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HOTSPOT Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27 | 2013
Auteurs Christian Rixen fait de la recher Stefan Lauber a soutenu en Jürg Stöcklin enseigne la bota che en phyto-écologie à l’institut 2006 sa thèse en doctorat sur la nique à l’Université de Bâle. Ses WSL (et au SLF de Davos). Il mutation structurelle de l’a gri travaux de recherche actuels s’intéresse à la biodiversité et aux culture dans les zones de mon s’intéressent à la biodiversité des fonctions écosystémiques ainsi tagne à l’EPF Zurich. Il travaille au plantes alpines et à leurs straté qu’à l’évolution de la végétation alpine. WSL dans le groupe Economie de l’en gies d’adaptation aux conditions spécifiques vironnement et des ressources naturelles. Il est des écosystèmes alpins. Christian Körner enseigne la bo codirecteur et coordinateur du programme de tanique à l’Université de Bâle. Il recherche AlpFUTUR, qui porte sur l’avenir des Kurt Bollmann dirige le groupe dirige le réseau Diversitas «Global pâturages d’estivage en Suisse. de recherche Biologie de la pro Mountain Biodiversity Assess Beatrice Schüpbach a obtenu un doctorat en tection de la nature au WSL. Ses ment» (GMBA). Ses travaux de re géographie et travaille à la station de recherche travaux de recherche portent prin cherche sur la haute-montagne ont abouti à Agroscope Reckenholz-Tänikon au sein du cipalement sur les relations éco deux manuels (Alpine Plant Life et Alpine Tree groupe Paysage rural et biodiversité. Elle s’in systémiques des espèces rares, la biologie des lines, Springer). téresse aux analyses SIG du paysage et à la bio populations de tétraonidés et les schémas Erika Hiltbrunner est collaboratrice scienti diversité. d’identification de la responsabilité et des prio fique à l’Université de Bâle. Elle s’intéresse aux Bärbel Koch prépare son doctorat à la station rités dans la protection de la nature. divers aspects du changement global dans les de recherche Agroscope Reckenholz-Tänikon Veronika Braunisch travaille au département Alpes suisses et dans les Andes. Elle dirige, con (ART) et à l’EPF Zurich. Son projet de thèse, qui Conservation Biology de l’Université de Berne jointement avec Christian Körner, la station al s’inscrit dans AlpFUTUR, s’intéresse à l’in et dirige depuis 2013 la recherche sur les ré pine de recherche et de formation Furka. fluence de divers facteurs sur la diversité spéci serves forestières à l’Institut de recherche et fique des pâturages alpins. d’expérimentation forestière du Bade- Felix Gugerli dirige le groupe de Wurtemberg. recherche en génétique écolo Emanuel Jenny travaille pour gique au WSL. Ses travaux de re oekoskop à Bâle; il a organisé et Christoph Küffer est phyto- cherche portent principalement réalisé la réactivation des prairies écologiste à l’EPF Zurich et dirige sur l’écologie de l’évolution des sauvages de l’Erstfeldertal et leur le réseau «Mountain Invasion Re végétaux ainsi que la génétique appliquée à la suivi pour le canton d’Uri. Les ré search Network» (MIREN). Ses tra protection de la nature et au paysage. Il a été sultats de la recherche font partie du vaste pro vaux de recherche s’intéressent en coordinateur scientifique du projet européen gramme cantonal en faveur du foin sauvage. particulier aux questions liées à la protection de IntraBioDiv. la nature et au changement planétaire en mon Niklaus E. Zimmermann dirige l’unité de re Tobias Bühlmann prépare son tagne et sur les îles océaniques. cherche Dynamique du paysage au WSL et doctorat à l’Institut botanique de Jake Alexander est assistant au sein du grou s’intéresse avant tout à l’analyse de l’incidence l’Université de Bâle. Il participe au pe Phyto-écologie de l’EPF Zurich et participe du changement global sur la végétation et la projet ALNEX (The Alnus-problem depuis 2005 au réseau MIREN. Ses travaux de flore. and the exceedance of critical recherche portent avant tout sur la proliféra Rolf Holderegger dirige l’unité de recherche loads for nitrogen in the Alps). tion des espèces invasives et les réactions des Biodiversité et biologie de la protection de la espèces et des communautés végétales au nature au WSL. Il s’intéresse tout particulière changement climatique. ment à la mise en œuvre pratique des conclu sions scientifiques. I M P R E S S U M Le Forum Biodiversité Suisse encourage Papier: Circle matt white 115 g/m2, 100% recyclé. Ti l’échange des connaissances entre la science, l’ad mi rage: 4200 ex. en allemand, 1100 ex. en français. Con nistration, la pratique, la politique et la société. HOTSPOT tact: Forum Biodiversité Suisse, Schwarztorstrasse 9, CH- est l’un des instruments de cet échange. HOTSPOT paraît 3007 Berne, tél. +41 (0)31 312 02 75, biodiversity@scnat. deux fois par an en allemand et en français; il existe en ch, www.biodiversity.ch. Directrice: Daniela Pauli. Coût de format PDF sur www.biodiversity.ch. Le prochain HOT production: 15 CHF par exemplaire. SPOT 28| 2013 paraîtra en octobre 2013 et sera consacré au thème «la mesure de la biodiversité». Editeur: © Fo Pour que le savoir sur la biodiversité soit accessible à rum Biodiversité Suisse, Berne, avril 2013. Rédaction: toutes les personnes intéressées, nous souhaitons mainte Gregor Klaus (gk), Daniela Pauli (dp), Eva Spehn, Maiann nir la gratuité de HOTSPOT. Mais toute contribution sera Page de titre (de haut en bas) photos Beat Ernst, Bâle Suhner. Traduction en français: Henri-Daniel Wibaut, bienvenue. Compte postal: PC 30-204040-6. Les manus 1. Massif de la Bernina, glacier de Morteratsch (GR) Lausanne. Photos: Les photos sont accompagnées de crits sont soumis à un traitement rédactionnel. Ils ne 2. Dryade à huit pétales (Dryas octopetala) l’indication de leur auteur. Mise en page: Esther Schreier, doivent pas forcément refléter l’opinion du Forum Biodi 3. Sapin blanc (Abies alba) à Derborence (VS) Bâle. Impression: Print Media Works, Schopfheim i. W. versité Suisse. 4. Escalade en Engadine (GR) 2 HOTSPOT 27 | 2013
