’écrivain hollandais Louis Couperus, dans
                                                         une mise en scène d’Ivo Van Hove, et dans
                                                         Grensgeval.

                     HAMLET VS HAMLET

                                                                                         ORLANDO

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HAN KERCKHOFFS                                           LUCAS SMOLDERS
                    (ACTEUR)                                                 (ACTEUR)

Han Kerckhoffs (1953) s’est formé à l’Amsterdamse        Lukas Smolders complète sa formation d’acteur
Theaterschool. En tant qu’acteur, il a travaillé         au Studio Herman Teirlinck d’Anvers en
avec plusieurs compagnies de théâtre flamandes           1993. Depuis il a joué dans de nombreuses
et néerlandaises, telles que Globe, Art en Pro,          compagnies, dont le KNS (De Kersentuin,
Toneelgroep Amsterdam, Het Zuidelijk Toneel,             Zaterdag, zondag, maandag et De meeuw),
Het Nationale Toneel, Zeeland Nazomer Festival,          KVS (Richard II, Roberto Zucco, De Kersentuin
mugmetdegoudentand, NTGent, Malpertuis,                  et Oom Toon. Waar gebeurd), Theater Antigone
De Tijd, Het Arsenaal, Carrousel et Walpurgis.           (De Drang, Autis in Onan, Racing Sladeck,
En 1995, Han Kerckhoffs a obtenu le prix                 Entertaining Mister Sloan et Caligula), NTG (Het
Arlecchino pour Troilus en Cressida avec Het             bloed), Victoria & Compagnie De Koe (Poes,
Nationale Toneel. Au sein de la Toneelhuis, il a         poes, poes), MartHa!tentatief (De kleine Eva uit
fait partie de la distribution de Mamma Medea            de kromme Bijlstraat) and DAStheater (Martino).
et L.King of pain. Il enseigne actuellement à la         À la Toneelhuis, on peut le voir dans Hedda
section Kleinkunst de l’école Artesis Hogeschool         Gabler de Bart Meuleman.
d’Anvers et à la Maastrichtse Toneelacademie.
On a pu le voir avec la Toneelhuis dans Bloed
& rozen. Het lied van Jeanne en Gilles (Guy
Cassiers), FLOU (Abke Haring) et Hedda Gabler
(Bart Meuleman).

                                                                               HEDDA GABLER

                                  FLOU

                                                    11                                          BORDERLINE
Intention de Guy Cassiers

             La lecture que Guy Cassiers fait du texte de Jelinek est celle d’une polyphonie
             de voix et de thèmes portée par quatre comédiens (Katelijne Damen, Abke
             Haring, Han Kerckhoffs et Lucas Smolders). Ils donnent au demandeur
             d’asile une voix que l’Europe lui conteste. Ils donnent au réfugié, dont on
             ne veut écouter ni le récit ni la demande, un droit d’existence qu’on refuse
             de lui attribuer. Les comédiens s’adressent directement au public. Face à
             ce flux de paroles, Cassiers opte pour une présence physique forte à travers
             le groupe de quinze danseurs dirigés par la chorégraphe française Maud Le
             Pladec (avec laquelle il a travaillé précédemment pour Xerse à l’Opéra de
             Lille en 2015). Sur une scène quasi vide, apparaît sur des panneaux de texte
             de l’information factuelle sur la problématique de la migration. Image, son,
             mouvement, projection, texte dit… Tout cohabite sur scène. Le langage est
             séparé du mouvement. Chaque discipline a sa propre logique.

             Grensgeval se construit ainsi comme un montage dans lequel Guy Cassiers
             donne non seulement voix au chapitre à l’individu, mais également corps à la
             dure réalité : notre incapacité, dans cette problématique, à traiter l’individu
             en tant que tel, et notre obstination à le considérer comme un membre d’une
             masse amorphe.

             Transpositions chez les partenaires internationaux

             Pour la création néerlandophone, on a sélectionné quinze danseurs
             du Conservatoire d’Anvers. Maud Le Pladec va élaborer avec eux une
             chorégraphie inspirée de certains principes dramaturgiques convenus entre
             elle et Guy Cassiers. Une fois que la chorégraphie sera au point, elle sera
             chaque fois étudiée par une nouvelle constellation de danseurs recrutés par
             les partenaires.

