HOTSPOT - Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27

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HOTSPOT - Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27
HOTSPOT

         Biodiversité alpine
     Dialogue entre recherche et pratique
Informations du Forum Biodiversité Suisse
                                 27 | 2013
HOTSPOT - Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27
Auteurs
              Christian Rixen fait de la recher­                              Stefan Lauber a soutenu en                                   Jürg Stöcklin enseigne la bota­
              che en phyto-écologie à l’institut                              2006 sa thèse en doctorat sur la                             nique à l’Université de Bâle. Ses
              WSL (et au SLF de Davos). Il                                    mutation structurelle de l’a­     gri­                       travaux de recherche actuels
              s’intéresse à la biodiversité et aux                            culture dans les zones de mon­                               s’intéressent à la biodiversité des
              fonctions écosystémiques ainsi                                  tagne à l’EPF Zurich. Il travaille au                        plantes alpines et à leurs straté­
qu’à l’évolution de la végétation alpine.                       WSL dans le groupe Economie de l’en­                           gies d’adaptation aux conditions spécifiques
                                                                vironnement et des ressources naturelles. Il est               des écosystèmes alpins.
              Christian Körner enseigne la bo­                  codirecteur et coordinateur du programme de
              tanique à l’Université de Bâle. Il                recherche AlpFUTUR, qui porte sur l’avenir des                               Kurt Bollmann dirige le groupe
              dirige le réseau Diversitas «Global               pâturages d’estivage en Suisse.                                              de recherche Biologie de la pro­
              Mountain Biodiversity Assess­                     Beatrice Schüpbach a obtenu un doctorat en                                   tection de la nature au WSL. Ses
              ment» (GMBA). Ses travaux de re­                  géographie et travaille à la station de recherche                            travaux de recherche portent prin­
cherche sur la haute-montagne ont abouti à                      Agroscope Reckenholz-Tänikon au sein du                                      cipalement sur les relations éco­
deux manuels (Alpine Plant Life et Alpine Tree­                 groupe Paysage rural et biodiversité. Elle s’in­               systémiques des espèces rares, la biologie des
lines, Springer).                                               téresse aux analyses SIG du paysage et à la bio­               populations de tétraonidés et les schémas
Erika Hiltbrunner est collaboratrice scienti­                   diversité.                                                     d’identification de la responsabilité et des prio­
fique à l’Université de Bâle. Elle s’intéresse aux              Bärbel Koch prépare son doctorat à la station                  rités dans la protection de la nature.
divers aspects du changement global dans les                    de recherche Agroscope Reckenholz-Tänikon                      Veronika Braunisch travaille au département
Alpes suisses et dans les Andes. Elle dirige, con­              (ART) et à l’EPF Zurich. Son projet de thèse, qui              Conservation Biology de l’Université de Berne
jointement avec Christian Körner, la station al­                s’inscrit dans AlpFUTUR, s’intéresse à l’in­                   et dirige depuis 2013 la recherche sur les ré­
pine de recherche et de formation Furka.                        fluence de divers facteurs sur la diversité spéci­             serves forestières à l’Institut de recherche et
                                                                fique des pâturages alpins.                                    d’expérimentation       forestière   du     Bade-
               Felix Gugerli dirige le groupe de                                                                               Wurtemberg.
               recherche en génétique écolo­                                   Emanuel Jenny travaille pour
               gique au WSL. Ses travaux de re­                                oekoskop à Bâle; il a organisé et                             Christoph Küffer est phyto-­
               cherche portent principalement                                  réalisé la réactivation des prairies                          écologiste à l’EPF Zurich et dirige
               sur l’écologie de l’évolution des                               sauvages de l’Erstfeldertal et leur                           le réseau «Mountain Invasion Re­
végétaux ainsi que la génétique appliquée à la                                 suivi pour le canton d’Uri. Les ré­                           search Network» (MIREN). Ses tra­
protection de la nature et au paysage. Il a été                 sultats de la recherche font partie du vaste pro­                            vaux de recherche s’intéressent en
coordinateur scientifique du projet européen                    gramme cantonal en faveur du foin sauvage.                     particulier aux questions liées à la protection de
IntraBioDiv.                                                                                                                   la nature et au changement planétaire en mon­
Niklaus E. Zimmermann dirige l’unité de re­                                   Tobias Bühlmann prépare son                      tagne et sur les îles océaniques.
cherche Dynamique du paysage au WSL et                                        doctorat à l’Institut botanique de               Jake Alexander est assistant au sein du grou­
s’intéresse avant tout à l’analyse de l’incidence                             l’Université de Bâle. Il participe au            pe Phyto-écologie de l’EPF Zurich et participe
du changement global sur la végétation et la                                  projet ALNEX (The Alnus-problem                  depuis 2005 au réseau MIREN. Ses travaux de
flore.                                                                        and the exceedance of critical                   recherche portent avant tout sur la proliféra­
Rolf Holderegger dirige l’unité de recherche                    loads for nitrogen in the Alps).                               tion des espèces invasives et les réactions des
Biodiversité et biologie de la protection de la                                                                                espèces et des communautés végétales au
nature au WSL. Il s’intéresse tout particulière­                                                                               changement climatique.
ment à la mise en œuvre pratique des conclu­
sions scientifiques.

I M P R E S S U M Le Forum Biodiversité Suisse encourage        Papier: Circle matt white 115 g/m2, 100% recyclé. Ti­
l’é­change des connaissances entre la science, l’ad­      mi­   rage: 4200 ex. en allemand, 1100 ex. en français. Con­
nistration, la pratique, la politique et la société. HOTSPOT    tact: Forum Biodiversité Suisse, Schwarztorstrasse 9, CH-
est l’un des ins­truments de cet échange. HOTSPOT paraît        3007 Berne, tél. +41 (0)31 312 02 75, biodiversity@scnat.
deux fois par an en allemand et en français; il existe en       ch, www.biodiversity.ch. Direc­trice: Daniela Pauli. Coût de
format PDF sur www.biodiversity.ch. Le prochain HOT­            production: 15 CHF par exemplaire.
SPOT 28| 2013 paraîtra en octobre 2013 et sera consacré
au thème «la mesure de la biodiversité». Editeur: © Fo­         Pour que le savoir sur la biodiversité soit accessible à
rum Biodiversité Suisse, Berne, avril 2013. Rédaction:          toutes les personnes intéressées, nous souhaitons mainte­
Gregor Klaus (gk), Daniela Pauli (dp), Eva Spehn, Maiann        nir la gratuité de HOTSPOT. Mais toute contribution sera       Page de titre (de haut en bas) photos Beat Ernst, Bâle
Suhner. Traduction en français: Henri-Daniel Wibaut,            bienvenue. Compte postal: PC 30-204040-6. Les manu­s­          1. Massif de la Bernina, glacier de Morteratsch (GR)
Lausanne. Photos: Les photos sont accompagnées de               crits sont soumis à un traitement rédactionnel. Ils ne         2. Dryade à huit pétales (Dryas octopetala)
l’indication de leur auteur. Mise en page: Esther Schreier,     doivent pas forcément refléter l’opinion du Forum Biodi­       3. Sapin blanc (Abies alba) à Derborence (VS)
Bâle. Impres­sion: Print Media Works, Schopfheim i. W.          versité Suisse.                                                4. Escalade en Engadine (GR)

