THINK ACT - Roland Berger

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THINK ACT - Roland Berger
THINK
ACT
BEYOND MAINSTREAM

                                                                          Avril 2016
                                                                                2015

Industrie 4.0
Mastering   the:
Transformation
la transition quantifiée
                 Journey
Comment  la quatrième
A comprehensive guide révolution   industrielle
                        to reinventing companiescrée une nouvelle donne
économique, sociale et industrielle
THINK ACT - Roland Berger
2 THINK ACT
  Industrie 4.0
                                                           S P ÉC I
                                                                      AL

                                3
                                                            P
                                                     INDUS AYS
                                 THE BIG             LES PR
                                                            TRIAL
                                                                  ISÉ
                                                            INCIPA S :
                                                       LEVI         UX
                                                    DÉVEL ERS DE
                                                         OPPEM
                                                                 ENT
                                                          P. 9

                          +25 points
        c’est l’accroissement potentiel du retour sur capital
       engagé (ROCE) d’une entreprise industrielle, en 2035,
                  après la transition à l’industrie 4.0.
                                   Page 6

                  420 milliards d’euros
    c’est le potentiel de création de valeur généré par la mise
         en place de l’industrie 4.0 en Europe de l’Ouest.
                                  Page 17

                         ~10 millions
               c’est le potentiel brut de recréation d’emplois
              en Europe de l’Ouest généré par l’industrie 4.0.
                                  Page 15
THINK ACT - Roland Berger
THINK ACT 3
                                                                                                                                                                  Industrie 4.0

                                                    L’industrie 4.0 :
                                                    un changement de
                                                    paradigme de la
                                                    stratégie industrielle.
                                                    L’industrie 4.0 ne peut pas être résumée à sa dimensi-          UNE NOUVELLE LOGIQUE ÉCONOMIQUE
                                                    on technique. Toutes ses composantes technologiques             Aujourd’hui encore, tout est organisé pour une dégres-
                                                    sont disponibles : virtualisation d’usine, machines             sivité du coût grâce au volume de produits fabriqués.
                                                    connectées et intelligentes, iOT, cyber production sys-         Ce paradigme industriel est aujourd’hui remis en
                                                    tem, 3D, Cobot, AGV, etc.                                       cause car il bute sur une limite : dans un contexte d’in-
                                                         Toutes les entreprises ont lancé des pilotes pour les      certitudes sur les volumes (dû à la crise économique),
                                                    tester et les mettre en œuvre. Cependant, peu ont réel-         et d’augmentation croissante de la diversité des clients
                                                    lement exploité l’ensemble de son potentiel pour                et de leurs attentes, les investissements nécessaires
                                                    mettre en place de nouveaux modèles. Elle représente            pour fabriquer des produits au coût le plus bas et en
                                                    une transformation bien plus globale, dont nous                 grande quantité ont créé une tendance inflationniste
                                                    sommes à l’aube.                                                sur le capital engagé, par manque de flexibilité ou
                                                         A travers l’industrie 4.0, c’est tout le paradigme de la   sous-utilisation de l’outil industriel.
                                                    stratégie industrielle qui se trouve transformé, y com-              L’industrie 4.0 permet, elle, une augmentation du
                                                    pris sa logique économique et les mécanismes de créa-           retour sur le capital engagé (ROCE). Ainsi, elle utilise
                                                    tion de valeur qui la sous-tendent. L’industrie passe en        l’actif physique au maximum de ses possibilités.
                                                    effet d’une logique de production de masse à celle de            Elle réduit le coût de la complexité, qui est portée par
                                                    personnalisation de masse. Elle ne repose plus sur les          la composante numérique d’un produit ou d’une ma-
Cover photo: Getty Images /DigitalVision; Fotolia

                                                    effets d’échelle et de volume, mais sur une production           chine standardisée. Ainsi, l’imprimante 3D est une ma-
                                                    flexible et localisée près de la demande. Elle fabrique         chine standard, mais la diversité des produits fabri-
                                                    « à la demande » et ne fait plus de stocks, avec une adap-      qués est infinie. L’industrie 4.0 minimise les temps
                                                    tation dynamique à la demande. Elle est davantage pré-          d’immobilisation avec la maintenance prédictive.
                                                    dictive, auto-corrective et produit plus juste du premier       Les machines intelligentes adaptent la façon de fabri-
                                                    coup. Elle place l’usage et non plus le produit au cœur         quer et autocorrigent les défauts, elles permettent de
                                                    de sa logique. Enfin, elle passe d’une organisation du          réduire les rebuts, les essais et les problèmes de quali-
                                                    travail rigide, héritée du taylorisme, à une organisation       té. L’industrie 4.0 localise les actifs proches des clients
                                                    flexible, avec à la clé une plus grande attractivité du tra-    finaux (moins de transports, meilleure utilisation des
                                                    vail. Elle représente potentiellement, pour chaque entre-       moyens logistiques), elle élimine les stocks intermé-
                                                    prise, un changement complet de logique économique.             diaires. A
4 THINK ACT
  Industrie 4.0

  A
  NOUVELLE ROUTE OU IMPASSE ?
  3 OPTIONS POUR LE DÉVELOPPEMENT
  Nous avons analysé le développement de l’industrie au niveau de l’entreprise
  et du pays. En utilisant le retour sur capitaux engagés, nous pouvons en
  calculer les effets et tirer des conclusions.

   1                               2                                3
  AUTOMATISATION                   OBSOLESCENCE                     INDUSTRIE 4.0               La rentabilité est améliorée
                                                                                                avec l’Industrie 4.0 grâce à
  Produits à forte valeur          Valeur ajoutée moyenne ou        Produits à forte valeur     une réduction des coûts de
  ajoutée et marges élevées        faible, faibles marges           ajoutée et marges élevées   main-d’œuvre et un taux
  Forte intensité capitalistique   Production intensive             Production flexible         d’utilisation d’actifs
  Haut niveau d’automatisa-        Moyens de production amor-       ROCE élevé                  maximisé, qui compensent
  tion / parc machine moderne      tis ou obsolètes                                             l’augmentation des
                                                                                                amortissements liés à
  PROFITABILITÉ                                                                                 l’automatisation. Les marges
                                                                                                sont également améliorées
  (EBIT/valeur ajoutée)                                                                         grâce à la valeur accrue des
                                                                                                produits, du fait de leur
                                                                                                personnalisation et de la
                                                                                                flexibilité.
                     Courbe Iso ROCE                                                            La rotation de l’actif est le
                     (e.g 15%)                                                                  chiffre d’affaire généré pour
                                                                                                chaque euro de Capital
                                                                                                Engagé (actifs immobilisés et
                                                                                                besoin en fond de

