HANDICAP MOTEUR ET CAPACITÉS DE RÉSILIENCE CHEZ L'ADULTE CAMEROUNAIS : ENJEUX DES REPRÉSENTATIONS CULTURELLES PHYSICAL DISABILITY AND RESILIENCE ...

La page est créée Camille Gillet
 
CONTINUER À LIRE
Document généré le 24 jan. 2025 10:11

Revue québécoise de psychologie

HANDICAP MOTEUR ET CAPACITÉS DE RÉSILIENCE CHEZ
L’ADULTE CAMEROUNAIS : ENJEUX DES REPRÉSENTATIONS
CULTURELLES
PHYSICAL DISABILITY AND RESILIENCE CAPACITIES IN
CAMEROONIAN ADULT: CHALLENGES OF CULTURAL
REPRESENTATIONS
Emilie Clarisse Tchokote, Jacques-Philippe Tsala Tsala et Régine Scelles

Volume 41, numéro 2, 2020                                                       Résumé de l'article
                                                                                L’objet de cet article est de saisir les enjeux des représentations culturelles sur
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1072285ar                                  les capacités de résilience des personnes en situation de handicap moteur
DOI : https://doi.org/10.7202/1072285ar                                         acquis à l’âge adulte. À travers la méthode clinique de recherche et les
                                                                                entretiens semi-directifs auprès de trois participants, il ressort que la
Aller au sommaire du numéro                                                     dynamique des enjeux de la culture peut entraver ou faciliter de manière
                                                                                simultanée les capacités de résilience des personnes. D’où la nécessité d’une
                                                                                prise en charge psychologique et une résilience assistée afin d’activer les
                                                                                compétences existantes malgré la fragilité apparente.
Éditeur(s)
Revue québécoise de psychologie

ISSN
2560-6530 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet article
Tchokote, E. C., Tsala Tsala, J.-P. & Scelles, R. (2020). HANDICAP MOTEUR ET
CAPACITÉS DE RÉSILIENCE CHEZ L’ADULTE CAMEROUNAIS : ENJEUX DES
REPRÉSENTATIONS CULTURELLES. Revue québécoise de psychologie, 41(2),
27–44. https://doi.org/10.7202/1072285ar

Tous droits réservés © Revue québécoise de psychologie, 2020                   Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
                                                                               services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
                                                                               d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.
                                                                               https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

                                                                               Cet article est diffusé et préservé par Érudit.
                                                                               Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de
                                                                               l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
                                                                               Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
                                                                               https://www.erudit.org/fr/
HANDICAP MOTEUR ET CAPACITÉS DE RÉSILIENCE CHEZ
L’ADULTE CAMEROUNAIS : ENJEUX DES REPRÉSENTATIONS
CULTURELLES
PHYSICAL DISABILITY AND RESILIENCE CAPACITIES IN CAMEROONIAN ADULT :
CHALLENGES OF CULTURAL REPRESENTATIONS
                                          1
          Emilie Clarisse Tchokote               Jacques-Philippe Tsala Tsala
                        Université de Buea                    Université de Yaoundé I

                        Régine Scelles
                 Université Paris Nanterre

                                  INTRODUCTION
    La survenue brusque d’une altération ou d’une insuffisance
significative et permanente de la fonction motrice a des conséquences sur
la structure psychologique, anatomique et physiologique d’une personne
(Joly, 2009; Ville et Raveaud, 1994). Cette personne doit alors mobiliser
les ressources dont elle dispose pour envisager un épanouissement
psychologique. Or, ces ressources doivent s’inscrire dans l’écosystème du
sujet en termes d’aides susceptibles de prédire une évolution positive
après un évènement traumatisant. Ces aides doivent être de nature à
favoriser un devenir harmonieux en tenant compte de la nouvelle situation
du sujet (Tchokote, 2014).

     S’agissant de la communauté du sujet, l’environnement culturel
occupe une place importante. La qualité de l’aide de l’environnement
culturel de la personne dépend de la façon dont la culture donne sens aux
évènements qui surviennent dans la vie du sujet. Par exemple,
l’environnement culturel à travers ses pratiques, ses rites et ses
représentations du handicap, peut permettre d’identifier les facteurs
facilitant le développement du sens que la personne associe à son vécu et
contribue à la projection de soi après l’acquisition d’un handicap moteur à
l’âge adulte.

     Dans cette perspective et dans une approche contextuelle, l’article
présente les facteurs dans lesquels l’environnement culturel peut favoriser
et/ou entraver les capacités de résilience chez la personne en situation de
handicap moteur acquis à l’âge adulte. Pour ce faire, le contexte de l’étude
à travers les statistiques, les modes de prise en charge ainsi que
l’ensemble des croyances, des rites et des pratiques culturelles liées à la
question du handicap seront exposés. L’approche théorique et le protocole

1.   Adresse de correspondance : Téléphone : 237675477752. Courriel :
     emilietchoko@yahoo.fr

                                    Revue québécoise de psychologie (2020), 41(2), 27-44
Handicap moteur et résilience chez l’adulte

de collecte des données à travers la méthode qualitative seront ensuite
présentés ainsi que les résultats et la discussion.

                 REPÈRES CONTEXTUEL ET THÉORIQUE
                                Repère contextuel
    Les personnes en situation de handicap au Cameroun constituent une
part importante de la société par leur nombre qui est estimé à près de 15%
de la population totale de ce pays (INS, 2006). La variété des types de
déficience (motrice, sensorielle, intellectuelle, langagière) est présente
chez les enfants, les adolescents, les adultes et les personnes âgées.
Ainsi, dans le cas spécifique du handicap moteur, l’Institut National des
Statistiques (INS, 2006) à travers l’Enquête de Consommation Auprès des
Ménages (ECAM III, 2006) dénombre 4773 cas dans la ville de Douala et
5869 cas dans la ville de Yaoundé, sans compter les autres régions du
Cameroun. On note ici que très peu d’études ont été menées sur cette
catégorie de la population et que l’enquête de l’INS ne précise pas le
contexte d’acquisition des différents types de handicaps.