Editorial Biodiversité alpine 04 Les Alpes, zone de forte biodiversité en Europe Les Alpes jouent un rôle déterminant pour la diversité biologique de la Suisse et de l’Europe. Pourtant, la pression exercée sur la nature et le paysage s’accroît aussi dans l’arc al pin. Le plan d’action lié à la Stratégie Biodiversité Suisse doit relever ce défi. Les Alpes constituent un site important de haute biodiversité. De nombreuses es 06 La diversité biologique, atout de la montagne Interview du Prof. Dominik Siegrist, directeur de l’Institut pour le paysage et les es paces libres de la Haute école technique de Rapperswil et président de CIPRA International pèces spécialisées ne peuvent pas vivre 09 ailleurs. L’intensification de l’utilisation Biodiversité et stabilité du sol du sol en plaine et le changement clima Une végétation alpine riche en espèces offre la meilleure protection contre l’érosion tique font des Alpes un refuge vital pour du sol. de nombreuses espèces animales et végé tales. Cependant, la biodiversité des mi lieux alpins est aussi affectée par le chan gement global. C’est à cette conclusion 10 D’où vient la richesse des montagnes? La mosaïque de petits écosystèmes et de micro-habitats offrant un vaste éventail de températures, de ressources en eau, de substrats et de ressources alimentaires génère une riche qu’a abouti le réseau international de diversité spécifique. Diversitas «Global Mountain Biodiversity Assessment» (GMBA), installé en Suisse. Le GMBA souligne toutefois que les don nées de base relatives à la biodiversité de 12 Les Alpes, barrière et creuset Les schémas en grande partie naturels de la diffusion des espèces et de leurs gènes dévoilent de multiples processus écologiques et historiques. haute montagne doivent être améliorées. L’initiative de recencer la biodiversité sur la Furka menée par des chercheurs en 14 Diversité spécifique de la zone d’estivage Premiers résultats du programme de recherche «AlpFUTUR, avenir des pâturages d’estivage en Suisse». 2012, dont les résultats vous seront en voyés separement cette été, montre l’ex emple. Tandis que la pression s’accroît en général 17 Revitalisation des prairies sauvages Fondements de la réactivation et de l’entretien optimal à long terme des prairies sèches en jachère. au niveau de l’utilisation du sol dans les Andes, l’Himalaya et les montagnes d’A- frique (par le pâturage et la déforestation, p. ex.), l’évolution est nuancée dans les 18 Le paysan part, l’aulne vert revient L’aulne vert, espèce endémique, se répand rapidement sur les pentes abruptes assez humides, ce qui réduit la diversité végétale et provoque une surfertilisation. Alpes. L’agriculture se retire des zones abruptes et difficiles d’accès, mais la pro duction s’intensifie sur les terrains plats 19 Les plantes alpines sont-elles adaptables? Les expériences de transplantation permettent de tester la résistance des plantes alpi nes au changement climatique. et facilement accessibles. Globalement, les Alpes figurent encore parmi les montagnes les plus exploitées, même si les Jeux olympiques n’ont pas 20 Changement climatique et forêt de montagne Les modifications de l’habitat et les pertes de territoire qui devraient résulter du chan gement climatique peuvent être compensées par des mesures de promotion forestière. lieu dans les Grisons en 2022. L’évolution de l’utilisation du sol dans les Alpes est certainement le facteur influençant le plus la biodiversité. Cependant, il est pos 22 Aucune invasion dans les Alpes suisses? Au contraire de la plaine, rares sont les espèces végétales exogènes qui s’installent en Suisse en altitude. sible d’orienter par des décisions poli tiques l’évolution du paysage naturel et rural. Grâce à la Stratégie Biodiversité Suisse, la Suisse a désormais la possibilité Rubriques d’assumer davantage encore sa responsa bilité européenne vis-à-vis de la conserva 23 Office fédéral de l’environnement (OFEV) tion de la biodiversité dans l’écosystème Depuis novembre 2012, le travail est intense autour du plan d’action de la Stratégie Biodiversi alpin. té Suisse. 24 Forum Biodiversité Suisse Sur la base du savoir existant, le Forum Biodiversité évalue le besoin de surface nécessaire à la sauvegarde de la biodiversité en Suisse. Les premiers résultats sont disponibles. Eva Spehn 26 Commission suisse pour la conservation des plantes cultivées (CPC) Collaboratrice scientifique Forum Biodi Défis à relever dans la conservation des plantes cultivées alpines. versité Suisse et directrice du GMBA 28 La carte de la biodiversité eva.spehn@scnat.ch Papillons endémiques des Alpes. HOTSPOT 27 | 2013 3
Introduction Les Alpes, zone de forte diversité en Europe Gregor Klaus, rédacteur, CH-4467 Rothenfluh, gregor.klaus@eblcom.ch et Daniela Pauli, directrice du Forum Biodiversité Suisse, CH-3007 Berne, daniela.pauli@scnat.ch Les Alpes couvrent deux tiers de la Suisse. dérouler en grande partie sans encombre, ment parcellaire, déprise (cf. p. 14 et 17) et Elles représentent la zone de montagne la se situent aujourd’hui presque exclusive donc progression de la forêt et des aulnes plus exploitée au monde; 1,5 million de ment dans les Alpes (MBD 2009, fig. 2): verts (cf. p. 18), du tourisme (cf. p. 6), des personnes y vivent. Pour nous, Suisses, les 57% de la surface située au-delà de 1800 m apports d’azote atmosphérique et peut- Alpes sont toutefois un écosystème proche est considérée comme nature intacte. La être aussi bientôt des espèces invasives (cf. de la nature par excellence. En réalité, majeure partie de cette surface consiste à p. 22) compromettent la biodiversité et, l’étroite imbrication de paysage naturel et vrai dire en rochers, éboulis, glace et neige. partant, souvent la qualité du paysage. rural a créé des espaces de vie extrême L’exploitation des énergies renouvelables ment jolis. Diverses études attestent égale Services écosystémiques précieux peut également poser des problèmes. Au ment de manière impressionnante le de Les écosystèmes de l’arc alpin, riches de jourd’hui, de nombreux paysages alpins gré élevé de biodiversité des Alpes. leur biodiversité, fournissent de multiples sont