2                                                                                                                                                                 HOTSPOT 27 | 2013
HOTSPOT - Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27
Editorial                                        Biodiversité alpine
                                                 04        Les Alpes, zone de forte biodiversité en Europe
                                                           Les Alpes jouent un rôle déterminant pour la diversité biologique de la Suisse et de
                                                 l’Europe. Pourtant, la pression exercée sur la nature et le paysage s’accroît aussi dans l’arc al­
                                                 pin. Le plan d’action lié à la Stratégie Biodiversité Suisse doit relever ce défi.

Les Alpes constituent un site important de
haute biodiversité. De nombreuses es­
                                                 06       La diversité biologique, atout de la montagne
                                                          Interview du Prof. Dominik Siegrist, directeur de l’Institut pour le paysage et les es­
                                                 paces libres de la Haute école technique de Rapperswil et président de CIPRA International
pèces spécialisées ne peuvent pas vivre

                                                 09
ailleurs. L’intensification de l’utilisation               Biodiversité et stabilité du sol
du sol en plaine et le changement clima­                   Une végétation alpine riche en espèces offre la meilleure protection contre l’érosion
tique font des Alpes un refuge vital pour        du sol.
de nombreuses espèces animales et végé­
tales. Cependant, la biodiversité des mi­
lieux alpins est aussi affectée par le chan­
gement global. C’est à cette conclusion
                                                 10       D’où vient la richesse des montagnes?
                                                          La mosaïque de petits écosystèmes et de micro-habitats offrant un vaste éventail de
                                                 températures, de ressources en eau, de substrats et de ressources alimentaires génère une riche
qu’a abouti le réseau international de           diversité spécifique.
Diversitas «Global Mountain Biodiversity
Assessment» (GMBA), installé en Suisse.
Le GMBA souligne toutefois que les don­
nées de base relatives à la biodiversité de
                                                 12      Les Alpes, barrière et creuset
                                                         Les schémas en grande partie naturels de la diffusion des espèces et de leurs gènes
                                                 dévoilent de multiples processus écologiques et historiques.
haute montagne doivent être améliorées.
L’initiative de recencer la biodiversité sur
la Furka menée par des chercheurs en             14       Diversité spécifique de la zone d’estivage
                                                          Premiers résultats du programme de recherche «AlpFUTUR, avenir des pâturages
                                                 d’estivage en Suisse».
2012, dont les résultats vous seront en­
voyés separement cette été, montre l’ex­
emple.
Tandis que la pression s’accroît en général
                                                 17      Revitalisation des prairies sauvages
                                                         Fondements de la réactivation et de l’entretien optimal à long terme des prairies
                                                 sèches en jachère.
au niveau de l’utilisation du sol dans les
Andes, l’Himalaya et les montagnes d’A­-
f­rique (par le pâturage et la déforesta­tion,
p. ex.), l’évolution est nuancée dans les
                                                 18     Le paysan part, l’aulne vert revient
                                                        L’aulne vert, espèce endémique, se répand rapidement sur les pentes abruptes assez
                                                 humides, ce qui réduit la diversité végétale et provoque une surfertilisation.
Alpes. L’agriculture se retire des zones
abruptes et difficiles d’accès, mais la pro­
duction s’intensifie sur les terrains plats      19       Les plantes alpines sont-elles adaptables?
                                                          Les expériences de transplantation permettent de tester la résistance des plantes alpi­
                                                 nes au changement climatique.
et facilement accessibles.
Globalement, les Alpes figurent encore
parmi les montagnes les plus exploitées,
même si les Jeux olympiques n’ont pas            20      Changement climatique et forêt de montagne
                                                         Les modifications de l’habitat et les pertes de territoire qui devraient résulter du chan­
                                                 gement climatique peuvent être compensées par des mesures de promotion forestière.
lieu dans les Grisons en 2022. L’évolution
de l’utilisation du sol dans les Alpes est
certainement le facteur influençant le
plus la biodiversité. Cependant, il est pos­
                                                 22       Aucune invasion dans les Alpes suisses?
                                                          Au contraire de la plaine, rares sont les espèces végétales exogènes qui s’installent en
                                                 Suisse en altitude.
sible d’orienter par des décisions poli­
tiques l’évolution du paysage naturel et
rural. Grâce à la Stratégie Biodiversité
Suisse, la Suisse a désormais la possibilité     Rubriques
d’assumer davantage encore sa responsa­
bilité européenne vis-à-vis de la conserva­      23 Office fédéral de l’environnement (OFEV)
tion de la biodiversité dans l’écosystème        Depuis novembre 2012, le travail est intense autour du plan d’action de la Stratégie Biodiversi­
alpin.                                           té Suisse.
                                                 24 Forum Biodiversité Suisse
                                                 Sur la base du savoir existant, le Forum Biodiversité évalue le besoin de surface nécessaire à la
                                                 sauvegarde de la biodiversité en Suisse. Les premiers résultats sont disponibles.

Eva Spehn                                        26 Commission suisse pour la conservation des plantes cultivées (CPC)
Collaboratrice scientifique Forum Biodi­         Défis à relever dans la conservation des plantes cultivées alpines.
versité Suisse et directrice du GMBA             28 La carte de la biodiversité
eva.spehn@scnat.ch                               Papillons endémiques des Alpes.

HOTSPOT 27 | 2013                                                                                                                      3
HOTSPOT - Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27
Introduction
Les Alpes, zone de forte diversité en Europe
Gregor Klaus, rédacteur, CH-4467 Rothenfluh, gregor.klaus@eblcom.ch et
Daniela Pauli, directrice du Forum Biodiversité Suisse, CH-3007 Berne, daniela.pauli@scnat.ch