             En d’autres mots : préalablement à la représentation (surtitrée) de Grensgeval
             aura lieu un atelier de deux semaines au cours desquelles quinze danseurs
             (ou étudiants en danse) locaux apprendront la chorégraphie de Maud Le
             Pladec sous sa houlette ou celle d’un assistant. Ensuite, il y aura chaque
             fois une générale, afin que la « nouvelle » équipe de danseurs puisse se
             familiariser avec le spectacle.

BORDERLINE                                           12
DRAMATURGIE ET SCÉNOGRAPHIE

Grensgeval s’inspire de l’œuvre Die Schutzbefohlenen de l’écrivaine autrichienne
Elfriede Jelinek et sur certains addenda qu’elle a joints à ce texte sous forme de
coda et d’appendice. Tous ces textes figurent sur son site internet.

Le texte de Jelinek est une réponse à la crise des réfugiés. Elle a écrit une
première version du texte en 2013, suite à certains événements politiques en
Europe, et plus précisément en Autriche, comme les manifestations de réfugiés à
Vienne en 2012. Lors de la « Journée internationale du Migrant » (le 24 novembre
2012), des demandeurs d’asile du camp de réfugiés de Traiskirchen ont organisé
une marche de protestation jusqu’à l’église viennoise de Votive, où ils se sont
ensuite installés. Ils y ont monté un camp de protestation connu sous le nom de
Refugee Protest Camp Vienna, en réaction aux conditions inhumaines du camp
de réfugiés de Traiskirchen. Ils réclamaient que tous les demandeurs d’asile aient
accès à des soins de base, indépendamment de leur statut légal, et que tous
soient reconnus comme réfugiés, même ceux qui ont fui leur pays pour des
motifs socio-économiques. Malgré le soutien extérieur qu’ils ont obtenu, leurs
requêtes ont été rejetées par le ministère de l’Intérieur. Et au cours de l’été 2013,
le gouvernement autrichien a fini par expulser la plupart des demandeurs d’asile.

Dans la coda et l’appendice, Jelinek suit à la trace les développements autour
des réfugiés depuis 2013.

Ce qui est remarquable au texte de Jelinek, c’est qu’il ne ressemble à aucun
égard à un texte de théâtre. Il s’agit de longs passages, parfois écrits à la
première personne, parfois à la deuxième, d’autres fois à la première personne
du pluriel. Le « je », le « tu » et le « nous » s’alternent. Il est évident que plusieurs
voix résonnent dans le texte. L’écriture de Jelinek est polyphonique. Comme si
elle avait entendu et enregistré toutes les opinions sur la migration – des voix
les plus désespérées des réfugiés aux voix les plus racistes de l’extrême droite
– et les versait à présent dans ses textes. Ceux-ci ne sont pas attribués à un
personnage en particulier, comme le sont les textes de théâtre classiques. C’est
aux metteurs en scène de distribuer le texte entre les personnages, bien qu’il soit
plus exact de parler de « voix » que de « personnages » : il peut y avoir dix voix,
mais aussi quatre ou deux.

                                           13                                               BORDERLINE
Voir la souffrance des autres

         Dans sa mise en scène, Guy Cassiers souhaite partir d’une réflexion critique sur
         la possibilité de représentation théâtrale du réfugié et de sa situation. Peut-on,
         en tant que metteur en scène (occidental), simplement s’approprier la situation
         d’un réfugié ? Pouvons-nous, Européens, simplement nous identifier avec le
         migrant et raconter son histoire sur les planches ? Que signifie un terme comme «
         la problématique des réfugiés » dont les médias foisonnent ? Cela ne pose-t-il pas
         un problème éthique ? Nous voyons quotidiennement des images de réfugiés et de
         migrants et entendons des commentaires à leurs propos, mais pouvons-nous pour
         autant affirmer que nous comprenons « la crise des réfugiés » ?

