THINK ACT - Roland Berger
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THINK ACT BEYOND MAINSTREAM Avril 2016 2015 Industrie 4.0 Mastering the: Transformation la transition quantifiée Journey Comment la quatrième A comprehensive guide révolution industrielle to reinventing companiescrée une nouvelle donne économique, sociale et industrielle
2 THINK ACT Industrie 4.0 S P ÉC I AL 3 P INDUS AYS THE BIG LES PR TRIAL ISÉ INCIPA S : LEVI UX DÉVEL ERS DE OPPEM ENT P. 9 +25 points c’est l’accroissement potentiel du retour sur capital engagé (ROCE) d’une entreprise industrielle, en 2035, après la transition à l’industrie 4.0. Page 6 420 milliards d’euros c’est le potentiel de création de valeur généré par la mise en place de l’industrie 4.0 en Europe de l’Ouest. Page 17 ~10 millions c’est le potentiel brut de recréation d’emplois en Europe de l’Ouest généré par l’industrie 4.0. Page 15
THINK ACT 3 Industrie 4.0 L’industrie 4.0 : un changement de paradigme de la stratégie industrielle. L’industrie 4.0 ne peut pas être résumée à sa dimensi- UNE NOUVELLE LOGIQUE ÉCONOMIQUE on technique. Toutes ses composantes technologiques Aujourd’hui encore, tout est organisé pour une dégres- sont disponibles : virtualisation d’usine, machines sivité du coût grâce au volume de produits fabriqués. connectées et intelligentes, iOT, cyber production sys- Ce paradigme industriel est aujourd’hui remis en tem, 3D, Cobot, AGV, etc. cause car il bute sur une limite : dans un contexte d’in- Toutes les entreprises ont lancé des pilotes pour les certitudes sur les volumes (dû à la crise économique), tester et les mettre en œuvre. Cependant, peu ont réel- et d’augmentation croissante de la diversité des clients lement exploité l’ensemble de son potentiel pour et de leurs attentes, les investissements nécessaires mettre en place de nouveaux modèles. Elle représente pour fabriquer des produits au coût le plus bas et en une transformation bien plus globale, dont nous grande quantité ont créé une tendance inflationniste sommes à l’aube. sur le capital engagé, par manque de flexibilité ou A travers l’industrie 4.0, c’est tout le paradigme de la sous-utilisation de l’outil industriel. stratégie industrielle qui se trouve transformé, y com- L’industrie 4.0 permet, elle, une augmentation du pris sa logique économique et les mécanismes de créa- retour sur le capital engagé (ROCE). Ainsi, elle utilise tion de valeur qui la sous-tendent. L’industrie passe en l’actif physique au maximum de ses possibilités. effet d’une logique de production de masse à celle de Elle réduit le coût de la complexité, qui est portée par personnalisation de masse. Elle ne repose plus sur les la composante numérique d’un produit ou d’une ma- Cover photo: Getty Images /DigitalVision; Fotolia effets d’échelle et de volume, mais sur une production chine standardisée. Ainsi, l’imprimante 3D est une ma- flexible et localisée près de la demande. Elle fabrique chine standard, mais la diversité des produits fabri- « à la demande » et ne fait plus de stocks, avec une adap- qués est infinie. L’industrie 4.0 minimise les temps tation dynamique à la demande. Elle est davantage pré- d’immobilisation avec la maintenance prédictive. dictive, auto-corrective et produit plus juste du premier Les machines intelligentes adaptent la façon de fabri- coup. Elle place l’usage et non plus le produit au cœur quer et autocorrigent les défauts, elles permettent de de sa logique. Enfin, elle passe d’une organisation du réduire les rebuts, les essais et les problèmes de quali- travail rigide, héritée du taylorisme, à une organisation té. L’industrie 4.0 localise les actifs proches des clients flexible, avec à la clé une plus grande attractivité du tra- finaux (moins de transports, meilleure utilisation des vail. Elle représente potentiellement, pour chaque entre- moyens logistiques), elle élimine les stocks intermé- prise, un changement complet de logique économique. diaires. A
4 THINK ACT Industrie 4.0 A NOUVELLE ROUTE OU IMPASSE ? 3 OPTIONS POUR LE DÉVELOPPEMENT Nous avons analysé le développement de l’industrie au niveau de l’entreprise et du pays. En utilisant le retour sur capitaux engagés, nous pouvons en calculer les effets et tirer des conclusions. 1 2 3 AUTOMATISATION OBSOLESCENCE INDUSTRIE 4.0 La rentabilité est améliorée avec l’Industrie 4.0 grâce à Produits à forte valeur Valeur ajoutée moyenne ou Produits à forte valeur une réduction des coûts de ajoutée et marges élevées faible, faibles marges ajoutée et marges élevées main-d’œuvre et un taux Forte intensité capitalistique Production intensive Production flexible d’utilisation d’actifs Haut niveau d’automatisa- Moyens de production amor- ROCE élevé maximisé, qui compensent tion / parc machine moderne tis ou obsolètes l’augmentation des amortissements liés à PROFITABILITÉ l’automatisation. Les marges sont également améliorées (EBIT/valeur ajoutée) grâce à la valeur accrue des produits, du fait de leur personnalisation et de la flexibilité. Courbe Iso ROCE La rotation de l’actif est le (e.g 15%) chiffre d’affaire généré pour chaque euro de Capital Engagé (actifs immobilisés et besoin en fond de 3 roulement). L’Industrie 4.0 permet une meilleure utilisation des actifs (réduction du temps de 1 changement des produits; réduction des arrêts machine, des stocks et du temps de maintenance...). Il est également un indicateur d’intensité capitalistique : plus la rotation de l’actif est basse, plus le secteur de l’industrie est intense en capital. Une industrie à faible 2 rotation des actifs et forte marge (automatisation) peut présenter le même ROCE qu’une industrie à forte rotation de capital et faible ROTATION DU CAPITAL marge (obsolescence). (Valeur ajoutée ou ventes / Capital engagé)
