Infections à virus Chikungunya chez l'enfant - Article
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Article 24es Journées annuelles du GPIP Infections à virus Chikungunya chez l’enfant Chikungunya virus infections in children H. Haas1*, S. Robin2, D. Ramful3, L. Houdon4, P. Minodier5, P. Gérardin6,7 1Urgences pédiatriques, Centre Hospitalier Universitaire, Hôpital Archet 2, 151 Route de Saint-Antoine-de-Ginestière, 06202 Nice cedex 03, France 2Pédiatrie, Pôle Enfant, Centre Hospitalier Félix Guyon, 97400 Saint-Denis, Centre Hospitalier Régional, La Réunion, France 3Réanimation Pédiatrique et Néonatale, Pôle Enfant, Centre Hospitalier Félix Guyon, 97400 Saint-Denis, Centre Hospitalier Régional, La Réunion, France 4Pédiatrie, Pôle Femme-Mère-Enfant, Groupe Hospitalier Sud-Réunion, BP 350, 97448 Saint- Pierre cedex, Centre Hospitalier Régional, La Réunion, France 5Service de Pédiatrie, CHU Nord, chemin des Bourrellys, 13015 Marseillle, France 6Réanimation Néonatale et Pédiatrique, Pôle Femme-Mère-Enfant, Groupe Hospitalier Sud-Réunion, BP 350, 97448 Saint-Pierre cedex, Centre Hospitalier Régional, La Réunion, France 7Centre d’Investigation Clinique-Epidémiologie Clinique (CIC-EC) de La Réunion (INSERM/Centre Hospitalier Régional/URML de la Réunion), Groupe Hospitalier Sud-Réunion, BP 350, 97448 Saint-Pierre cedex, La Réunion, France Summary Résumé Chikungunya fever is an arbovirosis caused by an alphavirus La fièvre Chikungunya est une arbovirose due à un alphavirus (CHIKV) belonging to the Togaviridae familly. Its main vectors are (CHIKV) appartenant à la famille des Togaviridae. Ses vecteurs Aedes mosquitoes. In its classic form, Chikungunya consists in a flu- principaux sont les moustiques du genre Aedes. Dans sa forme like illness that can be very disabling, especially by incapacitating classique, le Chikungunya consiste en un tableau pseudo-grippal arthralgia. In children, the arthropathy is well known to be parfois très invalidant, notamment par les arthralgies. Chez l’enfant, better tolerated than in adulthood but severe manifestations and l’arthropathie est souvent mieux tolérée que chez l’adulte, mais des complications can occur owing to neurologic, cardiac, hematologic manifestations graves et des complications peuvent survenir en raison or cutaneous dysfunctions, all carrying a fatality risk in the absence de dysfonctions neurologique, cardiaque, hématologique ou cutanée, of appropriate intensive care. Out of these, the most singular is a toutes comportant un risque de décès en l’absence de réanimation severe encephalopathy, even in some cases genuine encephalitis. appropriée. La plus caractéristique est une encéphalopathie sévère, More rare, but quite specific of small infants, skin blisters have réalisant dans certains cas une authentique encéphalite. Plus rares, been reported, sometimes complicated by extensive detachments. mais spécifiques du petit nourrisson, des lésions cutanées bulleuses Mother-to-child infections were demonstrated on La Réunion ont été rapportées, réalisant parfois des décollements extensifs. Des island with a fifty-percent probability of vertical transmission infections materno-fœtales ont été démontrées à l’île de la Réunion when the mother was highly viremic around the term of pregnancy. avec une probabilité de transmission verticale de 50 % quand la The diagnosis can be made by detecting CHIKV RNA using mère était virémique au terme de sa grossesse. Le diagnostic peut RT-PCR or specific IgM antibodies using MAC-Elisa serology. se faire par la recherche d’ARN en RT-PCR ou d’IgM spécifiques Chikungunya is a notifiable disease. The epidemic that emerged in par sérologie MAC-ELISA. La maladie est à déclaration obligatoire. Indian Ocean islands during 2005-2006, its progressive extension L’épidémie de CHIKV qui a touché l’Océan Indien en 2005-2006, to Asia and even to Italy in July 2007, highlighted a very important son extension progressive en Asie et jusqu’en Italie en juillet 2007, capacity of CHIKV to cause huge outbreaks wherever Aedes sp. ont