    Concernant les modes de prises en charge des personnes en situation
                                                   0
de handicap au Cameroun, il ressort que la Loi N 2010/002 du 13 avril
2010 ayant pour but la promotion et la protection des personnes en
situation de handicap, prévoit un accompagnement psychosocial qui vise
l’équilibre physique et psychologique de la personne en situation de
handicap. Pour répondre à cette loi, des centres privés et publics de
services sont disponibles et ont pour finalité la réhabilitation, la
reconversion de ces personnes et la prise en charge psychosociale et
médico-sanitaire. Néanmoins, on observe sur le terrain un écart entre ce
qui est préconisé par la loi et son application à travers les structures
publiques de prise en charge. Cet écart ne facilite pas le développement
harmonieux de ces personnes (Ondoua Abah, 2002). De plus, les
associations de personnes handicapées visent pour la plupart à faire
respecter les droits des personnes handicapées, mais sont encore limitées
de par les contraintes financières et celles liées à l’accompagnement
psychosocial.

    Des études ont été menées sur la qualité de vie des personnes
porteuses d’un handicap moteur, sensoriel et intellectuel au Cameroun.
Ces études concernent les mécanismes de prise en charge et d’intégration
des enfants handicapés visuels dans les écoles ordinaires au Cameroun,
les droits des personnes en situation de handicap et les conditions de vie
et de participation sociale des personnes en situation de handicap moteur.
Chez l’enfant en situation de handicap moteur et sensoriel par exemple, il
ressort que leur parcours est parsemé d’obstacles limitant leur intégration
scolaire (Baleng, 2008; Fonkoua, 2002; Ondoua Abah, 2002). Tout ceci

28
RQP, 41(2)

conduit très souvent au découragement, à la marginalisation, au rejet de la
personne en situation de handicap au sein de sa famille, et de la société
camerounaise en général. Comme l’avait déjà remarqué Djabea (2010),
certains facteurs ne permettaient pas à la personne en situation de
handicap de valoriser son estime de soi à l’instar des préjugés, des
discriminations, de l’exclusion sociale, de la stigmatisation et du regard
malveillant des autres. Aussi, cette situation semble être beaucoup plus
précaire pour les adultes camerounais qui deviennent handicapés à la
suite d’un accident de travail ou de tout autre accident.

     Le handicap occupe une place tout aussi importante du point de vue
de ses représentations sociales dans la culture africaine en général et
celle camerounaise en particulier. Diop (2012) dans ses travaux, recense
les représentations d’ordre spirituel, possédant une « dimension
invisible ». Il affirme que « si handicap rime avec sorcier, génie, démon,
faute, sanction, malédiction, vagabondage, agression, punition,
transgression, péché, il conduit forcément à la peur et à la honte » (Diop
2012, p. 26). Au Cameroun, une lecture de la perception du handicap
moteur au sein de la communauté d’appartenance du sujet, permet
d’inscrire celle-ci dans un registre culturel en tenant compte des activités,
des croyances et des pratiques appliquées en son sein.

    Les actions et les jugements que l’on porte sur la personne en
situation de handicap moteur au Cameroun sont pour la plupart à
connotation négative et contribuent à stigmatiser ces personnes. Les
représentations culturelles que les communautés se font de cette
population (croyance en la sorcellerie, pratiques des rites et coutumes,
recherche du coupable…) entravent parfois leur quête d’équilibre et oblige
le sujet à rechercher une réintégration dans son groupe culturel
d’appartenance. Le regard porté sur la personne en situation de handicap
est renforcé par les représentations culturelles que les communautés se
font de cette couche de la population et qui contribuent à renforcer le
ressenti douloureux de ces personnes (Hamonet, 1990, 1992; Zambe et
Hamonet, 2005).

     Comme le remarquaient déjà Vaginay, Warnier et Yaméogo (2013
p.193) « dans le royaume Mankon, le handicap est susceptible de donner
lieu à des accusations sorcellaires ou à des doutes concernant la relation
des vivants aux morts ou à des vivants entre eux ». Les représentations
culturelles du handicap varient en fonction de la spécificité et de
l’appartenance du sujet à une aire culturelle bien définie. On peut de ce fait
percevoir un ensemble de mécanismes que certaines ethnies mettent en
œuvre pour envisager la réintégration de l’individu atteint d’un handicap
moteur, ainsi que les stratégies de remise en condition physique et
psychologique de la personne.

                                                                           29
Handicap moteur et résilience chez l’adulte

                                Repères théoriques
     L’incapacité subite à réaliser des habitudes de vie chez une personne
à l’âge adulte, impose un bouleversement dans sa vie psychique suite à la
rupture des acquis, se traduisant par la difficulté pour son psychisme de
maîtriser le surcroit d’excitation imposée. Le handicap moteur acquis à
l’âge adulte réduit de manière significative la réalisation des habitudes de
vie concernant aussi bien ses activités courantes (déplacement, soins
personnels, conditions corporelles, habitation, communication) que ses
rôles     sociaux    (responsabilité,   relations    interpersonnelles,  vie
communautaire, éducation, travail, loisirs).

    La soudaineté de l’évènement qui surgit dans la vie de la personne
adulte et occasionne une situation de handicap amène à prendre en
compte les notions de traumatisme et de résilience. L’approche
psychodynamique est de ce fait à considérer, car comme le démontre
Anaut (2015, p.34) «l’interrogation du processus résilient en tant que
processus psychique trouve des éclairages dans le référentiel
psychodynamique, en particulier avec la prise en compte des mécanismes
de défense ». En effet, la résilience est envisagée ici comme un processus
dynamique influencé par un équilibre subtil et évolutif entre les facteurs de
protection et les facteurs de risque (Dyer et McGuinness, 1996; Glenn,
2002; Manciaux, 2006). Les facteurs de protection sont des attributs des
personnes, des environnements, des situations et des évènements qui
diminuent l’impact des facteurs de risque sur la personne ou favorisent la
«résistance» de celles-ci aux facteurs de risque. Un facteur de risque est
un élément appartenant à l’individu ou provenant de l’environnement
susceptible de contribuer à provoquer une maladie, un traumatisme ou
toute autre atteinte à l’intégrité ou au développement de l’organisme.