déjà marqués par les lacs de retenue, services essentiels (Stöcklin et al. 2007): les les cours d’eau asséchés, l’exploitation par Riche, unique, sauvage forêts protègent les zones habitées, les éclusées sur les ruisseaux et les rivières, Les Alpes revêtent une importance capi routes et les voies ferrées des avalanches ainsi que les lignes électriques liées à l’ex tale pour la diversité biologique de la et des chutes de pierres; les prairies riches ploitation hydraulique. Dans sa stratégie Suisse. La majeure partie des marais, en espèces et régulièrement fauchées em énergétique 2050, le Conseil fédéral a dé zones alluviales, prés et pâturages secs pêchent l’érosion du sol et les glissements sormais précisé qu’il fallait développer d’importance nationale, par exemple, se de neige (cf. p. 9 et 17). Il convient de souli l’énergie hydraulique et d’autres énergies situent dans l’arc alpin (fig. 1). Le Monito gner aussi tout particulièrement la contri renouvelables. La stratégie met notam ring de la biodiversité en Suisse (MBD) a bution de la diversité biologique à un pay ment l’accent sur les régions de mon mis en évidence que, pour bon nombre de sage jugé beau, qui présente une grande tagne, destinées à stocker l’eau et à ac groupes d’organismes, le nombre des es valeur pour le tourisme, lequel offre aux cueillir des installations éoliennes et pho pèces à l’étage alpin était particulièrement régions de montagne une bonne partie des tovoltaïques. Afin d’orienter la planifica élevé et que beaucoup d’espèces y avaient revenus engrangés. En réalité, la nature et tion des installations énergétiques dans leur principale aire de distribution (fig. 3). le paysage alpin sont aujourd’hui les plus un cadre bien ordonné, les académies Globalement, les prairies des étages alpin principaux atouts du tourisme suisse (cf. suisses (2012) recommandent la création et subalpin sont d’environ un quart plus interview p. 6). d’un instrument pratique de coordination riches en espèces végétales que les prairies de l’aménagement du territoire, qui com de basse altitude (MBD 2009). L’étude ac Pression croissante bine les besoins de la production énergé tuelle sur l’opérationnalisation des objec Longtemps, la pression exercée sur les éco tique avec ceux des autres utilisations de tifs environnementaux de l’agriculture systèmes alpins s’est avérée moins forte l’espace et tienne compte aussi en particu (OEA) a abouti à la conclusion que 86% des que celle subie par le Plateau suisse, den lier des préoccupations liées à la protec espèces typiques d’un paysage cultivé sément peuplé et intensivement exploité. tion de la nature et du paysage. voué à une exploitation extensive étaient La part des espèces menacées de la Liste De nombreuses vallées alpines ne se dis présentes aux étages alpin et subalpin (16 rouge est donc plus réduite dans l’en tinguent déjà plus guère aujourd’hui du 750 km2, soit 40% de la Suisse) (Walter et semble des régions alpines que sur le Pla Plateau suisse: milieu urbain envahissant, al. 2012). La région assume une grande res teau. Pourtant, l’intensité d’exploi tation avec ses jardins et ses espaces verts ponsabilité vis-à-vis de quelque 900 de ces s’accroît. Walter et al. (2012) ont constaté, pauvres en espèces, entouré d’un vert uni espèces cibles et emblématiques. par exemple, que la part des surfaces de forme et de prairies intensives. Par rap Les Alpes jouent toutefois un rôle particu compensation de qualité écologique ne port aux changements d’affectation du sol lier non seulement pour la diversité spéci correspondait à la norme requise pour et à l’intensification, le changement cli fique, mais aussi par rapport à la nature sauvegarder la biodiversité que dans les matique devrait avoir une incidence «sauvage». En Suisse, près de 8000 km2 zones III et IV, plus raides et plus isolées, moins dramatique en montagne. Certes, sont encore considérés comme abandon de même que dans la zone d’estivage. les modèles prédisent qu’en liaison avec le nés à la nature; ils représentent 19% du Dans les zones mieux situées I et II, par réchauffement planétaire, les espèces al territoire (MBD 2009). En font partie des contre, la part des surfaces de qualité éco pines notamment devraient être mises en zones situées à au moins 500 m d’in logique est nettement moindre: il faudrait difficulté – une évolution qui se précise stallations infrastructurelles telles que la tripler dans la zone de montagne I et la déjà chez certaines espèces comme le lago routes et habitations, dont l’évolution doubler dans la zone II. pède alpin. Mais ces modèles établissent n’est pas ou plus soumise à l’influence di La situation jadis favorable à la biodiversi aussi sans doute des prévisions parfois recte de l’homme. Ces surfaces, sur les té dans les Alpes est en train de changer. trop pessimistes, car ils intègrent encore quelles les processus naturels peuvent se Intensification de l’exploitation, remanie trop peu la faculté d’adaptation (cf. p. 19) 4 HOTSPOT 27 | 2013
50 000 Zones boisées abandonnées à la nature, végétation arbustive et buissonnante 45 000 Végétation herbagère non productive Roches, sable, éboulis, glaciers, névé 40 000 35 000 30 000 >1800m 25 000 20 000 1200–1800m 15 000 600–1200m 10 000 5 000 Publications HOTSPOT 27 | 2013 Dossier Biodiversité alpine 5