Les Alpes couvrent deux tiers de la Suisse.      dérouler en grande partie sans encombre,           ment parcellaire, déprise (cf. p. 14 et 17) et
Elles représentent la zone de montagne la        se situent aujourd’hui presque exclusive­          donc progression de la forêt et des aulnes
plus exploitée au monde; 1,5 million de          ment dans les Alpes (MBD 2009, fig. 2):            verts (cf. p. 18), du tourisme (cf. p. 6), des
personnes y vivent. Pour nous, Suisses, les      57% de la surface située au-delà de 1800 m         apports d’azote atmosphérique et peut-
Alpes sont toutefois un écosystème proche        est considérée comme nature intacte. La            être aussi bientôt des espèces invasives (cf.
de la nature par excellence. En réalité,         majeure partie de cette surface consiste à         p. 22) compromettent la biodiversité et,
l’étroite imbrication de paysage naturel et      vrai dire en rochers, éboulis, glace et neige.     partant, souvent la qualité du paysage.
rural a créé des espaces de vie extrême­                                                            L’exploitation des énergies renouvelables
ment jolis. Diverses études attestent égale­     Services écosystémiques précieux                   peut également poser des problèmes. Au­
ment de manière impressionnante le de­           Les écosystèmes de l’arc alpin, riches de          jourd’hui, de nombreux paysages alpins
gré élevé de biodiversité des Alpes.             leur biodiversité, fournissent de multiples        sont déjà marqués par les lacs de retenue,
                                                 services essentiels (Stöcklin et al. 2007): les    les cours d’eau asséchés, l’ex­ploi­tation par
Riche, unique, sauvage                           forêts protègent les zones habitées, les           éclusées sur les ruisseaux et les rivières,
Les Alpes revêtent une importance capi­          routes et les voies ferrées des avalanches         ainsi que les lignes électriques liées à l’ex­
tale pour la diversité biologique de la          et des chutes de pierres; les prairies riches      ploitation hydraulique. Dans sa stratégie
Suisse. La majeure partie des marais,            en espèces et régulièrement fauchées em­           énergétique 2050, le Conseil fédéral a dé­
zones alluviales, prés et pâturages secs         pêchent l’érosion du sol et les glissements        sormais précisé qu’il fallait développer
d’importance nationale, par exemple, se          de neige (cf. p. 9 et 17). Il convient de souli­   l’énergie hydraulique et d’autres énergies
situent dans l’arc alpin (fig. 1). Le Monito­    gner aussi tout particulièrement la contri­        renouvelables. La stratégie met notam­
ring de la biodiversité en Suisse (MBD) a        bution de la diversité biologique à un pay­        ment l’accent sur les régions de mon­
mis en évidence que, pour bon nombre de          sage jugé beau, qui présente une grande            tagne, destinées à stocker l’eau et à ac­
groupes d’organismes, le nombre des es­          valeur pour le tourisme, lequel offre aux          cueillir des installations éoliennes et pho­
pèces à l’étage alpin était particulièrement     régions de montagne une bonne partie des           tovoltaïques. Afin d’orienter la planifica­
élevé et que beaucoup d’espèces y avaient        revenus engrangés. En réalité, la nature et        tion des installations énergétiques dans
leur principale aire de distribution (fig. 3).   le paysage alpin sont au­jourd’hui les plus        un cadre bien ordonné, les académies
Globalement, les prairies des étages alpin       principaux atouts du tourisme suisse (cf.          suisses (2012) recommandent la création
et subalpin sont d’environ un quart plus         interview p. 6).                                   d’un instrument pratique de coordination
riches en espèces végétales que les prairies                                                        de l’aménagement du territoire, qui com­
de basse altitude (MBD 2009). L’étude ac­        Pression croissante                                bine les besoins de la production énergé­
tuelle sur l’opérationnalisation des objec­      Longtemps, la pression exercée sur les éco­        tique avec ceux des autres utilisations de
tifs environnementaux de l’agriculture           systèmes alpins s’est avérée moins forte           l’espace et tienne compte aussi en particu­
(OEA) a abouti à la conclusion que 86% des       que celle subie par le Plateau suisse, den­        lier des préoccupations liées à la protec­
espèces typiques d’un paysage cultivé            sément peuplé et intensivement exploité.           tion de la nature et du paysage.
voué à une exploitation extensive étaient        La part des espèces menacées de la Liste           De nombreuses vallées alpines ne se dis­
présentes aux étages alpin et subalpin (16       rouge est donc plus réduite dans l’en­             tinguent déjà plus guère aujourd’hui du
750 km2, soit 40% de la Suisse) (Walter et       semble des régions alpines que sur le Pla­         Plateau suisse: milieu urbain envahissant,
al. 2012). La région assume une grande res­      teau. Pourtant, l’intensité d’exploi­  tation      avec ses jardins et ses espaces verts
ponsabilité vis-à-vis de quelque 900 de ces      s’accroît. Walter et al. (2012) ont constaté,      pauvres en espèces, entouré d’un vert uni­
espèces cibles et emblématiques.                 par exemple, que la part des surfaces de           forme et de prairies intensives. Par rap­
Les Alpes jouent toutefois un rôle particu­      compensation de qualité écologique ne              port aux changements d’affectation du sol
lier non seulement pour la diversité spéci­      correspondait à la norme requise pour              et à l’intensification, le changement cli­
fique, mais aussi par rapport à la nature        sauvegarder la biodiversité que dans les           matique devrait avoir une incidence
«sauvage». En Suisse, près de 8000 km2           zones III et IV, plus raides et plus isolées,      moins dramatique en montagne. Certes,
sont encore considérés comme abandon­            de même que dans la zone d’estivage.               les modèles prédisent qu’en liaison avec le
nés à la nature; ils représentent 19% du         Dans les zones mieux situées I et II, par          réchauffement planétaire, les espèces al­
territoire (MBD 2009). En font partie des        contre, la part des surfaces de qualité éco­       pines notamment devraient être mises en
zones situées à au moins 500 m d’in­             logique est nettement moindre: il faudrait         difficulté – une évolution qui se précise
stallations infrastructurelles telles que        la tripler dans la zone de montagne I et la        déjà chez certaines espèces comme le lago­
routes et habitations, dont l’évolution          doubler dans la zone II.                           pède alpin. Mais ces modèles établissent
n’est pas ou plus soumise à l’influence di­      La situation jadis favorable à la biodiversi­      aussi sans doute des prévisions parfois
recte de l’homme. Ces surfaces, sur les­         té dans les Alpes est en train de changer.         trop pessimistes, car ils intègrent encore
quelles les processus naturels peuvent se        Intensification de l’exploitation, remanie­        trop peu la faculté d’adaptation (cf. p. 19)

4                                                                                                                               HOTSPOT 27 | 2013
HOTSPOT - Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27
50 000
                                                                                                                                          Zones boisées abandonnées à la nature, végétation arbustive et buissonnante
                                            45 000                                                                                        Végétation herbagère non productive
                                                                                                                                          Roches, sable, éboulis, glaciers, névé
                                            40 000

                                            35 000

                                            30 000
                                                                                                                                                                                                                                     >1800m
                                            25 000

                                            20 000                                                                                                                                                                                   1200–1800m
                                            15 000
                                                                                                                                                                                                                                     600–1200m
                                            10 000

                                                               5 000                                                                                                                                                                  Publications

HOTSPOT 27 | 2013                                                                  Dossier    Biodiversité alpine                                                                                                                                  5
HOTSPOT - Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27
La diversité biologique,
atout de la montagne