                                                                3
                                                                                                roulement). L’Industrie 4.0
                                                                                                permet une meilleure
                                                                                                utilisation des actifs
                                                                                                (réduction du temps de

                     1                                                                          changement des produits;
                                                                                                réduction des arrêts
                                                                                                machine, des stocks et du
                                                                                                temps de maintenance...). Il
                                                                                                est également un indicateur
                                                                                                d’intensité capitalistique :
                                                                                                plus la rotation de l’actif est
                                                                                                basse, plus le secteur de
                                                                                                l’industrie est intense en
                                                                                                capital.
                                                                                                Une industrie à faible

                                                 2                                              rotation des actifs et forte
                                                                                                marge (automatisation) peut
                                                                                                présenter le même ROCE
                                                                                                qu’une industrie à forte
                                                                                                rotation de capital et faible
                                                        ROTATION DU CAPITAL                     marge (obsolescence).
                                           (Valeur ajoutée ou ventes / Capital engagé)
THINK ACT 5
                                                                                                             Industrie 4.0

Avec ce nouveau mode de fonctionnement, le capital            sibles, améliorant ainsi l’utilisation des outils. L’impact
engagé est beaucoup mieux utilisé. Il n’est pas plus          sur le métier est très important : abandonnant une lo-
cher - voire moins, car les technologies de l’industrie       gique d’inspection physique, l’opérateur va devoir inté-
4.0 sont moins onéreuses que celles de la génération          grer une logique de diagnostic et de résolution de pro-
précédente. De plus, l’intégration et l’unicité des systè-    blème.
mes d’information sont moins coûteux que la pléthore          Enfin, le « cyber système de production », véritable
de systèmes et interfaces informatiques existants. Ain-       couche de pilotage de l’usine et de ses fournisseurs,
si, le surcoût de l’investissement dans les équipements       permet la personnalisation de masse, la réadaptation
et logiciels supplémentaires sera compensé par la             du plan de production à une variation de la demande
meilleure utilisation de l’ensemble de la chaîne.             ou à un besoin de réactivité. Il permet de passer d’une
                                                              logique « push » (on fabrique pour stocker), qui incite à
LES CLÉS DE LA TRANSFORMATION                                 faire des remises pour écouler les produits, à une lo-
Roland Berger a simulé l’impact du passage à l’indus-         gique « pull » (on fabrique sur commande), sans stock
trie 4.0. sur une usine typique de l’industrie équipe-        d’invendus, via une bien meilleure flexibilité et réacti-
mentière automobile avec cinq leviers de transforma-          vité au client. Cela remet en cause les métiers de plani-
tion principaux :                                             fication, de logistique, les pratiques de pilotage, qui
L’usine virtuelle, qui va permettre d’industrialiser les      vont être transformés.
nouveaux produits virtuellement avant de perturber le
système physique, améliorant ainsi la capacité à lancer       Nous avons calculé l’impact de ces leviers : le ROCE
des nouveaux produits en réduisant drastiquement le           augmente de 15% à 40% et la marge de 6 à 12%. Le taux
temps de mise au point de la production qui aura été          d’utilisation de l’usine passe de 65% à 90%. B
fait virtuellement en amont. Elle va aussi permettre               Certes, le personnel nécessaire au fonctionnement de
d’améliorer le pilotage de l’usine en conférant à             l’usine est réduit de moitié environ, mais une telle usine
l’équipe de direction une nouvelle façon de piloter et        replace l’humain au centre de ce nouveau modèle. La
d’intervenir sur les opérations.                              transformation humaine et l’impact sur les compétences
L’automatisation des flux, via des véhicules autonomes        et qualifications sont très significatifs. L’usine du futur
ou des Cobots, améliore relativement peu la rentabili-        donnera une place à tous les niveaux de qualifications.
té, les économies sur les coûts logistiques étant en par-     Les solutions du 4.0 sont accessibles à tous. Ainsi, faire
tie compensés par les investissements en solutions.           marcher un Cobot est bien plus simple que de program-
Cependant, l’enjeu n’est pas de faire de l’automatisa-        mer un robot industriel et requiert bien moins de qualifi-
tion, mais d’accroître la flexibilité et réactivité du sys-   cations. Aucun métier actuel ne va disparaître. Il restera
tème global, et de réduire la taille des stocks et encours,   toujours des métiers de qualité, maintenance, sécurité,
ce qui impact le ROCE. Un tel système automatisé va           mais chacun va voir évoluer sa composante « empa-
permettre à l’équipe d’accomplir des tâches impos-            thique », (relation avec le client interne, compréhension
sibles à réaliser par une équipe humaine tant la combi-       du besoin, résolution du problème), et sera délesté de sa
natoire des flux et colis ou pièces sera grande à cause       composante répétitive, routinière. De nouveaux métiers
de la personnalisation.                                       vont apparaître : système, cyber-sécurité, big data, réalité
Les « smart machines » représentent ensuite un levier         virtuelle. Le mode de travail sera différent : des équipes
important. Ces machines autonomes n’ont plus be-              apprenantes qui vont réunir des compétences locales,
soins d’opérateurs pour les faire fonctionner, s’auto-        internes et externes à l’entreprise, seront dirigées par des
corrigent elles-mêmes et peuvent fonctionner de façon         managers coach. Enfin, la qualité de vie au travail sera
autonome et interconnectées, la nuit par exemple.             aussi grandement améliorée. Les tâches pénibles et répé-
Elles permettent un bien meilleur temps d’utilisation.        titives seront automatisées. L’humain se concentrera sur
L’homme qui les pilote a donc une approche très diffé-         le fonctionnement, travaillera beaucoup plus en équipe
rente des problèmes à résoudre pour corriger ou stabi-        et aura le sentiment de mieux contrôler ses actifs. Au fi-
liser : il passe du faire au faire faire.                     nal, un tel environnement a la capacité de redonner une
Les systèmes de maintenance prédictive permettent de          nouvelle image à l’industrie, une image de modernité
mieux planifier les temps d’arrêts machines car prévi-        plus attractive pour la jeunesse et plus enrichissante. C
6 THINK ACT
  Industrie 4.0

  B
  COMMENT MIEUX UTILISER
  LE CAPITAL ?
  Nous avons simulé les effets de l’Industrie 4.0 pour un équipementier
  automobile moyen : le ROCE augmente alors de 25 points de pourcentage.