La diversité biologique, atout de la montagne Entretien avec le Prof. Dominik Siegrist, Assisterons-nous à l’hégémonie des ag- Quel est l’importance de la Convention directeur de l’Institut pour le paysage et glomérations? alpine? les espaces libres (Haute école technique Les transferts courants vers les zones de La Convention alpine est le reflet d’une de Rapperswil) et président de CIPRA In montagne s’élèvent actuellement à envi politique durable en matière de mon ternational, sur le rôle joué par les Alpes ron 1 milliard de francs par an. Rien ne dit tagne, qui plus est sur un plan internatio en Suisse, l’exploitation durable du sol, à vrai dire que les choses en resteront là. nal. Elle contient tout ce dont une poli l’importance de la Stratégie Biodiversité La proposition d’une stratégie nationale tique régionale efficace et durable à long Suisse pour la montagne, le tourisme concernant les régions de montagne a terme a besoin. L’approche transfronta proche de la nature et l’aide financière beaucoup de mal sur le plan politique. lière et en même temps régionale a un po apportée à la nature et au paysage. Mais une politique régionale intégrative, tentiel d’avenir pour les régions de mon favorisant les synergies entre les agglomé tagne européennes. Toutes les régions al HOTSPOT: Depuis votre bureau, la vue rations et les zones de montagne, n’a pas pines, du Triglav jusqu’aux lacs, ont des sur les Alpes est splendide. La Suisse ex- réuni de majorité jusqu’à présent. Le Par questions et des problèmes analogues: ploite-t-elle ce trésor durablement? lement se focalise davantage sur les défis changement climatique, appauvrissement Dominik Siegrist: Vaste question! Comme des grandes villes, qui réclament désor de la biodiversité, exode, progression de la dans d’autres pays, on constate ici aussi mais une plus grande part du gâteau, dont forêt, transit, tourisme non durable. Ces une grande divergence entre ce qui est elles sont principalement à l’origine, pour problèmes doivent être abordés conjointe souhaitable et ce qui se passe en réalité l’extension de leurs infrastructures et des ment. Il est particulièrement paradoxal dans le paysage. Il suffit de jeter un coup transports publics ainsi que pour des me que la Suisse soit un des pays les plus ac d’œil à la stratégie de la Confédération en sures d’amé nagement du territoire. En tifs en ce qui concerne les travaux liés à la matière de durabilité. On y trouve par même temps, la population de la plaine Convention alpine et y investisse beau exemple la superbe phrase suivante: «La détermine l’aspect des régions de mon coup de bonnes idées et de savoir. Il est Confédération entend mettre en œuvre les tagne. L’initiative contre les résidences se d’autant plus important que les Alpes, qui principes du développement durable dans condaires, par exemple, a été approuvée représentent quand même 60% de notre l’ensemble des politiques sectorielles». grâce aux voix des cantons du Plateau, territoire, jouent un rôle important dans Nous en sommes très loin. Mais cela ne si même si certaines régions de montagne la mise en œuvre de la Stratégie Biodiver gnifie pas que rien n’a été entrepris dans présentaient une part relativement élevée sité Suisse. Au cours des dernières années, ce sens. Par rapport aux autres pays, la de oui. la CIPRA a élaboré de nombreuses bonnes Suisse a déjà pris de nombreuses initia propositions qui ne demandent qu’à être tives dans le domaine de la durabilité. En revanche, les régions de montagne réalisées. sont majoritaires au Conseil des Etats. Quel rôle jouent les régions de monta Mais, à l’inverse, cela a pour effet que des Qu’attendez-vous de la Stratégie Biodi- gne dans la politique nationale? projets importants pour les aggloméra versité Suisse? Les Alpes ont longtemps revêtu une tions sont constamment bloqués, ce qui Je me réjouis que le Conseil fédéral ait en grande importance pour la population. empêche la modernisation nécessaire de fin adopté cette stratégie après plusieurs Elles sont devenues un mythe. Il y a en la Suisse et suscite des tensions. années d’attente. Et si quelque chose est core dix ans, il était assez facile de traiter décidé dans la politique suisse, c’est géné dans les médias des thèmes écologiques ou À cet égard, faut-il rechercher la cause ralement aussi pris au sérieux et mis en socio-économiques à ce sujet. Cependant, dans le fait que les protocoles de la Con- œuvre. Cela n’est pas aussi évident dans la mondialisation croissante a fortement vention alpine ne sont pas ratifiés? d’autres pays. Pour les Alpes, la biodiversi affaibli le rôle des régions de montagne. Il en est malheureusement ainsi. La Con té est un thème essentiel: la diversité natu Les préoccupations de l’arc alpin sont de vention alpine est majoritairement soute relle et paysagère est le point fort des ré plus en plus reléguées à l’arrière-plan. nue par les cantons de montagne. Pour gions de montagne. C’est leur capital, et il Souvent, nous en savons plus sur ce qui se tant, la Suisse est le seul pays à n’avoir en faudrait que ce soit aussi leur compétence passe dans des pays lointains que dans les core ratifié aucun des protocoles, parce de base! montagnes toutes proches. Les défis aux qu’une coalition de dérégulateurs menés quels les régions de montagne sont con par Economiesuisse s’y oppose avec véhé Vous passez pour un spécialiste du tou- frontées sont souvent présentés de ma mence et a su réunir une majorité au Par risme durable et proche de la nature. nière rudimentaire dans les médias du Pla lement. La ratification n’est pas pour de Quel rapport le tourisme entretient-il teau. Les priorités politiques se déplacent main. C’est un signe de pauvreté pour un avec la biodiversité? lentement mais sûrement: les régions de pays alpin comme la Suisse. La sensibilisation du secteur touristique montagne ne sont plus aussi importantes. aux préoccupations biodiversitaires s’est 6 HOTSPOT 27 | 2013
