Histoire de la Voltaire Foundation - par Haydn Mason1

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Histoire de la Voltaire Foundation
                                   par Haydn Mason1

                                     Théodore Besterman

Lorsqu’on lui demanda ce qu’était la Voltaire Foundation, la réponse de Besterman fut aussi
immodeste qu’elle était exacte: ‘La Voltaire Foundation, c’est moi’. Cette étonnante riposte,
qui ne peut qu’évoquer Louis XIV, était caractéristique du personnage. Elle est révélatrice
d’une vision extraordinaire ainsi que d’un engagement total. Besterman est la source et
l’origine de la Foundation, et sans lui elle n’aurait jamais vu le jour.

Besterman avait déjà mené une vie active dans de nombreux domaines2 quand, après la
Seconde Guerre Mondiale, il s’installa aux Délices, l’ancien logis de Voltaire à Genève. C’est
là qu’en 1952 il fonda l’Institut et le musée Voltaire. Le culte qu’il vouait depuis l’enfance à
Voltaire est exprimé dans un de ses discours par ces quelques lignes mémorables: ‘Depuis
quarante ans je suis un fervent de Voltaire [….] depuis vingt ans je passe tous mes jours en sa
compagnie, depuis six ans j’habite sa maison, je couche dans sa chambre, dans sa
bibliothèque je lis ses lettres, j’ouvre son courrier, j’explore ses secrets les plus intimes; je suis
devenu, longo intervallo, lui.’3

Pour Besterman, Voltaire est l’apôtre de la liberté, de la raison et de la justice, un homme
auquel il allait de toute son énergie consacrer le reste de sa vie.

Besterman exprime la nature de cet engagement en termes spécifiques. Il ne voulait pas ‘juste
encore un autre musée’, mais plutôt ‘fonder un centre de recherche consacré au grand
homme’.4 Il disposait des ressources nécessaires pour réaliser son rêve. Il avait trois objectifs
spécifiques: une édition critique des Œuvres complètes; la création d’une revue qui, après le
premier numéro, parut sous le titre Studies on Voltaire and the eighteenth century5 (ou SVEC); et, à
partir de 1965, la Correspondance complète de Jean-Jacques Rousseau, sous la direction de Ralph
Leigh.

                                Œuvres complètes de Voltaire

A l’origine, l’idée d’une édition complète des œuvres de Voltaire semble être née des
initiatives combinées de W. H Barber et O. R Taylor. Conscients des déficiences de l’édition
classique Moland (1877-1885), tout ce qu’ils désiraient, c’était publier un texte fiable. Mais
lorsqu’ils présentèrent à Besterman leur projet somme toute modeste, son esprit d’entreprise

1
  Traduite par Renée Williams.
2
  Voir Theodore Besterman, éd. Francesco Cordasco (Metuchen/Londres, 1992), surtout le chapitre par
David Williams, ‘Theodore Besterman and the resurrection of Voltaire’, p.44-70.
3 ‘Le vrai Voltaire par ses lettres’, Voltaire Essays and another (Londres, 1962), p.74.
4 ‘Le vrai Voltaire par ses lettres’, p.114.
5 Le titre du premier tome fut Travaux sur Voltaire et le dix-huitième siècle.
se mêla vite de la partie. Et le projet initial se trouva bientôt transformé en une édition
critique approfondie, accompagnée d’un appareil critique considérable, présenté dans une
table des matières provisoire couvrant tout le projet en 146 volumes – chiffre devant atteindre
à l’achèvement du projet plus de 200 volumes.

Un autre principe de base fut aussi adopté: l’édition suivrait la chronologie des œuvres. De
cette façon, l’évolution de la pensée de Voltaire serait plus facile à saisir.

                   Studies on Voltaire and the eighteenth century (SVEC)

SVEC dès sa naissance a été une publication bilingue couvrant tous les aspects des Lumières
dans le monde entier. La Foundation est depuis longtemps considérée comme un centre
d’excellence dans son domaine, et beaucoup de ses publications font époque. Pour n’en
nommer que quelques-unes: André-Michel Rousseau, L’Angleterre et Voltaire, t.145-47 (1976),
Christiane Mervaud, Voltaire et Frédéric: une dramaturgie des Lumières, t.234 (1985), Chantal Grell,
Le Dix-huitième siècle et l’Antiquité en France, t.330-31 (1985). Toutes ces publications sont
remarquables, chacune dans son domaine respectif. De plus, SVEC a publié en résumé les
actes des congrès quadriennaux, ce qui fait de la Foundation le Secrétariat technique de la
SIEDS (la Société Internationale pour les Etudes sur le Dix-huitième Siècle). SVEC publie
maintenant douze volumes par an, et cela donne une idée de l’envergure des travaux
académiques qui proviennent du monde entier et sortent des presses de la Voltaire
Foundation.