témoigné d’une capacité très importante du CHIKV à causer de can proliferate. In France, Aedes albopictus is definitively endemic larges épidémies partout où les Aedes prolifèrent. En France, Aedes in the departments of Alpes-Maritimes since 2004, Corsica since albopictus est définitivement endémique dans les départements des 2005, and Var since 2007. Therefore, the risk of introduction of Alpes Maritimes depuis 2004, de Corse depuis 2005, et du Var CHIKV from an epidemic area to Europe and especially in France depuis 2007. Le risque d’introduction du CHIKV à partir d’une is real. région épidémique, en Europe et en particulier en France est donc © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. réel. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Arboviroses, Chikungunya, Aedes albopictus, Nouveau-né. *Auteur correspondant. e-mail : haas.h@chu-nice.fr. S72
Infections à virus Chikungunya chez l’enfant 1. Historique mental [13,14]. Elles ont surtout révélé l’excellente capacité vectorielle d’Ae. albopictus [21-25], le moustique tigré d’Asie, La fièvre Chikungunya est causée par un alphavirus (CHIKV) à en pleine expansion dans le monde [21]. En France, Ae. albopic- ARN appartenant à la famille des Togaviridae et au sérogroupe tus a été retrouvé pour la première fois en Basse Normandie des virus arthritogéniques du type Semliki Forest [1,2]. Le en 1894 [26], il est définitivement endémique dans les Alpes CHIKV est connu pour être transmis à l’homme par les piqûres Maritimes depuis 2004, en Corse depuis 2005, et dans le Var des moustiques femelles du genre Aedes, notamment par Ae. depuis 2007. Le risque d’introduction du CHIKV en Europe et aegypti, vecteur de la dengue et de la fièvre jaune [3]. Isolé en particulier en France est donc réel. pour la première fois par Ross en 1953 au décours d’une épidé- mie apparue au Tanganyika (future Tanzanie), son nom dérive de l’attitude particulière des malades : en dialecte du peuple 2. Épidémiologie makonde, Chikungunya signifie « marcher courbé » [4]. En 2004-2005, une épidémie d’infections à CHIKV est Deux profils épidémiologiques sont classiquement observés, partie de l’île de Lamu (13 500 cas, séroprévalence 75 %) puis l’un endémique sylvatique, rencontré en Afrique subsaha- a touché la côte Kenyane avant d’atteindre l’archipel des rienne, responsable de cas sporadiques et de petites épidé- Comores (215 000 cas, 63 %) en janvier 2005 [5-7]. En 2005- mies en milieu rural, l’autre épidémique urbain, décrit en Asie 2006, sans doute à la faveur d’une mutation de son génome du Sud et dans le Pacifique, responsable d’épidémies massives et des transports aériens [8], le virus s’est répandu dans les où les taux d’attaques ont parfois atteint jusqu’à 75 % de la populations non-immunes des îles de l’Océan Indien : La Réu- population [13,14]. Ainsi, l’aire de distribution géographique nion (300 000 cas, 38 %) [9], Mayotte (65 000 cas, 37 %) [10], du Chikungunya couvre l’Afrique subsaharienne, l’Asie du Maurice, Les Seychelles et Madagascar. En décembre 2005, le Sud-Est, l’Inde et l’ouest du Pacifique où des résurgences ont CHIKV a également gagné le sous-continent Indien où l’épidé- été rapportées à des cycles d’intervalles compris entre sept et mie a pris une ampleur sans précédent (plus de 1 400 000 cas vingt ans [8,13,14]. dans quinze Etats), dépassant toute possibilité de dénombre- En milieu naturel forestier, africain ou asiatique, le réservoir ment [11]. En juillet 2007, un voyageur provenant du Kérala de virus est principalement représenté par les singes et (Sud de l’Inde) a introduit pour la première fois le CHIKV dans d’autres primates non humains [13,14]. Le CHIKV passe d’hôte un pays tempéré, l’Italie, où 257 cas ont été notifiés en deux à hôte par l’intermédiaire des moustiques du genre Aedes, mois, principalement dans deux petits villages de la province Ae. furcifer et Ae. taylori, Ae. luteocephalus, Ae africanus et Ae. d’Emilia-Romagna [12]. Neoafricanus. Les épidémies semblent directement corrélées Au cours de ces épidémies, où la