Entretien avec le Prof. Dominik Siegrist,        Assisterons-nous à l’hégémonie des ag-           Quel est l’importance de la Convention
directeur de l’Institut pour le paysage et       glomérations?                                    alpine?
les espaces libres (Haute école technique        Les transferts courants vers les zones de        La Convention alpine est le reflet d’une
de Rapperswil) et président de CIPRA In­         montagne s’élèvent actuellement à envi­          politique durable en matière de mon­
ternational, sur le rôle joué par les Alpes      ron 1 milliard de francs par an. Rien ne dit     tagne, qui plus est sur un plan internatio­
en Suisse, l’exploitation durable du sol,        à vrai dire que les choses en resteront là.      nal. Elle contient tout ce dont une poli­
l’importance de la Stratégie Biodiversité        La proposition d’une stratégie nationale         tique régionale efficace et durable à long
Suisse pour la montagne, le tourisme             concernant les régions de montagne a             terme a besoin. L’approche transfronta­
proche de la nature et l’aide financière         beaucoup de mal sur le plan politique.           lière et en même temps régionale a un po­
apportée à la nature et au paysage.              Mais une politique régionale intégrative,        tentiel d’avenir pour les régions de mon­
                                                 favorisant les synergies entre les agglomé­      tagne européennes. Toutes les régions al­
HOTSPOT: Depuis votre bureau, la vue             rations et les zones de montagne, n’a pas        pines, du Triglav jusqu’aux lacs, ont des
sur les Alpes est splendide. La Suisse ex-       réuni de majorité jusqu’à présent. Le Par­       questions et des problèmes analogues:
ploite-t-elle ce trésor durablement?             lement se focalise davantage sur les défis       changement climatique, appauvrissement
Dominik Siegrist: Vaste question! Comme          des grandes villes, qui réclament désor­         de la biodiversité, exode, progression de la
dans d’autres pays, on constate ici aussi        mais une plus grande part du gâteau, dont        forêt, transit, tourisme non durable. Ces
une grande divergence entre ce qui est           elles sont principalement à l’origine, pour      problèmes doivent être abordés conjointe­
souhaitable et ce qui se passe en réalité        l’extension de leurs infrastructures et des      ment. Il est particulièrement paradoxal
dans le paysage. Il suffit de jeter un coup      transports publics ainsi que pour des me­        que la Suisse soit un des pays les plus ac­
d’œil à la stratégie de la Confédération en      sures d’amé­  nagement du territoire. En         tifs en ce qui concerne les travaux liés à la
matière de durabilité. On y trouve par           même temps, la population de la plaine           Convention alpine et y investisse beau­
exemple la superbe phrase suivante: «La          détermine l’aspect des régions de mon­           coup de bonnes idées et de savoir. Il est
Confédération entend mettre en œuvre les         tagne. L’initiative contre les résidences se­    d’autant plus important que les Alpes, qui
principes du développement durable dans          condaires, par exemple, a été approuvée          représentent quand même 60% de notre
l’ensemble des politiques sectorielles».         grâce aux voix des cantons du Plateau,           territoire, jouent un rôle important dans
Nous en sommes très loin. Mais cela ne si­       même si certaines régions de montagne            la mise en œuvre de la Stratégie Biodiver­
gnifie pas que rien n’a été entrepris dans       présentaient une part relativement élevée        sité Suisse. Au cours des dernières années,
ce sens. Par rapport aux autres pays, la         de oui.                                          la CIPRA a élaboré de nombreuses bonnes
Suisse a déjà pris de nombreuses initia­                                                          propositions qui ne demandent qu’à être
tives dans le domaine de la durabilité.          En revanche, les régions de montagne             réalisées.
                                                 sont majoritaires au Conseil des Etats.
Quel rôle jouent les régions de monta­           Mais, à l’inverse, cela a pour effet que des     Qu’attendez-vous de la Stratégie Biodi-
gne dans la politique nationale?                 projets importants pour les aggloméra­           versité Suisse?
Les Alpes ont longtemps revêtu une               tions sont constamment bloqués, ce qui           Je me réjouis que le Conseil fédéral ait en­
grande importance pour la population.            empêche la modernisation nécessaire de           fin adopté cette stratégie après plusieurs
Elles sont devenues un mythe. Il y a en­         la Suisse et suscite des tensions.               années d’attente. Et si quelque chose est
core dix ans, il était assez facile de traiter                                                    décidé dans la politique suisse, c’est géné­
dans les médias des thèmes écologiques ou        À cet égard, faut-il rechercher la cause         ralement aussi pris au sérieux et mis en
socio-économiques à ce sujet. Cependant,         dans le fait que les protocoles de la Con-       œuvre. Cela n’est pas aussi évident dans
la mondialisation croissante a fortement         vention alpine ne sont pas ratifiés?             d’autres pays. Pour les Alpes, la biodiversi­
affaibli le rôle des régions de montagne.        Il en est malheureusement ainsi. La Con­         té est un thème essentiel: la diversité natu­
Les préoccupations de l’arc alpin sont de        vention alpine est majoritairement soute­        relle et paysagère est le point fort des ré­
plus en plus reléguées à l’arrière-plan.         nue par les cantons de montagne. Pour­           gions de montagne. C’est leur capital, et il
Souvent, nous en savons plus sur ce qui se       tant, la Suisse est le seul pays à n’avoir en­   faudrait que ce soit aussi leur compétence
passe dans des pays lointains que dans les       core ratifié aucun des protocoles, parce         de base!
montagnes toutes proches. Les défis aux­         qu’une coalition de dérégulateurs menés
quels les régions de montagne sont con­          par Economiesuisse s’y oppose avec véhé­         Vous passez pour un spécialiste du tou-
frontées sont souvent présentés de ma­           mence et a su réunir une majorité au Par­        risme durable et proche de la nature.
nière rudimentaire dans les médias du Pla­       lement. La ratification n’est pas pour de­       Quel rapport le tourisme entretient-il
teau. Les priorités politiques se déplacent      main. C’est un signe de pauvreté pour un         avec la biodiversité?
lentement mais sûrement: les régions de          pays alpin comme la Suisse.                      La sensibilisation du secteur touristique
montagne ne sont plus aussi importantes.                                                          aux préoccupations biodiversitaires s’est