Dominik Siegrist: «La Convention alpine est le reflet d’une politique durable en matière de montagne.» Photo Gregor Klaus accrue au cours des dernières années. Mal Quelles pourraient être des mesures con- perturbent les écosystèmes alpins souvent heureusement, le tourisme suisse traverse crètes sur le plan touristique? sensibles. Sorties en raquettes et ski hors- une crise assez grave. Le thème de la diver Concernant la promotion de la biodiversi piste n’en sont que deux exemples. sité biologique a donc à nouveau un peu té par le tourisme, il faut distinguer trois Il existe tout un ensemble de possibilités de mal. Pourtant, la sensibilisation est tou champs d’action: d’abord, la sensibilisa permettant de réduire les conflits entre jours là: on le voit au fait que le tourisme tion et l’éducation à l’environnement; en touristes et nature. Depuis les appels à la communique beaucoup plus aujourd’hui suite, le développement de l’offre et la ca raison jusqu’aux mesures disciplinaires, qu’autrefois au sujet de thèmes comme la nalisation des visiteurs; enfin, des straté ces dernières devant être évitées dans la nature et le paysage. Pour un secteur aussi gies globales dans la politique en matière mesure du possible. lié au marché que le tourisme, cette évolu de durabilité. Le défi à relever consiste à tion a bien sûr avant tout des motifs éco atteindre les multiples interlocuteurs que Mais les gens refusent de se sensibiliser. nomiques: nous ne pouvons que constater sont les remontées mécaniques, l’hôtelle Ils ont surtout la neige poudreuse en que, dans le sillage de la mondialisation, rie et les stations. En font toutefois aussi tête! les services touristiques sont offerts de partie des protagonistes tels que les orga Ce n’est qu’en partie vrai. Les sportifs sont mieux en mieux, et surtout à plus bas nisateurs d’activités en plein air, les guides en général tout à fait réceptifs par rapport prix, par d’autres pays. Il nous reste les de montagne, les moniteurs de ski etc. aux préoccupations liées à la nature et au Alpes, un paysage rural né de l’histoire et L’important, c’est la sensibilisation des paysage. Si on attire leur attention sur le riche de sa diversité. Concentrons-nous touristes. Un nombre croissant d’activités dérangement des habitats d’animaux, ils sur ces valeurs. sportives ont lieu dans des sites isolés et se montrent très compréhensifs et dispo HOTSPOT 27 | 2013 Dossier Biodiversité alpine 7
sés à modifier leur comportement. Il faut sans continuent de se concevoir comme manquent pas, mais leur réalisation se adopter une approche aussi spécifique que des producteurs et non comme des paysa heurte malheureusement le plus souvent possible du groupe ciblé. C’est à vrai dire gistes pour le pays et pour le tourisme. à l’absence d’argent. Si la classe politique de plus en plus difficile, car le degré d’or L’agriculture se montre donc souvent sta pensait en termes financiers équivalents ganisation des sportifs diminue. Nous tique et réfractaire à des arguments appa pour les Jeux olympiques et pour la dura avons fait des expériences positives au ni remment rationnels. Par exemple, dans la bilité et la biodiversité, il en serait sans veau de la sensibilisation par le canal du zone du projet de parc naturel du Necker doute autrement. «comptoir de magasin», c’est-à-dire dans tal, en Suisse orientale, il n’existe qu’une les magasins où les sportifs se procurent seule exploitation d’agrotourisme. Elle est La mise en œuvre de la Stratégie Biodiver- leur équipement. Par exemple, en collabo submergée de demandes et doit refuser sité pourrait aussi se heurter au manque ration avec un détaillant, nous avons atta beaucoup de monde. Et pourtant, aucune d’argent. ché sur des chaussures de ski des éti autre entreprise à la ronde n’est disposée à Je crois fermement que nous parviendrons quettes précisant les trois principales saisir cette opportunité unique. Notre po à démontrer l’importance existentielle de règles à respecter pour adopter un com litique agricole encourage apparemment la biodiversité pour notre avenir. Il y a as portement soucieux de la faune sauvage. encore trop peu l’esprit d’entreprise des sez d’argent. 60 millions de francs au agriculteurs. raient été mis à la disposition de la candi Dans quelles régions le tourisme durable dature des Grisons aux Jeux olympiques. s’imposera-t-il à long terme? Même avec l’amélioration du système de Quand avons-nous parlé en Suisse pour la Il y a une contradiction dans votre ques paiements directs? dernière fois de 60 millions de francs pour tion! On ne peut pas répartir la durabilité. Dans la nouvelle politique agricole, beau la diversité de notre nature et de nos pay Il n’y en a qu’une, et elle s’applique à tous coup de bonnes propositions pour une vé sages? Ayons enfin le courage d’investir les domaines. Mais je comprends quand ritable écologisation de l’agriculture n’ont dans la biodiversité. Cela ne sera peut-être même votre question. La Confédération a pas abouti. Concernant la promotion de la pas rentable tout de suite, mais sûrement tendance à promouvoir la durabilité avant diversité des paysages et de leur qualité à moyen et à long terme. tout dans les régions périphériques, alors récréative, par exemple, les contributions que, dans les grandes régions touristiques sont beaucoup trop faibles. Les véritables Interview: Gregor Klaus et Maiann Suhner comme le Bas-Valais ou la Haute-Enga prestations en faveur de la biodiversité dine, on se montre toujours aussi géné continuent de recevoir la plus petite part reux. Cette approche ne peut pas aboutir. des subventions. Certaines régions comme les parcs d’im De plus en plus d’alpages se transforment portance nationale peuvent tout de mê- en forêt, car l’exploitation des parcelles me donner l’exemple. isolées et abruptes ne vaut plus la peine. Bien sûr! C’est surtout vrai pour les ré Y aura-t-il de plus en plus de zones déser- gions à forte vocation rurale. Je suis tout à tiques dans les Alpes suisses? fait partisan des parcs, qui favorisent un Dans les Alpes suisses, même les secteurs développement régional durable. Mais la périphériques continuent d’être habités. mise en valeur de la nature doit aussi de Un tourisme proche de la nature y offrira meurer un aspect essentiel dans les parcs. à l’avenir des possibilités d’emploi. Nous ne parlons pas de zones résiduelles insignifiantes, mais de 20% de la superfi Vous êtes président de la Commission in- cie du pays. Il y a là une chance réelle de ternationale pour la protection des Alpes mettre en œuvre un développement du (CIPRA). Quelles ont été vos plus belles rable de manière exemplaire. réussites? L’interconnexion des protagonistes à l’é Pourquoi le tourisme ne coopère-t-il pas chelle alpine a bien progressé au cours des davantage avec l’agriculture, qui déter- dernières décennies, même sur le plan in mine dans une large mesure la qualité du ternational. Le travail de la CIPRA y a paysage et donc les bases du tourisme? beaucoup contribué. Face à de nombreux L’agriculture n’est pas un partenaire fa défis, il existe aujourd’hui de bonnes cile, car elle n’est souvent pas très récep amorces de solution et des projets de mo tive aux questions touristiques. Les pay dèles concrets. Les beaux projets ne 8 HOTSPOT 27 | 2013