  Effets de l’Industrie 4.0

  ROCE
                           15%
                                                       40%

  PROFITABILITÉ
            6.0%
                      13,1%

  UTILISATION GLOBALE DES ACTIFS INDUSTRIELS
                                                                   65%
                                                                               90%

  ROTATION DES ACTIFS (Ventes/Capital engagé)
                                           2,5
                                                 3,1

  PARC MACHINE
                                                                                     100%
                                                                         70%

  PERSONNEL
                                                                                     100%
                                                             55%

      Aujourd’hui          Industrie 4.0

  Source : Roland Berger
THINK ACT 7
                                                                                                                       Industrie 4.0

C
UN NOUVEAU MODÈLE ÉMERGE...
Trois exemples illustrent les progrès apportés par ce nouveau paradigme
 aux entreprises mettant en application l’Industrie 4.0

ALLEMAGNE                                     ÉTATS-UNIS                                    JAPON
Adidas                                        Local Motors                                  Okuma
invente la « speedfactory »                   fabrique les voitures au garage               et son usine autonome 24/7
Fabriquer des chaussures de sport             A la façon des Fablabs, Local Motors          Le fabricant japonais de machines
sur-mesure et au plus près des                (LM) pose une question simple :               outils a mis au point un process
consommateurs : c’est le défi que se          pourquoi continuer à s’adresser aux           complet de fraisage qui peut
propose de relever dès l’été 2016 le          constructeurs automobiles pour                fonctionner de façon autonome
spécialiste de l’habillement des sportifs     développer et construire son véhicule ?       24h/24 et 7 jours sur 7 sans
Adidas avec sa Speedfactory. A l’origine      Afin de permettre à tous de faire un          intervention humaine. Le process est
de ce développement, un constat : avec        autre choix, cette jeune pousse a créé        capable de sélectionner les outils de
des délais de 18 mois entre le design des     une communauté de membres,                    découpe automatiquement et de les
nouveaux modèles et leur arrivée en           ingénieurs, chercheurs, designers,            changer lorsque cela est nécessaire.
magasin, un coût de main d’œuvre en           ou tout simplement passionnés de              L’approvisionnement de la matière
hausse et une empreinte carbone               mécanique et d’automobile, qui                est automatique, ainsi que le
élevée, la sous-traitance en Asie de la       partagent leurs expériences et leurs          système de collecte des chutes de
fabrication des chaussures de sport           compétences sur des projets concrets,         métal. L’ensemble des opérations se
devient de moins en moins attractive.         en particulier le développement de            visualise dans des tablettes de type
La solution de l’Allemand : un nouveau        véhicules « open- source ». Le dispositif     iPad. Même le système
concept d’usine, qui produit des              est complété par des « micro-usines »,        d’amélioration continue (Kaizen),
chaussures sans couture, à l’aide d’un        des ateliers complets permettant de           si cher aux Japonais, est aussi
procédé automatisé inédit. Mise au            mettre au point des prototypes, de les        automatisé grâce à un logiciel qui
point dans le cadre d’un projet avec          industrialiser et d’assembler des             s’appuie sur les relevés d’alerte
d’autres industriels et des instituts de      produits en petite série. L’aventure a        provenant de la machine lors de la
recherche (Johnson Controls, KSL              commencé avec un projet de véhicule           production. Les opérateurs ne sont
Keilmann, Fortis institute et l’institut      tout-terrain baptisé Rally Fighter.           là que pour superviser la ligne et
textile ITA RWTH), cette « usine rapide »     L’entreprise de 107 employés, forte           réaliser des tâches à forte valeur
pousse la modularité assez loin pour          d’une communauté de 51 700 membres            ajoutée. La productivité a été
faire travailler l’homme et la machine        travaillant sur 81 projets, dispose de        doublée une fois par l’automatisation
ensemble, côte à côte, et certaines           3 micro-usines et compte en créer 100         complète du processus et une autre
tâches peuvent être réalisées par l’un ou     dans les 10 ans à venir. Il s’agit de sites   fois par le système Kaizen
l’autre. Le résultat, un site de production   de production en séries restreintes mais      automatique.
qui tient dans un semi-remorque et peut       très personnalisées. L’entreprise s’est
produire des running à l’unité de             notamment fait connaître avec un autre
manière automatisée, donc sans                projet : LM3D, un véhicule entièrement
dépendre du coût local de la main             fabriqué en impression 3D dont la
d’œuvre et en éliminant les coûts de          commercialisation est prévue courant
transport. Et surtout, cette innovation       2016. Récemment, elle a également
permet de pouvoir sortir de nouvelles         créé, avec le géant américain General
séries sous 45 jours, pour répondre aux       Electric, le réseau Firstbuid. Celui-ci
envies et aux besoins du moment et            reprend la même philosophie que LM,
mettre en œuvre le « fast fashion »,          mais travaille sur le développement
business model inventé par Zara et            d’appareils électroménagers de demain.
H&M. La première Speedfactory verra           Le partage des idées se fait via un
le jour à Ansbach, en Allemagne.              réseau social ; la fabrication, quant à
                                              elle, est assurée via une micro-usine
                                              dédiée.
8 THINK ACT
  Industrie 4.0