6                                                                                                                            HOTSPOT 27 | 2013
HOTSPOT - Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27
Dominik Siegrist: «La Convention alpine est le reflet d’une politique durable en matière de montagne.» Photo Gregor Klaus

accrue au cours des dernières années. Mal­              Quelles pourraient être des mesures con-                      perturbent les écosystèmes alpins souvent
heureusement, le tourisme suisse traverse               crètes sur le plan touristique?                               sensibles. Sorties en raquettes et ski hors-
une crise assez grave. Le thème de la diver­            Concernant la promotion de la biodiversi­                     piste n’en sont que deux exemples.
sité biologique a donc à nouveau un peu                 té par le tourisme, il faut distinguer trois                  Il existe tout un ensemble de possibilités
de mal. Pourtant, la sensibilisation est tou­           champs d’action: d’abord, la sensibilisa­                     permettant de réduire les conflits entre
jours là: on le voit au fait que le tourisme            tion et l’éducation à l’environnement; en­                    touristes et nature. Depuis les appels à la
communique beaucoup plus aujourd’hui                    suite, le développement de l’offre et la ca­                  raison jusqu’aux mesures disciplinaires,
qu’autrefois au sujet de thèmes comme la                nalisation des visiteurs; enfin, des straté­                  ces dernières devant être évitées dans la
nature et le paysage. Pour un secteur aussi             gies globales dans la politique en matière                    mesure du possible.
lié au marché que le tourisme, cette évolu­             de durabilité. Le défi à relever consiste à
tion a bien sûr avant tout des motifs éco­              atteindre les multiples interlocuteurs que                    Mais les gens refusent de se sensibiliser.
nomiques: nous ne pouvons que constater                 sont les remontées mécaniques, l’hôtelle­                     Ils ont surtout la neige poudreuse en
que, dans le sillage de la mondialisation,              rie et les stations. En font toutefois aussi                  tête!
les services touristiques sont offerts de               partie des protagonistes tels que les orga­                   Ce n’est qu’en partie vrai. Les sportifs sont
mieux en mieux, et surtout à plus bas                   nisateurs d’activités en plein air, les guides                en général tout à fait réceptifs par rapport
prix, par d’autres pays. Il nous reste les              de montagne, les moniteurs de ski etc.                        aux préoccupations liées à la nature et au
Alpes, un paysage rural né de l’histoire et             L’important, c’est la sensibilisation des                     paysage. Si on attire leur attention sur le
riche de sa diversité. Concentrons-nous                 touristes. Un nombre croissant d’activités                    dérangement des habitats d’animaux, ils
sur ces valeurs.                                        sportives ont lieu dans des sites isolés et                   se montrent très compréhensifs et dispo­

HOTSPOT 27 | 2013    Dossier     Biodiversité alpine                                                                                                              7
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sés à modifier leur comportement. Il faut       sans continuent de se concevoir comme          manquent pas, mais leur réalisation se
adopter une approche aussi spécifique que       des producteurs et non comme des paysa­        heurte malheureusement le plus souvent
possible du groupe ciblé. C’est à vrai dire     gistes pour le pays et pour le tourisme.       à l’absence d’argent. Si la classe politique
de plus en plus difficile, car le degré d’or­   L’agri­culture se montre donc souvent sta­     pensait en termes financiers équivalents
ganisation des sportifs diminue. Nous           tique et réfractaire à des arguments appa­     pour les Jeux olympiques et pour la dura­
avons fait des expériences positives au ni­     remment rationnels. Par exemple, dans la       bilité et la biodiversité, il en serait sans
veau de la sensibilisation par le canal du      zone du projet de parc naturel du Necker­      doute autrement.
«comptoir de magasin», c’est-à-dire dans        tal, en Suisse orientale, il n’existe qu’une
les magasins où les sportifs se procurent       seule exploitation d’agrotourisme. Elle est    La mise en œuvre de la Stratégie Biodiver-
leur équipement. Par exemple, en collabo­       submergée de demandes et doit refuser          sité pourrait aussi se heurter au manque
ration avec un détaillant, nous avons atta­     beaucoup de monde. Et pourtant, aucune         d’argent.
ché sur des chaussures de ski des éti­          autre entreprise à la ronde n’est disposée à   Je crois fermement que nous parviendrons
quettes précisant les trois principales         saisir cette opportunité unique. Notre po­     à démontrer l’importance existentielle de
règles à respecter pour adopter un com­         litique agricole encourage apparemment         la biodiversité pour notre avenir. Il y a as­
portement soucieux de la faune sauvage.         encore trop peu l’esprit d’entreprise des      sez d’argent. 60 millions de francs au­
                                                agriculteurs.                                  raient été mis à la disposition de la candi­
Dans quelles régions le tourisme durable                                                       dature des Grisons aux Jeux olympiques.
s’imposera-t-il à long terme?                   Même avec l’amélioration du système de         Quand avons-nous parlé en Suisse pour la
Il y a une contradiction dans votre ques­       paiements directs?                             dernière fois de 60 millions de francs pour
tion! On ne peut pas répartir la durabilité.    Dans la nouvelle politique agricole, beau­     la diversité de notre nature et de nos pay­
Il n’y en a qu’une, et elle s’applique à tous   coup de bonnes propositions pour une vé­       sages? Ayons enfin le courage d’investir
les domaines. Mais je comprends quand           ritable écologisation de l’agriculture n’ont   dans la biodiversité. Cela ne sera peut-être
même votre question. La Confédération a         pas abouti. Concernant la promotion de la      pas rentable tout de suite, mais sûrement
tendance à promouvoir la durabilité avant       diversité des paysages et de leur qualité      à moyen et à long terme.
tout dans les régions périphériques, alors      récréative, par exemple, les contributions
que, dans les grandes régions touristiques      sont beaucoup trop faibles. Les véritables     Interview: Gregor Klaus et Maiann Suhner
comme le Bas-Valais ou la Haute-Enga­           prestations en faveur de la biodiversité
dine, on se montre toujours aussi géné­         continuent de recevoir la plus petite part
reux. Cette approche ne peut pas aboutir.       des subventions.

Certaines régions comme les parcs d’im­         De plus en plus d’alpages se transforment
portance nationale peuvent tout de mê-          en forêt, car l’exploitation des parcelles
me donner l’exemple.                            isolées et abruptes ne vaut plus la peine.
Bien sûr! C’est surtout vrai pour les ré­       Y aura-t-il de plus en plus de zones déser-
gions à forte vocation rurale. Je suis tout à   tiques dans les Alpes suisses?
fait partisan des parcs, qui favorisent un      Dans les Alpes suisses, même les secteurs
développement régional durable. Mais la         périphériques continuent d’être habités.
mise en valeur de la nature doit aussi de­      Un tourisme proche de la nature y offrira
meurer un aspect essentiel dans les parcs.      à l’avenir des possibilités d’emploi.
Nous ne parlons pas de zones résiduelles
insignifiantes, mais de 20% de la superfi­      Vous êtes président de la Commission in-
cie du pays. Il y a là une chance réelle de     ternationale pour la protection des Alpes
mettre en œuvre un développement du­            (CIPRA). Quelles ont été vos plus belles
rable de manière exemplaire.                    réussites?
                                                L’interconnexion des protagonistes à l’é­
Pourquoi le tourisme ne coopère-t-il pas        chel­le alpine a bien progressé au cours des
davantage avec l’agriculture, qui déter-        dernières décennies, même sur le plan in­
mine dans une large mesure la qualité du        ternational. Le travail de la CIPRA y a
paysage et donc les bases du tourisme?          beaucoup contribué. Face à de nombreux
L’agriculture n’est pas un partenaire fa­       défis, il existe aujourd’hui de bonnes
cile, car elle n’est souvent pas très récep­    amorces de solution et des projets de mo­
tive aux questions touristiques. Les pay­       dèles concrets. Les beaux projets ne

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HOTSPOT - Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27
Services écosystémiques
Biodiversité et stabilité du sol
Christian Rixen, écologie des populations, WSL Institut pour l’étude de la neige et des avalanches, SLF, CH-7260 Davos, rixen@slf.ch

Des études ont montré qu’une végéta­
tion alpine riche en espèces offrait la
meilleure protection face à l’érosion du
sol. Ces résultats revêtent une grande
importance pour la pratique, par exem­
ple pour le reverdissement des pistes de
ski aplanies.