     C’est dire ici que la capacité de résilience du sujet exige un travail de
mentalisation du traumatisme connue comme l’ensemble d’opérations
symboliques par lesquelles l’appareil psychique assure la régulation des
énergies instinctuelles, pulsionnelles, libidinales ou agressives. La
traversée de l’événement traumatisant impose à la personne une bascule
riche de symptomatologie douloureuse, au point où le sujet s’inscrit dans
une quête de réaction à l’atteinte narcissique voir objectale. L’approche
écosystémique de la résilience n’est pas à exclure et permet d’envisager
l’application du concept de résilience au champ de la déficience tel que
prôné par Ionescu (2010). Il s’agit en fait d’une approche qui intègre les
paramètres de l’approche contextuelle à travers l’interaction individu-
environnement en tenant compte des processus d’adaptation, de
« stratégie de Coping » et des facteurs de protection (Dumont et
Plancherel, 2001; Fougeyrollas et Dumont, 2010; Lazarus et
Folkman,1984; Manciaux, 2006 ).

30
RQP, 41(2)

     L’analyse du processus d’évolution du sujet aux prises avec un
événement bouleversant, nécessite que soit revisitée et prise en compte,
l’importance de l’approche intégrative de la résilience afin d’envisager un
repositionnement du sujet vers un devenir harmonieux. Dans cette logique,
la place des ressources environnementales est à souligner avec un accent
particulier sur des valeurs culturelles à prendre en compte dans l’évolution
du sujet. Dans ce sens, le tissage affectif nécessaire pour une évolution du
sujet devrait être fonction de la qualité des ressources culturelles
existantes et qui offrirait un étayage aussi bien individuel que groupal.
Sachant que les capacités résilientes du sujet dépendent aussi des
ressources environnementales, il y a lieu de questionner la qualité des
représentations culturelles dans un contexte de fragilité narcissique
imposée par la survenue d’un handicap moteur à l’âge adulte.

     L’étude a pour objectif de saisir les enjeux des représentations
culturelles sur le devenir des sujets en situation de handicap moteur acquis
à l’âge adulte notamment sur leur capacité de résilience. Suivant une
démarche compréhensive, il est question premièrement, d’identifier les
idées reçues concernant l’événement traumatique dû à la survenue
brusque du handicap à cet âge. Deuxièmement, il s’agit de cerner la
manière dont la communauté culturelle d’appartenance de la personne
réagit à travers les pratiques, les rites, les dires, les modes de pensées
pour ainsi donner sens à l’événement et impacter sur leur capacité de
résilience.

                                 MÉTHODE
     Il s’agit d’une recherche qualitative à travers une étude de trois cas.
Les participants sont des hommes en situation de handicap moteur acquis
à l’âge adulte, tous issus d’aires culturelles différentes et admis en internat
au Centre national de réhabilitation des personnes handicapées cardinal
Paul-Émile Léger (CNRPH) situé à Etoug-Ebe dans la ville de Yaoundé au
Cameroun.

     À travers la méthode clinique de recherche, les entretiens semi-
directifs et l’utilisation d’un guide d’entretien thématique ont été utilisés
pour collecter les données auprès des participants. Cet outil a permis non
seulement de recueillir de manière aisée une masse importante
d’informations utiles à l’étude, mais aussi a donné aux participants la
possibilité de s’exprimer de manière libre et sans contrainte. Les entretiens
ont eu lieu dans la salle d’écoute des psychologues du CNRPH à Etoug-
Ebé, ceci dans le but de « garantir évidemment la confidentialité des
propos échangés, ainsi qu’un lieu adapté à l’échange où nul n’est témoin
de ce qui se dit » (Chabert et Verdon, 2008, p. 101). Nous avons fait deux
entretiens par cas, donc six entretiens au total. Chaque entretien a duré en

                                                                            31
Handicap moteur et résilience chez l’adulte

moyenne une heure. Chaque participant était informé du but de la
recherche : comprendre les enjeux des représentations culturelles sur leur
capacité de résilience après la survenue d’un handicap moteur à l’âge
adulte. Toutefois, les participants n’ont pas été informés de la nature de
notre hypothèse afin d’éviter des biais dans leurs réponses. Afin de
garantir le respect de la confidentialité à l’étude, les pseudonymes (cas Y,
cas T, cas V) ont été attribués aux participants ainsi que la soumission des
fiches de consentement éclairé. Les entretiens ont été enregistrés grâce
au dictaphone. Son utilisation a été mentionnée à l’avance aux
participants. Les données collectées ont été analysées à l’aide d’une grille
d’analyse thématique de contenu tel qu’indiqué au Tableau 1. Les unités
de sens contenus dans le discours des participants de l’étude ont été
relevées permettant ainsi un fondement empirique de l’analyse. Ces
informations ont été transformées en écrits à travers une transcription sur
ordinateur à l’aide du logiciel informatique Microsoft Word, afin d’obtenir un
corpus permettant l’analyse.

                                   RÉSULTATS
    Il est question ici de présenter les données idiographiques des
participants à travers l’histoire des cas singuliers dans la dynamique de la
survenue du handicap physique, d’envisager les aspects des
représentations culturelles en lien avec cet événement traumatique et de
saisir le sens que le sujet attribue à ces événements.

                       Données idiographiques des sujets
                                        Cas Y
     Originaire de la région de l’Ouest du Cameroun, (Aire des Grassfields),
M.Y est d’ethnie Bamiléké et d’appartenance religieuse chrétienne. Au
moment de sa rencontre, il est âgé de 40 ans. La paraplégie survient
lorsqu’il est âgé de 31 ans de suite d’un accident de circulation. Exerçant
auparavant le métier de forestier, il a été contraint à se reconvertir dans la
profession d’homme politique selon ses verbalisations. Dernier né d’une
fratrie de cinq, M.Y est célibataire et est issu d’une famille polygamique. Il
précise qu’après la paraplégie acquise, il n’a pas bénéficié d’un soutien
paternel, mais plutôt d’un soutien venant de sa mère et de ses frères et
sœurs. Lors de son entretien, on observe des éléments fonctionnels du
langage qui témoignent de la perturbation émotionnelle du sujet à travers
de multiples hésitations et des silences répétés. Dans son discours, on
perçoit aisément des signes de tristesse dans son état psychique.