THINK ACT 5 Industrie 4.0 Avec ce nouveau mode de fonctionnement, le capital sibles, améliorant ainsi l’utilisation des outils. L’impact engagé est beaucoup mieux utilisé. Il n’est pas plus sur le métier est très important : abandonnant une lo- cher - voire moins, car les technologies de l’industrie gique d’inspection physique, l’opérateur va devoir inté- 4.0 sont moins onéreuses que celles de la génération grer une logique de diagnostic et de résolution de pro- précédente. De plus, l’intégration et l’unicité des systè- blème. mes d’information sont moins coûteux que la pléthore Enfin, le « cyber système de production », véritable de systèmes et interfaces informatiques existants. Ain- couche de pilotage de l’usine et de ses fournisseurs, si, le surcoût de l’investissement dans les équipements permet la personnalisation de masse, la réadaptation et logiciels supplémentaires sera compensé par la du plan de production à une variation de la demande meilleure utilisation de l’ensemble de la chaîne. ou à un besoin de réactivité. Il permet de passer d’une logique « push » (on fabrique pour stocker), qui incite à LES CLÉS DE LA TRANSFORMATION faire des remises pour écouler les produits, à une lo- Roland Berger a simulé l’impact du passage à l’indus- gique « pull » (on fabrique sur commande), sans stock trie 4.0. sur une usine typique de l’industrie équipe- d’invendus, via une bien meilleure flexibilité et réacti- mentière automobile avec cinq leviers de transforma- vité au client. Cela remet en cause les métiers de plani- tion principaux : fication, de logistique, les pratiques de pilotage, qui L’usine virtuelle, qui va permettre d’industrialiser les vont être transformés. nouveaux produits virtuellement avant de perturber le système physique, améliorant ainsi la capacité à lancer Nous avons calculé l’impact de ces leviers : le ROCE des nouveaux produits en réduisant drastiquement le augmente de 15% à 40% et la marge de 6 à 12%. Le taux temps de mise au point de la production qui aura été d’utilisation de l’usine passe de 65% à 90%. B fait virtuellement en amont. Elle va aussi permettre Certes, le personnel nécessaire au fonctionnement de d’améliorer le pilotage de l’usine en conférant à l’usine est réduit de moitié environ, mais une telle usine l’équipe de direction une nouvelle façon de piloter et replace l’humain au centre de ce nouveau modèle. La d’intervenir sur les opérations. transformation humaine et l’impact sur les compétences L’automatisation des flux, via des véhicules autonomes et qualifications sont très significatifs. L’usine du futur ou des Cobots, améliore relativement peu la rentabili- donnera une place à tous les niveaux de qualifications. té, les économies sur les coûts logistiques étant en par- Les solutions du 4.0 sont accessibles à tous. Ainsi, faire tie compensés par les investissements en solutions. marcher un Cobot est bien plus simple que de program- Cependant, l’enjeu n’est pas de faire de l’automatisa- mer un robot industriel et requiert bien moins de qualifi- tion, mais d’accroître la flexibilité et réactivité du sys- cations. Aucun métier actuel ne va disparaître. Il restera tème global, et de réduire la taille des stocks et encours, toujours des métiers de qualité, maintenance, sécurité, ce qui impact le ROCE. Un tel système automatisé va mais chacun va voir évoluer sa composante « empa- permettre à l’équipe d’accomplir des tâches impos- thique », (relation avec le client interne, compréhension sibles à réaliser par une équipe humaine tant la combi- du besoin, résolution du problème), et sera délesté de sa natoire des flux et colis ou pièces sera grande à cause composante répétitive, routinière. De nouveaux métiers de la personnalisation. vont apparaître : système, cyber-sécurité, big data, réalité Les « smart machines » représentent ensuite un levier virtuelle. Le mode de travail sera différent : des équipes important. Ces machines autonomes n’ont plus be- apprenantes qui vont réunir des compétences locales, soins d’opérateurs pour les faire fonctionner, s’auto- internes et externes à l’entreprise, seront dirigées par des corrigent elles-mêmes et peuvent fonctionner de façon managers coach. Enfin, la qualité de vie au travail sera autonome et interconnectées, la nuit par exemple. aussi grandement améliorée. Les tâches pénibles et répé- Elles permettent un bien meilleur temps d’utilisation. titives seront automatisées. L’humain se concentrera sur L’homme qui les pilote a donc une approche très diffé- le fonctionnement, travaillera beaucoup plus en équipe rente des problèmes à résoudre pour corriger ou stabi- et aura le sentiment de mieux contrôler ses actifs. Au fi- liser : il passe du faire au faire faire. nal, un tel environnement a la capacité de redonner une Les systèmes de maintenance prédictive permettent de nouvelle image à l’industrie, une image de modernité mieux planifier les temps d’arrêts machines car prévi- plus attractive pour la jeunesse et plus enrichissante. C