  Industrie 4.0 : ou l’entrée
  dans l’après-désindus-
  trialisation.
  La transformation qu’opère le passage à l’industrie 4.0       période 2000-2014, laissant apparaître des différences
  ne se résume pas à ses impacts micro-économiques,             édifiantes.
  même si c’est d’abord au niveau de chaque entreprise               Partout dans le monde, les politiques industrielles
  qu’elle s’observe. Le passage à l’industrie 4.0 est aussi     visent souvent les mêmes objectifs : gagner en compé-
  un enjeu macro-économique majeur, qui se pose au-             titivité et relocaliser ou conserver des activités. En re-
  jourd’hui à tous les grands pays industriels. Le retour       vanche, les façons d’y parvenir et les enjeux pour
  sur capital engagé ROCE, pertinent à l’échelle d’un équi-     chaque pays diffèrent, en fonction de la force de son
  pement ou d’une usine, l’est également à l’échelle d’un       industrie et de son économie, de son degré d’automa-
  pays entier : son évolution traduit la voie choisie par une   tisation, de l’importance de ses marchés locaux…
  nation en termes de politique industrielle. A D               Chaque pays investit donc l’industrie 4.0 comme un
      La première voie est celle de l’automatisation. Mais      levier pour répondre à des enjeux spécifiques. Ainsi
  elle n’améliore pas fondamentalement le ROCE : elle           l’accroissement de la valeur ajoutée industrielle par
  augmente le capital engagé par l’effet de l’investisse-        une plus grande compétitivité est au cœur des straté-
  ment. La rotation de l’actif diminue et les entreprises       gies allemande, chinoise ou américaine, tandis que la
  deviennent plus intensives en capital. Le profit aug-         France ou le Japon poursuivent davantage la relocalisa-
  mente avec le remplacement d’activités manuelles par          tion de l’activité industrielle à travers la désensibilisa-
  des activités automatisées. In fine, les deux phéno-          tion au coût du travail. Devenir ou rester leader du mar-
  mènes ont tendance à s’équilibrer et le ROCE reste le         ché des solutions industrielles à l’échelle mondiale est
  même. A l’inverse, la route de l’obsolescence indus-          un argument clé en Allemagne, et dans une moindre
  trielle se caractérise par un profit qui diminue, entraî-     mesure en Chine. Accroître la satisfaction au travail,
  nant une baisse du niveau d’investissement, qui de-           améliorer la durabilité de l’industrie ou capitaliser sur
  vient inférieur aux dépréciations. Ainsi le capital           une meilleure image à travers l’industrie 4.0 sont des
  engagé diminue, mais la rotation de l’actif (CA/CE)           motifs plus importants au Japon et en France. E F
  augmente artificiellement, compensant alors la baisse
  du profit et maintenant un ROCE constant.                     ALLEMAGNE : UNE STRATÉGIE
      Or la voie de l’industrie 4.0 se caractérise par une      À LA FOIS DÉFENSIVE ET OFFENSIVE
  augmentation du ROCE, portée à la fois par une mo-            L’Allemagne est le seul exemple de pays dont l’industrie
  dernisation de l’actif industriel et une utilisation de ce    a significativement amélioré son ROCE sur les 15 der-
  dernier au maximum de ses possibilités. A ce jour,            nières années. En effet, malgré une légère baisse (9%) de
  seule l’Allemagne est véritablement engagée sur cette         ses emplois, l’industrie allemande a vu sa valeur ajoutée
  trajectoire. Roland Berger a reconstitué le ROCE des          augmenter de 80% entre 2000 et 2014 et son profit bon-
  industries des grandes nations et leur évolution sur la       dir de 158 %. Sur cette période, les investissements y
THINK ACT 9
                                                                                                                         Industrie 4.0

D
DIFFÉRENTES STRATÉGIES –
DIFFÉRENTS RÉSULTATS
Un monde de désindustrialisation : les Etats-Unis ont augmenté leurs profits
en investissant dans l’automatisation. La France et le Japon ont
insuffisamment investi alors que les profits ont diminué. Seule l’Allemagne
a vu ses profits augmenter en même temps que sa rotation des actifs.
Évolution du Retour sur Capital Engagé par pays
(Secteurs de l’industrie, mines et utilities, 2000-2014)

PROFITABILITÉ
(EBIT/valeur ajoutée)

 35%          Corée du Sud                                              Industrie du pays          iso ROCE
                                                                            2000         2014

 30%          Chine                              États-
                                Brésil           Unis

 25%
                      Espagne                                                                              Allemagne

 20%                                                              Royaume-Uni
                                                                                                                       30%

  15%

                                                                                                                       20%
  10%
                             Italie

   5%
                                                 Japon
                                                                                                                       10%
                                                                                   France

   0%
        0,3              0,5               0,7              0,9   1,1              1,3           1,5             1,7
                                                                                         ROTATION DU CAPITAL
Source : IHS Global Insight, Diane, Analyse Roland Berger                            (Valeur ajoutée / Capital engagé)
10 THINK ACT
   Industrie 4.0

   E
   UN BUZZ MONDIAL
   L’Industrie 4.0 est un concept né en 2010 en Allemagne
   et dévoilé au grand public par le VDMA en 2011, à la Foire de Hanovre.
   Aujourd’hui l’Industrie 4.0 est connue dans l’ensemble du monde.

   Déploiement international : les initiatives lancées par pays

   JAPON                                        CORÉE DU SUD                                                  FRANCE
   Revitalization/Robotics Strategy :           Manufacturing Innovation 3.0 :                                Industrie du Futur :
   Augmenter la productivité de                 Créer un écosystème fondé sur les                2015         Soutenir le développement de
   l’industrie de services, déployer            nouvelles technologies, encourager le                         produits spécifiques (voiture
   la robotique d’ici 2020                      développement de Smart Factory                                efficace, avion électrique, etc.)

                                         BELGIQUE                                              CHINE
                                         Intelligent factories clusters :                      Made in China 2025 :
                                         Soutenir le développement             2014            Créer une nation industrielle forte avec
                                         des Usines du Futur                                   une priorité sur la numérisation et la
                                                                                               modernisation de 10 secteurs

                      Qu’est-ce que l’Industrie 4.0 ? Elle symbolise l’entrée de l’industrie mondiale dans sa quatrième
                    révolution, qui combine trois innovations technologiques – l’automatisation, l’internet des objets et
                l’intelligence artificielle – pour créer des modèles industriels et économiques de rupture. Ce qui aurait pu
                n’être perçu que comme une opération marketing des fournisseurs d’équipements industriels est devenu,
                      en quelques années, une préoccupation mondiale, partagée par toutes les nations industrielles.