                   Correspondance complète de Jean-Jacques Rousseau

Robert Wokler a fait un récit fascinant de l’association à première vue surprenante entre
Besterman, disciple de Voltaire, et Ralph Leigh, fervent de Rousseau.6 De cette association
naquit ce que Wokler décrit fort justement comme ‘un monument d’érudition’. Cet ouvrage
restera l’une des plus remarquables publications de la Voltaire Foundation, hommage en soit
rendu à l’impeccable travail de bénédictin de Leigh.

                                                   Oxford

Jusqu’en 1971, Besterman fut primus inter pares des recherches sur Voltaire, gérant depuis
Genève une activité énorme émanant de collègues travaillant dans le monde entier. Mais en
1971, ses rapports avec la ville de Genève, qui n’avaient jamais été faciles, se détériorèrent
catastrophiquement. S’ensuivit une longue bataille, la ville déclarant que Besterman avait en
sa possession des documents volés, et Besterman soutenant avec opiniâtreté qu’ils lui
appartenaient bel et bien. Finalement la querelle s’éteignit, et l’Institut rouvrit ses portes sous
la direction discrète et adroite de Charles Wirz. Ce changement de circonstances amena
Besterman à quitter la Suisse pour l’Angleterre, où il trouva la tranquillité dans sa maison de
Thorpe Mandeville, dans le comté d’Oxford. Comme son maître Voltaire, il avait maintenant
son Ferney.

6
 ‘Preparing the definitive edition of the Correspondance de Rousseau’, Rousseau and the eighteenth century, éd.
Marian Hobson et al (Oxford, 1992), p.1-21.
Pendant ces dernières années, Besterman entama des discussions avec l’Université d’Oxford,
discussions qui aboutirent à sa décision de faire de l’université son légataire universel résiduel,
et d’organiser le transfert posthume de sa large collection de livres et de manuscrits, dont de
nombreuses éditions de Voltaire, dans une très belle pièce de la Taylor Institution qui est dans
le cadre de l’université le centre pour les langues modernes: 9000 volumes y trouvent place.
Cette pièce s’appelle maintenant ‘The Voltaire Room’, et en tant que telle elle accueille tous
les chercheurs qui travaillent sur Voltaire et tous les sujets apparentés. Le Patriarche, qui était
lui-même passé par Oxford au cours de ses années en Angleterre, y est définitivement revenu.

Après la mort de Besterman, le 10 novembre 1976, la Voltaire Foundation fut intégrée à titre
définitif dans l’Université d’Oxford. Un Conseil consultatif fut établi, dépendant du Comité
pour le Fonds Besterman, avec Robert Shackleton à sa tête. W. H. Barber devint Directeur
des Œuvres complètes. Ralph Leigh continua à éditer la correspondance de Rousseau, et Haydn
Mason lui succéda comme Directeur de la collection SVEC. Andrew Brown, qui avait été le
secrétaire de Besterman pendant ses derniers mois, devint Directeur de la Foundation. Des
changements aussi radicaux causèrent inévitablement quelques soucis, qui se trouvèrent
dissipés grâce à l’arrivée à Oxford du manuscrit pour l’édition critique de Candide par René
Pomeau, le premier parmi les spécialistes de Voltaire à l’époque.

Ajoutons que le testament de Besterman était si complexe qu’il ne fut homologué et la
succession définitivement réglée qu’en 1983. Heureusement l’Université d’Oxford eut
l’obligeance d’accorder à la Foundation une somme qui assura une base financière suffisante
pour que le travail d’édition puisse commencer. Le Conseil consultatif, itinérant à ses débuts,
joua également son rôle. Il peut sembler bizarre que des décisions touchant le sort de la
Foundation aient été prises à Londres, à Cambridge et à Bristol!

Le nombre des publications allait croissant et la Foundation se trouvait par rapport à
l’université dans une situation unique qui nécessitait souvent la prise de décisions pour
lesquelles il n’y avait pas de précédent. Quoi qu’il en soit, dans le cas de l’édition des Œuvres
complètes, raison d’être initiale et domaine principal du travail de la Foundation, il se révéla
abondamment clair que le rythme de publication – seulement 16 volumes en 10 ans – ne
pouvait guère encourager quiconque à penser que le projet serait un jour complété. La crise
éclata en 1998, Andrew Brown démissionna de son poste de Directeur de la Foundation, et
Ulla Kölving, directrice des Œuvres complètes, s’en alla également.