transmission était tantôt sou- à la densité vectorielle, elle-même directement corrélée à tenue par Ae. aegypti (Kenya, Comores), tantôt par Ae. albopic- l’abondance de la pluviométrie [14]. D’autres culicidés, en tus (La Réunion, Maurice, Mayotte, Kérala, Emilia-Romagna), particulier les Culex, et exceptionnellement l’Anophèle, ont ou conjointement par les deux vecteurs (Ceylan, autres Etats pu être infectés par le CHIKV, mais sont en réalité de mauvais des Indes), des manifestations atypiques et des complications vecteurs, incapables d’amplifier le virus [3]. ont été rapportées [13-15]. A La Réunion, 246 certificats de Dans l’Océan Indien, des cas cliniques ont été observés chez décès ont colligé le Chikungunya comme cause associée au des animaux domestiques, et d’autres vertébrés ont été étu- décès [16], sans qu’aucun lien causal n’ait été clairement établi diés comme les singes macaques (Ile Maurice), les lémuriens entre le génotype viral et le phénotype clinique d’expression et les chauves souris (Mayotte, Madagascar), sans que l’on de la maladie et la surmortalité observée. parvienne à préciser leur rôle éventuel dans la propagation Chez l’enfant, des manifestations graves et des complica- de l’épidémie. tions ont été observées, notamment une encéphalopathie En zone urbaine, surtout en Asie où ont été décrites la néonatale [17], une authentique encéphalite [18]. Des majorité des épidémies, la transmission est essentiellement éruptions cutanées bulleuses ont été décrites, semble-t-il interhumaine, par l’intermédiaire du très anthropophile Ae. assez spécifiques du petit nourrisson, parfois compliquées aegypti [14]. Durant les épidémies apparues à La Réunion, de décollements extensifs [19]. Enfin, chez le nouveau-né, la Maurice et à Mayotte, le moustique vecteur était unique- possibilité d’une transmission verticale materno-néonatale a ment Ae. albopictus [21-23]. Originaire d’extrême Orient, Ae. été démontrée [17,20]. albopictus mesure 8-10 mm, il est rayé de noir et de blanc, Ces épidémies ont permis d’importantes avancées dans la ce qui lui vaut le surnom de moustique tigré d’Asie. C’est connaissance du CHIKV, tant sur le plan clinique que fonda- un vecteur diurne dont le pic d’activité se situe en début et S73
Archives de Pédiatrie 2009 ; 16 : S72-S79 H. Haas et al. en fin de journée [23]. Exophile et péridomestique, il peut a mis en évidence plusieurs mutations, la plus remarquable aussi piquer à l’intérieur des habitations, ainsi que la nuit, de ces « signatures moléculaires », véritable empreinte s’il est dérangé dans ses lieux de repos habituels tels que les génétique du CHIKV, se situant au niveau de la protéine E1 et feuillages [23]. D’une grande plasticité écologique, ses sites consistant en une substitution d’une Alanine par une Valine de ponte sont à sec et variables d’une saison à l’autre (petits en position 226 [8]. Cette mutation, absente au début de containers, plantes, bambous, trous dans les roches, etc.) [24]. l’épidémie, est devenue prédominante à partir de septem- D’une grande résistance au froid, Ae. albopictus est capable bre 2005, précédant de peu l’explosion épidémique, qui a eu de transmettre le CHIKV à sa descendance, ce qui a contribué lieu en janvier-février 2006 [8,13,14,17]. Elle serait à l’origine à la persistance de l’épidémie à La Réunion durant l’hiver d’une adaptation du virus à Ae. albopictus [22], inconnu austral 2005 [25]. jusque là pour être un bon vecteur du CHIKV [13,14,22]. Cette Toute perturbation climatique et toute modification de l’envi- adaptation se traduirait par un passage plus rapide de la ronnement peuvent avoir une répercussion sur la dynamique barrière intestinale, comme en témoigne la présence de d’un foyer d’arbovirose, voire de déclencher une épidémie virions dans les glandes salivaires du moustique 48 heures [27]. Ce fut le cas dans l’île de Lamu en juin 2004, où une après l’ingestion du virus lors du repas sanguin, permettant sècheresse avait conduit la population à stocker l’eau dans de fait une multiplication plus rapide du