La couverture végétale fournit une contri­                                                              1.6
bution déterminante à la stabilisation du
sol sur les terrains en pente et ainsi à la
réduction de l’érosion. L’effet protecteur
de la végétation se heurte toutefois à des                                                              1.2
                                                               Stabilité des agrégats (arcsin sqrt %)

limites, dans le cas d’épisodes naturels ex­
trêmes comme les laves torrentielles, ou
quand les plantes et la végétation sont dé­
                                                                                                        0.8
truites par l’activité humaine (surpâtu­
rage, construction d’infrastructure ou de
domaine skiable etc.). À l’inverse, une uti­
lisation durable et modérée sous forme de                                                               0.4
prairies ou de pâturages peut toutefois
aussi offrir une couverture végétale très                                                                                                                    r2 = 0.36***
stable.
Quel rôle la biodiversité joue-t-elle dans la                                                            0
stabilisation des sols? N’importe quelle                                                                      0        2         4         6      8         10        12          14        16
                                                                                                                                           Nombre d‘espèces végétales
pelouse composée de quelques espèces
suffit-elle? Ou faut-il privilégier une com­                                                                  Un plus grand nombre d’espèces végétales accroît la stabilité des agrégats du sol.
munauté d’espèces plus diversifiée? Un
projet de recherche s’est intéressé à la cor­
rélation entre biodiversité, pénétration
des racines et propriétés physiques du sol          tation à diversité variable et une couver­                                                      végétalisation en altitude de l’Association
sur des surfaces alpines abruptes (Pohl et          ture intégrale, afin de mesurer l’écoule­                                                       pour le génie biologique (www.ingenieur­
al. 2009, 2012). Les analyses ont été effec­        ment superficiel et l’érosion du sol. La di­                                                    biologie.ch) s’engage pour une végétalisa­
tuées là où elles s’avèrent particulière­           versité était mesurée sous forme de                                                             tion écologique et conforme à la station.
ment pertinentes pour la pratique: des              groupes dits fonctionnels (graminées,                                                           Autre étape importante: l’élaboration du
pistes de ski aplanies mécaniquement. Les           mousses et lichens, herbacées, et combi­                                                        «guide pour un accompagnement pédolo­
échantillons de sol ont fait l’objet d’une          naisons des trois groupes). La plus faible                                                      gique de la construction». De même, le
analyse de la stabilité de leurs agrégats;          érosion a été observée dans le cas d’une                                                        lancement du programme national de re­
autrement dit, dans quelle mesure le sol se         combinaison de graminées et d’herbacées                                                         cherche sur l’utilisation durable du sol,
maintenait-t-il sous forme d’agrégats ou se         ainsi que des trois groupes ensemble. Une                                                       qui entend notamment explorer l’in­
désagrégeait-il en fines particules? Tant le        couverture végétale composée exclusive­                                                         fluence des plantes sur la stabilité du sol
degré de couverture végétale que le                 ment de graminées se comportait à vrai                                                          et garantit en même temps le transfert du
nombre d’espèces exercent une influence             dire presque aussi bien. Ces résultats                                                          savoir au profit de la pratique, est une ex­
positive sur la stabilité du sol. Dans l’ana­       montrent aussi l’importance de la diversi­                                                      cellente chose. Dans les Alpes et dans un
lyse statistique, le nombre d’espèces l’ex­         té pour la protection contre l’érosion su­                                                      pays à forte biodiversité comme la Suisse,
pliquait toutefois nettement mieux que le           perficielle, mais les graminées ont à cet ef­                                                   l’exploration et la conservation de la bio­
degré de couverture (cf. illustration). C’est       fet la plus grande importance fonction­                                                         diversité jouent un rôle important, notam­
un résultat important, qui montre qu’il ne          nelle.                                                                                          ment pour la protection contre l’érosion
suffit pas d’obtenir une couverture végé­           L’important n’est pas seulement le constat                                                      et la stabilisation des pentes.
tale épaisse.                                       que la biodiversité remplit des fonctions
Dans un second temps, des expériences               vitales, mais aussi la mise en œuvre pra­                                                       Bibliographie
d’arrosage ont été effectuées sur une végé­         tique. Ainsi, le Groupe de travail pour la                                                      www.biodiversity.ch > Publications

HOTSPOT 27 | 2013   Dossier   Biodiversité alpine                                                                                                                                                  9
HOTSPOT - Biodiversité alpine Dialogue entre recherche et pratique Informations du Forum Biodiversité Suisse 27
Diversité spécifique
D’où vient la richesse des montagnes?
Christian Körner et Erika Hiltbrunner, département Sciences de l’environnement de l’Université de Bâle, CH-4056 Basel; ch.koerner@unibas.ch,
erika.hiltbrunner@unibas.ch