6 THINK ACT Industrie 4.0 B COMMENT MIEUX UTILISER LE CAPITAL ? Nous avons simulé les effets de l’Industrie 4.0 pour un équipementier automobile moyen : le ROCE augmente alors de 25 points de pourcentage. Effets de l’Industrie 4.0 ROCE 15% 40% PROFITABILITÉ 6.0% 13,1% UTILISATION GLOBALE DES ACTIFS INDUSTRIELS 65% 90% ROTATION DES ACTIFS (Ventes/Capital engagé) 2,5 3,1 PARC MACHINE 100% 70% PERSONNEL 100% 55% Aujourd’hui Industrie 4.0 Source : Roland Berger
THINK ACT 7 Industrie 4.0 C UN NOUVEAU MODÈLE ÉMERGE... Trois exemples illustrent les progrès apportés par ce nouveau paradigme aux entreprises mettant en application l’Industrie 4.0 ALLEMAGNE ÉTATS-UNIS JAPON Adidas Local Motors Okuma invente la « speedfactory » fabrique les voitures au garage et son usine autonome 24/7 Fabriquer des chaussures de sport A la façon des Fablabs, Local Motors Le fabricant japonais de machines sur-mesure et au plus près des (LM) pose une question simple : outils a mis au point un process consommateurs : c’est le défi que se pourquoi continuer à s’adresser aux complet de fraisage qui peut propose de relever dès l’été 2016 le constructeurs automobiles pour fonctionner de façon autonome spécialiste de l’habillement des sportifs développer et construire son véhicule ? 24h/24 et 7 jours sur 7 sans Adidas avec sa Speedfactory. A l’origine Afin de permettre à tous de faire un intervention humaine. Le process est de ce développement, un constat : avec autre choix, cette jeune pousse a créé capable de sélectionner les outils de des délais de 18 mois entre le design des une communauté de membres, découpe automatiquement et de les nouveaux modèles et leur arrivée en ingénieurs, chercheurs, designers, changer lorsque cela est nécessaire. magasin, un coût de main d’œuvre en ou tout simplement passionnés de L’approvisionnement de la matière hausse et une empreinte carbone mécanique et d’automobile, qui est automatique, ainsi que le élevée, la sous-traitance en Asie de la partagent leurs expériences et leurs système de collecte des chutes de fabrication des chaussures de sport compétences sur des projets concrets, métal. L’ensemble des opérations se devient de moins en moins attractive. en particulier le développement de visualise dans des tablettes de type La solution de l’Allemand : un nouveau véhicules « open- source ». Le dispositif iPad. Même le système concept d’usine, qui produit des est complété par des « micro-usines », d’amélioration continue (Kaizen), chaussures sans couture, à l’aide d’un des ateliers complets permettant de si cher aux Japonais, est aussi procédé automatisé inédit. Mise au mettre au point des prototypes, de les automatisé grâce à un logiciel qui point dans le cadre d’un projet avec industrialiser et d’assembler des s’appuie sur les relevés d’alerte d’autres industriels et des instituts de produits en petite série. L’aventure a provenant de la machine lors de la recherche (Johnson Controls, KSL commencé avec un projet de véhicule production. Les opérateurs ne sont Keilmann, Fortis institute et l’institut tout-terrain baptisé Rally Fighter. là que pour superviser la ligne et textile ITA RWTH), cette « usine rapide » L’entreprise de 107 employés, forte réaliser des tâches à forte valeur pousse la modularité assez loin pour d’une communauté de 51 700 membres ajoutée. La productivité a été faire travailler l’homme et la machine travaillant sur 81 projets, dispose de doublée une fois par l’automatisation ensemble, côte à côte, et certaines 3 micro-usines et compte en créer 100 complète du processus et une autre tâches peuvent être réalisées par l’un ou dans les 10 ans à venir. Il s’agit de sites fois par le système Kaizen l’autre. Le résultat, un site de production de production en séries restreintes mais automatique. qui tient dans un semi-remorque et peut très personnalisées. L’entreprise s’est produire des running à l’unité de notamment fait connaître avec un autre manière automatisée, donc sans projet : LM3D, un véhicule entièrement dépendre du coût local de la main fabriqué en impression 3D dont la d’œuvre et en éliminant les coûts de commercialisation est prévue courant transport. Et surtout, cette innovation 2016. Récemment, elle a également permet de pouvoir sortir de nouvelles créé, avec le géant américain General séries sous 45 jours, pour répondre aux Electric, le réseau Firstbuid. Celui-ci envies et aux besoins du moment et reprend la même philosophie que LM, mettre en œuvre le « fast fashion », mais travaille sur le développement business model inventé par Zara et d’appareils électroménagers de demain. H&M. La première Speedfactory verra Le partage des idées se fait via un le jour à Ansbach, en Allemagne. réseau social ; la fabrication, quant à elle, est assurée via une micro-usine dédiée.