CHIKV et son ampli- des réservoirs domestiques non protégés, ce qui a favorisé fication chez Ae. albopictus phénomène indispensable à son l’émergence du CHIKV [6]. La part attribuable aux facteurs émergence chez l’homme [22]. humains est prépondérante dans la genèse des épidémies d’arbovirus [27]. Ainsi, les facteurs de risque, retrouvés dans l’enquête de séroprévalence à Mayotte (Asset index inférieur 4. Clinique à sa médiane, durée de scolarité < 6 ans, habiter un logement de fortune) montrent l’importance de la vulnérabilité sociale À la suite de l’injection de salive lors de la piqûre de mousti- face au CHIKV [10]. que, le virus se réplique à proximité du point d’inoculation, puis dans les ganglions lymphatiques adjacents : c’est la phase d’incubation, d’une durée moyenne de quatre à sept 3. Virologie jours. Le virus va ensuite se disséminer dans l’organisme jus- qu’aux organes cibles : c’est la phase de virémie, d’une durée Le CHIKV est constitué d’un génome composé d’un ARN moyenne de cinq à sept jours. L’infection entraîne alors une simple brin positif linéaire d’un poids de 11,8 kb. En micros- réponse immune à la fois humorale et cellulaire. La diversité copie électronique, il se présente sous la forme d’une sphère des formes cliniques observées et de leur gravité ne fait l’ob- de 42 nm de diamètre, dont le noyau mesure 25-30 nm et la jet d’aucune explication évidente à ce jour [13,14]. capside 60-70 nm. C’est un virus thermosensible, fragilisé également par la dessiccation. Il en existe une souche afri- 4.1. Formes cliniques chez l’adulte caine et une souche asiatique [1, 8, 13-14]. Ses protéines non structurelles, nécessaires à la réplication virale, sont codées à Elles se manifestent par une fièvre élevée (> 39 °C), d’appari- partir des deux tiers de l’extrémité 5’ du génome. Ses protéi- tion brutale, des arthralgies souvent intenses touchant préfé- nes structurelles sont produites par traduction d’un ARNm à rentiellement les extrémités (poignets, chevilles, phalanges) partir d’un promoteur sous génomique situé immédiatement mais aussi le rachis, contraignant le patient à rester couché en aval du cadre de lecture ouvert, dans le tiers proche de [13]. Ainsi, la fièvre et les arthralgies ont été rapportées chez l’extrémité 3’. Elles sont assemblées en une polyprotéine qui plus de 90 % des personnes séropositives à La Réunion et à sera transformée en une protéine de capside, deux glycopro- Mayotte [9,10]. Des myalgies, des céphalées sont également téines d’enveloppe de surface (E1 et E2) ainsi que deux petits fréquemment observées, elles ont été rapportées chez 60 à peptides E3 et 6K [14]. 70 % des cas séropositifs de La Réunion [9]. Plus rarement Comme tout alphavirus, le CHIKV possède des polymérases ont été décrits des exanthèmes maculo-papuleux, un prurit peu fiables qui commettent de nombreuses erreurs de trans- (surtout de la voûte plantaire), des hémorragies bénignes cription à l’origine de mutations. Le génome des différentes à type de pétéchies, gingivorragies ou d’épistaxis [13]. Ces souches virales isolées à La Réunion lors de l’épidémie de symptômes durent en moyenne de 5 à 7 jours, à l’exception 2005-2006 a été séquencé, il comporte 14500 nucléotides des douleurs et des raideurs qui peuvent persister, de et dérive de la souche africaine [8]. Son séquençage complet manière occasionnelle ou permanente, plusieurs mois, voire S74
Infections à virus Chikungunya chez l’enfant plusieurs années et font toute la spécificité de la maladie enfant sur deux hospitalisés était âgé de moins de 3 ans [13,14]. La convalescence peut durer plusieurs semaines, [29]. A Saint-Pierre, Houdon et al ont rapporté une série de elle est souvent accompagnée par divers symptômes : une 253 enfants hospitalisés en pédiatrie [30]. La fièvre était éga- asthénie, une perte de poids, une anorexie avec dysgueusie, lement constante. Un rash était noté dans 77 % des cas, des une perte transitoire de cheveux, des taches dyschromiques, arthralgies dans 74 % des cas, des signes digestifs dans 50 %. une