32
RQP, 41(2)

                                           Tableau 1
                          Grille d’analyse thématique de contenu
      Thèmes                    Indicateurs                             Observations
                                                             Catégories de réponses            Modalités

1. Circonstance de      - Qualité du récit lié à        Varient selon les participants
la Survenue du            l’accident
handicap moteur         - -Annonce du handicap
                        - -Faire face au réel de
                          l’événement
2. Handicap acquis      - Choc émotionnel               Existant chez tous les                 +
comme événement         - -Capacités de                 participants de l’étude                +
traumatique               mobilisation des
                          ressources du sujet
                        - -Mécanisme de défense                                                ±
                          mobilisé
                        - Vécu douloureux de la                                                +
                          perte de la fonction
                          motrice
                        - - Atteinte narcissique                                               +
3. Impact des           - Identification des            - Phénomène de la recherche            +
représentations           facteurs de risque               du coupable sur le plan
culturelles sur le        (éléments culturels              mystique
devenir des               comme entraves)               - Accusation des personnes             +
participants                                               comme « sorciers ou
                                                           sorcières »
                                                        - Croyance à l’existence des           ±
                                                           « entités négatives
                                                        - Croyance au « commerce               +
                                                           mystique de l’humain » à une
                                                           « forme de cotisation
                                                           mystique »
                        - Identification des            - Pratique d’exhumation des            +
                          facteurs de protection           parties du corps comme
                          (éléments culturels              moyen de guérison
                          comme favorables)             - Effets positifs de                   +
                                                           l’accomplissement de certains
                                                           rites traditionnels
                                                        - Le règlement culturel de la          +
                                                           dette symbolique
                                                        - La croyance à une force              +
                                                           divine et rapport à la
                                                           spiritualité
4 -Capacité à                                           Altérée par l’existence                ±*
vaincre l’adversité,                                    simultanée des facteurs de
capacité à être                                         protection et de risque chez tous
résilient                                               les participants
Légende : + signifie qu’il y a une existence de l’élément, - : signifie qu’il y a absence de
l’élément, ± : signifie que l’élément est plus ou moins perceptible
* nécessite un renforcement – résilience assistée.

                                                                                                   33
Handicap moteur et résilience chez l’adulte

                                        Cas T
     M.T est âgé de 39 ans au moment de sa rencontre. Originaire de la
région de l’Ouest du Cameroun, d’ethnie Bamiléké (aire culturelle des
grassfields), il est d’appartenance religieuse chrétienne catholique. Lors de
son entretien, il manifeste une forte production verbale. La survenue de la
paraplégie à 26 ans suite à un accident de circulation, bouleverse ses
projets professionnels alors qu’il exerçait déjà le métier de conducteur
automobile. Ceci l’oblige à faire une reconversion professionnelle et à
exercer le métier de secrétaire. Il est le deuxième enfant d’une fratrie de
six et est issu d’une famille polygamique, les parents sont séparés avant
l’apparition de la déficience. Néanmoins, il a bénéficié du soutien de sa
mère et du réconfort de ses frères pour surmonter cette condition qu’il
trouve difficile. La tristesse est repérée dans son discours, comme signe
clinique perceptible.

                                        Cas V
     Âgé de 55 ans au moment de sa rencontre, M.V manifeste une forte
production verbale. Originaire de la région du littoral (aire culturelle de la
côte), il est d’ethnie Bassa et Témoin de Jéhovah. La paraplégie est
causée par un accident de travail lorsqu’il avait 50 ans. Marié et père de
trois enfants, M.V est lui même issu d’une famille polygamique et occupe
le cinquième rang d’une fratrie de sept. La survenue de la déficience
motrice a été difficilement acceptée par lui-même, surtout qu’il a vécu un
manque de soutien parental et une absence du soutien fraternel. Il est
actuellement sans emploi et pense que le regard de la société
camerounaise n’est pas très réconfortant pour les personnes déficientes
motrices. Il dit être diminué physiquement, mais pas psychologiquement.
Son état psychique au moment de l’entretien semble ne pas suggérer
d’altération.

                         Analyse des données recueillies
               Handicap acquis comme événement traumatique
     La soudaineté de la survenue de l’événement a affecté les sujets ainsi
que les membres de leur entourage. L’effet est perceptible dans les
capacités de mobilisation des ressources du sujet et même de
l’environnement social. La perte des fonctions motrices est vécue comme
la perte d’une compétence, d’une situation et sur le plan fantasmatique,
comme la perte d’un idéal, la perte d’un objet comme le démontre M. V
lorsqu’il dit :
     J’ai fait juste l’accident sur le chemin de fer ou la tête de la locomotive m’a
     cogné et on m’a emmené à l’hôpital et les médecins m’ont opéré! Quand
     j’ai repris conscience, j’ai eu une réaction de dépit, de désolation de voir

34
RQP, 41(2)

    cette horreur! […] Le fait de me retrouver dans cette situation, c’est vrai,
    dans ce souci, je ne voulais même pas me regarder!

    La révélation du handicap ici constitue un choc émotionnel intense,
une violente atteinte narcissique ainsi qu’une perturbation émotionnelle
vécue par le sujet. Un début de travail de deuil se perçoit chez les sujets
notamment avec le choc de l’annonce, le déni comme le démontre les
propos de M. T lorsqu’il précise que « […] je n’acceptais pas que je ne
puisse plus marcher… ».

     La survenue de l’accident s’objective à travers l’effraction vécue, ce
qui limite les possibilités de régulation du système pare-excitation d’où le
traumatisme. Le sujet vit une expérience qui affecte son histoire, sa
psyché et son corps. Il s’en suit une blessure non seulement physique,
mais surtout psychique et une souffrance. Le sujet doit pouvoir mobiliser
les ressources tant internes qu’externes pour lutter contre l’événement
déstabilisant. La qualité de la mise en œuvre de ces ressources diffère
d’un sujet à l’autre et est fonction de l’écosystème du sujet. Parmi les
éléments de l’écosystème, figure en bonne place le rôle de
l’environnement culturel dans la lutte pour vaincre la situation menaçante
que traverse le sujet en situation de handicap moteur acquis.