Pour l’être humain, les montagnes sont          diale pour les plantes à fleurs est détenu
froides et pauvres. Cette impression            par la saxifrage à feuilles opposées, sur le
empêche de considérer l’écosystème al-          site du Dom (VS), à 4505 m d’altitude (Kör­
pin comme particulièrement vulnérable.          ner 2011). Chaque nuit, durant les six se­
La riche diversité de petits biotopes et de     maines d’«été», le sol est givré; lorsque le
micro-habitats a pourtant pour effet que        soleil donne, le coussin végétal se ré­
ce milieu dispose, sur une petite échelle,      chauffe brièvement jusqu’à une tempéra­
de nombreux refuges et replis ainsi que         ture de 18° C.
d’un microclimat souvent favorable. Ce          Trois raisons expliquent la diversité sur­
climat diffère fortement des conditions         prenante de la vie en montagne: 1) les
de vie mesurées dans les stations météo-        forts gradients climatiques sur de courtes
rologiques. Si le climat évolue, la monta-      distances réunissent de nombreuses zones
gne sera mieux appropriée à la survie           climatiques sur un espace restreint; 2) la
que la plaine.                                  topographie crée des effets d’exposition
                                                au soleil, au vent et à la neige, qui en­       Fig. 1: La diversité écosystémique entraîne la diversité
L’écosystème alpin, zone naturellement          gendrent une mosaïque de petits biotopes        spécifique. Photo Christian Körner
dépourvue d’arbres, occupe en Suisse en­        et de micro-habitats offrant un vaste éven­
viron un quart de la superficie du pays.        tail de températures, de ressources en eau,     jour. Il importe toutefois que la majorité
Comme le climat est peu hospitalier à           de substrats et de ressources alimentaires      des petits habitats se maintiennent. Des
cette altitude, on suppose que le monde         (fig. 1); 3) de plus, la diversité des roches   mesures ont confirmé que le besoin de
vivant y est pauvre. Pourtant, à l’échelle      enrichit la variété des types de sol.           chaleur estimé des espèces végétales selon
mondiale, il y pousse davantage de plantes      La zone alpine, dernier grand paysage ori­      les valeurs indicatives de température de
à fleurs qu’on ne l’imagine en raison de la     ginel en Europe, offre une riche biodiver­      Landolt correspond parfaitement à la tem­
surface (Körner 2003, 2004). En Suisse, par     sité. La diversité des habitats fournit, sur    pérature effective du micro-habitat et
exemple, 20% de toutes les espèces de           une petite échelle, des abris et des possibi­   donc possède une grande valeur prévision­
plantes à fleurs sont alpines, ce qui paraît    lités de repli et d’isolement face à l’in­      nelle (Scherrer et Körner 2010).
disproportionné au regard de la surface         clémence du macroclimat (fig. 2). Si le cli­    Le changement climatique planétaire ac­
qui s’étend en amont de la limite de la fo­     mat évolue, la montagne offrira un lieu de      tuel peut cependant déclencher de nom­
rêt (roche, glace et neiges éternelles). D’où   survie sécurisé, ce qui explique que de         breuses modifications en montagne et à
vient cette richesse de vie dans des condi­     nombreuses espèces y aient résisté aux pé­      l’échelon local. L’allongement de la pé­
tions aussi «hostiles»?                         riodes glaciaires sous forme résiduelle. Les    riode sans neige à basse altitude et le sur­
                                                Alpes ont toujours été un refuge.               croît éventuel de neige charriée à haute
Mosaïque d’écosystèmes                                                                          altitude par suite des plus fortes précipita­
Les conditions de vie ne sont hostiles que      Faible risque d’extinction                      tions peuvent poser des problèmes. Envi­
pour les êtres humains et quelques              Comme certains types d’habitat subsistent       ron la moitié des espèces alpines ne se
groupes d’animaux. Nous avons apparem­          en montagne malgré l’évolution du climat        fient pas aux caprices du temps, mais leur
ment une vision très humaine de l’univers       et que seules leur étendue et leur fré­         évolution (bourgeonnement, floraison)
alpin. Pour la majorité des organismes al­      quence, et donc la taille des populations       suit un calendrier solaire ancré dans les
pins, la vie en plaine serait insupportable.    de certaines espèces, changent, le risque       gènes (photopériodisme). L’autre moitié
La renoncule des glaciers ne se trouve          de perdre des espèces est plus faible en        consiste en opportunistes, qui s’adaptent
dans aucun jardin botanique, car elle péri­     montagne qu’ailleurs. C’est pourquoi les        tout simplement au climat (espèces végé­
rait au bout de quelques semaines de «cha­      montagnes méritent une protection parti­        tales des combes à neige, p. ex.). Les pre­
leur». Il existe par conséquent une adapta­     culière face aux immixtions de l’homme.         mières profitent peu d’une période sans
tion physiologique à la vie en haute mon­       Si le climat se réchauffe de 2 degrés, la       neige prolongée: leur «rigidité» acquise
tagne, qui transforme l’adversité présu­        haute montagne ne perdra environ que            peut en effet créer des inconvénients, car
mée des conditions de vie en besoin. Les        3% des écosystèmes les plus froids entre        leur évolution et le climat ne sont plus en
petites plantes de montagne manipulent          2200 et 2700 m (fig. 3, Scherrer et Körner      conformité.
leur microclimat de telle sorte que bon         2010). Les organismes qui colonisent ces
nombre de processus liés à la croissance        niches vivent déjà aujourd’hui en majorité      Evolution problématique de l’environ­ne­
ne requièrent aucune adaptation spéci­          à une altitude supérieure. En revanche,         ment et de l’affectation du sol
fique à la vie en altitude.                     sur environ 16% du territoire alpin, de         D’après les connaissances actuelles, l’aug­
Le record de froid absolu à l’échelle mon­      nouveaux habitats plus chauds voient le         mentation de la concentration de CO2 dans

10                                                                                                                                   HOTSPOT 27 | 2013
l’atmosphère n’a pas d’influence favorable                    agricole dans les zones péri-urbaines et                                           l’écosystème alpin. Si la limite de la forêt
sur les plantes alpines. Les expériences                      son extensification sur les parcelles ab­                                          avait suivi le réchauffement des 150 der-
menées avec des espèces de marge pro-gla-                     ruptes et difficiles d’accès entraînent un                                         nières années, elle se situerait déjà aujour­
ciaire ont même abouti à des effets néga-                     appauvrissement de la biodiversité en                                              d’hui 100 mètres plus haut. Les épisodes
tifs, sans doute en raison de l’ex­cédent                     montagne, aux conséquences souvent                                                 extrêmes et la lente croissance des Alpes à
d’hydrate de carbone induit, qui trans-                       inattendues. Le chargement de l’atmos-                                             cette altitude ont retardé ce processus
forme, du moins temporairement, les mi-                       phère en composés nitrés solubles prove-                                           (Körner 2012). Le dégagement de surfaces
crobes du sol en concurrents alimentaires                     nant de l’agriculture et des processus d’in-                                       se situant encore aujourd’hui sous une
par le biais d’exsudations racinaires. Les                    cinération modifie l’éventail des espèces                                          glace et une neige prétendument éter-
deux changements les plus graves sont les                     au profit d’espèces nitrophiles et au détri-                                       nelles réduira cette perte d’écosystème al-
modifications de l’af­fectation du sol et le                  ment d’espèces de petite taille, sélection-                                        pin. Des millénaires de pédogénèse font
regain de disponibilité en azote résultant                    nées pour une faible croissance et une                                             toutefois défaut pour permettre une végé-
de l’apport d’azote atmosphérique ou                          longue vie.                                                                        tation alpine compacte.
d’une multiplication de plantes expan-                        Comme la limite naturelle de la forêt dé-
sives, fixatrices d’azote (cf. p. 18).                        pend largement de la température, elle se                                          Bibliographie
Ces facteurs agissent sur une grande                          déplacera vers l’altitude sous un climat                                           www.biodiversity.ch > Publications
échelle. L’intensification de l’exploitation                  plus chaud et réduira ainsi la surface de