sécheresse cutanée, un prurit, parfois des troubles de la Là encore, plus d’un enfant sur deux hospitalisés était âgé de concentration, souvent une baisse du moral. moins de trois ans. Des infections asymptomatiques sont également possi- Dans les deux centres, une forme septique à CRP élevées a été bles, elles ont représenté 16 % des formes séropositives observée chez le nourrisson [29,30]. Enfin, des manifestations à La Réunion [9] et 27 % à Mayotte [10]. Elles seraient plus hémorragiques mineures (gingivorragies, épistaxis, purpura) fréquentes avant l’âge de 25 ans [10]. Des formes atypiques ont été retrouvées à tout âge dans 10 % des cas, associées à ont été rapportées lors de ces différentes épidémies [13-15]. divers troubles de l’hémostase [29,30]. Ainsi, à La Réunion, 610 infections sans fièvre ni arthralgie ont été observées en population parmi lesquelles 90 % 4.2.2. Encéphalite et signes neuropsychiques étaient associées à une pathologie préexistante (226 une affection cardiovasculaire, 147 des troubles neurologiques, Des signes neuropsychiques ont été observés chez 30 % des 150 des désordres respiratoires). Plus d’un tiers a nécessité enfants décrits dans les deux séries précédentes [29,30] le support d’au moins une fonction vitale [15]. La létalité glo- dont ils représentaient environ un tiers des motifs d’hospi- bale de ces formes a été de 10 %, et de 30 % pour les formes talisation. Ceux-ci consistaient en des convulsions fébriles avec dysfonctions d’organe. Parmi les formes hospitalisées (observées à tout âge) (13 %), un syndrome méningé (9 %), en réanimation dans le sud, les complications associées aux une confusion (8 %), divers troubles du comportement sept décès recensés consistaient en quatre encéphalites, (parfois associés à des hallucinations) (4 %), des troubles une myocardite, une hépatite fulminante, ou encore une de la conscience [29]. Les différents tableaux neurologiques polyradiculonévrite [28]. ont été détaillés par Robin et al. [18]. Entre le 01/01 et le L’étude des décès en réanimation a montré l’importance des 31/05/2006, ces auteurs ont colligé de manière rétrospec- comorbidités accompagnant l’infection à CHIKV, cependant tive 25 enfants, âgés de 6 mois à 17 ans (médiane 6 ans), en d’authentiques formes graves ont été associées à une létalité distinguant cinq formes cliniques selon trois niveaux de élevée [28]. Leurs conséquences à l’échelle de la population gravité : encéphalite (forme grave, n = 8), convulsion fébrile ont été un excès de mortalité au moment du pic épidémi- complexe/encéphalopathie aigue (formes intermédiaires, n que [16]. 246 certificats de décès ont en effet mentionné le = 5 et n = 4, respectivement), syndrome méningé/convulsion Chikungunya comme cause associée au décès. fébrile simple (formes simples, n = 4) [18]. L’étude du LCR était d’interprétation difficile chez ces enfants. Les aspects 4.2. Formes cliniques chez l’enfant TDM étaient sans particularité, en dehors d’un œdème céré- bral pré-agonique compliquant une encéphalite, et confir- 4.2.1. Description commune maient les données acquises chez l’adulte [28]. De même, les différentes séquences IRM réalisées en T2 et en diffusion Les manifestations pédiatriques du Chikungunya ont été étaient non spécifiques huit fois sur dix, à l’exception de décrites de façon rétrospective dans les deux services de deux cas d’hypersignaux en T2, observés dans la substance pédiatrie du CHR de La Réunion. A Saint-Denis, Ernoult et blanche périventriculaire et le noyau semi-ovale, les régions al. ont recensé 86 infections à CHIKV entre le 01/01 et le cingulaire et limbique. 30/04/2006, parmi lesquelles 65 (75 %) ont été hospitalisées L’évolution a été marquée par deux décès (dont un corres- [29]. Dans cette série, la fièvre était quasi constante. Les pondait à une méningo-encéphalite), un cas de séquelles autres signes fréquemment observés étaient : un exanthème associant hémiparésie, syndrome cérébelleux et troubles du maculo-papuleux (60 %), des arthralgies (45 %), des myalgies comportement pour trois des huit encéphalites, une récupé- (30 %), des vomissements (30 %), une diarrhée (20 %), des ration complète pour les vingt-deux autres enfants [18]. céphalées (15 %). Sur le plan biologique, une lymphopénie Des données similaires ont été retrouvées aux Indes et à (< 1 000/mm3) et un TP inférieur à 70 % ont été observés une Mayotte, elles corroborent les descriptions historiques de la fois sur deux, une cytolyse hépatique modérée (< 10 N) une maladie soulignant le neurotropisme du CHIKV chez l’en- fois sur trois, une thrombopénie une fois sur six. Plus d’un fant [31,32]. S75