8 THINK ACT Industrie 4.0 Industrie 4.0 : ou l’entrée dans l’après-désindus- trialisation. La transformation qu’opère le passage à l’industrie 4.0 période 2000-2014, laissant apparaître des différences ne se résume pas à ses impacts micro-économiques, édifiantes. même si c’est d’abord au niveau de chaque entreprise Partout dans le monde, les politiques industrielles qu’elle s’observe. Le passage à l’industrie 4.0 est aussi visent souvent les mêmes objectifs : gagner en compé- un enjeu macro-économique majeur, qui se pose au- titivité et relocaliser ou conserver des activités. En re- jourd’hui à tous les grands pays industriels. Le retour vanche, les façons d’y parvenir et les enjeux pour sur capital engagé ROCE, pertinent à l’échelle d’un équi- chaque pays diffèrent, en fonction de la force de son pement ou d’une usine, l’est également à l’échelle d’un industrie et de son économie, de son degré d’automa- pays entier : son évolution traduit la voie choisie par une tisation, de l’importance de ses marchés locaux… nation en termes de politique industrielle. A D Chaque pays investit donc l’industrie 4.0 comme un La première voie est celle de l’automatisation. Mais levier pour répondre à des enjeux spécifiques. Ainsi elle n’améliore pas fondamentalement le ROCE : elle l’accroissement de la valeur ajoutée industrielle par augmente le capital engagé par l’effet de l’investisse- une plus grande compétitivité est au cœur des straté- ment. La rotation de l’actif diminue et les entreprises gies allemande, chinoise ou américaine, tandis que la deviennent plus intensives en capital. Le profit aug- France ou le Japon poursuivent davantage la relocalisa- mente avec le remplacement d’activités manuelles par tion de l’activité industrielle à travers la désensibilisa- des activités automatisées. In fine, les deux phéno- tion au coût du travail. Devenir ou rester leader du mar- mènes ont tendance à s’équilibrer et le ROCE reste le ché des solutions industrielles à l’échelle mondiale est même. A l’inverse, la route de l’obsolescence indus- un argument clé en Allemagne, et dans une moindre trielle se caractérise par un profit qui diminue, entraî- mesure en Chine. Accroître la satisfaction au travail, nant une baisse du niveau d’investissement, qui de- améliorer la durabilité de l’industrie ou capitaliser sur vient inférieur aux dépréciations. Ainsi le capital une meilleure image à travers l’industrie 4.0 sont des engagé diminue, mais la rotation de l’actif (CA/CE) motifs plus importants au Japon et en France. E F augmente artificiellement, compensant alors la baisse du profit et maintenant un ROCE constant. ALLEMAGNE : UNE STRATÉGIE Or la voie de l’industrie 4.0 se caractérise par une À LA FOIS DÉFENSIVE ET OFFENSIVE augmentation du ROCE, portée à la fois par une mo- L’Allemagne est le seul exemple de pays dont l’industrie dernisation de l’actif industriel et une utilisation de ce a significativement amélioré son ROCE sur les 15 der- dernier au maximum de ses possibilités. A ce jour, nières années. En effet, malgré une légère baisse (9%) de seule l’Allemagne est véritablement engagée sur cette ses emplois, l’industrie allemande a vu sa valeur ajoutée trajectoire. Roland Berger a reconstitué le ROCE des augmenter de 80% entre 2000 et 2014 et son profit bon- industries des grandes nations et leur évolution sur la dir de 158 %. Sur cette période, les investissements y
THINK ACT 9 Industrie 4.0 D DIFFÉRENTES STRATÉGIES – DIFFÉRENTS RÉSULTATS Un monde de désindustrialisation : les Etats-Unis ont augmenté leurs profits en investissant dans l’automatisation. La France et le Japon ont insuffisamment investi alors que les profits ont diminué. Seule l’Allemagne a vu ses profits augmenter en même temps que sa rotation des actifs. Évolution du Retour sur Capital Engagé par pays (Secteurs de l’industrie, mines et utilities, 2000-2014) PROFITABILITÉ (EBIT/valeur ajoutée) 35% Corée du Sud Industrie du pays iso ROCE 2000 2014 30% Chine États- Brésil Unis 25% Espagne Allemagne 20% Royaume-Uni 30% 15% 20% 10% Italie 5% Japon 10% France 0% 0,3 0,5 0,7 0,9 1,1 1,3 1,5 1,7 ROTATION DU CAPITAL Source : IHS Global Insight, Diane, Analyse Roland Berger (Valeur ajoutée / Capital engagé)
10 THINK ACT Industrie 4.0 E UN BUZZ MONDIAL L’Industrie 4.0 est un concept né en 2010 en Allemagne et dévoilé au grand public par le VDMA en 2011, à la Foire de Hanovre. Aujourd’hui l’Industrie 4.0 est connue dans l’ensemble du monde. Déploiement international : les initiatives lancées par pays JAPON CORÉE DU SUD FRANCE Revitalization/Robotics Strategy : Manufacturing Innovation 3.0 : Industrie du Futur : Augmenter la productivité de Créer un écosystème fondé sur les 2015 Soutenir le développement de l’industrie de services, déployer nouvelles technologies, encourager le produits spécifiques (voiture la robotique d’ici 2020 développement de Smart Factory efficace, avion électrique, etc.) BELGIQUE CHINE Intelligent factories clusters : Made in China 2025 : Soutenir le développement 2014 Créer une nation industrielle forte avec des Usines du Futur une priorité sur la numérisation et la modernisation de 10 secteurs Qu’est-ce que l’Industrie 4.0 ? Elle symbolise l’entrée de l’industrie mondiale dans sa quatrième révolution, qui combine trois innovations technologiques – l’automatisation, l’internet des objets et l’intelligence artificielle – pour créer des modèles industriels et économiques de rupture. Ce qui aurait pu n’être perçu que comme une opération marketing des fournisseurs d’équipements industriels est devenu, en quelques années, une préoccupation mondiale, partagée par toutes les nations industrielles. ITALIE Intelligent factories clusters : 2012 Structurer la communauté industrielle pour développer la recherche autour de 4 projets ÉTATS-UNIS ROYAUME-UNI 2011 Advanced Manufacturing Partnership 2.0 : Catapult centers : Créer des emplois industriels hautement Doubler la contribution de l’industrie qualitatifs et améliorer la compétitivité au PIB ALLEMAGNE Industrie 4.0 platform : 2010 Approche commune des principales associations professionnelles industrielles : BIKOM, VDMA, ZVEI Source : Roland Berger