         En tant qu’usagers modernes des médias, nous sommes entre-temps entraînés
         dans un flux d’images et de mots qui contribuent à définir et orienter nos réactions
         à la réalité. Par moments, nous sommes profondément émus et incités à agir par ces
         images de souffrance d’autrui. Ainsi, la photo du petit corps sans vie du garçonnet
         kurde syrien échoué sur une plage turque fut un tournant dans la réflexion sur
         les réfugiés. Mais depuis, des centaines, si pas des milliers de gens sont morts en
         tentant de rejoindre l’Europe, qui elle, tente de fermer ses frontières. Récemment,
         les quotas d’accueil de réfugiés imposés ont été levés et il est question de « solidarité
         flexible ». En d’autres mots : nous ne sommes plus solidaires par principe, mais
         uniquement lorsque ça nous arrange !

         Peut-être la gravité et l’ampleur de la crise des réfugiés dépassent-elles les moyens
         du théâtre et de la représentation théâtrale ? Peut-être l’art n’échappe-t-il pas,
         malgré toutes les bonnes intentions, ou justement à cause de ses bonnes intentions,
         à une esthétisation (et donc à une neutralisation) de la souffrance d’autrui ? La
         souffrance et la misère – même dans leurs formes les plus extrêmes – ne sont-elles
         donc pas plus qu’un thème parmi tant d’autres que l’art, en l’occurrence le théâtre,
         s’approprie et par lequel il souligne sa dimension sociale ? Dès lors, chaque spectacle
         sur ce thème ne devrait-il pas être accompagné d’une introspection critique ?

         Grensgeval est interprété par quatre comédiens et un groupe de danseurs, et se
         compose de trois parties.

BORDERLINE                                          14
Partie 1

La première partie du texte, raconte le périple en Méditerranée d’un groupe de
réfugiés entassés sur une embarcation de fortune qui reste flotter en mer après
une panne de moteur.

Les comédiens se tiennent à l’avant de la scène, le dos tourné au public (peut-
être en deux groupes, deux comédiens à gauche et deux à droite de la scène ?).
Ils sont assis à des tables couvertes d’équipement technique. Sur les tables sont
posées des caméras qui filment en direct les visages des comédiens. À l’aide des
appareils disposés sur les tables, les comédiens manipulent les images qui sont
faites d’eux. Sur le mur de fond, ils projettent des agrandissements gigantesques
de leurs visages jusqu’à les rendre amorphes et monstrueux. Ludisme et atrocité
se fondent.

Sur scène, entre les comédiens à l’avant de la scène et les visages projetés sur le mur
de fond, des danseurs se meuvent. Les comédiens qui manipulent les projections
d’images incarnent le monde occidental et ses médias tout-puissants. Les danseurs
représentent les réfugiés. Les visages exagérément agrandis et projetés donnent
aux comédiens l’allure de dieux grecs qui observent d’en haut et commentent la
misère des réfugiés en bas.

La manière dont les comédiens manipulent les images fait penser au Magicien
d’Oz. Les quatre comédiens (l’Occident, l’Europe) se donnent des airs de grandeur
et d’importance qui dépassent de loin la réalité. Ils sont littéralement une fiction
technique, une construction de la technologie.

L’immobilité du rafiot flottant se traduit dans le spectacle par une technique
théâtrale qui limite les danseurs dans leurs mouvements. De même que le moteur
du rafiot, la technique théâtrale est en panne et les courants risquent d’anéantir
les danseurs. La technique théâtrale s’est transformée en une sorte de « ruine ».
Inopérante, elle suggère une société devenue inerte.

                                           15                                             BORDERLINE
BORDERLINE   16
Partie 2

La deuxième partie du spectacle raconte la longue marche des réfugiés à travers
l’Europe.

Si dans la première partie, l’espace est occupé par de l’équipement technique, dans
la deuxième partie, il reste ouvert : tout semble possible. Cet espace ouvert est rempli
d’une profusion d’images qui provoquent un excès de sensations et de la confusion.