                                                            ITALIE
                                                            Intelligent factories clusters :
                                              2012          Structurer la communauté
                                                            industrielle pour développer la
                                                            recherche autour de 4 projets

                                          ÉTATS-UNIS                                            ROYAUME-UNI
                                2011      Advanced Manufacturing Partnership 2.0 :              Catapult centers :
                                          Créer des emplois industriels hautement               Doubler la contribution de l’industrie
                                          qualitatifs et améliorer la compétitivité             au PIB

                            ALLEMAGNE
                            Industrie 4.0 platform :
             2010           Approche commune des principales
                            associations professionnelles
                            industrielles : BIKOM, VDMA, ZVEI

       Source : Roland Berger
THINK ACT 11
                                                                                                             Industrie 4.0

ont été à peu près équivalents aux dépréciations et l’ac-     L’industrie du futur représente l’opportunité pour la
tif beaucoup mieux utilisé, puisque le taux d’utilisation     France d’opérer son retour industriel. Malgré sa fai-
des équipements de production est passé de 85% en             blesse dans le secteur des machines, la numérisation
1998 à 95% en 2014. Résultat, le ROCE de l’Allemagne          du système de production peut permettre à la France de
est passé de 12% en 2000 à plus de 30% en 2014. Le            se repositionner, grâce à ses compétences dans le nu-
capital engagé, constant, produit beaucoup plus au-           mérique et la virtualisation, mais aussi grâce à son ré-
jourd’hui qu’il y a 15 ans. C’est le « miracle allemand ».    cent écosystème de start-ups grandissant. Ensuite, l’in-
     L’Allemagne est confrontée à de nombreux défis qui       dustrie du futur peut offrir l’opportunité de recréer un
motivent l’industrie 4.0 : renchérissement du coût du         outil de production nouveau, qui évite ou contourne les
travail après une décennie de maîtrise forte des sa-          contraintes du précédent, en étant moins sensible au
laires, coût de l’énergie en hausse à l’avenir et nécessité   coût du travail et contraintes associées. Il est en effet
de renouveler ses infrastructures. Sur le plan démogra-       plus crédible de passer directement à des usines neuves,
phique, une pénurie d’employés qualifiés constitue un         numériques, totalement optimisées et reposant sur des
facteur inflationniste. L’industrie 4.0 doit lui permettre    nouveaux modèles de business, plutôt que de chercher
de prévenir ce risque de perte de compétitivité poten-        à moderniser des actifs obsolètes. Elle peut aussi per-
tielle du modèle actuel.                                      mettre de redorer son image auprès du grand public.
     En outre, l’Allemagne est également productrice de       Ainsi, si les conditions le permettent, la France pourrait
solutions industrie 4.0, avec ses géants Siemens et Bosch     très bien être le terreau d’une certaine relocalisation
et de nombreuses ETI spécialisées dans les équipements        industrielle, pour fabriquer des produits aujourd’hui
de production. Ce secteur pèse plus de 3% dans le PIB         délocalisés (textile, voiture segment B, etc..), et ainsi re-
national. L’Allemagne compte sur le développement             créer de l’emploi qualifié. L’industrie 4.0 en France
d’offres 4.0 pour continuer de dominer le marché mon-          constitue donc un levier de développement et de diffé-
dial et préserver ses volumes de production.                  rentiation important pour les ETI et les start-ups.
     La stratégie 4.0 de l’Allemagne est donc défensive
(préserver ses productions, être d’avantage flexible pour     ÉTATS-UNIS : UNE STRATÉGIE
faire face aux crises des marchés internationaux), et of-     DE RELOCALISATION INDUSTRIELLE
fensive (garder de la compétence en Allemagne et du           Le taux d’industrialisation des Etats-Unis est actuelle-
savoir-faire pour entretenir le modèle d’exportation).        ment relativement faible, 17% en 2014 : c’est le résultat
                                                              d’un important flux de délocalisations vers la Chine et
FRANCE : L’OPPORTUNITÉ                                        le Mexique. Mais en valeur absolue, l’industrie améri-
DU RETOUR FRANÇAIS DANS L’INDUSTRIE                           caine pèse 2 160 milliards d’euros en 2014, soit près de
Contrairement à l’Allemagne, la France ne bénéficie           trois fois plus que l’industrie allemande. Seule la Chine
pas d’une industrie forte, puisque celle-ci ne repré-         fait mieux avec 2 750 milliards d’euros de valeur ajoutée
sente, en comptant l’énergie, que 12% du PIB natio-           industrielle. En revanche, avec « seulement » 13,4 mil-
nal et 3,7 millions d’emplois. Depuis un temps, elle          lions d’employés (contre 160 millions pour les Chinois),
suit la route de l’obsolescence industrielle. Un parc         l’emploi dans l’industrie américaine a chuté d’environ
industriel vieillissant (estimé à 19 ans en 2010), des        30% entre 2000-2014, détruisant plus de 5 millions de
pertes importantes d’emplois industriels (-20% entre          postes. A eux seuls, les « Big 3 » (Ford, GM et Chrysler)
2000 et 2014) et de valeur ajoutée (-4% sur la période),      ont supprimé plus de 100 000 emplois et même près
ainsi qu’une profitabilité qui a chuté de 70%, limitent       d’un demi-million en comptant leurs sous-traitants. Pa-
sa capacité à investir. En 2014, l’industrie accusait         rallèlement, les USA ont investi massivement dans leur
ainsi un retard de 40 milliards sur ses investisse-           industrie : entre 2000 et 2014, le capital engagé dans
ments, par rapport à ses dépréciations. L’industrie           l’industrie américaine a doublé. La modernisation,
française est donc de moins en moins intensive en             l’automatisation et la robotisation des usines jointes à
capital, mais pour de mauvaises raisons. Le taux d’uti-       la forte productivité du travail (de l’ordre de 40%), ont
lisation des machines, lui, est passé de 85 à 81% entre       fait bondir le profit de 54%.
2000 et 2014. Résultat, le ROCE du pays a chuté de                 Les Etats-Unis ont, en quelque sorte, suivi la route
20% en 2000 à environ 8% en 2014.                             de l’automatisation, avec une modernisation et une
12 THINK ACT
   Industrie 4.0

   F
   INDUSTRIE 4.0 : DES MOTIVATIONS
   SPÉCIFIQUES AUX ENJEUX
   DE CHAQUE NATION
   La motivation à mettre en œuvre des initiatives Industrie 4.0 dans le secteur
   de l’industrie dépend des défis les plus urgents.