THINK ACT 11 Industrie 4.0 ont été à peu près équivalents aux dépréciations et l’ac- L’industrie du futur représente l’opportunité pour la tif beaucoup mieux utilisé, puisque le taux d’utilisation France d’opérer son retour industriel. Malgré sa fai- des équipements de production est passé de 85% en blesse dans le secteur des machines, la numérisation 1998 à 95% en 2014. Résultat, le ROCE de l’Allemagne du système de production peut permettre à la France de est passé de 12% en 2000 à plus de 30% en 2014. Le se repositionner, grâce à ses compétences dans le nu- capital engagé, constant, produit beaucoup plus au- mérique et la virtualisation, mais aussi grâce à son ré- jourd’hui qu’il y a 15 ans. C’est le « miracle allemand ». cent écosystème de start-ups grandissant. Ensuite, l’in- L’Allemagne est confrontée à de nombreux défis qui dustrie du futur peut offrir l’opportunité de recréer un motivent l’industrie 4.0 : renchérissement du coût du outil de production nouveau, qui évite ou contourne les travail après une décennie de maîtrise forte des sa- contraintes du précédent, en étant moins sensible au laires, coût de l’énergie en hausse à l’avenir et nécessité coût du travail et contraintes associées. Il est en effet de renouveler ses infrastructures. Sur le plan démogra- plus crédible de passer directement à des usines neuves, phique, une pénurie d’employés qualifiés constitue un numériques, totalement optimisées et reposant sur des facteur inflationniste. L’industrie 4.0 doit lui permettre nouveaux modèles de business, plutôt que de chercher de prévenir ce risque de perte de compétitivité poten- à moderniser des actifs obsolètes. Elle peut aussi per- tielle du modèle actuel. mettre de redorer son image auprès du grand public. En outre, l’Allemagne est également productrice de Ainsi, si les conditions le permettent, la France pourrait solutions industrie 4.0, avec ses géants Siemens et Bosch très bien être le terreau d’une certaine relocalisation et de nombreuses ETI spécialisées dans les équipements industrielle, pour fabriquer des produits aujourd’hui de production. Ce secteur pèse plus de 3% dans le PIB délocalisés (textile, voiture segment B, etc..), et ainsi re- national. L’Allemagne compte sur le développement créer de l’emploi qualifié. L’industrie 4.0 en France d’offres 4.0 pour continuer de dominer le marché mon- constitue donc un levier de développement et de diffé- dial et préserver ses volumes de production. rentiation important pour les ETI et les start-ups. La stratégie 4.0 de l’Allemagne est donc défensive (préserver ses productions, être d’avantage flexible pour ÉTATS-UNIS : UNE STRATÉGIE faire face aux crises des marchés internationaux), et of- DE RELOCALISATION INDUSTRIELLE fensive (garder de la compétence en Allemagne et du Le taux d’industrialisation des Etats-Unis est actuelle- savoir-faire pour entretenir le modèle d’exportation). ment relativement faible, 17% en 2014 : c’est le résultat d’un important flux de délocalisations vers la Chine et FRANCE : L’OPPORTUNITÉ le Mexique. Mais en valeur absolue, l’industrie améri- DU RETOUR FRANÇAIS DANS L’INDUSTRIE caine pèse 2 160 milliards d’euros en 2014, soit près de Contrairement à l’Allemagne, la France ne bénéficie trois fois plus que l’industrie allemande. Seule la Chine pas d’une industrie forte, puisque celle-ci ne repré- fait mieux avec 2 750 milliards d’euros de valeur ajoutée sente, en comptant l’énergie, que 12% du PIB natio- industrielle. En revanche, avec « seulement » 13,4 mil- nal et 3,7 millions d’emplois. Depuis un temps, elle lions d’employés (contre 160 millions pour les Chinois), suit la route de l’obsolescence industrielle. Un parc l’emploi dans l’industrie américaine a chuté d’environ industriel vieillissant (estimé à 19 ans en 2010), des 30% entre 2000-2014, détruisant plus de 5 millions de pertes importantes d’emplois industriels (-20% entre postes. A eux seuls, les « Big 3 » (Ford, GM et Chrysler) 2000 et 2014) et de valeur ajoutée (-4% sur la période), ont supprimé plus de 100 000 emplois et même près ainsi qu’une profitabilité qui a chuté de 70%, limitent d’un demi-million en comptant leurs sous-traitants. Pa- sa capacité à investir. En 2014, l’industrie accusait rallèlement, les USA ont investi massivement dans leur ainsi un retard de 40 milliards sur ses investisse- industrie : entre 2000 et 2014, le capital engagé dans ments, par rapport à ses dépréciations. L’industrie l’industrie américaine a doublé. La modernisation, française est donc de moins en moins intensive en l’automatisation et la robotisation des usines jointes à capital, mais pour de mauvaises raisons. Le taux d’uti- la forte productivité du travail (de l’ordre de 40%), ont lisation des machines, lui, est passé de 85 à 81% entre fait bondir le profit de 54%. 2000 et 2014. Résultat, le ROCE du pays a chuté de Les Etats-Unis ont, en quelque sorte, suivi la route 20% en 2000 à environ 8% en 2014. de l’automatisation, avec une modernisation et une