Dans la projection en vidéo, il n’est fait usage que d’images enregistrées : des images
de foules qui prennent la route de l’exil et les obstacles qu’elles rencontrent sont
mixées avec des images de foules assistant à des concerts pop. Il s’agit pour la plupart
d’images filmées à l’aide de téléphones portables. Ces images de la réalité sont à leur
tour mélangées à des images de tableaux de Jérôme Bosch : l’enfer, la crucifixion,
etc. (esthétisation de la douleur).

Dans cette deuxième partie, le mur vidéo domine les autres disciplines : le caractère
agressif, les couleurs vives, le surplus d’informations, de données… L’omniprésence
du bruit est aussi très appuyée (une sorte de battement de cœur très amplifié) et
force les comédiens à parler à un certain rythme pour rester compréhensibles.

Dans la première et la deuxième partie, les costumes des personnages sont bigarrés
et mal assortis.

                                           17                                          BORDERLINE
Partie 3

         La troisième partie traite de réfugiés qui trouvent abri dans une église.

         Les images vidéo sont totalement absentes de la troisième partie. Visuellement, il
         n’y a plus qu’un trou noir : trois murs épais délimitent la scène. Le monde de la
         deuxième partie se poursuit, mais est exclu du champ visuel. Le monde extérieur
         n’est plus visible qu’à travers une petite fente au bas du mur qui laisse passer la
         lumière.

         L’ensemble est une sorte de requiem. De la musique religieuse new age, assez kitsch.
         Les danseurs se griment en noir et disparaissent ainsi dans leur environnement.
         Les voix des comédiens sont déformées. La distinction entre les comédiens et les
         danseurs s’estompe lentement : tous deviennent tout noirs.

         La scénographie de la première et de la troisième partie a quelque chose de kitsch
         et une certaine féerie incongrue, voire inconvenante, et il en va de même pour
         la musique. Parfois, cela ressemble à du théâtre jeune public. La forme sape le
         contenu et le neutralise : n’est-ce pas précisément ce qu’on observe dans une
         grande partie des informations que diffusent les médias ?

BORDERLINE                                        18
19   BORDERLINE
LA PETITE FILLE DE MONSIEUR LINH

                                                          Monsieur Linh fuit son pays ravagé
                                                          par la guerre, en quête d’un avenir
                                                          meilleur pour sa petite-fille. La
                                                          dévotion sans limite dont il fait
                                                          preuve envers l’enfant fait de lui
                                                          la risée de ses compagnons du
                                                          centre d’asile. Monsieur Linh se
                                                          sent totalement dépaysé jusqu’au
                                                          jour où il rencontre monsieur Bark.
                                                          Monsieur Bark parle surtout de
                                                          sa femme, récemment décédée.
                                                          Monsieur Linh ne le comprend pas,
                                                          mais il l’écoute avec attention, sa
                                                          petite-fille assise sur ses genoux. Ils
                                                          se rencontrent tous les jours dans le
                                                          parc, sur le même banc. Jusqu’à ce
                                                          que monsieur Linh et sa petite-fille
                                                          soient soudain transférés dans une
             institution fermée, quelque part dans la ville. Comment retrouver son ami ? Au
             péril de sa propre vie, il fait une tentative d’évasion dont le dénouement sera
             dramatique.

             Guy Cassiers met en scène cette histoire touchante d’un homme qui doit fuir
             son pays avec le peu qui lui reste et vivre avec les souvenirs traumatisants et
             l’impossibilité de tourner le dos au passé.

             En face de ce récit poétique et tout en pudeur, Guy Cassiers place sa mise
             en scène de la violence verbale d’Elfriede Jelinek dans Die Schutzbefohlenen,
             (Grensgeval), un texte qui traite lui aussi de la thématique du demandeur
             d’asile dans un pays étranger. C’est dans l’intervalle entre le cri explicitement
             politique de Jelinek et le chagrin refoulé, inexprimable de Claudel que se trouve
             la sensibilité à laquelle aspire Guy Cassiers dans ses spectacles.

              mise en scène Guy Cassiers avec Dirk Roofthooft et un autre acteur production Toneelhuis coproductie
               Le Phénix Valenciennes (FR), La Filature Mulhouse (FR), MC93 Bobigny (FR), Le Maillon Strasbourg
              (FR), Espaces Malraux Chambéry (FR), La Rose des Vents Villeneuve d’Ascq (FR), Festival Tempoarada
                                                        Alta Girona (ES)

                        La première de la version néerlandaise aura lieu en septembre 2017 et sera suivie d’un
                       enchaînement de reprises internationales – en français, anglais, espagnol et allemand –
                       dans lesquelles l’acteur principal, Dirk Roofthooft, donnera chaque fois la réplique, dans
                                            la langue nationale, à un comédien natif du pays.