    Effet des représentations culturelles sur le devenir des participants
     Les résultats montrent que certains facteurs culturels dans le
contexte camerounais constituent des obstacles et d’autres des
facilitateurs pour le processus psychique de dépassement de l’effet
traumatique chez les sujets. Ces éléments culturels qui constituent des
entorses, des freins ou qui favorisent le travail de mentalisation, sont
perceptibles autant dans leur mise en acte à travers les pratiques, que
dans leur mode de pensée en termes de croyances, de représentations
que se font les sujets de l’étude, l’entourage socioaffectif des participants
de l’étude (famille, groupe d’appartenance, communauté) ainsi que les
personnes qui interagissent plus ou moins directement avec les sujets.
Aussi chez un même sujet, on peut observer simultanément l’existence
autant des facteurs culturels favorables aux procédés de dépassement
de l’épreuve (facteurs de protection), que des facteurs susceptibles
d’entraver ces procédés (facteurs de risques). Ces facteurs (protection et
risque) identifiés dans l’étude émergent des données recueillies issues
des discours des participants de l’étude.

Éléments culturels comme entraves à la capacité de résilience (facteurs de
                                risque)
    Les éléments culturels dont il est question sont ceux retracés dans les
discours des sujets et qui ne facilitent pas la mise en place des capacités

                                                                                   35
Handicap moteur et résilience chez l’adulte

de transformation psychique de l’expérience traumatique, et par
conséquent, enfreignant la capacité de résilience des participants.

     Phénomène de la recherche du coupable sur le plan mystique. C’est le
fait de rechercher le coupable et de l’attribution de la cause du malheur à
un phénomène transgénérationnel à travers une transmission parent-
enfant. C’est dans cette logique que M.Y relate que :
     En Afrique, on pense toujours que c’est l’autre qui nous a fait, on ne voit
     pas que c’est un destin… peut être il faut se cultiver spirituellement pour
     comprendre que non, peut être… les écrits bibliques… donnent le destin
     de quelqu’un…! Peut être il a été dit que c’est comme ça! parce que
     quelque part on dit que le mal que les parents ont fait ça reviendra, peut-
     être tu peux ne pas voir le mal, mais le mal n’est jamais petit!

     On perçoit ici les croyances qui se vivent, qui se pratiquent et qui se
disent autour de la personne déficiente motrice, ne favorisant pas un
travail de pensée chez le sujet qui en est atteint. Le phénomène de la
recherche du coupable par le sujet porteur d’une déficience motrice ou par
ses proches, démontre que le travail de mentalisation permettant la mise
en pensée des événements en vue d’une restructuration psychique, peine
à se mettre en place et ceci aura des répercussions sur les capacités de
résilience du sujet.

    Accusation des personnes comme « sorciers ou sorcières ». Ici, l’idée
que le sujet se fait de l’origine de la survenue de sa déficience oriente sa
perception de sa déficience. On remarque que l’attribution de la cause de
la déficience à une tierce personne, ravive le souvenir douloureux de la
perte de l’objet et le sujet semble dans certains cas se culpabiliser de
n’avoir pas pu éviter cette situation. C’est le cas observé chez le sujet M.V
qui semble se reprocher de son ignorance concernant son collègue
soupçonné de sorcier. Il ressort de ce fait que, le phénomène qui consiste
à accuser des personnes comme « sorciers » ou « sorcières » et
responsable de la survenue de la déficience, ne favorise pas aisément la
mise en œuvre du processus visant l’atteinte de la santé psychologique du
sujet.

     Croyance à l’existence des « entités négatives ». La croyance de
l’existence des entités négatives constitue un élément susceptible de
freiner le travail de pensée du sujet déficient moteur, c’est le cas observé
chez M.V parlant de sa femme lorsqu’il précise que :
     J’ai pensé aussi aux mauvaises paroles qu’elle (femme) a eu à prononcer
     juste avant mon handicap, et je me suis aussi dit qu’elle avait ouvert la
     voie aux esprits maléfiques pour qu’il m’arrive malheur! Elle m’a par
     exemple dit que je suis égoïste et que Dieu va me punir!

36
RQP, 41(2)

     Ces éléments peuvent raviver chez le sujet le sentiment d’une
certaine condamnation à vie à travers la punition infligée par une entité
maléfique ou même invisible et suprême. Cette croyance peut empêcher
la capacité non seulement d’adaptation du sujet à la nouvelle situation,
mais aussi de résilience; car il est connu que la résilience est au-dessus
de l’adaptation (Anaut, 2005).

     Croyance au « manque de protection » et « bénédiction parentale ». Il
arrive que le participant manifeste une vulnérabilité et pense que la
survenue de la déficience motrice est due au fait de n’avoir pas bénéficié
d’une protection parentale. Cette observation est faite dans le discours de
M.V qui précise que :
    Je me suis dit que si j’étais protégé psychologiquement, même si c’est un
    mauvais sort que quelqu’un m’a lancé au lieu de service, ça n’aurait pas
    dû me toucher d’autant plus que je n’avais rien à me reprocher! Et je me
    demandais pourquoi quelqu’un a essayé de m’atteindre par cette voie de
    sorcellerie? Je me suis posé cette question et j’ai conclu que c’est parce
    qu’il y avait une fragilité de protection de la part de mes parents! Et je me
    suis dit que peut-être que si j’allais chez le marabout ou le voyant ça
    n’aurait pas dû m’arriver!

     Croyance au « commerce mystique de l’humain » à une « forme de
cotisation mystique ». La pratique des rites culturels visant à restaurer
l’équilibre du sujet est parfois justifiée dans les familles et communautés
comme venant empêcher que le sujet ne subisse le sort d'« être vendu »
de manière mystique, car cette croyance sous-entend que c’est l’échec de
cette « vente obscure » qui a laissé des séquelles de l’ordre de la
paraplégie chez le sujet, d’où l’urgence par les membres de la famille
d’empêcher l’accomplissement de la « vente de la personne » sur le plan
mystique pouvant ainsi occasionner sa mort corporelle et psychique. Le
sujet M.T décrit la pratique culturelle effectuée dans le cadre de sa quête
de guérison en ces termes :
    Aller juste faire un sacrifice avec un poulet, on coupe, on jette, on
    mélange avec l’huile… des choses comme ça! Dans la famille il y a des
    personnes qu’on a désignées, qu’on a soupçonnées, surtout quand il y a
    un cas de malheur, il y a des choses qui m’ont été rapportées, que c’est
    un oncle maternel qui voulait me vendre pour de l’argent, mais bon! […]
    Ma maman croit trop au sacrifice traditionnel, c’est elle qui faisait les rites
    pour que je retrouve la guérison, mais moi j’étais toujours réticent à tout
    ça!