12 THINK ACT Industrie 4.0 F INDUSTRIE 4.0 : DES MOTIVATIONS SPÉCIFIQUES AUX ENJEUX DE CHAQUE NATION La motivation à mettre en œuvre des initiatives Industrie 4.0 dans le secteur de l’industrie dépend des défis les plus urgents. QUOI ? COMMENT ? QUI ? Maintenir la valeur ajoutée Réduire la sensibilité au coût du travail, Allemagne et la compétitivité augmenter la compétitivité, mettre en Japon place des barrières d’entrée États-Unis Chine Créer de nouveaux Produire des produits personnalisés à un France business models coût de production de masse Japon États-Unis Gagner un leadership mondial Développer des technologies et des Allemagne dans les solutions 4.0 normes, créer des solutions d’exportation Chine Corée du Sud Favoriser l’internationalisation Construire des lignes de production Allemagne à moindre risque flexibles pour équilibrer la volatilité de la Japon demande, diminuer le coût de l’expansion Chine géographique Corée du sud Favoriser l‘éclosion des start- Créer une plate-forme pour favoriser France ups digitales et écosystèmes les écosystèmes, accélérer l’innovation par Chine l’intermédiaire d’incubateurs et clusters États-Unis Améliorer la satisfaction Réduire la pénibilité du travail, augmenter France des employés au travail la qualité de vie au travail, donner du sens Allemagne Japon Augmenter la durabilité et Réduire l’utilisation des ressources natu- France redorer l’image de l’industrie relles, améliorer l’image de l’industrie Japon Source : Roland Berger
THINK ACT 13 Industrie 4.0 productivité en hausse, mais avec un investissement CHINE : L’EXCEPTION INDUSTRIELLE trop important par rapport à la valeur ajoutée dégagée Leader mondial du « low-cost exportateur », la Chine a et donc, sans amélioration du ROCE. Pour les Améri- bien évidemment perçu les menaces pesant sur ce modè- cains, l’enjeu de l’industrie 4.0 est simple : augmenter le et compris que la seule issue pour préserver son indus- la valeur ajoutée et mieux utiliser les actifs modernisés. trie est la montée en gamme. Car le développement de la C’est l’objet de la politique du président Obama et, en valeur ajoutée de l’industrie chinoise se heurte à deux particulier, du programme Advance Manufacturing difficultés : la demande en produits low-cost se réduit et Partnership, qui vise à développer l’industrie 4.0 dans elle souffre d’un problème grandissant de compétitivité les usines pour accroître la VA, permettre des relocali- : inflation salariale sur toute la côte Ouest, tant chez les sations d’activités industrielles et recréer des emplois ouvriers que chez les cadres, renchérissement des coûts qualifiés de haute qualité sur le territoire. de l’énergie et des terrains, difficultés à faire venir des travailleurs du centre du pays… La Chine conçoit donc JAPON : UNE STRATÉGIE l’Industrie 4.0 comme une solution à son problème de DE RECONQUÊTE INDUSTRIELLE compétitivité et de montée en gamme. Elle y voit aussi la Comme la France, le Japon a suivi la route de l’obsoles- possibilité de développer une offre de solutions industri- cence industrielle. En 10 ans, sa valeur ajoutée indus- elles pouvant à terme concurrencer l’Allemagne. trielle a perdu 40% et deux millions d’emplois indus- triels ont disparu entre 2000 et 2014. Le profit de UN NOUVEAU MODÈLE DE CROISSANCE l’industrie a chuté de 80% sur la même période, alors POUR LES PAYS ÉMERGENTS que le Japon a « sous-investi » à hauteur de 160 mil- L’industrialisation de la Chine selon le schéma traditi- liards d’euros. Il s’agit d’une véritable désindustrialisa- onnel d’usines à bas coûts exportateur, puis de montée tion forcée, portée par la proximité avec la Chine (où de en gamme, à l’instar de la Corée ou du Japon sera-t-il nombreux industriels nippons ont délocalisé des pro- l’exception à la fin du miracle industriel ? En effet, l’in- ductions), un Yen élevé pénalisant l’exportation, et une dustrie 4.0 amène un bouleversement profond du mo- perte globale de compétitivité, accentuée par l’impact dèle de développement des pays émergents, en les pri- de la baisse démographique dans le pays et les effets vant de l’accès au modèle d’industrialisation classique néfastes pour l’économie du Tsunami de mars 2011. et exportateur de produits low-cost. Certains parlent de La politique « Abenomics » (du nom du Premier Mi- désindustrialisation précoce des pays émergents, qui nistre Shinzo Abe) fondée sur la baisse du Yen a égale- devront faire reposer leur économie sur des services liés ment atteint ses limites, en créant un renchérissement à leur marché national, qui a moins d’effets multiplica- des importations (très importantes au Japon), sans pour teurs sur la création de valeur. Cependant, les pays autant dynamiser les exportations, la baisse du Yen émergents connaissent eux aussi une forte augmentati- ayant été utilisée principalement par les industriels on de la demande de produits manufacturés et plus so- pour retrouver des marges plutôt que des volumes. Sans phistiqués, et auront besoin d’une industrie locale. surprise, l’ensemble de ces phénomènes s’est traduit Grâce à des outils de production beaucoup plus flexib- par une chute brutale du ROCE, révélant une trop faible les, un capital engagé plus faible et une personnalisati- rotation des actifs et une profitabilité insuffisante. on des produits plus importante, l’Industrie 4.0 permet Le Japon s’est engagé tardivement sur la voie de l’In- de mieux s’adapter à un marché très mouvant tout en dustrie 4.0, avec des programmes lancés mi-2015. mitigeant le risque. Son modèle peut justement aider à Compte tenu de son degré actuel d’automatisation, industrialiser localement un pays émergent, en permet- l’industrie 4.0 doit lui permettre de retrouver de la com- tant plus de coopérations gagnant-gagnant entre pays pétitivité et de la flexibilité. Autre intérêt crucial pour industrialisés et émergents via un principe de co-locali- l’industrie 4.0 : compenser la désaffection de la jeu- sation. Le ou les partenaires étrangers apportent alors nesse pour l’industrie et la baisse démographique, en l’outil de production et la technologie pour développer redonnant de l’intérêt et de la qualité de vie au travail le produit et sont rémunérés pour l’utilisation de l’actif en usine. Enfin, il est vital pour les entreprises japo- industriel. Le pays « accueillant » peut ainsi créer de la naises très internationalisées que leur « base » indus- valeur ajoutée autour de l’ensemble des activités de con- trielle au japon soit compétitive. ception, marketing, vente et distribution du produit.