Services écosystémiques Biodiversité et stabilité du sol Christian Rixen, écologie des populations, WSL Institut pour l’étude de la neige et des avalanches, SLF, CH-7260 Davos, rixen@slf.ch Des études ont montré qu’une végéta tion alpine riche en espèces offrait la meilleure protection face à l’érosion du sol. Ces résultats revêtent une grande importance pour la pratique, par exem ple pour le reverdissement des pistes de ski aplanies. La couverture végétale fournit une contri 1.6 bution déterminante à la stabilisation du sol sur les terrains en pente et ainsi à la réduction de l’érosion. L’effet protecteur de la végétation se heurte toutefois à des 1.2 Stabilité des agrégats (arcsin sqrt %) limites, dans le cas d’épisodes naturels ex trêmes comme les laves torrentielles, ou quand les plantes et la végétation sont dé 0.8 truites par l’activité humaine (surpâtu rage, construction d’infrastructure ou de domaine skiable etc.). À l’inverse, une uti lisation durable et modérée sous forme de 0.4 prairies ou de pâturages peut toutefois aussi offrir une couverture végétale très r2 = 0.36*** stable. Quel rôle la biodiversité joue-t-elle dans la 0 stabilisation des sols? N’importe quelle 0 2 4 6 8 10 12 14 16 Nombre d‘espèces végétales pelouse composée de quelques espèces suffit-elle? Ou faut-il privilégier une com Un plus grand nombre d’espèces végétales accroît la stabilité des agrégats du sol. munauté d’espèces plus diversifiée? Un projet de recherche s’est intéressé à la cor rélation entre biodiversité, pénétration des racines et propriétés physiques du sol tation à diversité variable et une couver végétalisation en altitude de l’Association sur des surfaces alpines abruptes (Pohl et ture intégrale, afin de mesurer l’écoule pour le génie biologique (www.ingenieur al. 2009, 2012). Les analyses ont été effec ment superficiel et l’érosion du sol. La di biologie.ch) s’engage pour une végétalisa tuées là où elles s’avèrent particulière versité était mesurée sous forme de tion écologique et conforme à la station. ment pertinentes pour la pratique: des groupes dits fonctionnels (graminées, Autre étape importante: l’élaboration du pistes de ski aplanies mécaniquement. Les mousses et lichens, herbacées, et combi «guide pour un accompagnement pédolo échantillons de sol ont fait l’objet d’une naisons des trois groupes). La plus faible gique de la construction». De même, le analyse de la stabilité de leurs agrégats; érosion a été observée dans le cas d’une lancement du programme national de re autrement dit, dans quelle mesure le sol se combinaison de graminées et d’herbacées cherche sur l’utilisation durable du sol, maintenait-t-il sous forme d’agrégats ou se ainsi que des trois groupes ensemble. Une qui entend notamment explorer l’in désagrégeait-il en fines particules? Tant le couverture végétale composée exclusive fluence des plantes sur la stabilité du sol degré de couverture végétale que le ment de graminées se comportait à vrai et garantit en même temps le transfert du nombre d’espèces exercent une influence dire presque aussi bien. Ces résultats savoir au profit de la pratique, est une ex positive sur la stabilité du sol. Dans l’ana montrent aussi l’importance de la diversi cellente chose. Dans les Alpes et dans un lyse statistique, le nombre d’espèces l’ex té pour la protection contre l’érosion su pays à forte biodiversité comme la Suisse, pliquait toutefois nettement mieux que le perficielle, mais les graminées ont à cet ef l’exploration et la conservation de la bio degré de couverture (cf. illustration). C’est fet la plus grande importance fonction diversité jouent un rôle important, notam un résultat important, qui montre qu’il ne nelle. ment pour la protection contre l’érosion suffit pas d’obtenir une couverture végé L’important n’est pas seulement le constat et la stabilisation des pentes. tale épaisse. que la biodiversité remplit des fonctions Dans un second temps, des expériences vitales, mais aussi la mise en œuvre pra Bibliographie d’arrosage ont été effectuées sur une végé tique. Ainsi, le Groupe de travail pour la www.biodiversity.ch > Publications HOTSPOT 27 | 2013 Dossier Biodiversité alpine 9
Diversité spécifique D’où vient la richesse des montagnes? Christian Körner et Erika Hiltbrunner, département Sciences de l’environnement de l’Université de Bâle, CH-4056 Basel; ch.koerner@unibas.ch, erika.hiltbrunner@unibas.ch Pour l’être humain, les montagnes sont diale pour les plantes à fleurs est détenu froides et pauvres. Cette impression par la saxifrage à feuilles opposées, sur le empêche de considérer l’écosystème al- site du Dom (VS), à 4505 m d’altitude (Kör pin comme particulièrement vulnérable. ner 2011). Chaque nuit, durant les six se La riche diversité de petits biotopes et de maines d’«été», le sol est givré; lorsque le micro-habitats a pourtant pour effet que soleil donne, le coussin végétal se ré ce milieu dispose, sur une petite échelle, chauffe brièvement jusqu’à une tempéra de nombreux refuges et replis ainsi que ture de 18° C. d’un microclimat souvent favorable. Ce Trois raisons expliquent la diversité sur climat diffère fortement des conditions prenante de la vie en montagne: 1) les de vie mesurées dans les stations météo- forts gradients climatiques sur de courtes rologiques. Si le climat évolue, la monta- distances réunissent de nombreuses zones gne sera mieux appropriée à la survie climatiques sur un espace restreint; 2) la que la plaine. topographie crée des effets d’exposition au soleil, au vent et à la neige, qui en Fig. 1: La diversité écosystémique entraîne la diversité L’écosystème alpin, zone naturellement gendrent une mosaïque de petits biotopes spécifique. Photo Christian Körner dépourvue d’arbres, occupe en Suisse