Archives de Pédiatrie 2009 ; 16 : S72-S79 H. Haas et al. n’avaient jamais été décrites avant son émer- gence à La Réunion en 2005-2006 [13-15]. Une étude prospective réalisée à Saint-Pierre auprès de 7504 femmes enceintes et de 7629 nouveau-nés viables a démontré que la trans- mission mère-enfant existait et survenait presque exclusivement dans un contexte de virémie maternelle au moment de l’accou- chement [17]. Pour les 39 femmes virémiques en intra partum, le taux de transmission verticale était de 48 % et la césarienne n’avait aucun effet protecteur. Les nouveau-nés infectés étaient tous asymptomatiques avec une virémie indétectable à la naissance. 4.2.5. Forme néonatale commune Aucune forme asymptomatique n’a été dépistée chez le nouveau-né. Les premiers Figure 1. Éruption bulleuse du nourrisson, d’après Robin [19]. symptômes sont apparus après une période d’incubation moyenne de 4 jours (extrêmes 4.2.3. Manifestations dermatologiques atypiques 3-7 jrs). Les manifestions communes associaient une triade fièvre, douleur, prostration constante [17]. Les autres symp- Des lésions cutanées vésiculo-bulleuses ont été observées, tômes comportaient par ordre de fréquence décroissante un en moyenne deux jours après le début des symptômes chez œdème des extrémités (78 %), un exanthème rubéoliforme 31 nourrissons âgés de moins de six mois (fig. 1) pris en charge (53 %), des pétéchies (47 %), un exanthème roséoliforme à Saint-Denis, pour lesquels elles représentaient 50 % des (37 %). Une thrombopénie était présente à 89 %, une lym- motifs d’hospitalisation [29]. Celles-ci ont fait suite le plus phopénie (< 1 500/mm3) à 68 %, une cytolyse hématique à souvent à un érythème et associaient diversement des bulles 52 % [17]. Pour les nouveau-nés ayant présenté un rash, la pour 15 d’entre eux (48 %), des vésicules pour 12 d’entre eux convalescence était marquée par une hyperpigmentation et (38 %), enfin une desquamation fine des extrémités pour cinq une desquamation fine des extrémités [20]. d’entre eux (16 %) [29]. Parmi les nourrissons présentant des Des observations similaires ont été rapportées chez deux bulles, les phlyctènes étaient étendues à plus de 10 % de la nouveau-nés de l’état du Madhya Pradesh (Indes), dont les surface corporelle (SC) chez 13 d’entre eux. Trois nourrissons mères avaient été fébriles peu avant l’accouchement [34]. avaient une éruption bulleuse étendue à plus de 30 % de SC avec épidermolyse nécessitant des pansements sous anes- 4.2.6. Encéphalopathie néonatale thésie générale (fig. 1) [19]. La recherche de génome viral par RT-PCR était constamment positive dans la sérosité prélevée Treize nouveau-nés ont présenté une forme grave consistant par ponction des bulles. L’examen histopathologique, réalisé en une encéphalopathie sévère avec léthargie et hypotonie. chez 10 nourrissons, montrait un clivage intra-épidermique Un état de mal convulsif était noté à six reprises [20]. Dans [19]. Le pronostic à long terme a été excellent, avec une le sud, où neuf de ces formes ont été bien caractérisées, huit repigmentation parfois responsable de préjudice esthétique. ont nécessité une ventilation mécanique [17]. Une défaillance Les mêmes constations ont été faites à Saint-Pierre, mais hémodynamique a accompagné l’encéphalopathie dans deux également dans l’état du Kérala (Indes) [33]. tiers des cas dont deux tiers ont motivé l’utilisation d’amines vasopressives (n = 4) [17]. Une coagulopathie de consomma- 4.2.4. Transmission materno-néonatale tion a été observée dans un tiers des cas (n = 3). Les aspects IRM précoces (avant le 15e jour) de cette encéphalopathie étaient Les conséquences du Chikungunya chez la femme enceinte et marqués sur les séquences de diffusion par des hypersignaux la possibilité d’une transmission materno-fœtale du CHIKV de la substance blanche supratentorielle intéressant le corps S76