   QUOI ?                             COMMENT ?                                       QUI ?
   Maintenir la valeur ajoutée        Réduire la sensibilité au coût du travail,      Allemagne
   et la compétitivité                augmenter la compétitivité, mettre en           Japon
                                      place des barrières d’entrée                    États-Unis
                                                                                      Chine

   Créer de nouveaux                  Produire des produits personnalisés à un        France
   business models                    coût de production de masse                     Japon
                                                                                      États-Unis

   Gagner un leadership mondial       Développer des technologies et des              Allemagne
   dans les solutions 4.0             normes, créer des solutions d’exportation       Chine
                                                                                      Corée du Sud

   Favoriser l’internationalisation   Construire des lignes de production             Allemagne
   à moindre risque                   flexibles pour équilibrer la volatilité de la   Japon
                                      demande, diminuer le coût de l’expansion        Chine
                                      géographique                                    Corée du sud

   Favoriser l‘éclosion des start-    Créer une plate-forme pour favoriser            France
   ups digitales et écosystèmes       les écosystèmes, accélérer l’innovation par     Chine
                                      l’intermédiaire d’incubateurs et clusters       États-Unis

   Améliorer la satisfaction          Réduire la pénibilité du travail, augmenter     France
   des employés au travail            la qualité de vie au travail, donner du sens    Allemagne
                                                                                      Japon

   Augmenter la durabilité et         Réduire l’utilisation des ressources natu-      France
   redorer l’image de l’industrie     relles, améliorer l’image de l’industrie        Japon

   Source : Roland Berger
THINK ACT 13
                                                                                                             Industrie 4.0

productivité en hausse, mais avec un investissement           CHINE : L’EXCEPTION INDUSTRIELLE
trop important par rapport à la valeur ajoutée dégagée        Leader mondial du « low-cost exportateur », la Chine a
et donc, sans amélioration du ROCE. Pour les Améri-           bien évidemment perçu les menaces pesant sur ce modè-
cains, l’enjeu de l’industrie 4.0 est simple : augmenter      le et compris que la seule issue pour préserver son indus-
la valeur ajoutée et mieux utiliser les actifs modernisés.    trie est la montée en gamme. Car le développement de la
C’est l’objet de la politique du président Obama et, en       valeur ajoutée de l’industrie chinoise se heurte à deux
particulier, du programme Advance Manufacturing               difficultés : la demande en produits low-cost se réduit et
Partnership, qui vise à développer l’industrie 4.0 dans       elle souffre d’un problème grandissant de compétitivité
les usines pour accroître la VA, permettre des relocali-      : inflation salariale sur toute la côte Ouest, tant chez les
sations d’activités industrielles et recréer des emplois      ouvriers que chez les cadres, renchérissement des coûts
qualifiés de haute qualité sur le territoire.                 de l’énergie et des terrains, difficultés à faire venir des
                                                              travailleurs du centre du pays… La Chine conçoit donc
JAPON : UNE STRATÉGIE                                         l’Industrie 4.0 comme une solution à son problème de
DE RECONQUÊTE INDUSTRIELLE                                    compétitivité et de montée en gamme. Elle y voit aussi la
Comme la France, le Japon a suivi la route de l’obsoles-      possibilité de développer une offre de solutions industri-
cence industrielle. En 10 ans, sa valeur ajoutée indus-       elles pouvant à terme concurrencer l’Allemagne.
trielle a perdu 40% et deux millions d’emplois indus-
triels ont disparu entre 2000 et 2014. Le profit de           UN NOUVEAU MODÈLE DE CROISSANCE
l’industrie a chuté de 80% sur la même période, alors         POUR LES PAYS ÉMERGENTS
que le Japon a « sous-investi » à hauteur de 160 mil-         L’industrialisation de la Chine selon le schéma traditi-
liards d’euros. Il s’agit d’une véritable désindustrialisa-   onnel d’usines à bas coûts exportateur, puis de montée
tion forcée, portée par la proximité avec la Chine (où de     en gamme, à l’instar de la Corée ou du Japon sera-t-il
nombreux industriels nippons ont délocalisé des pro-          l’exception à la fin du miracle industriel ? En effet, l’in-
ductions), un Yen élevé pénalisant l’exportation, et une      dustrie 4.0 amène un bouleversement profond du mo-
perte globale de compétitivité, accentuée par l’impact        dèle de développement des pays émergents, en les pri-
de la baisse démographique dans le pays et les effets          vant de l’accès au modèle d’industrialisation classique
néfastes pour l’économie du Tsunami de mars 2011.             et exportateur de produits low-cost. Certains parlent de
    La politique « Abenomics » (du nom du Premier Mi-         désindustrialisation précoce des pays émergents, qui
nistre Shinzo Abe) fondée sur la baisse du Yen a égale-       devront faire reposer leur économie sur des services liés
ment atteint ses limites, en créant un renchérissement        à leur marché national, qui a moins d’effets multiplica-
des importations (très importantes au Japon), sans pour       teurs sur la création de valeur. Cependant, les pays
autant dynamiser les exportations, la baisse du Yen           émergents connaissent eux aussi une forte augmentati-
ayant été utilisée principalement par les industriels         on de la demande de produits manufacturés et plus so-
pour retrouver des marges plutôt que des volumes. Sans        phistiqués, et auront besoin d’une industrie locale.
surprise, l’ensemble de ces phénomènes s’est traduit          Grâce à des outils de production beaucoup plus flexib-
par une chute brutale du ROCE, révélant une trop faible       les, un capital engagé plus faible et une personnalisati-
rotation des actifs et une profitabilité insuffisante.          on des produits plus importante, l’Industrie 4.0 permet
    Le Japon s’est engagé tardivement sur la voie de l’In-    de mieux s’adapter à un marché très mouvant tout en
dustrie 4.0, avec des programmes lancés mi-2015.              mitigeant le risque. Son modèle peut justement aider à
Compte tenu de son degré actuel d’automatisation,             industrialiser localement un pays émergent, en permet-
l’industrie 4.0 doit lui permettre de retrouver de la com-    tant plus de coopérations gagnant-gagnant entre pays
pétitivité et de la flexibilité. Autre intérêt crucial pour   industrialisés et émergents via un principe de co-locali-
l’industrie 4.0 : compenser la désaffection de la jeu-         sation. Le ou les partenaires étrangers apportent alors
nesse pour l’industrie et la baisse démographique, en         l’outil de production et la technologie pour développer
redonnant de l’intérêt et de la qualité de vie au travail     le produit et sont rémunérés pour l’utilisation de l’actif
en usine. Enfin, il est vital pour les entreprises japo-      industriel. Le pays « accueillant » peut ainsi créer de la
naises très internationalisées que leur « base » indus-       valeur ajoutée autour de l’ensemble des activités de con-
trielle au japon soit compétitive.                            ception, marketing, vente et distribution du produit.
14 THINK ACT
   Industrie 4.0