en et de micro-habitats offrant un vaste éven viron un quart de la superficie du pays. tail de températures, de ressources en eau, jour. Il importe toutefois que la majorité Comme le climat est peu hospitalier à de substrats et de ressources alimentaires des petits habitats se maintiennent. Des cette altitude, on suppose que le monde (fig. 1); 3) de plus, la diversité des roches mesures ont confirmé que le besoin de vivant y est pauvre. Pourtant, à l’échelle enrichit la variété des types de sol. chaleur estimé des espèces végétales selon mondiale, il y pousse davantage de plantes La zone alpine, dernier grand paysage ori les valeurs indicatives de température de à fleurs qu’on ne l’imagine en raison de la ginel en Europe, offre une riche biodiver Landolt correspond parfaitement à la tem surface (Körner 2003, 2004). En Suisse, par sité. La diversité des habitats fournit, sur pérature effective du micro-habitat et exemple, 20% de toutes les espèces de une petite échelle, des abris et des possibi donc possède une grande valeur prévision plantes à fleurs sont alpines, ce qui paraît lités de repli et d’isolement face à l’in nelle (Scherrer et Körner 2010). disproportionné au regard de la surface clémence du macroclimat (fig. 2). Si le cli Le changement climatique planétaire ac qui s’étend en amont de la limite de la fo mat évolue, la montagne offrira un lieu de tuel peut cependant déclencher de nom rêt (roche, glace et neiges éternelles). D’où survie sécurisé, ce qui explique que de breuses modifications en montagne et à vient cette richesse de vie dans des condi nombreuses espèces y aient résisté aux pé l’échelon local. L’allongement de la pé tions aussi «hostiles»? riodes glaciaires sous forme résiduelle. Les riode sans neige à basse altitude et le sur Alpes ont toujours été un refuge. croît éventuel de neige charriée à haute Mosaïque d’écosystèmes altitude par suite des plus fortes précipita Les conditions de vie ne sont hostiles que Faible risque d’extinction tions peuvent poser des problèmes. Envi pour les êtres humains et quelques Comme certains types d’habitat subsistent ron la moitié des espèces alpines ne se groupes d’animaux. Nous avons apparem en montagne malgré l’évolution du climat fient pas aux caprices du temps, mais leur ment une vision très humaine de l’univers et que seules leur étendue et leur fré évolution (bourgeonnement, floraison) alpin. Pour la majorité des organismes al quence, et donc la taille des populations suit un calendrier solaire ancré dans les pins, la vie en plaine serait insupportable. de certaines espèces, changent, le risque gènes (photopériodisme). L’autre moitié La renoncule des glaciers ne se trouve de perdre des espèces est plus faible en consiste en opportunistes, qui s’adaptent dans aucun jardin botanique, car elle péri montagne qu’ailleurs. C’est pourquoi les tout simplement au climat (espèces végé rait au bout de quelques semaines de «cha montagnes méritent une protection parti tales des combes à neige, p. ex.). Les pre leur». Il existe par conséquent une adapta culière face aux immixtions de l’homme. mières profitent peu d’une période sans tion physiologique à la vie en haute mon Si le climat se réchauffe de 2 degrés, la neige prolongée: leur «rigidité» acquise tagne, qui transforme l’adversité présu haute montagne ne perdra environ que peut en effet créer des inconvénients, car mée des conditions de vie en besoin. Les 3% des écosystèmes les plus froids entre leur évolution et le climat ne sont plus en petites plantes de montagne manipulent 2200 et 2700 m (fig. 3, Scherrer et Körner conformité. leur microclimat de telle sorte que bon 2010). Les organismes qui colonisent ces nombre de processus liés à la croissance niches vivent déjà aujourd’hui en majorité Evolution problématique de l’environne ne requièrent aucune adaptation spéci à une altitude supérieure. En revanche, ment et de l’affectation du sol fique à la vie en altitude. sur environ 16% du territoire alpin, de D’après les connaissances actuelles, l’aug Le record de froid absolu à l’échelle mon nouveaux habitats plus chauds voient le mentation de la concentration de CO2 dans 10 HOTSPOT 27 | 2013
l’atmosphère n’a pas d’influence favorable agricole dans les zones péri-urbaines et l’écosystème alpin. Si la limite de la forêt sur les plantes alpines. Les expériences son extensification sur les parcelles ab avait suivi le réchauffement des 150 der- menées avec des espèces de marge pro-gla- ruptes et difficiles d’accès entraînent un nières années, elle se situerait déjà aujour ciaire ont même abouti à des effets néga- appauvrissement de la biodiversité en d’hui 100 mètres plus haut. Les épisodes tifs, sans doute en raison de l’excédent montagne, aux conséquences souvent extrêmes et la lente croissance des Alpes à d’hydrate de carbone induit, qui trans- inattendues. Le chargement de l’atmos- cette altitude ont retardé ce processus forme, du moins temporairement, les mi- phère en composés nitrés solubles prove- (Körner 2012). Le dégagement de surfaces crobes du sol en concurrents alimentaires nant de l’agriculture et des processus d’in- se situant encore aujourd’hui sous une par le biais d’exsudations racinaires. Les cinération modifie l’éventail des espèces glace et une neige prétendument éter- deux changements les plus graves sont les au profit d’espèces nitrophiles et au détri- nelles réduira cette perte d’écosystème al- modifications de l’affectation du sol et le ment d’espèces de petite taille, sélection- pin. Des millénaires de pédogénèse font regain de disponibilité en azote résultant nées pour une faible croissance et une toutefois défaut pour permettre une végé- de l’apport d’azote atmosphérique ou longue vie. tation alpine compacte. d’une multiplication de plantes expan- Comme la limite naturelle de la forêt dé- sives, fixatrices d’azote (cf. p. 18). pend largement de la température, elle se Bibliographie Ces facteurs agissent sur une grande déplacera vers l’altitude sous un climat www.biodiversity.ch > Publications échelle. L’intensification de l’exploitation