Infections à virus Chikungunya chez l’enfant calleux et les lobes cérébraux, contemporains d’une réduc- du 5e jour après l’apparition des signes cliniques, les IgG se tion du coefficient de diffusion apparent, signes compatibles positivent entre le 7e et le 10e jour et atteignent leur pic vers avec un œdème cytotoxique par ischémie parenchymateuse. J15. Cette séquence permet de guider la conduite diagnosti- L’évolution de ces images à partir du 15e jour a montré dans que (fig. 2). sept cas une inversion des signaux de la substance blanche Il est primordial d’identifier avec précision la date de début et une élévation du coefficient de diffusion apparent, signant des symptômes afin d’orienter et de guider les examens. une reperfusion des zones de bas débit [17]. Dans deux cas, L’indication de ces analyses dépendra du moment où le prélè- l’œdème cérébral s’est compliqué d’atrophie sous corticale vement est réalisé par rapport à la date de début des signes : avec apparition de cavitations de la substance blanche. • < 5 jours après le début des signes : RT-PCR CHIKV ; À l’âge de deux ans, cinq de ces nouveau-nés ont présenté • J5 : recherche simultanée par RT-PCR et sérologie IgM des séquelles, deux à type de paralysie cérébrale, trois à type CHIKV ; de troubles posturaux ou comportementaux. La comparaison • 5 jours après le début des signes : sérologie CHIKV (IgM des encéphalopathies (E) aux formes simples (S) montre un CHIKV, puis IgG dès le 10e jour, les IgM persistant plusieurs retard d’acquisition de la marche (16 vs 12 mois, p = 0,04) et un mois dans le sérum et les IgG plusieurs années). QD inférieur (échelle de Brunet Lézine révisée, 71 vs 87, p = 0,03) dans le groupe E, dont les trois quarts ont un QD inférieur à 80. D’un point de vue sensoriel, l’audition, évaluée par les potentiels 6. Aspects thérapeutiques évoqués, n’est pas significativement différente entre les deux groupes. En revanche, pour les trois nouveau-nés de chaque Il n’y a, à ce jour, aucun traitement antiviral spécifique groupe évalués en ophtalmologie l’acuité visuelle semble plus contre le CHIKV. La prise en charge est donc centrée sur la basse (valeurs entre 1 et 3 vs toujours > 3) et des troubles de la surveillance et le support des fonctions vitales. Le traitement convergence sont observés uniquement dans le groupe E. symptomatique associe des antipyrétiques, des antalgiques, une réhydratation et renutrition entérale, le plus souvent. 4.2.7. Autres complications néonatales Bien que l’imputabilité de l’ibuprofène dans la genèse des complications bulleuses n’ait pas été formellement démon- À côté du neurotropisme, d’autres complications ont été trée à La Réunion [35], l’utilisation d’ibuprofène doit être pru- observées en période néonatale. Ainsi Ramful et al., ont rap- dente dans un contexte pourvoyeur de dermatose bulleuse porté six myocardiopathies avec dilatation coronaire et hyper- exfoliante [36] et déconseillée chez le nourrisson [29]. trophie du ventricule gauche, dont deux avec épanchement De même, si les AINS et les corticoïdes ont pu être efficaces péricardique et une avec dyskinésie septale [20]. Un décès est sur la douleur inflammatoire [13,14], leur utilisation reste survenu par septicémie à Klebsiella pneumoniae [20]. discutable dans un contexte d’infection virale fébrile avec lymphopénie et thrombopénie fréquentes, responsables d’immunodépression et de complications hémorragiques. 5. Conduite à tenir diagnostique Pour l’avenir et dans l’optique d’une action spécifique sur le CHIKV [37], différentes molécules sont actuellement en cours En cas de suspicion clinique, le diagnostic peut être confirmé d’étude : la glycyrrhizine, le 6 azauridine, et surtout l’asso- au moment des premiers symptômes par amplification géni- ciation ribavirine-interféron-α qui aurait, in vitro, une action que (RT-PCR). Les IgM sont identifiées en moyenne à partir synergique sans augmentation de l’effet cytotoxique [38]. lgG lgM Inoculation Incubation Signes cliniques J–7àJ–4 J0 J+4àJ+7 J + 15 ARN viral Figure 2. Conduite diagnostique. S77