LA PETITE FILLE DE MONSIEUR LINH                                                                                     20
« C’est un vieil homme debout à l’arrière d’un bateau. Il serre dans ses bras une
          valise légère et un nouveau-né, plus léger encore que la valise. Le vieil homme
          se nomme Monsieur Linh. Il est seul désormais à savoir qu’il s’appelle ainsi.
          Debout à la poupe du bateau, il voit s’éloigner son pays, celui de ses ancêtres et
          de ses morts, tandis que dans ses bras l’enfant dort. Le pays s’éloigne, devient
          infiniment petit, et Monsieur Linh le regarde disparaître à l’horizon, pendant des
          heures, malgré le vent qui souffle et le chahute comme une marionnette. »

          « Chaque jour, Monsieur Linh retrouve Monsieur Bark. Lorsque le temps le
          permet, ils restent dehors, assis sur le banc. Quand il pleut, ils retournent au
          café et Monsieur Bark commande l’étrange boisson, qu’ils boivent en serrant les
          tasses entre leurs mains. Désormais, le vieil homme dès qu’il se lève attend ce
          moment où il ira rejoindre son ami. Il se dit dans sa tête “son ami”, car c’est bien
          de cela qu’il s’agit. Le gros homme est devenu son ami, même s’il ne parle pas
          sa langue, même s’il ne la comprend pas, même si le seul mot dont il se sert est
          “Bonjour”. Ce n’est pas important. »

          « Sans qu’il sache le sens des mots de cet homme qui est à côté de lui depuis
          quelques minutes, il se rend compte qu’il aime entendre sa voix, la profondeur
          de cette voix, sa force grave. Peut-être d’ailleurs aime-t-il entendre cette voix
          parce que précisément il ne peut comprendre les mots qu’elle prononce, et
          qu’ainsi il est sûr qu’ils ne le blesseront pas, qu’ils ne lui diront pas ce qu’il ne
          veut pas entendre, qu’ils ne poseront pas de questions douloureuses, qu’ils ne
          viendront pas dans le passé pour l’exhumer avec violence et le jeter à ses pieds
          comme une dépouille sanglante. »