     Pratique d’exhumation des parties du corps comme moyen de
guérison. La survenue de la déficience est justifiée par les responsabilités
attribuées aux personnes décédées, et donc pour une raison ou une autre,
les conditions d’inhumation du corps n’ont pas respecté la norme culturelle
telle qu’envisagé dans la coutume de la communauté. Dans ce cas, la

                                                                                      37
Handicap moteur et résilience chez l’adulte

pratique rituelle consiste à exhumer le corps ou une partie du corps du
défunt pour ainsi rendre compte du respect de la norme culturelle
envisagée afin de restaurer l’équilibre rompu qui se vit autant par le sujet
que par les membres de sa communauté. C’est dire ici toute l’importance
sur le plan culturel qu’on accorde aux croyances tendant à rechercher soit
le coupable, soit à attribuer l’origine de la déficience à un tiers, ou encore
de croire aux effets de la guérison miraculeuse.

     Éléments culturels favorisant la capacité de résilience (facteurs de
                                 protection)
    Il s’agit ici des éléments du discours tel que recueilli et qui sont
susceptibles de faciliter le travail psychique dans l’optique de la quête
d’une compétence et d’une ressource nécessaires à la mise en œuvre
des capacités de résilience de la personne. Ces éléments sont
circonscrits dans les discours des sujets, traduisant dans ce cadre des
sensations de bien être, de perception positive de la pratique culturelle et
du sentiment de restructuration de la santé psychologique. Il s’agit de :

     Effets positifs de l’accomplissement de certains rites traditionnels.
Cet accomplissement, ainsi que la mise en pratique de certains rites
culturels, ont des effets positifs sur les capacités de résilience des
participants. C’est le cas de M.Y qui décrit de façon dynamique une scène
rituelle initiée à son endroit par sa famille et qui a connu la participation
des membres de la communauté. Cette scène rituelle telle que relatée
visait le rétablissement de sa santé psychologique et somatique. La
satisfaction du participant se lit d’ailleurs à la fin du discours lorsqu’il
précise que :
     On a même tué un coq, on a pris le sang, on est allé faire certains rites au
     village, où il fallait que le village s’asseye…et…que chacun se dénonce
     s’il y a un problème et il y a des rancunes…envers moi…ou avec ma
     mère, on lave le linge en famille! comme moi, je ne pouvais pas aller, ils
     ont fait ça sur une chemise que je portais, et on m’a ramené ça à
     l’hôpital…et… mon marabout…qui est venu me traiter … On a acheté le
     poulet, on a fait,…on faisait… on me lavait avec… on m’a lavé avec, le
     sang qui coulait…les yeux…parfois, ces choses, ça souvent une
     coïncidence parfois heureuse, ou pas…!mais toujours est-il que quand on
     a fini de faire ça, on voyait déjà un changement au niveau des plaies..
     Bon!… je me sentais de plus en plus à l’aise!

     Ces rites qualifiés d’actes à distance sur le plan culturel, démontrent
la capacité du sujet à pouvoir transformer la situation auparavant
douloureuse en une issue positive ayant pour finalité la mise en œuvre
des stratégies de résilience. Cette scène, comme bien d’autres, illustre le
rôle joué par l’accomplissement du rituel chez le sujet.

38
RQP, 41(2)

     Le règlement culturel de la dette symbolique. Dans ce contexte, et
dans certaines communautés, on attribue la cause du handicap moteur au
non-accomplissement d’une dette symbolique culturelle. Cette dette en
réalité fait preuve des ruptures, de violation de l’interdit culturel suivant les
normes culturelles connues et du non-respect de la procédure au niveau
de l’application de ces ensembles de règles culturelles. De ceci, découle
suivant l’imaginaire culturel du peuple ou de la communauté, un ensemble
de rites culturels qu’il faille impérativement accomplir pour que le sujet
retrouve sa place non seulement auprès de sa communauté, de sa famille,
mais surtout pour que le sujet retrouve sa santé psychologique. Tout ceci
vise aussi à empêcher la survenue d’incidents malheureux dans le futur
chez les membres de la communauté, qui obligerait à payer à tout prix une
dette symbolique.

    La croyance en une force divine et le rapport à la spiritualité. Certains
sujets de l’étude retrouvent leur stabilité psychologique après la survenue
du handicap en investissant leur énergie dans la spiritualité et dans une
sorte de croyance en une force divine qu’ils nomment « Dieu ». Cette
croyance leur permet de retrouver et de renforcer leur estime de soi et la
revalorisation de soi afin de retrouver l’harmonie idéale perdue. Il convient
de souligner que les représentations culturelles de nature à valoriser et
favoriser une capacité de résilience de par leur rôle de facteurs de
protection, participent fortement à réinstaurer l’harmonie perdue, à
favoriser le développement des compétences et des ressources résilientes
et à donner sens à l’évènement.

                      DISCUSSION ET PERSPECTIVE
     Selon l’approche psychodynamique de la résilience, le sujet doit
mobiliser des compétences internes et externes pour faire face à
l’événement déstabilisant afin d’envisager un devenir harmonieux.
Comme le pense Anaut (2015, p.35) « les ressources endogènes et
exogènes tissent des interactions complexes pour aboutir à des formes de
résiliences singulières, propres à chaque sujet ». Les résultats de l’étude
montrent que les sujets font preuve de stratégies conscientes et
inconscientes pour diminuer l’affect pénible ressenti, afin de retrouver une
homéostasie intrapsychique. Néanmoins, ces stratégies ne sont pas
toujours suffisamment élaborées pour permettre à l’appareil psychique de
réguler efficacement les énergies agressives ressenties par la personne.

    De ce fait, les sujets ont recours aux ressources environnementales,
notamment au contexte culturel pour renforcer leur capacité défensive et
adaptative. Il ressort donc que le contexte culturel dans lequel évolue le
sujet est un élément révélateur des capacités adaptatives du sujet
confronté à un événement traumatique tel que la survenue d’un handicap

                                                                              39
Handicap moteur et résilience chez l’adulte

à l’âge adulte. Dans ce sens, les résultats démontrent qu’il existe des
représentations culturelles de nature à entraver et à faciliter le processus
psychique de dépassement de l’effet traumatique induit par la survenue
d’une déficience motrice.