Archives de Pédiatrie 2009 ; 16 : S72-S79 H. Haas et al. La chloroquine, initialement porteuse d’espoir s’est avérée sante-jeunesse-sports.gouv.fr)), du 1er mai au 30 novembre délétère chez le macaque et inefficace chez l’homme dans les (période d’activité du moustique vecteur), tout « cas sus- essais thérapeutiques [39]. pect » défini par la présence d’une fièvre > 38,5 °C d’apparition Le développement d’immunoglobulines purifiées à partir du brutale, et de douleurs articulaires invalidantes, en l’absence sérum de convalescents pourrait s’avérer utile pour prévenir de tout autre point d’appel infectieux, doit être signalé sans le risque de transmission materno-néonatale chez les partu- délai au médecin de la DDASS (par le médecin prescripteur rientes virémiques, ou bien pour atténuer l’expression clini- de la sérologie). Le signalement permet de lancer des inves- que des formes graves de Chikungunuya [40]. Des anticorps tigations épidémiologique et entomologique donnant lieu, si monoclonaux sont actuellement en cours de test. nécessaire, à des mesures anti-vectorielles afin d’éviter que les personnes malades ne contaminent les moustiques, et à une procédure accélérée de confirmation biologique pour 7. Prévention transmission rapide des prélèvements biologiques au CNR des arbovirus. Un cas confirmé est défini par la présence 7.1. Vaccination d’une fièvre > 38,5 °C d’apparition brutale et de douleurs articulaires invalidantes, avec confirmation biologique (IgM Les différentes souches de CHIKV sont proches sur le plan positives ou RT-PCR positive ou isolement viral). antigénique si bien qu’une infection contre une souche est protectrice vis à vis des autres souches. Plusieurs vaccins ont Conflit d’intérêts : été testés dont le vaccin vivant atténué l’USAMRIID, déve- Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts pour cet loppé par l’armée américaine dans les années 80 et dont la article. tolérance est apparue « globalement satisfaisante », qui pro- voquait la formation d’anticorps sans toutefois que l’activité Références protectrice ait pu être démontrée au plan clinique car aucun 1. Porterfield JH. Antigenic characteristics and classification of the des sujets vaccinés n’a été ensuite exposé au CHIKV [41]. En Togaviridae. In Schlesinger R, editor. The Togaviruses. New York : 2000, un essai clinique de phase II randomisé et en double Academic Press ; 1980. aveugle contre placebo d’un vaccin vivant purifié portant sur 2. Tesh RB. Arthritides caused by mosquito-borne viruses. Annu Rev Med 1982 ; 33 : 31-40. 73 sujets a montré une bonne immunogénicité chez 98 et 3. Guilloteau J, Chouin S, Courtin C, et al. Epidémiologie des ma- 85 % des vaccinés respectivement à 28 jours et à un an, ainsi ladies parasitaires. 4. Affections provoquées ou transmises par qu’une bonne tolérance avec essentiellement pour complica- les arthropodes Culicidae. In : Ripert C, editor Cachan : Lavoisier ; 2007. tion quelques arthralgies passagères (8 %) et un syndrome 4. Ross RW. The Newala epidemic. III. The virus : isolation, pathoge- grippal (22 %) [42]. En 2006, le programme VACCICHIK devant nic properties and relationship to the epidemic. J Hyg 1956 ; 54 : tester le vaccin de l’USAMRIID dans la population réunion- 177-91. naise a dû être mis en attente pour des raisons logistiques 5. Sergon Y, Yahaya AA, Brown J, et al. Seroprevalence of Chikungunya virus infection on Grande Comore Island, union of the Comoros, liés à la fin de l’épidémie. 2005. Am J Trop Med Hyg 2007 ; 76 : 1189-93. 6. Chretien JP, Anyamba A, Bedno SA, et al. Drought-associated 7.2. 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