Au cours d’une assemblée générale de spécialistes du dix-huitième siècle tenue à Paris en
1999 Nicholas Cronk réaffirma la promesse faite par la Foundation d’honorer les principes
énoncés par Besterman et de terminer le travail qu’il avait commencé. L’Université d’Oxford
apporta son soutien, moral et financier, à ce nouvel esprit d’entreprise. Haydn Mason fur
nommé Directeur des Œuvres complètes, avec les Présidents d’honneur W.H. Barber et René
Pomeau, et plus tard, Christiane Mervaud. Le comité scientifique fut invité à jouer un rôle
plus actif qu’auparavant, et en 2002, Nicholas Cronk devint Directeur des Œuvres complètes,
poste qu’il occupe encore à ce jour. Petit à petit, le rythme de production a augmenté, jusqu’à
atteindre la cadence actuelle de six volumes par an. Un calendrier réaliste a été établi pour la
publication des derniers volumes, 2018 étant la date prévue pour l’achèvement de cette
énorme réalisation.

D’autres projets sont en cours parallèlement aux Œuvres complètes et à SVEC. Le Corpus des notes
marginales est en cours de publication: il contient le riche matériau que constituent les
annotations de la main de Voltaire sur les livres de sa bibliothèque, maintenant à St
Pétersbourg. Le projet intitulé ‘The Electronic Enlightenment’ lancé en 2008 et maintenant
hôte de la bibliothèque bodléienne, inclut Voltaire dans une très large collection de travaux
sur le dix-huitième siècle.

Et, ce qui n’est pas le moins important, le nom de notre père fondateur sera inscrit dans les
mémoires puisqu’en son honneur le centre pour la recherche sur les Lumières portera le nom
de Centre Besterman. Ce centre espère recevoir des dons qui permettront de fonder un poste
de professeur invité pour les recherches sur les Lumières, et des bourses pour des doctorants
et des post-doctoraux venant du monde entier et dont les travaux concernent le domaine des
Lumières à l’échelle internationale.

                               Apportez-nous votre soutien

La Voltaire Foundation de l’Université d’Oxford occupe le premier rang pour la recherche
sur le dix-huitième siècle. Cette recherche et la publication des Œuvres complètes de Voltaire
constituent notre mission primordiale: c’est actuellement, en dehors du territoire français, le
projet le plus ambitieux en ce qui concerne la littérature française. Les écrivains et les
historiens doivent pouvoir lire une version définitive des œuvres de Voltaire, et il est étonnant
qu’une telle version n’ait jamais jusqu’ici été réalisée. L’achèvement de l’édition d’Oxford en
2018 constituera un événement majeur pour l’étude et la compréhension des Lumières. En
examinant et en analysant les écrits de Voltaire chronologiquement, nous démêlons et
élucidons l’évolution de sa pensée, changeant ainsi radicalement l’image que nous avions de
lui.

Le projet a déjà mérité une importante contribution financière des Arts and Humanities
Research Council, de la British Academy, et de l’Union Européenne. En 2010 la Foundation
a eu l’honneur de se voir attribuer le prix Hervé Deluen .

                                   Pour assurer l’avenir

A plus longue échéance, notre but est d’accroître notre dotation, pour que le Centre
Besterman pour les Lumières, actuellement encore à ses modestes débuts, puisse en
s’appuyant sur la réputation de la Voltaire Foundation se développer et consolider la position
de premier plan que nous occupons en tant que centre pour la recherche sur le dix-huitième
siècle et la publication de tout ce qui concerne les Lumières. Notre but est également
d’encourager la collaboration et les échanges entre chercheurs au niveau international. Nous
aimerions pouvoir élargir notre actuel programme annuel de conférences dans un centre de
recherches interdisciplinaires de portée mondiale, en accordant la plus grande attention aux
chercheurs et à leurs travaux, et en accueillant des séminaires et des conférences sur chaque
aspect du Siècle des Lumières.
Nous sommes conscients qu’il s’agit là d’un projet très ambitieux. Son accomplissement serait
d’une utilité et d’une valeur exceptionnelles, mais nous ne pourrons le réaliser qu’avec l’aide
de tous ceux qui voudront bien partager notre vision et lui accorder leur bienveillante
participation, dont nous leur serons infiniment reconnaissants.
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