     À cet effet, et selon le cas, le travail de mentalisation peut ou non
permettre la mise en pensée des événements en vue d’une restructuration
psychique nécessaire à la mise en œuvre du processus de résilience du
sujet. Or, comme l’affirme Tousignant (2004), la culture offre un cadre
d’expression à la souffrance individuelle en lui accordant une dimension
plus collective tout en permettant un repositionnement dans un contexte
sociohistorique global. L’inscription du sujet dans son contexte
socioculturel oblige à reconsidérer la place et le rôle de ce contexte dans
l’économie psychique du sujet aux prises avec l’acquisition d’un handicap
moteur à l’âge adulte. La culture fournit un cadre global de pensées et de
désirs et entre ainsi dans le façonnement du sentiment susceptible de
développer ou non la capacité de résilience de la personne dans un tel
contexte.

     Suivant que les croyances, les préjugés et les actions menées dans le
contexte socioculturel du sujet sont rigides, parsemées d’embuches et
d’obstacles, on assistera par conséquent à une entrave au niveau des
procédés de mise en œuvre d’un véritable travail de résilience qui
suppose une mise en jeu des modalités défensives et des procédures
protectrices multiples (Anaut, 2015). Cela ouvre donc à des questions de
sens que le sujet attribue à son devenir afin d’intégrer psychiquement les
effets de l’influence subjective d’un contexte sur l’autre, fût-il
individuel/groupal, interne/externe, sujet/environnement.

    La question du sens ici renvoi à la responsabilité libre du participant à
considérer psychiquement un événement ou un attribut d’événement au
détriment d’un autre. Autrement dit, le sentiment d’existence personnel qui
pourrait se développer chez une personne après un événement
traumatique sera fonction de sa liberté à considérer ou non les effets
anxiogènes de la situation. C’est dans cette logique que la pensée de
Frankl citée par Kühn (2006) à travers ce qu’il nomme (Einstellungswert )
permet de marquer cette force vivante ultime qui émane de la liberté la
plus profonde et qui est différente de la résignation. Cette pensée se
résume en « si je vis une telle situation où il m’est impossible de
transformer encore les conditions de faits qui la composent, je peux
modifier du moins mon attitude intérieure face à l’inaltérable. De cette
manière, je transforme aussi ma nature psychique pour découvrir une
dernière valeur personnelle ou existentielle. » (Kühn, 2006 p. 3)

40
RQP, 41(2)

                                 CONCLUSION
     La survenue d’un handicap alors que le sujet est adulte impose un
réaménagement de tout ordre et nécessite la mobilisation des capacités
résilientes afin d’envisager un devenir harmonieux. Dans le cadre de cette
étude, les sujets ont fait preuve de compétences personnelles et
environnementales pour vaincre l’adversité. Il a été démontré néanmoins
que les ressources environnementales à travers l’apport de la
communauté culturelle des participants ne permettaient pas aisément
l’atteinte d’une restructuration psychique censée faciliter le travail de
mentalisation du traumatisme induit par la nouvelle situation. L’existence et
la mise en acte de certaines pratiques, us, coutumes et rites, ne facilitent
pas toujours le travail de résilience nécessaire pour l’atteinte de
l’homéostasie intrapsychique dont le sujet a besoin et se constituent par
conséquent en obstacle pour un devenir harmonieux. Comme l’avait déjà
pensé Tsala Tsala (2006, p. 180),
    Les sociétés traditionnelles ont depuis toujours inventé des mécanismes
    de régulations sociales et des systèmes efficaces de soutien individuel. La
    tradition, les us et les coutumes, les croyances et certaines pratiques
    rituelles et religieuses ont dans des contextes historiques et socioculturels
    particuliers, assumé des fonctions d’aide à autrui et produit des
    connaissances pratiques sur le comportement humain.

    Sachant que les fonctions d’aides individuelles doivent être assumées
par la vision culturaliste et traditionaliste des sociétés traditionnelles, force
est de constater l’existence d’une autre fonction déstabilisante assumée
par la communauté culturelle à travers la nature des représentations mises
en œuvre et qui constitue une entrave aux capacités de résilience du sujet
dans un tel contexte. Comme Scelles (2013, p. 18) l’avait déjà remarqué,
    Les référents culturels peuvent favoriser ou entraver le travail de penser
    que chacun des membres de la famille individuellement et collectivement
    devra opérer pour que le devenir, l’avenir reste pensable, imaginable. La
    culture peut contribuer à favoriser l’inclusion comme l’exclusion de la
    famille et du groupe social.

    Dans ce sens, les résultats ont montré que les pratiques et les rites
culturels en l’occurrence, les croyances et les préjugés connus et
appliqués dans une communauté culturelle peuvent disposer en son sein
des éléments susceptibles d’influencer la quête d’équilibre nécessaire pour
se reconstruire un sentiment de soi cohérent après la survenue d’un
handicap moteur à l’âge adulte. Bien que les représentations du handicap
au Cameroun soient marquées par la perception d’un phénomène lié aux
croyances et préjugés à symbolisme mystico-religieux, il demeure
néanmoins que les rites et les pratiques appliqués diffèrent dans leur mise
en œuvre d’une aire culturelle à l’autre, même si leur seul but reste de

                                                                                    41
Handicap moteur et résilience chez l’adulte

rechercher la restauration intrapsychique et interpsychique à travers la
réintégration culturelle dans la communauté. Cette réintégration culturelle
étant susceptible d’être parsemée d’obstacles pouvant entraver la capacité
de résilience du sujet, il y a lieu de penser à un accompagnement et un
suivi psychologique pour mieux orienter le rôle de contenance que la
culture est censée jouer dans un tel contexte. Aussi sur le plan de
l’accompagnement, une résilience assistée pourrait contribuer à activer
spontanément ou à renforcer les ressources existantes chez la personne.
Dans le contexte du Cameroun, le psychologue ou le psychothérapeute
pourra en effet centrer ses interventions sur la levée des blocages qui
entravent le travail de résilience, repérer, activer et valoriser les ressources
et les compétences qui existent malgré la fragilité apparente.