   Industrie 4.0 : une
   nouvelle impulsion à la
   croissance et à l’emploi.
   L’une des questions les plus délicates concernant la                 Cette demande a tiré les volumes, qui ont augmenté
   quatrième révolution industrielle est son impact en                  plus vite que la productivité et, de ce fait, généré des
   termes d’emplois : la quantité de travail détruite par la            emplois en quantité bien supérieure à la diminution
   numérisation et l’automatisation sera-t-elle, ou non,                provoquée par la baisse unitaire. Ce mécanisme de
   compensée par la création d’activité liée aux bénéfices              transformation de la productivité en pouvoir d’achat,
   de cette digitalisation1 ? De fait, le nombre d’emplois              qui à son tour génère de l’activité, a été la pierre angu-
   concernés par l’industrie 4.0 est élevé, et l’impact en              laire des Trente Glorieuses, et a plus récemment été à
   termes de réduction de la quantité de travail dans les               l’œuvre dans nombre de pays émergents, dont la Chine.
   usines du futur par rapport aux usines d’aujourd’hui                     Où en sont les grandes nations industrielles actuel-
   est potentiellement important.                                       lement ? Lors des vagues d’automatisation successives
       Mais, dans la prochaine transition industrielle, ce              des Trente Glorieuses, les volumes ont pu compenser
   ne sont ni les volumes, ni l’effet d’échelle, ni le facteur           la hausse de la productivité. Puis, progressivement, la
   coût du travail qui créeront de la valeur, mais la person-           productivité industrielle ne s’est plus transformée en
   nalisation de l’offre et, économiquement, la réduction                accroissement de volumes, mais en réduction des
   du capital engagé. Ces nouveaux leviers de création de               coûts, via un effet d’échelle qui a permis le développe-
   valeur représentent un potentiel considérable de nou-                ment des services par un meilleur pouvoir d’achats des
   velles activités et d’emplois.                                       clients. Dans le même temps, la productivité des pays
       Longtemps, le débat lié à l’automatisation a été ré-             industriels a permis l’essor des pays émergents, via un
   solu par un calcul simple : en apportant un rendement                transfert de travail dans ces pays.
   supérieur, elle permettait de baisser les coûts et d’aug-
   menter les volumes par la demande (l’effet d’échelle) et              LES SOURCES DE RECRÉATION D’ACTIVITÉ
   ainsi de compenser la baisse d’activité humaine néces-               SE TARISSENT
   saire à produire l’unité. C’est le mécanisme du For-                 Depuis l’ère de l’automatisation, la baisse des emplois
   disme. Avec la taylorisation de son usine, la spécialisa-            dans l’industrie a été compensée par trois leviers de
   tion des tâches et la standardisation du produit, Ford a             recréation d’activité à l’arrêt aujourd’hui. Sur les 15
   réduit le temps de production de sa voiture de 12,5                  dernières années, l’industrie de l’Europe de l’Ouest a
   heures à 1,33. Cela aurait dû provoquer une réduction                perdu 5 millions d’emplois. Les emplois industriels ne
   des emplois de 90%. Cependant, les véhicules fabri-                  représentent plus que 15% des emplois totaux dans la
   qués étant beaucoup moins chers, ils sont devenus ac-                zone.
   cessibles à une population bien plus large.                          1. L’externalisation vers les services (qui représentait en-
                                                                        viron 35% de la baisse des emplois industriels jusqu’en
   1 Voir « Les classes moyennes face à la transformation digitale »,   2000) a directement contribué au développement de
     Roland Berger, 2014.
THINK ACT 15
                                                                                                              Industrie 4.0

G
PERSPECTIVES POSITIVES
POUR LES TALENTS ET L’EMPLOI
Dans notre modèle, nous supposons un taux d’adoption de 50% pour les
solutions Industrie 4.0 d’ici à 2035, afin de décrire le mécanisme de
destruction / création des emplois industriels en Europe de l’Ouest.

Nombre d’employés dans l’industrie
en Europe de l’Ouest (m)                                          Approx.
                                                                10 millions                    6,7             26,4

    25,0                        8,3
                                                                 d’emplois

                                                                        1,9

                                                    1,1                                Réinvestissements
                                                                                        dans de nouvelles
                                                                                       activités de service
                                                                Réinvestissements
                            Productivité      Relocalisations    dans de nouveaux
                            industrielle         d’activités      équipements ou
                              (2,7 m)         permises par le   produits industriels
                                              business model
                              Manque
                                               Industrie 4.0
                          de compétitivité
                               (2,7 m)
                          Investissement
                         dans des solutions
                           Industrie 4.0
                              (2,9 m)

    2015                                                                                                       2035
Source : Roland Berger
16 THINK ACT
   Industrie 4.0