14 THINK ACT Industrie 4.0 Industrie 4.0 : une nouvelle impulsion à la croissance et à l’emploi. L’une des questions les plus délicates concernant la Cette demande a tiré les volumes, qui ont augmenté quatrième révolution industrielle est son impact en plus vite que la productivité et, de ce fait, généré des termes d’emplois : la quantité de travail détruite par la emplois en quantité bien supérieure à la diminution numérisation et l’automatisation sera-t-elle, ou non, provoquée par la baisse unitaire. Ce mécanisme de compensée par la création d’activité liée aux bénéfices transformation de la productivité en pouvoir d’achat, de cette digitalisation1 ? De fait, le nombre d’emplois qui à son tour génère de l’activité, a été la pierre angu- concernés par l’industrie 4.0 est élevé, et l’impact en laire des Trente Glorieuses, et a plus récemment été à termes de réduction de la quantité de travail dans les l’œuvre dans nombre de pays émergents, dont la Chine. usines du futur par rapport aux usines d’aujourd’hui Où en sont les grandes nations industrielles actuel- est potentiellement important. lement ? Lors des vagues d’automatisation successives Mais, dans la prochaine transition industrielle, ce des Trente Glorieuses, les volumes ont pu compenser ne sont ni les volumes, ni l’effet d’échelle, ni le facteur la hausse de la productivité. Puis, progressivement, la coût du travail qui créeront de la valeur, mais la person- productivité industrielle ne s’est plus transformée en nalisation de l’offre et, économiquement, la réduction accroissement de volumes, mais en réduction des du capital engagé. Ces nouveaux leviers de création de coûts, via un effet d’échelle qui a permis le développe- valeur représentent un potentiel considérable de nou- ment des services par un meilleur pouvoir d’achats des velles activités et d’emplois. clients. Dans le même temps, la productivité des pays Longtemps, le débat lié à l’automatisation a été ré- industriels a permis l’essor des pays émergents, via un solu par un calcul simple : en apportant un rendement transfert de travail dans ces pays. supérieur, elle permettait de baisser les coûts et d’aug- menter les volumes par la demande (l’effet d’échelle) et LES SOURCES DE RECRÉATION D’ACTIVITÉ ainsi de compenser la baisse d’activité humaine néces- SE TARISSENT saire à produire l’unité. C’est le mécanisme du For- Depuis l’ère de l’automatisation, la baisse des emplois disme. Avec la taylorisation de son usine, la spécialisa- dans l’industrie a été compensée par trois leviers de tion des tâches et la standardisation du produit, Ford a recréation d’activité à l’arrêt aujourd’hui. Sur les 15 réduit le temps de production de sa voiture de 12,5 dernières années, l’industrie de l’Europe de l’Ouest a heures à 1,33. Cela aurait dû provoquer une réduction perdu 5 millions d’emplois. Les emplois industriels ne des emplois de 90%. Cependant, les véhicules fabri- représentent plus que 15% des emplois totaux dans la qués étant beaucoup moins chers, ils sont devenus ac- zone. cessibles à une population bien plus large. 1. L’externalisation vers les services (qui représentait en- viron 35% de la baisse des emplois industriels jusqu’en 1 Voir « Les classes moyennes face à la transformation digitale », 2000) a directement contribué au développement de Roland Berger, 2014.
THINK ACT 15 Industrie 4.0 G PERSPECTIVES POSITIVES POUR LES TALENTS ET L’EMPLOI Dans notre modèle, nous supposons un taux d’adoption de 50% pour les solutions Industrie 4.0 d’ici à 2035, afin de décrire le mécanisme de destruction / création des emplois industriels en Europe de l’Ouest. Nombre d’employés dans l’industrie en Europe de l’Ouest (m) Approx. 10 millions 6,7 26,4 25,0 8,3 d’emplois 1,9 1,1 Réinvestissements dans de nouvelles activités de service Réinvestissements Productivité Relocalisations dans de nouveaux industrielle d’activités équipements ou (2,7 m) permises par le produits industriels business model Manque Industrie 4.0 de compétitivité (2,7 m) Investissement dans des solutions Industrie 4.0 (2,9 m) 2015 2035 Source : Roland Berger
16 THINK ACT Industrie 4.0 services associés à l’industrie : logistique, maintenance, ment différente de ceux qui ont prévalu lors des révolu- gardiennage, sous-traitance industrielle, etc. Sur les 15 tions industrielles précédentes. dernières années, ce levier représente moins de 10% de la baisse des emplois et ne crée plus d’activités. DES MÉCANISMES DE RECRÉATION D’ACTIVITÉ 2. La productivité industrielle (qui explique environ 45% D’UNE NOUVELLE NATURE de la perte d’emplois dans l’industrie), par la baisse des Demain, l’industrie 4.0 va permettre de fabriquer loca- coûts, s’est transférée en pouvoir d’achat pour les lement des produits avec un actif industriel optimisé et clients finaux, ce qui a directement contribué au déve- relativement peu de main-d’œuvre. La productivité, loppement des services et a créé de nombreux emplois. très significative en heures, apportée par ces technolo- Mais un palier est atteint : le développement des tech- gies, ne se traduira sans doute pas par des baisses de nologies numériques accroît la productivité des ser- prix en faisant jouer l’effet d’échelle, comme c’était le vices dans des proportions qui ne permettent plus de cas lors des précédentes révolutions industrielles. compenser les baisses d’effectifs dans l’industrie. On l’a vu, l’enjeu est désormais d’augmenter la flexibi- 3. Une baisse de compétitivité de l’industrie, qui explique lité, la personnalisation, la qualité… mais pas les prix 45% de la baisse des emplois, a eu pour effet de trans- ni les volumes. La question est de savoir comment se férer des activités dans des pays plus compétitifs, sou- recréeront activité et emploi dans cette nouvelle donne vent à bas coût, soit par délocalisation, soit par – probablement via des mécanismes très différents de non-remplacement ou réinvestissement de l’activité, y ceux que l’on a connus jusque-là. créant des millions d’emplois. Mais l’industrie 4.0, en Lors de la troisième révolution industrielle, l’auto- permettant