          Philippe Claudel

28.09 - 08.10.17   Toneelhuis, Antwerpen (BE)             15 - 18.03.18   Le Phénix, Valenciennes (FR)
10.01.18		         CC Hasselt (BE)                        21 - 23.03.18   La Filature, Mulhouse (FR)
12 - 14.01.18      Kaaitheater, Brussel (BE)              27 - 31.03.18   MC93, Bobigny Paris (FR)
18.01.18		         Schouwburg Kortrijk (BE)               10 - 14.04.18   La Rose des Vents, Villeneuve d’Ascq (FR)
23 - 27.01.18      Toneelhuis, Antwerpen (BE)             17 - 21.04.18   Le Maillon, Strasbourg (FR)
30 - 31.01.18      Stadsschouwburg Amsterdam (NL)         24 - 28.04.18   Théâtre National de Bruxelles (BE)
06.02.18		         CC Maasmechelen (BE)                   03 - 05.05.18   Théâtre de Namur (BE)
09.02.18		         CC Brugge (BE)                         najaar 2018     Temporada Alta Girona (ES)
16.02.18		         Stadsschouwburg, Groningen (NL)        voorjaar 2019   Schauspielhaus Mainz (DE)
21.02.18		         De Warande, Turnhout (BE)
24.02.18		         Rotterdamse Schouwburg (NL)
                                                     21                                   LA PETITE FILLE DE MONSIEUR LINH
PHILIPPE CLAUDEL                         mensonge en décomposition) (1993) et Rouge
                            (TEXTE)                      décanté (2004), une production qu’il joue en
                                                         différentes langues (Rojo Reposado, Sunken
                                                         Red, Bezonken rood). Dirk Roofthooft a joué le
Philippe Claudel (1962) est un auteur,                   monologue en néerlandais, français, anglais et
scénariste et réalisateur français. Le grand             espagnol en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse,
public le connaît surtout pour son premier film,         France, au Canada, aux États-Unis, en Pologne,
Il y a longtemps que je t’aime (2008), l’histoire        Espagne, Italie, Turquie, au Luxembourg, en
poignante d’une mère qui a donné la mort à               Allemagne, en Tchéquie et à Taiwan. En 2006-
son fils atteint d’une maladie incurable et a été        2007, Roofthooft joue le rôle principal dans le
accusée de meurtre. Claudel s’est révélé être            Mefisto for ever de Guy Cassiers, rôle pour lequel
l’un des plus importants écrivains français de           il a reçu un Louis d’Or. Dans l’opéra House of
sa génération. Il a percé aussi avec Les Âmes            the Sleeping Beauties (2009) de Guy Cassiers,
grises pour lequel il a reçu le prestigieux Prix         Roofthooft interprète le rôle du vieil Eguchi.
Renaudot et le Grand Prix des Lectrices. Il jouit
d’une grande estime dans le monde littéraire.            L’été de 2006 voit Dirk Roofthooft et Jan Fabre
En 2012, il est devenu membre de l’Académie              invités d’honneur au Festival d’Avignon. Il y
Goncourt, reprenant le siège de Jorge Semprún,           jouait L’empereur de la perte, Le roi du plagiat et
décédé. En 2015 il a été nommé doctor honoris            Je suis sang, trois pièces de Jan Fabre. En 2007,
causa par l’université de Louvain : « Le talent          Ruhe (Silence) (Transparant), dont il est l’un des
qu’il affiche de faire prendre à ses narrateurs          protagonistes, connaît sa première. Mars 2010
et personnages des points de vue multiples, à            voit la première de Le serviteur de la beauté de
la fois réservés et passionnés, sarcastiques et          Jan Fabre – une fois encore, un monologue pour
bienveillants ; celui de pénétrer les coins les          Dirk Roofthooft. Il joue également dans L’art du
plus secrets de la psyché humaine, celle des             divertissement de l’auteur et metteur en scène
puissants comme celle des parias ; celui, enfin,         Jan Lauwers (2011), dans Van den vos (Roman
de donner forme par le langage aux plus subtiles         de Renart) de FC Bergman et dans Escorial de
comme aux plus familières des sensations et              Michel de Ghelderode (mise en scène Josse De
des expériences, Philippe Claudel a acquis               Pauw).
une place exceptionnelle dans la littérature
contemporaine française, et loin au dehors de            Roofthooft joue en cinq langues différentes : le
son pays natal. »                                        néerlandais, le français, l’anglais, l’allemand
                                                         et l’espagnol. Il a remporté de nombreux prix
                                                         au cinéma et au théâtre, tant en Belgique qu’à
               DIRK ROOFTHOOFT                           l’étranger.
                            (ACTEUR)

Dirk Roofthooft (1959) a terminé ses études en
1981 au Studio Herman Teirlinck. Il travaille dès
lors avec des metteurs en scène, chorégraphes
et musiciens réputés comme Jan Fabre, Jan
Lauwers/Needcompany, Luk Perceval, Ivo van
Hove, Theu Boermans, Jan Ritsema, Josse De
Pauw, Peter Vermeersch, Wim Vandekeybus,
Ron Vawter (The Wooster Group), Zita Swoon,
the London Sinfonietta, la légende de jazz Henry                                MEFISTO FOR EVER
Threadgill (pour l’ouverture des Salzburger
Festspiele en 1998) et le metteur en scène
d’opéra Peter Sellars. Avec Guy Cassiers, il
fait entre autres Het liegen in ontbinding (Le
DIPTYQUE SUR LA MIGRATION                           22
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