plus chaud et réduira ainsi la surface de Fig. 2: Les données des stations météorologiques en disent peu sur le climat effectivement vécu par les plantes et les petits animaux de l’étage alpin. Les images d’une caméra thermique indiquent une mosaïque de températures 0.3 Actuel Futur déterminée par la topographie. Sur cette pente, des écarts de température de 8 °C ont été mesurés par rapport à la température moyenne, ce qui correspond à une différence d’altitude de 1500 m dans l’atmosphère (Scherrer et Körner 2010). Photo Daniel Scherrer Fréquence des températures (∆T) Diminution (75%) Accroissement (22%) 0.2 0.1 Nouveau (16%) Perte (3%) Fig. 3: Répartition de la fréquence des micro-habitats à température moyenne saisonnière variable entre 2200 et 2700 m, dans les Alpes centrales. A gauche, 0.0 répartition actuelle; à droite, répartition sous une température de 2° C plus 5 10 15 élevée (Scherrer et Körner 2010) Température saisonnière moyenne au sol (3 cm de profondeur, °C) HOTSPOT 27 | 2013 Dossier Biodiversité alpine 11
Diversité génétique Les Alpes, barrière et creuset Felix Gugerli, Niklaus E. Zimmermann et Rolf Holderegger, Institut fédéral de recherche WSL, CH-8903 Birmensdorf, felix.gugerli@wsl.ch Du point de vue de la biodiversité euro- Biodiversité aux multiples facettes montre que la biodiversité présente davan péenne, l’arc alpin joue un rôle prépon- Une vaste étude a décrit les zones de forte tage de facettes que ne l’exprime le simple dérant. Le schéma de répartition large- biodiversité de l’arc alpin (Taberlet et al. nombre d’espèces. Mais pourquoi les es ment naturel des espèces et de leurs 2012). L’étude s’est notamment intéressée pèces et les gènes présentent-ils des sché gènes révèle de multiples processus éco- à la corrélation géographique éventuelle mas géographiques différents? logiques et historiques, comme le montre entre la richesse spécifique et la diversité un projet international à l’exemple des génétique. Si c’était le cas, le nombre d’es Zones de contact plantes alpines. Pour que soient préser- pèces pourrait équivaloir à la diversité spé chez les espèces à silicate vées non seulement les espèces mais cifique. Comme les plantes alpines ont souvent aussi leur adaptabilité, nous préconisons Afin de tester cette hypothèse, l’étude a une nette prédilection pour les substrats une protection dynamique, facilitant le recensé selon une grille régulière le soit alcalins soit acides, il est justifié de déroulement des processus démogra- nombre des espèces végétales principale distinguer les espèces à silicate et celles à phiques naturels. ment présentes dans la zone alpine (carte calcaire. Les données ont donc été analy A). Il s’est avéré que le sud-ouest des Alpes sées en fonction d’une différenciation flo Dans l’arc alpin, la dernière ère glaciaire notamment était riche en espèces. En ristique et génétique (Thiel-Egenter et al. surtout a exercé une influence détermi outre, des différences majeures étaient 2011). Sur la base des territoires des es nante sur l’extension territoriale des dif constatées entre les zones périphériques, pèces et des allèles, il a été possible de dé férentes espèces. Il est permis de se de plutôt pauvres en espèces, et les Alpes cen terminer où les limites des territoires des mander dans quels refuges les espèces al trales. La présence moindre d’espèces dans espèces et des allèles coïncidaient. Ces pines ont survécu à la glaciation maximale les zones périphériques est sans doute en zones dites de contact se situent vraisem et comment leur territoire actuel a été co grande partie imputable au fait que ces blablement là où se rencontrent les che lonisé. Selon une hypothèse courante, cer zones offrent moins d’espace vital aux mins de retour d’espèces différentes ou les taines régions sont d’autant plus riches en plantes alpines. lignes de parenté évolutives provenant de espèces qu’elles se situent à proximité des Afin d’évaluer la diversité génétique, l’étu divers refuges glaciaires. Nous prévoyons refuges glaciaires, car toutes les espèces de a établi l’empreinte génétique de 27 es donc que ces zones présentent une grande n’ont pas atteint les habitats libérés au pèces très répandues provenant d’une case biodiversité, ce qui est en relative contra cours du retour postglaciaire et la compo sur deux de la grille. A ce niveau de la bio diction avec l’hypothèse énoncée au dé sition spécifique s’est appauvrie à mesure diversité, il est aussi possible d’identifier but, selon laquelle la diversité décroîtrait à que s’accroissait la distance par rapport à un effet marginal, qui se limite toutefois mesure que la distance augmente par rap la région d’origine. Par analogie, cette hy au sud des Alpes, génétiquement moins port aux zones de refuge. pothèse devrait aussi s’appliquer à la di diversifié (carte B). En revanche, le nord- L’exemple des espèces privilégiant les sols versité génétique, car les mêmes processus est des Alpes se distingue par une diversité acides a révélé l’existence de trois zones de – migration et dérive – affectent les es génétique très élevée. En raison des diffé contact; elles se situent dans la région du pèces et les gènes. Mais l’exemple des rences de répartition de la diversité spéci val d’Aoste, du Brenner et du Tauern, et plantes alpines montre que cette interpré fique et génétique (allèles), aucune corré divisent les Alpes le long d’un axe est- tation est insuffisante. lation n’a été trouvée entre le nombre ouest. Il est intéressant de constater que la d’espèces et la diversité génétique. Cela situation de ces zones de contact entre es Le recensement de la diversité génétique s’est fondé sur la collecte et l’analyse génétique de 27 espèces aux exigences écologiques variées, et très répandues dans l’ensemble de l’arc alpin, parmi lesquelles la renoncule alpestre (Ranunculus alpestris), le trèfle alpin (Trifolium alpinum) et le céraiste à fleurs solitaires (Cerastium uniflorum). Photo 1 et 2: Felix Gugerli, Foto 3: Michal Ronikier 12 HOTSPOT 27 | 2013
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