à des pays à coût élevé de retrouver de la matisation, la massification d’usines, la délocalisation compétitivité (en insensibilisant au coût du travail no- ont principalement optimisé le coût de revient, en mi- tamment), met fin au modèle low-cost. Ce moteur de sant sur une augmentation des volumes qui justifiait création d’emplois dans les pays émergents est appelé l’investissement. Dans la prochaine transition indus- à s’affaiblir, nécessitant pour eux de trouver un autre trielle, ce ne sont pas les volumes ni l’effet d’échelle ou modèle de croissance, comme mentionné plus haut. le facteur coût du travail qui créeront de la valeur, mais la personnalisation de l’offre et, économiquement, la L’essoufflement de ces trois sources de transfert réduction du capital engagé. Or cette économie de ca- d’emplois a déjà des effets visibles qui frappent en pital engagé représente un gisement considérable de premier lieu la classe moyenne mondiale, notamment création de valeur, donc d’activité et d’emplois, mais l’accroissement des inégalités. C’est aussi ce qui selon des modalités différentes de ce que l’on a connu nourrit une vision pessimiste sur l’avenir du travail et auparavant. G plus largement des sociétés humaines, où l’inactivité La désindustrialisation en Europe continuera forcée serait le lot d’une majorité de la population, jusqu’en 2035. L’industrie ouest européenne emploie tandis qu’une minorité surqualifiée tirerait pleinement 25 millions de salariés en 2015. À une phase de destruc- les bénéfices de l’économie numérique. tion d’emplois liée à la baisse de l’intensité en main Si ces débats sont fondés, tant le travail change en d’œuvre succèdera une phase de création d’activité ce moment de nature, ils n’ont rien de nouveau. dans l’industrie, puis dans les services, du fait d’une Chaque révolution industrielle s’est accompagnée de meilleure profitabilité des industries européennes. discours catastrophistes sur l’emploi. Car à chaque Les premières baisses reflètent la poursuite de la fois, des métiers, parfois nombreux, ont disparu, tan- désindustrialisation historique de l’Europe, soit 2,7 dis que d’autres sont apparus. Et pour finir, le bilan en millions d’emplois détruits par l’effet de la productivité emplois de chaque révolution industrielle a toujours et 2,7 millions par la perte de compétitivité vis-à-vis été largement positif. Pourquoi en serait-il différem- d’autres régions, entre 2000 et 2015. Le facteur suivant ment cette fois-ci ? L’industrie 4.0 recèle, comme révèle l’impact du déploiement progressif de l’industrie toutes les révolutions industrielles avant elle, un po- 4.0 à l’horizon 2035, en imaginant que seules 50% des tentiel considérable de création de valeur, qui se entreprises industrielles auront basculé vers l’utilisa- convertira en activités nouvelles. Mais ces mécanismes tion de l’ensemble des potentialités de l’industrie 4.0, de création de valeur sont de nature fondamentale- et que 50% n’utiliseront que certaines briques techno-
THINK ACT 17 Industrie 4.0 logiques à des fins d’amélioration de la compétitivité. Ce déploiement de l’industrie 4.0 va accélérer la baisse H des emplois d’environ 2,9 millions supplémentaires, POINTS CLÉS doublant ainsi la productivité « classique » de l’indus- Comment l’Industrie 4.0 pourrait contribuer à plus de trie. Ainsi, ne reste donc qu’une industrie en grande valeur ajoutée et à la recréation d’emplois partie 4.0 et, à tout le moins, redevenue compétitive. 28% LA RECRÉATION D’ACTIVITÉ DANS L’INDUSTRIE Dans le même temps, l’outil industriel aura donc été modernisé par les solutions 4.0., permettant une meil- leure utilisation du capital engagé. En utilisant mieux son outil, l’industrie peut consommer moins de capital c’est le potentiel retour sur capital engagé engagé. La rentabilité et le ROCE s’améliorent et en Europe de l’Ouest jusqu’en 2035 – donnent de nouvelles possibilités d’investir, élément clé contre 18% aujourd’hui pour financer de nouveaux projets et recréer de l’em- ploi. Dans le modèle, la création de valeur liée à l’ac- croissement du ROCE, qui passe de 18% en 2015 à 28% 420 M en moyenne2, génère potentiellement 420 Milliards d’Euros, sous la forme de surprofit (après impôts) et d’économie de capital engagé. Cette capacité d’investis- sement, si elle est réinvestie en majorité dans l’écono- mie européenne, doit permettre de générer une valeur de profits nets et de capital engagé ajoutée de 850 Mrds d’Euros3, ce qui représente une re- préservé grâce à la création de valeur création potentielle totale de près de 10 millions d’em- de l’Industrie 4.0 plois, à même de compenser la baisse totale. Ces em- plois seraient en partie recrées dans l’industrie, pour environ 3 millions, mais aussi dans les nouveaux ser- 6,7 m vices, pour 7 millions4. Sur les 3 millions d’emplois dans l’industrie, on a estimé que 1,1 million provien- draient de la relocalisation industrielle d’activités an- ciennement présentes en Europe (par exemple, du tex- tile 4.0, dans la fabrication de pièces, de jouets, de de nouveaux emplois créés meubles... ou autres secteurs délocalisés depuis long- dans le seul secteur des services temps) ou d’activités sur le point d’être délocalisées. Ce chiffre, plutôt modéré, traduit l’idée que la relocalisa- tion nécessite de nouvelles solutions ultra-optimisées et 12% automatisées, avec peu d’effectifs, afin d’être compéti- tives avec la même production dans les pays à bas coûts. Viennent ensuite 2,9 millions d’emplois générés par des nouvelles activités industrielles. Ces nouvelles activités ne ressemblent guère aux anciennes et reposent c’est la part d’emplois sur un tout autre « business model », avec un actif dans le secteur de l’industrie en 2035 prenant la forme d’une plateforme produit et d’un écosystème de services fortement standardisés et 2 18% pour les 50% de l’industrie resté traditionnelle, et 38% pour l’industrie 4.0. 3 En supposant une rotation du capital de 1,3 pour l’industrie et de 2,5 pour les services
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