Fig. 2: Les données des stations météorologiques en disent peu sur le climat
effectivement vécu par les plantes et les petits animaux de l’étage alpin. Les
images d’une caméra thermique indiquent une mosaïque de températures
                                                                                                                       0.3                             Actuel     Futur
déterminée par la topographie. Sur cette pente, des écarts de température de
8 °C ont été mesurés par rapport à la température moyenne, ce qui correspond
à une différence d’altitude de 1500 m dans l’atmosphère (Scherrer et Körner
2010). Photo Daniel Scherrer
                                                                                     Fréquence des températures (∆T)

                                                                                                                                    Diminution (75%)                             Accroissement (22%)
                                                                                                                       0.2

                                                                                                                       0.1

                                                                                                                                                                                         Nouveau (16%)
                                                                                                                             Perte (3%)
Fig. 3: Répartition de la fréquence des micro-habitats à température moyenne
saisonnière variable entre 2200 et 2700 m, dans les Alpes centrales. A gauche,                                         0.0
répartition actuelle; à droite, répartition sous une température de 2° C plus                                                   5                           10                            15
élevée (Scherrer et Körner 2010)                                                                                               Température saisonnière moyenne au sol (3 cm de profondeur, °C)

HOTSPOT 27 | 2013         Dossier     Biodiversité alpine                                                                                                                                              11
Diversité génétique
Les Alpes, barrière et creuset
Felix Gugerli, Niklaus E. Zimmermann et Rolf Holderegger, Institut fédéral de recherche WSL, CH-8903 Birmensdorf, felix.gugerli@wsl.ch

Du point de vue de la biodiversité euro-                       Biodiversité aux multiples facettes                             montre que la biodiversité présente davan­
péenne, l’arc alpin joue un rôle prépon-                       Une vaste étude a décrit les zones de forte                     tage de facettes que ne l’exprime le simple
dérant. Le schéma de répartition large-                        biodiversité de l’arc alpin (Taberlet et al.                    nombre d’espèces. Mais pourquoi les es­
ment naturel des espèces et de leurs                           2012). L’étude s’est notamment intéressée                       pèces et les gènes présentent-ils des sché­
gènes révèle de multiples processus éco-                       à la corrélation géographique éventuelle                        mas géographiques différents?
logiques et historiques, comme le montre                       entre la richesse spécifique et la diversité
un projet international à l’exemple des                        génétique. Si c’était le cas, le nombre d’es­                   Zones de contact
plantes alpines. Pour que soient préser-                       pèces pourrait équivaloir à la diversité spé­                   chez les espèces à silicate
vées non seulement les espèces mais                            cifique.                                                        Comme les plantes alpines ont souvent
aussi leur adaptabilité, nous préconisons                      Afin de tester cette hypothèse, l’étude a                       une nette prédilection pour les substrats
une protection dynamique, facilitant le                        recensé selon une grille régulière le                           soit alcalins soit acides, il est justifié de
déroulement des processus démogra-                             nombre des espèces végétales principale­                        distinguer les espèces à silicate et celles à
phiques naturels.                                              ment présentes dans la zone alpine (carte                       calcaire. Les données ont donc été analy­
                                                               A). Il s’est avéré que le sud-ouest des Alpes                   sées en fonction d’une différenciation flo­
Dans l’arc alpin, la dernière ère glaciaire                    notamment était riche en espèces. En                            ristique et génétique (Thiel-Egenter et al.
surtout a exercé une influence détermi­                        outre, des différences majeures étaient                         2011). Sur la base des territoires des es­
nante sur l’extension territoriale des dif­                    constatées entre les zones périphériques,                       pèces et des allèles, il a été possible de dé­
férentes espèces. Il est permis de se de­                      plutôt pauvres en espèces, et les Alpes cen­                    terminer où les limites des territoires des
mander dans quels refuges les espèces al­                      trales. La présence moindre d’espèces dans                      espèces et des allèles coïncidaient. Ces
pines ont survécu à la glaciation maximale                     les zones périphériques est sans doute en                       zones dites de contact se situent vraisem­
et comment leur territoire actuel a été co­                    grande partie imputable au fait que ces                         blablement là où se rencontrent les che­
lonisé. Selon une hypothèse courante, cer­                     zones offrent moins d’espace vital aux                          mins de retour d’espèces différentes ou les
taines régions sont d’autant plus riches en                    plantes alpines.                                                lignes de parenté évolutives provenant de
espèces qu’elles se situent à proximité des                    Afin d’évaluer la diversité génétique, l’étu­                   divers refuges glaciaires. Nous prévoyons
refuges glaciaires, car toutes les espèces                     de a établi l’empreinte génétique de 27 es­                     donc que ces zones présentent une grande
n’ont pas atteint les habitats libérés au                      pèces très répandues provenant d’une case                       biodiversité, ce qui est en relative contra­
cours du retour postglaciaire et la compo­                     sur deux de la grille. A ce niveau de la bio­                   diction avec l’hypothèse énoncée au dé­
sition spécifique s’est appauvrie à mesure                     diversité, il est aussi possible d’identifier                   but, selon laquelle la diversité décroîtrait à
que s’accroissait la distance par rapport à                    un effet marginal, qui se limite toutefois                      mesure que la distance augmente par rap­
la région d’origine. Par analogie, cette hy­                   au sud des Alpes, génétiquement moins                           port aux zones de refuge.
pothèse devrait aussi s’appliquer à la di­                     diversifié (carte B). En revanche, le nord-                     L’exemple des espèces privilégiant les sols
versité génétique, car les mêmes processus                     est des Alpes se distingue par une diversité                    acides a révélé l’existence de trois zones de
– migration et dérive – affectent les es­                      génétique très élevée. En raison des diffé­                     contact; elles se situent dans la région du
pèces et les gènes. Mais l’exemple des                         rences de répartition de la diversité spéci­                    val d’Aoste, du Brenner et du Tauern, et
plantes alpines montre que cette interpré­                     fique et génétique (allèles), aucune corré­                     divisent les Alpes le long d’un axe est-
tation est insuffisante.                                       lation n’a été trouvée entre le nombre                          ouest. Il est intéressant de constater que la
                                                               d’espèces et la diversité génétique. Cela                       situation de ces zones de contact entre es­

Le recensement de la diversité génétique s’est fondé sur la collecte et l’analyse génétique de 27 espèces aux exigences écologiques variées, et très répandues dans l’ensemble de l’arc
alpin, parmi lesquelles la renoncule alpestre (Ranunculus alpestris), le trèfle alpin (Trifolium alpinum) et le céraiste à fleurs solitaires (Cerastium uniflorum).
Photo 1 et 2: Felix Gugerli, Foto 3: Michal Ronikier

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