     L’étude s’est focalisée sur trois participants originaires de deux
grandes aires culturelles (grassfield et de la côte), ce qui pourrait
constituer une limite à l’étude dans la mesure où toutes les aires culturelles
que compte le Cameroun n’ont pas été représentées (aire culturelle de la
côte, aire culturelle de la forêt, aire culturelle soudano-sahélienne, aire
culturelle des grassfields). Une étude ultérieure pourrait prendre en compte
l’impact des représentations culturelles dans les quatre aires culturelles
dans une approche comparative afin d’analyser leurs effets sur les
capacités de résilience chez le sujet en situation de handicap moteur
acquis à l’âge adulte. Aussi, en élargissant l’étude à plus de participants,
l’on pourrait collecter des données permettant une analyse holistique des
stratégies de résilience dans un tel contexte.

                                       RÉFÉRENCES
Anaut, M. (2005). Regards sur la résilience et la singularité des situations de handicap.
     Reliance, 2(16), 13-15.
Anaut, M. (2015). La résilience : évolution des conceptions théoriques et des applications
     cliniques. Recherche en soins infirmiers,. 2(121), 28-39.
Baleng, A. (2008). Mécanismes de prise en charge et d’intégration des enfants handicapés
     visuels dans les écoles ordinaires. Dans P. Fonkoua (dir.). Processus d’intégration des
enfants en difficultés d’apprentissage et d’adaptation scolaires (p.97-119). Yaoundé,
     Cameroun : Édition Les cahiers de terroirs.
Diop, I. (2012). Handicap et représentations sociales en Afrique occident. Le français
     aujourd’hui, 177, 19-27.
Djabea, M. (2010). Chronique : les handicapés ont aussi des droits. Récupéré de
     www.cameroun-infos.net/stories.
Dumont, M. et Plancherel, B. (2001). Stress et adaptation chez l’enfant. Québec, Québec :
     Éditions Presse de l’Université.
Fougeyrollas, P. et Dumont, C. (2010). Construction identitaire et résilience en réadaptation.
     Frontière, 22, 22-26.
Fonkoua, P. (2002). Intégration scolaire des enfants en situation particulière dans le système
     éducatif camerounais. Dans J. Ph. Tsala Tsala (dir.), Santé mentale, psychothérapie et
     société. Vienne, Autriche : Editions WCP.
Glenn, E. R. (2002) The metatheory of resilience and resiliency. Clinical Psychology, 58, 307-
     321

42
RQP, 41(2)

Hamonet, C. (1992). Handicaps dits « moteurs » et communication. Rééducation
      orthophonique, 30, 251-259.
Hamonet, C. (1990). Les personnes handicapées. Paris, France : PUF.
Kühn, R. (2006). La pensée de Victor Frankl et notre temps. Le Portique, 18. Consulté sur
      http://journals.openedition.org/leportique/833
INS (2006). Troisième enquête camerounaise auprès des ménages (ECAM III). Cameroun :
      Auteur.
Ionescu, S. (2010). Psychopathologie de l’adulte, Fondements et perspectives. Paris,
      France : Édition Belin.
Joly, F. (2009). Le corps en question : psychopathologie des troubles instrumentaux (ou
      plaidoyer pour une approche complexe des dyspraxies et des troubles psychomoteurs.
      Le carnet PSY, 7, 39-49.
Lazarus, R.et Folkman, S. (1984). Stress, appraisal and coping. New York, NY : Springer.
Manciaux, M. (2006). Handicap, résilience et éthique. Reliance, 20, 11-16.
MINAS (2010). Loi N° 2010/003 du 13 avril 2010 relative à la protection et à la promotion de
      la personne handicapée. Auteur.
Ondoua Abah, G. (2002). Livre blanc sur la condition des personnes handicapées au
      Cameroun. Yaoundé, Cameroun : Éditions Presse universitaire d’Afrique.
Scelles, R. (2013). Handicap et culture, quels impacts sur la vie de la famille. Dans R. Scelles
      (dir.), Famille, culture et handicap (p. 39- 60). Paris, France : Érès.
Tchokote, E. (2014). Sujet confronté à une déficience motrice acquise à l’âge adulte au
      Cameroun : représentations du vécu et du devenir. Thèse de doctorat inédite. Université
      de Rouen.
Tsala-Tsala, J-Ph. (2006).La Psychologie Telle quelle. Perspective africaine. Yaoundé,
      Cameroun : Editions UCAC.
Tousignant, M. (2004). Résilience et anthropologie : comment la culture fait face au malheur
      collectif. Revue française de psychiatrie et de psychologie médicale, 8, 7-11.
Vaginay, D., Warnier,J-P et Yaméogo, D. (2013). Le symbolique, la dette et le handicap.
      Dans R. Scelles (dir.), Famille, culture et handicap (p.187-205). Paris, France : Érès.
Ville, I. et Ravaud, J-F. (1994). Représentation de soi et traitement social du handicap.
      L’intérêt d’une approche socioconstructiviste. Sciences sociales et santé, 12, 1-30.
Zambe, J. et Hamonet, C.(2005). L’ordre social et les situations de handicap chez les Betis
      du Cameroun. Journal de réadaptation médicale : pratique et formation en médecine
      physique et réadaptation, 25, 147-153.

                                           RÉSUMÉ
    L’objet de cet article est de saisir les enjeux des représentations culturelles sur les
capacités de résilience des personnes en situation de handicap moteur acquis à l’âge adulte.
À travers la méthode clinique de recherche et les entretiens semi-directifs auprès de trois
participants, il ressort que la dynamique des enjeux de la culture peut entraver ou faciliter de
manière simultanée les capacités de résilience des personnes. D’où la nécessité d’une prise
en charge psychologique et une résilience assistée afin d’activer les compétences existantes
malgré la fragilité apparente.

                                         MOTS CLÉS

handicap, handicap moteur, capacité de résilience, représentation culturelle, adulte,
Cameroun

                                         ABSTRACT
The aim of this article is to understand the challenges of cultural representations on the
resilience capacities of people with physical disability acquired in adulthood. Through the
clinical research method and semi-structured interviews with three participants, it appears that
the dynamics of cultural issues can simultaneously hinder or facilitate people's resilience

                                                                                             43
Handicap moteur et résilience chez l’adulte

capacity. There is the need for psychological follow-up and assisted resilience in order to
activate existing skills despite the apparent fragility.

                                          KEYWORD

handicap, physical disability, resilience capacity, cultural representation, adult, Cameroon

44
Vous pouvez aussi lire