   services associés à l’industrie : logistique, maintenance,    ment différente de ceux qui ont prévalu lors des révolu-
   gardiennage, sous-traitance industrielle, etc. Sur les 15     tions industrielles précédentes.
   dernières années, ce levier représente moins de 10% de
   la baisse des emplois et ne crée plus d’activités.            DES MÉCANISMES DE RECRÉATION D’ACTIVITÉ
   2. La productivité industrielle (qui explique environ 45%     D’UNE NOUVELLE NATURE
   de la perte d’emplois dans l’industrie), par la baisse des    Demain, l’industrie 4.0 va permettre de fabriquer loca-
   coûts, s’est transférée en pouvoir d’achat pour les           lement des produits avec un actif industriel optimisé et
   clients finaux, ce qui a directement contribué au déve-       relativement peu de main-d’œuvre. La productivité,
   loppement des services et a créé de nombreux emplois.         très significative en heures, apportée par ces technolo-
   Mais un palier est atteint : le développement des tech-       gies, ne se traduira sans doute pas par des baisses de
   nologies numériques accroît la productivité des ser-          prix en faisant jouer l’effet d’échelle, comme c’était le
   vices dans des proportions qui ne permettent plus de          cas lors des précédentes révolutions industrielles.
   compenser les baisses d’effectifs dans l’industrie.            On l’a vu, l’enjeu est désormais d’augmenter la flexibi-
   3. Une baisse de compétitivité de l’industrie, qui explique   lité, la personnalisation, la qualité… mais pas les prix
   45% de la baisse des emplois, a eu pour effet de trans-        ni les volumes. La question est de savoir comment se
   férer des activités dans des pays plus compétitifs, sou-      recréeront activité et emploi dans cette nouvelle donne
   vent à bas coût, soit par délocalisation, soit par            – probablement via des mécanismes très différents de
   non-remplacement ou réinvestissement de l’activité, y         ceux que l’on a connus jusque-là.
   créant des millions d’emplois. Mais l’industrie 4.0, en           Lors de la troisième révolution industrielle, l’auto-
   permettant à des pays à coût élevé de retrouver de la         matisation, la massification d’usines, la délocalisation
   compétitivité (en insensibilisant au coût du travail no-      ont principalement optimisé le coût de revient, en mi-
   tamment), met fin au modèle low-cost. Ce moteur de            sant sur une augmentation des volumes qui justifiait
   création d’emplois dans les pays émergents est appelé         l’investissement. Dans la prochaine transition indus-
   à s’affaiblir, nécessitant pour eux de trouver un autre        trielle, ce ne sont pas les volumes ni l’effet d’échelle ou
   modèle de croissance, comme mentionné plus haut.              le facteur coût du travail qui créeront de la valeur, mais
                                                                 la personnalisation de l’offre et, économiquement, la
   L’essoufflement de ces trois sources de transfert               réduction du capital engagé. Or cette économie de ca-
   d’emplois a déjà des effets visibles qui frappent en           pital engagé représente un gisement considérable de
   premier lieu la classe moyenne mondiale, notamment            création de valeur, donc d’activité et d’emplois, mais
   l’accroissement des inégalités. C’est aussi ce qui            selon des modalités différentes de ce que l’on a connu
   nourrit une vision pessimiste sur l’avenir du travail et      auparavant. G
   plus largement des sociétés humaines, où l’inactivité             La désindustrialisation en Europe continuera
   forcée serait le lot d’une majorité de la population,         jusqu’en 2035. L’industrie ouest européenne emploie
   tandis qu’une minorité surqualifiée tirerait pleinement       25 millions de salariés en 2015. À une phase de destruc-
   les bénéfices de l’économie numérique.                        tion d’emplois liée à la baisse de l’intensité en main
       Si ces débats sont fondés, tant le travail change en      d’œuvre succèdera une phase de création d’activité
   ce moment de nature, ils n’ont rien de nouveau.               dans l’industrie, puis dans les services, du fait d’une
   Chaque révolution industrielle s’est accompagnée de           meilleure profitabilité des industries européennes.
   discours catastrophistes sur l’emploi. Car à chaque               Les premières baisses reflètent la poursuite de la
   fois, des métiers, parfois nombreux, ont disparu, tan-        désindustrialisation historique de l’Europe, soit 2,7
   dis que d’autres sont apparus. Et pour finir, le bilan en     millions d’emplois détruits par l’effet de la productivité
   emplois de chaque révolution industrielle a toujours          et 2,7 millions par la perte de compétitivité vis-à-vis
   été largement positif. Pourquoi en serait-il différem-         d’autres régions, entre 2000 et 2015. Le facteur suivant
   ment cette fois-ci ? L’industrie 4.0 recèle, comme            révèle l’impact du déploiement progressif de l’industrie
   toutes les révolutions industrielles avant elle, un po-       4.0 à l’horizon 2035, en imaginant que seules 50% des
   tentiel considérable de création de valeur, qui se            entreprises industrielles auront basculé vers l’utilisa-
   convertira en activités nouvelles. Mais ces mécanismes        tion de l’ensemble des potentialités de l’industrie 4.0,
   de création de valeur sont de nature fondamentale-            et que 50% n’utiliseront que certaines briques techno-
THINK ACT 17
                                                                                                                       Industrie 4.0

logiques à des fins d’amélioration de la compétitivité.
Ce déploiement de l’industrie 4.0 va accélérer la baisse
                                                                           H
des emplois d’environ 2,9 millions supplémentaires,                        POINTS CLÉS
doublant ainsi la productivité « classique » de l’indus-                   Comment l’Industrie 4.0 pourrait contribuer à plus de
trie. Ainsi, ne reste donc qu’une industrie en grande                      valeur ajoutée et à la recréation d’emplois
partie 4.0 et, à tout le moins, redevenue compétitive.

                                                                                          28%
LA RECRÉATION D’ACTIVITÉ DANS L’INDUSTRIE
Dans le même temps, l’outil industriel aura donc été
modernisé par les solutions 4.0., permettant une meil-
leure utilisation du capital engagé. En utilisant mieux
son outil, l’industrie peut consommer moins de capital                           c’est le potentiel retour sur capital engagé
engagé. La rentabilité et le ROCE s’améliorent et                                   en Europe de l’Ouest jusqu’en 2035 –
donnent de nouvelles possibilités d’investir, élément clé                                   contre 18% aujourd’hui
pour financer de nouveaux projets et recréer de l’em-
ploi. Dans le modèle, la création de valeur liée à l’ac-
croissement du ROCE, qui passe de 18% en 2015 à 28%

                                                                                     420 M
en moyenne2, génère potentiellement 420 Milliards
d’Euros, sous la forme de surprofit (après impôts) et
d’économie de capital engagé. Cette capacité d’investis-
sement, si elle est réinvestie en majorité dans l’écono-
mie européenne, doit permettre de générer une valeur                                de profits nets et de capital engagé
ajoutée de 850 Mrds d’Euros3, ce qui représente une re-                            préservé grâce à la création de valeur
création potentielle totale de près de 10 millions d’em-                                      de l’Industrie 4.0
plois, à même de compenser la baisse totale. Ces em-
plois seraient en partie recrées dans l’industrie, pour
environ 3 millions, mais aussi dans les nouveaux ser-

                                                                                        6,7 m
vices, pour 7 millions4. Sur les 3 millions d’emplois
dans l’industrie, on a estimé que 1,1 million provien-
draient de la relocalisation industrielle d’activités an-
ciennement présentes en Europe (par exemple, du tex-
tile 4.0, dans la fabrication de pièces, de jouets, de                                 de nouveaux emplois créés
meubles... ou autres secteurs délocalisés depuis long-                               dans le seul secteur des services
temps) ou d’activités sur le point d’être délocalisées. Ce
chiffre, plutôt modéré, traduit l’idée que la relocalisa-
tion nécessite de nouvelles solutions ultra-optimisées et

                                                                                           12%
automatisées, avec peu d’effectifs, afin d’être compéti-
tives avec la même production dans les pays à bas coûts.
    Viennent ensuite 2,9 millions d’emplois générés par
des nouvelles activités industrielles. Ces nouvelles
activités ne ressemblent guère aux anciennes et reposent                                   c’est la part d’emplois
sur un tout autre « business model », avec un actif                                dans le secteur de l’industrie en 2035
prenant la forme d’une plateforme produit et d’un
écosystème de services fortement standardisés et

2 18% pour les 50% de l’industrie resté traditionnelle, et 38%
  pour l’industrie 4.0.
3 En supposant une rotation du capital de 1,3 pour l’industrie et de 2,5
  pour les services
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